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Direction de la séance

Projet de loi

Droit des étrangers en France

(1ère lecture)

(PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE)

(n° 717 (2014-2015) , 716 (2014-2015) , 2)

N° 187 rect.

5 octobre 2015


 

AMENDEMENT

présenté par

C Demande de retrait
G Demande de retrait
Retiré

M. SOILIHI


ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 31


Après l’article 31

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’État garantit des moyens d’accompagnement aux collectivités territoriales de Mayotte et concourt, avec ces dernières, à la définition de la politique d’intégration républicaine à conduire dans le département.

Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article.

Objet

Premièrement, en abrogeant l’article L. 311-9-2 du CESEDA indiquant que la présente section ne s’applique pas à Mayotte dans le cadre des dispositions relatives à l’Outre-Mer, le législateur propulse ou élève le Département de Mayotte au rang des collectivités régies par le droit commun. Cette collectivité est souvent vue comme un territoire d’expérimentation de certaines législations. Et la fréquence des ordonnances qui ôte à notre assemblée la possibilité de débattre des sujets les plus importants en témoigne. Le Gouvernement a précipité en catimini la ratification de l’ordonnance du 7 mai 2014 qui se substitue à celle du 26 avril 2000. On peut également relever l’ordonnance du 19 septembre 2013 qui institue la fiscalité de droit commun à Mayotte à la place d’une loi qui aurait dû être discutée par le Parlement souverain que nous représentons ici au Sénat et l’Assemblée nationale. 

Cet article rend en effet applicable à Mayotte l’intégralité de la Section 2 qui traite des « Dispositions relatives à l'intégration des étrangers dans la société française » et à ce titre, il ne peut y avoir une politique sans les moyens de sa mise en œuvre.

Or, les problématiques les plus aigues que connaît ce département peuvent se résumer par :

- Une présence inquiétante des mineurs isolés étrangers (MIE),

- Utilisation des cellules de prison comme un Rampart pour faire face aux difficultés de maîtrise des jeunes délinquants issus de l’immigration irrégulière,

- Un manque de plus en plus criant d’infrastructures adéquates pour juguler les flux migratoires afin de mieux intégrer les étrangers à Mayotte,

- Absence d’une politique de logements maîtrisée pour prévenir la montée d’un phénomène nouveau qui favorise malheureusement la propagation d’habitats indignes et insalubres à caractère de bidonvilles… etc.

Le rapport de la Commission des lois de juillet 2012 expose une réalité inédite à Mayotte en indiquant que « Par définition, il est difficile d’établir une comptabilisation exacte du nombre de clandestins sur un territoire. A Mayotte, comme l’a indiqué M. François Lucas, directeur du secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, la difficulté est plus grande qu’ailleurs. Les flux migratoires sont en effet plus complexes à surveiller en raison de l’insularité de ce territoire. Selon les estimations, la population immigrée clandestine à Mayotte pourrait s’élever entre 50 000 et 60 000 personnes, dont 90 % d’origine comorienne, soit environ un tiers de la population officielle de Mayotte »[1].

Pour répondre à cette crise démographique, l’État met chaque année au moins un nouvel établissement d’enseignement secondaire en augmentant continuellement les effectifs d’enseignants tout en notant que leur croissance s’élève, à 13,6 % dans l’enseignement primaire et à 6,6 % dans l’enseignement secondaire[2]. Par ailleurs, le vice-rectorat de Mayotte se trouve confronté à des situations ingérables le conduisant souvent à refuser l’inscription d’élèves dans l’enseignement secondaire sous prétexte que l’adulte accompagnant ne pouvait présenter de délégation d’autorité parentale, demande pourtant interdite par une circulaire du 20 mars 2002. A cette accélération de la démographie atypique, s’ajoute un effort important de scolarisation engagé par les pouvoirs publics rendant les besoins actuels en matière de scolarisation particulièrement élevés.

Par ailleurs, il faut souligner que le Défenseur des droits, qui dispose de délégués présents sur l’ensemble du territoire a été sensibilisé dès sa prise de fonction aux difficultés de toutes natures rencontrées à Mayotte devenue en mars 2011, comme chacun sait, le 101ème département de la République française. Les mouvements sociaux qui se sont déroulés à Mayotte au mois d’octobre 2011 ont donné lieu à la première saisine d’office du Défenseur des droits au titre de sa compétence en matière de déontologie de la sécurité, de même qu’il a reçu de nombreuses réclamations et suivi celles précédemment instruites par la Halde et la Défenseure des enfants.

Il convient d’ajouter que dans une note du 20 juin 2013 adressé à Anne-Marie Escoffier, Ministre de la Réforme de l’État, de la Décentralisation et de la Fonction publique, à Victorin Lurel, Ministre des Outre-mer, et à Marisol Touraine, Ministre des Affaires sociales et de la Santé, le défenseur des droits (Dominique Baudis) lance une alerte au Gouvernement sur les conditions d’évacuation sanitaire des enfants dans le Département mahorais. En effet, dans le cadre des procédures « EVASAN » (évacuation sanitaire), plusieurs enfants sont hospitalisés à la Réunion, contraignant le conseil général de la Réunion à des accueils au long cours au titre de la protection de l’enfance. À défaut d’une prise en charge en amont de ces enfants par le conseil général de Mayotte, le département de la Réunion demande à l’État d’assumer une part financière de ces prises en charge. Interpellé dès 2011 sur la situation critique des mineurs à Mayotte, le Défenseur s’est rendu sur place en 2012, faisant suite aux déplacements de plusieurs de ses représentants. La dernière mission diligentée sur place a donné lieu à la publication d’un rapport en 2013. La forte pression migratoire qui s’exerce à Mayotte conduit à la présence de près de trois mille mineurs isolés étrangers sur l’ile, presque autant que dans les 100 autres départements français réunis. C’est inédit. L’absence de dispositifs de prise en charge des mineurs en danger et de dispositifs d’accompagnement de la délinquance, laisse ces enfants dans une situation d’extrême précarité pouvant se traduire par une véritable menace à la sûreté et à la sécurité publique dans un contexte international sous tension. Le fanatisme est devenu un danger qui ne laisse personne à l’abri. Il convient enfin, de souligner que la non prise en charge de ces mineurs constitue une violation de la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France le 20 novembre 1989.

Le Conseil d’État a estimé dans un avis rendu le 20 mai 2010 que l’application du régime de l’identité législative n’exclut pas le maintien des textes spécifiques antérieurs tant qu’ils ne sont pas abrogés, ce qui laisse supposer que l’application du CESEDA n’a pas été rendue obligatoire de façon automatique par la départementalisation de Mayotte. Ainsi, la saisine du juge n’est pas suspensive de l’éloignement ce qui explique que le maintien en CRA soit inférieur à un jour. Toutefois, l’exception au CESEDA ne suspend pas le droit au recours qui doit toujours être effectif. Si une modification du caractère suspensif du recours était envisagée, le CRA ne suffirait plus à accueillir les immigrés en raison du manque de lieux pour les assignations à résidence qui, par définition, concerne les étrangers non européens frappés d'une mesure d'éloignement et qui ne peuvent être immédiatement renvoyés de France. Dans certains cas de figure, l’assignation à résidence remplace un placement en centre de rétention administrative (CRA). Ces observations n’ont pas échappé aux rapporteurs Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan dans leur rapport de juillet 2012 intitulé « Mayotte, un Département confronté à de lourds défis » suite à une mission effectuée à Mayotte du 11 au 15 mars 2012[3].

Deuxièmement, cet amendement suggère aussi une certaine prise en considération des étrangers ressortissants de l’Union européenne vivant à Mayotte puisque celle-ci est devenue depuis le 1er janvier 2014, une région ultrapériphérique de l’UE c’est-à-dire un lieu d’application pleine et entière du droit européen (Cf. TFUE). Par exemple, le bénéfice du droit à un logement décent ainsi que de l’aide personnalisée au logement, doivent être définis selon la spécificité économique et socio-culturelle de l’Île car malgré son statut, l’alignement de Mayotte sur toutes les branches du droit fait l’objet d’une adaptation progressive. Le niveau du RSA à Mayotte ou de l’allocation au logement pour n’évoquer que ces deux domaines prouve une fois de plus cette réalité singulière. Initialement fixée à 5,7% par le décret n°2011-2097 du 30 décembre 2011, il est revalorisé et cette revalorisation exceptionnelle concrétise la volonté du gouvernement d’accélérer la convergence des prestations sociales à Mayotte. Une nouvelle revalorisation portera le montant forfaitaire du RSA mahorais à 50 % du montant national dès le début de l’année 2014.

Tel est l’objet du présent amendement.

 

[1] Rapport de la Commission des Lois Sueur, Cointat et Desplan, juillet 2012, p.75.

[2] Source Insee, 2012.

[3] Rapport de la Commission des Lois Sueur, Cointat et Desplan, juillet 2012, op. cit.