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Direction de la séance

Projet de loi

Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme

(1ère lecture)

(PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE)

(n° 630 , 629 , 636)

N° 77 rect.

18 juillet 2017


 

AMENDEMENT

présenté par

C Favorable
G Favorable
Adopté

Le Gouvernement


ARTICLE 3


I. – Alinéa 13, deuxième, troisième et dernière phrases

Rédiger ainsi ces phrases :

Elles peuvent être renouvelées par décision motivée, pour une durée équivalente, lorsque les conditions prévues à l’article L. 228-1 continuent d’être réunies. Au-delà d’une durée cumulée de six mois, la décision renouvelant ces obligations doit être notifiée au plus tard cinq jours avant son entrée en vigueur. Si la personne concernée saisit le juge administratif d’une demande présentée sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision, celle-ci ne peut entrer en vigueur avant que le juge ait statué.

II. – Alinéa 21, deuxième, troisième et dernière phrases

Remplacer ces phrases par une phrase ainsi rédigée :

Elles peuvent être renouvelées, pour une durée équivalente, par décision motivée lorsque les conditions prévues à l’article L. 228-1 continuent d’être réunies.

Objet

La commission des lois propose de conditionner le renouvellement des mesures de surveillance prévues à l’article 3 à l’intervention du juge des libertés et de la détention.

Or, ces mesures constituent des actes de police administrative restrictives de liberté et non des mesures privatives de liberté, ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel pour les mesures d’assignation à résidence de l’état d’urgence, pourtant plus strictes en raison de la possibilité d’astreindre les personnes qui en font l’objet à demeurer à domicile pendant une période pouvant aller jusqu’à 12 heures par jour et de les obliger à se présenter à un service de police ou à une unité de gendarmerie jusqu’à trois fois par jour (décision n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015). Par ailleurs, ainsi que le Conseil l’a rappelé (décision n° 2017-624 QPC du 16 mars 2017), « la seule prolongation dans le temps d’une mesure d’assignation à résidence ordonnée dans les conditions prévues à par l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 n’a (…) pas pour effet de modifier sa nature et de la rendre assimilable à une mesure privative de liberté ».

N’étant donc pas, quelle qu’en soit leur durée, privatives de la liberté individuelle, ces mesures n’entrent pas dans le champ de l’article 66 de la Constitution, aux termes duquel l’autorité judiciaire est « gardienne de la liberté individuelle ».

Par suite, ces décisions prises par l’autorité administrative dans l’exercice de prérogatives de puissance publique n’ont pas à être transférées à une autorité juridictionnelle, conformément au principe de séparation des pouvoirs (décision du Conseil constitutionnel du 10 novembre 2011, n° 2011-192 QPC ; décision du 9 août 2012, Loi de finances rectificative 2012, n° 2012-654 DC). Elles n’ont pas plus à être préalablement autorisées par l’autorité judiciaire (seulement compétente en cas d’atteinte à la liberté individuelle), ni à être contrôlées par cette même autorité, en application d’une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel selon laquelle « conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, figure au nombre des "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République" celui selon lequel, à l’exception des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l’annulation ou la réformation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle » (décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, Conseil de la concurrence, ou encore décision n° 89-261 DC du 28 juillet 1989, loi relative aux conditions de séjour et d’entrée des étrangers en France). Le législateur ne peut déroger à ce principe, d’après cette décision, que pour unifier les règles de compétence juridictionnelle, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, lorsque l’application d’une législation ou d’une réglementation spécifique pourrait engendrer des contestations contentieuses relevant, selon les règles habituelles, des deux ordres de juridiction, ce qui n’est pas le cas ici.

L’intervention du juge des libertés et de la détention pour autoriser le renouvellement des mesures individuelles de surveillance prévues par l’article 3 du projet de loi, ainsi que le propose la commission des lois, n’apparaît donc pas conforme à ces principes de valeur constitutionnelle. De plus, elle conduit à un mécanisme complexe faisant intervenir successivement les deux ordres de juridiction : en application de la jurisprudence « Conseil de la concurrence » du Conseil constitutionnel, le juge administratif serait compétent pour connaître de la légalité de la mesure initiale, en exerçant un contrôle complet destiné à vérifier que cette mesure de police administrative est adaptée, nécessaire et proportionnée, alors que le juge des libertés et de la détention, qui est le juge des mesures privatives de liberté, serait amené à connaître de leur renouvellement, selon des critères différents et sans que la privation de liberté soit en jeu (« le comportement de la personne continue de constituer une menace pour la sécurité et l’ordre public »).

L’amendement vise donc à rétablir une unité de compétence du juge administratif conforme à la répartition constitutionnelle des compétences entre les deux ordres de juridiction.

Afin de tenir compte de l’impact croissant de renouvellements successifs sur la situation de la personne concernée, il est proposé de soumettre, au-delà d’une durée cumulée de six mois, les renouvellements ultérieurs de celles des obligations les plus importantes prévues au nouvel article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure (obligation de demeurer dans un périmètre déterminé, obligation de se présenter aux services de police ou de gendarmerie, obligation de déclarer son lieu d’habitation et tout changement le concernant) à une procédure d’entrée en vigueur différée permettant l’intervention en temps utile du juge administratif des référés. La décision de renouvellement devra être notifiée au plus tard cinq jours avant son entrée en vigueur, afin de permettre à la personne concernée de présenter sous 48h un référé-liberté, lui-même jugé en 48h selon les règles du droit commun, de sorte que s’il est saisi, la mesure ne pourra entrer en vigueur avant que le juge ait statué.

Cette procédure permet donc l’examen de la validité de la décision de renouvellement par le juge administratif avant son entrée en vigueur, en respectant les principes constitutionnels gouvernant la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction.

En revanche, une telle procédure particulière n’apparaît pas nécessaire pour les autres mesures qui ne portent pas atteinte à la liberté d’aller et venir. Il est proposé qu’elles puissent être renouvelées par période de six mois dès lors que les conditions posées à l’article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure continuent d’être réunies, après mise en œuvre d’une procédure contradictoire dans les conditions du droit commun et sous le contrôle du juge administratif qui peut toujours intervenir, en référé-liberté, en 48h. Ce régime juridique est identique à celui du renouvellement d’une mesure de gel administratif des avoirs prévue aux articles L. 562-1 et L. 562-2 du code monétaire et financier, dont le Conseil constitutionnel a confirmé la conformité à la Constitution dans sa décision n° 2015-524 QPC du 2 mars 2016.