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Direction de la séance

Proposition de loi organique

Élection des sénateurs

(1ère lecture)

(n° 744 (2017-2018) , 127 )

N° 1 rect. ter

21 novembre 2018


 

AMENDEMENT

présenté par

C Défavorable
G Défavorable
Rejeté

MM. CABANEL et ANTISTE, Mme ARTIGALAS, MM. Joël BIGOT, BOUTANT, DAGBERT, DAUDIGNY, DURAIN et DURAN, Mmes Martine FILLEUL, GRELET-CERTENAIS, HARRIBEY et JASMIN, M. Patrice JOLY, Mme Gisèle JOURDA, MM. LALANDE, LOZACH, MADRELLE, MAGNER et MANABLE, Mme MEUNIER, M. MONTAUGÉ, Mme PEROL-DUMONT, M. ROGER, Mme ROSSIGNOL, MM. SUEUR et TISSOT, Mme TOCQUEVILLE et MM. TODESCHINI, TOURENNE, VALLINI et VAUGRENARD


ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 1ER


Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. O. 127 du code électoral, il est inséré un article L.O. 127-… ainsi rédigé :

« Art. L. O. 127-... – Ne peuvent pas faire acte de candidature les personnes dont le bulletin n° 2 du casier judiciaire porte la mention d’une condamnation incompatible avec l’exercice d’un mandat électif.

« Les condamnations incompatibles avec l’exercice d’un mandat électif sont :

« 1° L’une des infractions d’atteintes à la personne humaine réprimées aux articles 221-1 à 221-5-5, 222-1 à 222-18-3, 222-22 à 222-33, 222-33-2 à 222-33-3, 222-34 à 222-43-1, 222-52 à 222-67, 224-1 A à 224-8, 225-4-1 à 225-4-9, 225-5 à 225-12, 225-12-1 à 225-12-4, 225-12-5 à 225-12-7, 225-12-8 à 225-12-10, 225-13 à 225-16 du code pénal ;

« 2° L’une des infractions traduisant un manquement au devoir de probité, réprimées aux articles 432-10 à 432-15 du même code ;

« 3° L’une des infractions de corruption et trafic d’influence, réprimées aux articles 433-1, 433-2, 434-9, 434-9-1, 435-1 à 435-10 et 445-1 à 445-2-1 dudit code ;

« 4° L’une des infractions de recel ou de blanchiment, réprimées aux articles 321-1, 321-2, 324-1 et 324-2 du même code, du produit, des revenus ou des choses provenant des infractions mentionnées aux 1° et 2° du présent article ;

« 5° L’une des infractions réprimées aux articles L. 106 à L. 109 du code électoral ;

« 6° Les infractions fiscales.

« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. »

Objet

Le présent projet de loi vise à rendre compréhensible les conditions d’éligibilité des sénateurs.

Cet amendement fait explicitement de l’absence de mention de condamnation pour crime ou délit lié à un manquement à la probité au bulletin n°2 du casier judiciaire, c’est-à-dire l’obligation d’un « casier vierge », une condition d’éligibilité aux élections législatives et sénatoriales.

Cet amendement, en imposant dans le code électoral à tout candidat à une élection parlementaire de fournir un exemplaire du bulletin n° 2 de son casier judiciaire, et n’autorisant sa candidature que s’il n’y figure aucune condamnation pour ces infractions, vise à rendre évident pour les citoyens que le mandat de parlementaire est clairement incompatible avec des mentions au casier judiciaire de condamnations pour crime ou délit touchant au manque de probité.

Bien que le droit pénal en vigueur permette d’atteindre en grande partie cet objectif sur le fond, sa présentation éclatée n’apporte pas la même lisibilité à même de rassurer les citoyens que le dispositif prévu par le présent amendement. De plus, le présent amendement n’a pas un objectif répressif contre des individus mais vise la protection de l’exercice du mandat de parlementaire, à l’instar de ce qui existe pour de nombreuses professions ou fonctions.

Les citoyens attendent une déontologie forte de la part de leurs élus. Si les dispositions proposées par cet amendement peuvent être considérées comme d’apparence, il convient de souligner toute l’importance de l’apport de l’apparence lorsque sont en jeu des attentes portant sur la déontologie. Ainsi, en 2009, au Conseil d’Etat, le changement de dénomination du « commissaire du gouvernement » en « rapporteur public » a permis d’ajouter à l’indépendance de celui-ci l’apparence de l’indépendance, ce qui n’a pu être que bénéfique à la crédibilité de la justice administrative.

Souvent présenté comme anticonstitutionnel par ses détracteurs, le principe de condition d’inéligibilité semble au contraire conforme aux prescriptions de la Constitution et du Conseil constitutionnel sur plusieurs points.

Tout d’abord, il respecte les dispositions de l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui proclame l’égale admissibilité à « toutes dignités, places et emplois publics » mais qui admet également expressément qu’une distinction puisse être opérée sur la base des vertus de chacun et qu’on revienne donc sur ladite admissibilité. Or, la probité et la déontologie semblent incontestablement faire partie de ces vertus.

Par ailleurs, dans sa décision du 18 novembre 1982, le Conseil constitutionnel, dans une interprétation large, affirme que « la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n’en sont pas exclus pour une raison d’âge, d’incapacité ou de nationalité, ou pour une raison tendant à préserver la liberté ou l’indépendance de l’élu». A cet égard, la condition d’éligibilité posée dans le présent amendement préserve la liberté de l’électeur et l’indépendance de l’élu. En effet, elle ne concerne que des cas où des comportements malhonnêtes ont été établis et sanctionnés au terme procès réguliers et contradictoires.

En outre, il est important de souligner – contrairement au dispositif prévu par l’ancien article 7 du code électoral censuré par la décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010 – qu’il ne s’agit pas ici d’instaurer une peine. L’inscription d’une condamnation au bulletin n°2 du casier judiciaire n’est pas une peine prononcée par le juge mais une conséquence effective de plein droit sur le fondement du code de procédure pénale. Elle n’est pas qualifiée de peine complémentaire et le juge peut ordonner une non inscription, soit au moment du jugement, soit postérieurement lorsque le justiciable en présente la demande au parquet qui doit saisir la juridiction qui a prononcé la condamnation. Il semble donc inopportun de qualifier ce dispositif de punitif.

Toutefois, si malgré ces éléments ce dispositif devait être considéré comme punitif, il faut ajouter que la jurisprudence constitutionnelle a évolué depuis la censure de l’article 7 du code électoral, de sorte qu’il n’existe pas d’interdiction de principes des peines obligatoires. Le Conseil Constitutionnel, dans sa jurisprudence la plus récente, subordonne leur conformité au principe d’individualisation des peines en se fondant sur un certain nombre de critères que remplit la condition d’éligibilité. Ainsi, même si l’inscription d’une condamnation au bulletin n°2 du casier judiciaire est de droit, elle n’est pas automatiquement acquise puisque le juge peut ordonner son omission. De plus, la durée de l’inscription est modulable par le juge du siège. Si la réhabilitation légale est acquise au terme d’une durée fixée par la loi à l’issue de l’exécution de la peine prononcée, l’effacement de la mention au casier judiciaire peut être sollicitée avant ce terme et l’inéligibilité ne prive pas le condamné du droit de vote. Enfin, il est évident qu’il existe un lien direct entre les infractions prises en compte pour apprécier l’éligibilité d’une personne, leur gravité et l’exercice d’un mandat électif.

Enfin, il convient de rappeler que la censure du Conseil Constitutionnel du 8 décembre 2016 d’une mesure similaire inscrite dans l’article 19 dans la loi « Sapin II » n’était motivée que par des raisons formelles, une telle mesure ne pouvant intervenir que dans une loi organique. Ainsi le point 143 relevait : « Le régime des inéligibilités applicables aux membres du Parlement relève de textes ayant valeur de loi organique. Par suite, le paragraphe II de l’article 19 de la loi déférée, qui a le caractère d’une loi ordinaire et édicte une inéligible pour l’élection des députés en cas de condamnation pour manquement au devoir de probité, est entaché d’incompétence. Il est donc contraire à la Constitution. ».



NB :La présente rectification porte sur la liste des signataires.