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Direction de la séance

Projet de loi

Croissance et transformation des entreprises

(Nouvelle lecture)

(n° 382 , 415 )

N° 14

2 avril 2019


 

AMENDEMENT

présenté par

C Défavorable
G  
Tombé

M. Martial BOURQUIN, Mme ESPAGNAC, MM. LALANDE, TOURENNE et KANNER, Mme ARTIGALAS, MM. DURAIN et LUREL, Mme TOCQUEVILLE, M. ANTISTE, Mmes BLONDIN et BONNEFOY, MM. COURTEAU, DURAN et FICHET, Mmes LUBIN, MONIER

et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain


ARTICLE 49


Supprimer cet article.

Objet

Les auteurs de l’amendement s’opposent à la privatisation de la société Aéroport de Paris (ADP), raison pour laquelle ils souhaitent supprimer cet article.

Le gouvernement justifie ce transfert au privé en arguant que les recettes des privatisations d’ADP, ainsi que celles de la Française des jeux (FDJ) et d’Engie prévues par les articles 51 et 52 de ce projet de loi permettront de financer un fonds pour l’innovation, notamment l’innovation de rupture. Les recettes des privatisations seront placées sur les marchés financiers et le rendement de ces titres servira à alimenter ce fonds. Un tel placement devrait rapporter 250 M€ par an.

Or, force est de souligner que les rendements des participations de l’État au capital des entreprises à privatiser sont déjà largement supérieurs aux intérêts escomptés de ces titres. Les dividendes d’ADP versés en 2018 à l’État s’élevaient à 173 M€. L’étude d’impact souligne que depuis 2005, ADP a connu une augmentation annuelle de ses revenus de 3,8% et de 10% de son résultat net. Autrement dit, à ce rythme de progression, les seuls dividendes versés par ADP à l’État devraient rapidement dépasser les 250 M€ attendus pour financer ce fonds.

Comme l’ont fait remarquer les députés socialistes, « il suffirait donc au gouvernement de flécher la totalité des dividendes perçus d’ADP et d’autres entreprises que l’État souhaite privatiser sur ce fonds pour répondre à son objectif tout en conservant la maitrise stratégique de ces entreprises. Il est donc incompréhensible que le gouvernement privilégie l’option d’une vague de privatisations plutôt que celui d’une optimisation des dividendes actuellement perçus au regard de leur produit ».

A cela s’ajoute le fait qu’il existe aujourd’hui de nombreux autres moyens de financer l’innovation, dont le crédit d’impôt recherche (CIR) par exemple, qui mobilise des sommes autrement plus élevées que le futur fonds pour l’innovation.

Dans son rapport budgétaire sur le CAS « Participations financières de l’État » du PLF pour 2018, le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, A. Chatillon, faisait observer qu’il ne comprenait pas ce qu’allait « apporter ce nouveau fonds dans le paysage institutionnel morcelé du soutien public à l'innovation. Deux acteurs publics majeurs interviennent déjà dans ce domaine, à savoir : le Commissariat général à l'investissement, qui gère le programme des investissements d'avenir (PIA) selon une logique d'appel à projets fondé sur un critère d'excellence, et BpiFrance, qui finance plutôt l'innovation courante en utilisant des dotations budgétaires fournies par l'État. La Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation estime par ailleurs que 62 dispositifs de soutien à l'innovation existent en France. Par rapport à ces deux acteurs et ces plus de soixante dispositifs, comment se situera le nouveau fonds ? Qu'est-ce qu'il apportera de plus ou de différent ? Cela n'est pas clair. En tout état de cause, s'il s'agit effectivement de financer l'innovation de rupture, ce n'est pas 2 ou 300 M€ qui vont changer la donne lorsqu'on sait que l'État dépense déjà 8,5 Md€ pour financer l'innovation, dont 2,2 Md€ hors dépenses fiscales ».

Force est aussi de souligner qu’en privatisant ADP, l’État se prive d’un capital et patrimoine importants et soumet cette entreprise chargée de missions de service public à des logiques actionnariales privées privilégiant le court terme et peu compatibles avec l’accomplissement des missions de service public. Il se prive par ailleurs d’un revenu annuel pérenne et croissant, constitué des dividendes qu’il perçoit en tant qu’actionnaire.

Force est encore de souligner qu’ADP est un monopole ; il disposera donc d’un pouvoir de monopole pour imposer ses prix. Or, force est de souligner qu’une entreprise privée en situation de monopole peut non seulement pratiquer des prix largement supérieurs aux prix qui résulteraient de la concurrence (prix de marché) mais aussi vendre des biens ou des services de moins bonne qualité que si elle était, là encore, en situation de concurrence. ADP est par ailleurs en situation d’asymétrie d’information par rapport aux éventuels acteurs à qui elle aurait des comptes à rendre (l’État par exemple). La privatisation d’ADP pourrait logiquement se traduire par un renchérissement des prix (des redevances) et par une détérioration de la qualité des services rendus et ce, au détriment des clients d’ADP (comme Air France par exemple). Sauf à renforcer de manière drastique le cahier des charges et le contrat de régulation fixant les tarifs des redevances, mais avec le risque d’affaiblir pour les investisseurs potentiels l’intérêt de la privatisation, ou de vendre ADP bien en dessous sa valeur réelle.

Les auteurs de l’amendement considèrent que, en dépit des dispositions supplémentaires que le rapporteur a introduites concernant le cahier des charges de l’entreprise et le contrat de régulation, en dépit de celles qu’il a également introduites pour faire participer les revenus des commerces à financer les activités aéronautiques, le risque « de majoration des redevances aéroportuaires » d’un côté et le risque d’une « modification du cahier des charges à l’avantage d’ADP » de l’autre, mis en évidence dans une étude récente de l’association Fipeco (Association « Finances publiques et économie » fondée par F. Ecalle, Conseiller maître à la Cour des comptes) persistent néanmoins. Et ce d’autant plus que, de retour d’expérience dans ce domaine, ce qu’une loi a fait, une autre peut le défaire, la plupart des verrous posés pouvant rapidement sautés dans le cadre d’une nouvelle loi…L’ouverture à la concurrence des services publics qui s’est traduit dans un certain nombre de secteurs (télécommunications et Poste, énergie, transport…) par la transformation des EPIC en SA s’inscrit en effet dans un processus libéral au long cours qui aboutit in fine, avec l’ouverture du capital des entreprises publiques et leurs privatisations à la perte d’influence de l’État-stratège sur les orientations stratégiques à long terme, sous la pression d’un capitalisme de type actionnarial dans un contexte de globalisation financière.

En matière de respect du cahier des charges, l’étude émettait les réserves suivantes : « il sera difficile de contrôler le respect des prescriptions du cahier des charges en matière de qualité des services car, dans le cas des aéroports de Paris, les services rendus sont de nature très diverse et leur qualité n’est pas toujours aisément mesurable ». A cela s’ajoute le fait qu’ADP « détiendra toujours plus d’information sur ses coûts et risque donc de les majorer pour obtenir une rémunération plus importante ».

Si l’on tient compte du retour d’expérience de la privatisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes, force est de rappeler que ces dernières ont invoqué le principe de la liberté contractuelle pour empêcher à l’État de réviser les tarifs, niant ainsi le pouvoir de l’État en matière de contrôle et de tarification.

In fine, la privatisation d’ADP revient à confier au privé l’exploitation d’un monopole naturel avec à la clé, l’appropriation privative d’une partie importante d’une rente de monopole confortable et pérenne. Le processus de financiarisation de l’économie à l’œuvre depuis plusieurs décennies conduira de plus inexorablement à une captation importante de cette rente au profit des actionnaires, de plus en plus exigeant dans le contexte actuel de domination d’un capitalisme de type actionnarial. Les entreprises du CAC 40 ont en effet redistribué 57,4 Mds€ à leurs actionnaires en 2018, dont 10,9 Mds d’euros de rachat d’action destiné principalement à faire monter les cours pour accroître les dividendes. Cette captation de la richesse créée risque de se réaliser au détriment des choix d’investissement de long terme qui par définition ne peuvent s’aligner sur des normes élevées de rentabilité à court terme exigées par les actionnaires. Elle risque de se réaliser, ainsi, au détriment des autres parties prenantes, au premier rang desquelles les salariés et les usagers-clients (passagers, compagnies aériennes…), sur fond d’accroissement des inégalités (recherche de diminution des coûts, de l’emploi…).

Ce transfert au privé d’un monopole qui est d’ailleurs en contradiction avec les principes mêmes du libéralisme le plus basique est donc contraire à l’intérêt général en ce qu’il contrevient à la richesse de la nation tout entière.

Pour ces principales raisons, les auteurs de l’amendement souhaitent supprimer cet article qui prévoit la privatisation d’ADP.


NB : La mention « Tombé » signifie qu'il n'y avait pas lieu de soumettre l'amendement au vote du Sénat dans la mesure où soit l'objectif poursuivi par l'amendement a été atteint par l'adoption d'un autre amendement (ex. : amendement de rédaction globale incluant la modification proposée), soit, au contraire, l'amendement était incompatible avec un amendement précédemment adopté (ex. : l'adoption d'un amendement de suppression fait tomber tous les autres).