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Direction de la séance

Projet de loi

Projet de loi de finances pour 2022

(1ère lecture)

PREMIÈRE PARTIE

(n° 162 , 163 , 167)

N° I-785

19 novembre 2021


 

AMENDEMENT

présenté par

C Favorable
G Défavorable
Adopté

M. HUSSON

au nom de la commission des finances


ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 7


Après l'article 7

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – L’article 119 bis A du code général des impôts est ainsi modifié :

A. – Le 1 est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) Au début, est ajoutée la mention : « I. – » ;

b) Les mots : « , dans la limite du montant correspondant à la distribution de produits de parts ou d’actions mentionnée au b, » sont supprimés ;

2° Les a et b sont remplacés par six alinéas ainsi rédigés :

« a) Le versement est conditionné, directement ou indirectement, à la distribution de produits d’actions, de parts sociales ou de revenus assimilés mentionnés aux articles 108 à 117 bis, ou son montant est établi en tenant compte de ladite distribution ;

« b) Le versement est lié, directement ou indirectement :

« - à une cession temporaire desdites parts ou actions d’une durée inférieure à une durée fixée par décret réalisée par la personne qui n’est pas établie ou n’a pas sa résidence en France au profit, directement ou indirectement, de la personne qui est établie ou a sa résidence en France ;

« - ou à une opération donnant le droit ou faisant obligation à la personne qui est établie ou a sa résidence en France de revendre ou de restituer, directement ou indirectement, lesdites parts ou actions à la personne qui n’est pas établie ou n’a pas sa résidence en France ;

« - ou à un accord ou instrument financier ayant, directement ou indirectement, pour la personne qui n’est pas établie ou n’a pas sa résidence en France, un effet économique similaire à la possession desdites parts ou actions.

« Le présent 1 n’est pas applicable aux dividendes distribués à une personne morale dans les conditions prévues à l’article 119 ter. »

B. – Il est ajouté un II ainsi rédigé :

« II. –  Lorsque les produits des actions et parts sociales et les produits assimilés mentionnés aux articles 108 à 117 bis sont versés à une personne qui est établie ou a sa résidence dans un État ou territoire ayant signé avec la France une convention d’élimination des doubles impositions qui ne prévoit pas ou exonère de retenue à la source ces produits, l’établissement payeur des produits applique, lors de la mise en paiement, la retenue à la source prévue au 2 de l’article 119 bis.

« Le premier alinéa du présent II n’est pas applicable aux dividendes distribués à une personne morale dans les conditions prévues à l’article 119 ter.

« Le bénéficiaire des produits mentionnés au premier alinéa du présent II peut obtenir le remboursement de la retenue à la source s’il apporte la preuve qu’il en est le bénéficiaire effectif et que la distribution de ces produits dans cet État ou territoire a principalement un objet ou un effet autres que d’éviter l’application d’une retenue à la source ou d’obtenir l’octroi d’un avantage fiscal.

« L’établissement payeur des produits mentionnés au même premier alinéa adresse chaque année à l’administration fiscale, par voie électronique et au plus tard le 31 janvier de l’année suivant celle au titre de laquelle les versements ont été effectués, une déclaration mentionnant le montant, la date, l’émetteur et le destinataire de chacun des versements. »

II. – Le I entre en vigueur le 1er janvier 2022.

Objet

Le présent amendement tend à renforcer les outils de lutte contre les montages frauduleux d’arbitrage de dividendes.

Ces montages visent à tirer profit des exonérations dont bénéficient certains acteurs pour les revenus issus de titres de participation, soit en application du droit interne, par exemple pour les établissements financiers – montages qualifiés d’internes –, soit en application d’une convention fiscale conclue entre la France et une autre juridiction – montages qualifiés d’externes. En le cédant de façon temporaire autour de la date du détachement du dividende, le propriétaire non-résident bénéficie ainsi de façon frauduleuse d’une exonération de toute imposition.

De telles pratiques ont été rendues publiques en octobre 2018 par Le Monde et plusieurs médias internationaux dans le cadre de l’enquête sur les « CumEx Files ». À l’époque, la perte était estimée entre un et trois milliards d’euros par an pour le Trésor public français.

À la suite de ces révélations, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2019 et à l’initiative de tous les groupes politiques, le Sénat avait adopté un mécanisme issu des travaux du groupe de suivi de la commission des finances ayant pour objet de faire échec aux opérations d’arbitrage de dividendes. Pour cela, il prévoyait l’assujettissement à une retenue à la source des versements équivalant à des dividendes indirects au profit d’un non-résident. Ce dernier pouvait toutefois se voir restituer l’imposition dès lors qu’il apportait la preuve qu’il était le bénéficiaire effectif du versement, que celui-ci ne constituait pas indirectement des produits d’actions ou de produits assimilés, et qu’ils correspondaient à des opérations ayant un objet ou un effet autres que d’éviter l’application d’une retenue à la source ou d’obtenir un avantage fiscal.

En nouvelle lecture, l’Assemblée nationale avait toutefois profondément remanié le dispositif, en le vidant d’une large partie de sa substance. Entré en vigueur le 1er janvier 2019 et désormais codifié à l’article 119 bis A du code général des impôts, le dispositif adopté présente deux limites essentielles.

Premièrement, il ne vise que les montages « internes », par lesquels un non-résident prête un titre de participation qu’il détient à un résident français autour de la date du détachement du dividende, généralement un établissement financier, pour échapper à toute retenue à la source. Des critères restrictifs s’appliquent pour assujettir un versement à la retenue à la source, puisque sont uniquement visés les versements réalisés dans le cadre d’une cession temporaire de titres pour une durée de moins de quarante-cinq jours. Autrement dit, les prêts de titres d’une durée supérieure ainsi que les instruments financiers ayant pour sous-jacent un dividende et échappant à la qualification juridique de dividende ne sont pas pris en compte. 

Deuxièmement, le dispositif en vigueur n’apporte aucune réponse aux montages « externes », à savoir les montages par lesquels un non-résident prête un titre de participation qu’il détient à un résident d’un État dont la convention fiscale signée avec la France ne prévoit aucune retenue à la source. Depuis les révélations de 2018, les conventions fiscales concernées (avec l’Arabie Saoudite, le Bahreïn, l’Égypte, les Émirats Arabes Unis, la Finlande, le Koweït, le Liban, Oman et le Qatar) n’ont donné lieu à aucune modification. La convention fiscale avec l’Arabie Saoudite a même été reconduite sans changement le 1er janvier 2019.

Dans ces conditions, trois ans plus tard, tout porte à croire qu’une proportion substantielle d’opérations échappent encore à l’imposition, en toute illégalité, sans que l’administration fiscale dispose des moyens juridiques pour y faire échec.

C’est pourquoi, pour renforcer la lutte contre l’arbitrage de dividendes, cet amendement propose de renforcer le dispositif existant sur deux points :

- d’une part, pour ce qui concerne les montages « internes », en élargissant le champ des opérations assujetties à la retenue à la source avec la suppression du critère de durée de l’opération et l’inclusion des instruments financiers qui, s’ils échappent à la qualification juridique de dividendes, en reproduisent les effets ;

- d’autre part, pour ce qui concerne les montages « externes », en prévoyant que l’établissement payeur applique une retenue à la source sur les versements opérés au profit d’un résident d’un État lié à la France par une convention fiscale prévoyant une retenue à la source de 0 %, ledit résident pouvant ensuite demander le remboursement de l’éventuel trop-perçu en justifiant qu’il est le bénéficiaire effectif des revenus et que l’opération n’a pas un objet principalement fiscal.