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Direction de la séance

Proposition de loi

Personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982

(2ème lecture)

(n° 565 , 564 )

N° 14

5 mai 2025


 

AMENDEMENT

présenté par

C Défavorable
G Défavorable
Rejeté

Mme SOUYRIS, M. BROSSAT, Mme Mélanie VOGEL, MM. BENARROCHE, Grégory BLANC et DANTEC, Mme de MARCO, MM. DOSSUS, FERNIQUE et GONTARD, Mme GUHL, MM. JADOT et MELLOULI, Mmes OLLIVIER et PONCET MONGE, M. SALMON et Mme SENÉE


ARTICLE 1ER


I. – Alinéa 1

Rédiger ainsi le début de cet alinéa :

La Nation reconnaît sa responsabilité quant à l’application par l’État des dispositions pénales suivantes, qui ont constitué une discrimination…

II. – Compléter cet article par neuf alinéas ainsi rédigés : 

La Nation reconnaît également sa responsabilité quant à l’application de certaines dispositions pénales susceptibles de constituer une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle en visant les comportements homosexuels, à savoir les dispositions suivantes :

1° L’article 330 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs ; 

2° L’alinéa 1 de l’article 334 du code pénal, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal ;

3° Les articles 270 et 271 du code pénal, dans leur rédaction antérieure au décret-loi du 30 octobre 1935 relatif à la protection de l’enfance ;

4° L’article 287 du code pénal, dans sa rédaction antérieure au décret-loi n° 57-399 du 15 mars 1957 modifiant les articles 283 à 290 du code pénal ;

5° L’article 28 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dans sa version antérieure au décret du 29 juillet 1939 relatif à la famille et à la natalité française abrogeant l’article 28 de la loi du 29 juillet 1881 ;

6° Les articles 110 à 126 inclus du décret du 29 juillet 1939 relatif à la famille et à la natalité française ;

7° La loi 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse ;

Elle reconnaît que ces dispositions ont pu être détournées pour pénaliser des actes et comportements homosexuels, même si cela n’était pas leur but premier et explicite.

Objet

La répression de l’homosexualité en France ne s’est pas construite uniquement à partir des deux dispositifs du Code pénal qui, entre 1942 à 1982, ont explicitement visé les relations homosexuelles.

Il est maintenant établi, (encore récemment avec les travaux d’Antoine Idier), que la répression des pratiques homosexuelles ne s’est pas limitée à l’application de dispositions pénales explicitement homophobes. Cette répression s’est exercée à travers un arsenal juridique plus vaste, mobilisant des incriminations de droit commun, des pratiques policières ciblées et une logique administrative structurée autour de la surveillance et du fichage. En pratique, il suffisait que deux hommes soient surpris ensemble dans un lieu considéré comme public — urinoirs, jardins, gares — pour que l’on conclut à une atteinte aux bonnes mœurs et que des poursuites soient engagées.

La construction de la repression de l’homosexualité s’est de fait  construite sur l’invisibilité. Dès la promulgation du Code pénal de 1810, l’homosexualité est absente du texte. Cette omission ne procède pas d’une politique de tolérance, mais d’un choix stratégique d’évitement. Napoléon lui-même justifie cette absence par la nécessité d’éviter la publicité de tels actes, estimant qu’un procès ne ferait que les « multiplier ». C’est ainsi qu’un principe de répression sans nomination s’installe, confiant aux forces de police, aux préfets ou aux magistrats des outils indirects : arrestations, emprisonnements administratifs, bannissements, ou poursuites sur la base d’infractions telles que l’« outrage public à la pudeur », l’« excitation de mineurs à la débauche » ou encore la lutte contre « le vagabondage » et l’« outrage aux bonnes moeurs» .

Il ne s’agit toutefois pas de disqualifier en bloc ces dispositions ou de remettre en cause la nécessité de dispositifs. Il convient plutôt de reconnaître les usages discriminatoires passés, afin de mieux inscrire l’action législative contemporaine dans une démarche de mémoire, de ces dispositions qui ont ainsi pu être utilisées pour criminaliser les actes et comportements homosexuels.

Depuis l’adoption du Code pénal de 1810, le délit d’outrage public à la pudeur a constitué un instrument juridique central dans la répression des pratiques homosexuelles, bien qu’aucune mention explicite de l’homosexualité n’y figure avant 1960. La jurisprudence, comme l’a démontré la chercheuse Marcela Iacub, a progressivement élargi l’interprétation de ce délit, au point de permettre la condamnation d’actes strictement privés impliquant des personnes homosexuelles, y compris  dans la sphère privée. En 1960, une aggravation spécifique pour les actes homosexuels est introduite, supprimée en 1980. Toutefois, cette modification n’a pas changé la nature de la répression, seulement la sévérité des peines. Les tribunaux utilisaient l’«outrage public à la pudeur» contre des actes homosexuels déjà depuis le XIXème siècle. Après 1960, les mêmes actes sont seulement poursuivis plus durement.

Concernant « l’excitation de mineurs à la débauche», l’article 334 du Code pénal de 1810, initialement prévu pour réprimer le proxénétisme impliquant des mineurs de moins de 21 ans, a souvent été détourné pour criminaliser les relations homosexuelles, même consenties. Les relations homosexuelles, collectives ou facilitées par un tiers, furent parfois assimilées à de la débauche ou du proxénétisme (même non lucrative). L’interprétation extensive de cet article a permis à certains juges du fond d’incriminer l’homosexualité en la qualifiant d’« excitation de mineurs à la débauche », en particulier lorsque les actes étaient jugés « déviantes» ou « contre nature », c’est-à-dire non hétérosexuels et non procréatifs. Cette jurisprudence discriminatoire s’est notamment illustrée dans l’arrêt de la cour d’appel de Bourges du 26 janvier 1905, lorsqu’elle tenta de distinguer entre la satisfaction des « passions naturelles » et les actes « contre nature », ces derniers étant réputés condamnables – une interprétation invalidée par la Cour de cassation le 9 mars 1905. Bien que la Cour de cassation a censuré cette décision le 9 mars 1905, affirmant qu’une séduction directe et personnelle ne relevait pas de l’article 334, de nombreux tribunaux ont continué à utiliser ce texte pour réprimer les sexualités jugées déviantes. Il aura ainsi fallu deux arrêts supplémentaires de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, rendus les 30 janvier et 24 juillet 1937, pour rappeler avec fermeté l’inapplicabilité de cet article aux relations homosexuelles en tant que telles — preuve que cette dérive jurisprudentielle restait encore largement pratiquée. L’instauration en 1942 par Vichy d’un délit spécifique ciblant les homosexuels et instaurant un âge de consentement différencié s’inscrit dans cette continuité répressive.

La lutte contre le vagabondage a aussi été un moyen de lutter contre l’homosexualité masculine – et autre « indésirables ». Ce délit a servi à réguler l’homosexualité dans l’espace public, dans des formes assimilées au racolage et à la prostitution. Ainsi, depuis longtemps pour la police l’homosexualité a été assimilé et confondu avec la prostitution, en particulier chez les jeunes hommes. Le chef de la brigade des moeurs Félix Carlier expliquait en 1887 que « pédérastie» et « prostitution » sont deux même parties « d’un même tout ». Principalement utilisé au début du XXe siècle, la loi du 24 mars 1921 précisera le délit  en ajoutant la « débauche »  à la définition du vagabondage. Par exemple, en 1929, on estime qu’une centaine d’homosexuels ont été arrêtés en vertu de cette loi.

« L’outrage aux bonnes mœurs » a également pu cibler les publications homosexuelles, et cela dès 1810 avec l’article 287 du code pénal. C’est ainsi que les deux fondateurs de la revue Inversions furent condamnés en 1926. L'incrimination a été renforcée par la suite, d'abord par le décret relatif à la famille et à la natalité française du 29 juillet 1939, puis par la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, devenant un véritable pilier de la censure permettant de contrôler toutes les publications, le ministre de l'Intérieur pouvant décider qu’elles soient interdites de vente aux mineurs et de publicité. La loi a également mis en place une commission de surveillance et de contrôle, chargée d'examiner les publications, qui proposa en 1954 que « soit élaborée une loi réprimant la propagande homosexuelle », avec son président qui assumait que « toute scène d’homosexualité » justifiait «  une interdiction». Elle a ainsi touché la revue « homophile » Arcadie et son fondateur André Baudry, en interdisant la vente aux mineurs et d’affichage, et l’usage de tarifs postaux réduits destinés aux périodiques. Au nom de la protection de la jeunesse, c’est également le ministre de l’Interieur de l’époque Charles Pasqua qui tenta de faire interdire en 1987 le journal homosexuel Gai Pied, en utilisant la loi du 16 juillet 1949.

Dans une perspective de reconnaissance historique — même en l’absence d’une politique effective de réparation matérielle — il est essentiel que le travail mémoriel ne se limite pas aux seuls articles explicitement homophobes du code pénal. Pour être rigoureuse et pleinement fidèle à la réalité vécue par les personnes homosexuelles réprimées, la mémoire de cette répression doit également intégrer les dispositifs juridiques indirects qui ont été massivement mobilisés contre elles. Ces incriminations, apparemment neutres dans leur formulation, ont en réalité servi de supports légaux à une discrimination systémique, parfois plus efficace encore que les textes explicitement homophobes. Reconnaître la centralité de ces instruments dans l’arsenal répressif, c’est redonner toute sa densité historique à la mémoire des violences subies et à la répression de l’homosexualité.

Cet amendement vise donc à ajouter les différents dispositifs qui ont pu pénaliser indirectement les comportements homosexuels.