Direction de la séance |
Proposition de loi Personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 (2ème lecture) (n° 565 , 564 ) |
N° 15 5 mai 2025 |
AMENDEMENTprésenté par |
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Mmes SOUYRIS et Mélanie VOGEL, MM. BENARROCHE, Grégory BLANC et DANTEC, Mme de MARCO, MM. DOSSUS, FERNIQUE et GONTARD, Mme GUHL, MM. JADOT et MELLOULI, Mmes OLLIVIER et PONCET MONGE, M. SALMON et Mme SENÉE ARTICLE 1ER |
Alinéa 6
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Elle reconnaît également que l’État a permis d’exercer, de manière systématique et hors de tout fondement légal explicite, une politique policière de surveillance, de fichage, d’interpellation, d’humiliation et de harcèlement à l’encontre des personnes homosexuelles.
Objet
L’histoire de la répression de l’homosexualité en France ne peut être analysée uniquement à travers l’évolution de la législation pénale. Depuis des siècles, la police a joué un rôle central dans la surveillance et la répression des comportements homosexuels, souvent en dépassant les cadres légaux établis.
L’histoire de la répression de l’homosexualité en France révèle un paradoxe fondamental : ce sont moins les prescriptions juridiques que l’action autonome de la police qui ont structuré le système répressif visant les homosexuels. Loin d’être un simple bras exécutif de la justice, la police s'était imposée comme un acteur central, souvent premier, dans la définition, la traque et la répression des « individus de mœurs spéciales », agissant bien au-delà des limites fixées par le droit, et comme un acteur autonome, définissant ses propres objectifs et méthodes de régulation sociale.
Cette répression s’est exercée en dehors ou à la marge de la loi, au moyen de détournements de dispositifs légaux (lois sur le vagabondage, fermetures administratives d’établissements, interdictions du travestissement, etc.) et de pratiques policières fondées sur des doctrines propres à l’institution.
La police a fréquemment constitué le délit, en intervenant de manière à créer des situations d'outrage public à la pudeur. Les agents pouvaient se faire passer pour des homosexuels afin de provoquer des actes délictueux, qu'ils réprimaient ensuite.
Dès le début du XIXe siècle, les forces de l’ordre ont exprimé une insatisfaction persistante quant aux insuffisances de la loi pénale en matière de répression de l’homosexualité, insuffisance de la loi, qu’elle admet devoir combler. En 1825, le commissaire du quartier Popincourt déplorait une surveillance des « pédérastes » devenue inefficace faute de peines sévères. En 1887, Félix Carlier, le chef de la brigade des mœurs à la Préfecture de police de Paris entre 1850 et 1870, soulignait l’absence de moyens légaux spécifiques, contraignant la police à entraver les manifestations extérieures de l’homosexualité par des stratégies détournées. Le préfet Baylot ironisait lui même, devant le conseil municipal de Paris en 1953, à propos des opérations de police sur les populations dites «indésirables» : « Cette activité est constante mais – je ne devrais pas le dire à cette tribune – elle est presque illégale ! Ce que nous faisons, nous le faisons en marge de la loi. [...] Les mesures que nous appliquons (…) constituent en quelque sorte un dépassement de la loi ».
Ainsi, la police a investi des outils juridiques non prévus pour la répression de l’homosexualité: lois sur le vagabondage, mesures administratives d’expulsion, interdictions du travestissement... Cette autonomie s’est également manifestée à travers un usage intensif et structurant du fichage. Dès l’Ancien Régime, les homosexuels font l’objet de recensements ; au XXe siècle, un « fichier des pédérastes » est constitué et conservé par la Préfecture de Police.
Penser la répression de l’homosexualité en France implique donc de reconnaître l’autonomie d’un système policier répressif qui a fonctionné, souvent en dehors du cadre légal. Les pratiques policières ont eu des conséquences profondes sur les individus visés. La honte, la peur, les humiliations répétées et les violences physiques ont marqué les expériences de nombreux homosexuels.
Ce système a laissé des traces profondes dans les vies des personnes concernées, et toute politique de reconnaissance - même sans réparation - ne saurait faire l’économie d’une mise en lumière explicite de ces pratiques discriminatoires.