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commission des lois

Proposition de loi

Déclaration de naissance au lieu de résidence des parents

(1ère lecture)

(n° 152 )

N° COM-1 rect. ter

7 janvier 2020


 

AMENDEMENT

présenté par

Adopté

MM. CANEVET et LE NAY, Mmes de la PROVÔTÉ et VULLIEN, MM. DELAHAYE et KERN, Mme PERROT, M. CADIC et Mme BILLON


ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 2


Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Il est inséré après le second paragraphe de l’article 57 du code civil un paragraphe ainsi rédigé :

 « Le prénom peut comporter les voyelles et consonne accompagnées d’un signe diacritique connues de la langue française à savoir : à-â - ä- é - è - ê - ë - ï - î - ô -ö - ù - û - ü- ÿ-ç-ñ. Ces signes diacritiques peuvent être portés tant sur les lettres majuscules que sur les minuscules. Les ligatures «æ» (ou «Æ») et «œ» (ou «Œ»), équivalents de «ae» (ou «AE») et «oe» (ou OE) sont admises par la langue française. Tout autre signe diacritique attaché à une lettre ou ligature ne peut être retenu pour l’établissement d’un acte de l’état civil ».

Objet

Depuis plusieurs mois, de nombreux élus se mobilisent pour demander au Ministère de la Justice de compléter la circulaire du 23 juillet 2014 relative à l’état civil qui régit l’usage des signes diacritiques et des ligatures dans la langue française, en y insérant le « ñ ». Démarche restée à ce jour sans effet.

 Cet amendement vise à remédier à cette situation en intégrant directement dans le code civil la liste des signes diacritiques, en y incluant le « ñ », et les ligatures admis  par la langue française.

 

D’un point de vue constitutionnel, il ne s’agit pas de modifier une circulaire par voie législative -ce qui serait contestable-, mais bien de compléter l’article 57 du Code civil en y indiquant la liste complète des signes diacritiques et des ligatures acceptés par la langue française.

En effet, comme l’indique l’article 34 de la Constitution, « La loi fixe les règles concernant : (…) la nationalité, l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ».

Pour rappel, l'"Etat" d'une personne est constitué par l'ensemble des règles qui définissent la personnalité juridique d'une personne physique et qui l'individualisent par rapport à sa famille et aux autres personnes. L'état d'une personne comprend principalement ses prénoms et nom de famille, son lieu et sa date de naissance, sa filiation, sa capacité civile, son domicile, sa situation au regard de l'institution du mariage (célibataire, marié, divorcé, ).

Légiférer sur le prénom d’un enfant relève donc bien de la compétence législative.

 

Deux raisons justifient cette démarche.

Tout d’abord, et contrairement à ce que laisse entendre la Ministre de la Justice, le « ñ » fait historiquement partie de la langue française.

D’autre part, en octobre 2019, la Cour de Cassation a donné  raison à des parents qui souhaitaient donner à leur fils un prénom comportant un « ñ ».

 

L’argumentaire du Ministère de la Justice repose principalement sur la stricte application de deux textes : la loi n°118 du 2 thermidor An II (20 juillet 1794) qui dispose que « les actes doivent être écrits en langue française » et l’arrêté du 24 prairial an XI (13 juin 1803) qui précise que « l’emploi de la langue française est obligatoire, même dans les régions où l’usage de dresser les actes publics dans l’idiome local serait maintenu ».

La circulaire du 23 juillet 2014 ne fait que reprendre ces principes et donne une liste des voyelles (à-ä-é-è-ê-ë-ï-î-ô-ö-ù-û-ü-ÿ) et de la consonne (ç) accompagnées d’un signe diacritique, liste dans laquelle ne figure pas le « ñ », ce qui laisserait entendre que cette consonne ne fait pas partie de la langue française.

Or, comme l’a démontré Bernez Rouz -Universitaire breton reconnu, spécialiste de la langue bretonne et Président du Conseil culturel de Bretagne- dans une « Note sur l’utilisation du Tiltre ou du tilde dans la langue française et dans la langue bretonne », publiée le 28 août 2017, si le « ñ » est toujours utilisé dans les langues bretonne et espagnole, il l’a également été dans la langue française.

Ce « ñ » est ainsi présent dans de nombreux documents officiels français, bien antérieurs aux textes révolutionnaires. Il est en effet couramment employé pour marquer la nasalisation dans les textes de la royauté au XVIème siècle. Ainsi, la fameuse Ordonnance royale de 1539, dite de Villers-Cotterêts, qui impose l’utilisation de la langue française dans les actes de justice dans le domaine royal est rédigée en utilisant à plusieurs reprises des « ñ ». Or, cette Ordonnance est toujours appliquée, notamment par la Cour de cassation.

Certes, au XVIIème siècle, l’usage majoritaire de la langue française a préféré utiliser le n ou le m suivant les voyelles pour marquer la nasalisation, mais d’un point de vue historique et lexicologique, confirmé par les dictionnaires de l’Académie française, rien ne permet de dire, bien au contraire, que le « ñ » ne fait pas partie de la langue française ou ne serait que l’apanage de langues étrangères ou régionales.

Comme le souligne Bernez ROUZ, « Rien ne justifie que le tiltre/tilde soit banni des actes publics de la République française puisqu’il n’y a pas plus français que ce signe diacritique ».

 

Par ailleurs, dans un arrêt rendu le 19 novembre 2018, la Cour d’appel de Rennes est revenue sur la décision du Tribunal de Grande Instance de Quimper qui avait, en septembre 2017, refusé aux parents d’un petit garçon dont le nom  comportait un « ñ », le droit de l’enregistrer à l’Etat civil, et a donné raison aux parents.

Dans ses conclusions, la Cour, tout en admettant que le tilde ne figure pas dans la circulaire du 23 juillet 2014, a néanmoins reconnu que ce prénom avait déjà été accepté par un Procureur de la République de Rennes en 2002 et par un Officier d’Etat civil de Paris en 2009. « Cette écriture ne porte donc pas atteinte à la rédaction des actes en langue française » en a-t-elle conclu.

Et le 17 octobre 2019, la Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel, l’enfant pouvant ainsi conserver son prénom écrit avec un « ñ ». On pouvait espérer que cette décision serait amenée à faire jurisprudence.

Or, considérant que la Cour de Cassation n’avait pas motivé sa décision, mais s’était simplement contentée de déclarer le pourvoi irrecevable, la vice-procureur du Tribunal de Grande Instance de Brest a estimé que la Cour de cassation n’avait pas tranché sur le fond et a demandé aux maires relevant de son ressort de surseoir à l’enregistrement d’un prénom comportant un « ñ », et quelques semaines plus tard, une nouvelle procédure judiciaire a été entamée…  

 

Aussi, pour toutes ces raisons est-il souhaitable de mettre un terme définitif à cette situation en incluant le « ñ »  dans la liste des signes diacritiques et des ligatures dans la langue française et en donnant à cette liste une valeur législative.

 

Tel est l’objet du présent amendement.

 



NB :La présente rectification porte sur la liste des signataires.