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commission des lois

Projet de loi

Activité professionnelle indépendante

(1ère lecture)

(n° 869 , 44 (2021-2022), 59 (2021-2022))

N° COM-9 rect.

12 octobre 2021


 

AMENDEMENT

présenté par

Adopté

M. FRASSA, rapporteur


ARTICLE 1ER


Rédiger ainsi cet article :

Le chapitre VI du titre II du livre V du code de commerce est ainsi modifié :

1° L’intitulé est ainsi rédigé : « De la protection de l’entrepreneur individuel » ;

2° Au début, sont insérés un article L. 526-1 A et une section 1 A ainsi rédigés :

« Art. L. 526-1 A. –  L’entrepreneur individuel est une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes.

« Section 1 A

« Du patrimoine professionnel et du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel

« Sous-section 1

« De la consistance des patrimoines professionnel et personnel et du droit de gage général des créanciers

 « Art. L. 526-1 B. – Les biens, droits et obligations dont l’entrepreneur individuel est titulaire, exclusivement utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes, constituent son patrimoine professionnel. Les autres biens, droits et obligations de l’entrepreneur individuel constituent son patrimoine personnel.

« Sont réputées comprises dans le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel les dettes, nées à l’occasion de son exercice professionnel, dont il est redevable auprès des organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales.

« La distinction des patrimoines personnel et professionnel de l’entrepreneur individuel ne l’autorise pas à se porter caution en garantie d’une dette dont il est débiteur principal.

« Art. L. 526-1 C. – I. – Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil, l’entrepreneur individuel n’est tenu de remplir son engagement à l’égard de ses créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de son exercice professionnel que sur son seul patrimoine professionnel, sauf sûretés conventionnelles ou renonciation dans les conditions prévues à l’article L. 526-1 E du présent code. Toutefois, dans le cas où l’entrepreneur individuel fait un usage professionnel de biens ou droits compris dans son patrimoine personnel, le droit de gage des créanciers peut s’exercer sur celui-ci, dans la limite de la valeur du droit d’usage de ces biens et droits, correspondant à leur usage professionnel effectif pendant les douze mois précédant l’introduction des poursuites.

« La dérogation prévue au premier alinéa du présent I ne s’applique qu’aux créances nées à compter de l’immatriculation de l’entreprise à un registre de publicité légale, de l’inscription de l’entrepreneur individuel sur la liste ou au tableau d’un ordre professionnel ou de toute autre mesure de publicité équivalente prévue par décret en Conseil d’État.

« Seul le patrimoine personnel constitue le gage général des créanciers de l’entrepreneur individuel dont les droits ne sont pas nés à l’occasion de son exercice professionnel. Toutefois, si le patrimoine personnel est insuffisant, le droit de gage général des créanciers peut s’exercer sur le patrimoine professionnel, dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos. En outre, les sûretés réelles consenties par l’entrepreneur individuel avant le commencement de son activité ou de ses activités professionnelles indépendantes conservent leur effet quelle que soit leur assiette.

« II. – Par dérogation au I, les personnes physiques exerçant en nom propre une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé répondent sur l’ensemble de leurs biens des actes professionnels qu’ils accomplissent.

« III. – Par dérogation au même I, le droit de gage de l’administration fiscale et des organismes de sécurité sociale porte sur l’ensemble des biens de l’entrepreneur individuel en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales dans les conditions prévues aux I et II de l’article L. 273 B du livre des procédures fiscales, ou dans le recouvrement des cotisations et contributions sociales dans les conditions prévues à l’article L. 133-4-7 du code de la sécurité sociale.

« IV. – Le premier alinéa du I du présent article est sans incidence sur les droits des créanciers du conjoint de l’entrepreneur individuel marié sous un régime de communauté légale ou conventionnelle.

« V. – Les I à IV s’entendent sans préjudice des dispositions légales relatives à l’insaisissabilité de certains biens, notamment celles de la section 1 du présent chapitre.

 « Art. L. 526-1 D. – En cas de contestation, les biens immeubles de l’entrepreneur individuel sont présumés compris dans son patrimoine personnel. Ses biens meubles, à l'exception de ceux définis par décret en Conseil d’État, sont présumés compris dans son patrimoine professionnel, dans la limite du total du bilan du dernier exercice clos ou, à défaut, de 5 000 €.

« Art. L. 526-1 E. – I. – L’entrepreneur individuel peut, sur demande écrite d’un créancier, renoncer à la dérogation prévue au premier alinéa du I de l’article L. 526-1 C, pour un engagement spécifique. À peine de nullité, cette renonciation s’effectue par écrit, l’entrepreneur individuel apposant lui-même en termes non équivoques la mention qu’il entend permettre au créancier d’exercer un droit de gage général sur l’ensemble de ses biens.

 « À peine de nullité, cette renonciation ne peut intervenir avant l’échéance d’un délai de réflexion de sept jours francs à compter de la réception de la demande de renonciation, dès lors que le montant de l’engagement excède un montant fixé par décret en Conseil d’État.

« II. – L’entrepreneur individuel peut, par un seul acte, renoncer à la dérogation prévue au premier alinéa du I de l’article L. 526-1 C, à l’insaisissabilité de ses droits sur sa résidence principale et, le cas échéant, sur tout bien foncier non affecté à l’usage professionnel, prévue à l’article L. 526-1, au profit d’un ou de plusieurs créanciers. Les conditions de validité et d’opposabilité de cette renonciation sont celles prévues à l’article L. 526-2.  

« Sous-section 2

« Du transfert universel du patrimoine professionnel

« Art. L. 526-1 F. – L’entrepreneur individuel peut transférer à autrui son patrimoine professionnel à titre universel et indivisible.

« Le transfert universel du patrimoine professionnel emporte cession des droits, biens et obligations dont celui-ci est constitué. Il peut être consenti à titre onéreux ou gratuit. Lorsque le cessionnaire est une société, la cession des droits et biens peut revêtir la forme d’un apport en société.

« Sous réserve de la présente sous-section, les dispositions légales relatives à la vente, à la donation ou à l’apport en société de biens de toute nature sont applicables, selon le cas. Il en va de même des dispositions légales relatives à la cession de créances, de dettes et de contrats.

« Dans le cas où le cédant s'était obligé contractuellement à ne pas céder un élément de son patrimoine professionnel ou à ne pas transférer celui-ci à titre universel, l'inexécution de cette obligation engage sa responsabilité sur l'ensemble de ses biens, sans emporter la nullité du transfert.

« Art. L. 526-1 G. – Le projet de transfert universel du patrimoine professionnel fait l’objet d’une mesure de publicité définie par décret en Conseil d’État. Sauf lorsque le projet porte sur le transfert du patrimoine professionnel à une société dont l’entrepreneur individuel est l’associé unique ou majoritaire, il est également notifié personnellement aux titulaires de contrats conclus en considération de la personne de l’entrepreneur individuel.

« Par dérogation aux articles 1216, 1216-1 et 1327 à 1327-2 du code civil, dans le délai de deux mois suivant la date de la publicité du projet de transfert ou, le cas échéant, de sa notification, les créanciers et cocontractants de l’entrepreneur individuel peuvent former opposition. Le transfert ne peut avoir lieu avant l’expiration de ce délai.

« Le juge rejette l’opposition si le projet de transfert présente des garanties suffisantes pour les droits du créancier ou du cocontractant. Dans le cas contraire, il peut ordonner le paiement anticipé de la créance ou la résiliation du contrat, autoriser ou ordonner toute mesure conservatoire sur les biens du cessionnaire, ou décider que le cédant reste tenu à titre subsidiaire ou solidaire sur l'ensemble de ses biens, sans contribuer à la dette.

« En cas de méconnaissance des dispositions du présent article par l’entrepreneur individuel, celui-ci reste solidairement tenu sur l'ensemble de ses biens à l’égard des créanciers et cocontractants concernés, nonobstant le transfert universel de son patrimoine professionnel.

 « Art. L. 526-1 H. – Nonobstant le transfert universel de son patrimoine professionnel, l’entrepreneur individuel reste solidairement tenu sur l'ensemble de ses biens à l’égard des créanciers auxquels la dérogation prévue au premier alinéa du I de l’article L. 526-1 C n’était pas opposable à la date du transfert. L’entrepreneur individuel et le bénéficiaire du transfert déterminent amiablement leur contribution respective à la dette. À défaut, ils y contribuent chacun par moitié.

 « Art. L. 526-1 I. – Les articles L. 141-14 à L. 141-22 ne sont pas applicables au transfert universel du patrimoine professionnel d’un entrepreneur individuel. Toute clause contraire est réputée non écrite.

 « Art. L. 526-1 J. – À peine de nullité du transfert prévu à l’article L. 526-1 F :

« 1° Celui-ci doit porter sur l’intégralité du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, qui ne peut être scindé ;

« 2° En cas d’apport à une société nouvellement créée, l’actif disponible du patrimoine professionnel doit permettre de faire face au passif exigible sur ce même patrimoine ;

« 3° Ni l’auteur ni le bénéficiaire du transfert ne doivent avoir été frappés de faillite personnelle ou d’une peine d’interdiction prévue à l’article L. 653-8 du présent code ou à l’article 131-27 du code pénal, par une décision devenue définitive.

« Sous-section 3.

« De la cessation d’activité et de la succession de l’entrepreneur individuel

« Art. L. 526-1 K – Dans le cas où un entrepreneur individuel cesse toute activité professionnelle indépendante, y compris pour cause de décès, le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel sont réunis.

« Art. L. 526-1 L. – En cas de décès d’un entrepreneur individuel en activité, par dérogation au second alinéa de l’article 772 du code civil, l’héritier sommé d’exercer son droit d’option et qui n’a pas pris parti à l’expiration du délai imparti peut, à la demande de tout intéressé, être condamné en qualité d’acceptant pur et simple dans ses relations avec ce dernier. Il conserve la faculté de renoncer à la succession ou de ne l’accepter qu’à concurrence de l’actif net tant que cette condamnation n’est pas passée en force de chose jugée, s'il n'a pas fait par ailleurs acte d'héritier et s'il n'est pas tenu pour héritier acceptant pur et simple en application de l'article 778 du même code.

« Art. L. 526-1 M. – Un décret en Conseil d’État détermine, en tant que de besoin, les modalités d’application de la présente section. »

Objet

Afin de mieux protéger les entrepreneurs individuels contre les aléas de la vie économique, le projet de loi n’hésite pas à s’attaquer à l’un des fondements du droit de la responsabilité civile, à savoir le principe selon lequel tout débiteur répond de ses dettes sur l’ensemble de ses biens présents et à venir, conformément à l’adage « Qui s’oblige, oblige le sien ».

Votre rapporteur souscrit aux objectifs de cette réforme indéniablement audacieuse.

Il n’en estime pas moins que celle-ci présente des fragilités juridiques dont les conséquences pourraient être gravement préjudiciables pour les entrepreneurs individuels eux-mêmes comme pour les tiers. L’objet du présent amendement est de les corriger.

1. L’articulation du nouveau statut de l’entrepreneur individuel avec les règles d’insaisissabilité de la résidence principale et d’autres biens immobiliers

En premier lieu, il convient de clarifier l’articulation du nouveau statut de l’entrepreneur individuel avec les règles relatives à l’insaisissabilité de certains biens immobiliers appartenant aux travailleurs indépendants.

Dans un souci d’intelligibilité de la loi, mais aussi pour simplifier les démarches des entrepreneurs individuels, il est proposé :

- de placer la nouvelle section relative au statut général de l’entrepreneur individuel en tête du chapitre du code de commerce relatif à la protection de l’entrepreneur individuel et du conjoint (section 1A), et non pas à la fin ;

- de préciser que les diverses exceptions au principe de la séparation des patrimoines professionnel et personnel au profit de certains créanciers doivent s’entendre sans préjudice des règles d’insaisissabilité de certains biens immobiliers prévus à la section 1 ;

- d’autoriser l’entrepreneur individuel à renoncer par un seul acte à la séparation des patrimoines et à l’insaisissabilité de sa résidence principale ou d’autres biens immobiliers, dans les conditions de forme prévues pour la renonciation à cette insaisissabilité.

2. La consistance des patrimoines : règles de fond et de preuve

·       Choix lexicaux

L’inclusion des sûretés parmi les éléments du patrimoine professionnel (qu’il s’agisse de sûretés personnes ou réelles, qu’elles garantissent les dettes de l’entrepreneur ou ses créances) est source de confusion. Elle semble n’avoir d’autre utilité que d’indiquer, ou plutôt de suggérer, que les sûretés suivent de plein droit les créances et les dettes en cas de transmission universelle du patrimoine ; or des distinctions sont nécessaires en la matière.

Il est donc proposé de définir le patrimoine professionnel comme l’ensemble des « biens, droits et obligations » de l’entrepreneur individuel.

·       Le critère d’utilité et la preuve de l’utilité

Le critère choisi pour assurer la démarcation entre les deux patrimoines de l’entrepreneur individuel, à savoir l’utilité des biens, droits et obligations à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes, laisse une importante marge d’appréciation et risque donc d’engendrer de nombreux contentieux.

La référence au bilan comptable de l’entreprise ne suffit pas. En effet, un bilan comptable ne fait qu’évaluer des masses de biens et ne permet pas d’identifier individuellement ces biens. À cela s’ajoute le fait que certaines entreprises ne sont pas tenues à l’établissement annuel d’un bilan. Enfin, il faut tenir compte du principe de libre affectation comptable dont bénéficient les entrepreneurs individuels soumis à un régime réel d’imposition.

À défaut de préciser dans la loi le critère de démarcation entre les deux patrimoines, il paraît nécessaire d’instituer des règles de preuve pour apporter de la sécurité à l’entrepreneur individuel et à ses créanciers.

Il est donc proposé que les biens immeubles de l’entrepreneur individuel soient présumés appartenir à son patrimoine personnel (sauf preuve contraire), ses biens meubles à son patrimoine professionnel, dans la limite du total du bilan ou, à défaut de bilan, de 5 000 euros. Cette présomption ne s’appliquerait pas à aux biens meubles, définis par décret en Conseil d’État, qui ne répondent par nature qu’à un besoin personnel (un livret A, les meubles meublants qui garnissent la résidence principale, etc.).

·       Les biens à usage mixte

Le projet de loi est silencieux sur le sort des biens utilisés à la fois à des fins professionnelles ou personnelles, de sorte que l’on ne sait auquel des deux patrimoines ils appartiendraient.

Afin d’apporter la meilleure protection à l’entrepreneur individuel tout en ménageant les droits des tiers, il est proposé de limiter la définition du patrimoine professionnel aux seuls biens, droits et obligations « exclusivement utiles » à l’exercice professionnel.  Les biens à usage mixte (qu’il s’agisse de droits réels ou personnels) seraient donc compris dans le patrimoine personnel. En contrepartie, les créanciers professionnels verraient leur droit de gage étendu au patrimoine personnel à hauteur de la valeur d’un droit d’usage de ces biens, correspondant à leur utilisation effective dans un cadre professionnel pour une durée d’une année.

·       Les biens communs

Lorsque l’entrepreneur individuel est marié sous le régime de la communauté légale ou conventionnelle, la question se pose aussi du sort des biens communs utilisés par l’entrepreneur dans le cadre de son activité professionnelle.

Par souci de simplicité, mais aussi pour garantir le droit de propriété du conjoint et préserver son propre crédit, l’amendement prévoit que l’inclusion d’un bien commun dans le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel (qui résulterait de plein droit de son usage à des fins professionnelles) est sans incidence sur les droits des créanciers de son conjoint. Ces derniers pourraient donc continuer à appréhender tous les biens communs.

3. Les exceptions à la séparation des patrimoines

·       Subordonner la limitation du droit de gage des créanciers la publicité de l’existence de l’entreprise

Pour la sécurité des transactions, il importe que chacun soit en mesure de savoir, au moment où il contracte avec autrui, si son cocontractant sera ou non tenu de répondre de ses engagements sur l’ensemble de ses biens. Aussi est-il proposé de subordonner la limitation du droit de gage des créanciers professionnels de l’entrepreneur individuel à la condition que son activité ou ses activités professionnelles indépendantes aient fait l’objet, à la date de naissance de la créance, d’une mesure de publicité adéquate (immatriculation, inscription au tableau d’un ordre professionnel, etc.).

·       La renonciation au bénéfice de la séparation des patrimoines en faveur de créanciers professionnels

Le projet de loi prévoit que l’entrepreneur individuel puisse renoncer au bénéfice de la séparation des patrimoines, en faveur d’un créancier et à l’occasion d’un engagement déterminé. Le formalisme requis pour la validité de l’acte de renonciation, notamment le délai de réflexion de sept jours francs, paraît assez lourd. Il importe certes de s’assurer du consentement éclairé de l’entrepreneur, en veillant toutefois à ne pas entraver outre mesure la marche de ses affaires.

À la recherche d’un juste équilibre, votre rapporteur propose :

- qu’à peine de nullité, la renonciation ne puisse s’effectuer que par écrit et que l’entrepreneur individuel doive apposer lui-même sur l’acte la mention qu’il entend permettre à son créancier d’exercer son droit de gage général sur l’ensemble de ses biens ;

- que le délai de réflexion puisse ne pas être respecté quand l’engagement pour lequel la renonciation est consentie n’excéderait pas un seuil fixé par décret.

Le renvoi à un décret pour fixer les autres formes requises à peine de nullité serait, en revanche, supprimé.

·       Dettes personnelles et patrimoine professionnel

Une nette dissymétrie oppose, dans le projet de loi, les créanciers professionnels et personnels. Les premiers pourraient, sous certaines conditions, appréhender tout ou partie des biens compris dans le patrimoine personnel. Les seconds ne pourraient exercer leur droit de gage général sur le patrimoine professionnel qu’à titre subsidiaire et dans la limite du montant du bénéfice du dernier exercice clos. Bien plus, la séparation des patrimoines leur serait opposable quand bien même leur créance serait née avant le commencement de l’activité professionnelle de l’entrepreneur.

Cette dissymétrie peut se justifier. En revanche, il convient de préciser que les sûretés constituées sur les biens professionnels au profit de créanciers personnels, antérieurement au commencement de l’activité, conservent leur plein effet.

·       Le droit de gage général des créanciers publics

Le projet de loi prévoit de rendre la séparation des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel inopposable à l’administration fiscale pour le recouvrement de l’impôt sur le revenu, des prélèvements sociaux ainsi que de la taxe foncière afférente aux biens immeubles utiles à l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel. Le Gouvernement justifie cette disposition par le fait qu’il s’agit de dettes « dues à titre personnel mais dont l’assiette comprend les résultats de l’activité professionnelle (...) ou est constituée d’un bien affecté à l’activité professionnelle ».

Aux yeux de votre rapporteur, cette exception n’a pas lieu d’être, sa justification laissant d’ailleurs dubitatif. Il est donc proposé de la supprimer, ainsi que les dispositions similaires prévues au bénéfice des organismes de sécurité sociale.

·       La conciliation du nouveau statut de l’entrepreneur individuel avec le principe de responsabilité illimitée des professionnels libéraux pour leurs actes professionnels

Même lorsqu’ils exercent en société, les membres des professions libérales réglementées restent tenus personnellement et indéfiniment des préjudices causés par leurs actes professionnels. Cette règle, indispensable pour préserver la confiance entre les professionnels libéraux et leurs clients ou patients, justifie qu’ils soient soumis à des obligations particulières d’assurance. Il est donc proposé de ne pas la remettre en cause par le biais du nouveau statut de l’entrepreneur individuel.

4. Le transfert universel du patrimoine professionnel

Le régime de la transmission universelle du patrimoine professionnel, tel que prévu par le projet de loi et largement inspiré des règles applicables en cas de fusion de sociétés ou de réunion des parts sociales en une seule main, est très insatisfaisant.

En premier lieu, le modèle de la dissolution-confusion est inadapté à une situation où le titulaire précédent du patrimoine ne disparaît pas. Il est, par exemple, inconcevable que le transfert puisse être opposable aux débiteurs de l’entrepreneur sans leur avoir été notifié.

En deuxième lieu, les règles prévues par le projet de loi pour assurer la protection des intérêts des créanciers sont très insuffisantes et largement impraticables.

En troisième lieu, alors que la transmission universelle du patrimoine (TUP) d’une société est une modalité sui generis de transmission des biens, l’on ne peut écarter totalement, ici, les règles applicables à la vente, à la donation ou à l’apport en société, selon le cas. Le Gouvernement en est conscient, puisque son texte se réfère à quelques-unes de ces règles, tantôt pour les déclarer applicables, tantôt pour les écarter. Mais ces quelques indications laissent dans l’ombre des pans entiers du régime applicable à la transmission universelle du patrimoine professionnel selon ses différentes modalités.

Il est donc proposé de refondre entièrement le régime de cette transmission, qui serait dénommée « transfert universel » pour être mieux différenciée de la TUP d’une société.

Le transfert universel du patrimoine professionnel serait défini comme la cession, à titre universel et indivisible, de l’ensemble des biens, droits et obligations compris dans ce patrimoine. Il pourrait être consenti à titre onéreux ou gratuit. La cession des biens et droits à une société pourrait revêtir la forme d’un apport en société.

Sauf disposition contraire, les règles relatives à la vente, à la donation ou à l’apport en société de biens de toute nature seraient applicables, selon le cas, de même que les règles relatives à la cession de créances, de dettes et de contrats. Dès lors, les dispositions relatives aux droits de préemption des entités publiques et au recours au commissaire aux apports, prévues par le projet de loi, peuvent être supprimées comme surabondantes.

En ce qui concerne le transfert des dettes et des contrats, il convient de concilier l’objectif de simplicité des formalités liées au transfert universel du patrimoine professionnel avec le respect des conventions légalement conclues, qui implique de protéger adéquatement les intérêts des créanciers et cocontractants.

Préalablement au transfert, celui-ci devrait (selon l’amendement) faire l’objet d’une mesure de publicité. En outre, le projet devrait être notifié personnellement aux créanciers dont la créance est née d’un contrat conclu intuitu personae, sauf dans le cas où le bénéficiaire du transfert serait une société dont l’entrepreneur individuel serait l’associé unique ou majoritaire.

Tout créancier pourrait former opposition dans un délai fixé par voie réglementaire, le transfert ne pouvant avoir lieu avant l’expiration de ce délai. Le juge pourrait admettre ou rejeter l’opposition. En cas d’admission, il pourrait soit ordonner le paiement anticipé de la créance ou (s'il s'agit d'un contrat à exécution successive) la résiliation du contrat, soit autoriser ou ordonner des mesures conservatoires sur les biens du bénéficiaire du transfert, soit décider que le précédent titulaire du patrimoine professionnel reste tenu à titre subsidiaire ou solidaire, sans devoir in fine contribuer à la dette (à l’instar d’une caution).

Le non-respect de ces formalités serait sanctionné, non par la nullité du transfert ou par une « inopposabilité » dénuée de portée, mais par le fait que le précédent titulaire du patrimoine resterait tenu à titre solidaire.

Suivant la même logique, dans le cas où l’entrepreneur aurait enfreint une clause contractuelle lui interdisant de transférer son patrimoine à titre universel ou d’en céder un élément (par exemple un contrat), il engagerait sa responsabilité sur l’ensemble de ses biens, mais le transfert ne serait pas nul.

Seraient écartées les dispositions relatives à la vente du fonds de commerce qui concernent l’information et le droit d’opposition des créanciers, mais non les autres, qui conservent leur utilité.

Enfin, il convient de régler le cas des créanciers professionnels auxquels la séparation des patrimoines ne serait pas opposable à la dette du transfert (bénéficiaires d’une renonciation, etc.) : ils seraient cédés dans le cadre du transfert universel du patrimoine professionnel, mais le précédent titulaire de celui-ci resterait tenu solidairement au paiement de leur créance, sur l’ensemble de ses biens. La contribution respective à la dette de l’auteur et du bénéficiaire du transfert serait fixée amiablement, à défaut de quoi ils contribueraient chacun par moitié.

5. Les règles applicables en cas de cessation d’activité

Le projet de loi est silencieux sur les règles applicables dans le cas où l’entrepreneur individuel cesserait, de son vivant, d’exercer toute activité professionnelle indépendante. Il faut donc supposer que, celui-ci perdant la qualité d’entrepreneur individuel, ses patrimoines professionnel et personnel seraient réunis, et que les créanciers antérieurs recouvreraient un droit de gage général sur l’ensemble de ses biens.

On peut admettre cette solution, qui diffère de celle retenue pour l’EIRL. Dans un souci d’intelligibilité et d’accessibilité du droit, il est proposé de l’inscrire expressément dans le texte.

De même, le projet de loi est muet sur les règles applicables en cas de décès de l’entrepreneur individuel en activité. Il en résulterait, selon l’étude d’impact, que les deux patrimoines seraient réunis pour former le patrimoine successoral.

Cette solution a l’élégance de la simplicité. Elle n’en fait pas moins peser un risque important sur les héritiers et autres successeurs à titre universel, qui se verraient transmettre l’intégralité des dettes au jour du décès sans que le droit de gage des créanciers soit limité.

Afin de renforcer leur protection, il est proposé d’adapter le droit de l’option successorale au cas de succession à la personne d’un entrepreneur individuel. Par dérogation au droit commun, l’héritier sommé d’opter et resté silencieux ne serait pas réputé acceptant pur et simple, mais pourrait seulement être condamné en tant qu’acceptant pur et simple dans ses relations avec le demandeur. Il conserverait en outre la faculté de renoncer ou d’accepter à concurrence de l’actif net jusqu’à ce que la décision de justice soit devenue définitive.