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commission des lois

Proposition de loi

Protection des lanceurs d'alerte

(1ère lecture)

(n° 174 )

N° COM-13

13 décembre 2021


 

AMENDEMENT

présenté par

Satisfait ou sans objet

Mme Mélanie VOGEL, MM. BENARROCHE et DANTEC, Mme de MARCO, MM. DOSSUS, FERNIQUE, GONTARD, LABBÉ et PARIGI, Mme PONCET MONGE, M. SALMON et Mme TAILLÉ-POLIAN


ARTICLE 1ER


A l’alinéa 2, supprimer les termes « , le secret des délibérations judiciaires, le secret de l’enquête et de l’instruction »

Objet

Le groupe Écologiste, Solidarité et territoires propose de supprimer le secret des délibérations judiciaires, le secret de l’enquête et de l’instruction du régime d’exception à l’octroi du statut de lanceur d’alerte.

En l'état actuel du droit, l'article 6 de la loi dite "Sapin II" exclut du régime de protection des lanceurs d'alerte les faits “ couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client”. L'article 1er de la présente proposition de loi ajoute à ces secrets le secret des délibérations judiciaires, le secret de l’enquête et de l’instruction.

Le même alinéa prévoit toutefois que cette exclusion est réalisée «  à l’exception des situations faisant l’objet de dérogations prévues par la loi ». Or, si des dispositifs d'alerte spéciaux existent en matière de secret défense, de secret médical et de secret de l'avocat, aucun dispositif n'existe lorsque sont concernés le secret des délibérations judiciaires, le secret de l'enquête et le secret de l'instruction.

Or d'une part, une telle exclusion est contraire à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, qui exige que toute restriction à la liberté d'expression doit être « prévue par la loi ». D'autre part, elle exclut de manière absolue et indiscriminée ces informations alors que le secret de l'enquête et de l'instruction ne présentent, en droit pénal, aucun caractère absolu. Il appartient aux juridictions, au cas par cas, de trouver un équilibre entre liberté d'expression et secret.

Il en va de même lorsque ces révélations ne sont pas le fait de journalistes, mais de lanceurs d'alerte. Dans son arrêt Guja contre Moldavie, la Cour a énoncé que :

« Dans un système démocratique, les actions ou omissions du gouvernement doivent se trouver placées sous le contrôle attentif non seulement des pouvoirs législatif et judiciaire, mais aussi des médias et de l’opinion publique. L’intérêt de l’opinion publique pour une certaine information peut parfois être si grand qu’il peut l’emporter même sur une obligation de confidentialité imposée par la loi. » (Cour Européenne des Droits de l'Homme, Grand Chambre, 12 février 2008, Guja contre Moldavie, Req. 14277/04 §74).

Aussi, le rajout de ces secrets, en l'absence de dispositif légal existant par ailleurs, place les lanceurs d'alerte dans une situation confuse : s'ils peuvent en vertu de l'article 10 échapper à des poursuites pénales, il ne peuvent faute d'être inclus dans les protections accordées aux lanceurs d'alerte bénéficier d'une protection contre les mesures de rétorsion (licenciement, mise à pied) intentées par leur employeur. Ainsi, un magistrat instructeur ou un OPJ lançant l'alerte en interne ou auprès d'une autorité dédiée telle que l'Inspection Générale des Services Judiciaires (dysfonctionnement grave d'une instruction), ne pourrait obtenir protection, et ce alors même qu'il ne violerait aucune règle de droit pénal puisque l'on se situerait dans une hypothèse de secret partagé (pas de divulgation d'un secret hors du circuit judiciaire). Il serait dans ce cas plus avantageux pour un lanceur d'alerte de faire fuiter auprès d'un journaliste des informations, que de lancer l'alerte en interne, et ce y compris en l'absence de risque de dommage grave pour l'intérêt général.

Il est donc proposé de supprimer cet ajout.



NB :cet amendement a été rédigé en concertation avec La Maison des Lanceurs d?Alerte