PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la résolution européenne n° 166 (2010-2011) du Sénat du 11 juillet 2011 sur la proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés,

Vu la directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur,

Vu les propositions de directives du Conseil COM (2016) 683 final concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (Accis) et COM (2016) 685 final concernant une assiette commune pour l'impôt sur les sociétés du 25 octobre 2016,

Sur l'ensemble du projet d'assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés

Approuve la volonté de la Commission européenne de relancer le projet d'assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés, afin de lutter contre l'évasion fiscale et l'optimisation fiscale, de freiner la concurrence fiscale entre les États membres et de renforcer le marché intérieur ;

Sur l'approche graduée

Considère que le choix fait par la Commission européenne d'une approche graduée à travers la présentation de deux propositions distinctes, s'il permet d'éviter les blocages dont a pâti la proposition de directive de 2011, reporte à la date de la mise en oeuvre de la directive relative à la consolidation le plein effet de ces propositions en matière de simplification et de lutte contre l'évasion fiscale des entreprises ;

Sur la concurrence fiscale

Constate que l'adoption des propositions de directives de la Commission européenne aurait pour conséquence de rendre plus transparente et lisible la concurrence fiscale au sein de l'Union européenne en la concentrant sur les taux d'impôts sur les sociétés d'une part et sur les autres impôts et charges sociales payés par les entreprises d'autre part ;

Souligne, à cet égard, que la France, qui présente un taux d'impôt sur les sociétés élevé, des impôts de production nombreux et des charges sociales importantes, pourrait perdre en attractivité si elle n'accompagne pas cette adoption au niveau européen d'une réforme fiscale et sociale d'ampleur au niveau national ;

Sur le champ d'application

Considérant que les propositions de directive de la Commission européenne s'appliqueraient, de façon obligatoire, à toutes les entreprises de l'Union européenne dont le chiffre d'affaires annuel consolidé est supérieur à 750 millions d'euros et, de façon optionnelle, à toutes les autres entreprises ;

Souligne que le champ d'application des propositions de directive risque de créer un effet de seuil et conduira à des arbitrages pour les entreprises au détriment des recettes fiscales nationales ;

Sur le projet d'assiette commune

Sur la souveraineté fiscale

Estime que la définition d'une assiette commune d'impôt sur les sociétés au niveau européen ne doit pas avoir pour conséquence de priver les Etats membres de leur souveraineté fiscale, en particulier pour stimuler la croissance et orienter les comportements des entreprises ;

Souhaite, à cet égard, que la directive comporte, à côté d'une base commune harmonisée, davantage d'options à la discrétion des Etats membres ;

Souhaite, en outre, que la directive affirme la possibilité pour les Etats membres de mettre en place ou de maintenir des instruments fiscaux, en particulier des réductions ou des crédits d'impôts, en faveur d'une politique sectorielle ;

Sur la cohérence entre règles fiscales et règles comptables

Rappelle que, dans un souci de simplification de la vie des entreprises, les règles fiscales applicables à une assiette commune d'impôt sur les sociétés doivent être cohérentes avec les règles comptables harmonisées au niveau européen ;

Sur le financement des entreprises

Considérant que la proposition de directive se donne pour objectif de renverser le « biais en faveur de la dette » par une limitation de la déductibilité des intérêts d'emprunt en fonction de l'excédent brut d'exploitation d'une part et par un système d'intérêts notionnels calculés sur l'évolution des capitaux propres d'autre part ;

Estime que la puissance publique ne doit intervenir sur les choix de financement des entreprises que pour prévenir un endettement ou une sous-capitalisation excessifs qui mettraient en cause la pérennité de l'entreprise ;

S'inquiète, à cet égard, des modalités envisagées en matière de limitation de la déductibilité des intérêts d'emprunt, en particulier en ce qu'elle s'appliquerait à chaque filiale nationale en fonction de son résultat et non du niveau moyen d'endettement du groupe auquel elle appartient ;

Estime que la proposition d'une déduction pour la croissance et l'investissement (intérêts notionnels) rémunérant l'accroissement des capitaux propres et pénalisant leur réduction doit faire l'objet d'une évaluation précise de son impact sur la rémunération du capital ;

Sur le soutien à la recherche et développement

Considérant que la proposition de directive de la Commission européenne comporte une super-déduction pour les dépenses de recherche, majorée pour les jeunes PME innovantes ;

Estime que le principe de subsidiarité s'oppose à ce qu'une directive européenne dont l'objectif est de lutter contre l'évasion fiscale et de renforcer le marché intérieur investisse le champ, strictement national, du soutien fiscal à la politique sectorielle de la recherche et développement ;

Sur les mécanismes anti-abus

Salue l'introduction de plusieurs mesures anti-abus, tout en regrettant, d'une part, que ces mesures ne soient pas toujours rédigées dans les mêmes termes que les mesures proposées par l'OCDE ou que celles adoptées dans la récente directive sur la lutte contre l'évasion fiscale, qui poursuit pourtant les mêmes objectifs, et d'autre part, que le problème posé par la manipulation des prix de transfert reste entier tant que l'assiette ne sera pas consolidée ;

Sur le projet de consolidation

Considérant que le projet de consolidation prévoit une formule de répartition du produit de l'impôt sur les sociétés répartie sur la base de trois facteurs affectés d'une même pondération : (1) les immobilisations corporelles détenues par l'entreprise dans l'État membre ; (2) la main d'oeuvre de l'entreprise dans l'État membre ; (3) le chiffre d'affaires résultant des ventes de l'entreprise dans l'État membre, en application du principe de destination ;

Estime que cette formule de répartition, inchangée par rapport à la proposition de 2011, ne suffit pas à assurer que les bénéfices soient imposés là où ils sont effectivement créés et à résorber les distorsions entre les États membres ;

S'inquiète en particulier de l'exclusion de la formule de répartition des immobilisations incorporelles (marques, brevets, algorithmes etc.), qui ont une importance particulière pour les entreprises françaises ;

S'inquiète également de l'inadéquation de cette formule de répartition aux entreprises du secteur du numérique, qui se caractérisent : (1) par l'importance de leurs actifs incorporels, aisément localisables dans un seul État membre, voire dans un État tiers ; (2) par la moindre importance et la très grande mobilité de leur main d'oeuvre ; (3) par un chiffre d'affaires par pays que les administrations fiscales ont de grandes difficultés à établir ;

Demande en conséquence que ces exigences soient dûment prises en compte dans la directive qui sera adoptée au terme du trilogue institutionnel ;

Demande au Gouvernement de défendre et de faire valoir ces orientations auprès des institutions européennes.