Mercredi 9 mars 2011

- Présidence de M. François Patriat, président -

Audition de M. Raphaël Bartolt, directeur de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS)

M. François Patriat, président. - En préambule à cette audition, je rappelle que notre mission d'information vise à évaluer l'impact de la RGPP sur les collectivités territoriales et le service rendu à l'usager. Son périmètre est large puisqu'il renvoie aussi bien à l'éducation nationale qu'à la défense, à la justice, à l'intérieur... L'objectif poursuivi par cette politique est clairement chiffré : il s'agit de réaliser 7 milliards d'économies selon le Gouvernement. Mais comment cette politique se décline-t-elle au niveau local ? A-t-elle fait l'objet d'une concertation ? Quels sont ses résultats à ce jour ? Autant de questions auxquelles il nous appartient de répondre.

M. Raphaël Bartolt. - L'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) a été créée en février 2007, à la suite d'un rapport d'audit de réforme de l'Etat. Son objectif est de prévoir et d'accompagner l'entrée en vigueur d'une nouvelle génération de titres d'identité, dits « titres biométriques ». Ces titres répondent en effet à une exigence de sécurité accrue depuis les événements du 11 septembre 2001 et correspondent à la voie tracée par le règlement européen du 13 décembre 2004. Au niveau européen, il convient de s'assurer de la cohérence des normes et des processus mis en oeuvre, dans un souci d'interopérabilité. Ainsi, en France, le programme INES a-t-il été mis en place dès 2005 dans la perspective notamment du passage au passeport biométrique et à la carte nationale d'identité électronique.

L'entrée en application du nouveau passeport a induit une évolution des relations entre l'Etat et les mairies dans le domaine de la délivrance des titres. L'ANTS a également mené la mise en place du titre de séjour européen et travaille aujourd'hui à la carte nationale d'identité électronique, qui devrait être instaurée par un texte législatif probablement prochainement inscrit à l'ordre du jour du Sénat. Ce projet de carte nationale d'identité électronique constitue véritablement le « vaisseau amiral » de la politique conduite depuis plusieurs années en matière de titres d'identité. Cette nouvelle carte comprendra deux puces : l'une comportera les informations répondant aux exigences régaliennes de l'Etat, l'autre permettra d'avoir recours à la signature électronique lors de procédures dématérialisées sur Internet. Ce nouveau moyen d'authentification des personnes permettra de développer très fortement la e-administration, avec un très bon niveau de sécurité. Elle facilitera également la promotion du e-business, avec un gain économique chiffré par un rapport de l'AFNOR en janvier 2009 à 3,6 milliards d'euros.

Il faut d'ailleurs souligner que, dans ce domaine, la France est en retard par rapport à certains pays voisins, tels que la Belgique ou l'Allemagne. Ces nouvelles modalités d'identification et d'authentification des personnes donnent d'ailleurs lieu à une vraie bataille industrielle entre de grands opérateurs privés. A cet égard, la France a la chance de pouvoir compter sur quelques-uns des leaders mondiaux de la carte à puce : Gemalto, Safran, Oberthur, Thalès.

Je rappelle également que les plateaux techniques de l'ANTS sont situés à Charleville-Mézières.

Deux nouveaux projets sont en cours d'étude au sein de l'agence : la dématérialisation des titres d'état civil dans les mairies et le développement de cartes permettant l'authentification des agents dans les ministères.

M. François Patriat, président. - En quoi cette réforme a-t-elle impacté les collectivités territoriales ?

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Votre présentation démontre clairement que les projets menés dans le cadre de l'ANTS répondent à une démarche initiée au niveau européen, voire mondial. Mais la RGPP est-elle déterminée par la conduite de cette politique européenne ?

Concernant le passeport biométrique, les communes accueillant des stations d'enregistrement ont-elles été choisies sur la base du volontariat ? De quelle nature a été la concertation avec les mairies ? Les photographes ont-ils eux aussi été consultés ? Enfin, le niveau d'indemnisation des communes permet-il de couvrir les charges supplémentaires induites par la délivrance du passeport biométrique en mairie ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous faire le point sur la situation actuelle du nouveau système d'immatriculation des véhicules (SIV), dont les débuts ont été plutôt laborieux ?

Pour finir, en matière de délivrance des titres, le service est-il désormais mieux rendu ? Quels sont les résultats obtenus, notamment s'agissant des délais ?

M. Raphaël Bartolt. - La RGPP est à l'origine d'une réforme organisationnelle profonde. Par exemple, dans le domaine du passeport, 2 091 communes délivrent désormais ce document, 3 600 stations ont été installées et 212 consulats à l'étranger sont aussi concernés. Au total, le principe d'une chaîne télématique s'est substitué à celui du dossier papier.

Du point de vue de l'usager, on a procédé à une véritable déterritorialisation de la délivrance des titres. Ainsi, par exemple, la carte grise peut-elle être désormais demandée aussi bien en préfecture que chez les garagistes agréés par le trésorier payeur général. Beaucoup d'échanges papier ont disparu. Dans le domaine des véhicules neufs, 7 % seulement des achats donnent lieu à une démarche en préfecture. Pour les véhicules d'occasion, cette proportion se monte toutefois à 70 %.

En janvier 2011, le délai de délivrance de la carte grise était de 2,5 jours, le titre étant remis par La Poste après vérification d'identité. Pour le passeport, ce délai était de sept jours, alors qu'une étude de la revue « Que choisir ? » l'avait estimé entre deux et huit semaines en 2009.

Les projets conduits par l'ANTS visent à accroître le « confort » des Français et à permettre la réalisation du plus grand nombre possible de procédures depuis le domicile de l'usager. Nous testons par exemple actuellement, notamment à Lyon et à Marseille, un dossier CERFA « dynamique » pouvant être pré-rempli au domicile, l'usager ne se déplaçant en mairie que pour procéder à la prise d'empreintes. De même, 20 % des timbres fiscaux nécessaires à la délivrance d'un titre de séjour sont désormais payés par voie dématérialisée.

Les efforts de l'ANTS ont visé à limiter les coûts de maintenance pour ces divers projets et à traiter les appels (des usagers, des mairies, des préfectures...) en mettant en place un « système qualité » exigeant. Nous travaillons également à l'uniformisation des cartes de reconnaissance pour les agents des collectivités territoriales, notamment dans les mairies. Un récent rapport du député Etienne Blanc sur la dématérialisation de la chaîne pénale a fortement recommandé la mise en oeuvre de ces processus.

Concernant la concertation avec les mairies, celle-ci a été demandée par la circulaire du 7 mai 2008. De plus, cinq séances ont eu lieu au ministère de l'intérieur. La dernière s'est tenue le 3 mai 2006, en présence notamment de l'Association des maires de France (AMF).

Une dotation annuelle de compensation a été accordée aux mairies accueillant des stations d'enregistrement pour couvrir leurs frais. Initialement fixée à 3 000 euros, cette dotation a été augmentée grâce à un amendement de votre collègue Michèle André. Elle se monte actuellement à 5 030 euros. Par ailleurs, un forfait visant à couvrir les frais d'installation des stations a été versé aux communes pour un montant de 4 000 euros. Il a été procédé à une évaluation de ce dispositif d'indemnisation : établi en concertation avec l'AMF, le rapport O'Mahony a présenté les conclusions de cette étude en février 2010. Il conviendra certainement de revenir sur le montant d'indemnisation des communes, à l'occasion du passage à la carte nationale d'identité électronique.

La circulaire du 7 mai 2008 définit des critères de choix clairs des communes, avec le souci d'une concertation la plus étroite possible. Au début, certaines communes ne voulaient pas entrer dans le système. Mais, à l'exception d'Angoulême, elles ont finalement toutes donné leur accord.

Avec la carte nationale d'identité électronique, on va encore un peu plus mutualiser les tâches.

En outre, la fraude au passeport a diminué des deux-tiers avec le passage au passeport biométrique. Le risque se porte désormais en amont de la procédure de délivrance. C'est pourquoi nous travaillons sur la dématérialisation du certificat de naissance, en concertation avec l'AMF et avec l'avis favorable rendu par la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) en septembre 2009. La phase d'expérimentation va prochainement démarrer et le maire n'aura plus qu'à vérifier le document envoyé.

Les photographes professionnels ont fait l'objet d'une démarche de concertation, à laquelle ils ont souhaité mettre un terme. La loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite LOPPSI 2, prévoit que tous les titres d'identité devront avoir une photo réalisée par un professionnel, sauf si la mairie a déjà installé un dispositif de prise de photographies. Dans ce dernier cas, un décret fixera le délai à l'issue duquel ce dispositif devra être retiré. Par ailleurs, un travail avait été initié au niveau de l'ANTS pour permettre la mise en ligne des photographies, dans un souci de simplification et d'efficacité.

Les débuts du SIV ont certes été laborieux, mais essentiellement dans les préfectures et pas chez les garagistes (sauf dans le cas d'un « concentrateur » particulier). Ce système est entré en vigueur à partir du 15 avril 2009. En préfecture, les difficultés ont résulté de coupures de réseau. A partir de décembre 2009/janvier 2010, les problèmes ont été largement résolus, grâce notamment à un travail de fond sur l'ergonomie du formulaire à remplir par l'agent. Le système a évolué et sa dernière version en date sortira d'ailleurs le 20 mars 2011. Au total, je rappelle qu'il a été procédé, avec le nouveau SIV, à 17,2 millions d'immatriculations (soit 42 % du parc de véhicules) et qu'il a été délivré 4,5 millions de passeports (y compris les 250 000 passeports réalisés à la demande des consulats). Les professionnels de l'automobile sont très satisfaits du SIV.

M. François Patriat, président. - Non, pas ceux que je rencontre ! En plus, c'est un service payant et les préfectures ont des problèmes pour délivrer les cartes grises du fait d'une insuffisance des personnels.

M. Jean-Luc Fichet. - En termes de confidentialité et de traçabilité, quelles sont les limites d'usage des cartes à puce ?

Le service de délivrance des cartes grises est gratuit en préfecture, mais les délais y sont plus longs et les erreurs multiples. De leur côté, les garagistes intègrent désormais automatiquement le prix de ce service dans le montant global de leurs prestations. A terme, les services directs de la préfecture vont disparaître et être pris en charge par des acteurs privés !

M. Pierre-Yves Collombat. - Vous nous indiquez un gain évalué à 3,6 milliards d'euros grâce au développement de la signature électronique et des cartes d'authentification. Mais qui réalisera ce gain ? Dans le domaine bancaire, par exemple, on constate une explosion du coût des services. Et puis, n'y-a-t-il pas des transferts de charges ?

Vous nous dites aussi que l'usager peut désormais aller partout faire sa demande pour un passeport. Mais, en réalité, il peut juste aller dans l'une des 2 000 communes ayant une station ! Avant, l'usager pouvait aller retirer son document d'identité dans sa mairie, y compris dans les petites communes.

Enfin, quels sont les risques de piratage de vos systèmes informatiques ? N'y-a-t-il pas un problème de sécurité, malgré toutes les précautions prises ?

M. Raphaël Bartolt. - La durée de vie d'une puce est actuellement d'environ 18 ans et les titres d'identité sont conçus pour une durée de 10 ans.

En matière de sécurité, nous travaillons sur l'environnement des systèmes informatiques, notamment en amont.

S'agissant de la gratuité des services, il faut rappeler que l'usager ne paie plus pour le « WW », ni pour les deux plaques de l'ancien système d'immatriculation. On observe, chez les garagistes, une dispersion des prix pratiqués pour les dossiers de cartes grises : à partir de 50 euros et plus... Concernant l'achat de véhicules d'occasion, les préfectures resteront encore longtemps au centre du dispositif d'immatriculation.

A propos de l'indemnisation des communes, celle-ci ne vise à couvrir que les opérations liées aux demandes d'usagers « extérieurs » à la commune. Le maire traitait déjà, en effet, les dossiers de passeport et de carte nationale d'identité pour les résidents de sa commune.

M. Pierre-Yves Collombat. - Il faut en finir avec cette hypocrisie : la délivrance des titres représente bien une charge supplémentaire pour les mairies, quel que soit le lieu de résidence du demandeur !

M. Raphaël Bartolt. - Les rapports de l'inspection générale de l'administration et de la Cour des comptes ont permis une évaluation du dispositif d'indemnisation des communes dans le cas du passeport. Pour la délivrance de ce titre, le « temps machine » passé à enregistrer la demande s'élève à neuf minutes et dix-sept secondes, tandis que le temps consacré à la remise de ce titre est de une minute et cinquante sept secondes. La Cour des comptes, pour sa part, a estimé le temps global passé sur chaque dossier à vingt-deux minutes. L'indemnisation des communes a été calculée sur la base du nombre de demandeurs « extérieurs » à la commune.

Dans une enquête portant sur l'année 2008, le CREDOC avait estimé à 210 000 le nombre de cas d'usurpation d'identité. Ce chiffre est important, mais les documents munis d'une puce sont beaucoup plus difficiles à frauder.

Les risques de piratage sont majeurs, mais nous sommes très vigilants. Nous avons notamment mis en place un dispositif anti-intrusion très « pointu ». Les cartes d'authentification des agents publics permettent, en outre, de retracer la provenance de certaines attaques.

M. François Patriat, président. - Monsieur le directeur, je vous remercie pour cet éclairage très technique des dossiers que conduit l'ANTS dans le cadre de la RGPP.

Audition de M. Yvon Olivier, préfet honoraire

M. François Patriat, président. - Monsieur le Préfet, votre grande connaissance de l'Etat, des territoires et des administrations, à travers les différentes fonctions que vous avez exercées, m'amène à vous poser plusieurs questions : quels sont les axes à suivre pour la réforme de l'Etat, comment l'articuler efficacement avec la réforme des collectivités territoriales, comment jugez-vous aujourd'hui la RGPP ?

M. Yvon Ollivier. - J'ai participé à la RGPP en tant que responsable d'un groupe d'audit au ministère de l'intérieur en 2007 et 2008. Je suis parti ensuite à la retraite et me suis éloigné de la mise en oeuvre de la RGPP. Je suis donc un observateur extérieur manquant d'informations. Cela expliquera la prudence de certains de mes propos.

La réforme de l'Etat aujourd'hui a besoin de réflexion sur ce que sont les missions de l'Etat. Nous n'avons pas encore assez réfléchi à ce qu'elles doivent être au XXIème siècle : Etat stratège, Etat régulateur, Etat correcteur des inégalités, Etat prestataire ... La part relative de ces différentes missions doit évoluer et je crains qu'on ne se soit pas toujours donné assez de temps pour cette réflexion.

La réforme de l'Etat doit se faire en tenant compte de la réforme des collectivités territoriales et des progrès de la décentralisation. Au moment du lancement de la RGPP, le problème se posait encore de la bonne distribution des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales : la réponse est évidemment politique. Nous restons encore dans un tel flou et un tel mixage des compétences entre collectivités territoriales ainsi qu'entre collectivités et Etat que forcément se pose un problème de lisibilité pour le citoyen qui ne sait plus qui fait quoi. La RGPP, c'est comment améliorer la performance de l'action publique avec le minimum de moyens budgétaires. Je crains que nous ne soyons pas encore au terme de la clarification des compétences alors qu'un des principes de base de la décentralisation est leur répartition claire entre l'Etat et les collectivités territoriales. L'Etat lui-même connaît quelques problèmes à abandonner des compétences qui ont pourtant été décentralisées. C'était un des constats de départ de la RGPP. Les effectifs de l'Etat ont continué à croître tandis que les effectifs des collectivités territoriales ont, parallèlement, enflé au fur et à mesure des transferts de compétences. La RGPP s'inscrit dans une optique budgétaire.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Deux logiques se sont télescopées : la logique du Comité Balladur qui privilégie la région et celle de la réforme des collectivités territoriales qui met en avant les communes et les départements. Dans le même temps, la réforme de l'Etat s'est surtout appuyée sur l'échelon régional : le département n'est plus le lieu de la réflexion de l'Etat mais celui de l'exécution.

Le préfet de la région Bretagne a attiré mon attention sur le fait que de plus en plus on lui demande de coordonner les services de l'Etat dans une logique horizontale alors que la réalité des moyens humains et financiers dont il dispose reste dans une logique très centralisée, ministère par ministère.

Quel est votre sentiment et les voies d'amélioration sur ce point ?

M. Yvon Ollivier. - Je suis en phase avec la direction prise : le niveau pertinent de l'administration territoriale de l'Etat est plutôt celui de la région car c'est celui notamment de la problématique de l'aménagement du territoire ; que l'Etat s'allège au niveau du département pour se concentrer à la région est dans la logique de la décentralisation. L'Etat doit accepter de réduire sa présence sur le territoire. Au vu des comparaisons internationales, la France reste un pays très administré (car nous avons une double administration -Etat et collectivités territoriales- avec des chevauchements entre elles). Cela correspond peut-être à notre culture nationale et à la demande de l'opinion publique. L'évolution va dans le sens de la logique régionale : comme préfet, je l'ai vécu : je pense notamment aux contrats de plan. Il faut une concentration des moyens. En ce qui concerne les travaux du comité Balladur, on a assisté à une offensive régionale et à une forte résistance départementale.

J'ai le sentiment que depuis longtemps nous sommes obsédés en France par une vision un peu trop uniforme de l'administration territoriale. Ce n'est pas le cas dans d'autres pays qui distinguent les zones rurales et faiblement urbanisées des zones fortement urbanisées en ayant deux types de structures : la structure ordinaire de type province et celle des villes-province, dans laquelle la ville prend les compétences de la province. Ne sommes-nous pas dans cette situation en France dans un certain nombre de départements ? C'est déjà le cas à Paris, commune et département. Mais prenons les exemples de Lyon, Lille, Toulouse, Bordeaux... Ce sont des collectivités importantes, y compris dans des secteurs normalement de compétence départementale comme l'action sociale et les établissements scolaires qui pourraient être de la compétence de l'agglomération. Les derniers textes ont prévu des dispositifs de délégation. Je suis favorable à une évolution de ce genre. Il ne me semble pas qu'une structure agglomérée qui parfois dépasse les limites du département, doit être gérée absolument comme la Corrèze où le département a un rôle important : il joue le rôle de conseil et de support des collectivités de base. Ce rôle de conseil n'existe plus dans les départements très urbanisés. De façon expérimentale, cette piste pourrait être exploitée mais cette distinction se heurte à la tradition française dans laquelle la réalité départementale est très fortement ancrée. Elle est plus visible, pour les Français, que le niveau régional.

L'intercommunalité a une vertu extraordinaire. Les gouvernements ont dû renoncer aux fusions communales qui sont pratiquées dans certains pays démocratiques comme la Suède. L'intercommunalité progresse et présente l'avantage de concilier le regroupement des petites communes sur des compétences qu'elles ne peuvent pas exercer comme l'urbanisme, les transports, tout en maintenant ce lien social des petites communes avec la présence de milliers de quasi-bénévoles dont je souligne le travail formidable.

M. François Patriat, président. - La méthode de la RGPP est-elle bonne ? Simplicité, économie, efficacité. La RGPP a-t-elle répondu à ces objectifs ?

M. Pierre-Yves Collombat. - On se fait beaucoup d'illusions sur les collectivités locales étrangères. Je pense à la situation d'endettement des communes allemandes. On y trouve aussi la complexité territoriale.

On a assisté à la montée en puissance de la région alors que la réforme des collectivités territoriales a privilégié le département.

Pourriez-vous nous expliquer la logique de la réorganisation des services de l'Etat entre ce qui est du niveau régional et ce qui est du niveau départemental ? Quel est finalement le rôle du préfet de département ? Je suis bien conscient qu'il faut tenir compte de la décentralisation mais j'ai l'impression que pour l'Etat maintenant il s'agit de faire payer aux collectivités territoriales des charges qui, avant, relevaient de l'Etat.

L'Etat doit-il s'occuper des seules fonctions régaliennes en imposant des normes et des contrôles ?... Avant les élus avaient affaire à des fonctionnaires d'Etat qui disposaient des moyens de leur expertise. Ils étaient appréciés des petites collectivités. A l'équipement, les agents sont là pour nous aider à agir... Aujourd'hui cela se double d'un contrôle plus tatillon qu'auparavant.

M. Yvon Ollivier. - L'approche de la RGPP était nécessaire. Elle a été bien accueillie par le corps préfectoral et la haute administration. Avec ses indicateurs de performance, la RGPP est la suite logique de la LOLF, surtout à un moment où la pression européenne s'exerce plus fortement pour le respect des critères de Maastricht.

Je suis d'accord, Monsieur le Sénateur, pour ne pas trouver seulement de bonnes solutions à l'étranger mais, quand même, ces exemples sont à regarder comme les bonnes expériences étrangères par rapport auxquelles nous sommes en retard.

Il y a ce dilemme entre la nécessité d'aller vite pour obtenir des résultats et la nécessité d'agir de façon concertée : la RGPP n'a pas vraiment été un modèle de concertation sociale ni de concertation avec les élus car tout est allé vite. Un exemple : au ministère de l'intérieur, le chantier a démarré en plein été, les premières recommandations sont tombées en octobre et le rapport définitif au mois de mars suivant. Or, il a fallu procéder à des travaux techniques d'ampleur. La concertation a varié selon les sujets. Elle a été étroite entre l'équipe RGPP et le ministère. Ainsi on s'est trouvé face à un processus de décision très rapide et ensuite face à un processus de mise en oeuvre très rapide également. Je songe à la mise en oeuvre de la réforme des titres délivrés par le ministère de l'intérieur, très importante pour dégager des gains de productivité. Mais en la menant très rapidement, on a pris le risque que les suppressions de poste résultant du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite interviennent avant la réalisation des gains de productivité.

J'en viens à l'articulation des responsabilités du préfet de région et de celles du préfet de département, l'insuffisance des moyens de l'Etat au niveau local que vous évoquez : il était normal de concentrer la représentation de l'Etat au niveau régional car l'Etat conserve des compétences fortes en matière d'aménagement du territoire et de développement économique et c'est à ce niveau que l'interface avec le monde économique et les collectivités locales doit s'exercer. Le rôle du préfet de département reste essentiel en matière de sécurité et de gestion de crise qui est très sensible dans notre société. Il reste celui qui veille à l'application de la loi sur le terrain qu'il administre et à la régulation en matière d'urbanisme ou sanitaire. Je ne suis pas sûr que l'Etat sur ce point se soit organisé de façon efficace.

Nous avons eu un débat au comité de suivi sur un allègement sensible du contrôle de légalité. Il existait des tenants de la suppression du contrôle de légalité. Il a été décidé de le maintenir en réduisant de moitié sa portée, en ne conservant que les actes les plus porteurs d'enjeux, l'urbanisme et les marchés publics. Je ne suis pas sûr que l'Etat était bien armé dans le passé pour assurer le contrôle de légalité, il fallait que le contrôle préfectoral s'appuie sur le TPG en matière de contrôle budgétaire, de marchés publics, sur l'équipement pour les permis de construire ... Les clivages verticaux dans l'administration ont été atténués au fil des réformes mais la dernière qui met les directeurs des services déconcentrés sous l'autorité du préfet devrait permettre une meilleure appréhension du contrôle de légalité et du conseil aux collectivités locales, une plus grande efficacité par une plus grande intégration des équipes qui, avant, étaient dispersées.

La décentralisation consiste à être responsable de ce qu'on fait et à le faire soi-même sans l'Etat comme garant. Les experts de l'Etat peuvent parfois avoir tendance à se substituer aux responsables locaux dans le souci de bien faire.

Je suis partisan de la prise de responsabilités par les collectivités locales. Les intercommunalités y participent en se dotant de services comptables, juridiques, qu'on allait auparavant chercher du côté de l'Etat.

Dans le cadre de la RGPP au ministère de l'intérieur, on s'est interrogé sur la justification du maintien des sous-préfectures auquel certains n'étaient pas favorables. Pour notre équipe, il fallait les conserver comme relais de l'Etat de proximité. Dans certaines sous-préfectures, vont rester le sous-préfet, son chauffeur et sa cuisinière, puisque l'essentiel des missions soit a disparu, soit a été transféré à la préfecture. Il va donc falloir aménager le rôle des sous-préfets. Les intercommunalités pourraient jouer le rôle des sous-préfectures vis-à-vis des collectivités de base. Le gouvernement ne nous a pas suivis dans l'opportunité de se passer d'un certain nombre de sous-préfectures.

M. François Patriat, président. - Je reviens sur un point qui ici peut faire consensus. Je songe aux propos de notre collègue Gérard Miquel : la décentralisation implique, pour les collectivités locales, de prendre pleinement leurs responsabilités et de se doter des services compétents comme l'ingénierie pour les routes. Le problème c'est le sentiment que les collectivités locales ont des difficultés à obtenir des réponses sur les autres missions : c'est le problème de l'éloignement des DREAL, c'est celui de l'élaboration des PPRI (mon préfet, aujourd'hui, n'a pas les moyens suffisants pour les établir rapidement). Deuxième question : c'est l'impact sur les collectivités locales de la réforme des différentes cartes : certaines communes sont dans une situation dramatique.

M. Yvon Ollivier. - Il est vrai, aujourd'hui, qu'il y a des tâtonnements dans les préfectures dans la mise en place de la RéATE. Le point d'équilibre est-il trouvé entre la nécessité de faire rapidement et l'engrangement des gains de productivité ? Je suis mal placé pour y répondre mais il me semble que l'impact de la nouvelle organisation territoriale s'effectuera plus facilement dans deux ou trois ans. La RéATE a été mise en place au début de l'année 2010. Quand on voit le temps d'apprentissage pour beaucoup de réformes, c'est un temps très court et des ajustements devront être réalisés pour trouver les bons circuits de décision.

Il y a, par ailleurs, une question structurelle en France : d'un côté, on a suivi le modèle anglo-saxon de la gestion de performance à travers des budgets de programme et la création de responsabilités verticales -le modèle, dans beaucoup de pays, a été de transformer les administrations centrales en agences autonomes-. Nous sommes allés beaucoup moins loin que les Anglais, les Suédois ou les Canadiens dans ce domaine. Mais à travers la LOLF, un responsable de programme de service public est investi d'objectifs chiffrés et doit rendre des comptes au Parlement.

Nous avons, parallèlement à ce modèle, la prétention d'avoir une cohérence de la présence de l'Etat au niveau régional et départemental grâce au système préfectoral. C'est donc une forme de contradiction : comment concilier la logique verticale de la LOLF et la logique horizontale de la RéATE ? Des techniques ont été mises en place pour introduire le préfet de région et le trésorier payeur général de région dans les programmes de la LOLF mais ce n'est pas évident car les deux logiques sont opposées. C'est un défi de les concilier sur le terrain, cela peut se traduire par des frottements.

M. François Patriat, président. - Je vous remercie Monsieur le Préfet.