Mardi 24 janvier 2012

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

Commémoration de tous les morts pour la France le 11 novembre - Examen des amendements au texte de la commission

La commission examine l'amendement n° 1 de Mme Leila Aïchi au texte n° 263 (2011-2012), adopté par la commission pour le projet de loi n° 251 (2011-2012) fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.

Mme Leila Aïchi - Cet amendement a pour vocation d'instaurer une journée commémorative des « morts pour la paix et la liberté d'informer » en s'attachant tout particulièrement aux personnels des organisations humanitaires, aux défenseurs des droits humains, et aux journalistes, à l'instar de ce qui existe pour les militaires. Il nous semble pertinent d'avoir une journée commémorative pour honorer les personnes qui exercent dans le cadre de cette activité et qui ont perdu la vie pour la défense de leurs idéaux de paix ou pour la liberté d'informer. Tel est le sens de cet amendement soutenu par le groupe écologiste.

Il s'agit d'un article additionnel après l'article 3 qui ne vient pas en contradiction avec le texte de la commission.

M. Marcel-Pierre Cléach - Nous sommes nombreux à partager votre point de vue et à reconnaître le travail des organisations humanitaires, des défenseurs des droits humains et des journalistes, notamment des correspondants de guerre, qui agissent dans des zones souvent troublées et souvent au péril de leur vie.

La question de l'instauration d'une journée commémorative des « morts pour la paix et la liberté d'informer » peut naturellement être posée. Vous parlez de « gagner la paix », ce qui est un véritable objectif.

Il faudrait d'ailleurs y inclure d'autres catégories, et notamment les militaires qui agissent dans le cadre des opérations de maintien de la paix au titre de la Charte des Nations unies et ceux qui prêtent assistance, parfois également au péril de leur vie aux organisations humanitaires ou aux journalistes à qui, ils permettent, en les protégeant ou en les récupérant, l'exercice de leur mission humanitaire ou de leur liberté d'informer.

La délimitation amène également à s'interroger sur la nature des conflits armés : ceux dans lesquels la France est partie prenante ? Tous les conflits armés ? y compris les guerres civiles ? Quid de la situation des humanitaires et des journalistes assassinés par des groupes armés, parfois mafieux, dans le cadre de leur mission alors qu'il n'y a pas de conflits armés déclarés ?

Vous le voyez, la délimitation même des personnes concernées mériterait un examen plus approfondi.

Je souhaiterais également, avant de s'engager dans une telle démarche, que nous puissions recueillir l'opinion des ONG et des organisations professionnelles de journalistes, même s'ils partagent, je le pense, votre point de vue.

J'ajoute que, jusqu'à maintenant, la création de Journées commémoratives nationales a plutôt concerné des évènements, telle notre Fête Nationale en 1880 pour commémorer la Fête de la fédération du 14 juillet 1790 ou l'abolition de l'esclavage, mais aussi le plus souvent des évènements liés à des conflits dans lesquels la France est partie prenante.

Enfin, si nous devions honorer par des Journées commémoratives le dévouement de certains de nos concitoyens, parfois jusqu'au sacrifice ultime, dans des missions détachées du contexte des conflits armés, il faudrait sérieusement examiner le cas des sapeurs-pompiers, des personnels de la sécurité civile, comme des policiers et des gendarmes, professions éprouvées, au service de nos concitoyens.

Par sa nouveauté et sa portée, la démarche me paraît relever davantage d'une proposition de loi que d'un amendement, afin que celle-ci puisse être examinée de façon complète par la commission sénatoriale compétente et que celle-ci en évalue tant les enjeux et la portée, que les contours.

J'ajoute que je souhaiterais préserver la cohérence du projet de loi qui est l'hommage rendu aux morts pour la France, alors que l'amendement instaure une journée commémorative, un peu en dehors du contexte de la loi.

C'est pourquoi, chère Collègue, tout en comprenant le sens et la générosité de votre engagement, je vous demande de retirer votre amendement.

A défaut, pour préserver la cohérence du projet de loi dans la rédaction proposée par la commission, je serai au regret de donner un avis défavorable.

M. Jean-Louis Carrère, président - L'amendement présente un intérêt, mais il ne peut pas être voté en l'état, car nous recherchons sur ce texte un accord avec l'Assemblée nationale. Il me semblerait plus judicieux qu'il soit déposé sous forme d'une proposition de loi. Je me range à l'argumentation du rapporteur. Il serait très utile de réaliser des auditions et par un travail d'approfondissement en commission de réunir le consensus le plus large au sein de la commission. C'est pourquoi, je vous demande de bien vouloir le retirer.

Mme Leila Aïchi - Je précise que nous nous sommes entretenus avec les organisations de journalistes et les organisations humanitaires. J'accepte le principe de la rédaction d'une proposition de loi et de retirer l'amendement fort de l'engagement du président de la commission.

M. Jean-Louis Carrère, président - A partir de cet amendement, je propose que vous le transformiez en proposition de loi en travaillant avec certains membres de la commission que nous désignerons.

L'amendement est retiré.

Echange de vues avec une délégation de parlementaires norvégiens

La commission procède à un échange de vues avec une délégation de parlementaires de la commission des affaires étrangères du Parlement norvégien conduite par sa présidente, Mme Ine Eriksen Søreide.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir nos collègues de la commission des affaires étrangères et de la défense du Parlement norvégien. Cette commission a, comme la nôtre, compétence pour toutes les questions relatives à la politique étrangère, à la défense, à l'aide au développement, aux intérêts de la Norvège au Svalbard (Spitzberg) et dans les autres régions polaires ainsi que, plus globalement, aux traités et accords internationaux ainsi qu'aux relations avec les Etats et organisations internationales. Je me réjouis de l'initiative que vous avez prise de cette visite en France et de cette occasion de débat entre nous.

Comme vous, Madame la présidente, j'ai l'avantage de présider une commission dont les domaines de compétences sont relativement consensuels entre la majorité et l'opposition, puisque tant la défense que les affaires étrangères engagent nos intérêts nationaux. Nous avons d'ailleurs institué un principe de « binômes » majorité-opposition pour l'ensemble de nos rapports et de nos missions.

Nous avons de nombreux sujets d'intérêt en commun que je vous propose d'aborder de manière très libre. Avec votre ambassade, nous avons retenu quelques sujets qui ne sont naturellement pas exclusifs :

- la crise financière et l'impact qu'elle peut avoir sur les processus de réforme de nos forces armées, et sur la nécessaire mutualisation de nos moyens en Europe ou dans le cadre de l'OTAN. Je sais du reste que vous êtes en train d'élaborer comme nous un Livre blanc sur la défense. Nous travaillons, pour notre part, à une revue à mi-parcours de notre Livre blanc de 2008 et nous venons de publier un rapport d'information sur l'évolution du contexte stratégique. Nous mettons en place, jusqu'au mois de juin, des groupes de travail sur les autres aspects du Livre blanc qui ont retenu notre attention ;

- le Grand Nord est aussi un sujet particulièrement intéressant, y compris pour la France qui participe au Conseil arctique, et pour laquelle cette zone est d'une importance géostratégique majeure pour l'avenir ;

- la situation en Russie et les relations avec ce pays dont vous êtes frontaliers pourront également être abordées. Notre collègue Yves Pozzo di Borgo a publié un rapport d'information récemment sur cette question ;

- nous allons aussi traiter de la situation en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Ce qu'on a appelé « le printemps arabe » est certainement l'un des événements stratégiques les plus importants de l'année passée. Un autre grand sujet de préoccupation est l'évolution de l'Iran au moment où l'Union européenne vient de prendre des sanctions inédites contre ce pays ;

- l'Afghanistan et le processus de transition est également au coeur des travaux de notre commission comme de la vôtre. Nous venons, il y a quelques instants, de rendre un hommage solennel à nos quatre soldats assassinés la semaine dernière ;

- l'OTAN et les relations transatlantiques pourront également faire l'objet d'échanges entre nous ;

- enfin, nous pourrons aborder le thème de la politique de sécurité et de défense en Europe et nous sommes prêts à répondre à toutes vos questions, en particulier sur l'accord franco-britannique, la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), les relations UE-OTAN.

Mme Ine Eriksen Søreide, présidente de la commission des affaires étrangères et de la défense du Parlement de Norvège (Parti Conservateur (H)). - Je vous remercie de votre accueil, et vous exprime nos condoléances pour le décès récent de quatre soldats français en Afghanistan. Je rappelle que plusieurs soldats norvégiens sont également tombés sur ce théâtre d'opérations.

Notre visite s'inscrit dans une période marquée par la crise de la dette qui touche plusieurs pays de l'Union européenne, et alors qu'une période électorale va prochainement s'ouvrir en France. Nous irons demain à Londres, et je relève que la coopération franco-britannique en matière de défense est une initiative digne d'intérêt tant dans son aspect bilatéral que par ses conséquences au sein de l'OTAN. Du côté norvégien, je vous précise que nous allons prochainement discuter d'un Livre blanc sur les forces armées, analogue à celui que la France a élaboré en 2008. Le principal investissement prévu par notre Livre blanc consiste en l'achat d'avions de combat. Parmi les points que je souhaite mentionner figurent nos rapports de bon voisinage avec la Russie, pays dont nous séparent 196 km de frontières terrestres et 1 757 km de frontières maritimes. Ces relations sont confiantes, mais nécessairement asymétriques du fait de la disparité géographique et économique entre les deux pays. Je relève que la vie politique intérieure de la Russie a été récemment marquée par l'émergence de protestations inédites contre le duo au pouvoir formé par le président Medvedev et le premier ministre Poutine. Par ailleurs, je me réjouis de la bonne coopération militaire que nos armées ont pu nouer à l'occasion de l'intervention en Libye, mais je m'interroge sur l'avenir de la notion de « responsabilité de protéger » qui a motivé cette intervention. Pourrait-elle être utilisée à propos notamment de la Syrie, ou la Libye constitue-t-elle un cas unique ?

M. Jean-Louis Carrère, président. - La notion que vous évoquez a été retenue par le Président Sarkozy pour fonder l'intervention en Libye ; dans ce contexte, elle n'a pas rencontré d'opposition en France, d'autant que cette intervention s'est effectuée sous l'égide de la résolution 1973 de l'ONU. Cependant, les modalités de son application ont pu faire débat ; certes, il n'y a pas eu d'intervention de troupes au sol, conformément à la lettre de la résolution, mais l'emploi d'hélicoptères de l'armée de terre dans des zones critiques a pu être contesté.

Cette notion de responsabilité de protéger doit perdurer, mais il semble improbable qu'elle puisse être appliquée à la Syrie, dont la situation est différente car elle s'apparente plutôt à une guerre civile. Vous savez également que les efforts déployés par la France pour obtenir une décision de l'ONU sur la Syrie se heurtent à la résistance de la Russie et à la prudence de la Chine, qui déclare cependant qu'elle soutiendra les initiatives de la Ligue arabe.

M. Jean Besson. - Votre pays représente pour beaucoup d'entre nous un idéal de société, mais il n'est pas exempt de paradoxes. Je relève que vous consacrez plus de 1 % de votre produit intérieur brut à l'aide publique au développement, ce qui vous place dans les premiers rangs mondiaux en la matière. Par ailleurs, le fonds souverain que vous avez créé pour gérer les revenus tirés de l'exploitation de pétrole et de gaz de votre plateau continental figurent, si mes informations sont exactes, au troisième rang mondial par sa puissance financière. Dans ce contexte, je souhaiterais savoir quelle est la position de l'opinion publique norvégienne à l'égard d'une éventuelle intégration dans l'Union européenne ?

M. Dagfinn Høybråten (parti chrétien démocrate (KrF)) - La première responsabilité de notre gouvernement est de protéger la Norvège, notamment par une gestion responsable de nos ressources pétrolière et gazière ; c'est le fondement de la création du fonds souverain que vous avez évoqué.

Nous nous félicitons, en effet, d'être le seul pays au monde à consacrer 1 % de notre PIB à l'aide publique au développement par des canaux à la fois bilatéraux et multilatéraux.

Enfin, je voudrais souligner que nous contribuons d'ores et déjà à l'Union européenne par notre appartenance à l'espace économique européen (EEE).

M. Jean-Louis Carrère, président - Outre notre coopération avec le Royaume-Uni en matière de défense, nous nous sommes rendus la semaine dernière en Allemagne et avons établi avec nos homologues du Bundestag des points d'accord dans ce domaine.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam - Je tiens à rendre hommage à la Norvège pour son action en faveur de la prohibition des armes à sous-munitions. La convention d'Oslo de 2008 a constitué un élément décisif dans ce domaine, notamment grâce à l'action résolue de votre diplomatie. Je souhaiterais par ailleurs connaître vos points d'intérêt particulier sur le partenariat de défense qui lie la France au Royaume-Uni.

Mme Ine Eriksen Søreide - Je tiens à rappeler qu'un récent rapport publié dans mon pays sur les relations entre la Norvège et l'Union européenne souligne que nous avons transposé dans notre droit interne près des trois quarts de l'acquis communautaire. Il n'en demeure pas moins que la perspective d'une adhésion à l'Union européenne suscite une forte réticence au sein de la classe politique comme de l'opinion publique norvégienne. Un récent sondage montre ainsi que cette option recueille autour de 10 % d'approbation. Ce taux particulièrement faible s'explique sans doute par la situation financière problématique de la zone euro.

Lors de notre récente participation à l'intervention en Libye, au titre de l'OTAN, comme lors de notre actuelle participation à l'opération Atalante, menée sous l'égide de l'Union européenne, l'appui d'avions de surveillance Orion a été fort utile. Nous souhaiterions un rapprochement significatif des moyens militaires de ces deux entités.

M. Svein Roald Hansen (parti travailliste - AP) - Lors d'un récent déplacement en Tanzanie, nous avons entendu des critiques envers l'intervention de l'OTAN en Libye, nos interlocuteurs estimant qu'une telle action aurait dû relever de l'Union africaine (UA) ou de la Ligue arabe pour la Syrie. Il faut reconnaître que le soutien occidental antérieur aux gouvernements en place, tant en Libye, en Tunisie qu'en Egypte, place les membres de l'OTAN dans une position délicate.

Mme Laila Gustavsen (parti travailliste - AP) - Je tiens à souligner que notre Etat providence a été édifié bien avant la découverte de gaz et de pétrole en mer du Nord. Notre pays se distingue par un taux d'activité des femmes de 80 % et, surtout, 85 % de notre PIB découle des revenus du travail, et non des ressources issues des matières premières. Notre modèle social est financé par une fiscalité progressive.

En matière de sécurité européenne, j'estime, tout comme les responsables américains, que l'Union européenne doit assumer ses responsabilités dans ce domaine de façon beaucoup plus résolue.

Je constate que les Etats-Unis d'Amérique se préoccupent désormais plus de la zone asiatique que de l'Europe, et que la situation de l'Iran constitue leur préoccupation majeure à l'heure actuelle. Le « réveil arabe » touche une région instable dont on ne peut qu'espérer l'orientation vers la démocratie. Cependant, les problèmes sécuritaires majeurs sont actuellement situés autour du bassin méditerranéen, qu'il s'agisse de l'Iran, d'Israël ou de la Palestine, particulièrement pour l'Europe qui a, avec ces pays, sa frontière méditerranéenne.

M. Jean-Louis Carrère, président - Il est vrai que la France, comme bon nombre de pays occidentaux, a soutenu les potentats tunisien, égyptien et libyen, en y voyant un rempart contre l'islamisme. Nous tâchons maintenant d'aider ces pays dans leur difficile chemin vers la démocratie. Nous n'avons pas peur de l'Islam mais nous luttons contre le fanatisme. S'agissant de l'Iran, la crainte que le régime n'y développe des moyens nucléaires militaires a entraîné un récent renforcement des sanctions occidentales, mais nous sommes tous convaincus que le pouvoir à Téhéran ne représente pas la totalité de la société iranienne.

M. Robert del Picchia - Je tiens à souligner la grande qualité des diplomates norvégiens que j'ai pu voir à l'oeuvre dans différentes négociations.

Il faut rappeler que l'intervention en Libye s'est faite à la demande de la Ligue arabe. La notion d'« obligation de protéger » les populations civiles en danger a remplacé, au niveau international, celle de « devoir d'ingérence », qui prêtait à critique.

M. Christian Cambon - La Norvège est un pays de référence en matière d'aide publique au développement, tant pour les montants affectés que pour l'efficacité avec laquelle ils sont utilisés, sous contrôle d'une procédure d'évaluation continue. Je relève que la Norvège pratique parfois l'aide budgétaire directe à certains gouvernements et souhaiterais en connaître l'efficacité.

Mme Ine Eriksen Søreide - Nous sommes en effet très soucieux de l'efficacité de notre aide, notamment pour prévenir d'éventuelles dérives liées à la corruption. Nous constatons que l'aide au développement de l'Union européenne décroît, alors que l'aide fournie par la Chine sans exigences préalables est en forte croissance. Cela constitue un grand défi.

Notre aide ne passe pas uniquement par des canaux financiers. Ainsi, nous pratiquons un transfert de compétences au profit du Ghana pour la mise en place d'un fonds analogue au nôtre pour la gestion à long terme des ressources issues du pétrole.

M. Svein Roald Hansen - Il est important que des institutions indépendantes évaluent de façon continue l'efficacité ce notre aide ; ceci a conduit notre pays à se retirer de certains projets. Nous attribuons parfois ces aides sous certaines conditions comme leur affectation au secteur de l'enseignement primaire, par exemple.

M. Dagfinn Høybråten - L'Alliance mondiale pour les vaccins et l'immunisation (GAVI), que je préside, permet d'obtenir des résultats concrets grâce à des investissements ciblés. Nous pratiquons une coopération étroite avec la France dans ce domaine.

M. Jacques Gautier - Je m'interroge sur la pertinence du choix qu'a fait votre armée avec l'achat de l'avion de combat américain F35, alors que ce programme a vu ses coûts multipliés par cinq depuis sa conception. Par ailleurs, je remarque que votre modèle d'armée s'oriente vers des opérations de projection qui impliquent une professionnalisation des personnels, mais que la conscription est maintenue.

Mme Ine Eriksen Søreide - L'achat d'avions de combat constitue la dépense majeure prévue par notre Livre blanc, qui devrait être publié en mars prochain. Comme toutes les décisions de ce type, elle est fondée sur des éléments à la fois techniques et politiques. Nous n'avons pour l'instant commandé que quatre avions destinés à la formation de nos pilotes, mais la décision est irrévocable. Seuls restent à définir le nombre d'appareils à acquérir et le calendrier d'acquisition.

En dehors de ce point particulier, le Livre blanc vise au maintien de l'équilibre entre les armées, et n'évoque que l'éventuelle professionnalisation de l'armée de terre.

Le retrait annoncé des forces américaines demeurant en Europe doit nous inciter à oeuvrer de façon plus active pour bâtir notre propre sécurité, en assurant un équilibre entre capacités d'intervention et préservation de la sécurité de nos territoires nationaux.

M. Svein Roald Hansen - Le coût de ces avions de combat a fait débat au sein du pays. Lorsque le choix a été effectué, en 2008, il a été calculé qu'il conduirait à l'augmentation de 10 % de notre budget annuel de défense pendant dix ans.

M. Peter Gitmark (parti conservateur - H) - Ce projet d'acquisition doit être mené à bien en respectant le calendrier initial, et en tenant compte des coûts d'exploitation à venir.

Les modalités d'affectation de l'aide publique au développement suscitent une controverse dans notre pays. Le parti conservateur auquel j'appartiens soutient la possibilité d'apport budgétaire direct uniquement en faveur de pays à régime parlementaire caractérisé par un réel fonctionnement démocratique et l'absence de corruption. Il s'agit là d'élémentaires justifications vis-à-vis de nos électeurs. Déjà, cette aide a été suspendue en Ouganda et pourrait l'être en Ethiopie du fait du non-respect des conditions évoquées.

Je terminerai par une question ponctuelle. Pourquoi le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), fondé par l'ex-président tunisien Ben Ali, appartenait-il à l'Internationale socialiste ?

M. Jean-Louis Carrère, président - Ceci s'explique par la liberté qui préside aux adhésions à l'Internationale socialiste (IS). Ainsi, le parti dirigé par Laurent Gbagbo en a été également membre. Je dois préciser que les instances de l'IS s'attachent désormais à radier rapidement les partis qui ne représentent pas, ou plus, les valeurs de l'IS.

M. Jeanny Lorgeoux - Il faut souligner que le RCD a succédé au Néo-Destour, fondé par le Président Bourguiba, qui a lutté victorieusement pour l'indépendance de la Tunisie et y a instauré la laïcité et un statut protecteur de la femme. Des dérives sont apparues ultérieurement lors de la présidence Ben Ali.

M. Gilbert Roger - Votre futur Livre blanc abordera-t-il la problématique de l'Arctique, que ce soit en matière de ressources fossiles ou de préoccupations géopolitiques ?

Dans un tout autre domaine, j'ai été alerté par les dégâts massifs qu'engendrent les élevages intensifs de saumon, nombreux dans votre pays, sur la qualité de l'eau de mer.

M. Tore Nordtun (parti travailliste) - La Norvège a établi des règles strictes pour limiter l'extension des élevages de saumon. C'est ainsi que, dans mon département, le nombre d'élevages a été strictement limité. Je signale que les achats français à la Norvège sont constitués d'abord de gaz et de pétrole, suivis de ces saumons d'élevage.

Nous pratiquons des inspections communes avec la Russie dans la Mer de Barents pour surveiller le respect des quotas de pêche de cabillaud. Notre frontière maritime avec ce pays a été définie au terme de près de quarante années de discussion, qui ont abouti à un résultat proche du point de départ de la négociation.

En matière de défense, notre pays a fait évoluer sa politique en concluant un pacte avec la Finlande et la Suède, prévoyant une coopération élargie portant sur l'achat commun d'équipements et des exercices conjoints.

M. Michel Boutant - S'agissant de la zone arctique, il semble probable que l'évolution climatique conduise à une fonte de la banquise qui ouvrirait de nouvelles voies de passage. Concevez-vous cette perspective comme une chance ou comme un danger, particulièrement en matière de préservation de l'environnement et d'équilibre stratégique ?

Par ailleurs, on évoque parfois une connotation politique qui marquerait le choix des lauréats du Prix Nobel de la Paix par le comité norvégien compétent. Quel est votre sentiment sur ce point ?

Mme Ine Eriksen Søreide - La zone arctique sera effectivement marquée par la fonte de la banquise qui semble irréversible. L'ouverture de nouvelles voies maritimes suscitera de multiples défis dont le principal sera d'ordre environnemental. En effet, il conviendra de s'assurer que les pétroliers naviguant le long de notre littoral soient équipés de doubles coques du fait du caractère particulièrement dévastateur des fuites éventuelles d'hydrocarbures dans les mers froides. Même un trafic accru de passagers devrait faire l'objet de précautions particulières du fait des dangers spécifiques à cette zone.

S'agissant des membres du Comité Nobel, je rappelle que c'est le Parlement norvégien qui les nomme, ce qui implique nécessairement une tonalité politique dans ces désignations. Le choix par ce Comité en 2010 du dissident chinois Liu Xiaobo souligne l'indépendance de cette instance qui a dû alors faire face à une opposition des milieux économiques norvégiens. Je précise qu'aucun officiel norvégien n'a pu rencontrer de responsables chinois depuis cette attribution.

M. René Beaumont - Avez-vous subi d'autres mesures de rétorsion ?

Mme Ine Eriksen Søreide - La Chine a fait pression sur les ambassadeurs en poste à Oslo pour qu'ils n'assistent pas à la cérémonie, sans beaucoup de succès. En revanche, et cela souligne l'attitude pragmatique de Pékin, nos exportations vers la Chine ont beaucoup crû ces dernières années.

J'en viens à la gestion de la zone arctique, qui a fait l'objet de plusieurs traités bilatéraux avec des pays riverains. Nous sommes très attachés à ce que cette zone reste exempte de toute tension.

M. Svein Roald Hansen - La situation de la zone arctique, qui est une mer surmontée d'une banquise à laquelle s'applique donc la convention sur le droit de la mer, dont je déplore qu'il n'ait pas été ratifié par les Etats-Unis d'Amérique, ne peut être comparée avec celle de l'Antarctique qui est formée par une immense zone terrestre.

M. Tore Nordtun - Il est à craindre que des tensions surgissent à l'avenir en Arctique ; je souhaite donc vivement que tous les pays intéressés souscrivent au traité du Spitzberg prohibant l'installation de toute base militaire dans cette région. Je tiens à souligner également l'accroissement des échanges de personnes entre la Norvège et la Russie ; ainsi, on comptait en 1989, 100 passages par la frontière terrestre, et 200 000 passages en 2011.

M. Alain Gournac - L'attentat commis par un de vos ressortissants à Oslo au mois d'août 2011 souligne la fragilité de nos démocraties. Avez-vous tiré des conséquences, au niveau sécuritaire, de cette action dramatique ?

Mme Ine Eriksen Søreide - Nous avons beaucoup apprécié le soutien exprimé en cette difficile circonstance par de nombreux pays amis, dont la France.

Notre rayonnement extérieur passe par notre présence accrue sur les marchés des pays émergents. Ainsi, nous pratiquons avec la Chine des échanges d'étudiants au niveau du master, et certains étudiants chinois restent travailler en Norvège une fois leur diplôme obtenu.

M. Jeanny Lorgeoux - Je souhaiterais savoir, d'une part, quelles sont vos relations avec l'Islande, et, d'autre part, quels sentiments vous inspire la présence de votre compatriote Eva Joly sur la scène politique française ?

M. Jacques Berthou - La discussion sur la délimitation de votre frontière maritime avec la Russie n'a-t-elle pas été difficile notamment s'agissant du plateau continental ?

Mme Ine Eriksen Søreide - Nous avons des rapports fraternels avec l'Islande avec laquelle nous partageons de nombreuses racines historiques communes. L'ensemble des pays nordiques se sont efforcés de soutenir Reykjavik lors de la forte crise économique qui l'a affectée.

Quant à Eva Joly, elle possède, à ma connaissance, la double nationalité française et norvégienne, et il est intéressant qu'elle soit candidate à la présidence de la République. Nous nous interrogeons sur sa contribution au futur succès de son parti.

J'en viens à la frontière maritime entre la Norvège et la Russie : sa délimitation est d'autant plus importante que cette zone contiendrait des gisements de gaz et de pétrole estimés à plus de 20 % des ressources mondiales.

Mme Brigitte Collet, ambassadrice de France en Norvège - Quelques éléments sur le statut du Spitzberg : le traité de Paris de 1920 a reconnu la souveraineté de la Norvège sur ce territoire et établi les principes de libre accès aux ressources de l'archipel et d'égalité de traitement pour tous les Etats parties au traité. Un désaccord ponctuel a surgi à l'été 2011 entre la Norvège et la Commission européenne à propos de quotas de pêche attribués par la Norvège à la Russie et à l'Islande, mais pas à l'Union européenne.

M. Jean-Louis Carrère, président - Vous savez, comme moi, que la crise économique conduit les Etats-Unis d'Amérique à réduire considérablement leur budget de défense, ce qui ne manquera pas d'inciter les industries américaines à se tourner vers les marchés européens. Il s'agit là d'une concurrence majeure pour nos fabricants nationaux. A partir de cette constatation, et alors que la construction de la défense européenne ne progresse guère, la France a conclu un accord bilatéral avec le Royaume-Uni en matière de défense, ouvert à d'autres pays volontaires. Par ailleurs, notre commission a récemment rencontré, à leur demande, nos homologues allemands au Bundestag, et nous nous sommes interrogés sur l'opportunité d'élaborer un Livre blanc de la défense européen.

Notre pays souhaiterait nouer d'autres coopérations dans ce domaine.

Mme Ine Eriksen Søreide - Nous constatons avec regret une évolution négative au sein de l'OTAN dont de nombreux membres, lorsqu'ils sont conduits à réduire leur budget de défense, délaissent au premier chef les capacités communes profitables à l'ensemble des membres. C'est le cas par exemple du Royaume-Uni.

En conclusion, je vous remercie de votre disponibilité et de la qualité de vos questions et vous invite à poursuivre cette intéressante discussion en Norvège.

Mercredi 25 janvier 2012

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

Séminaire sur la transition en Afghanistan - Communication

Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission entend une communication de MM. Didier Boulaud et Jacques Gautier, membres de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN : compte rendu du séminaire sur la transition en Afghanistan qui s'est tenu à Londres les 21 et 22 novembre 2011.

M. Didier Boulaud, membre de la délégation du Sénat à l'assemblée parlementaire de l'OTAN. - Les 21 et 22 novembre 2011, nous avons participé, avec mon collègue Jacques Gautier, au séminaire Rose Roth organisé à Londres par l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, en partenariat avec le Parlement britannique et avec le soutien du gouvernement helvétique, qui était consacré à la transition en Afghanistan.

Je rappelle que Rose Roth provient du nom d'un parlementaire américain qui est à l'origine de ce type de séminaire car il estimait qu'il y avait une place pour une réunion particulière dans la période assez longue située entre la session de printemps et la session d'automne de l'assemblée parlementaire de l'OTAN.

Alors que généralement les séminaires Rose Roth étaient surtout destinés à étudier la situation dans les Balkans, il a été convenu d'organiser en 2011 une rencontre consacrée au thème de la transition en Afghanistan.

Ce séminaire a réuni plus d'une centaine de parlementaires issus de trente-trois pays membres ou partenaires de l'OTAN. Des représentants du gouvernement britannique, de hauts représentants de l'OTAN, des représentants des autorités d'Afghanistan et du Pakistan étaient également présents à ce séminaire. Enfin, de nombreux experts avaient été invités.

Au cours de ces deux jours de réunions, les discussions ont été particulièrement denses et intéressantes.

M. Jacques Gautier, membre de la délégation du Sénat à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. - Comme vous le savez, l'Afghanistan représente la plus importante opération de l'OTAN. Alors que ce pays se prépare à assumer l'entière responsabilité de sa sécurité, d'ici la fin de l'année 2014, il semblait particulièrement utile de faire le point sur les priorités de l'opération conduite par l'OTAN (FIAS) et les différents aspects du processus de transition, dont la montée en puissance des forces de sécurité afghanes, la gouvernance et l'état de droit, la réconciliation et la réinsertion, la reconstruction et le développement économique ou encore la coopération régionale.

Les travaux du séminaire de Londres ont été ouverts par le ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni, M. William Hague, qui a indiqué que des avancées avaient été obtenues au prix d'efforts conséquents dans de nombreux domaines en Afghanistan, mais que celles-ci demeuraient précaires. Il a souligné que le passage à une réappropriation intégrale par les Afghans était la bonne stratégie, qui offrait une perspective claire, engageant le pays sur la voie de l'autodépendance selon un calendrier crédible. Il a toutefois rappelé qu'un engagement international dans la durée et une bonne dose de patience stratégique seraient essentiels et que les forces internationales devraient affronter l'insurrection jusqu'à la dernière minute de leur mission de combat.

Les récents évènements dramatiques, avec l'assassinat de quatre de nos soldats et les blessures infligées à une vingtaine d'autres de nos militaires par un militaire afghan, ont malheureusement confirmé ce propos.

Dans son allocution d'ouverture, le président de l'assemblée parlementaire de l'OTAN, M. Karl Lamers, a déclaré que les parlementaires avaient à cet égard un rôle et une responsabilité majeurs : il leur revient notamment d'expliquer à leurs concitoyens les raisons de l'intervention de l'Alliance en Afghanistan et les exigences qui lui sont inhérentes, et aussi de veiller à ce que la transition se fasse de manière coordonnée et responsable.

A cet égard, les intervenants ont mis en garde les alliés concernant les conséquences d'un éventuel retrait anticipé de tel ou tel pays, qui risquerait de déstabiliser l'ensemble du processus de transition.

Le Secrétaire général adjoint de l'OTAN pour les opérations, M. Stephen Evans, a confirmé que « la transition était bien engagée et que la voie à suivre était claire, mais que le processus ne serait pas sans difficulté ». Selon les plans actuels, le transfert des diverses régions afghanes se ferait en cinq tranches. Le transfert de la première tranche, qui représente quelque 20 % de la population, est désormais achevé et l'OTAN a commencé au début de 2012 le transfert de la deuxième tranche, qui devrait placer au total 50 % de la population et un certain nombre de zones plus difficiles sous le contrôle des forces de sécurité afghanes. Les autorités afghanes devraient assurer pleinement la sécurité dans l'ensemble du pays d'ici au 31 décembre 2014, date à laquelle la mission de combat de la FIAS prendra fin.

Si les insurgés restent capables de mener des attaques et de faire la « une » des journaux, les responsables de l'OTAN et de pays alliés qui se sont exprimés lors de ce séminaire ont dit avoir la certitude que le changement de tactique des insurgés, qui sont passés de la guerre de guérilla au terrorisme à la sauvette, avec notamment une multiplication des attentats à l'engin explosif improvisé et des attentats-suicides, montre qu'ils sont de moins en moins capables de l'emporter sur le champ de bataille. Par ailleurs, les effectifs des forces de sécurité afghanes continuent à augmenter et ces forces se montrent de plus en plus capables d'assurer la sécurité. Néanmoins, il sera essentiel de synchroniser leur montée en puissance avec l'allègement progressif des effectifs de la FIAS.

Je rappelle que, comme vous le savez, la France est engagée en Afghanistan depuis 2001 dans les opérations de la coalition. Environ 3 800 militaires français restent engagés dans les opérations en Afghanistan, ce qui fait de notre pays le quatrième contingent de l'OTAN. Ils participent, en soutien des forces de sécurité afghanes, à la sécurisation de la Surobi et de la Kapisa et soutiennent la montée en puissance de l'armée nationale afghane en conduisant des missions de formation, principalement à Kaboul, et en accompagnant les unités afghanes sur le terrain.

Les progrès accomplis par les soldats afghans, qui sont accompagnés par les soldats français depuis 2008, et de la situation sécuritaire en Surobi ont permis de commencer à désengager les forces françaises pour que les soldats afghans prennent progressivement en main la sécurité de la zone.

Il reste aujourd'hui environ 450 militaires français déployés en Surobi, principalement sur la base opérationnelle avancée à Tora, aux côtés d'environ 1 000 militaires afghans déployés sur la base de Tora et les postes de Naghlu et Uzbeen.

Notre dispositif se concentre désormais sur la Kapisa. Si la situation dans le Nord et dans le centre de cette province est relativement stable, la situation est en revanche plus délicate au Sud, où se trouve le principal axe d'approvisionnement stratégique permettant de relier la capitale Kaboul au Pakistan et qui fait l'objet d'une forte pression des insurgés talibans, notamment sur la base de Tagab, où s'est déroulée la récente fusillade provoquée par un taliban infiltré au sein de l'armée afghane.

Il est ressorti clairement des discussions lors du séminaire que, si des progrès considérables ont été accomplis, des difficultés sérieuses subsistent et qu'il est vital de faire le lien entre les niveaux opérationnel et stratégique.

Le renforcement de la gouvernance et du sentiment d'allégeance de la population à l'égard des institutions afghanes reste l'un des problèmes majeurs. Les Afghans doivent croire en l'aptitude de leurs autorités à fournir les services élémentaires, à imposer l'Etat de droit et à offrir des possibilités de développement économique. De récents sondages montrent que la confiance est à la hausse, mais d'importants progrès restent à réaliser dans des domaines tels que la lutte contre la corruption, la justice, la gouvernance locale et les rapports entre les autorités centrales et locales.

Un changement graduel du mode d'intervention des équipes de reconstruction provinciales devrait déboucher sur un transfert progressif aux autorités afghanes de la responsabilité pour la gestion des services élémentaires. Ce processus devrait contribuer à une appropriation accrue de la part de celles-ci et consolider les liens entre la population locale et les institutions.

Les intervenants ont toutefois souligné à quel point il était important de replacer la situation en Afghanistan dans son contexte, afin de s'assurer que les attentes et objectifs soient réalistes. L'Afghanistan occupe dans l'Indice de développement humain de l'ONU la 181e place sur 182 ; il continuera à affronter une pauvreté extrême et très répandue. A supposer que les taux de croissance actuels demeurent tels quels, l'énorme écart entre recettes et dépenses publiques ne sera pas comblé avant 2024 au plus tôt. Il sera donc nécessaire de maintenir l'aide économique actuelle au-delà de 2014, notamment pour contribuer au financement des forces de sécurité afghanes.

Les participants ont été unanimes à estimer que les tentatives de règlement politique avec des éléments de l'insurrection étaient une condition indispensable à l'instauration de la stabilité. Il est cependant ressorti des discussions du séminaire que les contacts établis jusqu'ici avec les talibans avaient donné des résultats limités et que l'attachement du camp adverse à une éventuelle réconciliation restait plus que douteux.

La stabilité à long terme exigera aussi des pays de la région - et, notamment, du Pakistan - qu'ils soutiennent davantage l'Afghanistan et intensifient leur coopération avec lui. L'existence, dans des zones voisines du territoire afghan, de sanctuaires où les insurgés peuvent se réfugier a été présentée comme un problème majeur. Certes, les pays limitrophes se sont engagés à plusieurs reprises à contribuer à la stabilisation de l'Afghanistan, mais les discussions du séminaire ont montré que les relations demeuraient difficiles, empreintes de méfiance et de suspicion. Des responsables gouvernementaux afghans et pakistanais ont toutefois souligné que des efforts sans précédent étaient actuellement déployés pour améliorer ces relations, éliminer le « déficit de confiance » qui subsistait et faire en sorte que les deux pays cessent de se rejeter mutuellement la faute. Les participants ont appris que des opportunités commerciales et économiques accrues pouvaient encourager la coopération régionale, et la Conférence d'Istanbul est apparue comme un premier pas prometteur sur la voie de l'édification possible de structures régionales.

Les interventions ont souligné la nécessité pour l'Alliance, ses partenaires et les Afghans eux-mêmes de poursuivre leurs efforts afin de rendre les progrès irréversibles. L'Afghanistan reste vital pour la sécurité euro-atlantique et les gains engrangés jusqu'ici seraient compromis si la communauté internationale et les pays de l'OTAN ne voulaient ou ne pouvaient pas fournir une aide suffisante jusqu'à la fin de 2014 et au-delà, ont estimé de nombreux intervenants.

« La fin de la transition ne doit pas signifier la fin de la coopération », a déclaré M. Zia Nezam, premier conseiller au ministère des Affaires étrangères de l'Afghanistan. L'intervenant a fait observer que les autorités de Kaboul étaient déterminées à sceller des partenariats stratégiques avec l'OTAN et les pays alliés, objectif auquel a souscrit la Loya Jirga (Grande Assemblée traditionnelle), qui s'était réunie la semaine précédente du séminaire.

Comme vous le savez, le Président afghan Hamid Karzai doit d'ailleurs se rendre en visite en France la semaine prochaine, au cours de laquelle il devrait s'entretenir avec le Président de la République et signer un accord d'amitié et de coopération avec la France.

« L'OTAN n'abandonnera pas l'Afghanistan », a assuré M. Evans lors du séminaire, mais son rôle changera. Après 2014, l'Alliance se concentrera sur la formation, l'encadrement et le conseil des forces de sécurité afghanes ; le cas échéant, elle apportera aussi le soutien nécessaire. On pense notamment à l'appui aérien, au soutien logistique ou au renseignement.

Reste toutefois la question du financement des forces de sécurité afghanes après 2014.

Aujourd'hui, la part du budget du gouvernement afghan consacré à la sécurité est de l'ordre de 2 milliards de dollars, alors qu'on estime à 12 milliards de dollars par an le coût du financement des forces de sécurité.

En conclusion, les participants ont estimé que la conférence internationale sur l'Afghanistan, qui s'est tenue à Bonn en décembre, et le prochain sommet de l'OTAN, qui se tiendra à Chicago en 2012, fourniraient deux occasions de confirmer l'engagement à long terme de la communauté internationale à l'égard de l'Afghanistan.

Enfin, lors de notre séjour à Londres, nous avons eu un entretien très intéressant avec notre ambassadeur de France au Royaume-Uni, M. Bernard Emié, qui nous a notamment présenté l'état et les perspectives de la coopération franco-britannique en matière de défense.

M. Didier Boulaud, membre de la délégation du Sénat à l'assemblée parlementaire de l'OTAN. - J'ajouterai trois observations à ce compte rendu exhaustif.

L'Union européenne a été la grande absente des discussions lors de ce séminaire, malgré le rôle important qu'elle joue en matière d'aide financière.

Par ailleurs, nous avons relevé la très grande méfiance, sinon l'hostilité, des autorités afghanes à l'égard des organisations non gouvernementales présentes en Afghanistan.

Enfin, les parlementaires français ont eu parfois assez de mal à partager l'optimisme de certains intervenants et les récents évènements dramatiques, notamment l'assassinat de quatre de nos soldats et les nombreux blessés causés par un militaire afghan, semblent démontrer les difficultés rencontrées dans le processus de transition et les progrès qu'il reste à accomplir.

A l'issue de ce compte rendu, un débat s'est engagé au sein de la commission.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Je me suis rendu récemment, avec le ministre de la Défense, M. Gérard Longuet, en Afghanistan, pour passer le Nouvel an avec les militaires français et témoigner ainsi de la reconnaissance de la Nation à nos soldats. Lors de notre déplacement, nous nous sommes rendus dans les différentes bases en Kapisa, notamment à Tagab.

Je voudrais rendre hommage au travail exemplaire réalisé par les militaires français au service de la France et saluer leur courage et leur dévouement.

Nous avons également pu mesurer, au cours de cette mission, les progrès réalisés en ce qui concerne l'équipement de nos soldats et des matériels dont ils disposent, notamment par rapport au dernier déplacement que nous avions effectué dans ce pays, avec notre collègue Robert del Picchia.

Si nous avons tous été profondément émus par le récent assassinat de quatre de nos militaires et les nombreux blessés causés par un soldat de l'armée afghane, je voudrais toutefois faire part de mon étonnement face aux premières déclarations ayant suivi cet évènement dramatique, évoquant un retrait anticipé de nos militaires.

Je voudrais rappeler, en effet, que notre pays est présent en Afghanistan dans le cadre d'une mission de l'OTAN et que notre pays a accepté lors du Sommet de l'OTAN de Lisbonne en 2010, la stratégie de transition visant un retrait des forces combattantes au plus tard fin 2014 avec une poursuite de notre engagement après cette date. Toute décision devrait donc faire préalablement l'objet d'une discussion avec nos alliés au sein de l'Alliance. Je regrette cependant que la France, de même que l'Europe, ne joue pas un rôle plus important au sein de l'OTAN en ce qui concerne la stratégie en Afghanistan, notamment par rapport aux Etats-Unis.

Par ailleurs, il me semble qu'avant toute annonce précipitée, il est nécessaire de prendre en compte les différents paramètres.

L'Afghanistan reste un pays très pauvre. Or, on constate un déséquilibre important entre le coût des interventions militaires et les financements consacrés à la reconstruction et au développement du pays. Ainsi, le budget dont dispose notre ambassade pour mener des actions de coopération et de développement est très faible, de l'ordre de 15 millions d'euros par an, et, malgré toutes les qualités de nos diplomates, il ne permet pas réellement d'accompagner notre présence militaire par des actions de coopération qui pourraient susciter l'adhésion de la population. Le Président afghan Hamid Karzai nous a indiqué, lors de notre entretien avec le ministre de la défense, que sa priorité était de bâtir une armée afghane capable de mener une guerre conventionnelle. Je lui ai répondu que, selon moi, la priorité devrait être d'engager son pays dans une stratégie de développement économique, ce qui devrait prendre des dizaines d'années. Se pose aussi la question du financement des forces de sécurité afghanes après 2014. Les Etats-Unis semblent disposés à assurer un financement de 3 milliards de dollars mais il resterait un milliard de dollars, dont la charge pourrait revenir aux pays de l'OTAN.

D'autres questions essentielles, comme la lutte contre la production de drogue, le rôle des pays de la région, comme le Pakistan, doivent aussi être prises en compte.

En définitive, je crois qu'il faut se garder de toute précipitation mais qu'il faut engager une véritable réflexion avec nos alliés, les Afghans et les pays de la région, afin de réussir le processus de transition, qui permettrait un retrait de nos soldats en substituant à la présence militaire de l'OTAN une action de développement de ce pays.

M. Robert del Picchia. - Lorsque nous avions visité, lors d'un précédent déplacement en Afghanistan avec le président M. Jean-Louis Carrère, un centre de formation de l'armée afghane, je m'étais interrogé sur les risques d'infiltration parmi les militaires afghans de talibans, et on m'avait répondu à l'époque qu'il y avait effectivement des infiltrés mais que c'était un risque à courir.

M. Didier Boulaud. - Nous nous étions rendus, il y a déjà quelques années, avec le Président Serge Vinçon, et nos anciens collègues Josselin de Rohan, Hélène Luc et Gisèle Gautier, en Afghanistan, et nous avions visité plusieurs provinces du Sud, avec l'ambassadeur de France de l'époque, S. Exc. M. Jean-Pierre Guinhut, éminent spécialiste de ce pays. Nous avions rencontré de nombreux responsables afghans d'origine pashtoun avec lesquels nous avions passé d'agréables moments. A notre retour à Kaboul, l'ambassadeur de France nous avait indiqué que la plupart d'entre eux étaient d'anciens responsables talibans qui pouvaient à tout moment rejoindre ce mouvement. Cela illustre toute la complexité de ce pays.

Mme Hélène Conway Mouret. - Lors du Sommet de l'OTAN de Lisbonne, les pays de l'OTAN se sont engagés à respecter le calendrier prévu dans le cadre du processus de transition, prévoyant un transfert progressif de responsabilités aux forces de sécurité afghanes, d'ici la fin de l'année 2014. Je m'interroge donc sur les modalités et les conséquences d'un éventuel retrait anticipé de nos troupes, tel qu'il a été évoqué par plusieurs responsables politiques.

M. Jean-Louis Carrère, président. - La décision d'un tel retrait anticipé serait en tout état de cause délicate à assumer à l'égard de nos alliés au sein de l'OTAN.

Le processus de transition repose, en effet, sur un transfert progressif de responsabilités aux forces de sécurité afghanes.

M. Jacques Gautier. - Il me semble que ces déclarations ont été faites un peu rapidement et pour répondre à l'émotion légitime suscitée dans l'opinion publique française par l'assassinat de nos militaires par un soldat afghan.

Le Président de la République a chargé le ministre de la défense et le chef d'état-major des armées de se rendre sur place afin de prendre des mesures pour renforcer la protection et la sécurité de nos militaires et je pense qu'il faut attendre leurs conclusions.

Un retrait anticipé de nos militaires serait très mal perçu par nos alliés au sein de l'OTAN et risquerait de remettre en cause la stratégie d'ensemble de l'OTAN, puisque la province de la Kapisa, en particulier le poste de Tagab, constitue un verrou stratégique entre Kaboul et le Pakistan.

De plus, un tel retrait anticipé paraît difficile à mettre en oeuvre dans des délais rapides, car il faut tenir compte des délais importants pour le rapatriement, non seulement de nos soldats, mais aussi de leur matériel et de leur équipement. Je pense notamment aux véhicules blindés.

M. Jean-Pierre Chevènement. - Le Président de la République a évoqué un retrait anticipé de nos troupes d'Afghanistan.

Je voudrais rappeler que la France est engagée en Afghanistan dans une mécanique dont nous ne maîtrisons pas les ressorts puisqu'elle est pilotée directement par les Etats-Unis par le biais de l'OTAN, qui est une organisation où la France ne joue qu'un rôle réduit.

Actuellement, le processus de transition et le transfert progressif aux forces de sécurité afghanes sous la responsabilité du gouvernement afghan se télescope avec le processus de réconciliation, lancé par le président afghan Hamid Karzai, qui vise à renouer avec les talibans, qui viennent d'ailleurs d'ouvrir un bureau de représentation au Qatar.

Je n'ai pour ma part jamais été favorable à une intervention militaire occidentale au sol sur le territoire afghan, avec des objectifs aussi vastes que la démocratie, les droits de l'homme ou encore la place des femmes. Le seul objectif que l'on pouvait se donner était une intervention pour séparer Al Qaida et les Talibans. L'histoire nous apprend que nous n'avons rien à gagner d'une présence militaire en Afghanistan.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Le Président afghan Hamid Karzai doit se rendre prochainement en France pour s'entretenir avec le Président de la République et signer le traité d'amitié et de coopération franco-afghan, ce qui permettra peut-être de renforcer l'influence de la France.

M. Alain Néri. - Je m'interroge sur le traité d'amitié et de coopération franco-afghan. A la suite de la mort de nos soldats, cet accord sera-t-il modifié, voire remis en cause ?

Les difficultés rencontrées par l'armée française en matière de formation des soldats afghans me rappellent les difficultés que nous avons rencontrées en Algérie, à propos de la formation des supplétifs algériens.

Lors d'une guerre insurrectionnelle, on est souvent confronté à ce type de difficultés, car les insurgés n'hésitent pas à essayer d'infiltrer les troupes régulières.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Ce traité d'amitié et de coopération franco-afghan engage notre pays pour une période de vingt ans, avec une clause de révision tous les cinq ans.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je me suis également rendue en Afghanistan en 2004 et j'avais eu l'occasion de m'entretenir avec des femmes afghanes et des représentants d'organisations non gouvernementales actives dans le domaine de la protection des droits des femmes et des jeunes filles.

A l'époque, les troupes de l'OTAN, y compris les militaires français, étaient déjà considérées par de nombreux afghans comme des forces d'occupation, à l'image des troupes soviétiques.

Or, la réussite du processus de transition repose sur l'adhésion de la société civile afghane et je pense que les femmes ont un rôle important à jouer dans ce domaine.

Les organisations non gouvernementales mènent des actions dans ce domaine, mais, en raison des faibles moyens dont elles disposent, ces actions se résument souvent à du saupoudrage.

J'ai ainsi pu constater que, malgré toutes les déclarations, de nombreuses jeunes filles afghanes ne vont pas à l'école.

M. Jeanny Lorgeoux - L'état-major des armées a-t-il déjà établi une planification opérationnelle d'un éventuel retrait anticipé de nos troupes ?

M. Jean-Louis Carrère, président. - Je crois qu'il faut être très prudent à ce sujet car il serait hasardeux d'annoncer à l'avance un calendrier ou une date. Cela pourrait d'ailleurs mettre en danger les militaires français qui sont encore sur place.

Mme Nathalie Goulet. - L'Afghanistan a été un sujet largement évoqué lors du Forum transatlantique de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, qui s'est tenu en décembre à Washington.

Le sentiment général qui se dégage est la grande complexité de ce dossier et l'incertitude qui demeure au sujet du processus de transition, dont on a du mal à voir les progrès. Les fonds destinés au développement et à la reconstruction sont souvent mal utilisés. Tout le monde s'accorde sur la nécessité d'impliquer le Pakistan, mais personne ne sait réellement comment le faire.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Je partage votre sentiment concernant la place des femmes. Je pense aussi que si les forces de l'OTAN sont souvent perçues comme des troupes d'occupation par la population afghane, les militaires français sont peut être ceux qui font le plus d'efforts pour ne pas être perçus comme tels, ce qui n'est pas toujours le cas des autres nations.

Nos militaires réalisent un travail remarquable et connaissent des progrès remarquables sur le terrain. Je salue également le travail réalisé par notre ambassadeur et ses services dans ce pays.

Ma principale préoccupation porte sur la stratégie de l'OTAN pour l'Afghanistan, tant en ce qui concerne la situation actuelle que pour l'après 2014, notamment au sujet du développement économique et l'adhésion de la société civile afghane, et sur la place et l'influence de la France au sein de l'OTAN dans l'élaboration de cette stratégie, qui ne me paraît pas suffisamment forte, notamment par rapport aux Etats-Unis.

M. André Dulait. - Le Parlement sera-t-il appelé à se prononcer sur le traité d'amitié et de coopération franco-afghan ?

M. Jean-Louis Carrère, président. - Cet accord sera bien sûr soumis à une procédure de ratification et le Sénat sera donc appelé à se prononcer sur ce traité.

Forum transatlantique - Communication

Puis la commission entend une communication de M. Xavier Pintat et de Mme Nathalie Goulet, membres de la délégation à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN : compte rendu du forum transatlantique qui s'est tenu à Washington les 5 et 6 décembre 2011.

M. Xavier Pintat, membre de la délégation du Sénat à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. - Les 5 et 6 décembre derniers, nous nous sommes rendus, avec mes collègues Mme Nathalie Goulet et M. Didier Boulaud, à Washington, pour participer au Forum transatlantique.

Institué en 2001, afin de rapprocher les points de vue et éviter l'apparition de divergences ou d'incompréhensions dans les relations transatlantiques, le Forum transatlantique se tient chaque année, généralement en décembre, aux Etats-Unis.

Organisé par l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, en coopération avec le Conseil de l'Atlantique des Etats-Unis et la National Defense University, il permet aux parlementaires des pays membres de l'OTAN de débattre avec les parlementaires du Congrès et des représentants de l'administration des Etats-Unis, mais aussi avec des experts de think tanks américains, de toutes les questions concernant l'Alliance atlantique.

Ces rencontres constituent donc un moment privilégié pour confronter et rapprocher les points de vue des deux côtés de l'Atlantique.

Elles représentent aussi une importante source d'information sur la perception américaine, les débats au sein de la classe politique et parmi les experts, ainsi que sur les priorités de la politique étrangère des Etats-Unis à l'égard de l'OTAN et, plus généralement, sur les grands dossiers internationaux.

Lors du dernier Forum, qui s'est tenu à Washington, 22 pays membres de l'OTAN étaient représentés.

Outre la délégation du Sénat, la France était représentée par nos collègues députés MM. Loïc Bouvard, Jean-Michel Boucheron, Philippe Vitel, Michel Lefait et Jean-Luc Reitzer.

Après une présentation des priorités de la politique étrangère et de sécurité des Etats-Unis, par l'ambassadeur Alexander Vershbow, adjoint du secrétaire d'Etat américain à la défense, nous avons eu des échanges sur l'état et les perspectives des relations transatlantiques, lors d'une table ronde avec des experts américains de think tanks spécialisés sur ces questions.

Nous avons également entendu une intervention de la directrice générale de la Banque Mondiale, sur les liens entre sécurité et développement.

Plusieurs séances ont été ensuite organisées, avec des représentants de l'administration Obama et des experts américains, sur le « printemps arabe », les réponses de l'administration Obama et les enseignements pour l'Alliance atlantique de ces révolutions.

Nous avons aussi eu des échanges sur le dialogue stratégique avec la Russie, sur la transition en Afghanistan et les relations avec le Pakistan.

Enfin, nous avons conclu nos travaux par un débat sur la politique étrangère américaine, dans l'optique des prochaines élections présidentielles aux Etats-Unis.

Que faut-il retenir de ces échanges particulièrement denses ?

Pour ma part, je retiendrai essentiellement deux enseignements.

Premièrement, nous avons eu la confirmation, lors de ce Forum transatlantique, de la nette détermination des Etats-Unis, toutes tendances politiques confondues, de se désengager progressivement de l'Europe pour se concentrer davantage sur l'Asie.

Dans l'esprit de nos partenaires américains, il est clair que l'Europe n'apparaît plus aujourd'hui comme une priorité du point de vue de la sécurité, mais que leur principale préoccupation se porte désormais sur la montée en puissance de la Chine, qui apparaît désormais comme un rival potentiel et une menace, en particulier dans le Pacifique et en Asie.

Dans un contexte marqué par la forte réduction du budget de la défense aux Etats-Unis dans les dix prochaines années (on parle d'une réduction de l'ordre de 400 à 1000 milliards de dollars), pour enrayer le déficit abyssal du budget, et au regard de l'expérience des interventions en Irak et en Afghanistan, les Etats-Unis estiment qu'ils n'auront plus les moyens d'assumer seuls à l'avenir la sécurité de l'ensemble de leurs alliés.

Dans la lignée des discours de l'ancien secrétaire d'Etat à la défense Robert Gates, et de son successeur Leon Panetta, les Etats-Unis considèrent que les Européens doivent prendre davantage leurs responsabilités pour assurer leur propre sécurité et « partager le fardeau ».

Ils estiment que la sécurité de l'Europe et de son proche voisinage, notamment au sud de la Méditerranée, doit reposer principalement sur les Européens.

Cela ne signifie pas pour autant que les Etats-Unis vont abandonner du jour au lendemain leurs alliés européens, qui demeurent leurs plus proches alliés, et que la garantie de l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord sera moins effective à l'avenir.

Simplement, les Etats-Unis ne sont plus disposés aujourd'hui à assumer seuls le coût financier et humain de la sécurité de l'Europe.

C'est le sens du « leadership from behind » évoqué par le Président Barack Obama lors de l'intervention de l'OTAN en Libye, où, pour la première fois, les Etats-Unis sont restés en retrait d'une opération militaire de l'OTAN, tout en apportant un soutien indispensable aux pays participants.

Cette nouvelle attitude des Etats-Unis suscite de fortes inquiétudes chez la plupart de nos partenaires européens, en particulier des pays baltes ou d'Europe centrale et orientale, pour lesquels l'Alliance atlantique et les Etats-Unis restent la meilleure garantie de leur sécurité, notamment à l'égard de la Russie.

Elle constitue toutefois une réelle opportunité pour l'émergence, sinon d'une défense européenne, du moins d'un pôle européen au sein de l'Alliance atlantique, dont nous avons pu voir les prémices en Libye.

Lors du Forum transatlantique, je suis d'ailleurs intervenu pour plaider en ce sens auprès de mes collègues et défendre l'idée d'un rééquilibrage entre Européens et américains au sein de l'Alliance, en appelant les Européens à ne pas relâcher leur effort en matière de défense, mais à développer la coopération, sur le modèle de la coopération franco-britannique. J'ai aussi souligné tout l'intérêt de renforcer la politique de sécurité et de défense commune et les liens entre l'OTAN et l'Union européenne.

Toutefois, dans un contexte marqué par la forte diminution des budgets de la défense chez la plupart de nos partenaires européens, en raison de la crise économique et financière, d'une lassitude des opinions publiques et d'un refus de s'engager militairement, comme nous avons pu le voir en Allemagne, il n'est pas certain que les Européens soient aujourd'hui disposés à saisir cette opportunité et à consacrer davantage d'efforts pour assurer leur propre sécurité.

Concernant les relations entre l'OTAN et la Russie, de forts désaccords subsistent entre les Etats-Unis et la Russie sur le futur système de défense anti-missiles de l'OTAN de défense du territoire et des populations. Malgré le souhait de l'OTAN d'aboutir à une coopération étroite avec la Russie sur ce sujet, qui avait été exprimé lors du dernier Sommet de l'Alliance de Lisbonne, à l'initiative notamment de la France, peu de progrès semblent avoir été réalisés dans les discussions et les responsables américains ne semblent pas disposés à faire des compromis avec les Russes, en particulier au regard des dernières évolutions de la politique intérieure en Russie.

Le deuxième enseignement que je retire de nos discussions est que la question de l'attitude à adopter à l'égard de l'Iran fait actuellement l'objet de nombreux débats aux Etats-Unis.

Si les responsables américains demeurent fortement préoccupés par la menace que représente, à leurs yeux, le développement du programme nucléaire iranien, l'attitude à adopter à l'égard de l'Iran ne fait pas l'objet d'un accord mais suscite au contraire de nombreuses discussions parmi les experts, et même au sein de l'administration présidentielle.

La menace que représente le développement du programme nucléaire iranien, comme cela a été confirmé par le dernier rapport de l'AIEA, constitue une forte préoccupation aux Etats-Unis. Un responsable américain a comparé la situation actuelle avec la crise de Cuba à propos des missiles soviétiques.

La plupart des responsables ou des experts américains s'accordent à considérer qu'une éventuelle intervention militaire israélienne serait désastreuse, puisqu'elle ne parviendrait sans doute pas à détruire entièrement l'ensemble des installations et qu'elle ne réussirait donc pas à interrompre durablement le développement de ce programme.

Il est aussi évident qu'une telle intervention consoliderait le pouvoir en place, qu'elle renforcerait les extrémistes et qu'elle provoquerait des répercussions dans toute la région, notamment au Liban ou dans le Golfe.

Toutefois, on trouve aussi, notamment dans le camp républicain, d'ardents partisans d'une intervention militaire préventive.

Dans le même temps, tout le monde s'accorde à reconnaître que la politique d'ouverture vis-à-vis de l'Iran, qui a été tentée par Barack Obama au début de son mandat, ne s'est pas traduite par des avancées.

Entre ces deux extrêmes, on trouve toute une panoplie d'opinions concernant l'attitude à adopter à l'égard de l'Iran.

Certains prônent un renforcement des sanctions, notamment à l'égard des hydrocarbures, comme le propose la France

D'autres souhaitent adopter une attitude plus conciliante, en s'en tenant aux sanctions actuelles, voire même en pratiquant une politique de « main tendue », ce qui pourrait aussi apporter des avantages par exemple dans le cadre de la transition en Afghanistan.

En définitive, si les responsables américains s'accordent sur l'idée que le développement du programme nucléaire iranien représente une grave menace pour la sécurité internationale, ils ne sont pas d'accord entre eux sur la réponse à apporter à cette menace et sur l'attitude à adopter à l'égard de l'Iran.

Voilà les quelques enseignements que je retire de ce Forum, mais mes collègues auront certainement d'autres éléments à ajouter.

Mme Nathalie Goulet, membre de la délégation du Sénat à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. - Je ferai pour ma part quelques observations.

Première remarque, les discussions lors de ce Forum transatlantique ont été particulièrement denses, même si la qualité des intervenants est très variable. Je me rappelle qu'il y a deux ans nous avions entendu une intervention très intéressante de Mme Madeleine Albright. Toutefois, on assiste aussi souvent à des interventions d'experts américains qui se contentent généralement de relayer les positions des autorités américaines. Au sein des parlementaires des pays de l'OTAN qui prennent part au forum, on trouve aussi un clivage entre les « atlantistes » et ceux qui se montrent plus réservés à l'égard des positions des Etats-Unis. Les membres de la délégation française se retrouvent généralement parmi le deuxième groupe.

Deuxième observation, que l'on retrouve à chaque forum transatlantique : le soutien inconditionnel des Etats-Unis à la politique israélienne. Qu'il s'agisse de l'attitude à adopter à l'égard du « printemps arabe », de l'Iran ou des autres dossiers internationaux, le soutien inconditionnel à la politique israélienne fait partie des constantes de la diplomatie américaine. En revanche, le processus de paix israélo-palestinien ne figure jamais à l'ordre du jour de ces réunions et lorsque l'on évoque ce sujet, ainsi que le rôle que pourrait jouer les Etats-Unis dans ce processus, on ne trouve aucune réponse.

Troisième observation : tout comme pour nous, le « printemps arabe » a été une véritable surprise pour les Etats-Unis. La diplomatie américaine n'avait pas anticipé ces révolutions, ce qui est plutôt rassurant pour notre diplomatie, même si traditionnellement les diplomates américains sont davantage protégés et moins bien insérés au sein des sociétés civiles dans les pays du Maghreb ou du Moyen Orient que les diplomates français en raison du risque plus élevé d'attentats terroristes.

Enfin, ma dernière remarque porte sur l'intervention du professeur américain M. Robert S. Litwak, vice-président des programmes et directeur des études de sécurité internationale au centre international Woodrow Wilson sur les défis posés par le programme nucléaire iranien. Cette intervention passionnante a été une véritable surprise pour moi et pour tous les participants à ce forum. Pour la première fois, un universitaire américain, spécialiste reconnu de ce sujet, n'a pas relayé le discours habituel et manichéen de l'administration américaine sur les dangers du programme nucléaire iranien, mais cet universitaire a développé une analyse approfondie sur les risques majeurs d'une intervention militaire et le caractère contre-productif et inefficace d'un renforcement des sanctions visant ce pays, qui risquent de peser lourdement sur les conditions de vie des populations civiles et de renforcer le nationalisme et le gouvernement en place. Plus généralement, il s'est livré à une analyse très éclairante sur l'évolution du vocabulaire utilisé par l'administration américaine, de l'Etat voyou à l'Etat paria, et sur le délicat équilibre à trouver entre la défense de nos intérêts et la défense de nos valeurs dans l'attitude à adopter à l'égard du « printemps arabe », puisque si nos valeurs nous poussent à soutenir la démocratie, la montée en puissance des courants islamistes, souvent victorieux des élections, ne correspondent pas toujours à nos intérêts.

M. Didier Boulaud, membre de la délégation du Sénat à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. - L'intervention de M. Robert S. Litwak nous a effectivement beaucoup surpris. Celui-ci nous a notamment expliqué les raisons pour lesquelles les Etats-Unis devraient empêcher Israël d'intervenir militairement en Iran pour retarder le programme nucléaire militaire de ce pays. D'après lui, une telle option serait désastreuse pour Israël et les pays de la région, mais aussi pour les Etats-Unis car toute action unilatérale d'Israël serait perçue en Iran comme une déclaration de guerre de la part des Etats-Unis.

M. Jean-Pierre Chevènement. - Il me semble qu'il serait utile d'organiser prochainement une réunion de la commission consacrée à l'attitude à adopter à l'égard de l'Iran. Je ne suis pas persuadé, en effet, que le renforcement des sanctions décidé par l'Union européenne, et notamment l'embargo sur le pétrole en provenance d'Iran, soit réellement de nature à modifier l'attitude des dirigeants de ce pays. Par ailleurs cette politique risque d'avoir des répercussions dans toute la région. Plus généralement, cette attitude ne va-t-elle pas pousser l'Iran à se rapprocher encore plus de la Chine, qui est très désireuse de renforcer son accès aux importantes ressources en hydrocarbures dont dispose l'Iran ?

Mme Nathalie Goulet. - Il me semble que nous devrions entendre le nouvel ambassadeur d'Iran en France.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Je vous rappelle qu'un débat de politique étrangère sera organisé au Sénat avec le ministre des affaires étrangères et que naturellement cette question pourra être évoquée à cette occasion. Je pense toutefois que l'importance du dossier du nucléaire iranien mériterait effectivement une réunion de la commission consacrée spécifiquement à ce thème.

Par ailleurs, je voudrais vous dire que lors de notre récent déplacement à Berlin et de notre rencontre avec des députés allemands du Bundestag, avec nos collègues MM. Christian Cambon et Jean-Marie Bockel, nous avons eu le sentiment qu'il existait outre-Rhin une réelle volonté de renforcer la politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne. Il a certes été nécessaire de dissiper quelques malentendus, notamment au sujet de l'intervention en Libye ou des accords franco-britanniques en matière de défense, mais nous avons eu la confirmation que nos amis allemands voulaient réellement avancer sur la défense européenne et renforcer la coopération bilatérale franco-allemande en matière de défense.

M. René Beaumont. - Je suis naturellement heureux de constater que nos amis allemands veulent avancer sur les questions de défense. J'attache, en effet, beaucoup d'importance au renforcement des liens avec l'Allemagne. Je rappelle toutefois qu'en Allemagne, le budget de la défense représente une faible part de la richesse nationale et qu'il est en constante diminution. Par ailleurs, il existe un profond sentiment pacifiste au sein de la société, ce qui explique notamment le refus de l'Allemagne de participer à l'intervention militaire en Libye.

Je suis donc un peu plus pessimiste que vous.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Nous aurons l'occasion prochainement de débattre de ce sujet lorsque je vous présenterai le compte rendu de notre déplacement à Berlin.

Commémoration de tous les morts pour la France le 11 novembre - Désignation des candidats à une éventuelle commission mixte paritaire

MM. Jean-Louis Carrère, Alain Néri, Jeanny Lorgeoux, Marcel-Pierre Cléach, André Trillard, Christian Namy et Mme Michelle Demessine sont désignés comme membres titulaires et MM. Bernard Piras, Jacques Berthou, Mme Leïla Aïchi, MM. Pierre Charon, Christian Cambon, Philippe Paul et Robert Tropeano sont désignés comme membres suppléants pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.

- Co-présidence de M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères et de la défense, et de M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes -

Priorités de la présidence danoise de l'Union européenne - Audition de Mme Anne Dorte Riggelsen, ambassadeur du Danemark

Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission auditionne, conjointement avec la commission des affaires européennes, Mme Anne Dorte Riggelsen, ambassadeur du Danemark, sur les priorités de la présidence danoise de l'Union européenne.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères et de la défense - Madame l'ambassadeur, avec le président de la commission des affaires européennes, Simon Sutour, et l'ensemble de nos collègues, je suis très heureux de vous accueillir au Palais du Luxembourg pour cette réunion commune de la commission des affaires étrangères et de la défense et la commission des affaires européennes du Sénat, consacrée aux priorités de la présidence danoise de l'Union européenne.

Nos deux commissions ont en effet pour tradition d'entendre, chaque semestre, l'ambassadeur du pays exerçant la présidence du Conseil de l'Union européenne. Ce type de réunion permet aussi aux sénateurs des deux commissions de mieux connaître la situation du pays concerné et de faire le point sur les relations bilatérales.

Ce n'est pas la première fois que le Royaume du Danemark assure la présidence semestrielle du Conseil de l'Union européenne. Tout le monde se souvient que c'est sous la présidence de votre pays, en 1993, que le Conseil européen de Copenhague a lancé le processus d'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale, qui s'est achevé en 2002, à nouveau sous présidence danoise, à Copenhague.

Depuis son adhésion à l'Union européenne, en 1973, le Danemark apparaît comme un modèle de réussite économique, avec notamment la fameuse « flexisécurité » qui allie souplesse du marché du travail et système efficace d'insertion et de formation des demandeurs d'emplois.

Votre pays mène également une diplomatie active, en particulier dans le domaine de l'aide au développement et de la lutte contre le réchauffement climatique.

Membre de l'OTAN, le Danemark s'est impliqué militairement dès le début des opérations en Libye (avec six avions de chasse) et apporte une contribution significative à l'intervention en Afghanistan (750 personnels au sein de la FIAS). Votre pays a envoyé une centaine de militaires en soutien de la FINUL au Liban et contribue à la mission Eulex au Kosovo.

Enfin, les relations bilatérales entre nos deux pays paraissent excellentes, notamment sur les plans économiques et culturels. Une coopération militaire a même été engagée, dans les Balkans et, plus récemment, en Afrique.

Alors que l'actualité européenne est dominée par la question de la crise de la dette et de la réforme de la gouvernance économique dans la zone euro, la présidence danoise s'annonce toutefois comme un exercice difficile.

Je rappelle, en effet, que, depuis le premier « non » danois lors du référendum sur le traité de Maastricht, le Danemark bénéficie de quatre dérogations au sein de l'Union européenne. Votre pays ne participe ni à l'euro, ni à la politique de sécurité et de défense commune, ni à la politique en matière de justice et d'affaires intérieures ni à la citoyenneté européenne.

Dans ce contexte, nous souhaiterions vous entendre, Madame l'ambassadeur, sur les priorités fixées par le nouveau gouvernement de centre-gauche, qui a remporté les dernières élections législatives du 15 septembre.

Alors qu'il n'est pas membre de la zone euro, comme c'était d'ailleurs déjà le cas de la Pologne, comment votre pays entend contribuer à la gestion de la crise de la dette et à la réforme de la gouvernance économique de la zone euro ?

La nomination d'un ministre des affaires européennes, l'abandon des mesures de contrôle permanent aux frontières intérieures, mises en place par le précédent gouvernement, ainsi que l'annonce d'un référendum, à une date encore indéterminée, sur la remise en cause des dérogations sur la politique de sécurité et de défense commune, ainsi que sur les questions relatives à la justice et aux affaires intérieures, semblent témoigner de l'orientation pro-européenne de votre gouvernement.

Toutefois, selon un récent sondage, seulement 35 % des danois auraient une bonne image de l'Union européenne et 70 % voteraient non à une adhésion à l'euro.

Nous sommes donc très intéressés de vous entendre, Madame l'ambassadeur, sur les priorités de la présidence danoise de l'Union européenne.

Votre pays, qui dispose de nombreux ponts permettant de relier les îles et la péninsule, parviendra-t-il à bâtir de nouveaux ponts en Europe, par exemple entre les pays de la zone euro et les autres ?

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes - Madame l'ambassadeur, à mon tour, je voudrais vous dire tout le plaisir que nous avons à poursuivre, avec vous, la tradition suivant laquelle, au début d'une présidence, l'ambassadeur vient présenter les grandes priorités que son pays entend poursuivre.

La présidence de l'Union reste une responsabilité importante. Depuis le traité de Lisbonne, le Conseil européen, l'Eurogroupe et le Conseil « affaires étrangères » ont une présidence permanente, mais toutes les autres réunions du Conseil restent sous la responsabilité du pays exerçant la présidence. Cela reste beaucoup.

Or, votre pays prend la présidence de l'Union dans une période très difficile pour l'Europe. La croissance est faible, la crise de la dette est encore là, le chômage est élevé.

Il nous faudrait donc parvenir à conjuguer l'assainissement budgétaire et la stimulation de la croissance. Cela me conduit à vous demander, Madame l'ambassadeur, quelles voies la présidence danoise compte privilégier pour donner plus de dynamisme à l'économie européenne.

La deuxième question que je souhaiterais vous poser concerne les rapports entre l'Union à vingt-sept et la zone euro. Nous sommes dans une situation compliquée. D'un côté, il est clair que la zone euro a ses besoins propres. Quand on partage une même monnaie - nous le voyons bien en ce moment -, on a besoin d'une coordination très étroite des politiques économiques et budgétaires. En même temps, et c'est tout à fait légitime, les Etats qui ne font pas partie de la zone euro sont préoccupés par cette situation. Ils ne veulent pas qu'il y ait en quelque sorte « deux Europe ». Je voudrais savoir, Madame l'ambassadeur, si votre pays pense pouvoir rapprocher les points de vue et trouver un équilibre.

Enfin, dernière question, j'ai découvert que votre pays était hostile à une taxe sur les transactions financières, ou du moins très réservé. Est-ce que vous pouvez nous dire pourquoi, car en France le principe de cette taxe est largement approuvé.

Madame l'ambassadeur, je vous donne la parole

Mme Anne Dorte Riggelsen, ambassadeur du Danemark - Monsieur le président de la commission des affaires européennes, Monsieur le président de la commission des affaires étrangères, Mesdames, Messieurs les sénateurs.

C'est pour moi un grand honneur d'être ici parmi vous. S'il fallait situer le pouvoir au Danemark - pays éternellement consensuel - c'est bien au Parlement, le « Folketing ». Surtout quand il s'agit des questions européennes où le Folketing, par sa Commission des affaires européennes, contrôle le Gouvernement de très très près ! Montesquieu aurait pu se sentir chez lui au Danemark. Ceci n'est pas la seule raison pour laquelle un Français s'y sentirait à l'aise tant nous avons de points en commun, surtout en ce qui concerne la construction européenne.

Dès 1789, l'Etat et les citoyens marchaient d'un même pas en Europe. Les parlements modernes sont nés de la Révolution française. Ainsi, la France est devenue un modèle universel, notamment pour le Danemark.

Que les Danois et les Français veillent précieusement sur leurs institutions démocratiques ne surprendra personne.

Pourtant, comme les Français, les Danois sont critiques vis-à-vis des institutions qu'ils ont créées avec fierté, y compris vis-à-vis des institutions européennes. Le scepticisme à l'égard de l'Europe en France et au Danemark ne signifie pas un rejet mais un engagement démocratique fort.

Nous nous ressemblons non seulement sur le plan des idées et de notre histoire, mais aussi sur le plan de nos choix de société. L'Etat providence en est un exemple.

Certes, il y a des différences.

La France est un grand pays à l'origine et au coeur de la construction européenne. Le Danemark est apparemment un petit pays qui, en plus, doit gérer des dérogations voulues par son peuple. Ou, vu d'un autre angle, une France soucieuse de protection face à la mondialisation et un Danemark davantage ouvert.

Ce qui nous sépare ne me fait pas peur, surtout pas sous notre présidence. C'est avec des arguments différents, même opposés, gérés avec la bonne méthode, que l'Europe trouvera les bonnes solutions. Je pense bien sûr à la méthode communautaire. Il est essentiel de préserver l'idée que l'Union européenne est un club où tous les pays membres ont les mêmes droits et les mêmes obligations. Je ne vois pas de risque d'un directoire à deux ou trois pays- construction qui fait penser à notre histoire lointaine -, mais je vois le risque, vous avez raison, d'une Europe à deux vitesses. Sous sa présidence, le Danemark oeuvrera pour éviter cela.

Bien sûr, nous sommes différents, mais la réponse n'est pas d'affaiblir l'Union européenne en renationalisant notre projet supranational qui a la coopération franco-allemande comme moteur le plus important. C'est souvent le moteur franco-allemand qui fait tourner les roues, mais c'est le respect des institutions qui met de l'huile dans le moteur.

Ceci n'est pas notre première présidence mais la 7ème. Le Danemark est aussi en quelque sorte la « vieille Europe ». Néanmoins, la présidence danoise est cette fois unique à un double titre. Premièrement, le traité de Lisbonne a changé la donne de la présidence tournante au niveau institutionnel. Deuxièmement, la crise actuelle pose la question de l'existence de l'Union européenne telle que nous la connaissons.

Comment la présidence danoise se situe dans ce contexte très particulier ? Il me semble que les thèmes traditionnellement chers au Danemark, comme la croissance responsable, des finances publiques saines ou le développement durable, prennent un relief tout particulier dans le débat actuel.

Notre premier objectif est que l'Europe soit économiquement responsable. Notre présidence est la première à mettre en oeuvre le semestre européen. Elle va veiller à la mise en oeuvre du « Six Pack ». Veiller aussi à se coordonner étroitement avec l'Eurogroupe pour assurer l'adoption du « Two Pack ». Pour votre information, le Gouvernement danois vient d'annoncer son souhait d'adhérer au nouveau pacte budgétaire, qui fera l'objet d'un accord le 30 janvier prochain, nous l'espérons.

Notre deuxième objectif porte sur la croissance et la création d'emploi. La présidence danoise mettra tout en oeuvre pour faire aboutir autant d'initiatives que possible parmi les douze initiatives phares de la Commission visant à moderniser le marché unique. Le marché unique est la réussite de ces vingt dernières années. Je crois que la France et le Danemark peuvent se retrouver sans difficulté sur cet objectif de renforcement. Permettez-moi de rendre hommage à M. le Président Jacques Delors. Sous sa présidence, la méthode communautaire a fonctionné à merveille. Même en temps de crise, il a su créer les conditions d'une relance de la croissance et de l'emploi.

Dans la même logique, nous faisons de la croissance verte notre troisième objectif. Une économie propre sera source de croissance et de compétitivité accrue. Un exemple concret est l'adoption d'une politique d'efficacité énergétique.

Enfin, j'aborderai notre quatrième objectif - la sécurité intérieure et extérieure de l'Europe. Les printemps arabes illustrent à quel point l'Europe ne peut pas s'ériger en forteresse et doit combiner fermeté et ouverture.

Permettez-moi de citer mon Premier ministre, Mme Thorning-Schmidt, qui, dans un discours au Parlement Européen, à Strasbourg le 18 janvier dernier, a dit : « si nous devenons introspectifs, nous deviendrons aveugles » ! En temps de crise, il est plus que jamais important que l'Union Européenne voie clair.

M. Jean Bizet - Permettez-moi tout d'abord de vous féliciter pour la qualité de votre français. J'aurais ensuite deux questions. Tout d'abord, le Danemark, qui est peut-être relativement plus ouvert à la mondialisation que la France, mène une expérience particulièrement intéressante en matière de contrôle, par le Parlement danois, des mandats de négociations des commissaires européens en charge du commerce extérieur. Pouvez-vous nous en dire plus ? D'autre part, j'avoue ne pas partager entièrement votre analyse sur le risque d'une Europe à deux vitesses ; il me semble que puisque les vingt-sept Etats membres ne peuvent pas toujours marcher d'un même pas, nous risquerions la paralysie sans les coopérations renforcées instaurées par le Traité de Lisbonne, qui permettent aux Etats membres qui le souhaitent d'aller de l'avant, par cercles concentriques, ce qui ne signifie pas, à mon sens, une Europe à plusieurs vitesses.

M. Didier Boulaud - J'aimerais vous interroger plus particulièrement sur les priorités de la présidence danoise de l'Union européenne en matière d'Europe de la défense. En effet, le Danemark a obtenu une dérogation en matière de défense ; dans ces circonstances, comment la présidence danoise pourra-t-elle faire avancer une construction qui peine déjà à se consolider lorsqu'elle est, comme c'était le cas sous présidence polonaise, une priorité forte de la présidence ?

M. François Marc - J'apprécie, Madame, votre clarté et votre détermination. J'ai trois questions. Tout d'abord, en matière de régulation financière, il semble qu'un accord se dégage sur les produits dérivés, alors que, jusqu'à présent, les Britanniques y étaient hostiles, les deux-tiers de ces produits étant traités à Londres. L'accord conclu aujourd'hui sur ce sujet vous paraît-il pérenne ? Quelle sera l'attitude du Danemark par rapport au Royaume-Uni sur la question ?

Deuxièmement, la réforme de la politique commune de la pêche, et en particulier la régionalisation envisagée de certaines décisions, pour adapter la réglementation européenne aux réalités locales, suscite de nombreuses inquiétudes. Quelle est votre position ?

Enfin, il semble que le comportement de la Banque centrale européenne évolue dans le sens d'un plus grand apport de liquidités pour permettre à l'économie européenne de respirer. Quel doit-être à votre sens son positionnement ? Doit-on se rapprocher du modèle américain ?

M. Joël Guerriau - Quelle est votre position en matière de taxation des transactions financières ? D'ailleurs, l'Europe est confrontée dans l'économie mondialisée à la première puissance commerciale du monde, la Chine, qui ne redistribue pas de revenus à ses salariés et place, de ce fait, l'Union européenne en difficulté en termes de compétitivité. Si le respect des droits de l'homme avait été imposé à la Chine au moment des événements de Tian'anmen, la situation ne serait sans doute pas aussi difficile aujourd'hui. Quelle est votre approche en la matière ?

M. Alain Gournac - Je voudrais vous remercier de vous exprimer dans un aussi bon français. Il me semble que nos démocraties sont fragiles et qu'une trop grande divergence en Europe, dans des domaines tels que la lutte contre la criminalité et le terrorisme, serait préjudiciable. Comment voyez-vous cette évolution ?

Mme Anne Dorte Riggelsen, ambassadeur du Danemark - La commission des affaires européennes du Parlement danois, le Folketing, exerce très directement son contrôle sur les négociations européennes, y compris en matière de commerce extérieur. Pour chaque question, qu'elle soit d'ordre général ou très précise, cette commission établit préalablement s'il existe ou non en son sein une majorité contre. Afin de peser dans les négociations avec toute l'habileté nécessaire, cela implique que la commission se saisisse très tôt des dossiers communautaires. Avant chaque réunion du Conseil des ministres européens, le Folketing donne des mandats de négociations très précis et détaillés aux membres du gouvernement danois. En matière de commerce extérieur, cela amène le représentant danois à communiquer très en avance ses positions à la Commission européenne. C'est en quelque sorte un « soft power », qui s'exerce, en amont des décisions. Ce système peut paraître un peu rigide, mais il a l'avantage de faciliter, par la suite, la transposition en droit interne des textes communautaires : le Danemark est d'ailleurs souvent dans les trois premiers Etats membres en matière de statistiques de transposition.

Les coopérations renforcées sont un outil nécessaire dans une Europe à vingt-sept états membres, apprécié par le Danemark. D'ailleurs, la présidence danoise souhaite travailler activement sur la coopération renforcée en matière de brevet communautaire, règlementation en attente depuis 27 ans.

En matière de défense, je rappelle que le Danemark était engagé en Libye aux côtés de la coalition. Si notre pays préfère naturellement la démocratie d'influence (soft power), il sait aussi utiliser la force quand cela s'avère nécessaire, de préférence sous mandat des Nations unies. Il est vrai qu'en raison de sa dérogation en matière de défense, le Danemark n'exercera pas effectivement la présidence sur ces sujets, s'en remettant sur ces points à la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Cela ne veut pas dire que la défense sera absente des priorités de la présidence danoise de l'Union européenne.

Le gouvernement danois actuel, de centre gauche, a l'ambition de consulter la population pour mettre fin à certaines dérogations danoises, en particulier en matière de défense ; il peut sembler en effet anormal d'avoir des ambitions globales mais, pour des raisons historiques, de telles restrictions en matière européenne.

Pour répondre à M. François Marc, qui s'interrogeait notamment sur l'ambition du Danemark pour la Banque centrale européenne, j'indiquerai que le Danemark, quoique disposant d'une dérogation à l'égard de la monnaie unique, est très actif au conseil ECOFIN et a intérêt à ce que l'économie de l'Union européenne fonctionne correctement. En Europe, il ne faut peut-être pas appliquer les leçons de Keynes, mais cela ne veut pas dire qu'il faut s'interdire d'envisager tout développement dans le fonctionnement de la Banque centrale européenne : il ne faut pas être trop monétariste au niveau européen, mais il faut être sage au niveau national.

A M. Guerriau, je ferai observer que le Danemark, économie ouverte et mondialisée, n'a pas de résistance de principe à l'égard de la taxe Tobin, qu'il a toujours défendue à l'échelle mondiale. La France a travaillé dur pour faire progresser ce sujet au sein du G 20. Je peux seulement préciser que le Danemark, non pas comme pays assumant aujourd'hui la présidence du Conseil de l'Union européenne mais à titre national, éprouve la crainte que cette taxe, si elle était seulement appliquée au niveau européen, fasse perdre de la vitesse à l'Union européenne par rapport au reste du monde. Un groupe de travail a été constitué au Danemark pour préparer si nécessaire cette décision en Europe avant que la taxe soit établie au niveau mondial.

En matière de compétitivité et d'emploi, je peux dire que le Danemark est un pays heureux, mais la crise a frappé : le chômage touche 6 à 7 % de la population, ce qui est beaucoup pour le Danemark. Il est donc essentiel de développer notre capacité d'innover, surtout au niveau des PME qui sont plus adaptables. Il est délicat de repérer les secteurs qui vont permettre la croissance de demain. D'un point de vue pragmatique, le secteur « vert » semble offrir de grandes potentialités de développement et des perspectives d'emplois intéressants : c'est pourquoi le Danemark se positionne pour être l'un des premiers dans ce secteur et consent des efforts importants d'éducation et de formation pour les chômeurs.

Au sujet de la pêche, je ne suis pas en mesure de vous répondre immédiatement mais je vous apporterai l'information plus tard.

En réponse à M. Gournac, je souligne qu'effectivement les démocraties sont fragiles et qu'elles l'ont toujours été, mais nous avons oublié leur fragilité. Depuis la Seconde Guerre mondiale, nous avons fait fonctionner nos démocraties avec de l'argent que nous n'avions pas. Nous devons maintenant les faire fonctionner avec une grande prudence financière : nous n'avons pas le choix ! Tout le monde voudrait être français, danois, européen : c'est aussi pour nous une autre manière d'être compétitifs. Les autres sont jaloux !

M. André Gattolin. - C'est un plaisir d'entendre votre attachement à la méthode communautaire. Le Danemark est une grande démocratie, responsable, fière et vivace. J'aurais souhaité évoquer la négociation en cours sur le projet de traité. Votre gouvernement a souhaité se tenir en retrait de cette négociation et valoriser le président du Conseil européen, M. Herman Von Rompuy, ce que je comprends vu votre situation au regard de l'euro. Pourtant, ce traité est d'inspiration monétariste : est-ce donc raisonnable de se tenir en retrait ? Je voudrais également connaître votre position par rapport à la situation politique et institutionnelle en Hongrie. Enfin, pourriez-vous évoquer le sujet des couples mixtes que la législation mise en place sous le précédent gouvernement obligeait à faire un va-et-vient avec la Suède ?

Mme Hélène Conway Mouret. - Vous avez évoqué dans votre projet de présidence l'ambition d'une « Europe responsable, dynamique, verte et sûre ». Pourriez-vous revenir sur cette dimension « verte » que vous avez déjà abordée et sur l'enjeu de développement par rapport au reste du monde ?

M. Michel Boutant - Merci pour vos réponses simples et sincères. J'ai relevé dans votre bouche l'adjectif « protestant », évoquant sans doute la rigueur intellectuelle du Nord. Or, les pays du Sud sont à la peine, quand les pays du Nord sont frappés par un chômage en hausse mais encore faible. Les Danois ont-ils une vision sévère des pays du Sud et sont-ils convaincus que les pays du Nord sont sur le bon chemin ?

M. Robert del Picchia - Vous êtes entendue aujourd'hui pour défendre la position de votre pays en tant que chargé de la présidence du Conseil de l'Union européenne. Cela soulève-t-il pour vous des difficultés par rapport aux positions internes de votre pays et, si oui, dans quels domaines ? Par ailleurs, en ma qualité de représentant des Français de l'étranger, notamment ceux habitant au Danemark, je dois avouer mon amour pour le Danemark mais aussi mon regret par rapport à la fiscalité « débordante » du Danemark. Le cas du retour en France des actifs ayant travaillé au Danemark me préoccupe : ces retraités payent deux fois, leur pension étant frappée par la fiscalité au Danemark et en France.

M. Jean Besson - L'Union européenne est présente en Arctique. Cette terre a un avenir fantastique, à la fois en raison des enjeux climatiques et de ses ressources piscicoles, pétrolières, voire gazières. Nous avons reçu, hier, la présidente de la commission des affaires étrangères du Parlement norvégien. L'espèce d'accord tacite entre la Norvège et la Russie dans cette région du monde est troublant. Quelle est la position du Danemark et de l'Union européenne sur ce point ?

Mme Anne Dorte Riggelsen, ambassadeur du Danemark - En réponse à M. Gattolin, qui évoquait la négociation du traité, je dirais que, même avec la méthode communautaire, on ne peut pas résoudre tous les problèmes. Même si j'ai ouvert le bal en évoquant Keynes, je ne peux pas qualifier ce traité de « monétariste ». Ce traité apporte une des réponses à nos difficultés actuelles. Nous sommes tous d'accord pour convenir que nous sommes trop endettés et pour une longue période. Je crois que la France est sur cette mauvaise pente depuis 1974. Mais il est plus intéressant de trouver des solutions plutôt que de rechercher quel est le plus pêcheur d'entre nous. Il est très difficile pour nous autres, Etats-nations, de trouver chaque année la force d'être sur la bonne voie. Nous avons besoin de régimes de sanctions communs. Le traité est une manière, peut-être protestante, d'être solidaires dans ce qui est difficile. Le Danemark assume sa dérogation à l'égard de l'euro, qui est le fruit d'une histoire, mais il n'ignore pas qu'être endetté, c'est être faible dans ce monde très mondialisé. Pour ce qui est de la Hongrie, je peux simplement vous dire que la présidence espère que les institutions joueront leur rôle. C'est à elles de décider s'il est opportun de sanctionner la Hongrie, par exemple en la privant des fonds de cohésion. Quant aux couples mixtes, je rappellerai que le Danemark est un pays ouvert et chaleureux mais c'est un pays ancien avec une histoire, comme nation, plus longue que celle de la France. Pour le Danemark, la mondialisation n'est donc pas évidente : il faut comprendre qui est l'autre. Chez nous, l'intégration des étrangers se fait sur le marché du travail qui permet d'apprendre ce que signifie être danois. Cela devient problématique lorsque ces personnes mettent longtemps à trouver un travail.

A Mme Conway Mouret, je confirme l'ambition danoise pour une croissance verte. Une grande partie du marché intérieur n'est pas développée au niveau technique dans ce secteur : la construction de nouveaux bâtiments, l'isolation des bâtiments existants, l'usage du compost... Nous espérons une action au niveau du G 20, désormais sous présidence mexicaine, pour avoir des solutions mondiales. Il faudra notamment se pencher sur les changements dramatiques que connaît la zone arctique. Nous devons encore continuer à travailler pour mandater la Commission, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France afin de faire une vraie différence sur la question climatique.

Pour revenir sur l'usage du mot « protestant », je dois reconnaître que le Danemark est un pays si laïc qu'il m'arrive de recourir à ce mot avec légèreté, alors même qu'il n'existe pour moi aucun stéréotype protestant. Il n'y a pas, pour le Danemark, souvent désigné comme l'Italie de la Scandinavie, de différences entre le Nord et le Sud, l'Est et l'Ouest. Simplement, il est parfois plus facile de comprendre quelqu'un qui partage la même manière de travailler. Le Danemark ne cherche pas à constituer un groupe nordique au sein de l'Union européenne, même s'il existe une coopération nordique dans des domaines qui ne relèvent pas de l'acquis communautaire, comme la culture et la fiscalité.

A l'adresse de M. del Picchia, je reconnais que l'on paye beaucoup d'impôts au Danemark. C'est un signe de solidarité qui fait marcher notre société et c'est aussi un instrument pour orienter les comportements, par exemple pour encourager une économie plus propre. S'agissant de l'accord bilatéral franco-danois, je souligne que c'est le précédent gouvernement danois qui en avait entamé la renégociation et qui a provoqué une interruption.

L'intérêt croissant pour la zone arctique a suscité un regain d'intérêt sur le régime juridique de cette région. Je voudrais souligner qu'il n'existe pas de vide juridique : contrairement à l'Antarctique, l'Arctique est habité depuis toujours. Les régions arctiques sont sous les juridictions nationales des États côtiers et suivent, pour la navigation et la gestion des ressources, les règles de la convention des Nations unies sur le droit de la mer. Cela ne veut pas dire que le regain d'intérêt de la France ou de l'Union européenne pour cette région si sensible n'est pas le bienvenu; toutefois les souverainetés et les rôles respectifs y sont établis de longue date. Pour répondre plus précisément à votre question, je fais toute confiance à la loyauté de nos voisins et amis norvégiens, qui ont, en outre, une très bonne connaissance de la politique menée, dans la zone, par le voisin russe.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes - Je vous remercie, Madame l'ambassadeur, d'avoir répondu à nos questions et je souhaite, au nom de tous les collègues, bonne chance au Danemark pour sa présidence.