Lundi 2 avril 2012

- Présidence de M. Serge Larcher, président -

La vie chère outre-mer : une fatalité ?- Audition de M. Henri Havard, sous-directeur des droits indirects, et de Mme Sandrine Le Gall, chef du bureau « fiscalité, transports et politiques fiscales communautaires » à la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI)

M. Serge Larcher, président. - Nous poursuivons nos auditions sur le thème « La vie chère outre-mer : une fatalité ? » en accueillant M. Henri Havard, sous-directeur des droits indirects, accompagné de Mme Sandrine Le Gall, chef du bureau « fiscalité, transports et politiques communautaires », et de Mme Laurence Jaclard, chargée des relations institutionnelles.

M. Henri Havard, sous-directeur des droits indirects à la direction générale des douanes et des droits indirects. - « La vie chère outre-mer, une fatalité ? » Question complexe ! Ma réponse écrite rappellera notamment l'ensemble de l'histoire de l'octroi de mer depuis le droit de poids. Avant de détailler les chiffres, je vous propose de resituer la question posée au regard du périmètre de ce qu'est la « vie chère ». Évidemment, la DGDDI regarde cette question sous le prisme particulier de la fiscalité, il s'agit des droits d'accises qui touchent les produits de consommation : alcool, tabac, carburants. Ces questions trouvent des répercussions dans l'actualité immédiate, notamment à La Réunion et à Mayotte. Les problématiques fiscales ne sont pas minces au regard de la question de la vie chère mais ne la recouvrent pas toute entière.

De nombreux facteurs contribuent à des écarts de prix entre l'outre-mer et la métropole. Il y a les écarts structurels tenant à la géographie, à l'étroitesse des marchés, aux circuits logistiques, aux intermédiaires, aux frais de transports, aux frais portuaires et, nous semble-t-il à la lumière d'avis plus autorisés que ceux de la DGDDI, à une concurrence insuffisante sur les marchés de gros et de détail induisant un niveau élevé de marges.

Sans revenir trop en arrière, un mot tout de même sur l'avis de l'Autorité de la concurrence sur l'importation et la distribution dans les DOM, dans la période consécutive à la crise de 2009. La mission sénatoriale de cette époque avait déjà étudié la question de l'octroi de mer. L'exigence de transparence sur les prix nous paraît une excellente chose.

Outre la concurrence, un autre phénomène joue, qui concerne tous les marchés : la hausse du prix des matières premières. Très clairement, dans la détermination du prix, notamment sur des produits de très grande consommation comme les carburants, il y a un effet prix lié au cours du brut.

Selon l'Insee, la hausse des prix dans les départements et collectivités d'outre-mer (DCOM) n'est que de 2,1 %. Ce chiffre est très loin de la réalité perçue par les consommateurs dans un certain nombre de secteurs. Cet écart accroît la nécessité de la réflexion que vous entreprenez. Ces 2,1 % s'expliquent essentiellement par la stabilisation des prix des produits manufacturés qui compense assez nettement la hausse des prix de l'énergie. Je vous renverrai sur ce point aux travaux de mes collègues de l'Insee.

De fait, il nous semble que la fiscalité que gère la douane pèse d'un poids relatif sur le prix de base. Elle n'est que l'un des éléments de la hausse des prix, non son seul déterminant. Voilà le message important que nous venons vous délivrer.

Second point de mon propos sur la fiscalité douanière elle-même. D'abord, la fiscalité vise à percevoir des recettes mais elle vise aussi, parfois, d'autres objectifs : environnement, santé publique, modification des comportements... Pour 2011, le total des perceptions douanières en outre-mer a été de 2,349 milliards d'euros : 1,48 milliard d'euros pour l'octroi de mer, 460 millions d'euros pour la taxe sur les carburants (TSC), 383 millions d'euros pour la TVA, 221 millions d'euros pour les droits sur le tabac, 61 millions d'euros pour les droits de douane, 48 millions d'euros pour les droits sur les alcools et 125 millions d'euros de droits divers (taxe d'embarquement, etc.).

Pour les besoins des travaux de votre délégation, nous avons calculé ce qui revient à l'ensemble des collectivités territoriales d'outre-mer : pour 2011, 1,7 milliard d'euros, soit 74 % des recettes, ce qui n'est pas négligeable. Donc les trois quarts des produits perçus par la douane en 2011 reviennent aux collectivités d'outre-mer. Cela pose la question de l'alternative qui pourrait être trouvée, sans compromettre les recettes des collectivités ?

L'octroi de mer, sujet emblématique, est un outil de stratégie économique, ayant vocation à compenser les handicaps des DOM. Il est imparfait, certes, frappe les biens, non les services, avec un système d'écarts de taxation complexe à comprendre, mais il sert l'objectif de développement et me paraît indispensable au financement des activités des collectivités territoriales. La fiscalité, dans ce cas, sert à la fois à procurer des recettes et d'outil de politique économique dans les mains des collectivités territoriales d'outre-mer.

Sur le caractère inflationniste de l'octroi de mer, je note que l'Autorité de la concurrence estime dans son rapport de 2009 que les frais d'approche et l'octroi de mer en particulier ne suffisent pas à expliquer l'intégralité des écarts de prix. Nous nous sommes livrés à un petit travail, que je peux reproduire sur tous les produits pour lesquels vous m'en ferez la demande. À La Réunion, l'importation de tongs est un exemple concret et éloquent. Le prix est de 60 centimes d'euros à l'arrivée à la douane pour une paire de tongs. À cette assiette s'applique un taux de 6,5 % d'octroi de mer et de 8,5 % de TVA, soit 8 cents de taxes. On arrive à un prix de 70 cents, alors qu'elles sont vendues dans le commerce de détail au minimum 10 euros... Ce qui se passe entre ces deux moments n'est très clairement pas imputable à la fiscalité... Le taux de 15 % de fiscalité, au total, est élevé, mais il porte sur la valeur d'importation, et non sur le prix de vente !

Je pourrais multiplier les exemples pour montrer que la fiscalité, certes, participe au prix, mais dans une proportion relativement modérée qui, par surcroît, procure des recettes aux collectivités pour se financer et financer des stratégies économiques et sociales.

Le rendement n'est pas la seule préoccupation. La fiscalité sur les tabacs, qui représente 221 millions d'euros de recettes pour les quatre départements de La Réunion, de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane, poursuit un autre but - de santé publique - et le taux en est fixé par les collectivités.

Je prends d'autres exemples : les taux réduits sur les rhums d'outre-mer sont-ils justifiés ? N'est-ce pas une niche fiscale puisque, outre le contingent rhumier outre-mer, le taux réduit s'applique à la mise à la consommation ? Mais il y a là une autre visée, économique, de protection d'une production locale, sachant que 20 000 emplois environs sont en jeu.

Nous réfléchissons à des pistes alternatives s'agissant de l'évolution de l'octroi de mer. En effet, le système actuel est autorisé par la Commission européenne jusqu'en 2014. Le gouvernement plaide pour que cette autorisation soit prolongée, dans la ligne des préconisations du rapport de la mission commune d'information sur la situation des DOM, car elle permet d'apporter un soutien aux économies domiennes. Par exemple, il ne me paraît pas incongru que la taxation des autres alcools que le rhum soit relativement élevée.

M. Éric Doligé, co-rapporteur. - L'écart entre le ressenti et la réalité m'amène à poser la question : quel est le pouvoir d'achat réel sur le panier de la vie courante ? A priori, le différentiel moyen des prix n'est pas très important mais sur certains produits, notamment ceux de première nécessité, l'écart est très substantiel.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Sur ce même point, je pense qu'il faut crever l'abcès. On doit nous éclairer sur cette histoire de ressenti. À La Réunion, on parle de 50 % d'écart entre les prix de métropole et d'outre-mer. Le document de l'Insee mentionne un panier de consommation locale moins cher en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe, par rapport au panier national ! Et si on prend le panier métropolitain, on tombe sur d'autres chiffres. Comment éclaircir la situation ? Certaines associations ou la DGCCRF, parviennent à un résultat très différent en matière d'écart des prix. Il faut sortir le plus rapidement possible de cette confusion qui risque de produire de gros effets pervers sur le terrain.

Parler de prix « ressentis » me paraît dangereux, je ne sais pas faire ça. On a des experts, des organismes, qui doivent pouvoir mettre en place des procédures incontestables.

M. Henri Havard. - Je comprends et partage une partie de vos interrogations ; il y a une difficulté d'ordre méthodologique qui mérite qu'on s'y arrête. Je crois que les travaux entrepris sur les prix des produits de première nécessité, par l'observatoire des prix de La Réunion notamment, sont d'excellents instruments de mesure ; ils mesurent l'écart au fil du temps sur les produits achetés couramment par les ménages. La méthode statistique ajoute des produits manufacturés qu'on achète à fréquence moins grande que les produits alimentaires et qui donc pèsent moins dans le ressenti de hausse des prix. Ça tombe sous le sens. Mais il y a un vrai sujet sur le marché des carburants, où la structure des marges est connue puisqu'un décret administre les prix. Nous devrions être en mesure d'objectiver la situation sur ce que sont les niveaux de prix réels pour les populations.

Ensuite, se pose la question de ce à quoi on compare ces prix. Au pouvoir d'achat moyen ? Au revenu moyen ? Aux bas salaires ? Il ne m'appartient pas d'y répondre, mais c'est une question importante.

Tout ce qui contribue à la transparence pour les consommateurs est une bonne chose. Les États généraux de l'outre-mer - où nous avons participé à un certain nombre d'ateliers - ont évoqué la suppression de l'octroi de mer, « cet impôt d'un autre temps ». Le fait que le coût du fret rentre dans l'assiette d'imposition de l'octroi de mer externe fait débat. Certains économistes affirment par ailleurs que l'octroi de mer masque des surmarges, comme je l'ai montré avec l'exemple des tongs. Il est clair cependant que l'étroitesse des marchés, le manque de concurrence dans la distribution, compliquent aussi la donne.

Concernant les impacts fiscaux sur les prix, je le répète, pour un certain nombre de taux, ce sont les collectivités qui décident : je songe à la taxe spéciale sur les carburants par exemple, qui participe au renchérissement du prix, et dont le taux est fixé par le conseil régional. Une politique de transparence sur les taux pratiqués et leurs conséquences serait utile. Sur les carburants et produits pétroliers, l'État ne perçoit aucune fiscalité dans les DOM.

Mme Catherine Tasca. - Outre la question des écarts de prix, a-t-on au moins une vision claire de la répartition des revenus dans ces territoires ? Le prix est aussi le résultat de la demande, donc le niveau des revenus n'est pas indifférent au niveau des prix. Quid de la rémunération des fonctionnaires en outre-mer ?

M. Henri Havard. - Notre administration ne dispose pas de la ventilation en déciles des revenus mais mes collègues de Bercy doivent en disposer. Il est certain que des facteurs de revenus pèsent sur les prix.

M. Serge Larcher, président. - Le 2,1 % de l'Insee ne tient pas debout, il n'y a qu'à aller dans un DOM pour s'en rendre compte concrètement. Il serait intéressant de voir quel est le prix d'une paire de tong en métropole ?

Deuxièmement, où en est votre réflexion sur l'inclusion des coûts du fret dans l'assiette de l'octroi de mer ?

Enfin, où en est-on sur la réflexion concernant une fiscalité de substitution ?

M. Henri Havard. - S'agissant de l'assiette de l'octroi de mer, nos réflexions sont contraintes par les positions de la Commission européenne. Elle n'est pas fermée mais veille à ce que la règle soit respectée. Il y a un débat au sein même des directions européennes : les DG taxation et union douanière ont un oeil favorable sur ce mécanisme, mais la DG concurrence y voit une taxe d'effet équivalent à un droit de douane à proscrire. Les discussions sont en bonne voie et les échanges fructueux.

Notre volonté est en tout cas de respecter scrupuleusement la réglementation européenne afin de ne pas mettre en péril cette recette. Il n'est pas inutile, notamment, que certaines délibérations rétroactives prises par les conseils régionaux soient signalées à l'attention des préfets, pour exercer un contrôle de légalité. Il ne faut pas que l'on puisse dire que la France ne respecte pas la réglementation européenne.

Votre question de la substitution est une vaste question. Quel impôt dégagerait un produit d'environ 1 milliard d'euros, sur une assiette large ? À ma connaissance, il n'y en a qu'un, c'est la TVA. Mais cela poserait la question de l'inclusion des services dans l'assiette. Ça serait théoriquement cohérent, mais l'inclusion des services dans l'assiette posera la question du transfert de l'économie informelle à l'économie formelle. Il faudra généraliser le système de facturation : est-il opportun d'imposer de nouvelles contraintes aux très petites entreprises, parfois informelles ? La fiscalité actuelle, perçue une seule fois en amont, est simple et efficace ; aucune marchandise n'y échappe, sauf si elle entre en pure contrebande ; et cette fiscalité laisse le cycle économique se dérouler en aval sans intervention.

Mme Sandrine Le Gall, chef du bureau « fiscalité, transports et politiques fiscales communautaires » à la direction générale des douanes et des droits indirects. - Sans compter qu'une substitution par la TVA retirerait de leur pouvoir fiscal aux collectivités.

M. Serge Larcher, président. - Tous les inconvénients et pas beaucoup d'avantages !

M. Jean-Étienne Antoinette. - L'octroi de mer, dites-vous, n'est pas déterminant. Tout de même, il frappe à l'importation du produit. Est-ce que cela ne favorise pas l'inflation dans la mesure où les frais de stockage sont inclus dans l'assiette, ce qui impacte les prix des produits ?

M. Henri Havard. - C'est difficile à dire...

Je vais faire un parallèle avec la TVA à l'importation. Il n'est pas anormal qu'elle porte aussi sur les coûts directement liés à l'importation, notamment le coût de location du conteneur. Sinon, cette prestation annexe, associée à l'importation, échappe à toute taxation. Notre souci est aussi d'avoir le système le plus simple et le plus fluide possible. Actuellement, le système des frais accessoires, s'agissant de la TVA à l'importation, est parfaitement accepté par les opérateurs.

L'État pourrait mettre en place une baisse de TVA avec un engagement de baisse des prix, mais on sait que les résultats sont extrêmement difficiles à contrôler...

Dans le contrôle des prix des carburants à La Réunion, on peut suivre précisément la contribution de chacun. Les collectivités ont pris leur part, les pétroliers aussi. Mais cela est possible du fait du caractère administré des prix des carburants. Dans les autres secteurs, comment mesurer l'effet réel d'une baisse de TVA ? Rentrer dans un gigantesque système de prix administrés produit par produit me semble difficile.

Enfin, combien de centimes sont liés aux frais accessoires ? Assez peu, j'en suis certain.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - La question de l'énergie est essentielle outre-mer et pourtant les prix des carburants sont administrés depuis le décret de 1988. Le patron s'appelle l'État et il y a pourtant de sérieux dysfonctionnements.

Dans certains domaines, comme les produits d'entretien, les prix à l'importation, chez moi, sont doublés voire triplés pour le client final.

M. Henri Havard. - Dans mon exemple, sur les tongs, cela va de 1 à 15 !

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Moi, je suis un républicain. Réguler, réguler, voilà le maître-mot.

Lorsque je reçois la facture des médicaments que j'importe pour mon officine, la douane l'a vue avant moi. Disposant de ces pièces-là, comment peut-on encore ignorer le niveau réel des prix à chaque stade ?

Le rapport de juillet 2009 de M. Éric Doligé a constitué une avancée, poursuivons-la ! Comparons les prix d'importation et les prix de vente au détail.

Oui ou non nos services de l'État ont matière à dire : il achète X euros à la centrale d'achat, d'Europe ou d'ailleurs, et voilà combien il vend ? Les tongs - les « savates » on appelle ça chez nous - sont vendues jusqu'à 20 à 30 euros : cela ne relève-t-il pas de l'excès ? Elles viennent de Chine et le prix à la douane est de 60 centimes. Regardons quelle est la part de nos importations venant d'Asie, en particulier.

M. Serge Larcher, président. - Nous avons des délais à tenir : j'appelle chacun à la concision.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Je veux du concret et je demande aux services de l'État, qui savent ce qui est importé, quels sont les prix d'importation et les pays d'origine. L'État dispose des moyens de la transparence.

M. Jean-Étienne Antoinette. - Nous avons trois portes d'entrée en Guyane : le Port de Degrad-Des-Cannes et les frontières avec le Brésil et le Surinam. Y a-t-il des différences de prix selon la porte d'entrée ?

M. Henri Havard. - On va regarder, si vous avez un produit en particulier auquel vous pensez.

M. Serge Larcher, président. - Il serait intéressant pour nous de savoir si les collectivités territoriales suivent une stratégie de développement en fixant les taux d'octroi de mer.

M. Henri Havard. - Nous disposerons dans deux mois des travaux d'un cabinet sur ce sujet, mené dans la suite des travaux du conseil interministériel de l'outre-mer.

Pour répondre à M. Michel Vergoz, oui, la provenance des produits est connue pour chacun des départements d'outre-mer ; mais les marges pratiquées, non. Je rappelle qu'en dehors du carburant, les prix sont libres depuis l'ordonnance de 1986. Il n'entre donc pas dans nos missions de contrôler les prix, même si la direction de la concurrence surveille les marges.

M. Serge Larcher, président. - Michel Vergoz vous a interpellé sur la composition du panier : nous n'avons pu obtenir d'information de la DGCCRF. Il nous faudrait pourtant en connaître précisément la composition pour mesurer l'impact de l'octroi de mer sur le coût de la vie.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - La réponse est donc : oui, les douanes connaissent les prix d'achat des marchandises et leurs provenances. Mais pouvez-vous nous donner un pourcentage de marchandises qui proviennent plutôt d'Asie que d'Europe ?

M. Henri Havard. - Je vous fournirai ces données, pays par pays ou continent par continent.

S'agissant de la composition du panier, c'est en effet une question clé. Un accord n'a-t-il pas été signé sur les prix de onze produits de première nécessité ? Je peux regarder sur ces produits ce que sont les effets de l'octroi de mer. Mais seul l'observatoire des prix peut vous dire quel est le panier-type.

M. Serge Larcher, président. - Je faisais allusion au panier de l'Insee. Il y a tellement de paniers ! Il y a même des chariots !

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Il doit bien exister un ordinateur capable de nous donner des pourcentages de provenance.

M. Henri Havard. - Les importations sont enregistrées, on connaît donc les provenances, que l'on peut vous fournir par agrégats, produits alimentaires, textile, etc.

Mme Catherine Tasca. - Les services de l'État ne contrôlent plus les prix, dites-vous. Mais ils restent en mesure de donner une photographie. La crise de la vie chère a été très grave : l'État ne peut renoncer à un rôle d'analyste, pour fixer sa stratégie.

M. Henri Harvard. - Sur le niveau des prix, nous avons beaucoup travaillé sur le rapport de l'Autorité de la concurrence, qui s'est livrée à une analyse très fine sur les produits de consommation courante. Depuis 2009, les choses ont sans doute un peu évolué, mais les développements tels que celui sur le coût du fret maritime restent d'actualité.

M. Serge Larcher, président. - Nous attendons votre réponse écrite au questionnaire et vous remercions d'être venus.

La vie chère outre-mer : une fatalité ? - Audition de MM. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), et Claude Risac, directeur des relations extérieures du groupe Casino

M. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD). - Délégué général de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), je suis accompagné aujourd'hui par M. Claude Risac, directeur des relations extérieures du groupe Casino, mais également trésorier et, surtout, responsable des questions relatives à l'outre-mer au sein de la FCD.

La FCD représente le commerce à dominante alimentaire sur l'ensemble du territoire, avec la plupart des grandes enseignes, à l'exception d'Intermarché et Leclerc. Nous représentons également quelques enseignes non alimentaires, comme Décathlon, Darty, Boulanger ou Go Sport.

Outre-mer, la situation est spécifique : les entreprises de distribution sont des franchisées des grands groupes, et ne sont donc pas adhérentes directes de la FCD, même s'il arrive, comme à La Réunion, qu'existe une fédération locale, qui reste cependant autonome.

Nous sommes compétents sur toutes les questions économiques, juridiques, fiscales ou sociales. C'est ainsi que nous négocions la convention collective qui s'applique aux 750 000 salariés du secteur. Notre chiffre d'affaires, de 180 milliards d'euros, fait de nous l'une des branches professionnelles les plus importantes. Notre secteur est celui qui recrute le plus de jeunes, souvent faiblement qualifiés. À La Réunion, nous sommes, comme dans beaucoup d'autres territoires, le principal employeur privé.

Le commerce représente une part importante du secteur marchand outre-mer : nos adhérents emploient plus de 15 000 salariés dans les cinq départements d'outre-mer (DOM). Avec la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, on atteint environ 20 000 emplois directs, avec les mêmes caractéristiques qu'en métropole : un emploi féminin (61 % de femmes), jeune (la moitié des salariés a moins de 35 ans) et très majoritairement en contrats à durée indéterminée (89 % du total).

Nous sommes un partenaire très important de l'économie locale : 20 à 30 % des achats des surfaces alimentaires sont locaux, pour environ 1 milliard d'euros. À La Réunion, les enseignes de la Fédération locale distribuent entre 65 et 90 % des productions locales de certaines filières (boeuf, oeufs, volaille...).

M. Claude Risac, directeur des relations extérieures du groupe Casino. - J'ai suivi, vécu, étudié le cortège des crises de ces dernières années. La première des sources documentées est l'INSEE, autrement plus fiable que les relevés ponctuels. Les prix à la consommation sont beaucoup plus élevés qu'en métropole, - jusqu'à 50 % a-t-on dit. Mais il faut prendre en compte la structure comparée des paniers métropolitains et ultramarins : alors, l'écart est de 22 % pour la Guyane, de 14 % en Martinique, 11 % à La Réunion et 9 % pour la Guadeloupe. Les écarts de prix ont également été étudiés en 2009 par l'Autorité de la concurrence qui s'appuyait sur les données fournies par la DGCCRF : les prix sont liés à l'étroitesse des marchés, aux coûts d'approche, à la cherté du fret et aux frais de stockage.

Il faut cependant nuancer : ainsi, La Réunion dispose d'une industrie alimentaire propre, mais le développement endogène reste un objectif à atteindre dans les autres DOM.

La fiscalité spécifique pèse aussi : l'octroi de mer est un obstacle au jeu concurrentiel, même s'il a sa légitimité. Il encourage les politiques de prix élevés et n'incite pas à l'amélioration de la compétitivité.

Troisième document utile, celui de la DGCCRF à l'occasion de la crise de Mayotte à l'automne 2011, sur le poulet et la viande. M. Stanislas Martin conclut que les distributeurs travaillent à marge nette proche de zéro, voire à marge négative sur la viande de boeuf : voilà qui contredit l'intuition...

Les marges commerciales - la marge brute, pas le résultat net avant charge - de la distribution sont-elles plus élevées outre-mer ? Elles atteignent 20 à 25 % à La Réunion, 25 à 26 % aux Antilles, pour une moyenne de 23 à 24 % en métropole, selon l'Autorité de la concurrence. S'agissant des marges économiques, c'est-à-dire l'excédent brut d'exploitation rapporté à la valeur ajoutée, elles atteignent 14 % en Guadeloupe, 21 % en Martinique, 24 % à La Réunion, contre 27 % en métropole en 2007. Quant aux résultats nets, il faudra attendre le rapport de l'Observatoire des prix et des marges, institué par la loi de modernisation de l'économie.

Dans les DOM, il existe une véritable concurrence, contrairement à ce qu'on peut penser. Ainsi, à la Martinique, le premier distributeur ne détient que 17 % de parts de marché. Dans la plupart des DOM, les cinq grandes enseignes nationales sont présentes.

Les employeurs ont ainsi une fonction sociale, ce qui participe aux coûts d'exploitation : on emploie plus de monde - environ 40 % - outre-mer qu'en métropole.

Reste que les ultramarins sont pénalisés par des prix plus hauts : tout le monde ne bénéficie pas des « sursalaires ». On pourrait assouplir la réglementation relative à l'implantation des grandes et moyennes surfaces, pour renforcer la concurrence et la baisse des prix, tout en favorisant la production locale. La densité commerciale est plus faible en outre-mer qu'en métropole. Il faudrait favoriser la structuration et le développement de filières de production locale (coopératives, interprofessions...) : à La Réunion, la distribution s'est ainsi impliquée dans la constitution d'une filière de salaison, d'élevage. Il n'en va pas de même aux Antilles, ces industries ne se sont pas développées autant. La distribution est pourtant prête à jouer le jeu de la production locale. Il n'est pas normal qu'à Mayotte n'existe pas de « filière poulet ». Nous sommes prêts à accompagner sa création. Il y a d'autres problématiques : ainsi, aux Antilles, les pêcheurs préfèrent souvent vendre eux-mêmes leurs produits plutôt que passer par la grande distribution. Il y a aussi le problème des oeufs aux Antilles...

M. Serge Larcher, président. - Il existe une production locale en Martinique...

M. Claude Risac. - Mais elle est insuffisante : à partir d'une certaine heure, ils manquent sur les rayons. En fait, en matière de maraîchage notamment, les producteurs sont très individualistes : ils doivent s'organiser ! La distribution ne demande que cela.

Quelques autres propositions : nous sommes pour le renforcement des observatoires des prix locaux. Ils doivent se servir de l'expérience de l'observatoire des prix et des marges en métropole. Ce sont des outils de transparence indispensables. Les modalités d'application de l'octroi de mer doivent être révisées, même si nous sommes conscients de son importance pour les collectivités : il porte sur le produit et sur le fret, si bien que les effets de la moindre hausse du prix du pétrole sont démultipliés sur le prix au détail.

Il faut diversifier l'approvisionnement en allégeant la réglementation sur les normes des produits importés, ouvrir des moyens de communication avec l'environnement régional pour faciliter les échanges : je pense notamment à l'océan Indien, où les territoires français et non français pourraient se spécialiser et échanger de façon complémentaire.

Quelques exemples de prix : dans le prix d'un kilogramme de pâtes à la Martinique, 53 % correspond au prix d'achat, 9 % au transport, 14 % à l'octroi de mer, 8 % au stockage et à la livraison, 14 % à la marge commerciale du distributeur et 2 % à la TVA. Il en va de même pour le beurre de marque à La Réunion : 0,15 € pour le prix de départ, 0,36 € après le fret, 0,51 € de prix de revient en magasin qui devient 0,57 € pour le prix de vente au public.

Se pose, ne l'oublions pas, la question du mode de vie. L'outre-mer est riche de certains produits d'exception - je pense notamment aux poissons. L'idée qu'on doit consommer exactement les mêmes choses en outre-mer, idée dont nous sommes collectivement responsables, n'est pas bonne. Faut-il importer, parfois en avion, des confiseries produites en métropole, parce que les enfants en réclament ? Une question de modèle de production et de consommation se pose donc également.

M. Éric Doligé, co-rapporteur. - Les groupes affiliés à la FCD ont-ils fait des tentatives pour produire localement ? 40 % de salariés de plus qu'en métropole, dites-vous. Pouvez-vous préciser ces chiffres ? Tenez-vous compte, dans la fixation des prix, du pouvoir d'achat local ? Avez-vous, géographiquement, repéré quels produits pourraient être achetés dans les zones régionales concernées pour abaisser les prix au public ? On a constaté que les importateurs-grossistes prenaient parfois des marges confortables et que certains maillons de la chaîne cumulent parfois les fonctions et donc les marges afférentes.

M. Claude Risac. - Oui, le métier d'agent existe pour certaines grandes marques, c'est un héritage de l'histoire. Les enseignes ont considéré que les DOM représentaient un métier spécifique : elles ont donc des agents sur place, qui prélèvent leur « dîme ». C'est une pratique ancienne, mais les contrats d'exclusivité ont tendance à reculer. L'objectif n'est pas de maquiller les marges : c'est seulement un héritage de l'histoire.

Les productions locales ? Intermarché fait un travail remarquable en matière de pêche. Les distributeurs ne sont pas des industriels, mais ils doivent être présents dans les filières : ils ne peuvent pas se désintéresser de la production locale.

Le pouvoir d'achat ? C'est l'affaire de chaque enseigne. La part de l'alimentaire est légèrement plus importante outre-mer qu'en métropole. Je m'étonne d'ailleurs que, quand il y a des mouvements sociaux, cela porte toujours sur l'alimentation, jamais sur la téléphonie ou l'automobile...

M. Serge Larcher, président. - Parce que manger est une nécessité !

M. Doligé a évoqué l'approvisionnement régional. Pourquoi ne fait-on pas en sorte, par exemple, que la Guyane s'approvisionne en boeuf brésilien ? Les normes européennes jouent très certainement un rôle.

M. Claude Risac. - En effet. Il y a également des exemples en matière de fruits et légumes. On avance souvent l'argument de la traçabilité, mais il ne faut pas caricaturer. Le Brésil a développé des contrôles sur ses agriculteurs qui valent largement ceux de l'Union européenne.

Mme Catherine Tasca. - Avec les productions locales, le prix est-il vraiment inférieur ?

M. Claude Risac. - Pas toujours, à cause de l'étroitesse du marché : les usines tournent en sous-capacité. Il faudrait organiser un marché aux dimensions régionales.

M. Serge Larcher, président. - Pour les fruits, les prix sont assez voisins de ceux pratiqués en métropole.

M. Claude Risac. - Je précise : les produits élaborés sur place ne sont pas forcément moins chers, mais ils créent des emplois.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Puissiez-vous dire vrai ! Mais si la production de poulet à La Réunion se délocalisait à Madagascar ? Il faut voir les choses globalement.

Intermarché, avec la pêche, ne joue pas pour les DOM, mais pour lui seul : il cherche la plus-value à son seul profit. Le bon sens serait pourtant de travailler la main dans la main. Nous avons une zone économique exclusive, riche en poisson, mais personne ne vient nous tendre la main : les bateaux restent au large...

La FCD n'inclut pas les DOM, puisqu'on y fonctionne par franchises. Mais les franchisés ne bénéficient-ils pas de votre centrale d'achat ? Autrement dit, tout est bien sous le même toit... Quel développement pour les filières locales ? Quel pourcentage de produits locaux les franchisés vendent-ils ?

M. Claude Risac. - Les filières locales représentent, à La Réunion, 30 % de ce qui est vendu dans les magasins de mon groupe. C'est moins ailleurs, soit 20 à 30 %. Il y a une génération d'entrepreneurs à La Réunion qui a développé une industrie, que l'on retrouve moins sur d'autres territoires.

M. Abdourahamane Soilihi. - Ailes de poulet et viande, produits essentiels, combien coûtent-ils à Mayotte ? Quelle est la composition de la marge ?

M. Claude Risac. - M. Martin estime que, sur la viande, la marge du distributeur est proche de zéro ; le travail sur la carcasse est accompli par le distributeur, ce qui n'est pas le cas en métropole. Je vous fournirai des chiffres précis.

Mardi 3 avril 2012

- Présidence de M. Serge Larcher, président -

La vie chère outre-mer : une fatalité ? - Audition de M. Cédric Musso, directeur des relations institutionnelles de l'UFC-Que Choisir

M. Serge Larcher, président. - Nous poursuivons nos auditions sur le thème de la vie chère outre-mer en souhaitant la bienvenue à M. Cédric Musso, directeur des relations institutionnelles de l'UFC-Que Choisir.

M. Cédric Musso, directeur des relations institutionnelles d'UFC-Que Choisir. - Créée en 1951, l'UFC-Que Choisir constitue la doyenne des associations de consommateurs en France et en Europe. Il s'agit d'une fédération de 160 associations locales réparties en France hexagonale et dans les outre-mer. Notre présence outre-mer apparaît néanmoins limitée puisque nous ne sommes pas représentés en Guadeloupe, ni en Martinique. À La Réunion, notre association locale dénombre 250 adhérents. En Nouvelle-Calédonie, elle en regroupe 1 000. Au total, l'UFC-Que Choisir rassemble 160 000 adhérents. La revue éditée par l'association compte environ 500 000 abonnés.

L'UFC-Que Choisir s'est bien entendu penchée sur la question de la vie chère outre-mer, en particulier au moment de la crise de 2008-2009. Nous avons d'ailleurs participé à ce titre aux travaux préalables à la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM) avec le cabinet d'Yves Jégo et à bon nombre de réunions, y compris au Sénat, et demandé, avec succès, l'encadrement des produits de première nécessité.

Les associations locales de l'UFC-Que Choisir assurent deux missions principales. La première concerne le règlement amiable des litiges de consommation. La seconde consiste en un contrôle des marchés à travers un observatoire de la consommation. Dans le cadre de cette seconde activité, nous complétons l'action de la DGCCRF par des « enquêtes mystère » en magasin portant à la fois sur le prix et sur le conseil. Ces enquêtes ne peuvent pas systématiquement être réalisées par nos associations locales en outre-mer, où nous ne disposons pas toujours des mêmes professionnels que dans l'hexagone. Nous sommes d'ailleurs contraints à un traitement spécifique pour les associations ultramarines, y compris pour l'enquête prix en grande distribution, puisque les produits hexagonaux ne se retrouvent pas en outre-mer.

Mme Catherine Procaccia. - Pourriez-vous préciser les modalités de création des associations locales en outre-mer ? Se créent-elles spontanément ? Vous indiquez l'absence d'associations locales dans les Antilles...

M. Cédric Musso. - Nous recevons un grand nombre de demandes d'affiliation à l'UFC-Que Choisir, y compris en Guadeloupe et en Martinique. La procédure d'affiliation vise à vérifier la représentativité et, surtout, l'indépendance réelle des candidats. Il ne doit exister aucun lien direct ou indirect avec une quelconque autre activité commerciale ou syndicale. À ce jour, nous n'avons pas identifié aux Antilles d'interlocuteur satisfaisant à ces critères pour être affilié à l'UFC-Que Choisir, même si nous avons bon espoir d'y parvenir dans les années qui viennent.

M. Serge Larcher, président. - Qu'en est-il de l'appréciation globale portée par votre fédération sur le niveau des prix ?

M. Cédric Musso. - Nous dénonçons régulièrement l'important écart entre les prix relevés dans l'hexagone et ceux relevés en outre-mer. À l'occasion de la dernière enquête prix d'UFC-Que Choisir, réalisée entre le 15 septembre et le 1er octobre derniers, les prix d'un panier de vingt-huit produits ont été relevés à la fois dans l'hexagone et outre-mer. Il en ressort un écart tarifaire de 67 % entre La Réunion et l'hexagone et de 50 % entre la Nouvelle-Calédonie et l'hexagone. Ce constat est récurrent : en 2008 déjà, les écarts respectifs étaient de 74 % et 58 %. La diminution est légère mais l'on se situe toujours au-delà des deux tiers en ce qui concerne La Réunion.

Mme Catherine Procaccia. - De quel type de produits s'agit-il dans ce panier ?

M. Cédric Musso. - Il s'agit exclusivement de produits alimentaires.

Mme Catherine Procaccia. - Les produits des producteurs locaux sont-ils pris en compte ?

M. Cédric Musso. - La mesure est effectuée à produits constants. Le panier comprend vingt-huit produits disponibles à la fois dans l'hexagone et en outre-mer.

L'encadrement des prix des produits de première nécessité a abouti à un triste constat : les produits dont les prix ont été encadrés font rapidement et comme par hasard l'objet d'une rupture de stock. En outre, l'on peut s'étonner qu'il y ait encore une attractivité des produits hexagonaux par rapport aux produits ultramarins. Songeons à l'eau minérale en bouteille dont le prix à La Réunion est de 1,3 euro lorsqu'elle est importée contre 1,49-1,60 euro lorsqu'il s'agit d'une production locale ...

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Que pensez-vous de l'affirmation selon laquelle il existe un sentiment de vie chère à La Réunion ou en Nouvelle-Calédonie ? Vous ne pouvez pas contredire les chiffres de l'INSEE ou de la DGCCRF !

M. Cédric Musso. - Ce ne serait pas la première fois que les enquêtes de l'UFC-Que Choisir ne corroborent pas l'indice de l'INSEE ou les enquêtes de la DGCCRF ! Nos enquêteurs sont indépendants et formés ; leurs résultats ne sont pas une vue de l'esprit. 

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Vos chiffres sont provocateurs !

M. Cédric Musso. - L'Autorité de la concurrence n'a pas hésité à affirmer qu'il existait un écart tarifaire situé entre 43 et 74 %. Les résultats de l'enquête d'UFC-Que Choisir s'inscrivent parfaitement dans cette fourchette officielle.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Vous faites se batailler les services de l'État entre eux mais je vous remercie de votre approche critique !

De quoi le panier de votre enquête est-il constitué ? Il ne s'agit bien souvent que de produits issus de la grande distribution.

M. Cédric Musso. - Effectivement, ce panier ne comporte que des produits de la grande distribution. La question de l'inclusion du hard discount se pose.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Les produits choisis permettent-ils des comparaisons objectives ?

M. Cédric Musso. - Oui, les enquêtes se font à produits constants. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elles ne sont pas contestées.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Les habitudes alimentaires ne sont pas les mêmes entre l'hexagone et l'outre-mer. Comment comparez-vous des choses qui ne sont pas comparables ? N'avez-vous pas songé à constituer un panier hexagonal et un panier local ultramarin ?

M. Cédric Musso. - Les associations locales disposent sans doute de leurs propres enquêtes. Mais l'enquête prix réalisée en grande distribution ne porte effectivement que sur les seuls produits disponibles à la fois en métropole et en outre-mer.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Cette liste n'est pas secrète ?

M. Cédric Musso. - Notre protocole est public mais la liste exhaustive des produits ne l'est pas. Nous modifions périodiquement notre panier à la marge pour qu'il soit réellement représentatif car il arrive que nos enquêteurs se fassent démasquer et que la grande distribution prenne connaissance de cette liste. Nous changeons également les dates des enquêtes d'une période à l'autre.

M. Serge Larcher, président. - Pouvez-vous néanmoins nous communiquer la nature des produits ?

M. Cédric Musso. - Oui, la nature des produits est connue. Il s'agit des produits de consommation courante (lait, eau minérale, huile, farine, produit vaisselle, etc.).

Mme Catherine Procaccia. - Comment votre fédération évalue-t-elle la réalité des prix ?

M. Cédric Musso. - L'UFC Que-Choisir considère que l'Autorité de la concurrence est l'institution la plus à même d'évaluer avec précision les écarts tarifaires en raison de son accès privilégié à certains documents. Je pense que la vérité des écarts se situe dans la fourchette définie par cette autorité, soit entre 43 et 74 %.

M. Serge Larcher, président. - Comment la mesure peut-elle être cohérente d'une enquête à l'autre si vous faites évoluer le panier ?

M. Cédric Musso. - Le panier évolue à la marge et nous apprécions l'inflation annuelle sur le dénominateur commun des produits constituant le panier.

M. Serge Larcher, président. - Ce que vous avez constaté au sujet de l'eau à La Réunion vaut également pour les Antilles. Le prix de l'eau importée est moins élevée que le prix de l'eau locale.

M. Cédric Musso. - À La Réunion se pose également le problème de l'octroi de mer.

En ce qui concerne la grande distribution, nous avons souligné le problème posé par la structure oligopolistique du marché. Notre enquête prix de 2008, qui inclut le hard discount, a démontré la domination de Leader Price, acteur omniprésent à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie dans ce domaine. Les dérives tarifaires peuvent s'expliquer par la concurrence défaillante.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Leader Price appartenant au groupe Casino, les magasins se font concurrence à eux-mêmes.

M. Cédric Musso. - C'est ce que nous dénonçons : il existe une corrélation entre l'intensité concurrentielle et le niveau des prix plus élevé qu'ailleurs. Or, en outre-mer, la concurrence fait clairement défaut, notamment entre les discounters. Il faut donc développer la concurrence dans tous les secteurs. Les décisions de l'Autorité de la concurrence montrent que bon nombre de prix jugés prohibitifs s'expliquent par l'insuffisance concurrentielle. Songeons au secteur aérien où quatre compagnies pétrolières ont été condamnées pour entente dans l'approvisionnement en carburant d'Air France ou encore au secteur des télécommunications où des demandes d'accord ont également abouti à des condamnations de « SFR » qui pratiquait des tarifs différents selon qu'il s'agissait d'appels « off net » ou « on net ». Il faut clairement développer la concurrence si l'on veut combattre la vie chère, en outre-mer peut-être plus qu'ailleurs.

Mme Catherine Procaccia. - Quelles sont les raisons avancées par l'UFC-Que Choisir au défaut de concurrence outre-mer ?

M. Serge Larcher, président. - En ce qui concerne la Martinique, il faut garder à l'esprit les raisons historiques. Ceux qui étaient les grands propriétaires terriens se sont convertis dans le transport et le commerce. Ils se partagent aujourd'hui le marché en se mettant d'accord, même s'ils possèdent des enseignes différentes (Carrefour et Casino notamment). L'un d'entre eux assure le rôle de centrale et distribue au même prix que les autres. Ce sont des franchises.

Au-delà de l'histoire, il faut rappeler qu'il est difficile de faire jouer la concurrence sur un petit territoire. C'est pourquoi nous avons demandé depuis longtemps qu'il y ait des prix encadrés, voire administrés, en particulier pour les produits de première nécessité.

M. Abdourahamane Soilihi. - C'est la même chose à Mayotte où il n'existe que deux distributeurs qui se partagent le marché.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - On a beaucoup entendu dire qu'il était difficile d'introduire la concurrence sur un petit territoire. Mais vous dites également qu'il existe des ententes. La société réunionnaise de produits pétroliers (SRPP) a par exemple été condamnée à 20 ou 40 millions d'euros d'amendes en appel. Je pense que l'exiguïté n'est pas la seule cause du défaut de concurrence. Il existe des cas d'ententes manifestes. Le groupe Casino englobe Leader Price. Donc le hard discount qui est censé venir accroître la concurrence ne le fait pas. Il s'approvisionne à la maison mère, dans la même centrale d'achat.

M. Cédric Musso. - Je souligne néanmoins que le défaut de concurrence existe également en métropole, où l'Autorité de la concurrence a par exemple dénoncé, dans un avis rendu à la demande de la ville de Paris, la position dominante de Casino dans le commerce de proximité.

Dès la loi LME, nous avions demandé que l'Autorité de la concurrence ait le pouvoir de redistribuer les cartes, comme cela avait été fait pour les autoroutes. Dans les cas problématiques de défaut de concurrence, lorsqu'un groupe possède 80 à 90 % du marché, la cession d'une partie des enseignes devrait pouvoir être imposée.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Votre solution ne peut pas être pérenne. À La Réunion, après avoir été racheté par Jacques de Chateauvieux à un groupe très présent sur le continent africain, Score a énormément augmenté ses surfaces de vente, jusqu'à dépasser le plafond autorisé par la loi, de l'ordre de 20 %, avant de retomber dans le giron de Casino. Ne pourrait-on pas songer à une autre solution que l'interdiction pour un même groupe de grande distribution de disposer d'un taux de surface supérieur à un certain pourcentage légal ? Aujourd'hui, dans le cadre du CAC 40, les groupes s'interpénètrent sans que vous le sachiez... En l'espace d'une semaine, Jacques de Chateauvieux a rétrocédé au groupe Casino ses vingt-trois magasins Score ...

M. Cédric Musso. - L'Autorité de la concurrence ne s'arrête pas au nom des enseignes mais analyse leurs liens capitalistiques pour juger de la position dominante d'un groupe sur le marché. Nous réclamons un renforcement des pouvoirs de l'Autorité de la concurrence afin qu'il y ait une dynamisation de l'intensité concurrentielle, tant en outre-mer que dans l'hexagone. Dans le prolongement de l'avis sur l'intensité concurrentielle de la grande distribution à Paris, l'Autorité de la concurrence sollicitait elle-même des moyens renforcés pour mieux vérifier la relation entre les enseignes présentes et le niveau de prix et pour qu'elle puisse intervenir pour redistribuer les cartes en cas d'abus.

M. Serge Larcher, président. - Quelle est votre position sur les niveaux de vie et de revenu ?

M. Cédric Musso. - L'UFC-Que Choisir est très attachée à la problématique du pouvoir d'achat mais sous le seul angle de la décomposition des prix. Étant une association de consommateurs et non un syndicat, nous n'avons pas la légitimité pour prendre position sur la question des revenus.

M. Serge Larcher, président. - Quelle est votre analyse du processus de formation des prix ?

M. Cédric Musso. - Dans ce domaine, nous nous posons davantage de questions que nous ne disposons de réponses. Nos associations locales mènent des enquêtes et nous avons donc connaissance des prix finaux payés par les consommateurs. Cependant, à ce stade nous n'avons pas les moyens d'une expertise permettant une analyse des coûts et une identification des véritables dysfonctionnements.

En tout état de cause, nous constatons que l'octroi de mer, qui permet des sur-marges sur la somme finale payée par le consommateur à l'issue de la chaîne de formation des prix, constitue l'une des explications d'ordre structurel apportées à la question de la vie chère.

M. Serge Larcher, président. - Il existe un débat sur la question de la sortie du fret de l'octroi de mer. Avez-vous réfléchi à l'option qui consisterait à tarifer le fret non pas au volume mais par rapport à la valeur ?

M. Cédric Musso. - Nous n'avons pas réfléchi à cette question mais pouvons le faire très rapidement.

M. Serge Larcher, président. - Nous avons longuement réfléchi à l'octroi de mer. Il ne constitue pas le seul élément d'explication de la vie chère. Les représentants de la grande distribution que nous avons reçus hier affirmaient que leurs marges étaient, à un point près, les mêmes que dans l'hexagone. Cherchez l'erreur... Chacun donne des chiffres différents !

Le fait pour les outre-mer de s'approvisionner uniquement en métropole et non pas dans leurs zones géographiques respectives n'est-il pas une cause du renchérissement ? Dans les Antilles par exemple, nous pourrions davantage faire appel à la viande de boeuf produite au Brésil à des coûts moindres. Or, cette viande nous arrive après un détour par Marseille où elle est estampillée « CE »... Un problème de normes se pose. La situation apparaît aberrante en Guyane, qui pourrait s'approvisionner en carburant sur le continent américain à moindre coût mais qui est tenue de consommer le carburant en provenance des Antilles puisque ce carburant est aux normes européennes. En Martinique, la petite raffinerie se voit contrainte de s'approvisionner en Brent en Europe du Nord alors que le Venezuela ou Trinidad sont voisins. Cela pose la question de l'intégration des économies insulaires de nos régions respectives dans leurs zones géographiques.

Mme Karine Claireaux. - La question est également liée au statut de la collectivité en question. En tant que DOM, la Martinique constitue une région ultrapériphérique (RUP) et est donc tenue aux normes européennes qui sont évidemment contraignantes. La problématique est assez particulière s'agissant de Saint-Pierre-et-Miquelon car le bassin est tellement minuscule que l'on comprend tout de suite pourquoi les écarts de prix sont si élevés avec l'hexagone. En ce qui concerne les carburants, les normes de construction et certaines normes électriques, nous nous sommes rendu compte qu'avoir des produits dont l'origine serait exclusivement européenne ne serait pas supportable. Saint-Pierre-et-Miquelon a un statut de pays et territoire associé, avec les inconvénients que cela représente dans d'autres domaines. L'ouverture sur la région du Canada permet un accès facile aux produits de ce pays. En revanche, l'ouverture sur la zone géographique voisine ne permet pas de bénéficier de prix plus abordables. Il est vrai que nous ne nous situons pas dans la même zone de développement que les autres territoires ultra-marins, le Canada pratiquant déjà des prix assez élevés.

Mme Catherine Procaccia. - J'ai pu constater qu'à l'inverse de ce que l'on observe pour la Nouvelle-Calédonie, les prix australiens sont identiques sur les îles et le continent alors que la distance entre ces îles et l'Australie continentale est équivalente, voire supérieure, à celle entre l'Australie et la Nouvelle-Calédonie. Celle-ci importe de la viande en provenance du Vanuatu. Il doit y avoir quelque chose de spécifique au système français.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Vous affirmez que l'octroi de mer peut servir à masquer des sur-marges.

Quel regard portez-vous sur les pouvoirs publics en outre-mer ? Certains disent que l'État est en villégiature, d'autres que sa performance est élevée... Quelles sont les critiques que vous pourriez formuler ?

M. Cédric Musso. - À La Réunion, l'effectivité du contrôle des marchés doit être saluée. Sur les produits de marque distributeur ou les produits hard discount, l'évolution des prix n'est pas aussi importante que l'évolution des prix de marque nationale, notamment en raison de la loi de 2009 et de ses suites.

En revanche, la logique de prix encadrés apparaît parfois contre-productive dès lors qu'un encadrement ou un plafonnement en l'absence de concurrence se fait au détriment du consommateur, tous les opérateurs s'alignant sur le montant du plafond. Dans le secteur bancaire par exemple, il a été question de plafonner le montant des frais d'incident de paiement, ce qui a eu pour conséquence que tous les établissements s'alignent sur le montant du plafond décrété. Dans les situations de défaut de concurrence, l'encadrement des prix cautionne donc plutôt les prix élevés. Dans ces conditions, il faudrait une inflation de décrets plafonnant les prix pour permettre une véritable baisse des prix.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Que pouvons-nous faire pour attirer les concurrents ?

M. Cédric Musso. - Il faut regarder, pour une zone de chalandise donnée, quelle est la position d'un groupe et, si un groupe est en position dominante, prévoir la cession d'une ou de plusieurs de ses surfaces à un concurrent.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - C'est un rêve éveillé ! Entre 1996 et 2006, l'on stérilisait les terres pour permettre l'installation de la grande distribution.

M. Cédric Musso. - Je ne dis pas qu'il faut construire plus.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Que pensez-vous du double affichage des prix ?

M. Cédric Musso. - Encore faudrait-il qu'il soit lisible et valoriser l'information pertinente, c'est-à-dire le prix au kilo. Les normes européennes sur le conditionnement ne jouent guère en faveur de cette meilleure lisibilité. Nous allons lancer une enquête sur ce problème de lisibilité et de double affichage.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Quelles seraient, selon vous, les mesures déterminantes à prendre pour remédier au problème de la vie chère ? Il est clair pour vous que la vie chère n'est pas qu'une impression ?

M. Cédric Musso. - Elle ne correspond pas qu'à une impression. Le manque d'intensité concurrentielle ne concerne pas que la grande distribution. La mesure phare est la surveillance des marchés et la concurrence, et donc le renforcement des pouvoirs de l'Autorité de la concurrence pour garantir que la concurrence soit libre et non faussée.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Et si la concurrence n'est pas une mesure efficace ?

M. Cédric Musso. - Il est alors possible de recourir à des mesures que nous avons soutenues mais qui ne sont pas des réponses structurelles au problème de la vie chère : l'encadrement des prix, un pis-aller.

Mme Catherine Procaccia. - Que manque-t-il à l'Autorité de la concurrence ?

M. Cédric Musso. - Des moyens législatifs et réglementaires pour accroître ses pouvoirs, notamment d'injonction. La loi LME n'a pas permis d'avancer sur ce point, malgré les demandes de l'Autorité de la concurrence elle-même. Les élus locaux devraient pouvoir la saisir en cas de projet d'implantation d'une grande surface sur leur territoire. Je rappelle que six groupes se partagent actuellement 90 % du marché des produits alimentaires.

Mme Karine Claireaux. - Nous savons que certaines grandes enseignes se retirent de certaines zones, y compris en France hexagonale, parce qu'elles considèrent qu'elles ne sont pas rentables dans les endroits où elles se sont installées. Comment imaginer dans ces conditions que l'on puisse appeler à davantage de concurrence outre-mer où les bassins de population demeurent somme toute restreints ?

M. Cédric Musso. - La réalité économique évolue très rapidement, y compris dans l'hexagone. Il y a cinq ou six ans, on nous demandait de nous émouvoir de la disparition du commerce de proximité. Aujourd'hui, on nous invite à nous intéresser à la nouvelle tendance que représentent le retour du commerce de proximité et la mort des hypermarchés. Étant d'un naturel optimiste, nous pensons qu'en éradiquant les maux que sont les positions dominantes et abus liés aux structurations oligopolistiques, nous pourrons enfin faire jouer la concurrence là où elle n'existe pas.

M. Éric Doligé, co-rapporteur. - Pensez-vous qu'en matière de concurrence la volonté de l'administration soit différente en outre-mer qu'en métropole ? On le voit en matière de contrôles fiscaux par exemple, où certains systèmes appliqués dans l'hexagone ne le sont pas en outre-mer.

M. Cédric Musso. - Nous observons des différences de situation économique mais ne constatons pas de différences en matière d'application des lois, de contrôles et de sanctions. L'activité abondante de l'Autorité de la concurrence outre-mer, secteur par secteur, permet d'assainir la situation. Le renforcement de ses pouvoirs permettrait de combattre encore davantage les maux de la vie chère, comme dans le domaine des télécommunications par exemple. À ce jour, l'on a surtout invoqué l'insularité et le problème du transport alors qu'il faudrait surtout combattre le défaut de concurrence.

M. Éric Doligé, co-rapporteur. - Si les conditions de concurrence ne sont pas réunies, les marges sont plus fortes. Or, selon les dires des grands distributeurs, leurs marges ne sont pas supérieures outre-mer. Existe-t-il des endroits de perte de marges dans la chaîne de formation des prix ?

M. Cédric Musso. - Le même discours nous a été tenu lorsque nous dénoncions l'effet cliquet dans le cadre de la variation des prix agricoles. Quand ces derniers baissaient, les prix en rayon ne baissaient pas et vice-versa. La création d'un observatoire des prix et des marges a permis de dénoncer les marges indues. Il est en effet aisé de masquer des marges indues par un artifice économique consistant à les faire transiter par des filiales ou autres prestataires. L'observatoire qui a été créé a pu mettre à jour ce phénomène pour les produits alimentaires.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Le prix des carburants est administré depuis 1988, le dernier décret intervenu en la matière remontant à 2008. Tous les acteurs affirment que le secteur de l'énergie fait l'objet d'une situation monopolistique avérée. Comment expliquer, selon vous, cet état de fait qui perdure ? Avez-vous déjà eu entre les mains, à La Réunion, la convention du 7 mars 1997 signée entre la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion (CCIR) et la société réunionnaise de produits pétroliers (SRPP) ? Quatre avenants ont été apportés à cette convention. Or, jamais au cours des douze dernières années quiconque a examiné ce texte. Comment pouvons-nous parler du problème des carburants à La Réunion sans avoir analysé ce document ?

M. Cédric Musso. - Je n'ai pas connaissance de ce texte. J'en note les références.

M. Serge Larcher, président. - Le problème se pose également en Martinique et plus généralement dans les Antilles.

Je tenais à rappeler que sur les petits territoires la concurrence constitue une vertu importante mais insuffisante car il faut également combattre les ententes. Avoir des prix administrés ne constitue peut-être pas la situation idéale mais ne s'oppose pas à la présence de plusieurs marques pour un produit de même nature. Quant à la Martinique, les associations de consommateurs qui avaient constaté que certains produits BCBA avaient disparu ont réussi à les faire revenir en exerçant une pression importante. L'administration des prix peut donc être une réponse de court terme, notamment pour les produits de première nécessité.

Je remercie Cédric Musso de sa participation.

La vie chère outre-mer : une fatalité ? - Audition de Mme Anne Bolliet, inspectrice générale des finances

M. Serge Larcher, président. - Nous accueillons désormais Anne Bolliet, inspectrice générale des finances, dont je rappelle qu'elle avait déjà été auditionnée lors de nos travaux, en 2009, notamment sur la question du prix des carburants.

M. Éric Doligé, co-rapporteur. - Je suis ravi que nous puissions échanger avec Anne Bolliet, qui pourra peut-être nous apporter son éclairage sur la composition et le mode de formation des prix en outre-mer.

Mme Anne Bolliet, inspectrice générale des finances. - Je n'ai pas la prétention de faire la synthèse de toutes les évaluations et études déjà effectuées dans le domaine de la vie chère en outre-mer. Je n'ai évidemment pas de solution miracle à apporter et je ne pense pas qu'il en existe. Dans le cadre des audits et missions de l'IGF, de nombreux secteurs concernant l'outre-mer ont été examinés : le carburant, le logement, le prix des liaisons aériennes, etc. mais je note que l'Inspection générale des finances (IGF) n'a jamais été saisie d'une mission spécifique sur la formation des prix.

Des approches, certes pragmatiques, sont possibles. Ainsi, dans le cadre d'une mission de l'IGF qui a porté sur la TVA dite « non perçue récupérable » (NPR), nous avions pu procéder avec les directions des douanes et de la concurrence, à des relevés de prix permettant de comparer les prix à l'importation et avec les prix de vente au consommateur final. L'échantillon n'était peut-être pas totalement représentatif mais nous avions constaté que les marges des entreprises distributrices, sur un certain nombre de produits, étaient importantes.

Lors de la mise en place de cette TVA, dans les années 1950, de nombreuses exonérations avaient été décidées avec pour objectif d'en faire bénéficier le consommateur final. Pour permettre la répercussion de cette exonération sur le consommateur final, les intervenants dans la chaîne de fabrication et de commercialisation étaient autorisés à déduire la TVA qu'il n'avait pas acquittée, ce qui équivalait en réalité à une subvention de l'ordre du taux de la TVA (soit 8,5 % actuellement sauf en Guyane). Mais ce dispositif s'est peu à peu transformé au point qu'il a été perçu par les entreprises comme une subvention à l'entreprise. Je vous renvoie sur ce point au rapport que l'IGF a réalisé.

L'Autorité de la concurrence a formulé, depuis, des avis très documentés sur la formation des prix en outre-mer.

M. Éric Doligé, co-rapporteur. - En dépit des crises successives liées à la vie chère, on s'aperçoit qu'aucun document n'analyse la décomposition du prix par types de produits. On se heurte à la disparité des études effectuées et à l'absence de référentiel en la matière.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - S'agissant des carburants, je m'étonne qu'une entreprise privée, la SRPP, qui a un accord de distribution avec l'État, en charge de l'administration du prix, puisse refuser de communiquer au préfet sa comptabilité analytique, qui seule permettrait de porter un jugement sur les marges réalisées.

Mme Anne Bolliet. - Dans les DOM, l'État administre le prix des carburants, mais pas l'ensemble de la filière pétrolière, et notamment pas le prix d'approvisionnement ni les taxes qui sont appliquées aux prix de bases. Avec la Diecct, l'Etat dispose d'agents à même d'étudier la formation des prix. Cette direction dispose de l'ensemble des informations nécessaires, en discute avec les entreprises pétrolières, même si l'ensemble de ces informations ne sont pas rendues publiques du fait du secret des affaires.

Les observatoires des prix, quant à eux, n'ont pas les pouvoirs de l'Autorité de la concurrence, donc rien n'oblige Total, par exemple, à leur transmettre des informations relevant du secret des affaires. Les entreprises n'ont pas non plus pour obligation de publier leur comptabilité analytique. Quand nous avons fait notre mission sur les carburants, nous avons obtenu toutes les informations de la SARA mais nous ne pouvions pas toutes les rendre publiques.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - L'État joue un rôle central dans le secteur des carburants et nous avons le sentiment qu'il se défausse de sa responsabilité et que les parlementaires sont démunis. La transparence est absolument nécessaire. Il en va de la crédibilité du rôle joué par l'État !

M. Éric Doligé, co-rapporteur. - Nous avons besoin de savoir comment sont formés les prix. Est-ce qu'on a les moyens de les décomposer ? Comment débusquer le poids des marges dans le surcoût des produits en outre-mer ?

Mme Anne Bolliet. - On peut toujours faire des enquêtes, comme celles de l'IGF ou via les commissions des finances, en comparant le prix à l'entrée et le prix de vente au consommateur. L'Autorité de la concurrence a, pour sa part, le pouvoir d'investiguer même si elle est tenue au respect du secret des affaires dans ses rapports publics. Il faudra sans doute aller plus loin que la création ou le renforcement d'observatoires des prix ou d'un nouveau panier de la ménagère et utiliser les outils dont dispose déjà l'Autorité de la concurrence.

S'agissant du transport aérien, par exemple, rien n'imposait à Air France de divulguer le niveau de sa marge sur un Paris-Cayenne ou sur un Paris-Papeete. Mais cela n'interdit pas de progresser dans l'approche des marges des entreprises.

Il y a une mesure des États généraux de l'outre-mer, reprise dans les décisions du Conseil interministériel de l'outre-mer (CIOM), qui n'a pas été mise en oeuvre. C'est la proposition de l'atelier n° 1 de mutualiser la logistique pour l'approvisionnement en outre-mer. Il me semble que c'est une des propositions la mieux à même d'agir sur le montant des marges. Pour les carburants, c'est un peu différent. La question se pose davantage en termes de régulation d'un marché étroit, sur lequel il serait très couteux de pénétrer par de nouveaux investissements, plus que de concurrence. C'est le cas notamment des installations de stockage.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Vous dites que les marchés sont trop étroits mais l'exemple de l'île Maurice, d'aussi petite taille, où l'essence est moins chère, montre que ce n'est pas une fatalité !

Mme Anne Bolliet. - Mais les normes européennes ne s'appliquent pas à l'île Maurice ! Ça change tout ! C'est un super tanker, bien plus gros que le navire qui ravitaille La Réunion, qui dessert l'île Maurice, Madagascar et les Comores. Cela réduit le coût du fret et le coût unitaire par litre de carburant par rapport à l'approvisionnement de La Réunion en provenance de Singapour...

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - S'agissant des normes européennes, le problème du prix des carburants se posait déjà dans les années 90, alors que les normes européennes n'existaient pas encore. L'État décide de tout dans cette matière, par l'intermédiaire du préfet. Tout est dans la convention passée entre l'État, la Chambre de commerce et la SRPP. L'État a signé un avenant à cette convention en 2008 pour la prolonger jusqu'en 2030 alors qu'elle devait s'achever en 2015 et ce, en pleine crise du prix du carburant à La Réunion ! On est en train de jouer avec le feu !

M. Serge Larcher, président. - Tant que nous ne disposons pas de la décomposition exacte des prix, on ne peut les faire baisser. Je peux prendre l'exemple de la viande de boeuf, qui pourrait venir, à moindre frais, du Brésil si les départements français d'Amérique étaient mieux intégrés à leur zone géographique.

M. Claude Domeizel . - Quels remèdes doivent être administrés pour corriger les dérives ? Existent-ils ?

Mme Anne Bolliet. - Ce que je pourrais préconiser n'engage que moi. Certains économistes, qui travaillent sur le fonctionnement des petites économies insulaires, considèrent que le niveau des salaires impacte le niveau des prix. Ils mettent ainsi en évidence le poids des surrémunérations : les distributeurs s'aligneraient en préférant vendre avec des marges élevées à un petit nombre de consommateurs ayant un fort pouvoir d'achat plutôt que de réduire leurs marges unitaires pour toucher une population plus nombreuse mais moins aisée qui consomme moins. Je vais vous communiquer les références utiles, celles d'un économiste, B. Poirine, ou d'un récent rapport du Sénat.

Les études de l'INSEE parues à l'été 2010 montrent que le plus fort écart de prix avec la métropole porte sur les produits alimentaires. Cela accrédite l'idée que ce sont les consommateurs avec les revenus les plus élevés qui tirent les prix vers le haut.

On peut administrer le prix d'un grand nombre de produits, comme c'est fait en Polynésie française par exemple par cette collectivité (compétence locale). Cela débouche d'une certaine manière sur une dualité de marchés de consommation : le premier, celui des produits de première nécessité pour les populations dont le pouvoir d'achat est faible, et le second, destiné aux personnes ayant un pouvoir d'achat plus élevé, avec des prix plus élevés.

Mme Karine Claireaux . - En effet, certaines contraintes spécifiques à l'outre-mer pèsent nécessairement sur le niveau des prix. L'entreposage, par exemple, coûte cher. En revanche, les coûts du fret et les droits de douane sont largement une légende. Il me semble qu'on bute sur la vérité et qu'on ne va pas au fond des choses sur chaque élément constituant le prix.

Mme Anne Bolliet. - L'entreposage est effectivement beaucoup plus important en outre-mer qu'en métropole. Souvent, les distributeurs indiquent avoir besoin de constituer un mois de stocks pour des raisons d'éloignement notamment. De tels stocks sont aujourd'hui atypiques, ce qui est très onéreux.

Mme Karine Claireaux. - Il y a parfois des aberrations : les fournisseurs canadiens, situés juste à côté de Saint-Pierre-et-Miquelon, refusent de nous fournir et nous disent de le faire en métropole car nous sommes Français ! Et, en métropole, on nous fournit mais à des tarifs internationaux donc plus chers !

Mme Anne Bolliet. - C'est un des problèmes identifiés lors des États généraux de l'outre-mer. Les produits de marque organisent leurs circuits commerciaux sans tenir compte de l'outre-mer. Par ailleurs, une entreprise installée au Brésil aura des difficultés pour vendre, par exemple, en Guyane. Il faudra donc aller chercher le produit en métropole. Ainsi, par exemple, j'avais noté dans une mission (un peu ancienne certes) que toute l'eau minérale de Saint-Pierre-et-Miquelon provenait d'un commerçant installé en Poitou-Charentes et était transportée, dans des bouteilles de verre, sur des milliers de kilomètres !

Mme Karine Claireaux. - Maintenant, nous avons des bouteilles en plastique. En revanche, le prix du fret est devenu plus élevé que celui de la marchandise...

M. Serge Larcher, président. - Vous avez identifié le problème des rémunérations plus élevées, mais ce constat, vrai dans le secteur public, ne l'est pas dans le secteur privé.

Mme Anne Bolliet. - Je pense que l'essentiel du travail à faire porte sur les circuits de distribution. Il faudrait développer les relations commerciales entre chaque territoire d'outre-mer et sa zone géographique. Cependant, une telle évolution - souvent souhaitée par les responsables d'outre-mer - peut buter sur l'existence de normes, notamment européennes, et la nécessité de prévoir, par exemple, des notices en français sur les produits. Toutes ces normes de commercialisation pérennisent aujourd'hui les courants d'affaires anciennement installés et rendent plus difficile l'émergence d'une concurrence.

M. Serge Larcher, président. - Je pensais justement que les traités européens autorisaient des dérogations pour les DOM.

Mme Anne Bolliet. - Ce sujet est d'une grande importance. C'est l'application de la réglementation européenne sur les carburants qui, en 2008, à l'issue d'un contentieux initié par des concessionnaires automobiles, a posé problème en Guyane et a été un des éléments à l'origine du conflit social.

La vie chère outre-mer : une fatalité ? - Audition de Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale de l'Autorité de la Concurrence

M. Serge Larcher, président. - Nous poursuivons nos travaux sur la vie chère outre-mer. Nous accueillons Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale de l'Autorité de la Concurrence, ainsi que MM. Étienne Pfister, rapporteur général adjoint, et Jérôme Vidal, conseiller.

M. Éric Doligé, rapporteur. - Nous nous posons de nombreuses questions sur la vie chère outre-mer. Nous avons des difficultés à cerner le problème car les réponses qui nous sont fournies sont contradictoires. Nous espérons donc beaucoup de cette audition, de nombreuses personnes ayant parlé devant nous de l'Autorité de la concurrence comme d'une institution allant particulièrement loin dans ses réflexions en matière de prix.

Au coeur de la problématique de la vie chère, il y a bien entendu celle des prix avec ses deux aspects, celui de leur niveau et celui de leur constitution. Or, nous éprouvons des difficultés à nous faire une idée précise des mécanismes de constitution des prix : les différentes composantes sont connues, mais il semble difficile de déterminer la part de chacune d'entre elles. Par ailleurs, la situation ne semble pas identique d'un produit à l'autre et d'un territoire à l'autre. Globalement, on constate que les prix sont plus élevés outre-mer, avec probablement des raisons objectives, mais nous pensons qu'il existe certainement des possibilités d'action afin de réduire certaines composantes de ces prix.

Est-ce que les moyens de l'Autorité de la concurrence sont importants outre-mer et peuvent participer à cette connaissance du niveau et de la composition des prix ? L'activité récente de l'Autorité lui a-t-elle permis de tirer certaines conclusions sur la composition des prix ? Les événements récurrents dans les outre-mer concernant la vie chère vous ont conduit à effectuer des analyses et à formuler des propositions depuis 2009 : ces dernières ont-elles été suivies d'effets ?

Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence. - L'Autorité de la concurrence s'est beaucoup intéressée à l'outre-mer au cours des trois dernières années. Elle n'est pas présente en tant que telle en outre-mer, mais, compte tenu de l'importance de nos investigations sur ces territoires, nous avons désigné un « correspondant » qui coordonne les interventions de l'Autorité outre-mer.

Pour travailler outre-mer, l'Autorité s'appuie sur les services déconcentrés de l'État, à savoir les directions des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIECCTE) : d'une part, elles nous transmettent les informations portant sur d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles et, d'autre part, l'Autorité sollicite leur concours et leur connaissance du terrain à l'occasion d'enquêtes. Nous nous appuyons en ce moment sur les DIECCTE dans le cadre d'une enquête sur la réparation automobile et le prix des pièces détachées, portant sur l'ensemble du territoire national mais avec un focus spécifique sur les DOM.

Quelques chiffres sur notre activité portant sur l'outre-mer :

- 9 décisions contentieuses depuis 2008, concernant directement l'outre-mer ;

- 5 décisions en matière de concentration, concernant uniquement des entreprises situées outre-mer ou des opérations dont l'impact comportait une dimension ultramarine forte. Dans ces cinq cas, l'Autorité a demandé des engagements visant à améliorer la concurrence alors que la proportion de décisions en matière de concentration assorties d'engagements s'établit généralement à 5 %. Ces opérations concernent la grande distribution, à l'exemple de la reprise de magasins Cora par le groupe Bernard Hayot, ou le secteur du rhum, avec le rachat de Quartier Français Spiritueux par la COFFEP ;

- 6 avis concernant l'outre-mer, auquel j'ajoute donc le « focus outre-mer » dans le cadre de notre avis sur la réparation automobile, qui sera rendu la semaine prochaine ;

- 9 dossiers concernant l'outre-mer sont en cours d'instruction, à la suite à des saisines issues de plaintes ou d'auto-saisines, à la suite d'investigations consécutives à des avis rendus.

L'Autorité de la concurrence a plus particulièrement travaillé sur deux secteurs très sensibles outre-mer : la grande distribution et les carburants. Je précise, en réponse à vos préoccupations portant sur la décomposition des prix, qu'il ne s'agit pas de notre métier premier. Nous sommes amenés à travailler sur la structuration des prix à l'occasion de dossiers contentieux et nous l'avons fait également à la demande du Gouvernement en 2009. Cependant nous ne pouvons pas nous substituer aux organismes présents sur place, tels que l'INSEE ou les observatoires des prix et des revenus.

M. Étienne Pfister, rapporteur général adjoint de l'Autorité de la concurrence. - L'Autorité de la concurrence s'est donc intéressée en 2009, à la demande du Gouvernement, aux secteurs des carburants et de la grande distribution. Elle a rendu deux avis portant sur le fonctionnement de ces secteurs dans les DOM.

S'agissant des carburants, il s'agit d'un marché très particulier : on a en amont ce qui peut être assimilé à des monopoles naturels, en matière de fret, de stockage, de distribution et de raffinerie. Selon le territoire, le monopole naturel s'étend sur l'ensemble de la chaîne ou seulement sur une partie. Le Gouvernement a mis en place une régulation afin d'éviter que ces monopoles ne conduisent à des sur-marges. L'Autorité a cependant relevé une dérive des marges réalisées en amont, non justifiées par le coût d'approvisionnement. Elle a donc recommandé de modifier le mode de régulation des prix amont, en les basant non plus sur une formule communiquée au préfet par les groupes pétroliers mais sur les indices d'approvisionnement locaux, ceci afin que le prix soit plus proche des conditions réelles d'approvisionnement. Le Gouvernement a pris en 2009 et 2010 des décrets qui suivent les grandes lignes de cette recommandation.

Un monopole naturel existant en matière de stockage, il convient de surveiller les modalités d'accès des distributeurs de détail aux capacités de stockage. L'Autorité a donc recommandé une filialisation de l'activité de stockage afin que la concurrence entre distributeurs repose uniquement sur les mérites, et non pas sur le fait qu'un groupe est actionnaire d'une société de stockage. Cependant, le contexte n'a pas permis une évolution de ce type : à La Réunion, l'un des actionnaires de la société réunionnaise de produits pétroliers (SRPP) souhaite se retirer de la zone Afrique ; aux Antilles, la société anonyme de raffinerie des Antilles (SARA) connaît des difficultés.

S'agissant de l'aval, c'est-à-dire de la distribution, l'État a tenté de réguler les prix en fixant des prix maximum de détail ; mais ceux-ci sont rapidement devenus des prix de référence partout semblables, que la station service soit implantée dans une zone de forte chalandise ou soit isolée avec des coûts fixes élevés. Mais, politiquement, il est délicat de revenir sur ce mode de régulation par le prix maximum.

L'Autorité de la concurrence a enfin observé qu'existent beaucoup d'opérateurs indépendants dans ce secteur, qui sont en réalité étroitement liés aux groupes pétroliers, ce qui fige la situation de la concurrence. Elle a donc recommandé que ces relations soient assouplies : les groupes pétroliers ont fait des progrès significatifs, en raccourcissant la durée des contrats ou en supprimant les clauses de préférence lors de la revente des stations services.

Globalement, il y a donc eu des progrès en matière de régulation : en amont, elle est plus objective, en étant basée sur les prix d'approvisionnement ; en matière de distribution, les contrats sont plus souples, permettant aux stations de changer de groupe d'affiliation, et donc de faire jouer la concurrence entre ces groupes.

Deuxième secteur pour lequel l'avis de l'Autorité de la concurrence a été sollicité : l'importation et la distribution des produits de grande consommation, en particulier alimentaires. Une des premières missions de l'Autorité a été d'analyser si le niveau plus élevé des prix constaté outre-mer était dû aux frais d'approche (fret et octroi de mer notamment) ou s'il dérivait de comportements de sur-marges, dus à une structure concurrentielle insuffisante.

Il existe bien des raisons objectives à ce niveau élevé des prix : le fret, l'octroi de mer, ainsi qu'un circuit d'approvisionnement spécifique. En métropole, les fabricants vendent directement au distributeur ; un acteur supplémentaire intervient outre-mer : le grossiste-importateur qui mutualise les achats avant de vendre au distributeur. Au-delà de ces facteurs objectifs, l'Autorité de la Concurrence a conclu à l'existence de comportements de surprix qui demeurent difficiles à localiser. Plusieurs exemples illustrent l'existence de ces comportements :

- en considérant des produits parfaitement comparables, comme un produit de marque nationale et un produit de marque de distributeur, on constate que, alors que ces deux types de produits devraient avoir le même surprix, puisqu'ils subissent les mêmes contraintes, le différentiel de prix est beaucoup plus élevé pour les produits de marque nationale que pour les produits de marque de distributeur ;

- pour certains produits, on a pu mesurer objectivement les frais de transport et les frais d'octroi de mer. Pour la plupart de ces produits, ces frais ne couvrent pas la totalité du différentiel de prix par rapport au prix métropolitain ;

- la Guadeloupe et la Martinique ont le plus souvent des frais d'approche similaires. Or on constate des différentiels de prix entre ces deux territoires.

Une des explications de ce surprix est la concentration au stade du détail : globalement, dans les DOM, les quatre premiers opérateurs concentrent entre 60 et 70 % des parts de marchés. Une autre explication est l'existence du grossiste-importateur : il est difficile de déterminer s'il réalise des marges indues. Ses marges paraissent plus élevées que celles réalisées par les grossistes en métropole, mais son travail n'est pas totalement identique. L'Autorité a cependant observé que ces grossistes disposent d'exclusivités sur certains produits, ce qui limite les marges de manoeuvre des distributeurs alors contraints de s'adresser à eux ou directement au fabricant. Mais dans ce dernier cas, le distributeur-importateur sera confronté à des délais de livraison plus importants et ne pourra bénéficier ni d'économies d'échelle sur les frais de transport ni de tarifs préférentiels tels ceux consentis aux grossistes.

L'Autorité de la concurrence a formulé plusieurs recommandations : tout d'abord réduire le degré de concentration au stade du détail, ou du moins faire en sorte qu'il soit stabilisé, ceci notamment par un abaissement du seuil de notification. En métropole, pour qu'un magasin racheté fasse l'objet d'une notification auprès de l'Autorité de la concurrence, cette dernière examinant si le rachat conduit à une réduction de la concurrence, le chiffre d'affaires du magasin doit être supérieur à 15 millions d'euros. En outre-mer, ce seuil est trop élevé par rapport au chiffre d'affaires réalisé par de nombreux magasins. Afin de disposer d'un réglage plus fin, l'Autorité a donc recommandé que le seuil de notification soit abaissé de moitié, pour s'établir à 7,5 millions d'euros, ce qui a été pris en compte par le Gouvernement.

Grâce à cette modification, de nombreuses opérations de rachat sont désormais notifiées à l'Autorité. Cela nous permet de vérifier que la concurrence n'est pas diminuée par le rachat, mais aussi d'étudier, à l'occasion de telles opérations, le fonctionnement du secteur concerné et, le cas échéant, de demander des engagements. Ainsi, dans le cadre du rachat d'un hypermarché Cora par le groupe Bernard Hayot, l'Autorité a constaté l'existence de relations d'exclusivité entre le groupe et certains fabricants, ainsi que le rôle de grossiste joué par le groupe Bernard Hayot pour ses magasins ainsi que pour ceux de ses concurrents. L'Autorité a donc demandé et obtenu la fin de l'exclusivité de fait et l'instauration de modalités de vente par le groupe à ses propres magasins qui ne constituent plus un avantage par rapport aux autres magasins.

Comme dans le secteur des carburants, l'Autorité de la concurrence a négocié, à l'occasion de son avis, des engagements informels. En Guadeloupe ainsi, où il n'existe que quatre hypermarchés, l'un d'entre eux était détenu conjointement par les deux principaux groupes de distribution, à savoir les groupes Huyghues Despointes et Bernard Hayot. Elle a obtenu le décroisement de l'actionnariat afin que cet hypermarché soit un réel facteur de concurrence entre les deux groupes.

Au-delà de la grande distribution et des carburants, l'action de l'Autorité de la concurrence a porté également sur le domaine des télécommunications, dans lequel elle a rendu quatre décisions au cours de la seule année 2009. Les prix des télécommunications étaient en effet très supérieurs outre-mer et l'action de l'Autorité a contribué à rendre ce secteur, caractérisé par l'existence d'un acteur en position dominante, plus concurrentiel.

M. Éric Doligé, rapporteur. - Plusieurs questions : les prix ont-ils baissé dans les secteurs des télécommunications ou de la grande distribution à la suite de l'intervention de l'Autorité de la concurrence ? Des marges indues existent certainement outre-mer : mais une marge indue est-elle illégale ? Certaines marges ne sont-elles pas liées à l'organisation du marché ?

M. Étienne Pfister. - Les abus constatés dans le secteur des télécommunications ne consistaient pas en des prix excessivement élevés, mais en des abus structurels visant à empêcher le développement des concurrents. Ces obstacles ont été levés et les concurrents peuvent se développer plus facilement. Un certain temps sera nécessaire avant de percevoir un impact sur les prix pour les consommateurs.

Il est en effet complexe de déterminer le caractère indu d'une marge, car une marge correspond à un certain travail, à un investissement et à un risque, paramètres difficiles à quantifier. Comme je l'ai indiqué, il est ainsi délicat de comparer les marges des grossistes métropolitains et celle des grossistes-importateurs outre-mer, qui ne font pas exactement le même métier.

Il faut se garder de toute tentative de régulation excessive des prix dont les conséquences peuvent être difficiles à prévoir. En revanche, il est important d'observer les phénomènes des prix et s'interroger : pourquoi, par exemple, l'importation en direct n'est-elle pas plus fréquente ? On s'est également aperçu qu'un même grossiste pouvait détenir plusieurs produits concurrents : lorsqu'il les revend, il n'a pas intérêt à les mettre en concurrence. Les observatoires des prix et des revenus peuvent jouer un rôle en matière de surveillance : face à ce type de phénomènes, ils pourront alerter les services d'enquête locaux, qui, le cas échéant, saisiront l'Autorité de la concurrence.

Mme Virginie Beaumeunier. - Le rôle de l'Autorité de la concurrence est de vérifier qu'il existe une pression concurrentielle suffisante pour que les marges ne deviennent pas excessives. Il s'agit donc d'agir sur les structures et les comportements en escomptant que cette action aura un effet sur les prix à terme.

Cette action sur les structures n'a qu'un caractère préventif et l'Autorité ne peut corriger les phénomènes antérieurs à l'opération de rachat ou de fusion : elle intervient pour éviter une concentration aggravée mais pas sur la situation préexistante. Dans un avis portant sur la ville de Paris, l'Autorité a préconisé, pour le secteur de la distribution et dans les cas où la concentration est trop forte, de disposer d'un pouvoir d'injonction structurelle lui permettant de déconcentrer en dehors même du constat d'un abus. Il s'agirait d'un pouvoir important, conçu comme un instrument préventif, mais de telles actions structurelles permettraient de peser sur les prix.

Les mesures de contrôle des prix, prévues dans certains cas par le code de commerce, peuvent être positives. Cependant, dans le secteur du détail, de telles mesures induisent des effets pervers. Le contrôle des prix ne s'opère pas sur tous les produits et de façon permanente : le risque est donc celui d'un rattrapage sur d'autres produits ou à la sortie du contrôle des prix. Nous recommandons donc ce type de mesures uniquement dans le cas de monopoles naturels ou dans des circonstances de crise aiguë ponctuelle. Elles ont ainsi été mises en oeuvre à deux occasions : d'une part, dans le contexte de la première guerre du Golfe pour les carburants et, d'autre part, à la suite du cyclone Hugo à la Guadeloupe pour les produits alimentaires et les produits de reconstruction (briques, ciments).

L'action de l'Autorité de la concurrence est une action de long cours, dont l'impact en matière de prix n'est pas immédiat. Il n'y a, pour l'heure, pas eu de lourdes décisions de sanction dans les DOM dans le secteur de la distribution. Mais l'Autorité de la concurrence y a sanctionné des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des télécoms, et a récemment sanctionné une entente dans le secteur des travaux publics à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Sur les télécommunications, nous estimons que l'amélioration de la pression concurrentielle a permis de réduire les excès : le prix des communications électroniques outre-mer (en dehors des communications entre l'outre-mer et la métropole) n'est ainsi désormais pas plus élevé qu'en métropole.

M. Serge Larcher, président. - Disposez-vous de suffisamment de moyens outre-mer ? Seriez-vous demandeur de nouvelles prérogatives ?

Mme Virginie Beaumeunier. - Comme je vous l'indiquais, nous n'avons pas de moyens spécifiques dédiés à l'outre-mer. Toute administration souhaite avoir plus de moyens, mais je pense que nous avons aujourd'hui les moyens de fonctionner, en nous appuyant sur les DIECCTE notamment.

S'agissant du renforcement de nos pouvoirs, je pense principalement à l'injonction structurelle dans le secteur de la grande distribution. La situation de concentration existant à Paris n'est pas très différente de celle de certains territoires ultramarins : ce type de pouvoir aurait un effet préventif - voire correctif - utile.

M. Michel Vergoz, rapporteur. - S'agissant de la grande distribution, quelles références utilisez-vous pour effectuer vos analyses de différentiels de prix ? Le « panier » de l'INSEE ? Le « chariot-type » d'UFC-Que choisir ou d'une autre association locale ?

M. Étienne Pfister. - Notre avis de 2009 n'avait pas pour objectif de mesurer l'écart de prix. Sur cette question, l'INSEE, dont c'est le métier, a produit une étude en 1992 et une nouvelle étude très récemment. Notre objectif était d'analyser un échantillon d'une centaine de produits afin de déterminer s'il existait des anomalies tendant à indiquer que le différentiel de prix avec la métropole n'équivalait pas aux simples frais d'approche. Il s'agissait non pas de conclure à l'existence de marges indues, mais d'observer si, par rapport à un niveau de marges donné, on observait une structure de marché permettant aux acteurs de s'abstraire d'une pression concurrentielle normale. La réponse est très complexe : cela dépend du type de produit, cela dépend de l'histoire du marché dans chaque DOM.

M. Michel Vergoz, rapporteur. - Une véritable concurrence existe-t-elle dans le domaine des carburants ou le secteur est-il « verrouillé » ? La question du prix de l'énergie est très sensible outre-mer.

La situation est-elle « verrouillée » de façon à ce qu'il ne puisse pas y avoir de concurrence ? Le bateau Tamarin, qui approvisionne l'île de La Réunion à partir de Singapour, a-t-il été acheté en défiscalisation pure ? Impossible d'avoir une réponse à cette question. Toujours à propos de ce bateau : est-il possible de trouver un acheminement moins onéreux ? Si oui, pourquoi les acteurs privés n'ont-ils pas choisi d'autres bateaux ?

Connaissez-vous la convention signée le 7 mars 1997 entre la Chambre de commerce et d'industrie de La Réunion (CCIR) et la SRPP sur les conditions d'exercice du monopole en matière de carburants ? Ce document majeur est au centre des négociations qui peuvent se tenir sur ce dossier. Autre question : qui investit sur le domaine public en matière de stockage à La Réunion ? Je pense qu'il s'agit des usagers, via les taxes payées. J'aimerais connaître votre point de vue sur cette question. Dernière question : êtes-vous au courant de la prorogation dés 2008 de la convention jusqu'en 2030, ce qui excéderait largement les délais d'amortissement ? Les investissements s'amortissent en effet d'ordinaire sur une période de douze à quinze ans, mais on a prorogé par anticipation la validité d'un contrat qui aurait permis de négocier la transparence.

Mme Virginie Beaumeunier. - Je ne suis pas certaine de disposer des réponses à toutes vos questions. Sur la question du fret, nous avons constaté qu'il est nécessaire qu'un seul bateau approvisionne La Réunion. Nous n'avons pas étudié le financement du bateau utilisé actuellement. Y aurait-il une autre manière de faire venir le carburant ? Je ne sais pas.

Sur la convention entre la CCIR et la SRPP, nous n'avons pas d'éléments précis. Lorsque notre Président est allé récemment à La Réunion, les représentants de la CCIR ont évoqué un projet d'importation parallèle de carburants et des difficultés d'accès aux capacités de stockage de la SRPP : si c'est le cas, il faut nous transmettre les informations utiles, car il s'agit d'infrastructures essentielles. Nous n'avons pas connaissance de cette convention et de sa reconduction : c'est un document que nous pourrions étudier au regard du droit de la concurrence.

Notre avis de 2009 comprend une réponse à cette situation : la séparation de la SRPP en deux, avec, d'une part, l'activité de stockage et, d'autre part, l'activité de distribution. Les problèmes que vous évoquez sont dus à l'absence de filialisation : comme il n'y a pas de séparation claire, on ne sait pas qui finance quoi. Nous avons fait pression sur les deux actionnaires de la SRPP pour que cette filialisation ait lieu : Total y est favorable, mais l'autre actionnaire, Shell, souhaite se séparer de son activité raffinage-distribution en Afrique, zone dans laquelle est incluse La Réunion. Le repreneur de la participation de Shell aura donc à se prononcer sur cette question. Le sujet n'avance pas pour l'instant, alors qu'il s'agit d'un préalable à toute régulation efficace de ces activités.

M. Michel Vergoz, rapporteur. - Dans cette convention, il apparaît que la CCIR dispose de larges pouvoirs, en matière de stockage notamment. Je m'étonne cependant que personne n'utilise cette convention pour peser dans les négociations tendant à ménager davantage de transparence. Autre question : est-ce qu'un organisme comme la CCIR peut proroger bien avant son terme et pour une très longue durée une convention sans passer par une décision publique ?

Mme Virginie Beaumeunier. - Je m'interroge également : il faut que nous regardions cela de près. N'hésitez pas à me transmettre des éléments sur cette question.

La vie chère outre-mer : une fatalité ? - Audition de M. Pascal Ferey, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)

M. Serge Larcher, président. - Nous accueillons, pour clore cette journée d'auditions, M. Pascal Ferey, vice-président de la FNSEA. Nos deux rapporteurs, MM. Éric Doligé et Michel Vergoz, vont vous interroger sur la vie chère en outre-mer.

M. Éric Doligé, co-rapporteur. - Nos questions portent sur plusieurs points : comment la FNSEA est-elle organisée en outre-mer ? Pouvez-vous nous décrire vos filières agricoles ? Quelle est votre appréciation sur les coûts des intrants ? Enfin, pouvez-vous nous parler des relations entre les producteurs et les grandes surfaces ?

M. Pascal Ferey. - La FNSEA a des structures syndicales dans les cinq DOM. Leur mission essentielle est de représenter les agriculteurs, mais aussi d'être nos correspondants permanents sur les dossiers difficiles.

Dans la zone Océan Indien, La Réunion est peut-être le DOM le plus « métropolitain » s'agissant de l'organisation des filières. La filière sucre notamment, est très bien organisée. En revanche, nous avons beaucoup plus de mal à organiser la filière des fruits et légumes. Malgré nos efforts, 80% de cette filière est entre les mains de producteurs qui ne sont pas toujours bien organisés.

Aux Antilles, la situation est différente. En Martinique, les grosses filières sont la banane, le rhum et le sucre. Nous sommes dans l'expectative des décisions européennes sur ses politiques sectorielles. La Guyane souffre encore des séquelles de son « plan vert » de 1979. La filière riz a été développée, mais pas suffisamment. Notre projet de mettre en place une usine à décortiquer le riz n'a pas abouti pour des raisons budgétaires, ce qui oblige à conditionner le riz au Surinam. Le développement des productions et l'autonomie alimentaire, en fruits, en légumes et en viande, posent encore problème. Nos efforts ont été des échecs, entre autres sur la structuration de l'offre en viande bovine, avec par exemple la construction d'un abattoir qui fonctionne difficilement.

Les Antilles ont été brutalement marquées par les événements de 2009. L'évasion des touristes a eu des conséquences directes sur la production agricole locale, du rhum et des cultures vivrières. On a assisté à une fuite des capitaux. Les agriculteurs ont dû affronter la hausse des prix sur les intrants et le carburant. Les filières dites dédiées, fruits et légumes, et production carnée, sont en grande difficulté. L'administration territoriale a passé des contrats avec la Chambre d'agriculture pour permettre aux agriculteurs non seulement de bénéficier d'aides, mais d'essayer de s'organiser. La situation aux Antilles peut se résumer à la formule : trop pour la banane et le sucre, rien pour le reste. Dans la perspective de la renégociation des programmes européens, il faut inverser la démarche : d'abord essayer d'organiser les producteurs avant de raisonner en termes de structuration d'une offre de services. Ensuite, les productions vivrières ne tiendront pas aux Antilles si le premier acheteur, c'est-à-dire les collectivités territoriales, n'honorent pas leurs factures. Leur défaut de paiement provoque en ce moment la faillite d'une coopérative fruitière, et, plus largement, dissuade les producteurs de s'organiser. On doit se contenter d'une agriculture de proximité, qui n'est pas en mesure de livrer des produits locaux de façon pérenne et régulière, alors qu'il y a un vrai marché.

Le deuxième problème est la compétitivité. Le coût des intrants, soumis au monopole de la distribution, est très élevé, 30 à 40 % plus chers que ceux de métropole. Une partie de ce surcoût n'est pas justifié par l'éloignement.

Ma troisième remarque est une alerte. Nous avions négocié la possibilité de relancer la filière des petits ruminants en Martinique. Nous nous heurtons à deux problèmes : l'absence de personnel pour encadrer l'ingénieur sur place, qui ne pouvait pas, de sa propre initiative, organiser la filière ; et un problème de disparité de statut des agriculteurs, dans la mesure où nombre d'entre eux ne sont pas reconnus en Martinique.

La Réunion est le département qui a peut-être le moins de difficultés à organiser sa production, sauf pour ce qui concerne les filières fruits, légumes, et fleurs. Le surcoût des intrants est assumé par la collectivité, ce qui permet à La Réunion d'être très proche de l'autonomie en oeufs, poulets, fruits et légumes locaux : l'organisation de ces productions, leur financement, les programmes européens, ont donné satisfaction. Des raisons culturelles, d'encadrement, ont permis ces résultats à La Réunion.

Néanmoins, les difficultés pour La Réunion et les Antilles sont, outre la disponibilité du foncier, et la concurrence de l'agriculture avec le photovoltaïque, d'assurer le renouvellement des générations. Les pistes d'avenir sont la formation, de qualité dans les lycées agricoles, et l'encadrement de l'agriculture, bien mené à La Réunion grâce à l'arrivée bénéfique d'ingénieurs et techniciens supérieurs, qui ont travaillé en osmose avec les agriculteurs. En revanche, aux Caraïbes, l'intégration de techniciens et d'ingénieurs venant de métropole n'est pas aisée, et l'encadrement local est insuffisant en qualité. On s'y contente des aides financières communautaires sans aller au-delà. L'exemple de la banane aux Antilles est significatif : après le dernier cyclone, la Martinique et la Guadeloupe n'ont pas exporté de bananes pendant six mois alors que le marché métropolitain existait bien. Au contraire, les groupements de producteurs antillais ont importé de la banane en provenance de la zone Caraïbes. Depuis, la production locale fonctionne de nouveau, mais cet exemple montre que l'Union européenne ne financera pas durablement ces productions. Il faut plutôt que les programmes communautaires financent une agriculture productive à destination du marché local. Les Antillais y aspirent. Il convient aussi d'initier des politiques, en liaison étroite avec les collectivités territoriales, en direction d'autres filières tombées en désuétude, que la banane et le sucre, déjà bien implantées.

Enfin, il faut tenir compte de l'environnement. On atteint les limites du système phytosanitaire aux Antilles. Le mitage urbain en milieu rural posera d'énormes problèmes.

Il faut conduire une réflexion sur le développement des filières vivrières locales, fruitières, légumières, mais aussi animales pour exploiter le potentiel antillais.

M. Éric Doligé, co-rapporteur. - Merci pour ces réflexions d'ordre général. Pouvez-vous nous éclairer sur les prix et la relation des producteurs avec la grande distribution ? Quelle est le rôle de celle-ci ?

M. Pascal Ferey. - D'une façon générale, on doit davantage associer les collectivités territoriales et la grande distribution. Les producteurs n'arriveront pas à s'organiser méthodiquement en l'absence de débouchés pérennisés par des contrats.

La relation avec la grande distribution est très difficile. La situation est celle d'un monopole, où la production locale ne fournit que des produits d'appel. La tomate métropolitaine arrive à un coût de 42 centimes, et est vendue 2,15 euros, ce qui lamine la tomate locale, vendue à 4,5 euros ! Les producteurs n'ont pas de place au sein de la grande distribution, et ne sont pas organisés pour permettre des débouchés permanents. Le vrai sujet est l'approvisionnement permanent, qui nécessite un coût supplémentaire, bien plus important qu'en métropole.

Pour contrebalancer le monopole de la grande distribution, il faut inciter à la contractualisation avec les hôpitaux et les collectivités locales, les cantines par exemple, même si les collectivités n'honorent pas leurs factures dans les délais. Elles doivent montrer l'exemple. J'avais proposé d'organiser des « états généraux de l'indépendance alimentaire », pour structurer de façon pérenne la production et les débouchés, rendre obligatoire la consommation de produits bio... Si on implique les collectivités locales, il est probable que la grande distribution suive l'exemple. De plus, le développement de la production locale favoriserait le tourisme.

Enfin, une petite partie de l'enveloppe des programmes communautaires POSEI (programmes d'option spécifiques à l'éloignement et à l'insularité) devrait être utilisée pour initier des programmes plus innovants pour l'organisation de la production, et mieux adaptés au terrain. Financer un abattoir ne sert à rien s'il n'y a pas de bétail. À cet égard, les fruits et légumes, et les petits ruminants, sont des filières prioritaires.

M. Éric Doligé, co-rapporteur. - Et la pêche ?

M. Pascal Ferey. - Hormis à Mayotte, les volumes pêchés sont de moins en moins importants, car c'est surtout la petite pêche artisanale qui s'est développée, vendue quasiment à la sortie du bateau. Il n'y a pas grand-chose à faire pour mieux organiser la filière, contrairement à l'agriculture terrestre.

M. Serge Larcher, président. - On peut remplacer les fournisseurs anglophones et vénézuéliens qui nous approvisionnent. Il faudrait former nos pêcheurs pour qu'ils aillent en haute mer, afin que les Antillais soient au moins autosuffisants en poissons.

M. Pascal Ferey. - Le problème est celui du financement. C'est aussi un problème de culture, et de concurrence avec la pêche de proximité.

Pour revenir à la vie chère, je crois qu'il faut initier d'autres voies pour l'approvisionnement de matières premières. Tout faire venir de la métropole pose des problèmes de compétitivité. Les gisements d'emplois sont dans le tourisme et l'agriculture. Cela suppose de chercher des solutions d'approvisionnement en intrants dans la zone Caraïbes. Pour améliorer l'exportation vers la métropole de certains produits phares comme les fleurs et l'ananas, ou encore le litchi réunionnais, il faut aussi trouver des solutions pour diminuer le coût du fret aérien.

M. Serge Larcher, président. - Mais l'Amérique latine, notamment le Brésil, fournit aussi le marché ultra-marin en produits qu'on peut produire nous-mêmes. C'est le cas de l'avocat, des agrumes, des légumes.

M. Pascal Ferey. - Le problème de la vie chère est celui de l'approvisionnement. On peut constater une stabilisation des prix, mais dès que la pression des pouvoirs publics se relâche, les prix remontent aussitôt. De plus, les baisses de prix dues aux décisions publiques sont anticipées, ce qui provoque, par un effet boomerang, une hausse des prix encore plus grande. La grande distribution doit se montrer plus citoyenne. Réglementer en permanence ne règlera pas le problème.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - Ne pensez-vous pas que cette question du coût de la vie vient du fait qu'on veut calquer la démarche continentale sur l'outre-mer ? La grande distribution n'est apparue que dans les années 1990 en outre-mer ; avant, pour les fruits et légumes, on avait une culture de marché forain. Le maître mot n'est-il pas d'organiser la production en gardant notre identité ultra-marine ?

M. Serge Larcher, président. - Le marché forain ne peut pas être un modèle. On a besoin d'ouverture.

M. Michel Vergoz, co-rapporteur. - C'est vrai.

M. Pascal Ferey. - La culture des départements d'outre-mer en termes d'approvisionnement était en effet longtemps le marché forain. Le durcissement des règles d'hygiène pour le poisson et la viande a conduit à mettre en place des abris. Aujourd'hui, le marché forain aligne son prix, avec un coefficient, sur la grande distribution. De plus, les habitudes de consommation s'alignent sur celles de la métropole, ce qui favorise les produits importés au détriment des produits locaux. Les jeunes consommateurs ne vont plus sur le marché forain. Si on n'organise pas la production, on sera toujours dans la même situation dans vingt ans. Au-fur-et-à-mesure de l'arrivée à échéance des programmes communautaires, il faut dégager une partie des aides dans ce sens, et pas seulement en direction de la banane ou de la canne à sucre.

M. Serge Larcher, président. - Il faut réorienter l'agriculture vers l'autosuffisance alimentaire, et l'exportation. Je vous remercie.

Mercredi 4 avril 2012

- Présidence de M. Serge Larcher, président -

La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ? - Audition de M. Jean-Yves Perrot, président-directeur général de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER)

M. Serge Larcher, président. - Nous abordons aujourd'hui le thème de la zone économique exclusive (ZEE) des outre-mer. Après avoir rencontré, la semaine dernière, M. Élie Jarmache, chef de la délégation française auprès de la commission des limites du plateau continental de l'ONU, nous allons entendre M. Jean-Yves Perrot, président-directeur général de l'IFREMER.

M. Jean-Yves Perrot, président-directeur général de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER). - Je souhaite d'abord vous présenter la vision de l'IFREMER, établissement public de recherche très implanté en outre-mer. Je suis personnellement un militant de l'outre-mer. Je considère que l'outre-mer est une chance pour la France et la recherche scientifique française. C'est évident du point de vue marin, pour des raisons quantitatives mais surtout qualitatives. Quantitativement, 97 % de notre ZEE se situe outre-mer. Sur le plan qualitatif, les eaux de l'outre-mer donnent accès à des milieux d'intérêt scientifique sans équivalent pour les chercheurs. C'est vrai dans le domaine halieutique, de l'aquaculture en général et de la pisciculture en particulier, des ressources minérales, et, dans une certaine mesure, des énergies marines renouvelables.

L'IFREMER est implanté à peu près partout dans l'outre-mer français. Nous sommes présents en Guyane, aux Antilles, dans l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, à La Réunion, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, et bientôt à Mayotte.

Je m'exprime au double titre de président-directeur général de l'IFREMER et de vice-président de l'alliance AllEnvie, qui regroupe l'ensemble des organismes de recherche compétents dans le domaine de l'environnement, au nombre de 17, y compris le CNRS. Je suis chargé de la recherche en outre-mer au sein d'AllEnvie.

Nous avons la mission d'assurer, par délégation du secrétariat général de la mer, le secrétariat exécutif du programme EXTRAPLAC d'extension du plateau continental français dans le cadre de l'évolution du droit international de la mer, en développant des campagnes pour caractériser le plateau continental et préparer les instruments juridiques qui seront déposés devant la commission compétente de l'ONU, qui décidera ensuite d'accorder ou non l'extension. Les enjeux sont très importants pour notre pays : un million de kilomètres carrés supplémentaires de ZEE. Dans ce cadre, l'IFREMER a réalisé plusieurs missions dans les collectivités concernées.

L'IFREMER a trois missions :

- développer la connaissance de la mer et des océans ;

- l'expertise et la surveillance pour le compte des pouvoirs publics ;

- un appui à l'économie maritime au service du développement local.

L'IFREMER exerce ces missions autour de deux pôles principaux : la pêche et l'aquaculture, et en particulier la pisciculture. Nous avons adopté ces dernières années deux orientations majeures :

- conforter l'action au service de la pêche et de l'aquaculture. Nous avons étendu à tous les DOM le système d'information halieutique (SIH). C'est un outil d'observation de la ressource halieutique, qui est la condition première pour une exploitation durable et pour étayer des projets de développement ;

- diversifier la gamme de nos interventions pour répondre aux caractéristiques et aux besoins de l'outre-mer. Nous avons notamment développé la sélectivité de la pêche, par exemple pour la crevette en Guyane. Il y avait auparavant 9 kg de rejets à la mer pour 1 kg de crevettes pêchées. Nous avons développé des engins plus sélectifs qui ont considérablement réduit ces prises excédentaires préjudiciables au milieu marin.

Ma conviction est qu'il faut aujourd'hui aller plus loin dans la connaissance de la ressource et améliorer l'évaluation des stocks effectifs de poissons. L'halieutique est une discipline qui doit conduire à une grande humilité : les stocks de poissons sont très souvent méconnus et difficiles à évaluer. Il y a là matière à des campagnes scientifiques d'investigation. C'est un enjeu très important car la Commission européenne envisage, dans le cadre de la PCP, une mise sous quota automatique de la ressource dès lors que la quantité de celle-ci n'est pas connue, au nom d'une certaine vision du principe de précaution.

Le deuxième élément important pour la pêche est de travailler avec tous les acteurs locaux sur l'ensemble de la filière, notamment sur le traitement à terre de ce qui est prélevé en mer. Compte tenu des distances, il va de soi que ce qui est pêché devra être conditionné pour être valorisé.

Troisièmement, la question des énergies marines renouvelables : la France a choisi de confier l'essentiel de sa ressource énergétique à la filière électronucléaire ; mais elle a aussi fait le choix de diversifier son bouquet énergétique au profit de l'énergie renouvelable. Cet objectif ne pourra être atteint que si la France mobilise la totalité des segments de son énergie renouvelable, y compris les énergies marines.

D'autre part, à un moment où notre pays cherche de nouvelles voies de compétitivité et de réindustrialisation, l'état mondial de la demande en énergie et le degré de maturité des filières d'énergies marines renouvelables donnent à penser que la France a une carte à jouer, tout particulièrement en outre-mer. Je pense en particulier à l'énergie thermique des mers, notamment en Polynésie française et autour de La Réunion. L'énergie marine renouvelable, comme source complémentaire dans une perspective d'autosuffisance énergétique, a toute sa pertinence en outre-mer. Dans cet esprit, nous avons cherché à élargir nos interventions en outre-mer, en particulier pour avoir une meilleure connaissance de la courantologie.

Nous sommes également attentifs à la biodiversité marine, incomparablement plus large que la biodiversité terrestre, mais moins connue. Elle constitue un atout majeur patrimonial dans tout l'outre-mer, et notamment en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. Elle doit être couplée avec la problématique des biotechnologies.

Un autre axe d'intérêt des ZEE est la ressource minérale et énergétique, dans sa double dimension : fossile (pétrole et gaz off shore) et les terres rares. S'agissant de la ressource pétrolière et du gaz off shore, la capacité technologique, y compris de grands groupes français, permet d'aller la chercher de plus en plus loin et de plus en plus profond. Nous aidons les grands groupes pétroliers, français et étrangers, à affiner leurs approches géologiques. Il y a des enjeux, notamment au large de la Guyane. En ce qui concerne la ressource minérale au sens des terres rares, nous avons conduit des études prospectives à l'horizon 2030, l'une sur les énergies marines renouvelables, l'autre sur les ressources minérales profondes. Dans les deux cas, nous avons rassemblé autour de nous tous les partenaires publics et privés intéressés pour étudier comment positionner la France sur ces sujets. S'agissant des terres rares, une des retombées de nos travaux a été de diligenter, en partenariat public-privé, une série de campagnes expérimentales au large de Wallis-et-Futuna, avec l'objectif de caractériser les écosystèmes puis les amas sulfurés. L'enjeu est la mise en exploration puis en exploitation de ces ressources. La densité de ces minerais ouvre la possibilité d'une exploitation très intéressante de ces réserves.

Sur l'ensemble de ces questions, les travaux sont donc largement lancés, et appellent des développements complémentaires. Je fais allusion à AllEnvie. Le paysage français a beaucoup évolué, avec la constitution d'alliances inter-organismes. L'IFREMER appartient à deux d'entre elles : ANCRE (Agence nationale de coordination de la recherche), dédiée à des questions énergétiques, et AllEnvie, au sein de laquelle nous avons créé un groupe « mer », dont le copilotage est assuré par le CNRS et par l'IFREMER. Nous proposons cette année de fédérer les réflexions des différents organismes pour mieux répondre aux attentes des collectivités locales d'outre-mer sur le besoin de recherche au service du développement. L'objectif est de provoquer le dialogue nécessaire entre le ministère de l'outre-mer et le ministère de la recherche.

M. Serge Larcher, président. - Je vous remercie.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - J'ai plusieurs questions :

- concernant le programme EXTRAPLAC, quelles régions ultra-marines présentent un enjeu particulier pour demander une extension de leur plateau continental ?

- comment les informations sur le milieu halieutique sont-elles partagées ? Que faites-vous des données ?

- pourquoi le tonnage de la pêche de la crevette en Guyane a-t-il chuté ?

- sur le dossier de l'énergie, travaillez-vous sur les fleuves ?

- existe-t-il une phase de recherche appliquée sur la biodiversité marine ? Existe-t-il une forte coopération avec d'autres pays (Brésil, Surinam) dans ce domaine ?

M. Jacques Berthou. - Pouvez-vous définir le plateau continental dans la zone Caraïbe ? Quels apports nutritifs offre l'aquaculture ? Pourquoi différenciez-vous La Réunion et la Polynésie par rapport aux autres collectivités d'outre-mer en ce qui concerne les énergies marines renouvelables ?

M. Jean-Yves Perrot. - S'agissant d'EXTRAPLAC, les situations sont différentes en fonction du degré de maturation des dossiers devant l'ONU. Certains dossiers sont déjà déposés : celui de la Nouvelle-Calédonie a été déposé en 2007 et son examen est en cours. Celui de la Guyane a également été déposé en mai 2007 et les campagnes à la mer ont été réalisées en 2003. Les recommandations de la commission compétente ont été reçues en 2009. Le dossier avance dans le cadre de la procédure onusienne. Aux Antilles, la campagne maritime a eu lieu en 2007 et le dossier présenté en 2010 à la commission compétente. Il est actuellement en cours d'examen. En ce qui concerne les TAAF, des campagnes ont eu lieu en 2004 et 2005 et les dossiers ont été déposés en 2009, de même pour La Réunion. Saint-Pierre-et-Miquelon, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna en sont au stade préliminaire.

J'en viens à la question sur le SIH. Ses données sont partagées avec les professionnels et alimentent le circuit de l'expertise halieutique pour les décisions prises à Bruxelles dans le cadre de la PCP. Le conseil des ministres s'appuie en effet sur le SIH pour ses décisions sur la politique de la pêche.

Je ne crois pas que la baisse de la pêche de la crevette soit liée à la sélectivité, mais à l'état de la ressource et à la diversité des acteurs.

Non, nous n'intervenons pas sur les fleuves.

Nous sommes convaincus que la biodiversité marine peut être utilisée pour la pharmacologie et la cosmétique. J'aurai deux remarques. D'abord, il existe une frontière presque déontologique entre les chercheurs qui s'intéressent à la biodiversité de façon académique et ceux qui s'occupent des biotechnologies. La passerelle entre les deux ne s'opère pas naturellement, d'autant moins que la question des biotechnologies est un peu oblitérée par celle des OGM. L'un des enjeux est justement de faire tomber cette barrière et de réconcilier les biotechnologies avec la capacité à s'intéresser à la biodiversité dans une perspective d'inventaire. La deuxième difficulté tient au cycle du développement des biotechnologies, qui est très long, notamment en pharmacologie. Le positionnement des différents acteurs, publics et privés, de la recherche et de l'industrie pharmaceutique est un sujet difficile en soi.

Je n'ai pas évoqué les questions de coopération entre pays, mais bien entendu nous souhaitons et nous travaillons au développement de la coopération avec les pays voisins. Une des chances formidables de l'outre-mer français, pour lui-même et pour la France, est d'être comme une tête de pont du savoir-faire français dans les zones du monde où existent parfois des affinités historiques fortes. C'est le cas entre le Brésil et la France. Nous avons mené une coopération avec le Brésil, dans le domaine académique mais aussi économique. Dans le Pacifique également, nous travaillons à tisser des liens avec la Nouvelle-Zélande ou l'Australie. Nous avons aussi cette démarche dans des zones où la France est traditionnellement moins présente : à La Réunion en direction de Madagascar, des pays de l'Afrique du Sud et de l'Afrique de l'Est, à Saint-Pierre-et-Miquelon en direction du Canada.

J'en viens à l'aquaculture française, marquée par un paradoxe : elle ne se développe pas suffisamment en outre-mer alors que nous avons une production d'alevins qui alimente l'aquaculture du monde entier, et un potentiel de recherche qui est un des meilleurs du monde. L'un des axes de progrès de l'aquaculture est de substituer une nourriture d'origine végétale à une nourriture d'origine animale. Nous y travaillons avec l'INRA.

Les exemples que j'ai cités sur les énergies marines renouvelables étaient partiels. Il existe des potentialités importantes dans l'archipel des Antilles et en Nouvelle-Calédonie, où nous avons des équipes.

Je propose à M. Philippe Lemercier, délégué général de l'IFREMER, de m'apporter son concours pour répondre à la question sur la définition du plateau continental dans la zone Caraïbe.

M. Philippe Lemercier, délégué général de l'IFREMER. - Contrairement à la ZEE, la notion d'extension juridique du plateau continental est très compliquée techniquement, ce qui explique d'ailleurs la nécessité de campagnes pour connaître la pente et l'épaisseur du sédiment. Des formules scientifiques complexes permettent ensuite de faire des propositions d'extension juridique du plateau continental. La spécificité des Antilles réside dans le caractère en partie enclavé de sa ZEE, ce qui limite beaucoup ses perspectives d'extension.

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur. - Serait-ce possible d'obtenir un panorama, collectivité par collectivité, de ce que représentent les ressources, la biodiversité, les énergies marines ? Quelles sont les ressources qui seront les plus stratégiques, à dix ou vingt ans, pour l'outre-mer et la France entière ?

M. André Trillard. - La pisciculture et l'élevage sont des échecs industriels en France. Comment pouvez-vous dire que la France souhaite une pisciculture de qualité, avec une alimentation entièrement végétale, alors que des pays comme le Danemark utilisent massivement des poissons fourragés ?

J'ai aussi des interrogations sur la diffusion de l'information halieutique.

M. René Beaumont. - Je me réjouis de l'excellent système d'information halieutique de l'IFREMER, l'un des meilleurs du monde. Mais cela n'empêche pas qu'en Guyane la pêche de la crevette soit toujours aussi pénalisée malgré la volonté de coopération. À quoi sert un système d'information halieutique performant ? Combien de pays en disposent-ils ?

Mme Karine Claireaux. - Avez-vous les résultats officiels de la campagne de recherche sur l'épaisseur et les sédiments du plateau de Saint-Pierre-et-Miquelon ? Le système d'information halieutique sera-t-il étendu aux collectivités d'outre-mer, et pas seulement aux DOM ? Quel est l'état précis de la ressource dans l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon ?

M. Michel Vergoz. - Le SIH est-il français ? D'autres pays disposent-ils d'une telle expertise, du niveau de la nôtre ? L'enjeu est de savoir où sont les stocks de poissons.

D'autre part, qui est notre interlocuteur, à Bruxelles ?

M. Jean-Yves Perrot. - Je ne sais pas si je peux vous rassurer, mais je peux vous informer. Vos questions sur le SIH sont au coeur, pour paraphraser Edgar Morin, des tensions dialogiques des missions qui sont les nôtres. C'est un peu comme si vous demandiez, toutes proportions gardées, à l'Éducation nationale de résoudre tous les problèmes de la société française, et à un institut de recherche appliquée à la mer de résoudre toutes les contradictions de la gestion du milieu marin à l'échelle de la France, à l'échelle de l'Europe, à l'échelle du monde. Je vais cependant essayer, à mon niveau, d'apporter quelques éléments de précision complémentaires.

Les autres pays européens disposent d'un outil plus ou moins équivalent au SIH français. Dans le Golfe de Gascogne, nous avons avec les Espagnols des campagnes communes sur l'anchois, menées par les instituts de recherche espagnols. La France se singularise par le fait que l'IFREMER intervient sur toute la gamme des ressources, alors que la plupart des pays européens ne disposent que d'instituts dédiés à l'halieutique. Ces instituts européens répondent au même cahier des charges qui est celui de l'Union européenne dans le cadre de la PCP.

La PCP a en grande partie échoué dans ses objectifs pour une raison fondamentale à mes yeux : il lui manque le lien entre l'approche biologique et l'approche économique. Le véritable équilibre, c'est l'approche bioéconomique. Il faut intéresser les acteurs de la ressource, qui sont d'abord les acteurs économiques : les pêcheurs, qui investissent et ont des charges, mais qui sont aussi les gardiens de la ressource. Le lien entre la biologie et l'économie, que l'Europe n'a pas fait, doit être créé.

Troisième élément de réponse : à travers l'outre-mer, on décrit un espace européen mais aussi un espace mondial. L'approche européenne a quelque chose d'angélique : dès lors que nous nous imposons un système de références et de normes, que nous n'avons pas la capacité à partager et à appliquer avec le monde qui nous environne, la question est de savoir si nous sommes dans un scénario d'exemplarité avec une faculté d'entraînement - c'est le scénario vertueux - ou dans un scénario d'exemplarité naïve dans lequel nous creusons notre propre tombe en renonçant à combattre à armes égales. C'est une question qui dépasse très largement les compétences de l'IFREMER.

L'accès à la connaissance en matière halieutique requiert de la modestie, raison pour laquelle nous considérons que les campagnes communes avec les pêcheurs, complémentaires des campagnes strictement scientifiques, sont indispensables, ne serait-ce que pour expliquer la discordance naturelle et perturbante entre la constatation opérationnelle des pêcheurs, qui voient des bancs de poissons dans la mer, et les campagnes à vocation scientifique qui disent que ces mêmes espèces se raréfient. Il faut expliquer cette discordance apparente et mesurer la relativité des perceptions. Un des outils qui permettra de le faire dans le cadre de la PCP est la conférence consultative régionale.

Par ailleurs, la question clé de la ressource halieutique est celle de la résilience : quand on applique un certain nombre de décisions de contingentement de la pêche, la ressource se reconstitue-t-elle ou pas ? Certains exemples de régulation comme celui de l'anchois montrent qu'il est possible d'organiser la résilience. D'autres exemples, qui ne sont pas ultra-marins mais qui sont transposables, le montrent aussi : la langoustine dans certaines zones de Bretagne, la coquille Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc.

Vous me demandez si nous sommes propriétaires des données que nous produisons. La réponse est oui.

Je vous ferai parvenir, en réponse à votre question sur le panorama général, un document qui regroupe l'état des ressources segment par segment - halieutique, aquaculture, ressources minérales et énergie marine - dans une version consolidée.

Les données sur Saint-Pierre-et-Miquelon ne sont pas encore disponibles. Elles sont en cours de traitement. Il n'y a pas de SIH pour l'instant. Il faudrait des campagnes d'évaluation de la ressource, si possible communes avec les Canadiens, afin de gérer au mieux les intérêts respectifs des parties.

M. Philippe Lemercier. - Ces campagnes existent déjà, en partenariat avec le ministère Pêche et océan du Canada. Mais il y a encore une marge de progrès dans la coopération avec les Canadiens.

M. Jean-Yves Perrot. - Un audit récent montre des possibilités sur les espèces nouvelles à Saint-Pierre-et-Miquelon, qu'il faut identifier.

La question sur les délais de rentabilité des ressources minérales est très difficile. Nous en sommes à un stade préliminaire. Aujourd'hui, on essaye d'inventorier et de caractériser la ressource, de voir où elle est présente et quelle est la densité en minerai en vue d'une exploitation éventuelle.

Pour ce qui concerne les délais, on est dans le domaine de la prospective. Les nodules polymétalliques, qui étaient présentés comme la nouvelle frontière de l'industrie française, ont bercé notre jeunesse, mais on n'en a jamais rien fait car de nouveaux matériaux synthétiques sont arrivés et que les conditions d'exploitation n'ont jamais été rentables. L'espoir sur les nodules polymétalliques s'est donc évanoui. En revanche, si la forte croissance mondiale se poursuit, avec un prélèvement massif sur les terres rares disponibles pour des industries de pointe, alors la raréfaction quantitative et qualitative de la ressource stimulera les progrès technologiques pour accéder à ces amas sulfurés. Mais c'est un processus long, qui se compte en décennies.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur. - J'ai deux questions. Le budget qu'alloue le ministère de l'agriculture à l'IFREMER est-il suffisant par rapport à toutes vos missions ? Quels sont les moyens dont vous disposez pour couvrir cette façade maritime immense ? Et enfin, pensez-vous nécessaire de légiférer pour améliorer le droit minier marin ? Y a-t-il un vide juridique à combler ?

M. Jean-Yves Perrot. - Avec plus de moyens, on ferait plus de choses ! Mais au regard du principe des ressources limitées face aux besoins illimités, je considère que nous avons des ressources qui permettent de répondre à nos besoins. L'IFREMER a un budget annuel de 260 millions d'euros et a dégagé un résultat excédentaire de 2,5 millions d'euros en 2011. Nous avons surtout eu en 2011 plus de doctorants que jamais à l'IFREMER, plus de thèses encadrées, plus de publications, de bons résultats aux investissements d'avenir, y compris sur deux des sujets qui concernent directement l'outre-mer : les énergies marines renouvelables et les micro-algues.

S'agissant de nos moyens, nous sommes cette année en année stratégique : nous révisons notre plan stratégique à l'horizon 2020 et nous préparons le futur contrat avec nos trois ministères de tutelle, qui sera quinquennal et non plus quadriennal. Il couvrira la période 2013-2017. C'est un rendez-vous majeur pour nous, qui sera l'occasion d'appeler votre attention sur la bonne adéquation des moyens aux missions.

Est-il nécessaire de légiférer ? L'essentiel de la norme est international, onusien d'abord, européen ensuite ; il y a peut-être matière à un complément national, mais cette question mérite une investigation juridique qui ne m'appartient pas.

M. Serge Larcher, président. - Je vous remercie pour la clarté et la densité de votre intervention.

Présidence de M. Jeanny Lorgeoux -

La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ? - Audition de l'Amiral Rogel, Chef d'état major de la Marine

Ces auditions sont organisées en commun avec le groupe de travail « Maritimisation » de la commission des affaires étrangères.

M. Jeanny Lorgeoux, président et co-rapporteur du groupe de travail sur la maritimisation.- Amiral, c'est un honneur et un plaisir de vous recevoir ici, dans cette salle qui vous est familière. Nous avons souhaité vous auditionner à deux titres. Au titre du groupe de travail sur la maritimisation que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a créé dans la perspective de la mise à jour du Livre blanc et de la loi de programmation qui suivra, et, au titre de la délégation pour l'outre-mer à laquelle nous avons souhaité ouvrir cette audition et qui travaille sur les enjeux des zones économiques exclusives.

Avant de céder la parole à nos collègues, je voudrais vous exposer l'état de notre questionnement.

Depuis que l'homme navigue, la maîtrise des mers est un facteur de puissance. Il semble cependant qu'avec la mondialisation nous ayons franchi une étape supplémentaire.

La division internationale du travail entraîne une extrême sensibilité de nos économies à la fluidité des échanges maritimes et renforce la nécessité d'assurer la sécurité et la libre circulation des navires aux abords de nos ports et dans les zones stratégiques que constituent les détroits.

La raréfaction des ressources terrestres conduira demain la France à exploiter le potentiel considérable des ressources de ses espaces maritimes et de leur sous-sol. Cette situation changera le visage de nos territoires d'outre-mer et modifiera les attentes des pouvoirs publics à l'égard de la Marine nationale, qui devra protéger et sécuriser ces ressources réparties sur un espace maritime considérable.

Mes premières questions sont d'ordre général : en quoi l'évolution des enjeux en termes de flux et de ressources a-t-il déjà modifié le format, les équipements et les missions de la Marine nationale ?

La programmation est une affaire de long terme, les sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) de type barracuda nous engagent jusqu'en 2065. Quelles sont les principales évolutions que vous anticipez dans l'organisation, le format et les missions de la Marine Nationale dans les 20 ans à venir ?

Amiral Rogel.- Je vous remercie de m'accueillir pour partager avec vous ma vision des enjeux maritimes de la France. Je voudrais mettre en avant trois réalités.

La mer est, tout d'abord, pour la France, un espace de richesse et de prospérité qu'il faut défendre et protéger. Notre zone économique exclusive de 11 millions de km2 représente vingt fois le territoire national. Enjeu majeur, elle est pleine de promesses et porteuse de richesses du fait de la raréfaction des minéraux à terre et des progrès technologiques qui permettent désormais de prospecter à 4 000 mètres de profondeur. Les fonds du Pacifique recèlent des terres rares nécessaires à certaines industries, sans parler du pétrole au large de la Guyane, de l'hydrolien au large des Côtes-d'Armor ou, demain peut-être, des piles nucléaires.

Dans cette zone, la police des pêches et la protection des ressources doivent être assurées. En 2011, plus de 25 000 heures de mer et 400 heures de vol ont été consacrées à la police des pêches, 4 000 navires ont été contrôlés, 1 500 procès-verbaux dressés et 51 navires déroutés. Prenons l'exemple de la défense de la ressource en légine dans les terres australes : elle nécessite une surveillance satellitaire et la présence de bâtiments à la mer. Je n'oublie pas, ensuite, que 95 % de l'information intercontinentale passe par des câbles sous-marins : des équipes de protection embarquées protègent nos câbliers.

Première nécessité : nous devons consolider nos frontières maritimes et mieux définir nos espaces de souveraineté. 74 pays demandent actuellement l'extension de leur plateau continental, certains espaces maritimes, notamment Clipperton au large du Mexique ou les Îles Éparse autour de Madagascar, voient leurs frontières contestées. Il faut y affirmer sans cesse notre souveraineté.

Deuxième nécessité : nous devons être présents en permanence dans les espaces maritimes porteurs d'intérêts économiques. Si nous les désertons, des « voyous » des mers ne manqueront pas d'en piller les richesses. D'où la nécessité de disposer de forces de souveraineté pré-positionnées ; la présence d'un simple patrouilleur ne suffit pas à défendre nos intérêts. Je pense en particulier aux 2 millions de km2 de nos aires marines protégées.

Ma deuxième conviction est que la mer est un lieu de passage et d'échanges qu'il faut sauvegarder et sécuriser. La mondialisation, c'est en fait la maritimisation du monde, avec l'explosion des flux maritimes. Aujourd'hui, 72 % des exportations et importations s'effectuent par voie maritime. Notre devoir de protection s'entend tout au long de leur acheminement et nécessite donc une surveillance en profondeur des approches maritimes. Des questions de sauvegarde et de sécurité se posent, par exemple dans le Pas-de-Calais par lequel 80 000 bateaux transitent chaque année. L'augmentation des tonnages est spectaculaire : dans les années 60, un porte-conteneurs pouvait transporter environ 2 000 « boîtes » (conteneurs de 20 pieds) alors que la génération qui sera livrée en 2013 pourra en transporter 18 000, l'équivalent d'un train de 250 km de long. Pour les grands paquebots, là où le « France » transportait 3 000 personnes, le « Costa Concordia » en transporte 4 000. Enfin, l'Amoco Cadiz transportait 200 000 tonnes de brut, les pétroliers d'aujourd'hui 500 000.

Pour un trafic maritime qui se densifie et se concentre, il faut garantir la liberté de passage et d'accès, en particulier dans les sept points névralgiques qui sont des points de passage obligé : Panama, Suez, Bab-el-Mandeb, Ormuz, Gibraltar, Malacca et la Manche.

Mon deuxième constat est que la mer est utilisée par les trafiquants, avec une augmentation du niveau d'engagement et de violence. La piraterie se stabilise dans l'Océan Indien, avec une diminution du nombre d'actes, mais les inquiétudes montent dans le Golfe de Guinée. Notre participation à Atalanta, dans l'Océan Indien, demande des moyens. Les pirates sont de plus en plus violents. Une frégate est intervenue la semaine dernière pour aider un pétrolier. En 2011, 10 tonnes de drogue ont été saisies en Méditerranée et dans l'arc Caraïbe. Ces trafics nous obligent à avoir des moyens de haute mer : frégates porte-hélicoptères, présence de commandos, moyens de reconnaissance aérienne... Dans les Caraïbes, les trafiquants utilisent même des submersibles ; une simple présence côtière ne suffit pas.

Ma troisième conviction est que la mer est un espace de liberté et de manoeuvre qu'il faut maîtriser et occuper. Membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la France est investie de devoirs particuliers dans le domaine de la sécurité et de la prévention des crises. Elle doit aussi assurer la sécurité de ses ressortissants partout dans le monde, en particulier sur le pourtour de l'Afrique. La mer est souvent, en temps de crise, le seul accès possible à un théâtre d'opération sans pénétration terrestre ou utilisation de l'espace aérien. Nous l'avons vu en Côte d'Ivoire où nos bâtiments (en particulier notre BPC, bâtiment de projection et de commandement) positionnés au large d'Abidjan ont assuré une fonction de soutien logistique et de garantie de la possibilité d'évacuer nos ressortissants français. Toute autre solution terrestre aurait eu pour effet d'élever instantanément le niveau de la crise.

Le format de notre marine nationale est « juste suffisant » pour remplir toutes les missions qui lui sont dévolues, le cas échéant au prix de certains arbitrages. Nous avons besoin d'une permanence et d'une polyvalence de nos forces. L'écrasement du temps médiatique, politique et militaire est tel que, dès qu'une crise surgit, il faut instantanément jeter un dispositif à la mer. La présence de forces prépositionnées à la mer, à proximité des zones de crise, garantit cette rapidité d'action. Je rappelle qu'il faut 17 jours de navigation pour aller de France à Abu Dhabi : de tels délais ne sont pas compatibles avec la nécessité d'une réaction instantanée. La polyvalence des moyens est une exigence croissante puisqu'il nous faut pouvoir remplir tout à la fois des missions très diverses, comme la surveillance de la pêche au thon rouge, la gestion d'une crise internationale au large de la Libye ou du Liban, la lutte contre la piraterie dans l'Océan Indien ou encore la garantie de la liberté de circulation dans le Golfe arabo-persique. Le concept de FREMM (frégate multi-mission) prend tout son sens en apportant la polyvalence et la souplesse nécessaires. L'armement prochain avec des missiles de croisière navals ne fera que renforcer leur impact potentiel.

En conclusion, je voudrais souligner que l'organisation française de l'action de l'État en mer est un système interministériel performant, modèle envié par d'autres pays, qui a largement fait ses preuves et qui repose sur une autorité nationale, le secrétariat général de la mer, et sur une autorité régionale, le préfet maritime, à forte capacité de gestion de crise. Il me semble aussi qu'une flotte de haute mer est essentielle pour protéger nos zones économiques exclusives. Les frégates de surveillance ou les patrouilleurs ne suffisent pas pour répondre aux nouveaux enjeux que sont la lutte contre l'immigration illégale ou la lutte contre les trafics de drogue.

Notre marine est juste dimensionnée à ses missions actuelles. Ma préoccupation porte sur la préparation de l'avenir et, en particulier, le renouvellement de la flotte. Nos frégates ont, pour certaines, plus de trente ans, nos patrouilleurs seront remplacés par des BATSIMAR (bâtiments de surveillance et d'intervention maritime), patrouilleurs hauturiers aptes à intervenir rapidement.

Notre zone économique exclusive est précieuse. 11 millions de km2 et 18 frégates ; cela représente, à chaque fois, une frégate pour une portion égale à une fois la France. 30 000 hommes pour la deuxième puissance maritime mondiale et 65 millions d'habitants, cet ordre de grandeur ne me paraît pas excessif.

M. Charles Revet.- Que recouvre exactement la zone économique exclusive française ? Où en est l'exploitation des nodules polymétalliques envisagée depuis plus de trente ans ? La pêche française ne couvre que 15 % de nos besoins en poissons et crustacés : les Îles Kerguelen disposent-elles d'un potentiel nous permettant d'améliorer ce taux ?

Amiral Rogel.- Les 11 millions de km2 de notre ZEE comprennent à la fois les zones de métropole et des départements et collectivités d'outre-mer. C'est la deuxième plus étendue après celle des États-Unis (12 millions de km2) et avant celle d'États comme l'Australie, la Nouvelle Zélande, la Grande-Bretagne et la Russie (7 à 8 millions de km2).

Le changement climatique est susceptible de modifier les équilibres en ouvrant de nouvelles routes de passage au nord de la Russie et du Canada. Même si nous sommes encore au stade des promesses et pas encore de l'extraction, les nodules polymétalliques sont bien présents, notamment au large de Clipperton dans le Pacifique, revendiqué également par le Mexique, où nous montrons régulièrement le pavillon national pour affirmer notre souveraineté. Mais la raréfaction des ressources à terre ouvre de nouvelles perspectives. La Chine possède 90 % des 17 terres rares nécessaires à des industries comme l'informatique ou les télécommunications. Certaines sont présentes en Polynésie, à Wallis et Futuna ou encore sur la faille atlantique, sur laquelle la France a une revendication d'extension de son plateau continental. Les États émergents accroissent significativement leurs moyens maritimes. S'agissant des Kerguelen, le braconnage de la légine, qui mettait en danger son existence même, a été éradiqué en cinq ans, ce qui a nécessité la mise en oeuvre d'importants moyens d'intervention : surveillance par satellites, envoi de bâtiments quand nécessaire...

M. André Trillard, co-rapporteur du groupe de travail sur la maritimisation.- Quel est votre bilan des opérations Harmattan et Atalanta pour la marine ? En tirez-vous des enseignements pour la configuration de la marine nationale dans vingt ou trente ans ? Quelle est, enfin, votre position pour mieux assurer la sécurité des navires de commerce : une délégation au privé, à un privé qui serait « contrôlé » ou la dévolution de ces missions à la marine nationale ?

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur de la délégation- À la suite du livre blanc et de la loi de programmation, le nombre de frégates a été réduit de 18 à 11 : la marine peut-elle répondre à ses missions compte tenu de la baisse de ses moyens ? Quelle est votre réflexion sur la mutualisation des missions et, en particulier, sur le concept de navire « générique » ? Quelle stratégie avez-vous en matière de motorisation des navires pour permettre leur adaptation, en particulier aux ports d'outre-mer ? Enfin, lors d'une mission de la commission des affaires étrangères en Guyane en décembre 2010, nous avions pu constater que les outils de lutte contre l'orpaillage et le pillage halieutique n'étaient pas adaptés. Des mesures ont-elles été prises depuis ?

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur de la délégation- La Polynésie s'étend sur 5 millions de km2 et, alors qu'il y avait auparavant 4 patrouilleurs P400, depuis 2010, les moyens de surveillance ont décru. La collectivité d'outre-mer la mieux dotée en espace maritime est aussi la moins protégée, et ce jusqu'en 2018 ! Quelle réflexion menez-vous pour aboutir à un éventuel accord avec les États de l'ANZUS États-Unis, l'Australie et Nouvelle Zélande, pour une meilleure surveillance de ces zones ?

Amiral Rogel- La France est très présente dans l'opération Atalanta, dont elle vient de reprendre le commandement pour l'Union européenne. La zone d'intervention Atalanta représente quatre fois la France. Entre les opérations sous l'égide de l'Union Européenne et celles menées sous l'égide de l'OTAN, ce sont en fait 8 et 10 bâtiments qui sont concernés, avec une concentration en mer d'Arabie. La difficulté est d'ordre judiciaire : que fait-on des pirates qu'on attrape ? Lorsqu'ils sont pris en flagrant délit, ils peuvent être jugés en France en vertu d'accords avec les États riverains. La difficulté est plus grande pour les présumés pirates, prompts à effacer toute preuve, ce qui nécessite la mise en oeuvre préalable de moyens aériens pour établir la matérialité des preuves.

S'agissant d'Harmattan, opération qui s'est étendue sur 7 mois, elle a vu se déployer 27 bâtiments de la marine nationale, avec toutes les composantes : sous-marin nucléaire d'attaque, porte-avions, bâtiment de projection et de commandement, chasseur de mines. La marine a bien rempli sa mission. Les rares points d'amélioration possible concernent les bombes de précision à faible dommage collatéral, permettant un ciblage fin en zone urbaine, et les drones navals. Nous avons tiré 3 000 obus contre terre, ce qui n'était pas arrivé depuis Suez en 1956 ou le Liban en 1982. On peut se féliciter que cette capacité ait été conservée. Je note que la France était la seule dans l'Union européenne à disposer de l'ensemble des capacités d'intervention. À l'heure où les États-Unis regardent vers le Pacifique, quelle doit être la puissance maritime des États membres de l'Union Européenne ?

Pour assurer la sécurité des navires de commerce, la marine dispose de quinze équipes de protection embarquées (EPE) sur des bâtiments définis comme « stratégiques » par le Premier ministre, tels que les câbliers, les pêcheurs de thon ou les navires de recherche sismique. Ces EPE n'interviennent qu'en cas de légitime défense. Il n'est pas possible de protéger tous les navires. La position de l'état-major est donc celle d'une ouverture contrôlée aux sociétés militaires privées. Ce contrôle est impératif car une mauvaise maîtrise des règles d'engagement élèvera forcément le niveau de la violence.

Par rapport aux années 2000 où nous disposions de 25 frégates, nous sommes aujourd'hui ramenés à 18 frégates de premier rang : 11 FREMM, 5 frégates furtives de type La Fayette et 2 frégates de défense aérienne. Nous allons remplacer les patrouilleurs par 15 BATSIMAR. La frégate De Grasse datant de 1967 sera désarmée fin 2012. Les bâtiments de transport léger BATRAL seront remplacés par des bâtiments d'intervention et de soutien. Ma préoccupation est que le format actuel « juste suffisant » soit conservé à l'avenir.

En matière de mutualisation, le Secrétariat général à la mer travaille avec l'administration des douanes et la gendarmerie maritime, ce qui permet un bon partage de l'information et une mutualisation des moyens. La création d'un corps de garde-côtes ne me paraît pas une solution adaptée ; il y aurait des risques de doublons.

Le livre blanc de 2008 n'a pas particulièrement mis l'accent sur les moyens à déployer outre-mer. S'agissant de la Polynésie, la réduction des capacités est temporaire, puisque les BATSIMAR seront déployés à partir de 2017-2020 et que nos 3 bâtiments multi-mission (BMM) seront adaptés au soutien dans les îles. Pour la Guyane, nous avons en effet réorienté les moyens vers deux patrouilleurs pour lutter notamment contre le pillage halieutique ; l'appel d'offres sera lancé d'ici peu en attendant l'arrivée des BATSIMAR. Enfin, la motorisation de ces derniers sera adaptée à la situation locale des DOM et des COM.

Commissaire en chef de première classe Thierry Duchesne.- S'agissant des accords dans la zone du Pacifique, la France est membre des organisations régionales de pêche de la commission des pêches du Pacifique central et de l'organisation régionale des pêches du Pacifique sud. Elle agit dans le cadre de ces organisations et utilise pleinement les informations de certains forums régionaux tels le Forum Fisheries Agency (FFA), en matière de police des pêches, même si la France n'en est pas pour l'instant formellement membre.

M. René Beaumont.- Quels seront les impacts concrets sur l'organisation maritime de la future exploitation des fonds marins ou encore des exploitations gazières ou pétrolières off shore ? Quel est l'état de la coopération militaire franco-britannique après les accords de Lancaster House ?

M. Michel Vergoz.- Si notre format de marine est aujourd'hui « juste suffisant », qu'en sera-t-il dans 20 ou 30 ans et pourrons-nous disposer d'une marine à la hauteur de nos ambitions économiques ?

M. André Trillard, co-rapporteur du groupe de travail sur la maritimisation.- Qu'en est-il du deuxième porte-avions ? Quels sont vos rapports avec les industriels de la construction navale ? La sécurité des approvisionnements est-elle assurée en matière de munitions ?

Mme Karine Claireaux.- Si la route du nord-ouest devait s'ouvrir, comment la France pourrait-elle y tenir sa place ? Le réchauffement climatique, inéluctable et dramatique, pourrait aussi offrir une opportunité.

Amiral Rogel.- Les nouvelles activités en mer auront forcément des répercussions sur les missions de la marine. Par exemple, les nouveaux parcs éoliens dans la Manche entraîneront sans doute des demandes nouvelles en matière de surveillance et de moyens de remorquage. La France dispose d'un remarquable système de surveillance littorale, avec les CROSS et la chaîne sémaphorique sur laquelle certains s'interrogeaient il y a quelques années. On ne peut que se féliciter de la qualité de ces moyens de surveillance.

Les défenses française et britannique n'ont jamais été aussi imbriquées, de façon très opérationnelle, que lors de l'opération Harmattan. La coordination a été parfaite. Vous lisez comme moi dans la presse que le Royaume-Uni, qui a prévu de disposer de deux porte-avions en 2020, n'a pas encore fait le choix entre un système de catapultes - à l'instar du porte-avions français - ou des aéronefs à décollage vertical...

Le porte-avions français est aujourd'hui le seul en Europe. Si, demain, l'Union Européenne veut une permanence de porte-avions à la mer et que le budget français ne permet pas de disposer d'un second porte-avions, cette puissance de projection permanente reposera sur l'existence d'un porte-avions britannique.

Le CJEF (combat joint expeditionary force) franco-britannique se déploiera en octobre dans un exercice de grande ampleur dénommé Corsican Lion, qui validera le concept et dans lequel de nombreux bâtiments, dont le porte-avions français et les bâtiments amphibies britanniques, seront déployés.

Sur les moyens « juste suffisants », il est clair que nos missions seraient plus faciles à mener avec davantage de moyens. Toutefois, en matière de défense, il faut un équilibre entre les ambitions et les moyens budgétaires disponibles. La marine est aujourd'hui adaptée à ses missions actuelles ; ma préoccupation porte sur le renouvellement de la flotte. Si l'on devait réduire le format, il faudrait réduire aussi les ambitions.

Notre industrie navale est très performante. C'est un outil précieux qui permet ainsi de disposer d'une capacité française d'excellence dans un domaine de souveraineté.

Pour la « route du nord-ouest », il est trop tôt pour donner des réponses définitives, même si on peut envisager un rééquilibrage des flux de circulation mondiaux d'ici quinze à vingt ans, quand il sera possible de passer de l'Europe à l'Asie en évitant les points obligés que sont aujourd'hui les détroits de Suez, Malacca ou Bab-el-Mandeb ; mais il est encore trop tôt pour dire quelles en seront les conséquences.

Les munitions couvrent un spectre très large pour la marine, qui va des torpilles aux bombes guidées laser. L'opération Harmattan a montré que nous avions des circuits d'approvisionnement solides : les torpilles sont françaises, l'artillerie est partagée avec l'Italie, qui en a assuré le réapprovisionnement, et les bombes sont sous circuit OTAN sécurisé. Je n'ai donc pas d'inquiétude en la matière.

M. Jeanny Lorgeoux, président.- Merci Amiral de cet échange particulièrement intéressant.

- Présidence de M. André Trillard -

La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ?- Audition du Contre-Amiral Chevallereau, secrétaire général adjoint de la mer

Ces auditions sont organisées en commun avec le groupe de travail « Maritimisation » de la commission des affaires étrangères.

M. André Trillard, président, co-rapporteur du groupe de travail sur la maritimisation.- Monsieur le secrétaire général adjoint, nous avons souhaité vous auditionner à plusieurs titres : au titre du groupe de travail sur la maritimisation que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a créé dans la perspective de la mise à jour du Livre blanc et de la loi de programmation qui suivra, et au titre de la délégation à l'outre-mer, à laquelle nous avons souhaité ouvrir cette audition et qui travaille sur les enjeux des zones économiques exclusives (ZEE).

Nous avons également souhaité vous entendre en votre double qualité de secrétaire général adjoint de la Mer, en charge de la coordination de l'action de l'État en mer, et en tant que militaire, amiral, officier de marine, qui, je l'imagine, réfléchit à l'évolution du format et des missions de la marine nationale.

Je voudrais vous exposer l'état de notre questionnement. Depuis que l'homme navigue, la maîtrise des mers est un facteur de puissance. Il semble qu'avec la mondialisation nous ayons franchi une étape supplémentaire. La division internationale du travail entraîne une extrême sensibilité de nos économies à la fluidité des échanges maritimes et renforce la nécessité d'assurer la sécurité et la libre circulation des navires aux abords des ports et dans les zones stratégiques que constituent les détroits. La raréfaction des ressources terrestres conduira demain la France à exploiter le potentiel considérable des ressources des espaces maritimes et de leur sous-sol. Cette situation changera le visage de nos territoires d'outre-mer et modifiera les attentes à l'égard des pouvoirs publics.

Nous avons compris qu'à travers la fonction garde-côtes, le secrétariat général de la mer avait notamment pour fonction de réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre pour sécuriser ces flux et ces ressources. C'est un des objets de la stratégie maritime exposée dans le livre Bleu. Nous avons également entendu que le secrétariat général de la mer avait pour fonction d'estimer le format souhaitable de la fonction garde-côtes pour assurer ses missions (sauvetage des grands navires en mer, lutte contre les trafics, préservation des ressources halieutiques, lutte contre la pollution, protection des aires marines protégées). Il s'agit de définir les besoins des différentes administrations et les moyens nécessaires.

Pouvez-vous nous dire où vous en êtes de la définition de ce format ? Est-ce que ce format correspond au format actuel des administrations concernées ? Est-ce que les évolutions prévisibles dans l'exploitation des ressources en mer conduiront à faire évoluer ce format ? Est-ce que ces évolutions sont prises en compte par les administrations concernées ? Quelle est la position de la France par rapport à ses homologues, je pense à la Grande-Bretagne ?

Contre Amiral Patrick Chevallereau, secrétaire général adjoint de la Mer.- Je prends la suite devant vous du chef d'état major de la Marine, qui est venu accompagné, alors que je suis seul. C'est assez révélateur : le secrétariat général de la Mer est une petite structure, composée de douze chargés de mission, avec pourtant un rôle transversal de consultation et de coordination interministérielle.

Je vais effectivement essayer de contribuer à l'éclairage que vous recherchez sur les questions que vous évoquez, surtout en qualité de secrétaire général adjoint.

Pour bien aborder la question de l'articulation entre les enjeux et les capacités qu'il nous faut détenir, je voudrais insister sur quelques points importants de cette maritimisation.

Tout d'abord, elle est bien réelle : elle est indissociable, elle accompagne, elle conditionne le phénomène irréversible de mondialisation. Elle comporte deux grands volets économiques : d'une part les flux maritimes, considérables, et d'autre part le domaine de l'accès aux ressources des océans. Cette question de l'accès aux ressources génère ce que certains appellent aujourd'hui un phénomène de territorialisation des océans.

Ensuite, je veux attirer votre attention sur le fait que la France est un cas assez unique dans ce contexte de maritimisation :

- il y a chez nous l'existence d'une ambition maritime affichée par les autorités gouvernementales et le monde politique en général d'ailleurs : c'est le discours présidentiel du Havre, le Livre bleu de 2009 (la stratégie nationale pour la mer et les océans), les comités interministériels de la mer tenus fin 2009 et en juin 2011, essentiels pour la mise en oeuvre de cette politique, et puis, dans le contexte de la campagne présidentielle, toute la classe politique s'engage sur la mer ;

- la deuxième caractéristique française, c'est une situation géographique absolument unique au monde : premièrement, deux façades maritimes métropolitaines, dont une qui nous met en position de contrôler des zones de trafic maritime parmi les plus denses du monde (le dispositif de séparation de trafic de Ouessant, celui des Casquets au large du Cotentin, et, bien sûr, le Pas-de-Calais, détroit vital pour les grands ports de l'Europe du Nord) ; deuxièmement ce sont des territoires d'outre-mer, répartis sur tous les océans, avec de fortes densités de population par endroits, avec des intérêts économiques et des zones maritimes exclusives extrêmement étendues. Même les États-Unis, premier pays mondial en termes d'espaces maritimes sous juridiction, ne présentent pas une telle diversité en matière de dispersion géographique.

Cette France maritime a des atouts et des faiblesses. Indépendamment des caractéristiques évoquées, il faut avoir à l'esprit les 300 000 emplois directs que représente l'économie maritime et l'excellence de certaines filières : la recherche océanographique avec l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), l'exploration, l'exploitation et la maintenance offshore avec des compagnies comme Technip ou Bourbon, la filière nautique, la construction navale militaire avec DCNS, nos grands armateurs. Il y a là des capacités intellectuelles, un savoir-faire technologique remarquable, une énergie, un potentiel d'innovation, une capacité à emporter des marchés, et donc, vu du secrétariat général de la mer, des perspectives de croissance.

Mais il y a aussi des faiblesses :

- la difficulté pour une majorité des Français à réellement se tourner vers la mer. Non pas la mer que l'on regarde quand on est sur la plage, comme le disait Tabarly, mais la mer du grand large, celle des flux maritimes, de l'exploration des grands fonds, de la maîtrise des immenses espaces de nos zones sous juridiction. Une mer dans laquelle innover, investir ;

- une autre difficulté évidemment, les contraintes budgétaires qui sont les nôtres et qui ne vont pas aller en diminuant. Elles pèsent sur les administrations qui concourent à l'action de l'État en mer notamment.

Il y a là quelque chose de contradictoire avec le volontarisme politique que je viens d'évoquer. En fait la difficulté est bien de passer de la parole aux actes. Car, finalement, la France, historiquement, n'a pas vraiment l'âme d'une nation maritime comme peuvent l'avoir d'autres pays, comme le Royaume Uni, les États-Unis, la Norvège, le Danemark et d'autres pays demain. Et cette absence traditionnelle de tropisme maritime compte lorsque l'heure est à faire des choix budgétaires.

Un groupe de nations a aujourd'hui totalement intégré ce phénomène de maritimisation dans la planification de ses investissements pour les années qui viennent : c'est celui des puissances émergentes (Chine, Inde et Brésil en particulier). Les efforts chinois sont connus : une volonté de maîtrise des mers adjacentes dans un premier temps, puis, mécaniquement avec le développement de son économie, des ambitions maritimes plus larges avec la nécessité de disposer d'une capacité de contrôle de ses voies de communication maritimes et, donc, le développement de points d'appui pour ses forces navales (le « collier de perles » de l'Océan Indien). En ce qui concerne le Brésil, c'est une véritable stratégie maritime qui est mise en oeuvre autour du concept « d'Amazonie Bleue ». Ce concept vise notamment au développement d'une marine puissante destinée à protéger les grands flux maritimes qui sillonnent l'Atlantique et qui continuent de se développer le long des côtes africaines. « L'Amazonie bleue », c'est aussi un programme d'investissements économiques très importants en direction des grands fonds de l'Atlantique sud.

Pour contribuer à camper le décor, il est nécessaire de revenir sur la notion de risques et de menaces qui s'exercent dans la dimension maritime. Ils sont de nature variée : des risques écologiques, des trafics illicites, le développement d'une criminalité maritime favorisé par des zones de non droit qui bordent certains océans et dont une des conséquences est l'émergence d'une véritable « industrie » de la piraterie maritime, le pillage des ressources halieutiques, des différends territoriaux et, enfin, une privatisation de l'emploi de la force armée en mer aussi qui pourrait devenir préoccupante si on ne canalise pas ce phénomène.

La question de la prise en compte à sa juste mesure de cette situation est un peu au coeur de la réflexion de votre groupe de travail sur la maritimisation. Je voudrais formuler une série de remarques qui ont leur importance si l'on veut mener cette réflexion sur les moyens :

- les espaces maritimes sont un lieu propice à l'expression du continuum sécurité - défense qui est l'un des axes importants du Livre blanc de 2008. Sur mer, les protagonistes, acteurs privés ou étatiques, jouent au chat et à la souris, s'observent, se jaugent, s'intimident. Comme il s'agit d'espaces géographiques où ces protagonistes ont la possibilité de se trouver au contact les uns des autres, il existe une possibilité d'escalade souvent plus importante que dans d'autres milieux. Ce sont donc des espaces au sein desquels la détermination et la crédibilité des acteurs sont des facteurs clés ;

- en conséquence, la ligne rouge de l'action armée en mer est souvent approchée, parfois franchie : on pense à la destruction de la corvette sud coréenne Chenchuan par un mini sous-marin nord coréen il y a deux ans, au différend turco-chypriote en Méditerranée orientale autour de questions de délimitations maritimes avec, à la clé, l'accès à des gisements d'hydrocarbures, à la résurgence d'une nouvelle guerre froide autour des Malouines, à la territorialisation de l'Arctique autour de la question des ressources des grands fonds et de l'ouverture de nouvelles routes maritimes, aux disputes en mer de Chine méridionale, et enfin, bien sûr, aux poussées de fièvre récurrentes autour du détroit d'Ormuz.

Je mentionnais à l'instant la notion de crédibilité. Je voudrais rappeler le rôle qu'a joué dans le déclenchement du conflit des Malouines, en 1982, la perception par les Argentins que la volonté de souveraineté britannique était émoussée compte tenu de la décision de retrait du seul patrouilleur de la Royal Navy stationné dans les îles.

On assiste à un développement des atteintes à la sûreté maritime, dans un registre de relativement basse intensité sur l'échelle possible des conflits. Cette situation se traduit par l'intrusion dans le paysage maritime d'acteurs criminels non-étatiques comme les pirates, les trafiquants... C'est une caractéristique de ce début de XXIe siècle. On a plutôt l'impression d'une amplification du phénomène de piraterie, tant en termes d'espaces géographiques concernés qu'en termes de moyens mis en oeuvre pas ces acteurs. La presse se fait l'écho de l'activité de piraterie en Océan Indien, mais la situation devient préoccupante dans le golfe de Guinée où se trouvent des intérêts économiques français. Dans le domaine de la lutte contre les trafics illicites - qui constitue en effet l'une des cinq grandes priorités de l'action de l'État en mer - nous sommes toujours confrontés à des flux importants par voie maritime aux Antilles, en Méditerranée et dans les atterrages des côtes d'Afrique de l'ouest.

Après ce long constat, il s'agit bien de tirer les conséquences en termes de besoins capacitaires de cette conjonction entre le développement bien réel des risques et des menaces, l'importance et, plus encore, le potentiel économique des océans avec nos atouts nationaux, et, enfin, notre volonté affichée d'une politique maritime nationale. C'est ainsi à un exercice de cohérence qu'il faut nous livrer, dans un contexte difficile de pression sur les budgets des ministères.

Nos espaces maritimes doivent être surveillés, contrôlés et nos intérêts en mer doivent être protégés : c'est ce que disent finalement les cinq missions prioritaires de l'action de l'État en mer. Elles ne sont réalisables qu'à condition d'en avoir la capacité. Cette approche capacitaire est au coeur de la démarche en cours d'un format global de la fonction gardes-côtes. À propos de cette démarche, je voudrais insister sur deux points :

- l'appellation « fonction gardes-côtes » n'est peut-être pas idéale, car elle donne l'impression de préoccupations d'ordre côtier. Or il s'agit aussi et surtout de la surveillance, du contrôle et de la protection d'espaces maritimes en haute mer, d'étendue considérable - il y a dans la notion de fonction gardes-côtes à la française une idée de profondeur des espaces maritimes ;

- la fonction gardes-côtes est un outil au service du concept national d'action de l'État en mer, qui s'exerce dans le domaine de la sécurité et de la sûreté maritime, pas dans le domaine de la guerre sur mer. Définir un format global de la fonction gardes-côtes est donc un exercice différent de celui qui consiste à formater nos forces armées pour répondre à des contrats opérationnels de défense.

Il demeure néanmoins que, parmi les administrations qui concourent à la fonction gardes-côtes, la marine nationale apporte environ 80 % des moyens, essentiellement du fait de sa compétence d'administration hauturière. Donc, formater la fonction gardes-côtes pour des missions de sûreté et de sécurité maritime, c'est aussi influer sur le format de la marine nationale. Il n'y a rien d'illogique, car nous sommes dans le cadre pertinent du continuum sécurité-défense.

Pour définir le format global de la fonction gardes-côtes, nous avons adopté une méthodologie qui part des cinq grandes missions prioritaires, puis qui étudie à la fois les caractéristiques communes de nos espaces maritimes et leurs caractéristiques particulières : les besoins de présence de patrouilles autour de la Nouvelle Calédonie ne sont pas les mêmes qu'en Manche-Mer du Nord ou dans le secteur des îles Kerguelen ; les menaces qui s'exercent dans le nord du canal du Mozambique, non loin de Mayotte, autour des îles Glorieuses, et qui sont caractérisées par l'extension géographique de la piraterie, par l'immigration illégale, ne sont pas les mêmes que dans les Caraïbes où l'on a une forte dimension trafic de stupéfiants.

Bien sûr, toutes les administrations qui contribuent à la fonction gardes-côtes sont étroitement associées à ce travail de définition d'un format global.

Une autre caractéristique de notre approche, c'est qu'elle ne peut pas se limiter aux seuls moyens - nautiques ou aériens. Car l'efficience d'un dispositif, en vue d'un effet à obtenir, résulte aussi de synergies dans la formation du personnel, les doctrines, les organisations des administrations respectives, les infrastructures et l'interopérabilité des matériels. Une démarche capacitaire n'est pertinente que si elle est globale. C'est d'autant plus vrai en période de difficultés financières.

Cet objectif de synergie est important. Il est concrétisé par l'instauration récente pour les différentes administrations qui interviennent en mer (marine nationale, douanes, sécurité civile, affaires maritimes...) de sessions de formation supérieures communes. Cette synergie passe aussi par l'expérimentation d'un centre maritime commun en Polynésie Française, qui regroupe notamment la coordination du sauvetage, la fusion de l'information maritime et le contrôle des pêches.

Il est une composante de ce format global sur laquelle je voudrais insister : c'est celle de la surveillance maritime qui inclut une dimension satellitaire. Nous déployons d'importants efforts en la matière et cette question occupe également beaucoup la Commission européenne dans le cadre de la Politique Maritime Intégrée de l'Union Européenne. La difficulté est au niveau européen celle du partage de l'information entre des secteurs de compétence très différents (contrôle des pêches, immigration illégale, lutte contre les narcotrafics, assistance et sauvetage en mer). Il ne peut y avoir de politique maritime sans surveillance maritime...

Nous souhaitons que ce format global soit défini cet été, ou au plus tard à l'automne. Se posera la question de sa visibilité, de son poids, en fonction du niveau auquel il sera endossé. L'exercice ne sera pas achevé car il faudra ensuite que les administrations convergent vers ce format global : il sera nécessaire de bâtir des schémas directeurs par administration pour rejoindre ce format.

Les instruments de cette convergence sont d'abord les comités directeurs de la fonction gardes-côtes et les groupes de travail qui en découlent. À un niveau plus élevé, c'est le Comité interministériel de la mer (CIMER) qui définit des orientations et est surtout en mesure de procéder à des arbitrages, ce que le secrétariat général de la mer ne peut faire aujourd'hui. Le CIMER est un instrument puissant dont il faut maintenir la fréquence de réunion.

Je dirais que le format actuel des administrations concernées n'est sans doute pas très éloigné de ce dont nous disposons actuellement. Mais il y a quelques points de vigilance que le format global devrait justement mettre en lumière. La question du renouvellement des moyens est ainsi cruciale : en certains endroits, elle pose des difficultés.

Et puis en effet, il faut se pencher sur les perspectives d'exploitation de nouvelles ressources marines : l'existence prochaine, possible, de plateformes d'exploitation pétrolière au large de la Guyane pose la question de l'adéquation des moyens de l'État à cette nouvelle situation, en matière de surveillance ou de lutte antipollution.

D'une manière générale le développement possible de l'exploitation de ressources minérales extraites du fond des océans génèrera des flux de trafic nouveaux, dans des zones qu'il faudra surveiller et qu'il faudra parfois sécuriser. Tout cela concernera beaucoup la haute mer, et donc beaucoup la marine nationale. Mais à ce stade de nos connaissances, il est difficile de faire précisément rentrer ces considérations dans un format global de la fonction gardes-côtes. Cependant, ce n'est pas parce que cette projection dans le futur n'est pas simple qu'il ne faut pas anticiper. Dans ce contexte, nous avons évidemment tout intérêt à au moins préserver les outils de notre capacité de contrôle des mers.

Il faut être prêt au phénomène de surprises stratégiques, à l'exemple du 11 septembre ou du printemps arabe. Le XXIe siècle sera peut-être le siècle des surprises stratégiques sur mer.

S'agissant de nos partenaires, les États-Unis accordent toujours à la dimension maritime une importance particulière. Plus globalement, dans les pays dont l'effort de défense diminue, essentiellement en Europe, la dimension maritime diminue moins. Dans les pays qui augmentent leur effort de défense, notamment en Asie, la dimension maritime est celle qui augmente le plus. C'est le signe qu'il y a une prise en compte globale de la maritimisation.

M. Jeanny Lorgeoux, co-rapporteur du groupe de travail sur la maritimisation.- Vous avez évoqué la nécessité d'équipements capacitaires en haute mer. Pouvez-vous être plus précis ? Du pétrole a été découvert en Guyane : quels moyens seront nécessaires pour surveiller la zone ?

M. Charles Revet. - Vous avez souligné la difficulté des Français de se tourner vers la mer. Je suis plus nuancé que vous. Je constate qu'au niveau des écoles maritimes, la marine nationale refuse aujourd'hui des candidatures. Au niveau des écoles maritimes classiques, c'est l'inverse. L'explication réside dans la différence des processus de formation : pour les officiers, il est très large, alors que la formation des écoles maritimes est peu attrayante. J'ai l'impression qu'il y a aujourd'hui une prise de conscience en la matière. À mon avis, les Français peuvent s'intéresser à la mer mais on a tout fait pour les en désintéresser. Qu'en pensez-vous ? Est-ce que la nouvelle formation maritime est même adaptée ?

Dans la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, il était prévu la mise en place, pour la fin de l'été 2011, de schémas régionaux de l'aquaculture marine. Alors que l'aquaculture se développe partout dans le monde, ce n'est pas le cas en France, faute d'espace. Où en sont ces schémas dans l'hexagone et outre-mer ?

M. André Trillard, président, co-rapporteur du groupe de travail sur la maritimisation.- Plusieurs questions :

- le projet de DCNS visant à utiliser un sous-marin nucléaire comme centrale électrique pose à mes yeux des problèmes de sécurité. Où en est ce projet ?

- vous avez évoqué la sécurité des navires de passagers. Il s'agit de navires transportant 4 000 personnes. Il est rare de disposer sur le territoire d'un département des moyens permettant de sauver 4 000 personnes !

- la France aime-t-elle globalement sa mer ? Une seule illustration : le grand port maritime de Nantes-Saint-Nazaire représente 27 000 hectares. Aujourd'hui, il ne reste que 150 hectares constructibles, en raison des zones protégées.

Contre Amiral Patrick Chevallereau.- Les espaces naturels se multiplient : c'est une bonne chose, mais il faut aussi prendre garde à cette évolution. On ne doit pas créer un chapelet de secteurs sur nos côtes où on ne pourra pas investir.

La problématique des grands navires est une préoccupation du secrétariat général de la mer. Nous travaillons à un concept d'intervention sur ce type de navires : il s'agit de privilégier l'intervention d'équipes de sauvetage à bord plutôt que l'évacuation, quand la flottabilité du navire est préservée, l'évacuation étant elle-même accidentogène. Il s'agit cependant d'un problème extrêmement difficile.

Je n'ai pas beaucoup d'éléments sur le projet Flexblue de DCNS.

Avons-nous aujourd'hui les capacités adéquates ? Nos moyens actuels constituent un minimum : nous n'avons plus de « gras ». En certains endroits, nous avons même des inquiétudes en matière de renouvellement des moyens, à l'exemple du Nord du canal du Mozambique : une aire marine protégée y a été créée, des pirates y sont actifs... Nous sommes en train de réfléchir avec les administrations concernées (marine nationale, ministère de l'environnement, ministère de l'agriculture et de la pêche) à l'action de l'État dans cette zone très étendue : on réfléchit à des mutualisations de missions et à la participation croisée de ministères. Les discussions sont difficiles, notamment en raison des contraintes budgétaires.

M. Jeanny Lorgeoux, co-rapporteur du groupe de travail sur la maritimisation.- Dans l'hypothèse où nous aurions de l'argent, que faudrait-il ?

Contre Amiral Patrick Chevallereau. - Il faudrait assurer de la présence et donc disposer de moyens navals, aptes à faire face à l'intégralité du spectre de menaces. Du fait du risque de piraterie par exemple, les bateaux devraient être capables de mettre à l'eau des bateaux armés d'intervention rapide. En matière de pêche, une capacité de coercition est également nécessaire. Par ailleurs, des moyens aériens et des images satellites sont également indispensables.

S'agissant de la relation des Français à la mer, existent bien entendu des communautés maritimes vigoureuses et convaincues. Mais il faut investir, il faut faire des choix et des arbitrages. J'espère que la réforme de la formation maritime en cours ira dans la bonne direction. Globalement il faut intéresser les Français à la mer, et donc parler de la mer.

M. Jacques Cornano. - On a évoqué le déclin de l'aquaculture en raison du manque d'espace. Pourtant, il y a de l'espace outre-mer !

Contre Amiral Patrick Chevallereau. - Je n'ai pas beaucoup d'éléments sur ce sujet. On a tout de même des opportunités pour développer l'aquaculture.

Après la stratégie maritime atlantique de Lisbonne de novembre dernier, s'est mis en place un Forum atlantique et un plan d'action atlantique est en train de se développer, impliquant la Commission européenne et les cinq États membres situés sur la façade atlantique. Cette stratégie balaie l'ensemble des aspects de la mer, dont l'aquaculture. Le secrétariat général de la mer et les ministères concernés, dont le ministère de l'outre-mer, travaillent sur le sujet et formuleront des propositions, qui pourront porter sur l'aquaculture.

M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur de la délégation.- Depuis plusieurs semaines, on évoque les atouts de la Guyane en matière de mer. Je souligne cependant que c'est la seule région qui ne compte pas d'école des métiers de la mer.

Vous avez évoqué le centre commun de Polynésie française et la mutualisation à La Réunion. Serait-il utile de faire la même chose entre les Antilles et la Guyane ?

S'agissant des forages actuels au large de la Guyane : y a-t-il une réflexion sur les moyens qui pourraient être alloués pour contrôler l'activité future ? Est-il prévu de renforcer les moyens de l'État dans la zone ?

M. Michel Vergoz. - Quelle articulation y a-t-il entre l'action de l'État et les élus locaux, outre-mer notamment ? Le secrétariat général de la mer est au coeur du système : comment incluez-vous les outre-mer dans la réflexion ?

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur de la délégation.- Je vois l'intérêt du travail croisé entre la commission des affaires étrangères et la délégation à l'outre-mer. Le statut des collectivités d'outre-mer n'est pas que celui des DOM. Nous sommes dans une relation statutaire permettant une certaine autonomie de gestion de l'espace maritime. Par ailleurs, je souhaite souligner qu'il existe une relation différente à la mer dans nos territoires : nous baignons dans la mer depuis plusieurs millénaires. Comment faire en sorte que, pour ces collectivités, la mer soit un levier de développement prioritaire ?

Mme Karine Claireaux. - Certains territoires sont complètement tournés vers la mer, notamment outre-mer. Ainsi Saint-Pierre-et-Miquelon n'existe que par la mer. Je voudrais par ailleurs attirer votre attention sur un projet très intéressant, le projet Océanide, visant à faire la démonstration du lien entre la mer et la prospérité et la puissance d'un État.

M. Michel Boutant.- Pendant des siècles, la seule activité économique liée à la mer a été la pêche. La mer regorge aujourd'hui d'intérêts multiples : ressources minérales, énergie, transport... Certains regrettent que des zones maritimes soient sanctuarisées. Se pose à mes yeux la question des conflits d'intérêt, notamment entre les environnementalistes et les partisans du développement économique. Comment anticiper les potentiels conflits d'intérêt à venir ?

Contre Amiral Patrick Chevallereau. - Il y a bien entendu des territoires pour lesquels la mer est dans les gènes depuis des millénaires, à l'exemple de la Polynésie française. S'agissant également de l'outre-mer, plusieurs remarques :

- le ministère de l'outre-mer est l'un des ministères avec lesquels nous avons des contacts très réguliers ;

- je voudrais signaler l'intérêt des conférences maritimes régionales, dont une s'est tenue l'année dernière à Papeete. Une conférence devrait avoir lieu en Guyane avant la fin de l'année 2012. Il s'agit d'enceintes privilégiées du dialogue entre ces départements et les représentants gouvernementaux ;

- nous nous sommes réjouis qu'en 2011 les autorités de La Réunion aient publié un Livre Bleu sur l'Océan Indien ;

- tout récemment, un contrat de compétence en matière de lutte anti-pollution a été passé entre la Nouvelle-Calédonie et l'État, avec un transfert de responsabilités ;

- s'agissant du centre maritime commun de Polynésie, il s'agit pour l'instant d'une expérimentation. Au terme d'un an d'expérience, une évaluation sera faite et nous réfléchirons à la réplication d'une telle structure. Je ne vous cache cependant pas qu'il y a des questions de périmètre qui se posent.

Le secrétariat général de la mer s'est investi dans le projet Océanide qui a été évoqué. C'est un vecteur possible pour soutenir les préoccupations dont nous avons discuté aujourd'hui.

Jeudi 5 avril 2012

- Présidence de M. Serge Larcher, président -

L'outre-mer et la réforme de la politique commune de la pêche - Audition de Mlle Émilie Gélard, juriste, chargée de mission au Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM)

M. Serge Larcher, président. - Nous reprenons aujourd'hui nos travaux sur la pêche. Nous accueillons Mlle Émilie Gélard, juriste et chargée de mission pour l'outre-mer au Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM). Je vous informe par ailleurs que nous entendrons les présidents des comités régionaux des pêches des départements d'outre-mer (DOM) le 17 avril prochain.

Mlle Émilie Gélard, juriste, chargée de mission au Comité national des pêches maritimes et des élevages marins. - Le CNPMEM représente quatre DOM : la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion. Nous travaillons également avec les professionnels d'autres collectivités ultramarines, notamment avec ceux de Mayotte, dans la perspective de la constitution d'un comité des pêches, et ceux de Saint-Pierre-et-Miquelon pour la structuration de la pêche artisanale sur l'archipel.

En outre-mer, les comités rassemblent les pêcheurs, le secteur aval et, grande nouveauté issue de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, les pêcheurs de loisir, qui disposent d'une voix consultative.

Les comités ont pour mission de représenter les intérêts des professionnels et de faire l'interface avec les pouvoirs publics. Il s'agit d'organismes privés remplissant des missions de service public. Par délégation de l'État, ils peuvent définir des règles pour l'activité de pêche, approuvées par arrêtés préfectoraux, et encadrer la gestion de leurs ressources, à condition d'être plus stricts que les prescriptions européennes et nationales.

Pour ce qui est de la situation économique de la filière, il y a une véritable insuffisance de connaissances et de données disponibles, tant pour ce qui concerne la ressource que les marchés outre-mer. J'ai ainsi eu de grandes difficultés à rassembler les chiffres suivants : on comptait 2 448 navires dans les quatre DOM en 2009, contre 4 857 en métropole. La flotte outre-mer représente ainsi 35 % de la flotte artisanale française ; l'outre-mer représente 20 % des effectifs des marins-pêcheurs ; les navires sont principalement de petite taille ; en 2008, 24 170 tonnes de poissons ont été vendues, pour une somme de 160 millions d'euros, avec plus de 10 000 tonnes pour la Guadeloupe, plus de 6 200 en Martinique, 3 900 en Guyane et environ 1 500 pour La Réunion ; le secteur représentait en 2006 près de 4 700 emplois, les deux départements comptant le plus grand nombre d'emplois étant la Guadeloupe et la Martinique ; le secteur représente environ 1 % du PIB ; les exportations atteignent environ 9 200 tonnes, le taux de couverture en produits de la mer s'élevant à environ 87 %.

S'agissant de l'application de la politique commune de la pêche (PCP) outre-mer, la maxime « loin des yeux, loin du coeur » illustre la situation, avec ses avantages et ses inconvénients. Tous les volets de la PCP s'appliquent dans les DOM depuis 2007. Les volets qui impactent le plus la filière sont les volets économiques. Les règles de gestion de la ressource sont « euro-centrées », c'est-à-dire pensées par et pour l'Europe continentale. La problématique de la gestion des quotas est ainsi sans objet dans les DOM : une seule espèce y est sous quota, la crevette guyanaise, et on ne parvient pas aujourd'hui à atteindre ce quota. À La Réunion, il y a bien des quotas mais découlant d'organisations internationales.

La réforme de la PCP pourrait conduire à un changement des règles de gestion des quotas, avec la patrimonialisation de la ressource. Cependant, les DOM ne semblent pas actuellement concernés par les projets de la Commission européenne du fait de l'existence de deux conditions : l'exclusion de l'application des règles relatives aux quotas transférables aux navires de moins de 12 mètres (soit 90 % de la flotte domienne) et l'application de ces règles aux seules espèces sous quotas communautaires.

Sur le volet marché, la signature des accords de partenariat économique, notamment avec les États de la Caraïbe, constitue un frein au développement de la filière. Par méconnaissance et par éloignement, l'Union européenne (UE) n'évalue pas, préalablement à leur conclusion, l'impact de tels accords sur le marché des régions ultrapériphériques (RUP). Or, les producteurs locaux en subissent les conséquences, à l'exemple de l'importation de dorade congelée en provenance de la Barbade dans les Antilles mise en vente à un prix très bas.

La méconnaissance des réalités ultramarines au niveau européen est une problématique récurrente. Il convient également de noter qu'en matière de pêche, les RUP françaises ne sont aucunement comparables aux RUP portugaises ou espagnoles qui pratiquent leur activité sur des stocks partagés avec d'autres régions européennes.

La France est souvent incapable de donner des informations chiffrées sur la ressource ou sur les marchés dans les outre-mer, sûrement par manque de moyens et de défaut de développement de la recherche appliquée. Elle n'est ainsi pas capable de défendre et de justifier des demandes d'exemptions ou de dérogations auprès de la Commission européenne.

En termes de fonds structurels, les crédits communautaires, comme le Fonds européen pour la pêche (FEP), constituent un atout pour nos DOM. Mais les conditions d'application de ces aides rencontrent des freins. Ainsi, une aide est octroyée au niveau européen pour moderniser les moteurs, à condition qu'ils aient au moins cinq ans. Or, en raison des conditions climatiques, les moteurs ne résistent pas aussi longtemps aux Antilles : l'application non différenciée de cette aide conduit, dans ce domaine, à freiner le développement de la filière pêche. Par ailleurs, l'accès aux crédits communautaires est freiné par la complexité des dossiers, les difficultés des entrepreneurs à remplir ces derniers et à fournir la contrepartie privée. Les difficultés d'accès au crédit bancaire empêchent ainsi le recours aux fonds européens : en Guyane et à La Réunion, l'enveloppe de crédits disponibles n'a d'ailleurs pas été totalement dépensée.

M. Charles Revet, rapporteur. - Comment peut-on l'expliquer ?

Mlle Émilie Gélard. - Il y a un problème de diffusion de l'information : les structures professionnelles n'ont pas de moyens suffisants pour accompagner les professionnels. Ensuite, dans certains départements, il n'existe pas de crédit maritime et les banques pratiquent des taux prohibitifs. Les professionnels ne sollicitent donc pas le FEP.

M. Charles Revet, rapporteur. - Qu'en est-il de la disposition votée dans le cadre de la loi de finances pour 2012 visant à assouplir les conditions pour bénéficier des réductions d'impôt du "dispositif Madelin" ? Cette disposition qui bénéficie notamment aux coopératives de pêche souhaitant acquérir des bateaux s'applique-t-elle outre-mer?

Mlle Émilie Gélard. - La PCP interdit les aides au financement de la construction de navires. Des réflexions ont lieu aujourd'hui sur le navire du futur, question essentielle dans le cadre de la future politique commune des pêches et au regard de l'objectif de redéploiement de la flotte au-delà de la bande côtière.

M. Serge Larcher, président. - En Martinique, il y a la problématique de la chlordécone...

Mlle Émilie Gélard. - C'est un autre facteur qui va conduire au redéploiement de la flotte. On envisage également certaines reconversions vers l'aquaculture : la proposition de réforme de la PCP présente l'intérêt d'appeler au développement de l'aquaculture en Europe. Il existe à Mayotte, en Martinique et en Guadeloupe un potentiel de développement d'une aquaculture raisonnée, venant en complément de l'activité de pêche. Sur la question des sinistres provoqués par les catastrophes sanitaires comme la pollution au chlordécone ou par les catastrophes naturelles comme les cyclones, les mécanismes d'indemnisation, liés au lieu de résidence, ne peuvent pas toujours être mis en oeuvre par les pêcheurs. La proposition d'un fonds communautaire par la Commission constitue une avancée, un fonds de mutualisation devant permettre aux pêcheurs de se prémunir face aux aléas climatiques ou sanitaires.

Les quatre DOM ont établi une position commune sur la proposition de réforme de la PCP, dans laquelle figurent les pistes de réflexion suivantes :

- faire reconnaître la spécificité de l'outre-mer comme un principe général dans le règlement de base traitant des règles de gestion de la ressource ;

- protéger les zones économiques exclusives (ZEE) et assurer un accès préférentiel aux navires de nos régions, comme ce qui existe aujourd'hui pour les Canaries et pour les Açores ;

- ne pas être soumis aux règles de gestion des quotas que la Commission prévoit d'appliquer en métropole et qui conduisent à une patrimonialisation des ressources halieutiques ;

- en matière d'outil financier, maintenir les taux bonifiés pour les RUP, adapter les règles en matière d'aides à la construction et à la modernisation des flottes et à la création d'infrastructures,... Tout est aujourd'hui compliqué avec la réglementation européenne, notamment la justification de l'emploi des subventions communautaires. Ainsi, la problématique de l'équipement des points de débarquements est récurrente dans nos DOM. Or, un projet de mise en place en Guyane de camions frigorifiques par une des sociétés de transformation, lui permettant d'aller chercher le poisson sur le point de débarquement des pêcheurs artisanaux, n'a pu obtenir les crédits communautaires qu'après plusieurs mois de bataille.

M. Michel Vergoz. - Êtes-vous au courant de l'existence du système d'informations halieutiques (SIH) ? Avez-vous accès à ses données ? Ensuite, le ministre de l'agriculture et de la pêche est-il le « référent » au niveau national en matière de pêche ? Enfin, quelle est votre position sur le rendement maximum durable (RMD), sur le « zéro rejet » et sur les concessions transférables figurant dans la proposition de réforme de la PCP ?

Mlle Émilie Gélard. - Vous avez soulevé un problème essentiel : l'accès à l'information relative à la ressource. Nous savons qu'il existe des systèmes d'information, tels que le SIH, les études de France Agrimer... Les professionnels n'y ont cependant pas nécessairement accès, ce qui freine l'organisation et la structuration de la filière. Comment se développer si on ne sait pas ce qu'on peut pêcher, où on peut le pêcher et de quelle manière ?

Le référent national en matière de pêche est le ministre de l'agriculture et de la pêche. L'administration des pêches n'a pas trop souffert de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Elle comprend de nombreux fonctionnaires mais nous déplorons qu'elle ne dispose pas en son sein d'un correspondant outre-mer. Pour traiter des questions d'outre-mer, nous devons parfois nous adresser à quatre personnes différentes. Sans compter l'existence du ministère de l'outre-mer et de la délégation générale à l'outre-mer... Il est parfois compliqué de savoir à qui s'adresser, même s'il est clair que ce n'est pas le ministère de l'outre-mer qui prend les décisions. Pour autant, je tiens à souligner que l'administration des pêches a fait un très bon travail dans le cadre de l'accord conclu avec le Venezuela à propos du vivaneau.

La réforme de la PCP devait être adoptée avant le 31 décembre 2012, mais le calendrier ne sera sûrement pas respecté, la première lecture du Parlement européen n'ayant toujours pas commencé.

Le RMD est le volume maximal de poissons qu'on peut retirer de la mer sans mettre en péril la régénération du stock. La Commission européenne souhaiterait qu'il soit atteint pour tous les stocks en 2015. La France considère qu'il faut respecter les engagements internationaux qui prévoient que le RMD sera atteint en 2015 là où c'est possible, et, au plus tard, en 2020. Nous considérons que la PCP est une boîte à outils au sein de laquelle on viendrait piocher l'outil adapté au bassin maritime ou à la pêcherie. Il faut en effet permettre à chaque bassin de l'atteindre au moment approprié, en fonction de l'état des stocks et de la flotte.

M. Serge Larcher, président. - Comment appliquer le RMD pour les espèces dont on ne connaît pas le stock ?

Mlle Émilie Gélard. - C'est exactement une question que nous soulevons auprès de la Commission européenne. Nous voulons bien appliquer le RMD mais encore faut-il savoir où on en est aujourd'hui pour savoir où aller demain !

M. Michel Vergoz. - L'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER) ne dispose-t-il pas de données complètes sur les stocks ?

Mlle Émilie Gélard. - Non, ce n'est pas le cas. Même en métropole, on ne dispose pas de connaissances sur l'ensemble des stocks. Je vous rappelle que la France a le champ d'espèces pêchées le plus large d'Europe.

M. Charles Revet, rapporteur. - Dans le cadre de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, dont j'ai été le rapporteur du volet pêche, on a renforcé la coopération entre scientifiques et professionnels pour l'évaluation de la ressource.

L'ensemble du territoire français est-il aujourd'hui couvert par des comités régionaux des pêches ? Vous avez indiqué qu'à La Réunion les contraintes ne venaient pas de l'UE mais d'organisations internationales compétentes en matière de pêche : pouvez-vous nous donner quelques précisions ? Les mêmes règles s'appliquent-elles outre-mer en matière de construction de bateaux ? Il y a beaucoup d'interrogations sur la connaissance des ressources. Qui donne les instructions pour déterminer les objectifs de l'IFREMER ? Le CNPMEM est-il consulté ?

Mlle Émilie Gélard. - La loi ne nous permet d'avoir des comités des pêches que dans les DOM. Il n'existe pas de comité des pêches dans les collectivités d'outre-mer. À Saint-Pierre-et-Miquelon, par exemple, il est aujourd'hui envisagé de créer une structure permettant à la pêche artisanale de disposer de représentants pour faire l'interface entre les professionnels et l'administration. Mayotte ne dispose pas non plus de comité des pêches. Le retard y est important : nous ne savons pas qui pêche, nous ne connaissons pas le nombre exact de navires et il n'existe pas de statut social du marin-pêcheur...Mais le comité régional de La Réunion travaille avec Mayotte.

Les accords conclus entre l'UE et des États tiers à l'Union ne permettent pas un développement favorable du marché en outre-mer. Si le régime POSEI s'applique en Guyane et à La Réunion, où il permet de limiter les conséquences liées à l'éloignement, il ne s'applique pas aux Antilles. Nous en demandons donc l'extension à la Guadeloupe et la Martinique, dans le cadre de la PCP. La pêche illégale constitue un vrai problème : le cas de la Guyane est connu de tous. En Martinique, le stock de lambis est partagé avec Sainte-Lucie. Or, il n'existe aucune règle commune de gestion de la ressource et les moyens de contrôle ne sont pas suffisants pour vérifier que les Saint-Luciens ne viennent pas pêcher dans les zones françaises quand la pêche est interdite.

Les règles en matière de construction de navires s'appliquent outre-mer comme dans l'hexagone : il s'agit d'un frein considérable au développement de la filière.

Nous entretenons de bons liens avec l'IFREMER. L'Institut nous consulte au moment des choix de déploiement des crédits, mais nous ne sommes pas influents au point de déterminer les choix d'investissement et de recherche.

S'agissant du principe du « zéro rejet » : il s'agit d'imposer le débarquement d'espèces pêchées au-delà du quota ou en deçà d'une taille minimale de commercialisation. Cette proposition paraît irréaliste et non protectrice de la ressource. Cette mesure n'aurait cependant pas d'impact outre-mer où les pratiques de pêche sont très sélectives et génèrent peu de rejets. Nous y demandons d'ailleurs la réintroduction de la possibilité de financer des dispositifs de concentration de poissons (DCP) collectifs ancrés, dispositifs ultra-sélectifs. Plutôt que l'interdiction des rejets, nous demandons à la Commission européenne de privilégier une démarche de réduction significative par pêcherie des rejets. Cependant, comment avoir un objectif de réduction sans savoir exactement ce que nous rejetons ? Nous demandons donc à la Commission d'établir au préalable un diagnostic par pêcherie.

M. Serge Larcher, président. - Cela ne concerne pas les Antilles.

Mlle Émilie Gélard. - En effet, en raison de la sélectivité de la pêche dans cette région. La sélectivité des engins de pêche est d'ailleurs un sujet sur lequel nous travaillons activement, à l'exemple du travail effectué dans l'hexagone sur le petit merlu. La France a été condamnée pour avoir pêché du petit merlu sous taille. En lien avec l'IFREMER, nos navires ont travaillé à l'élaboration d'une zone où le maillage est différent pour permettre l'échappement du petit merlu.

S'agissant des concessions de pêche transférables, les DOM ne sont pas concernés. Nous préférons cependant adopter une démarche préventive et que les RUP soient exclus de façon générale du dispositif.

Certains stocks sont en effet gérés par des organisations internationales, telles que la Commission des thons de l'Océan Indien (CTOI) pour La Réunion. Dans le cadre de la réforme de la PCP, nous demandons que les professionnels français puissent faire partie des délégations participant aux sommets qui aboutissent à la signature de ces accords.

M. Michel Vergoz. - Votre position sur les concessions transférables n'est-elle pas fragile ? Plus globalement, comment peut-on transférer des quotas ?

Mlle Émilie Gélard. - Aujourd'hui, chaque État membre détermine les modalités de gestion de ses quotas. La Commission européenne considère que notre flotte est trop importante et que le meilleur moyen de la réduire est de libéraliser, avec la mise en place des concessions de pêche. Pour notre part, nous refusons le concept de patrimonialisation qui conduit à la concentration de la flotte.

M. Michel Vergoz. - La concession pourrait se trouver entre les mains de non pêcheurs !

Mlle Émilie Gélard. - Tout à fait ! Nous nous y opposons très fermement, tout comme le ministre. Nous ne sommes pas hostiles à une individualisation des quotas pour certains stocks sans qu'il y ait pour autant une appropriation. Sur la construction des navires, nous ne souhaitons pas permettre à tous les DOM, sans conditions, de pouvoir disposer d'aides publiques pour construire n'importe quel navire. Il s'agit de permettre d'aider certains navires, à condition qu'ils soient moins consommateurs d'énergie et qu'ils pêchent sur des stocks non menacés.

M. Michel Vergoz. - Une concession c'est, à mes yeux, une rente de situation. La proposition de la Commission aboutirait à la création de grands groupes s'appropriant la pêche, sans être eux-mêmes pêcheurs. Les Fonds structurels pourraient, par voie de conséquence, se retrouver entre les mains de ces groupes. Je ne comprends pas votre position selon laquelle ces règles ne s'appliqueraient pas outre-mer.

Mlle Émilie Gélard. - J'ai indiqué qu'il ne fallait pas effrayer inutilement les professionnels ultramarins. En effet, quand bien même l'opposition française ne serait pas entendue, le système ne s'appliquerait pas dans les DOM. Il n'en demeure pas moins que nous sommes totalement hostiles à l'introduction d'un système de concessions comportant le risque d'une exclusion des vrais professionnels de la gestion de la ressource. Avec un tel système, une organisation non gouvernementale (ONG) pourrait récupérer des concessions de pêche et geler l'activité ! Ce serait une catastrophe.