Jeudi 27 juin 2013

- Présidence de M. David Assouline, président -

Mise en oeuvre de la loi relative au statut de l'auto-entrepreneur - Examen du rapport d'information

M. David Assouline, président. - Cette séance, consacrée au régime de l'auto-entreprise, illustre parfaitement la vocation de notre commission : nous voulons non seulement contribuer au débat public mais aussi participer, en amont, au travail législatif.

Une réforme de ce régime a été annoncée le 12 juin dernier en Conseil des ministres. Elle fait suite au rapport de MM. Pierre Deprost, inspecteur général des finances, et Philippe Laffon, inspecteur général des affaires sociales, qui nous ont présenté leurs conclusions le 27 avril. Grâce à cette audition, nous en savons davantage sur la réalité de ce régime, une réalité qui permet de relativiser certains a priori et résultats. Ainsi, le chiffre de 900 000 auto-entrepreneurs recensés fin février 2013 est à prendre avec précaution ; l'auto-entreprise représente davantage un cadre social et fiscal qu'une forme spécifique d'entreprise ; enfin, elle pose un certain nombre de difficultés, notamment de distorsion de concurrence dans le secteur du bâtiment.

Pour donner une plus grande résonance à vos travaux, j'en demanderai l'inscription à l'ordre du jour d'une séance de contrôle et nous veillerons à les présenter à la presse dès la semaine prochaine.

Mme Muguette Dini, co-rapporteure. - Nous partageons le constat posé par MM. Deprost et Laffont mais nous n'en tirons pas tout à fait les mêmes conclusions.

Le régime de l'auto-entrepreneur a été lancé pour promouvoir l'esprit d'entreprise en France. Outre la mise en place d'une procédure simplifiée de déclaration d'activité, son intérêt consistait essentiellement en un mode de calcul et de paiement simplifié des cotisations sociales et de l'impôt sur le revenu. Ce dispositif a connu un grand succès : 320 000 auto-entreprises créées la première année, 900 000 dénombrées en février 2013.

Plus de quatre ans après son entrée en vigueur, le moment était venu d'en dresser un bilan et de proposer des pistes pour le corriger et assurer un meilleur développement de l'activité.

L'application de ce régime n'a pas été un long fleuve tranquille. Son application à marche forcée, moins de six mois après la promulgation de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (LME), a immédiatement posé des problèmes de gestion administrative. Peut-être n'aurait-il pas fallu accorder priorité à la simplification aux dépens de la cohérence.

La notion d'auto-entrepreneur trouve son origine dans le rapport « En faveur d'une meilleure reconnaissance du travail indépendant » que François Hurel a remis le 10 janvier 2008 à Hervé Novelli, alors secrétaire d'État en charge des entreprises. Ces travaux répondaient à une lettre de mission appelant à esquisser « une politique ambitieuse d'incitation à l'initiative individuelle, fondée notamment sur un passage facilité et sécurisé du statut de salarié au statut d'indépendant ». Ce nouveau régime devait donc répondre à deux objectifs parfois difficilement conciliables : la simplicité et la sécurité.

D'emblée, l'accent a été mis sur la simplification de l'environnement fiscal et social. Ce dispositif phare du précédent Gouvernement, placé en ouverture de la LME, autorisait l'auto-entrepreneur à déclarer la création de son entreprise auprès du centre de formalités des entreprises, via un site internet géré par l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), sans obligation de s'immatriculer au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers.

Concrètement, ce régime simplifié se présentait sous la forme d'un prélèvement libératoire fiscal et social, sur une base mensuelle ou trimestrielle, égal à 13 % du chiffre d'affaires pour les activités de commerce et à 23 % pour les activités de services. En réalité, le dispositif n'était pas si simple que le laissait paraître la procédure d'inscription puisqu'il s'adossait à des régimes sociaux et fiscaux complexes.

Sa montée en puissance a été rapide. La première année, en 2008, 328 000 auto-entrepreneurs se sont inscrits pour un chiffre d'affaires global approchant le milliard d'euros. L'Insee a enregistré un niveau record de création d'auto-entreprises l'année suivante - 580 200 entreprises, soit une hausse de 75 % - tandis que le nombre de créations d'autres formes de sociétés diminuait par effet de substitution.

Cette mise en oeuvre accélérée du système de traitement des inscriptions a généré de multiples difficultés pratiques. La détermination des activités éligibles au régime de l'auto-entrepreneur s'est révélée délicate, l'inscription reposant sur une déclaration. Par définition, la véracité des informations déclarées n'est pas garantie puisque les activités exercées se déclarent en ligne et que les distinctions demeurent complexes. Par exemple, il est possible d'être agent commercial mais non agent immobilier.

En outre, la chaîne de gestion de l'information recélait et recèle encore des points de blocage et d'incohérence. Ainsi l'Insee donne-t-elle systématiquement un numéro d'identification, même si l'activité ne donne pas lieu à immatriculation ultérieurement. On constate des doublons en matière de couverture maladie dus à la mauvaise compréhension du questionnaire en ligne, notamment sur le caractère accessoire ou principal de l'activité et le régime maladie de rattachement préalable à l'adhésion. Les caisses prestataires retraitent et réexaminent les données de l'Acoss de manière à garantir la bonne affectation du bénéficiaire - sections professionnelles du RSI et de la CIPAV- avant de les injecter dans leurs systèmes d'information respectifs. Les échanges de fichiers représentent une lourde charge pour les organismes qui doivent saisir la déclaration initiale, les modifications et radiations. Enfin, la chaîne de traitement statistique répartie entre l'Acoss, l'Insee et les caisses d'affiliation n'assure pas un suivi fiable et complet des données.

La précipitation dans laquelle le dispositif a été mis en oeuvre explique les multiples ajustements réglementaires et législatifs intervenus depuis 2009. La dernière modification, qui date de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, a consisté à aligner les taux de cotisations sociales des auto-entrepreneurs sur le régime de droit commun du travailleur indépendant.

C'était tenter d'apporter une réponse à certaines critiques. Dès sa mise en oeuvre, le régime a été fortement contesté. Le réseau consulaire des chambres de métiers s'est ému de cette nouvelle catégorie de ressortissants exemptés temporairement de taxe pour frais de chambre de métiers. Les artisans ont rapidement fait part de leur soupçon de fraude au chiffre d'affaires et dénoncé une concurrence déloyale. De là des adaptations législatives. Entre autres : l'obligation d'immatriculation au registre des métiers des auto-entrepreneurs exerçant à titre principal une activité artisanale assortie d'une exonération du paiement de la taxe pour frais de chambre de métiers les trois premières années ; la radiation automatique du régime des auto-entrepreneurs ne déclarant pas de chiffre d'affaires pendant deux ans, au lieu de trois auparavant, à compter du 1er janvier 2011 ; enfin, l'obligation d'une déclaration au moins trimestrielle, même en l'absence de chiffre d'affaires - disposition prise à l'initiative du Sénat. Le législateur est même revenu sur des modifications antérieures. Ainsi, l'exonération de contribution à la formation professionnelle, instaurée en 2009, a été supprimée en loi de finances pour 2011.

En dépit des onze modifications législatives et des sept décrets pris en quatre ans, et malgré la réduction des avantages sociaux accordés aux auto-entrepreneurs par la loi de financement pour 2013, le dispositif n'a pas atteint son point d'équilibre. En témoigne la fronde, toujours vive, des artisans et la volonté du Gouvernement d'adapter le dispositif. Après la remise du rapport d'évaluation confié à l'IGAS et à l'IGF en avril dernier, il a annoncé, lors du Conseil des ministres du 12 juin dernier, une réforme visant à limiter le régime dans le temps pour le faire glisser progressivement vers les statuts classiques et à créer un statut permanent adapté à l'exercice d'une activité complémentaire permettant un revenu d'appoint, d'un montant plus limité. Enfin, la question de l'exonération de contribution foncière des entreprises, prolongée pour un an en loi de finances pour 2013, sera abordée en loi de finances pour 2014.

Sans remettre en cause la finalité du dispositif, nous regrettons son application quelque peu expérimentale ainsi que l'insécurité juridique liée aux incessantes modifications depuis 2009.

M. Philippe Kaltenbach, co-rapporteur. - Pour bien cerner la réalité du phénomène, rappelons que 49 % seulement des quelque 900 000 auto-entrepreneurs inscrits sont économiquement actifs. Le poids réel de leur activité doit être relativisé : leur chiffre d'affaires en 2012 représentait 0,23 % du PIB. Même si 6,1 % ont déclaré un chiffre supérieur à 30 000 euros, leur chiffre d'affaires annuel moyen reste faible : 41 % des auto-entrepreneurs actifs ont généré moins de 6 000 euros, soit 500 euros mensuels.

D'après les enquêtes de l'Insee, l'impact économique du régime est limité : après trois ans d'activité, 90 % des auto-entrepreneurs dégagent un revenu inférieur au Smic. Les auto-entrepreneurs qui passent à un statut de travailleur indépendant classique sont rares : environ 10 000 en 2011, selon l'Acoss, soit 4,6 % des radiations annuelles. Si l'on retient les seuls cotisants appartenant à la tranche haute, dont le chiffre d'affaires annuel dépasse 40 000 euros, 40 % des auto-entrepreneurs quittent ce statut pour une autre forme d'entreprise.

Deux missions d'inspection ont effectué un important travail d'évaluation. La première, réalisée en 2010, était parvenue à la conclusion que les difficultés de gestion rencontrées par l'Acoss, la DGFiP et les Urssaf étaient « largement liées au développement rapide et massif du régime » et appelait à traiter « certains problèmes juridiques lourds » comme ceux relatifs aux professions réglementées.

La seconde, confiée à l'IGF et à l'IGAS, a rendu son rapport le 8 avril dernier. Ses auteurs, que nous avons auditionnés, se sont heurtés à la faiblesse du suivi statistique des auto-entrepreneurs - une difficulté que nous avons constatée lors de nos auditions.

Par souci de sécurité juridique, nous préconiserons, non des bouleversements du régime, mais des ajustements pour plus d'équité avec les autres formes d'entreprises.

Le dispositif statistique demeure incomplet. Seul le seul réseau des Urssaf et de l'Acoss dispose des données exhaustives issues du portail d'enregistrement. L'absence de croisement de données entre l'Acoss, la DGFiP et les caisses d'assurance vieillesse ne permet pas d'identifier les fraudes ou sous-déclarations de chiffre d'affaires. Les contrôles sont parcellaires. S'agissant de la fraude à la déclaration d'activité, les Urssaf ont décelé une fréquence de 30 % de redressements, pour un montant moyen de 404 euros par auto-entrepreneur contrôlé. Le gain d'une couverture totale du fichier s'évaluerait à 400 millions d'euros, somme importante, mais trop faible au regard du coût d'un contrôle à grande échelle.

Mieux vaut renforcer la procédure d'inscription et l'information auprès des auto-entrepreneurs. C'est ainsi que nous préviendrons le travail dissimulé. On ne saurait minimiser l'impact de la concurrence des auto-entrepreneurs dans le secteur du bâtiment au seul motif que leur chiffre d'affaires ne représenterait que 0,7 % de l'activité des entreprises du bâtiment de moins de vingt salariés et 1,1 % des entreprises artisanales du bâtiment. Certains schémas de contournement de la franchise de TVA dans le bâtiment seraient pratiqués à grande échelle - et ce n'est pas parce que l'IGF et l'IGAS n'ont pu mesurer le phénomène qu'il n'existe pas.

Sans préjuger des travaux de la commission saisie au fond sur le projet de loi qui sera présenté en juillet prochain, nous avons voulu formuler quelques préconisations. Limiter la durée du statut d'auto-entrepreneur quand il s'agit de l'activité principale nous semble difficile. D'une part, il n'est pas aisé d'établir une distinction entre une activité principale et une activité secondaire, l'une et l'autre pouvant s'inscrire dans la durée. D'autre part, régir indistinctement la mosaïque d'activités que recouvre l'auto-entreprenariat n'est peut-être pas une bonne idée. Pour les auteurs du rapport IGAS-IGF, cette option n'était pas plus pertinente que celle du dépassement des seuils d'activité. De plus, elle introduisait une forte insécurité juridique pour les auto-entrepreneurs, présents et futurs. En période de hausse du nombre des demandeurs d'emploi, un tel message n'est sans doute pas le mieux adapté pour parvenir à inverser la courbe du chômage.

À notre sens, il faut distinguer les auto-entrepreneurs oeuvrant dans les secteurs de l'artisanat et des professions réglementées, qui concentrent l'essentiel des critiques, des autres ; n'imposons pas une limitation générale dans le temps à toutes les catégories.

Premier axe, clarifier le régime. Donnons une base juridique à la dénomination d'auto-entrepreneur en la mentionnant expressément dans les textes d'application de la LME. Nous conforterons ainsi le statut social des personnes qui créent leur activité et renforcerons la lisibilité du cadre juridique dans lequel les prestations sont effectuées. Informons davantage les employeurs sur l'activité d'auto-entrepreneur menée par leur salarié pour améliorer la transparence et la lutte contre le travail dissimulé.

Deuxième axe, la sécurisation de l'entrée dans le régime. Lors de l'inscription, rendons obligatoires la déclaration du caractère principal ou accessoire de l'activité, la déclaration des qualifications professionnelles nécessaires à l'exercice d'une profession artisanale ou réglementée, la déclaration de la souscription d'une assurance en responsabilité civile professionnelle ainsi que des assurances professionnelles requises pour l'exercice de certaines professions. Ensuite, instaurons un contrôle automatisé de la concordance des éléments déclaratifs avec les conditions d'accès à l'activité déclarée avant la validation de l'inscription et l'attribution par l'Insee du numéro d'immatriculation. Enfin, instaurons une déclaration sur l'honneur de la véracité des informations fournies. Le but est de maintenir la simplicité du système déclaratif tout en responsabilisant les bénéficiaires du régime.

Troisième axe, désignons l'Acoss chef de file du suivi statistique de l'activité d'auto-entrepreneur.

Quatrième et dernier axe, accompagner les auto-entrepreneurs vers le droit commun de l'entreprise individuelle. Mettons en place un suivi des auto-entrepreneurs susceptibles d'accéder au statut de droit commun à compter d'un seuil de 50 % du plafond de chiffre d'affaires autorisé en fonction de l'activité d'auto-entrepreneur - une population estimée entre 50 000 et 70 000 auto-entrepreneurs. Assurons le financement de ce dispositif en mobilisant les fonds de la formation professionnelle, évalués à 10 millions, ainsi que l'Agence pour la création d'entreprises (APCE) en lien avec les acteurs consulaires et le réseau des experts comptables. Différencions l'accompagnement et les conditions de sortie du régime vers le droit commun selon que les activités relèvent de l'artisanat, pour lesquelles une durée limitée dans le temps peut se justifier, ou des professions libérales et du commerce. Désignons l'APCE tête de réseau de l'accompagnement des auto-entrepreneurs.

L'objectif est de mettre en place une chaîne vertueuse de développement de l'activité par une meilleure préparation des auto-entrepreneurs présentant un potentiel d'entrée dans le cadre général, un lissage des effets de seuils et une simplification des formalités de création d'entreprise dans le droit commun.

M. David Assouline, président. - Merci pour cet exposé très complet. Comme à notre habitude, ce rapport est l'oeuvre d'un binôme pluraliste ; le débat à venir sur les propositions du gouvernement en sera peut-être plus serein. Je salue la présence parmi nous du président de la commission des affaires économiques, et lui cède la parole.

M. Daniel Raoul. - On ne peut que partager votre constat sur les dysfonctionnements, le manque de suivi, l'insuffisance des données qui interdit toute analyse économique approfondie. Les effets pervers du dispositif sont patents dans des secteurs comme la production audiovisuelle, chère au Président Assouline, ou l'édition : des entreprises telles que France Télévisions ont incité leurs salariés à adopter le statut d'auto-entrepreneur pour échapper aux charges sociales...

Vous avez raison de distinguer entre l'artisanat et le bâtiment d'une part, les professions libérales et réglementées de l'autre. Dans le bâtiment, les chiffres sont loin de rendre compte de l'ampleur du phénomène, car le système est purement déclaratif : le fisc est incapable de contrôler la TVA, le chiffre d'affaires réel, le travail au noir. Il n'y a qu'à voir le formidable développement du nombre et de la clientèle des magasins de bricolage ces dernières années : difficile de nier qu'il y a un détournement du statut ! Cela pose quantité de problèmes, qu'il s'agisse de l'inscription auprès des chambres consulaires, de la formation, de la fiabilité des travaux ou de l'assurance décennale.

Vous proposez de multiplier les déclarations lors de l'inscription, en couronnant le tout par une déclaration sur l'honneur. Ce n'est guère rassurant ! Plutôt qu'une déclaration de souscription d'assurance, je préfèrerais une attestation. De même, comment contrôler la simple déclaration des qualifications professionnelles quand il s'agit d'une profession artisanale ou réglementée ? Une procédure d'inscription purement déclarative fausse les données statistiques. Il va falloir serrer les boulons et régler ces problèmes dans la future loi.

Mme Corinne Bouchoux. - Vous êtes-vous penchés sur le statut des auto-entrepreneurs précaires à l'université ? Ils redoutent la réforme annoncée...

M. Daniel Raoul. - L'université a utilisé les mêmes subterfuges que l'audiovisuel !

M. Stéphane Mazars. - Je vous félicite d'avoir choisi ce thème d'actualité. Le travail dissimulé, le salariat déguisé sont difficiles à évaluer, d'autant qu'un vrai contrôle coûterait trop cher au regard des sommes en jeu. Comment endiguer ces dérives ? Aucun secteur n'est épargné : il y a même des artisans qui demandent à leurs salariés de prendre le statut d'auto-entrepreneur pour externaliser la main d'oeuvre et s'exonérer des règles du droit du travail ! Certes, l'Urssaf peut toujours effectuer des contrôles - par exemple si on se rend compte que l'auto-entrepreneur a toujours le même donneur d'ordre - mais ils sont rares...

M. Daniel Raoul. - Il faut aussi protéger les auto-entrepreneurs eux-mêmes. Mesurent-ils bien ce que sera leur carrière, leur protection sociale, leur retraite ?

Mme Muguette Dini, co-rapporteure. - Le régime de l'auto-entrepreneur a permis à certains de travailler ; à trop le complexifier, on risque de détruire ces activités. On ne fournit plus de justificatifs lorsqu'on remplit sa déclaration d'impôt sur le revenu, mais un contrôle est toujours possible. Même raisonnement ici : il s'agit de responsabiliser les auto-entrepreneurs par un engagement écrit, tout en prévoyant des sanctions en cas de déclaration mensongère. Les problèmes sont essentiellement concentrés dans certains secteurs ; ne pénalisons pas les autres. Nous avons privilégié une fiche d'inscription simple, qui responsabilise les auto-entrepreneurs et facilite la collecte des éléments statistiques. À l'heure actuelle, on ignore si les auto-entrepreneurs travaillent à temps plein ou partiel, s'ils sont salariés, étudiants, retraités ou chômeurs... Mieux les identifier permettra de mieux cibler les contrôles.

M. Philippe Kaltenbach, co-rapporteur. - Initialement, je n'étais pas très favorable à ce régime, mais il bénéficie à 400 000 personnes et leur sert souvent à boucler leurs fins de mois. Attention donc à ne pas le déstabiliser. Les auditions ont montré que le bâtiment était un cas à part, mais statistiquement, il ne concerne que 14 % des auto-entrepreneurs. Veillons à ne pas pénaliser les autres secteurs, où les choses fonctionnent bien, pour régler ce problème spécifique.

Les modalités d'inscription sur Internet que nous proposons demeurent très simples. Avez-vous tel diplôme, oui ou non ? Avez-vous souscrit une assurance, oui ou non ? Il faudra avoir coché « oui » pour progresser dans le formulaire. Une déclaration mensongère exposera à des sanctions. N'alourdissons pas le dispositif en demandant l'envoi de documents. Il sera manifeste, sur la page informatique, que qualification professionnelle et assurance sont obligatoires, ce qui devrait limiter les erreurs de bonne foi.

Mme Muguette Dini, co-rapporteure. - La qualification professionnelle peut être un diplôme ou une expérience professionnelle.

M. David Assouline, président. - Je connais un excellent plombier qui n'a pas de CAP mais a appris son métier sur le tas !

M. Philippe Kaltenbach, co-rapporteur. - Il faudra soit être titulaire d'un diplôme, soit avoir une expérience professionnelle de trois ans. Mais n'allons pas demander trois ans de bulletins de paye à celui qui s'inscrit, ce serait beaucoup trop lourd.

Il est vrai, madame Bouchoux, que beaucoup de thésards s'inquiètent de la réforme annoncée car le statut d'auto-entrepreneur leur permet d'assurer leurs fins de mois. Nous distinguons le secteur du bâtiment, où il faut être strict, des autres. L'enseignement concentre plus de la moitié des auto-entrepreneurs : ils ne font pas concurrence à grand monde, et les sommes en jeu - environ 16 000 euros par an - sont faibles.

Mme Muguette Dini, co-rapporteure. - Mais vitales pour eux !

Mme Corinne Bouchoux. - Pas sûr qu'il y ait grand monde pour soutenir les précaires de l'université !

M. David Assouline, président. - Nous les soutiendrons.

M. Philippe Kaltenbach, co-rapporteur. - Il y a eu des cas scandaleux de salariat déguisé, dans la restauration notamment. Ces pratiques, qui sont totalement interdites, ont heureusement reculé à la suite des contrôles et des requalifications en contrat de travail. Nous proposons d'obliger les entreprises à déclarer dans leur bilan le nombre d'auto-entrepreneurs auxquels elles font appel. Il s'agit d'obtenir un maximum d'éléments statistiques et de recouper les informations pour faire apparaître les abus et les sanctionner.

M. Raoul s'inquiète de la retraite et de la protection sociale des auto-entrepreneurs. Tous ceux qui s'installent comme travailleur indépendant prennent un risque, mais la France a aussi besoin d'entrepreneurs ! Fournissons-leur une meilleure information afin qu'ils s'engagent en connaissance de cause.

Distinguons bien le bâtiment des autres. Améliorons le système sans remettre en cause son architecture en écoutant à la fois les artisans du bâtiment, qui dénoncent une concurrence déloyale et un risque pour les salariés, et les auto-entrepreneurs. J'aurais aimé établir une distinction en fonction de la nature des travaux, entre petits travaux de bricolage et gros chantiers avec fraude à la TVA ; cela est très compliqué en pratique.

Mme Muguette Dini, co-rapporteure. - Il y a un turnover considérable chez les auto-entrepreneurs : l'an dernier, 250 000 personnes sont sorties du dispositif, 250 000 y sont rentrées. Mais impossible, faute d'outil statistique, de savoir si un auto-entrepreneur déclaré en 2009 a encore ce statut !

Dans le bâtiment, le travail dissimulé est incontestable : les auto-entrepreneurs demandent à leurs clients de les payer en espèces et d'acheter les matériaux pour échapper aux taxes... Par définition, il est difficile de mesurer l'ampleur de ce phénomène et son évolution avant et après la création du régime d'auto-entrepreneur.

Se déclarer auto-entrepreneur est aussi un moyen pour un demandeur d'emploi de retrouver une dignité, même s'il n'a que peu de travail. Mais là encore, on ne sait pas combien d'auto-entrepreneurs sont au chômage... Certains auto-entrepreneurs qui se lancent apprennent ce qu'est l'entreprise, découvrent qu'il faut chercher des clients, se faire payer les factures - bref, qu'être patron n'est pas simple !

Nous proposons d'encadrer l'inscription et, ce qui serait une nouveauté, de la refuser si certaines conditions ne sont pas remplies. L'inscription restera simple - la chambre des métiers ne vous demande pas non plus copie de votre diplôme - mais nous voulons la rendre plus sérieuse et plus engageante.

M. Daniel Raoul. - Je ne suis pas franchement convaincu. Les problèmes découlent de l'absence de contrôle initial lors de l'inscription. Les auto-entrepreneurs ne représentent pas 0,2 % du chiffre d'affaires du bâtiment, mais sans doute dix fois ça !

La ministre défend l'idée de seuils, mais ceux-ci restent déclaratifs, ce qui incitera simplement à déclarer un chiffre d'affaires inférieur au seuil...

Mme Muguette Dini, co-rapporteure. - Ce n'est pas une bonne idée.

M. Daniel Raoul. - La limitation dans le temps ne l'est pas davantage. Je le répète, les problèmes sont inhérents au caractère déclaratif de la procédure d'inscription. Le système est ingérable.

Mme Muguette Dini, co-rapporteure. - Il peut être amélioré !

M. Daniel Raoul. - Je reconnais là votre optimisme.

M. David Assouline, président. - Notre commission s'attache à analyser la réalité des dispositifs qu'elle étudie. Sur les plateaux de télévision, certains expliquent que le régime de l'auto-entrepreneur, c'est un million de chômeurs en moins. Ce n'est pas vrai, évidemment. Les choses sont souvent moins simples qu'on ne le dit.

Ce régime fragilise certains secteurs ; pour les doctorants, c'est en revanche un atout. Plutôt que de prôner l'abrogation du régime au prétexte que les détournements seraient inévitables, cherchons à l'améliorer en sécurisant les déclarations.

M. Daniel Raoul. - Sans mettre un gendarme derrière chaque citoyen, il faut prévoir des contrôles aléatoires, assortis de sanctions.

Mme Muguette Dini, co-rapporteure. - Évidemment, des sanctions sérieuses. C'est ce que nous proposons.

À l'issue, la publication du rapport est autorisée à l'unanimité.