Mardi 14 octobre 2014

- Présidence de M. Alain Milon, président. -

Désignation des conseillers prud'hommes - Examen des amendements au texte de la commission

La réunion est ouverte à 14 h 00.

M. Alain Milon, président. - Nous allons procéder à l'examen des amendements déposés sur le projet de loi n° 423 rectifié (2013-2014) relatif à la désignation des conseillers prud'hommes dans le texte n° 770 (2013-2014) adopté par la commission le 23 juillet 2014, ainsi qu'à celui de l'amendement proposé par notre rapporteure, Mme Anne Emery-Dumas.

AMENDEMENTS DE SÉANCE

Auteur

Objet

Avis de la commission

Article 1er
Habilitation du Gouvernement pour légiférer par ordonnance
en vue de réformer le mode de désignation des conseillers prud'hommes

M. DESESSARD

1

Suppression de l'article 1er

Défavorable

Mme COHEN

3

Suppression de l'article 1er

Défavorable

Article 2
Prorogation des mandats des conseillers prud'hommes jusqu'au prochain renouvellement
des conseils de prud'hommes, prévu au plus tard le 31 décembre 2017

M. DESESSARD

2

Suppression de l'article 2

Défavorable

Mme COHEN

4

Fixation de la date du prochain renouvellement général des conseils de prud'hommes au plus tard le 31 décembre 2016

Défavorable

AMENDEMENT DE LA RAPPORTEURE

Auteur

Objet

Avis de la commission

Article 2
Prorogation des mandats des conseillers prud'hommes jusqu'au prochain renouvellement
des conseils de prud'hommes, prévu au plus tard le 31 décembre 2017

Mme EMERY-DUMAS, rapporteure

5

Clarification juridique

Adopté

La réunion est levée à 14 h 15.

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 - Audition de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

La réunion est ouverte à 18 heures.

M. Alain Milon, président. - Je remercie Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, de venir nous présenter le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015. Il sera examiné par l'Assemblée nationale la semaine prochaine. Le Sénat devrait l'étudier en séance publique au cours de la semaine du 10 novembre.

Je salue également la présence de Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'Etat chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie.

Ce rendez-vous majeur intervient alors que le pacte de responsabilité est mis en oeuvre, avec la réduction de cotisations sociales votée en loi de financement rectificative, et un objectif de 21 milliards d'économies en dépenses dans le champ des finances sociales d'ici 2017, mais que dans le même temps, les prévisions de croissance sont revues à la baisse avec les conséquences qui en découlent pour les comptes sociaux.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. - Très attachés à leur modèle de protection sociale, les Français tiennent, en ces temps de crise, à ce que la solidarité nationale soutienne ceux qui en ont le plus besoin. Pour que nos concitoyens continuent à adhérer à ce système, nous devons le moderniser tout en réduisant les déficits.

L'efficacité et la justice sont essentielles : l'efficacité, pour maîtriser nos dépenses, mais aussi pour s'adapter à l'évolution des besoins ; la justice, pour mieux répartir les efforts, comme pour mettre en oeuvre nos politiques de solidarité et de protection sociale.

Deux ans et demi après notre arrivée au pouvoir, les résultats sont là, malgré une conjoncture économique difficile. En 2014, nous stabilisons le déficit du régime général et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) et nous le réduisons même de 800 millions sur l'ensemble des régimes obligatoires de base. Si les recettes n'ont pas été au rendez-vous, nous avons strictement tenu nos objectifs de dépenses : il n'y a pas de dérapage, malgré l'augmentation significative du poste des médicaments en raison de l'arrivée d'un médicament très efficace contre l'hépatite C.

Nous préservons nos ressources en 2015 : conformément aux engagements pris lors de l'examen du projet de loi de financement rectificative, l'Etat compensera intégralement à la sécurité sociale les pertes de recettes dues aux exonérations de cotisations prévues dans le pacte de responsabilité.

Des réformes structurelles ont accru l'efficacité et la justice de notre modèle social : ainsi, pour les retraites, la loi de janvier dernier consacre des droits nouveaux, comme le compte pénibilité, mesure dont les décrets d'application ont été publiés vendredi dernier et qui entrera en vigueur le 1er janvier 2015. La surenchère des représentants du patronat est inutile : après avoir obtenu que ce compte soit mis en oeuvre en deux temps, à compter du 1er janvier 2015 pour quatre critères de pénibilité, et du 1er janvier 2016 pour six autres critères, je m'étonne que le président du Medef exige le retrait de ce dispositif...

Avec la réforme des retraites, la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) retrouvera l'équilibre en 2017, sous réserve que les hypothèses économiques retenues se réalisent.

Pour 2015, le déficit des régimes de retraite de base et du FSV se réduira d'un milliard. Ce redressement financera des mesures de justice comme la revalorisation de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) à 800 euros depuis le 1er octobre ou le versement d'une prime exceptionnelle de 40 euros dans les premiers jours de février.

Le projet met en oeuvre à la fois des mesures structurantes pour l'assurance maladie que je présenterai demain en conseil des ministres avec le projet de loi relatif à la santé, et des mesures d'économie que j'ai présentées voilà plusieurs mois. Il ne s'agit pas d'opposer économies et réorganisation, car efficacité et justice sont indissociables.

L'Ondam progressera en 2015 de 2,1 % : comme la population augmente et vieillit et que le coût de l'innovation est élevé, cela représente un effort d'économie de 3,2 milliards pour 2015 et de 10 milliards pour les trois prochaines années. Les dépenses de santé sont structurellement dynamiques. Les objectifs d'évolution que nous fixons, historiquement bas, supposent une mobilisation inédite. A ceux qui prétendent que les économies annoncées seraient faciles à réaliser, je rappelle que le comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie a indiqué que pour tenir les objectifs, « un pilotage particulièrement exigeant sera nécessaire ».

J'ai fixé quatre orientations structurelles pour réaliser ces économies. Nous devons, tout d'abord, garantir un usage pertinent des soins et éviter les actes inutiles ou redondants. En 2015, nous attendons près de 1,2 milliard d'économies à ce titre. Afin d'accompagner les établissements de santé sur cette voie, nous prévoyons une incitation financière afin d'améliorer la qualité des soins.

Deuxième axe : nous allons agir sur le prix des produits de santé et sur le développement des génériques. Nous attendons de ces mesures 1,1 milliard d'économies. Cet objectif donne de la visibilité aux industriels. Nous visons la stabilité des dépenses de médicaments entre 2015 et 2017. Nous ne procéderons pas à une baisse uniforme des prix et continuerons à soutenir l'innovation en nous appuyant sur le service médical rendu. Nous voulons développer les génériques en incitant les médecins, en ville comme à l'hôpital, à les prescrire et en renforçant la confiance du public. Je présenterai prochainement un plan « génériques ».

Le nouveau traitement de l'hépatite C est avant tout une excellente nouvelle de santé publique. Je souhaite que tous ceux qui doivent bénéficier de ce traitement y aient accès. Il nous faut prendre des mesures dès 2014, parce que des centaines de millions sont en jeu. Nous proposons un mécanisme de régulation applicable aux seuls médicaments de traitement de l'hépatite C : il ferait supporter un éventuel dépassement de l'enveloppe de traitement de cette maladie aux laboratoires concernés, sans le moindre contingentement pour les patients. Nous ne pouvons laisser l'assurance maladie soutenir durablement le niveau de dépenses enregistré depuis quelques mois et d'autres acteurs du secteur de la santé n'ont pas à assumer les dépassements financiers dus à ce seul poste de dépenses.

Le troisième axe d'économies passe par l'amélioration de la dépense hospitalière. Plus de 500 millions sont attendus de l'optimisation des achats hospitaliers et de la mutualisation de fonctions autres que les soins. Le projet de loi relatif à la santé prévoit ainsi la mise en place de groupements hospitaliers de territoire.

Enfin, nous engageons le virage ambulatoire ou révolution du premier recours, pour améliorer la prise en charge tout en maîtrisant les dépenses. Cet effort, qui dégagera près de 400 millions d'économies en 2015, s'amplifiera dans les années à venir. Un financement spécifique pour les hôpitaux de proximité confortera la coordination entre ville, hôpital et médico-social. Le pacte territoire-santé favorisera l'installation des médecins en zone sous-dense. En 2013, le congé maternité a été pris en charge pour les médecins généralistes qui s'installent dans ces secteurs. Ce dispositif incitatif donnant des résultats, nous allons l'étendre à d'autres médecins, y compris des spécialistes.

Le choix du renforcement des soins primaires de premier recours se traduit par un taux de progression de l'Ondam des soins de ville à 2,2 %, soit plus que l'Ondam hospitalier (2 %).

En dépit de ce cadre contraint, nous continuons à investir dans la prise en charge des personnes âgées en perte d'autonomie et des personnes en situation de handicap. Aux 145 millions au titre des plans passés, nous ajoutons 21 millions pour le plan autisme. Nous investissons dans les unités de consultation en ville pour garantir l'accès aux soins courants des personnes handicapées.

Nous poursuivrons le financement des plans « grand âge » et « Alzheimer » et renforcerons le niveau d'encadrement en soins des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) à hauteur de 100 millions.

Avec Laurence Rossignol, nous vous présenterons prochainement le projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement. En 2015, les dépenses de prise en charge renforcée de la perte d'autonomie seront limitées du fait du calendrier d'adoption et de mise en oeuvre de cette réforme. Toutefois, la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (Casa), destinée à financer cette réforme, sera bien affectée à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). La part des ressources non consommée en 2015 servira à la prise en charge de la perte d'autonomie et ira à un plan pluriannuel d'aide à l'investissement.

Dans le cadre de conventions d'objectifs et de gestion, les crédits de prévention du régime général vont progresser entre 2015 et 2017. Les moyens de la prévention bucco-dentaire augmenteront, ainsi que ceux consacrés au dépistage des cancers, du VIH et des maladies sexuellement transmissibles. En outre, l'assurance maladie prendra en charge les vaccins dispensés dans les centres de vaccination dans les mêmes conditions que les vaccins réalisés en ville afin d'aider ces centres à développer leur activité de vaccination gratuite.

Ce texte démontre mon engagement en faveur de l'accès aux soins pour tous. Depuis deux ans, j'ai systématiquement refusé tout transfert de charges vers les patients : il n'y a eu ni déremboursement, ni forfait, ni franchise. Ce choix se traduit dans les chiffres : la part de dépenses de soins à la charge des ménages a reculé de 9,2 % en 2011 à 8,8 % en 2013 - le chemin inverse de celui suivi par la majorité précédente. Nous poursuivrons dans cette voie avec la mise en place du tiers payant intégral au 1er juillet 2015 pour les bénéficiaires de l'aide à la complémentaire santé (ACS).

Certains diront que le gouvernement n'aime pas la famille. Pourtant, cette branche a bénéficié de 2,2 milliards de plus en deux ans, dont un milliard pour les prestations familiales. Nous avons revalorisé de 25 % l'allocation de rentrée scolaire qui bénéficie à 3 millions de familles ; nous avons engagé l'augmentation de 50 % du complément familial qui profite à 385 000 familles de trois enfants ou plus ; nous avons accru de 25 % l'allocation de soutien familial, qui va à 737 000 familles monoparentales ; nous avons relevé le plafond de ressources de la couverture maladie universelle complémentaire (CMUC) et de l'ACS.

Nous préservons le pouvoir d'achat des familles : les mesures que nous présentons ne valent que pour l'avenir, pour des prestations ou des majorations de prestations que les familles ne perçoivent pas aujourd'hui. D'ailleurs, nous revaloriserons en avril 2015 les prestations familiales pour tenir compte de l'inflation.

Nous souhaitons également favoriser l'articulation entre vies professionnelle et familiale, condition de l'émancipation individuelle et de l'égalité entre femmes et hommes. Avec Laurence Rossignol, nous voulons créer 275 000 solutions d'accueil supplémentaires pour que les parents restent professionnellement actifs. Pour soutenir les familles les plus modestes, nous rééquilibrerons les aides en fonction du niveau des revenus, d'où la modulation du complément du mode de garde en fonction des ressources avec une quatrième tranche. Enfin, nous entendons préserver l'universalité de la politique familiale en garantissant un soutien à toutes les familles.

Les efforts que nous demandons réduiront résolument le déficit qui se monte encore à 2 milliards. Nous voulons maîtriser les dépenses en réorganisant notre modèle social qui doit rester très protecteur afin de venir en aide à tous : l'adhésion à ce modèle passe aussi par le fait que chacun sache qu'il peut compter sur notre système de soin en cas de besoin.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - J'aimerais quelques précisions sur les 9,6 milliards d'économies annoncées sur les administrations de sécurité sociale : le montant identifié est notablement inférieur à l'objectif fixé.

Quel est le montant décaissé par l'assurance maladie pour le Sovaldi et le calendrier de la décision sur le prix ? Êtes-vous sûre que la taxation du chiffre d'affaires des laboratoires et la partie du dispositif visant à transformer une taxation en remise, prévues à l'article 3 du PLFSS, respectent bien les exigences constitutionnelles ? En outre, le Gouvernement annonce que ce seul médicament met en péril le respect de l'Ondam 2014, mais celui-ci est sur le marché depuis décembre 2013 : comment se fait-il que ce péril n'ait pas été identifié dès l'examen de la loi de finances rectificative ? Comment se fait-il que cet impact ne soit pas visible sur les dépenses de la branche maladie du régime général alors que la baisse des recettes semble seule responsable du déficit de la branche ?

Que pensez-vous de la demande de la Cour des comptes d'élargir le champ des dépenses sous Ondam ?

L'article 42 prévoit un mécanisme contraignant pour assurer la pertinence des soins dans les établissements de santé. Personne ne conteste qu'il faille lutter contre les actes inutiles sans bénéfice thérapeutique, et nous l'avions d'ailleurs dit il y a déjà quelques années : 28 % des actes seraient inutiles ou redondants. L'étude d'impact indique que cette mesure dégagera des économies, notamment sur les séjours hospitaliers, mais les 15 à 50 millions d'économies annoncés d'ici trois ans semblent faibles au regard des enjeux. Ne faut-il pas étendre ce mécanisme à la médecine de ville ? En outre, comment cette mesure s'articule-t-elle avec l'article 36 qui vise à mettre en place un mécanisme d'amélioration de la qualité des soins hospitaliers ?

L'article 29 donne un fondement législatif au tiers payant. Les organismes de base prendront en charge les dépenses liées aux complémentaires dans le cadre d'une délégation de gestion. Pouvons-nous en savoir plus, notamment pour les titulaires de l'ACS ?

Tout le produit de la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie sera affecté au budget de la CNSA en 2015. Les sommes qui ne seront pas dépensées pour la mise en oeuvre du projet de loi sur l'adaptation de la société au vieillissement iront à un plan pluriannuel d'investissement dans le secteur médico-social : une telle mesure se substituerait au plan d'aide à l'investissement que nous votions chaque année lors de la loi de financement. Quels seront les montants ? M. Georges Labazée, rapporteur du volet médico-social, avait proposé l'année dernière de créer au sein du budget de la CNSA une section dédiée au financement de ces opérations d'investissement. Une telle option ne serait-elle pas plus lisible et davantage pérenne ? Par ailleurs, quand examinerons-nous le projet de loi vieillissement ?

Après la censure du Conseil constitutionnel, le Gouvernement avait annoncé de nouvelles mesures sur la réduction forfaitaire applicable aux particuliers employeurs. Qu'en est-il ?

Enfin, depuis 1997, la branche AT-MP opère un versement à la branche maladie pour tenir compte des sous-déclarations de sinistres d'origine professionnelle. En juin, la commission d'évaluation a estimé le coût de ces sous-déclarations entre 695 millions à 1,3 milliard ; le gouvernement a retenu un milliard, contre 790 millions entre 2012 et 2014, et 300 millions en 2002. Cette progression continue pèse sur la branche : comment lutter contre les sous-déclarations ?

Mme Marisol Touraine, ministre. - Voici quelles sont les économies que nous allons réaliser : 3,2 milliards sur l'assurance maladie, 700 millions sur la branche famille, 500 millions sur la gestion des caisses et, enfin, 4 milliards du fait de mesures déjà prises en matière de retraites et d'abaissement du quotient familial. Le restant relève des administrations de sécurité sociale qui n'entrent pas dans le champ du PLFSS, à savoir l'Agirc-Arcco et l'Unédic, qui feront également des économies.

Le Conseil d'Etat n'a pas relevé de difficulté de nature constitutionnelle sur le mécanisme prévu par l'article 3 pour les médicaments contre l'hépatite C. Je ne puis vous dire combien le Sovaldi coûtera en 2014, car cela dépendra du prix qui sera retenu. Pour l'instant, ce médicament bénéficie d'une autorisation temporaire d'utilisation (ATU) et le laboratoire remboursera la différence si nous parvenons à un prix inférieur.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - L'assurance maladie a bien remboursé les patients !

Mme Marisol Touraine, ministre. - Les patients n'ont rien payé ! Ils ont été totalement pris en charge par l'assurance maladie. Nous ne pensions pas que ce traitement serait à ce point utilisé : une montée en puissance progressive avait été imaginée, mais elle a été beaucoup plus rapide qu'escompté, en France comme dans d'autres pays européens. C'est pourquoi j'ai souhaité échanger des informations avec nos partenaires. Proportionnellement, la France est le pays qui traite le plus grand nombre de patients. Je confirme qu'il n'y aura pas de rationnement.

Vous avez opposé la pertinence des soins à leur qualité, mais certains actes inutiles peuvent être réalisés avec un grand professionnalisme et l'inverse arrive également : des contrats de pertinence seront signés entre les ARS et les établissements ou les prescripteurs ; des contrats de qualité figureront en annexe des contrats pluriannuels d'objectif et de moyens.

Pour le tiers-payant, nous avons lancé un appel d'offres pour sélectionner des contrats de complémentaires santé pour les bénéficiaires de l'ACS. L'assurance maladie gèrera ainsi l'ensemble du dispositif.

Enfin, compte tenu de la situation économique actuelle, il ne peut être question d'accorder de nouveaux avantages fiscaux. En outre, nous ne voulons pas déstabiliser les structures d'aide à l'emploi à domicile.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'Etat auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. - Le projet de loi sur le vieillissement devrait être examiné par le Sénat au début de 2015 pour une mise en application au deuxième semestre.

M. Gilbert Barbier. - Vous dites avoir entamé des réformes structurelles. Nous recevrons demain le Premier président de la Cour des comptes qui dit le contraire : « la réduction des déficits obtenue en 2013 l'a été par un apport déterminant de recettes nouvelles plus que par un effort sur les dépenses dont le rythme d'augmentation n'a que faiblement fléchi ». Qui faut-il croire ? Comment allez-vous intégrer ce nouveau déficit, en augmentant le plafond de découvert de l'ACOSS, en transférant de nouvelles charges sur la Cades ? Voulez-vous allonger la durée de vie de celle-ci ou augmenter ses recettes ?

Conformément aux recommandations de la Cour des comptes, allez-vous assurer « une information appropriée du Parlement sur la formation des soldes et des tableaux d'équilibre en mettant fin aux contractions injustifiées » ? La Cour rappelle également l'effet base sur l'évolution de l'Ondam. L'Ondam que vous présentez est calculé sur la base du budget prévisionnel voté l'année précédente, mais non sur la réalisation réelle. Quelle base avez-vous retenue pour fixer l'augmentation de l'Ondam ?

La qualité des soins dans les hôpitaux généraux se dégrade de jour en jour. L'accident survenu à Orthez ne fait que rappeler un mal lancinant, dont vous n'êtes pas la seule responsable. L'insuffisance de 131 plateaux techniques avait été signalée en 2008. Entendez-vous agir en ce domaine, car la proximité n'est malheureusement pas toujours synonyme de qualité ? Prenez votre bistouri et supprimez certains plateaux techniques. L'open data de la Haute autorité de santé (HAS) propose le logiciel Kualhas qui offre des données fort intéressantes. A quand l'open data de la Cnam ? Hélas !, elle semble peu désireuse de partager ses secrets...

Sur le terrain, les mesures en faveur des zones sous-denses n'ont guère d'impact, malgré vos propos optimistes. Dans certaines, il n'y a plus de spécialistes. Envisagez-vous de réviser le tableau prévisionnel des postes d'internes dans chacune des spécialités par région ?

Les hôpitaux généraux, font souvent appel à des praticiens extra-européens de l'étranger : ne faudrait-il pas exiger une vérification des connaissances ? Allez-vous lutter contre les médecins mercenaires, notamment urgentistes et anesthésistes, qui pillent les budgets des hôpitaux généraux ?

Vous envisagez d'économiser 1,1 milliard sur les médicaments. Ne faudrait-il pas laisser un peu de place aux biotechnologies tout en économisant 900 millions grâce au déremboursement de trois médicaments au service médical rendu (SMR) nul ou très faible. L'un d'entre eux devrait perdre leur ASMR pour son indication en cancérologie ; si on la lui accordait en traitement de la DMLA, on gagnerait encore 400 millions. Pour quelles raisons des ASMR accordées il y a dix ans ne sont-elles pas remises en cause, alors que nous savons pertinemment que ces médicaments sont inefficaces ? Enfin, comment comptez-vous dire qu'un médicament sera, demain, un non-médicament ? M. Leclerc, mais aussi les pharmaciens de nos campagnes, attendent votre réponse.

Mme Nicole Bricq. - Dans son avis du 26 septembre, le Haut conseil des finances publiques a estimé que les économies en matière de dépenses sociales n'ont pas toutes été portées à sa connaissance. J'aimerais bien comprendre.

M. Jean-Marie Morisset. - Que proposez-vous, madame la Ministre, pour que les familles ne soient plus des variables d'ajustement quand il s'agit de réduire les déficits ? Elles risquent d'avoir quelques mauvaises surprises durant les deux prochaines années.

Le partage paritaire du congé parental entre la mère et le père va vous assurer des économies, puisque seuls quatre bénéficiaires sur cent sont des hommes. En 2013, vous annonciez la création de 21 155 places de crèche et vous n'en avez réalisé que 10 706. Qu'en sera-t-il pour 2014 et 2015 ?

M. Yves Daudigny. - Je salue un projet de responsabilité et de lutte contre les inégalités. Il met en oeuvre la stratégie nationale de santé tout en tenant les engagements de compensation des mesures du pacte de responsabilité, sans nouveaux déremboursements ni nouvelles franchises malgré un contexte difficile. Envisagez-vous un transfert de la dette de l'Acoss vers la Cades ? Ce texte ne comporte aucune nouveauté en matière de taxe comportementale - je ne déposerai pas d'amendement en ce sens : que comptez-vous faire sur le tabac ?

Votre Ondam, très volontariste, est en augmentation de seulement 2,1 % pour 2015, alors que la tendance spontanée est de 3,9 % et même de 5 % en matière de soins de ville. Comment organiser le contrôle de la pertinence des soins dans la médecine de ville ; comment accentuer le recentrage des services d'urgences - plus chers que la médecine de ville - sur leur mission fondamentale ?

La France a choisi de développer les médicaments génériques à partir du distributeur, le pharmacien : envisagez-vous d'impliquer davantage le médecin ? Où en est-on de la mise en place de la prescription en dénomination commune internationale (DCI) ? Enfin, le comité d'alerte et la Cour des comptes s'interrogent sur le périmètre et la méthode de calcul de l'Ondam : pouvez-vous nous éclairer sur le sujet ?

Mme Catherine Génisson. - Voilà un budget de responsabilité. Pourquoi le Sovaldi est-il aussi cher, cherté que le laboratoire qui le fabrique - mais ne l'a pas inventé - justifie par les économies conséquentes sur la prise en charge de l'hépatite C : c'est pour le moins surprenant ! Les cohortes de malades pris en charge sont certes très importantes, mais le prix n'est pas sans influence.

Sujet éternel que la pertinence des soins ! 70 % des patients des urgences ressortent le jour même ; 28 % des examens sont inappropriés. L'hôpital, toujours montré du doigt, est le réceptacle de tout ce qui ne fonctionne pas ailleurs : permanence de soins défaillante, médicalisation incomplète des maisons de retraite, etc. Comment chacun pourrait-il prendre ses responsabilités ?

Mme Marisol Touraine, ministre. - C'est le calendrier qui explique les déclarations du Haut Conseil. L'ambiguïté tient à ce que les dépenses des administrations de sécurité sociale comprennent également l'Unédic, l'Agirc et l'Arrco, qui n'entrent pas dans le champ du PLFSS.

Mme Nicole Bricq. - Cela fait 1,2 milliard ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Je confirme que la protection sociale, au sens des finances publiques, représente 550 milliards, dont 450 milliards relevant de la loi de financement de la sécurité sociale, 100 milliards correspondant à l'assurance chômage et aux retraites complémentaires. Mais le reste des mesures d'économies n'est pas détaillé.

Mme Marisol Touraine, ministre. - Il faut tenir compte des mesures déjà prises : réforme des retraites, loi sur la famille...

La Cour des comptes considère que l'évolution naturelle des dépenses d'assurance maladie serait surestimée, alors que toutes les analyses convergent pour l'évaluer à 3,9 % par an. Cela résulte du vieillissement de la population, de l'innovation et de l'augmentation de la population.

Nous ne transfèrerons pas la dette de l'Acoss à la Cades. Le déficit diminue ; je ne vous rappellerai pas les records de dette des gouvernements précédents... Notre situation est bien moins catastrophique, avec 29 milliards de dette contre 50 milliards en 2010. La situation est soutenable et reste sous contrôle. Interrogez le Premier président de la Cour des Comptes : les dépenses de santé entre 2012 et 2013 ont connu une progression historiquement basse. Lors du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous avons déjà procédé à un rebasage, comme chaque année : l'Ondam est bien calculé par rapport à ce qui a été constaté.

Un projet de loi relatif à la santé comportera des mesures sur l'open data.

Comme je l'ai toujours dit, la solution pour les hôpitaux de proximité ne consiste pas à tailler à la serpe, mais à évaluer l'offre à partir des projets médicaux de territoire pour éventuellement la réaménager. C'est l'objectif des groupements hospitaliers de territoire. Regrouper des hôpitaux sans projet peut n'avoir aucun sens.

C'est la loi qui prévoit que le prix d'un médicament en ATU est libre en attendant son autorisation de mise sur le marché ; le laboratoire restitue ensuite la différence entre le prix pratiqué et le prix fixé après négociation avec le Comité économique des produits de santé (CEPS). La négociation se poursuit - nous avons déjà refusé plusieurs prix proposés ; j'espère qu'elle aboutira rapidement.

Le projet de loi relatif à la santé comportera des mesures sur la permanence des soins, favorisant le premier recours.

La prescription des médicaments en DCI commencera le 1er janvier 2015, ce qui représentera un effort important : seules 16 % des prescriptions se font sous cette forme, ce qui donne à espérer des économies futures, la marque s'effaçant devant la molécule.

Je partage l'analyse du rapport de votre commission sur les taxes comportementales. J'ai présenté récemment un plan de lutte contre le tabagisme. Certes le prix est un facteur, mais mon plan, salué par l'ensemble des associations, agit sur tous les leviers.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'Etat. - La politique familiale ne se limite pas aux prestations versées par la branche famille : les politiques d'accueil de l'enfant, de soutien à la famille et aux parents mobilisent aussi la politique fiscale et les collectivités territoriales (établissements d'accueil des jeunes enfants ou PMI). Le budget global est dès lors de 100 à 120 milliards d'euros. Les 700 millions demandés à la branche famille doivent être replacés dans l'effort global qui touche toutes les politiques publiques. Loin d'être une variable d'ajustement, les familles sont au coeur de la politique du Gouvernement, notamment les plus modestes d'entre elles.

D'un montant très faible (390 euros par mois), le complément de libre choix d'activité (CLCA) - ou congé parental - est le plus long et le plus mal partagé d'Europe : trois ans contre un an en Allemagne, six mois au Portugal, seize mois en Suède ; en Islande, souvent donnée en modèle, il est de trois mois pour un parent, trois mois pour l'autre et trois mois en option. Sa longueur a pour conséquence pour les femmes, qui le prennent à 96 %, un éloignement du monde du travail très préjudiciable à leur retour dans l'emploi, à tel point que nous avons dû mettre en place par une convention entre Pôle emploi et les caisses d'allocations familiales un dispositif spécifique un an avant la fin du congé. Nous ne supprimons pas le CLCA, nous le partageons mieux.

Le rapport du Haut Conseil de la famille confirme mon impression : au rythme actuel, nous n'atteindrons pas l'objectif de 275 000 places d'accueil de jeunes enfants - engagement du Président de la République retranscrit dans l'accord avec la CNAF. En 2013, la moitié du chemin seulement a été faite, sans doute parce qu'une année précédant l'élection municipale se prête plus aux inaugurations qu'aux nouveaux chantiers, et qu'il s'agissait de la première année de la convention. Préoccupés par cette tendance, nous suivons une partie des recommandations du HCF pour atteindre les 100 000 places de crèche, 100 000 chez les assistantes maternelles et 75 000 dans l'accueil scolaire des deux-trois ans : aide exceptionnelle à l'investissement pour chaque place de crèche décidée en 2015 par les collectivités locales ; simplification des normes - un groupe de travail a été mis en place entre l'Association des maires de France et la CNAF ; renforcement de l'accompagnement des assistantes maternelles en réseau et augmentation de leur prime à l'installation ; plan métier accueil petite enfance. Nous pouvons raisonnablement compter sur la réalisation de nos objectifs.

Mme Laurence Cohen. - Le groupe CRC avait dénoncé les deux premiers articles de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 diminuant les cotisations salariales et patronales, soit une perte de recettes de 4,5 milliards en 2015 et de 9 milliards en 2016. La compensation devait être intégrale. Comment cela se fera-t-il ?

Je ne soutiens pas les économies sur la branche famille évoquées par Mme Rossignol. Nous nous interrogeons sur les exonérations de 30 milliards d'euros au bénéfice des employeurs - c'est plus que 700 millions - et sur les 25 milliards qui s'évaporent dans la fraude patronale aux cotisations sociales. Cela ne mériterait-il pas votre attention ?

Intégrer au PLFSS des dispositions de la future loi sur la santé avant même son vote n'enferme-t-il pas notre débat dans des considérations techniques, les objectifs de dépenses étant dès lors déjà fixés ? Lors des auditions pour l'examen de notre proposition de loi pour un moratoire sur la fermeture des établissements hospitaliers, j'avais été frappée par les propos de professionnels ou de géographes démontrant que ces fermetures pouvaient occasionner de fortes dépenses, bien loin des économies escomptées : disposerons-nous d'un bilan chiffré ?

Au Brésil, des laboratoires pharmaceutiques publics contrebalancent la toute-puissance des laboratoires privés. Un pôle public du médicament fait-il partie de vos pistes de réflexion ? Enfin, un sondage BVA paru ce matin place la santé en tête des préoccupations des Français ; le mécontentement des usagers et des personnels dans ce domaine prendra la forme d'une grande manifestation jeudi.

M. Jean-Noël Cardoux. - Les économies réalisées en 2014 ont été inférieures aux prévisions, parce que la croissance a été de 0,4 % contre une estimation de 0,8 %. Le nouveau projet de loi est fondé sur une prévision de 1 %, jugée optimiste par les économistes ; cela est-il raisonnable ?

Vous ne souhaitez pas donner d'avantages supplémentaires aux emplois à domicile ; cependant avant l'été, le Sénat a adopté à l'unanimité un amendement au projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale portant de 0,75 euro à 1,50 euro l'abattement de cotisation sur l'heure de travail à domicile, pour compenser la suppression il y a deux ans du calcul sur une base forfaitaire ; mais il a été rejeté en commission mixte paritaire. La politique familiale ne doit pas, a expliqué Mme Rossignol, se limiter à des prestations, mais à un ensemble de dispositions : augmenter l'abattement enclencherait un cercle vertueux parce redynamiser l'emploi à domicile, notamment les gardes d'enfant, ferait passer un bon nombre d'emplois dans l'économie déclarée, d'où une augmentation de la consommation et de nouvelles rentrées de cotisations.

L'une des recettes nouvelles que vous proposez est un prélèvement sur les versements des entreprises de bâtiment aux caisses de congés payés, et non plus sur les indemnités versées par ces dernières aux salariés, pourtant dans la logique des cotisations. Le rapport sur le financement de ces caisses prévu par la loi de financement en 2013 n'est pas paru ; ce nouveau mécanisme pénalisera un système qui fonctionne bien. Prélever des cotisations sur autre chose que des salaires est-il constitutionnel ?

M. Daniel Chasseing. - Madame le ministre...

Mme Catherine Génisson. - La ministre !

M. Daniel Chasseing. - Mesdames les ministres, les personnes âgées qui entrent en Ehpad sont de plus en plus dépendantes : d'une part elles préfèrent rester à domicile le plus longtemps possible, d'autre part le prix de journée peut être élevé. La grille Pathos, qui estime le personnel nécessaire, en témoigne : nous sommes loin du compte en nombre d'infirmières, d'aides-soignantes et d'aides médico-psychologiques. L'effort nécessaire est-il prévu dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale et dans les futures dotations aux départements ?

La mise en place d'un accueil de jour, élément important de l'aide aux aidants, nécessite au moins six pensionnaires, ce qui fait beaucoup en milieu rural ; ne pourrait-on pas baisser ce nombre à trois ou quatre personnes ? Ces dispositifs ne pourraient-ils pas être associés au pôle d'activités et de soins adaptés (Pasa) ?

En Corrèze, où je suis élu, comme ailleurs, une des grandes difficultés à venir sera la diminution catastrophique du nombre de médecins en zone rurale. Certes des Roumains et des Marocains viennent dans nos hôpitaux, parfois dans nos bourgs, souvent pour un temps limité. Ces pays ont pratiqué avec raison une sélection moins drastique qu'ici. Désormais, 70 % des médecins sortis de l'université sont des femmes - l'inverse d'il y a quarante ans. Certaines de ces dames ne souhaitent pas travailler à plein temps pour se consacrer à leur famille...

Mme Catherine Génisson. - Les hommes non plus !

M. Daniel Chasseing. - Entre huit heures du soir et huit heures du matin, et du samedi midi au lundi midi, il n'y a plus de médecin en zone rurale ; le régulateur du Samu envoie une ambulance et fait hospitaliser le patient... En outre, en zone rurale, beaucoup de médecins sont proches de la retraite. Ne pouvons-nous pas desserrer le numerus clausus ?

Mme Françoise Gatel. - La réalisation des 275 000 places de crèches sera difficile : si l'Etat aide les collectivités pour l'investissement, leur fonctionnement, que renchérit la surenchère de normes, reste à leur charge. Si l'objectif n'a pas été atteint, ce n'est pas à cause des élections municipales, mais de la frugalité budgétaire qui s'impose aux collectivités. La CAF, qui se désengage, demande aux intercommunalités de prendre le relais sur l'accueil collectif des assistantes maternelles.

L'âge de majoration des allocations familiales est porté à 16 ans, car cela correspond à l'entrée en lycée ; l'apprentissage ou l'entrée en formation professionnelle aussi coûtent cher.

Il est vrai qu'un congé parental long rend difficile le retour à l'emploi ; néanmoins, la répartition par la loi du congé parental entre le père et la mère, s'il dégage beaucoup d'économies, relève de l'excès de législation. C'est une négation des réalités sociales, professionnelles et familiales ; laissons le libre arbitre aux familles !

Bien des maires s'élèvent contre la désertification médicale. Au-delà de l'aide à l'installation des jeunes médecins, notre pays a besoin d'une ambition plus forte pour garantir l'équité des soins. Les Ehpad connaissent de vraies difficultés de financement : bien de leurs pensionnaires, aux faibles retraites, ne peuvent faire face au coût moyen de 2 000 euros, d'où des impayés. N'attendons pas pour désamorcer cette bombe.

M. Olivier Cadic. - Bien que les non-résidents ne bénéficient pas de la protection sociale française, vous appliquez la CSG sur leurs revenus locatifs et les cessions immobilières. Or l'Union européenne interdit les doubles impositions. La Commission a ouvert une procédure d'infraction - la France avait été condamnée en 2012 pour une CSG sur les OPCVM. Nous attendons dans les jours qui viennent une décision de la Cour de justice de l'Union européenne ; avez-vous provisionné le montant à rembourser en 2015 ? Si oui, quel est-il ? Portant sur trois ans, il pourrait affecter significativement votre objectif de réduction du déficit.

M. Gérard Roche. - Je ne critiquerai pas votre projet : il constitue un exercice extrêmement difficile ; projet après projet, malgré une réflexion intense, vous ne parvenez pas à sortir de la contrainte financière. Notre système de santé, envié par de nombreux pays, se dégrade très vite. Nous ne pourrons pas avancer sans une loi de santé qui pose les principaux problèmes : la permanence des soins n'est plus assurée malgré l'argent public qui y est consacré...

Mme Catherine Génisson. - Tout à fait !

M. Gérard Roche. - La Cour des comptes remarque que les indemnités de garde de nuit des praticiens (150 euros par nuit) coûtent au total 500 millions d'euros. Avec la notion de garde profonde, entre onze heures du soir et six heures du matin, ils ne sont pas obligés de répondre au téléphone. Par ailleurs, les ARS sont très dures avec les hôpitaux, dont la dépense n'est pas supérieure, loin s'en faut, à celle liée à la médecine de ville. Leur personnel est exsangue. Nous avons besoin de plateaux techniques performants : cela n'est pas possible partout. En revanche, les hôpitaux de proximité ont peut-être un rôle à jouer entre la chirurgie ambulatoire, non exempte de risque, et le retour à domicile.

M. Alain Milon, président. - En conclusion de cette série de questions, je voudrais indiquer qu'avec le rapporteur général, Jean-Marie Vanlerenberghe, nous avons décidé que notre commission suivrait tout au long de l'année l'exécution de la loi de financement ; c'est pourquoi nous souhaitons convenir avec vous, Madame la Ministre, du principe d'un rendez-vous trimestriel pour examiner le comportement des principales variables macro-économiques qui sous-tendent le texte, l'évolution des recettes et la trajectoire des dépenses, notamment des dépenses sous Ondam. Cette amélioration de notre information nourrirait un dialogue régulier constructif qui doit tous nous mobiliser.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'Etat. - L'objectif de 275 000 places d'accueil ne concerne pas que les crèches, ce qui facilite les choses, notamment pour les collectivités. Nous assistons à une tension sur l'offre de places en Ehpad dans certains territoires, mais surtout sur le reste à charge. J'ai mis en place un groupe de travail sur la tarification ; nous en reparlerons au mois de janvier avec la loi sur le vieillissement. Tant que les comptes publics ne sont pas redressés, nous ne pouvons pas aller au-delà de ce que nous préparons : 650 millions par an pour la prise en charge du vieillissement à domicile. L'Ondam 2015, j'ai omis de le préciser, consacre en outre 100 millions d'euros pour la médicalisation des Ehpad, ce qui améliorera leur encadrement.

Je note votre soutien à l'exonération des services à la personne ; je suis moins enthousiaste, car cela ne touche pas nos publics prioritaires : personnes âgées dépendantes, assistantes maternelles.

Mme Marisol Touraine, ministre. - Nous sommes évidemment à votre disposition, monsieur le Président, pour définir un mode de travail en commun sur le suivi des lois de financement.

La compensation des exonérations sera assurée pour l'année 2015 par l'affectation à la sécurité sociale de deux points de prélèvements sociaux sur les revenus du capital et par le transfert à l'Etat des dépenses d'aide au logement à la charge de la branche famille.

Les coopérations entre établissements hospitaliers ne seront efficaces qu'adossées à des projets médicaux. Les groupements hospitaliers de territoire prévoient une mutualisation des fonctions support. Nous n'allons pas créer du jour au lendemain un pôle pharmaceutique public, ni nationaliser des entreprises du secteur. En revanche, il y a de nombreuses synergies : le dispositif de traitement du cancer de la prostate à Lyon voit la recherche publique - l'Inserm - appuyée par des essais en milieu hospitalier public, et développée en lien avec une entreprise privée. L'enjeu n'est pas de savoir qui produit, mais d'évaluer, de donner force à la recherche, et de vérifier les prix. L'année 2015 sera celle de la négociation.

Le Conseil d'Etat n'a relevé aucun problème de constitutionnalité concernant les prélèvements sur les versements aux caisses de congés payés. Les cotisations des entreprises sont considérées comme représentatives des indemnités afférentes. Cette recette d'1,5 milliard d'euros ne pèse ni sur les ménages ni sur les entreprises.

La CSG des non-résidents ne constitue pas, selon nous, une double imposition, puisque les revenus assujettis en France ne le sont pas dans le pays du propriétaire ; les décisions européennes précédentes concernent les revenus d'activité, et non du capital. Nous sommes sereins.

Il y a en France plus de médecins par habitants qu'il y a vingt ans. Il ne s'agit donc pas de former davantage de médecins, mais de les envoyer au bon endroit. Vous pouvez doubler ou tripler le numerus clausus ; si les jeunes médecins vont tous s'installer rue Nationale à Tours, cela ne résout pas le problème du sud de l'Indre-et-Loire. C'est pourquoi j'ai lancé le pacte territoire santé. La féminisation n'explique pas l'installation sélective des médecins : c'est un phénomène de société plus général.

Mme Catherine Génisson. - Bien sûr !

Mme Marisol Touraine, ministre. - Les jeunes gens qui dirigent les syndicats d'internes considèrent comme prioritaires les questions du temps de travail, de la récupération des gardes et de la qualité de la vie. Je constate, sans porter de jugement, une évolution du rapport au temps de travail qui va au-delà de cette profession.

J'ai pris des mesures prenant en compte les congés de maternité pour l'installation de jeunes médecins dans les territoires ruraux : c'est cette mesure qui est relevée par jeunes concernés, 200 en 2013 comme en 2014, avec une extension future aux spécialistes. Les jeunes ne veulent plus travailler isolément. Les conditions d'exercice sont importantes, au moins autant que les conditions financières. Le temps où il y avait un médecin par village est derrière nous : promouvons donc des pôles de santé dans les territoires, une coopération entre professionnels et avec l'hôpital. L'enjeu de la loi santé est de développer ces liens entre ambulatoire et hôpital.

M. Alain Milon, président. - Nous vous remercions, mesdames les Ministres, d'avoir consacré ce temps à répondre à nos questions.

La réunion est levée à 20 heures.

Mercredi 15 octobre 2014

- Présidence de M. Alain Milon, président. -

Rapport annuel de la Cour sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale - Audition de M. Didier Migaud, Premier Président de la Cour des comptes

La réunion est ouverte à 9 heures 30.

M. Alain Milon, président. - Je suis heureux d'accueillir aujourd'hui M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, et je le remercie de venir nous présenter le rapport annuel sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

Ont pris place à ses côtés, M. Antoine Durrleman, président de la 6ème chambre, M. Henri Paul, président de chambre et rapporteur général de la Cour ainsi que M. Noël Diricq, conseiller-maître, rapporteur général de ce rapport annuel sur la sécurité sociale qui constitue toujours un moment important en prélude à la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il a été publié le 17 septembre et a reçu un très large écho. Du fait du renouvellement sénatorial, nous avons attendu la reconstitution de la commission pour procéder à cette audition traditionnelle.

Comme chaque année, la Cour a produit un document extrêmement riche, de plus de 500 pages, qui porte à la fois sur les perspectives financières d'ensemble de la sécurité sociale, et sur des points plus particuliers parmi lesquels nous relevons, cette année, des observations sur la construction de l'Ondam, les dispositifs médicaux, les urgences hospitalières ou la fraude aux cotisations sociales.

Monsieur le Premier président, je vous cède la parole pour la présentation de ce rapport 2014, non sans avoir formulé le voeu que votre audition prochaine devant la commission des finances n'écourte pas notre échange sur ce sujet primordial de la protection sociale.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. - Le président Durrleman restera, en tout état de cause, à votre disposition. Je vous remercie d'organiser cette audition si peu de temps après la constitution de votre commission. L'intérêt que vous manifestez ainsi pour les travaux de la Cour des comptes nous honore.

Le rapport que je viens présenter devant vous est élaboré par la Cour au titre de sa mission constitutionnelle d'assistance au Parlement et au Gouvernement. Il est destiné à accompagner le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015.

La sécurité sociale est un élément majeur du pacte républicain et la garante de la cohésion sociale de notre pays. Mais c'est un acquis fragilisé par des déficits permanents depuis 2002. Ces cinq dernières années, la sécurité sociale a accumulé un déficit équivalent à une année de dépenses de la branche vieillesse ou deux années de dépenses de la branche famille. Cette accumulation de déficits alimente la dette sociale, dont l'encours financier atteint désormais 157 milliards, soit près de huit points de PIB, et a continué d'augmenter en 2013. La charge annuelle de cette dette mobilise plus de 15 milliards de prélèvements obligatoires, soit une année et demie d'indemnités journalières.

Préserver la sécurité sociale est une priorité qui exige des choix collectifs forts. Ces choix relèvent naturellement de la responsabilité des pouvoirs publics et, au premier chef, des représentants du suffrage universel, en fonction des objectifs et priorités qu'ils définissent. Pour sa part, la Cour s'efforce d'éclairer les champs d'action possibles, d'ouvrir des pistes, de montrer qu'à tous les niveaux, des économies sont envisageables sans remise en cause des principes qui ont présidé à la création de la sécurité sociale.

Notre rapport analyse la situation et les perspectives des finances sociales et met sur la table de nouvelles propositions. J'ai auprès de moi, pour vous les présenter, M. Antoine Durrleman, président de la 6ème chambre de la Cour, qui a préparé ce rapport, M. Henri Paul, président de chambre et rapporteur général de la Cour, M. Noël Diricq, conseiller maître, rapporteur général de ce rapport, et M. Mathieu Gatineau, auditeur et rapporteur général adjoint. J'exprime également toute ma reconnaissance aux nombreux autres rapporteurs qui ont contribué à ce travail.

Cette année, la Cour formule trois messages principaux. La situation des comptes sociaux reste préoccupante. Cela conduit la Cour à identifier plusieurs pistes d'amélioration du pilotage de notre protection sociale. La maîtrise des dépenses est le principal levier à actionner.

En premier lieu, malgré les efforts, la situation des comptes sociaux reste très préoccupante. Trois constats s'imposent : en 2013, la réduction des déficits a été moins importante que prévu et a eu tendance à marquer le pas ; en 2014, cette réduction sera encore plus limitée ; pour 2015 à 2017, la trajectoire de redressement, associée à la loi de financement rectificative de la sécurité sociale, publiée le 8 août dernier, est devenue, de fait, caduque.

En 2013, le déficit total des régimes obligatoires de base et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'est élevé à 16 milliards. La Cour constate heureusement une sensible diminution depuis le déficit historique de 2010. Mais cette diminution n'a été ni aussi importante ni aussi rapide que prévu. Depuis 2010, le rythme de réduction a même, chaque année, davantage ralenti : 7 milliards en 2011, 3,5 milliards en 2012 et 3,1 milliards en 2013.

Deux observations permettent de mesurer l'ampleur du chemin qui reste à parcourir : deux branches sur quatre du régime général - la branche maladie et la branche famille - voient leur déficit aggravé ; la réduction du déficit repose majoritairement sur l'apport de recettes nouvelles, alors que le rythme de progression des charges du régime général (2,7 %) reste très supérieur à celui du PIB en valeur (1,1 %) et à celui de la masse salariale (1,2 %).

Cette situation n'est pas seulement imputable à la conjoncture économique : le déficit en 2013 en est, en majeure partie, indépendant. En effet, et comme c'est le cas depuis 2001, dernière année où la sécurité sociale a été en équilibre, le déficit des comptes sociaux est principalement d'origine structurelle. Cette composante structurelle peut être estimée à près des trois cinquièmes du déficit total du régime général et du FSV, soit 8,7 milliards sur 15,4 milliards.

Notre pays continue donc de tolérer un niveau élevé et durable de déficit structurel des comptes sociaux alors que cette situation ne se retrouve pas chez nos grands voisins européens. A l'échelle de la zone euro, les comptes de l'ensemble des administrations sociales sont à l'équilibre sur les trois dernières années. Seuls l'Espagne et les Pays-Bas présentaient en 2013 un besoin de financement des administrations sociales supérieur à la France.

Cette situation est d'autant plus inquiétante que 2014 devrait être une année blanche en matière de réduction des déficits. La dégradation de la situation économique a d'abord conduit les pouvoirs publics à réviser une première fois la prévision de déficit en la portant de 13,2 milliards à 13,6 milliards, à l'occasion de la loi de finances rectificative du 8 août dernier, soit une baisse limitée à 2,4 milliards au lieu des 2,8 milliards, initialement prévus. Mais, ainsi que la Cour l'indiquait dans son rapport, cette révision manquait encore de réalisme et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 le confirme. La croissance du PIB a, de fait, été revue à la baisse de 0,6 point, à 0,4 %, tandis que celle de la masse salariale a été réduite de 0,6 point. Il devrait en résulter, pour 2014, une réduction de 0,7 milliard, seulement, du déficit total des régimes obligatoires de base et du FSV, qui atteindrait, en définitive, 15,3 milliards. La diminution pour le régime général et le FSV devrait même être nulle.

Pour la période 2015-2017, la Cour soulignait, dans son rapport, l'extrême fragilité de la trajectoire de redressement des comptes sociaux, inscrite dans la loi rectificative de financement de la sécurité sociale. La révision des hypothèses macroéconomiques la rend, de fait, obsolète. La nouvelle trajectoire inscrite dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 repousse de deux ans, à 2019, le retour à l'équilibre. Comme la Cour l'anticipait, au lieu du retour à l'équilibre prévu, l'exercice 2017 devrait ainsi connaître un déficit estimé à 5,7 milliards pour le périmètre régime général et FSV, 6,1 milliards en prenant en compte tous les régimes obligatoires de base.

Pour rétablir l'équilibre des comptes, le pilotage des finances sociales doit nettement gagner en efficacité et en fermeté. C'est là notre deuxième message.

La cohérence du cadre d'ensemble et la solidité des outils de régulation qui lui sont associés constituent une condition déterminante du retour à l'équilibre des comptes sociaux. Près de dix ans après leur dernière réforme, la Cour a particulièrement analysé l'apport et les limites, à cet égard, des lois de financement de la sécurité sociale. Dans le nouveau contexte de gouvernance des finances publiques, l'instrument a vieilli.

Pour renforcer sa contribution à la maîtrise des dépenses sociales, la Cour suggère plusieurs pistes. D'abord, le Parlement pourrait adopter, chaque année, une « loi de protection sociale obligatoire » étendue aux régimes sociaux conventionnels - assurance chômage et régimes de retraite complémentaire obligatoires. Ensuite, l'effort devrait se concentrer sur la composante structurelle des soldes. L'accent devrait, en outre, être mis beaucoup plus résolument sur la dimension pluriannuelle des objectifs de dépenses. Enfin, les possibilités de contrôle et d'orientation du Parlement peuvent être améliorées par l'institution d'une vraie loi de résultat.

Renforcer les instruments de maîtrise de la dépense portés par les lois de financement est aussi nécessaire, tout particulièrement en matière d'assurance maladie. Le périmètre de l'Ondam devrait ainsi être élargi aux dépenses qu'il ne couvre pas et qui représentent plus de 10 % de la dépense totale d'assurance maladie. Le seuil de déclenchement du mécanisme d'alerte devrait être sensiblement abaissé.

Le redressement des comptes sociaux doit, en outre, être servi par une amélioration de la qualité des prévisions financières intégrées aux lois de financement de la sécurité sociale. C'est un enjeu majeur, sauf à risquer de mettre en cause la sincérité même des lois de financement de la sécurité sociale.

Sachant que l'Ondam progresse, depuis 2009, plus vite que le PIB, la Cour a procédé à une analyse approfondie des modalités d'élaboration de l'Ondam 2013, qui met en lumière les indispensables progrès de méthode à réaliser pour plus de rigueur dans la construction. Sans ces progrès, son rôle de régulation de la dépense ira s'affaiblissant. De multiples biais de construction aux différentes étapes se superposent, en effet, et finissent par constituer des « coussins d'air » qui atténuent la discipline imposée.

Ces biais avaient déjà été relevés par la Cour l'an dernier quand elle avait examiné le mode de construction de l'Ondam hospitalier. Ils sont particulièrement marqués dans l'élaboration de l'objectif de dépenses relatif aux soins de ville, expertisée en détail cette année. Avec une base surestimée et une progression de la dépense surévaluée, l'Ondam ville a été de plus en plus sous-exécuté depuis 2010, sans effort particulier. En effet, les économies ont été moindres en 2013 qu'en 2012, et le rythme d'augmentation de la dépense n'a pas diminué et est resté supérieur à l'évolution du PIB en valeur.

Cette situation donne le sentiment que la maîtrise des dépenses est plus prononcée qu'elle ne l'est réellement. Elle ne permet pas aux patients et aux professionnels de santé de prendre la mesure véritable des enjeux. Elle laisse à penser que l'effort peut être différé, alors qu'il requiert l'implication de tous.

Or, justement, les projets régionaux de santé élaborés par les agences régionales de santé (ARS) n'ont pas donné lieu à une démarche de nature à dépasser les cloisonnements traditionnels entre secteurs et entre acteurs, contrairement aux objectifs fixés. Ils n'ont pas davantage permis de construire des parcours de soins fluides entre médecine de ville, hôpital, institutions médico-sociales, comme la Cour l'a constaté au travers d'enjeux de santé tels que l'obésité ou les accidents vasculaires cérébraux. Leur architecture particulièrement complexe, leur lourdeur d'élaboration, la superposition des objectifs en ont fait un cadre peu opérationnel. Si des évolutions fortes n'intervenaient pas rapidement, le risque serait grand de mettre en question la valeur ajoutée des nouvelles agences par rapport aux institutions qu'elles ont remplacées.

Le déséquilibre de l'assurance maladie, qui s'est creusé à nouveau en 2013 et qui reste la principale source de déficit de la sécurité sociale, exige au contraire de mobiliser plus activement et plus résolument les marges d'efficience et d'économies que recèle notre système de soins, et qui sont très importantes.

Si le redressement des comptes de l'assurance maladie est un impératif premier, il ne saurait différer les efforts indispensables à consentir dans d'autres domaines, en particulier ceux des retraites et de la gestion des organismes sociaux. Après avoir examiné, l'an dernier, les régimes de retraite des exploitants agricoles et des professions libérales, la Cour s'est intéressée cette année à ceux des artisans et des commerçants. Leur régime complémentaire, unifié dans de bonnes conditions, ne pose pas de problème de soutenabilité. Il n'en va pas de même pour les deux régimes de retraite de base. En raison d'un ratio démographique de plus en plus défavorable, ceux-ci présentent un solde financier largement négatif - près de 3 milliards - qui devrait encore se dégrader à moyen terme.

Cette situation préoccupante est cependant masquée par l'attribution d'une partie des produits de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). La suppression en trois ans de cette contribution par la récente loi de financement rectificative s'accompagnera d'une intégration financière complète au régime général. Cela aura pour conséquence de rendre visible ce déficit et supposera de compenser, dans la durée, son aggravation continue. Pour ne pas avoir à recourir à des ressources nouvelles, à faire supporter aux salariés le déséquilibre ou à alourdir la dette sociale, il conviendrait d'envisager une contribution plus élevée des artisans et commerçants. Leur effort reste, en effet, inférieur à celui des salariés, parfois du fait de capacités contributives moindres, mais parfois aussi d'une sous-déclaration de leurs revenus d'activité.

La gestion des organismes de sécurité sociale doit, pour sa part, être davantage orientée vers des objectifs de productivité, comme la Cour l'illustre régulièrement. Elle apporte cette année trois éclairages complémentaires sur ce sujet.

En premier lieu, après son enquête consacrée, en 2011, à la réorganisation de la mutualité sociale agricole (MSA), la Cour a examiné l'évolution du réseau du régime social des indépendants. Créé à la suite de l'importante réorganisation qui a pris effet au 1er juillet 2006, ce régime a regroupé trois réseaux distincts. Cette fusion ambitieuse et rapide s'est traduite par une restructuration qui a cependant échoué à enclencher une dynamique de gains de productivité. Une démarche plus forte de réorganisation est désormais indispensable pour dépasser les limites liées à la faible dimension des nouvelles caisses et à la mise en place de l'interlocuteur social unique, déjà analysée par la Cour en 2012.

La Cour s'est penchée, en deuxième lieu, sur le recouvrement social en Corse, qui - c'est un euphémisme - mériterait de gagner en qualité notamment pour la mutualité sociale agricole et le régime social des indépendants. La restauration de la crédibilité du recouvrement en Corse passe notamment par des mutualisations accrues et une relance déterminée du recouvrement contentieux. Elle doit être soutenue sans faiblesse par les autorités publiques, dans un contexte où le consentement à payer est fortement érodé.

En troisième lieu, la Cour a examiné la gestion des agents de direction des organismes de sécurité sociale, lesquels doivent, en vertu des fonctions d'encadrement supérieur qu'ils ont vocation à occuper, être les acteurs de leur modernisation. La situation actuelle n'est pas encore à la mesure des enjeux. Elle appelle, au-delà des réformes récemment intervenues, une vision plus dynamique et plus ambitieuse.

Le troisième message de la Cour, qui n'est pas nouveau, mais qu'elle réitère, c'est que la stratégie du rééquilibrage des comptes passe avant tout par un effort accru de maîtrise de la dépense. En effet, la voie d'un retour à l'équilibre par un effort portant d'abord sur les recettes trouve aujourd'hui des limites évidentes, tant en termes d'impact économique que d'acceptabilité sociale.

Malgré des apports très considérables de ressources supplémentaires chaque année depuis 2012, le ralentissement continu du rythme de rééquilibrage des comptes sociaux illustre la très grande sensibilité des recettes de la sécurité sociale à la situation économique. Des progrès importants d'efficience et d'équité restent toutefois possibles en matière de recettes, comme la Cour l'avait montré l'an dernier en examinant l'évolution des niches sociales. Dans la même perspective, elle a analysé cette année la lutte contre la fraude aux cotisations sociales, enjeu d'une ampleur considérable mais largement sous-estimé, du fait du renouvellement rapide de ses formes. Selon une nouvelle étude réalisée par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), à la demande de la Cour, son montant pouvait être estimé entre 20 et 25 milliards en 2012, soit un quasi-doublement en huit ans.

Cette estimation, cependant, est à considérer avec précaution. Il n'est pas envisageable, dès lors que certaines activités ne subsistent que du fait de la fraude, de recouvrer l'intégralité des sommes en cause. Mais cela montre qu'une lutte plus intense contre la fraude pourrait contribuer à l'amélioration des comptes sociaux : malgré les progrès accomplis par certains organismes, les résultats obtenus restent extrêmement modestes, avec un nombre de redressements et des montants recouvrés dérisoires. A tous égards, la lutte contre la fraude mérite d'être intensifiée par une modernisation des méthodes, un élargissement de son champ et le passage à une logique de résultats.

En tout état de cause, ainsi que la Cour le relevait dans son dernier rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, c'est en pesant plus résolument sur la dépense par des réformes structurelles que le redressement des comptes publics doit désormais s'affermir et s'accélérer. En particulier, et c'est là le message central de notre rapport, un effort nettement plus ambitieux de maîtrise des dépenses d'assurance maladie est possible sans mettre en cause la qualité des soins ou compromettre l'égalité d'accès au système de santé.

Il en est ainsi, par exemple, des dépenses de soins de ville - 80 milliards, soit le premier poste de dépenses de l'assurance maladie. Un effort plus vigoureux dégagerait des économies importantes dans d'autres secteurs encore que les transports sanitaires ou la biologie médicale, sur lesquels la Cour a jeté, ces dernières années, l'éclairage.

Encore faut-il que les conventions passées par l'assurance maladie avec les professions libérales de santé concourent plus efficacement à l'objectif d'efficience de la dépense. Or, elles n'ont que peu et tardivement contribué à une meilleure répartition géographique des professionnels libéraux, en particulier des médecins. Les dépassements tarifaires ont significativement augmenté et ne paraissent pas pouvoir être endigués par le récent avenant n° 8 à la convention médicale. L'élargissement du champ des conventions a entraîné des dépenses nouvelles, sous forme de rémunérations forfaitaires ou à la performance, sans que les obligations définies en contrepartie soient toujours à la hauteur des enjeux, ni leurs résultats mesurables. La recherche de compromis, fluctuant suivant les professions et les situations, s'est faite au détriment de l'approche interprofessionnelle nécessaire à la construction de parcours de soins. La nécessaire réorientation des politiques conventionnelles passe par des négociations moins éclatées, recentrées sur les questions essentielles. Il s'agit en particulier de l'accès aux soins, qui suppose notamment d'élargir à toutes les professions, y compris les médecins, le principe d'un conventionnement conditionnel dans les zones en surdensité. Il s'agit aussi de la question centrale du retour à l'équilibre de l'assurance maladie.

Le défaut de mobilisation de l'ensemble des professionnels de santé autour d'objectifs convergents explique en partie le retard persistant dans la diffusion des médicaments génériques. C'est pourtant là un levier majeur de maîtrise de la dépense d'assurance maladie, à qualité de soins équivalente. Alors que la plupart des grands pays européens affichent des taux de pénétration des génériques très élevés, les résultats de la France restent encore trop modestes : en Allemagne et au Royaume-Uni, près de trois boîtes de médicaments remboursables sur quatre sont génériques, contre une sur trois seulement en France. Contrairement à ses voisins, la France n'a pas mobilisé l'ensemble des acteurs : le modèle actuel de diffusion des médicaments génériques, fondé presque exclusivement sur des incitations financières envers les pharmaciens, est non seulement à bout de souffle, mais aussi extrêmement onéreux. Pour deux euros d'économies, un euro est versé aux pharmaciens.

Une nouvelle approche s'impose, qui passe par une plus grande responsabilisation des médecins prescripteurs, une meilleure information des patients et une révision plus énergique des tarifs. Il conviendrait, enfin, d'augmenter la part des médicaments substituables et de supprimer, à terme, le mécanisme actuel de répertoire des médicaments génériques, qui limite artificiellement les possibilités de substitution. La Cour estime que l'ensemble de ces recommandations pourrait procurer jusqu'à 2 milliards par an d'économies à l'assurance maladie.

Des économies significatives peuvent aussi être attendues d'une gestion plus rigoureuse de la dépense liée aux dispositifs médicaux, soit plus de 80 000 produits d'une très grande diversité, allant des pansements aux fauteuils roulants. En ville, cette dépense a progressé trois fois plus vite que l'Ondam entre 2000 et 2012, pour atteindre plus de 5 milliards, à la charge de l'assurance maladie. Le vieillissement de la population, le développement du maintien à domicile, les évolutions épidémiologiques ou les progrès techniques ne suffisent pas à expliquer ce dynamisme. Cette catégorie de dépenses est, de fait, insuffisamment suivie et régulée par les pouvoirs publics avec, pour résultat, des économies tardives et modestes. Selon des études de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam) - et sous réserve d'expertises complémentaires concernant certaines conclusions - les tarifs de prise en charge de certains dispositifs seraient substantiellement supérieurs à ce qui peut être constaté à l'étranger.

Une gestion beaucoup plus active de ces dispositifs est possible, fondée sur une organisation repensée, des procédures simplifiées, des moyens renforcés et la recherche de baisses de prix plus ambitieuses, selon des priorités recentrées autour d'objectifs plus clairs. La baisse d'un point seulement du rythme de progression de la dépense - qui a été de 6,3 % en moyenne entre 2000 et 2012 - permettrait de dégager une économie de 250 millions d'euros annuels, dès 2017.

L'hôpital, qui représente plus de 75 milliards de dépenses d'assurance maladie, n'a jusqu'ici été soumis qu'à des contraintes relativement modestes et ne saurait être exonéré des efforts qui s'imposent déjà en matière de soins de ville. Des gains d'efficience de grande ampleur y sont possibles en reconsidérant des pratiques souvent « hospitalocentrées » et en redéfinissant, enjeu majeur, l'articulation des prises en charge entre médecine de ville et hôpital.

Les urgences hospitalières, que la Cour a examinées cette année dans le prolongement de son analyse, l'an dernier, de la permanence des soins en ville, en offrent une illustration. Elles ont enregistré, en 2012, plus de 18 millions de passages, soit une augmentation de 30 % en dix ans. Face à cette croissance continue, la solution a été trop souvent recherchée dans la mobilisation de moyens supplémentaires. Certes, des situations de tension persistent. Toutefois, y remédier ne suppose pas obligatoirement l'allocation de nouveaux financements, mais une meilleure définition de la place et du rôle des services d'urgence dans le système de soins. Un passage sur cinq n'a pas nécessité d'autre acte qu'une consultation, ce qui signifie que quelque 3,6 millions de passages auraient pu être évités. Leur réorientation vers la médecine ambulatoire pourrait se traduire par une moindre dépense dont l'ordre de grandeur brut - à confirmer, bien sûr - pourrait atteindre environ 500 millions. Encore faut-il qu'aboutisse la révision indispensable de la tarification des services d'urgence : le dispositif actuel incite plus à l'activité qu'il n'encourage les efforts de régulation.

La Cour a constaté une problématique du même ordre dans l'analyse qu'elle consacre à la prise en charge de la maternité. Les différentes composantes de la dépense d'assurance maternité progressent à un rythme soutenu alors que le nombre des naissances reste stable. Malgré un effort supplémentaire de 1,5 milliard par rapport à une simple prise en charge au titre de l'assurance maladie, nos indicateurs de périnatalité sont moins bons que ceux de la plupart de nos voisins. Il est paradoxal de constater que nous consacrons plus de crédits que d'autres pays, pour de moins bons résultats. Il semble possible de réduire encore la durée moyenne de séjour en maternité, supérieure d'un tiers à celle constatée en moyenne à l'étranger. L'alignement sur cette moyenne entraînerait une économie brute de plus de 300 millions. La Cour recommande donc de modifier les modalités de tarification de l'accouchement, qui n'incitent pas à la réduction de la durée des séjours en maternité. Elle recommande aussi de trouver un meilleur équilibre entre suivi pré- et post-natal, en développant notamment l'accompagnement du retour à domicile des femmes venant d'accoucher.

Plus généralement, les établissements hospitaliers doivent substantiellement renforcer leurs efforts de gestion et de réorganisation pour trouver les gains de productivité qui leur permettront de faire face à la croissance de leurs charges dans un contexte de ralentissement annoncé de la progression de l'Ondam. Les dépenses de personnel médical et non médical des hôpitaux publics, qui ont atteint près de 42 milliards en 2012 pour un effectif d'un million de personnes, constituent leur premier poste de dépenses - 64 %. C'est là un enjeu central. Dans la période récente, l'augmentation de la masse salariale des hôpitaux s'est beaucoup ralentie par comparaison au début des années 2000, en dépit de l'augmentation des effectifs, notamment médicaux, liée à la progression et à l'alourdissement de l'activité. Mais cette inflexion, facilitée par le gel du point de la fonction publique et par l'importance des départs en retraite, reste fragile. De premiers signes de relance de la dépense sont apparus en 2013. Au-delà de l'augmentation des cotisations de retraite employeurs, le paiement d'une partie des heures accumulées sur les comptes épargne temps du personnel hospitalier a pesé. Aucune donnée consolidée n'existe cependant sur le nombre de jours épargnés, de sorte que l'on ne saurait dire si les provisions comptables constituées dans cette perspective par les établissements - 1 milliard d'euros à la fin 2012 - sont à bonne hauteur.

Un pilotage plus ferme de la masse salariale par les administrations de tutelle est indispensable, notamment en développant des outils de prévision et d'analyse qui font cruellement défaut. Les communautés hospitalières devraient aussi rechercher une gestion plus efficiente, en mettant fin à des pratiques peu rigoureuses régulièrement constatées par les chambres régionales des comptes : accélération des avancements, durée annuelle du travail inférieure à la durée légale, recrutements onéreux de médecins intérimaires ou contractuels... Il existe également, sur ce sujet, un rapport de l'Assemblée nationale.

L'amélioration des organisations internes, la redéfinition des cycles de travail, une maîtrise accrue de l'absentéisme, la mise en place de dispositifs d'intéressement sont autant de leviers à mobiliser. La nécessité d'accélérer les recompositions hospitalières n'est pas non plus à négliger.

Les limites de ses compétences n'ont pas permis à la Cour de procéder à une analyse détaillée des dépenses de personnel des cliniques privées. Elle appelle néanmoins à la réalisation d'études comparatives en ce domaine entre cliniques privées et hôpitaux publics.

L'assurance maladie doit ainsi concentrer les efforts de redressement des comptes sociaux. Son déficit vient augmenter la dette sociale et fait peser sur les générations futures des charges lourdes, sans que l'euro dépensé soit toujours justifié par des exigences de santé publique. Le retour rapide à l'équilibre nous semble à portée, dès lors que les indispensables réformes structurelles sont conduites.

Dans ce contexte, infléchir plus franchement et plus durablement une dépense qui progresse nettement plus vite que la richesse nationale est essentiel pour moderniser notre système de soins dans toutes ses composantes, le rendre plus efficient et remettre en cause les actes inutiles.

Pour conclure, la Cour ne méconnaît ni ne mésestime en aucune façon les efforts des pouvoirs publics, des administrations et des organismes de sécurité sociale pour moderniser notre sécurité sociale, renforcer son efficience, améliorer la qualité du service rendu, la rendre plus solidaire et plus forte.

Certains efforts portent leurs fruits. Des progrès indéniables sont constatés année après année dans de nombreux domaines. Mais la permanence des déficits sociaux est pernicieuse. Elle ronge comme un poison à effet lent la légitimité même de notre système de sécurité sociale dont nous allons célébrer le soixante-dixième anniversaire en octobre 2015.

C'est pourquoi la Cour invite à une poursuite nette et à un approfondissement des efforts déjà engagés.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Merci pour cette analyse fouillée, qui n'en appelle pas moins quelques questions complémentaires. La Cour a proposé une loi de finances sociales dont le champ s'étendrait aux régimes à gestion paritaire. Dans l'immédiat, quels sont les outils de régulation dont l'État pourrait disposer, notamment à l'égard des régimes complémentaires de retraite ?

La Cour a pointé une construction de l'Ondam trop généreuse ces dernières années, qui faciliterait son exécution - vous y avez insisté. La ministre nous indique aujourd'hui que le rebasage opéré en loi de financement rectificative, confronté aux dépenses liées à l'hépatite C pourrait affecter le respect de l'Ondam 2014. Au-delà de ce que vous avez évoqué, quelles mesures vous sembleraient nécessaires à une évaluation plus rigoureuse des dépenses sous Ondam ?

La Cour s'est penchée à plusieurs reprises sur les mécanismes de fixation du prix des médicaments. Les dispositifs de type « clause de sauvegarde » appliqués à l'hépatite C vous semblent-ils un mécanisme de régulation adapté à la vague de médicaments innovants et coûteux qui s'annonce ?

La Cour a proposé la mise en place d'un contrôle infra-annuel des dépenses de la branche famille. Quelle forme concrète ce contrôle pourrait-il prendre ?

Le rapport annuel de la Cour consacre des développements à la fraude avec une évaluation spectaculaire - entre 20 et 25 milliards d'euros. La plus grande part en serait imputable au travail dissimulé, auquel s'ajoutent des irrégularités intentionnelles dans le calcul de l'assiette des cotisations. Sur ce montant, quelle est la part récupérable pour les finances de la sécurité sociale, notamment via le contrôle sur le recouvrement des retraites complémentaires dont la Cour souligne qu'il n'est toujours pas effectué par les Urssaf.

Plusieurs rapports ont souligné l'ampleur des actes inutiles - 28 % selon notre mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) - qui sont un poids insupportable pour nos dépenses sociales. Les mesures prévues par le Gouvernement semblent pour le moment avoir une portée réduite - un milliard cette année. La Cour dispose-t-elle d'éléments sur l'ampleur du phénomène et quels sont, selon vous, les moyens de s'attaquer véritablement à ce gaspillage ?

M. Didier Migaud. - Si nous proposons une loi de finances sociales, c'est pour avoir constaté que les outils dont dispose le Parlement ne lui permettent pas d'envisager une véritable régulation des dépenses, notamment des régimes conventionnels. Le même constat vaut pour les finances locales. L'Etat s'engage auprès de ses partenaires européens sur un objectif d'évolution des dépenses des administrations publiques - Etat, sécurité sociale et collectivités locales - mais le paradoxe, qui nous conduit à nous interroger sur la capacité de la France à respecter ses engagements, c'est que vous ne disposez pas de tous les outils de maîtrise de la dépense, à laquelle d'autres acteurs contribuent. D'où l'idée de vous doter des outils de régulation adéquats.

S'agissant de l'Ondam, il faut comparer des choses comparables, c'est-à-dire considérer toujours sa progression au regard de celle de l'inflation. Tout est question de différentiel. Un Ondam à 2,1 % ou 2,3 % quand l'inflation est de 0,3 % à 0,5 %, est plus généreux qu'un Ondam supérieur, mais dans un contexte d'inflation plus fort.

La fraude est en effet estimée à 20 ou 25 milliards. Mais il n'est pas facile, en vrai, d'en estimer le montant, tant est fertile l'imagination des fraudeurs. Il serait bon, à notre sens, d'élargir le champ des contrôles et des sanctions, car si la fraude prospère, c'est que le risque d'être pris est faible, et l'on sait que lorsqu'un risque est faible, certains sont prêts à l'assumer. L'idée serait de faire bénéficier les contrôleurs des mêmes prérogatives de recouvrement que celles que l'on reconnaît aux agents du fisc, et d'alourdir les sanctions.

Je laisse à M. Durrleman le soin de compléter mon propos, et de vous répondre sur la branche famille ainsi que sur les actes inutiles.

M. Antoine Durrleman, président de la 6ème chambre de la Cour des comptes. - Tant pour l'hôpital que pour les soins de ville, les méthodes d'élaboration de l'Ondam sont une boîte noire. Nous avons donc cherché à éclairer les modalités de cette construction, extraordinairement empirique puisqu'elle part des données de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), qui ne font pas l'objet d'une contre-expertise indépendante. Moyennant quoi, on accumule des marges de précaution à tous les stades. De ce fait, la sous-exécution constatée depuis 2010 est, pour une part, un faux semblant. C'est pourquoi nous préconisons d'adjoindre à la loi de financement de la sécurité sociale une annexe spécifique relative aux choix qui ont présidé à l'élaboration du tendanciel, sur le fondement duquel est fixé l'Ondam. La représentation nationale doit s'emparer du débat, car l'Ondam, clé de voûte de la régulation de l'assurance maladie, est un élément central de la loi de financement de la sécurité sociale.

J'en viens à la régulation des dépenses de la branche famille. Si les dépassements, moindres que ceux de la branche maladie, ne doivent pas être surestimés, ils n'en existent pas moins. Il nous semble possible de réguler en agissant sur les dotations de gestion administrative, et le cas échéant, sur certaines dotations d'action sociale. Mais il y faut, surtout, une gestion plus vigilante.

Pour remédier aux insuffisances du contrôle et du recouvrement des cotisations, les Urssaf et l'Acoss ont engagé des efforts indéniables, mais la mutualité sociale agricole (MSA), en revanche, est restée très en arrière de la main, tandis que le régime social des indépendants (RSI), du fait des difficultés rencontrées lors de la mise en place de l'interlocuteur social unique, a purement et simplement abandonné tout contrôle. Quant aux caisses de retraite complémentaires, elles n'ont jamais, depuis leur création en 1947, procédé à aucun contrôle. Imaginez-vous que lorsque des situations de travail dissimulé sont décelées par les services fiscaux et les Urssaf, cela n'est pas même communiqué aux régimes complémentaires ! D'où des pertes considérables, estimées entre 80 et 100 millions, mais sans doute vingt fois supérieures. Alors que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 avait prévu de confier aux Urssaf le contrôle du recouvrement des cotisation des régimes complémentaires, le décret d'application, huit ans plus tard, n'est toujours pas paru, en raison d'obscures querelles entre régimes. Ce n'est pas normal.

La Cour n'est pas compétente pour juger de la pertinence ou non d'un acte médical. Elle s'en remet sur ce point aux études de la Haute Autorité de santé - à laquelle il revient, via ses recommandations de bonnes pratiques, de corriger le tir - de même qu'aux analyses de contrôle médical des caisses d'assurance maladie. Cependant, la Haute Autorité de santé ne dispose pas des moyens d'analyse qu'exige l'ampleur du sujet. Quant au contrôle médical, il demeure plus administratif que réellement médical.

Reste que le nombre d'actes non pertinents est élevé. Citons le cas des analyses sans justification médicale, comme celles sur la vitamine D, que l'on a vu se multiplier, sans raison médicale, dans la population âgée, et dont le coût atteint 100 millions, qui seraient mieux employés à couvrir d'autres besoins.

M. Jean-Noël Cardoux. - Merci pour ce rapport, technique et complet. Permettez-moi d'aller un peu plus avant sur le régime des artisans et commerçants, au-delà du constat comptable qu'il vous revenait naturellement de dresser. Vous observez qu'à la suite de la suppression programmée de la C3S, ce régime risquera fort d'être intégré, de facto, au régime général. Ce serait un détonateur pour tous les ressortissants du régime social des indépendants et M. Godefroy ne me contredira pas, qui a vu comme moi, lors de la préparation de notre rapport sur le sujet, tous nos interlocuteurs vent debout contre cette mesure, par manque de concertation. Certes, des garanties ont été données quant à la gestion du régime, dont les indépendants ne seraient pas dépossédés, mais nous n'en sommes pas moins à la limite de l'annexion - et vos propos tendent à le confirmer.

Je rappelle que la C3S visait à compenser la diminution du produit des cotisations retraite des commerçants engendrée notamment par la multiplication des passages en société, qui permettait au commerçant d'obtenir le statut de salarié, et par l'émergence des grandes surfaces, à l'origine de la disparition de bien des petits commerces. Cette contribution constituait donc un acte de solidarité des grandes sociétés à l'égard des petits commerces, pénalisés par l'évolution économique.

La suppression brutale de la C3S, qui rapportait 2 ,5 milliards au RSI, et quasiment autant au FSV, pourrait avoir des effets explosifs. S'il est vrai que la gestion du régime mériterait d'être améliorée, on peut regretter le manque de concertation, d'autant que la compensation était liée à une évolution sociétale et que l'on parle, de surcroît, de supprimer l'indemnité versée, au moment de leur départ en retraite, aux commerçants et artisans qui ne trouvent pas à vendre leur fonds de commerce. C'est charger lourdement la barque pour des professions qui assurent un maillage de proximité.

Autre question. J'aimerais connaître votre approche sur la situation de la Cades et votre sentiment quant à sa date d'extinction. Faut-il envisager de transférer à la Cades tous les déficits restant à financer en 2014, en augmentant sa durée de vie et peut-être les contributions ?

M. Michel Amiel. - La prescription des génériques est complexe, parce que liée à la relation entre médecin et patient. Ne serait-il pas plus simple de prescrire en DCI (dénomination commune internationale), y compris pour les nouveaux médicaments ? On éviterait ainsi le passage du nom du médicament à celui du générique, qui suscite beaucoup de fantasmes dans l'esprit des patients.

Parmi les actes inutiles, il faut compter ceux qui sont répétés. Nombre d'actes déjà réalisés en ville, tant en biologie qu'en imagerie, sont immanquablement répétés à l'hôpital, comme si l'on considérait les médecins de ville comme des benêts.

Un mot sur la répartition des médecins et la permanence des soins. Le comportement des praticiens a beaucoup changé, en partie sous l'effet de la féminisation, mais pas seulement. Les médecins aspirent à une qualité de vie qu'ils n'avaient pas par le passé, et c'est sans doute une bonne chose. On ne peut pas demander à des généralistes qui ont déjà beaucoup donné d'être taillables et corvéables à merci.

Vous appelez, dans votre étude, à réfléchir à un relâchement du numerus clausus. Le mécanisme incitatif à la cessation d'activité (Mica) mis en oeuvre dans les années 1990 n'a pas eu les effets escomptés sur les dépenses de soins. Mais au-delà, il faudra bien se poser aussi la question des mesures incitatives ou coercitives à l'installation. Seules ont prévalu les premières. Avez-vous analysé leurs résultats ? Je doute, personnellement, qu'elles aient été un succès.

Dès lors que la permanence des soins n'est pas assurée en ville, il n'est pas étonnant que les urgences hospitalières soient encombrées. Pourquoi ne pas adosser les maisons de santé aux services d'urgence ? J'ai participé à une telle expérimentation à l'hôpital Laveran de Marseille, et ma foi, cela ne marche pas mal. On se heurte, cependant, aux effets pervers de la T2A, qui incite à réaliser les actes au sein des services d'urgences, où ils sont bien mieux rétribués.

Mme Nicole Bricq. - Hier, répondant à une question du rapporteur général, Mme la ministre des affaires sociales nous a détaillé les 9,6 milliards d'économie qu'elle prévoit et nous avons constaté que 1,2 milliard manquait à l'appel. Et elle a fait référence à ce qui n'entrait pas dans le périmètre de la loi de financement de la sécurité sociale, soit les régimes complémentaires et l'assurance chômage. Or, dans l'avis rendu le 26 septembre par le Haut conseil des finances publiques, que vous présidez, vous disiez que « les mesures d'économie du projet de loi de financement de la sécurité sociale n'ont pas été portées dans leur totalité à la connaissance du Haut conseil ». Si, comme le préconise la Cour, nous passions d'une loi de financement de la sécurité sociale à une loi de la protection sociale obligatoire, je suppose que chacun aurait les chiffres en main. Sont-ce ces chiffres qui vous ont manqué ? Ils seraient également utiles au Parlement, et singulièrement au Sénat, très impliqué dans le contrôle. J'observe que le rappel de votre avis, qui ne remonte guère qu'au 26 septembre, a semblé surprendre Mme la ministre...

M. Gilbert Barbier. - Lorsque nous avons entendu, hier, la ministre, elle s'est voulu rassurante, nous affirmant que des réformes structurelles étaient engagées qui laissaient espérer un retour à l'équilibre. Il me semble que votre rapport ne rend pas le même son de cloche. Pourtant, vous nous présentez ce matin un diagramme rassurant, qui dessine en pointillé un retour à l'équilibre en 2017.

M. Didier Migaud. - Il s'agit de la prévision associée à la dernière loi de financement rectificative, non de la réalité.

M. Gilbert Barbier. - Comment peut-on envisager un retour à l'équilibre quand les dépenses croissent plus vite que le PIB ? Je ne suis pas mathématicien, mais je vois là un problème arithmétique difficile à résoudre... Sauf à trouver des recettes nouvelles, hypothèse que vous écartez. On est dans le flou le plus complet. Vous recommandez de supprimer les « contractions » injustifiées. Pouvez-vous préciser ?

Pour les dispositifs médicaux, une vraie difficulté se pose : leurs prix, bâtis par les industriels, ils échappent totalement au contrôle de la sécurité sociale. J'aimerais connaître votre sentiment sur les méthodes de travail du Comité économique des produits de santé (Ceps). Les augmentations constatées sont-elles quantitatives ou qualitatives, notamment pour les pace maker, dont le prix a considérablement augmenté, malgré un marché en expansion ?

Je vous suis sur les génériques, mais j'observe que vous laissez de côté deux secteurs du médicament particulièrement onéreux : les médicaments de la « liste en sus », hors tarification par pathologie, dans les hôpitaux, et les autorisations temporaires d'utilisation (ATU), comme cela est le cas pour le traitement nouveau de l'hépatite C, qui représentera une dépense de quelque 400 millions dès 2014. Dans l'un et l'autre cas, cela vaudrait la peine de s'interroger sur les prix.

Pour réduire la durée de séjour dans les maternités, seriez-vous, enfin, favorable à une prise en charge dégressive en fonction du nombre de jours ? C'est peut-être un peu iconoclaste, mais c'est une piste à explorer.

M. René-Paul Savary. - Nous connaissons de longue date la pertinence de vos analyses, mais j'avoue avoir été tout aussi surpris que M. Barbier devant la courbe figurant sur le graphique que vous nous présentez. J'ai bien compris qu'il faut distinguer clairement vos analyses et des prévisions qui ne sauraient être les vôtres, étant hautement improbables. De fait, entre vos analyses et le discours que nous a tenu hier la ministre, la divergence est totale. Si les dépenses doivent aller toujours croissant, comme elle nous le disait, du fait du vieillissement de la population et de l'innovation, sachant que les recettes ne peuvent pas croître, l'effet ciseau est inévitable. Je partage plutôt vos analyses quant à l'équilibre des comptes.

Il y a moyen de cibler les actes inutiles et les mauvaises pratiques. L'activité de chaque médecin est suivie de près, de trimestre en trimestre : on connaît ceux qui prescrivent trop. La sécurité sociale doit faire son travail, pour que chaque malade soit traité de façon identique quel que soit son médecin et son territoire. Il y faut une volonté. Aidez-nous, monsieur le Premier président, dans cette chasse au gaspi, il y va de l'avenir de notre modèle social.

M. Didier Migaud. - J'ai dit ce qu'il en était du régime des artisans et commerçants. Ce que vous avez ajouté, monsieur Cardoux, est également juste.

La dette de la Cades doit s'éteindre en 2024. Les choses sont désormais encadrées : si cette dette devait s'accroître, il y faudrait des recettes nouvelles. Ce que nous suggérons avant tout, c'est d'éviter de se mettre dans cette situation et c'est pourquoi nous appelons à des efforts structurels. Que les comptes de la sécurité sociale soient en déficit est une anomalie : il s'agit de dépenses courantes qui ne devraient pas être financées, fût-ce partiellement, par l'emprunt. La charge qui pèse sur les générations futures est déjà suffisamment lourde pour ne pas en rajouter.

Dans le tableau que je vous ai présenté, monsieur Savary, nous avons voulu montrer que la décrue du déficit s'est sensiblement ralentie, et nous avons mis en regard les déficits prévisionnels - prévision qui ne nous engage en rien, ainsi qu'il apparaît dans nos commentaires. Nous relevons que le retour à l'équilibre, qui n'est déjà plus envisageable pour 2017, suppose des décisions fortes si l'on se donne 2019 pour objectif. En l'état, notre tableau montre qu'il y a peu de chances que les prévisions se réalisent.

La prescription en DCI, c'est-à-dire en molécule, monsieur Amiel, deviendra obligatoire à compter du 1er janvier 2015. Développer le recours aux génériques suppose une responsabilisation des médecins et un travail d'information des patients, en un temps où l'on a beaucoup vu les medias développer l'idée que les génériques n'ont pas toutes les vertus des princeps.

Mme Catherine Génisson. - Ce sont les excipients qui changent.

M. Didier Migaud. - Il existe différents génériques, qui recourent à différents excipients. Si un médecin constate qu'un générique provoque une réaction, il peut en changer.

Ce que vous dites des actes inutiles correspond à ce que nous avons constaté, dans nos précédents rapports, sur les actes de biologie et d'imagerie médicale.

S'agissant de la répartition des médecins, nous pensons que l'on peut peser davantage au travers des conventions, via des incitations. La permanence des soins pose une vraie question, qui touche en effet également à celle de l'articulation entre médecine de ville et hôpital, et où les maisons de santé peuvent, de fait, jouer un rôle. Il s'agit d'éviter que les urgences soient saturées par des patients pour lesquels d'autres solutions seraient mieux adaptées. Je rappelle qu'un passage sur cinq n'entraîne pas d'autre acte médical que la consultation.

Oui, madame Bricq, nous pensons qu'il faut élargir la palette des outils à votre disposition pour maîtriser la dépense. La loi de financement de la sécurité sociale a représenté un progrès, mais on voit aujourd'hui ses limites. C'est pourquoi nous proposons de passer à une loi de protection sociale obligatoire, assortie d'une vraie loi de résultat. Je sais que le Sénat est très impliqué dans le contrôle, mais j'observe que, d'une manière générale, on ne s'intéresse pas assez à l'exécution, au contrôle et à l'évaluation des politiques publiques. Le niveau élevé des dépenses, dans certains secteurs, au regard de celles d'autres pays, ne s'accompagne pas de résultats meilleurs, au contraire. C'est là un vrai sujet, qui laisse, hélas, relativement indifférent.

Mme Nicole Bricq. - Cela n'intéresse pas les medias...

M. Didier Migaud. - Il faut les y intéresser. S'efforcer de comprendre l'absence de résultat de certaines politiques. Voyez la maternité : alors que nous y consacrons plus de crédits que d'autres, nos indicateurs sont moins bons.

Je vous confirme que lorsque le Haut conseil des finances publiques a formulé son avis, nous n'avions pas connaissance, dans le détail, du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015. Nous avons simplement voulu indiquer qu'il nous était difficile de donner un avis pertinent alors que beaucoup d'éléments n'étaient pas documentés. Ils le sont davantage à présent.

Mme Nicole Bricq. - Avec une loi de protection sociale obligatoire, l'économie de 1,2 milliard que j'évoquais tout à l'heure serait, si je vous comprends bien, documentée.

M. Didier Migaud. - Bien sûr.

Mme Nicole Bricq. - Quel écho votre proposition reçoit-elle du Gouvernement ?

M. Didier Migaud. - Sa réponse figure dans notre rapport... L'écho est, pour le moment, timide. Nous aimerions plus d'audace...

M. Antoine Durrleman. - Disons que notre proposition est considérée avec intérêt, mais pas pour exécution immédiate...

M. Didier Migaud. - Nous avons, dans notre rapport 2011, abordé la question des ATU et des médicaments de la « liste en sus ». M. Durrleman pourra, monsieur Barbier, vous apporter quelques éclairages. De même que sur les dispositifs médicaux.

M. Antoine Durrleman. - Je reviens sur la question de la permanence des soins, liée, de fait, à celle des urgences hospitalières. S'appuyer sur les maisons de garde, aux heures de permanence des soins, en prévoyant une prise en charge, aux autres heures, par des équipes pluridisciplinaires, serait, en effet, un mode de réponse pertinent à l'encombrement des urgences. Un tel effort d'organisation pourrait éviter plus de 3,8 millions de passages aux urgences. Nous avons effectivement constaté que le système de tarification pour les urgences hospitalières incitait ces services à ne pas réorienter, et c'est pourquoi nous suggérons qu'il soit revu.

Pour les dispositifs médicaux, le constat est d'une simplicité biblique. Le Ceps ne dispose que de cinq personnes pour gérer 13 milliards de dépenses, dont la moitié repose sur l'assurance maladie. Toute valeureuse que soit cette équipe, on est très en deçà du minimum nécessaire. Nous recommandons d'augmenter ses capacités, tant en hommes qu'en moyens d'étude. La dynamique des dispositifs médicaux est certes liée aux progrès de la médecine, mais il n'en demeure pas moins beaucoup de rentes de situation, des sédimentations jamais remises en cause, des retards considérables d'actualisation. C'est un système totalement sorti des gonds.

Sur les maternités, votre commission a commandé une étude à laquelle nous travaillons et que nous vous rendrons en décembre prochain. Si la durée moyenne de séjour a diminué, elle reste plus importante que chez la plupart de nos voisins ; les taux d'occupation, très inégaux, témoignent qu'une gestion plus efficiente est possible. On constate, surtout, un décalage entre l'effort consenti et nos indicateurs de périnatalité : la position relative de la France s'est considérablement dégradée ces dernières années. Il faut s'interroger sur la prise en charge globale de la naissance, en prenant mieux en compte et l'avant et l'après. Il y a un chaînage à imaginer, sur lequel nous vous ferons des propositions.

J'en viens à la Cades. Ne sont aujourd'hui financés par reprise que les déficits liés à l'assurance vieillesse et au FSV, à hauteur de 10 milliards par an jusqu'en 2017. Une partie de la dette de la branche famille et de la branche maladie a également pu être reprise l'an dernier, mais cette dette continue à grossir. Pour l'instant, son financement n'est pas prévu, et, cachée dans les comptes de l'Acoss, elle est financée à très court terme, à des taux d'intérêt actuellement très bas. Mais si ces taux venaient à augmenter, la situation deviendrait périlleuse.

Dans les autres régimes, il y a aussi de la dette cachée. Le régime des exploitants agricoles, en particulier, a accumulé une dette financée par emprunt bancaire, et qui n'a été jusqu'à présent que partiellement reprise par la Cades. D'où notre scepticisme quant à une extinction de la Cades en 2024.

M. Yves Daudigny. - Je veux vous dire tout mon intérêt pour votre idée d'une loi de protection sociale obligatoire assortie d'une loi de résultat, en faveur desquelles j'avais plaidé.

Vous portez un jugement sévère sur l'efficacité de la politique conventionnelle, de même que sur l'articulation entre médecine de ville et hôpital. Ne faut-il pas y voir une remise en cause du double pilotage de notre système de santé, par l'Etat et par l'assurance maladie, et un appel à son « étatisation », qui signerait une remise en cause de notre médecine libérale telle qu'elle est née, au XIXème siècle avec les officiers de santé, et que l'on voit illustrée - pour ne pas dire documentée - dans Madame Bovary ?

Les courbes de progression de l'Ondam et du PIB sont-elles susceptibles, à votre sens, de se rapprocher ? Alors que la population et l'espérance de vie augmentent, en même temps que se développent le progrès technique et l'innovation, ne peut-on au contraire penser qu'il faudra, à l'avenir, consacrer une part plus importante du PIB aux questions de santé ?

Un mot sur les génériques. Prend-on bien en compte dans le raisonnement, le fait qu'existe en France, à la différence d'autres pays qui les importent, une industrie du générique ?

Vous prévoyez, à terme, une économie de 5 milliards grâce à la chirurgie ambulatoire, mais n'y aura-t-il pas, dans un premier temps, des dépenses supplémentaires à envisager, du fait de la coexistence de services ambulatoires nouvellement créés mais sous-utilisés et de services de chirurgie en partie vidés de leurs patients mais toujours en place ?

M. Jean Desessard. - Merci de la qualité de votre rapport. Si je comprends bien votre constat et les préconisations qui l'accompagnent, une question structurelle me taraude. Alors que nous souhaitons développer l'emploi et l'activité, alors qu'il est souhaitable, pour le bien être sanitaire et social, pour les territoires, que le secteur sanitaire et social se développe, alors que cela vaut, aussi, au plan économique - mieux vaut créer des emplois pour accompagner des personnes âgées que pour distribuer des prospectus - peut-on raisonnablement former le voeu de dépenser de moins en moins en sa faveur ? C'est pourtant un secteur qui devrait être prioritaire, y compris dans une optique économique.

Mme Isabelle Debré. - Vous aviez souligné le coût engendré par la suppression de la journée de carence dans la fonction publique. Où en êtes-vous de cette évaluation ?

M. Dominique Watrin. - Pour abonder dans le sens de M. Desessard, j'observe que l'on parle toujours d'économie sur la dépense, au motif que l'on manque de marges de manoeuvres sur la recette. Or, dans votre propos introductif, vous avez insisté, monsieur le Premier président, sur l'importance de la fraude sociale. Il y a là des marges de manoeuvre considérables, ainsi que vous le soulignez dans votre rapport. Il y est question de sommes supérieures au déficit global de la sécurité sociale pour 2014 ! Cette fraude, au-delà des sous déclarations, se nourrit de problématiques nouvelles, comme celle du statut des travailleurs détachés, ou le régime de l'auto-entrepreneur, qui mériterait de plus larges contrôles. De même qu'en mériterait l'assiette de calcul du Cice - pas moins de 20 milliards de dépense. Vous préconisez de donner plus de prérogatives aux contrôleurs, voire d'élargir leur mission aux régimes complémentaires de retraite, mais vous n'ignorez pas que les effectifs des services de contrôle diminuent. D'où ma question : à combien estimez-vous le nombre d'inspecteurs supplémentaires qu'il faudrait recruter pour faire revenir au plus vite dans les caisses les 5 à 10 milliards que la fraude leur soustrait ? Car si l'on y parvenait, on aurait moins de souci à se faire et moins de rationnement à opérer sur la santé.

Mme Aline Archimbaud. - Nous avons tous le souci des finances publiques. D'où ma question : la Cour envisage-t-elle de se pencher sur le coût financier du non recours à certains droits ? Un exemple : Sur les 4,5 millions de personnes qui ont théoriquement droit à la CMUc, 20 % n'y recourent pas ; sur les 3,6 millions de personnes qui ont théoriquement droit à l'aide à la complémentaire santé, 60 % n'y recourent pas. Ce n'est pas là une économie, au contraire ; nous savons tous que le retard dans les soins représente un coût colossal pour l'assurance maladie. Il serait utile de s'en préoccuper.

M. Didier Migaud. - M. Daudigny souligne qu'il pourrait être reproché à la Cour de proposer une « étatisation » du système. Reproche infondé. Nous nous sommes penchés sur la politique conventionnelle, et avons constaté que l'équilibre entre exercice libéral et responsable par les professionnels de santé et prise en charge solidaire garantie par la sécurité sociale n'était pas tout à fait respecté. L'accès de tous à des soins de qualité n'est pas garanti : dépassements d'honoraires, déséquilibres accrus dans la répartition territoriale des professionnels libéraux, afflux croissant des patients aux urgences par manque de disponibilité de la médecine de ville. Il vaut de souligner, au-delà, que les revenus des médecins du secteur 2 ont cru plus vite que ceux respectant les tarifs opposables, et plus vite que le PIB, en valeur, entre 2002 et 2012, que la part des revenus hors rémunération à l'acte s'accroît, du fait de la politique conventionnelle - forfait, rémunération à la performance, prise en charge des cotisations sociales, à hauteur de 2,2 milliards en 2013 - sans que l'on voie venir des contreparties réelles, en matière d'implantation géographique ou d'efficience des actes, par exemple. Nous estimons donc que la politique conventionnelle mérite d'être rénovée et que l'Etat, qui ne joue pas toujours un rôle clair, alors qu'il est garant du bon fonctionnement de l'ensemble du système de santé, de l'efficience et de la maîtrise de la dépense, devrait sortir de l'ambigüité. C'est son devoir de définir les orientations stratégiques, dans le respect, bien sûr, de notre histoire.

Les courbes de l'Ondam et du PIB peuvent-elles se rapprocher ? Certes, les dépenses de santé ont vocation à augmenter plus que d'autres dépenses, mais cela n'interdit pas de s'interroger sur l'efficacité de la dépense.

J'entends les interrogations de M. Desessard et de M. Watrin, mais s'il y avait un lien entre le niveau de la dépense publique et le niveau de l'activité et de l'emploi, nous serions les champions du monde de la croissance. Il faut s'interroger sur l'efficience de la dépense. Plus on croit à l'action de l'Etat et des collectivités publiques, plus il faut y être attentif. Le gros problème de la France, c'est que l'on s'intéresse peu aux résultats, et que l'on empile les dispositifs, tous plus coûteux les uns que les autres, sans supprimer ceux qu'ils sont censés venir corriger. Certes, il faut lutter davantage contre la fraude, mais on est tenu à certaines limites, car on ne pourra pas augmenter indéfiniment la pression fiscale. J'ajoute que lutter contre la fraude n'exempte pas de travailler sur la dépense. Ce que nous essayons de montrer, c'est qu'il est possible de faire des économies sans remettre en cause la qualité et l'accès aux soins.

La question que vous posez, madame Archimbaud, rejoint la problématique de la prévention. La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale nous a commandé une enquête, qui est en cours, et dont le président Durrleman pourra vous dire un mot.

Sur la journée de carence, madame Debré, nous avions tenté d'opérer un chiffrage, mais la question a été tranchée par les pouvoirs publics.

Mme Isabelle Debré. - Je souhaitais seulement connaître les chiffres.

M. Didier Migaud. - M. Durrleman pourra vous en dire davantage.

M. Antoine Durrleman. - La Cour n'a jamais dit qu'il fallait réduire les dépenses d'assurance maladie, mais seulement observé qu'il y avait moyen de ralentir le rythme de leur évolution. Notre pourcentage de dépenses de santé rapporté au PIB vient juste après celui des Etats-Unis, dont on ne peut pas dire que le modèle soit un exemple.

C'est dans cette perspective que nous nous sommes penchés, l'an dernier, sur les prises en charge chirurgicales. La chirurgie ambulatoire peut apporter des marges d'efficience considérable. C'est là l'exemple topique d'un progrès et pour les patients et pour l'assurance maladie. L'estimation de 5 milliards n'est pas la nôtre, mais celle des pouvoirs publics. Nous avons émis à son sujet quelques réserves méthodologiques, mais ce qui est certain, c'est que l'assurance maladie paie deux fois parce que les services de chirurgie sont sous-occupés et que les places de chirurgie ambulatoire mises en place à grand frais depuis dix ans le sont aussi, preuve qu'il reste des progrès à accomplir en matière d'organisation.

S'agissant du jour de carence, nous avions documenté il y a deux ans, dans le cadre d'une communication demandée par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, le début d'application de la mesure. Nous avions constaté, sur la base d'enquêtes réalisées dans un certain nombre d'établissements de santé, qu'il y avait une forte diminution de l'absentéisme de courte durée, de l'ordre de 20 à 25 %, et quelquefois davantage. Il n'existe pas d'évaluation globale de la mise en place de ce jour de carence dans les établissements publics de santé. Nous avons travaillé cette année sur les dépenses de personnel des hôpitaux publics et nous avons relevé deux points obscurs : la question de l'absentéisme - et plus particulièrement la mesure de l'impact du jour de carence - et celle des comptes épargne-temps des personnels hospitaliers. Personne ne sait combien de jours sont totalisés pour les médecins et autres personnels des hôpitaux publics. Les provisions qui ont été progressivement constituées atteignent 1 milliard d'euros, mais nous ne savons pas à quoi correspond réellement ce chiffre au regard des droits accumulés par les personnels.

Nous avons travaillé, il y a deux ans, sur la CMUc et l'aide à la complémentaire santé, pour constater, comme vous, madame Archimbaud, la faiblesse du taux de recours. Nous avions fait des propositions, comme celle de permettre aux caisses primaires d'assurance maladie de proposer, comme elles le font déjà pour la CMUc, l'aide à la complémentaire santé. Nous y reviendrons dans la communication qui nous a été demandée par l'Assemblée nationale.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Vous appelez de vos voeux une loi de résultat. Mais la discussion de nos lois de règlement présente tous les travers que constatait en son temps Edgar Faure : litanies, liturgie, léthargie. Voilà ce qu'il en est dans la vraie vie. Ne pourrions-nous imaginer un dispositif qui attire l'attention - Mme Bricq a rappelé que pour déclencher un choc politique, il faut que les medias s'en mêlent. Dans certains pays où l'on fixe un plafond à la dette, tout dépassement enclenche automatiquement un débat au Parlement. On voit, quand cela arrive, aux Etats-Unis par exemple, combien alors la représentation nationale peut peser sur les choix qui doivent être négociés.

S'agissant de la répartition des professionnels de santé, la page 34 du rapport de la Cour suffit à me faire l'avocat de ses préconisations, de nature à apporter du baume au coeur des ruraux qui font les frais de la situation.

Mme Annie David. - Il n'y a pas de lien, dites-vous, entre dépenses de santé et activité économique. Mais il en est au moins un : les maladies professionnelles ne sont-elles pas directement liées à l'activité ? Parce qu'elles sont mal prises en compte, souvent sous-déclarées, la charge de la dépense s'en trouve reportée sur notre régime général tandis que la branche AT-MP est préservée et que les employeurs sont déchargés de leur responsabilité.

Vous estimez que l'on ne peut pas augmenter les recettes. Mais la Cour n'a-t-elle pas naguère publié un rapport dans lequel elle s'interrogeait sur l'efficacité des exonérations de charges dont un grand nombre mériteraient à mon sens d'être remises en cause. N'y a-t-il pas là une source de recettes ?

J'en viens à la question de la lutte contre la fraude, dont vous avez dit que l'on ne peut lui allouer beaucoup plus de moyens, sauf à augmenter la pression fiscale. Mais la Cour n'a-t-elle pas coutume de procéder à des enquêtes poussées qui mettent en lumière la balance bénéfices-risques ? Ne pourrait-elle procéder de même sur le sujet ? Il est tout de même question de 25 milliards !

Il en va de même sur la question de l'intégration du régime des artisans et commerçants dans le régime général. Il vaudrait la peine de s'intéresser aux sous-déclarations, alors que l'on s'apprête à transférer le déficit de ce régime au régime général, et à le faire supporter par des catégories socio-professionnelles qui n'en sont pas responsables. Ce n'est pas juste.

M. Didier Migaud. - Je vous prie de m'excuser, mais je vais devoir me rendre auprès de la commission des finances. Je me contenterai de quelques mots et M. Durrleman restera à votre disposition. La « vraie vie », monsieur Lemoyne, c'est l'exécution, beaucoup plus que les lois de financement initiales. On doit pouvoir y intéresser les medias.

En matière de lutte contre la fraude et de niches sociales, madame David, oui, on peut rendre les choses plus efficaces, mais dans certaines limites. C'est pourquoi il faut raisonner sur les recettes et sur leur emploi efficient. Ce que j'ai voulu dire tout à l'heure, c'est qu'il n'y a pas de lien entre niveau de la dépense publique et croissance. Heureusement qu'il y a des politiques publiques et des dépenses publiques, qui contribuent à répondre aux besoins et aux attentes du corps social, mais c'est bien pourquoi il faut s'attacher à leur efficacité. Voyez le logement, la formation professionnelle, les aides à l'emploi, l'éducation : on y consacre des crédits importants, avec des résultats souvent médiocres. C'est un vrai sujet.

M. Daniel Chasseing. - La sécurité sociale est la garante de notre cohésion sociale. J'irai dans le sens de MM. Amiel et Barbier, en tentant de faire modestement état de mon expérience de terrain.

Il a été question des dispositifs médicaux. J'observe que depuis quelques années, les patients qui sortent d'une intervention se voient prescrire de gros stocks de pansements coûteux, quand on se contentait, dans le temps, d'une compresse stérile et d'un sparadrap.

Quand un patient se retrouve aux urgences pour une urgence véritable, il est normal que l'on procède à de nouveaux examens, analyses biologiques ou imagerie, mais dans les autres cas, c'est inutile - et c'est pourtant systématique.

Sur la question des génériques, on peut sans doute progresser, mais la clientèle n'a pas confiance - ils sont peut-être produits en Chine - et j'ajoute qu'il est difficile à un généraliste de prescrire un générique si le spécialiste a préconisé autre chose. Oui, il faut informer les patients, mais de façon pertinente.

Le Mica a certainement profité à ses bénéficiaires, mais c'est une mesure qui a entrainé une importante diminution du nombre de praticiens. Des postes ont certes été créés - postes de coordonnateurs en Ehpad, de contrôleurs APA, d'urgentistes - mais le mode de vie des médecins a changé, en partie sous l'effet de la féminisation, ainsi que je l'ai dit hier, ce qui a semblé offusquer. Si bien que certains ne veulent plus travailler à plein temps, ou avec des horaires contraints. Et c'est ainsi...

M. Jean Desessard. - ... que votre fille est muette.

M. Daniel Chasseing. - ... que l'on manque de généralistes. C'est pourquoi j'avais préconisé de desserrer le numerus clausus, ce qui ne fera pas augmenter la dette de la sécurité sociale puisque l'on a vu, a contrario, que le Mica n'a pas produit d'économies.

Je poursuis avec les urgences. Dans mon département, le périmètre d'une permanence de soins peut être très étendu. Le secteur dans lequel j'ai exercé couvre un diamètre de 30 à 40 kilomètres. Et nous n'avons pas de contact avec les urgences qui sont régulées par le Samu. Et le médecin régulateur préfère souvent ouvrir le parapluie.

Mme Catherine Génisson. - Ce sont des médecins libéraux qui assurent la régulation.

M. Daniel Chasseing. - Le médecin régulateur du Samu, qui est en effet un médecin libéral, préfère souvent pécher par excès de précaution. Je ne vois donc pas comment on pourra diminuer l'afflux aux urgences.

M. Gérard Roche. - Le projet de loi de financement de la sécurité sociale est un acte d'équilibrisme. Il doit s'appuyer, pour être efficace, sur des modifications structurelles, qui doivent être décidées en amont.

L'équation est difficile, car il faut prévoir une correction progressive et pérenne des déficits, régler le problème de la permanence médicale, assurer, pour l'hôpital, l'équilibre entre grands plateaux techniques et présence indispensable de proximité.

Mme Touraine va présenter ce matin son projet de loi relatif à la santé en conseil des ministres. Je sais qu'il y est beaucoup question de prévention, d'hygiène de vie, de conduites addictives, mais je ne suis pas sûr qu'il comporte les mesures structurelles qui s'imposent. Quid du problème que vous souleviez l'an dernier avec l'introduction de la notion de nuit profonde dans les indemnités de garde ? Rien ne s'est passé depuis. Quid du conventionnement orienté, qui semble devenu un sujet tabou ?

M. Migaud a dit sa préoccupation devant l'insouciance de nos concitoyens face au déficit préoccupant de l'assurance maladie. Voyez ce qu'il se passe avec le tiers payant. Autant j'estime qu'il est absolument nécessaire sur le plan social et incontournable pour les assurés les moins favorisés, autant je m'interroge pour ceux qui en bénéficient pour acheter du paracétamol, et qui n'hésitent pas à payer 75 euros une consultation chez un naturopathe.

Mme Corinne Imbert. - Le président Migaud a indiqué que des progrès dans l'utilisation des génériques pourraient être source d'une économie supplémentaire de 2 milliards. Le système du tiers payant contre acceptation du générique mis en place depuis juillet 2013 a-t-il, de ce point de vue, porté ses fruits ? Le répertoire des génériques sera-t-il élargi ?

M. Antoine Durrleman. - Face à la sophistication croissante des dispositifs médicaux, nous préconisons de réfléchir à l'idée, pour certains d'entre eux, de dispositifs génériques, afin de contrebalancer une course à la technicité qui n'est pas toujours pertinente.

Le dossier médical personnel, tel que conçu en 2004, était fait pour prévenir la multiplication des actes de biologie et d'imagerie médicale. On sait ce qu'il en a été : 500 millions ont été dépensés sans résultat, d'où son abandon au bénéfice d'un nouveau dispositif. Il est clair que c'est bien grâce à un tel chaînage de l'information que l'on progressera.

La politique du générique a manqué d'une action de communication ciblée en direction des assurés sociaux. Sans doute y a-t-il eu une campagne d'information au lancement, dans laquelle les pharmaciens ont joué leur rôle, mais on n'est pas allé au-delà. Cet effort de communication mérite d'être relancé.

S'agissant de la permanence des soins et de son articulation avec les urgences libérales, il nous semble que les situations sont très contrastées selon les territoires : il n'y a pas de règle générale. L'engorgement des urgences hospitalières n'est pas totalement imputable aux insuffisances de la permanence des soins. Pour les désengorger, il faudrait également que les médecins libéraux ménagent davantage de plages d'accueil sans rendez-vous, alors que leur pratique va plutôt à l'inverse.

Pour parvenir à des mesures structurelles d'économie dans un domaine aussi complexe que la protection sociale, qui suppose que les acteurs, médecins et assurés, fassent évoluer leurs pratiques, il faut faire du temps, plutôt qu'un obstacle, un allié. D'où l'importance d'une vision pluriannuelle. C'est pourquoi nous proposons que les lois de financement de la sécurité sociale soient complétées d'un Ondam pluriannuel, qui donne des repères aux acteurs sur les voies d'évolution du système.

Sur le conventionnement, nous invitons à une sélectivité accrue dans l'attribution d'avantages conventionnels en fonction du lieu d'implantation des médecins libéraux. Les politiques conventionnelles doivent être mises plus délibérément au service d'une meilleure égalité d'accès aux soins. Nous avons recensé les dispositifs incitatifs mis en place, nombreux et sédimentés, et qui n'ont encore que de minces résultats, même si beaucoup de territoires font des efforts considérables avec des résultats non négligeables, comme en Lozère par exemple.

Le dispositif tiers payant contre générique a enrayé la dégradation du taux de pénétration des génériques. Mais à prix fort : sur deux euros de bénéfice pour l'assurance maladie, un euro revient au pharmacien. Au point que certaines officines en deviennent très dépendantes. Le répertoire a eu cette vertu éminente de permettre la substitution par le pharmacien. Dans une logique de prescription en DCI, son utilité semble moindre, et l'on devrait s'orienter, à terme, vers sa disparition. Reste que, dans un premier temps, son élargissement est nécessaire

Mme Catherine Génisson. - Les termes de dispositifs médicaux recouvrent un ensemble disparate, depuis le fauteuil roulant jusqu'au simple bassin, en passant par le pace maker. On manque cruellement, en ce domaine, de régulation, de surveillance, d'évaluation, qu'il serait utile de mettre en place avant de songer à des dispositifs médicaux génériques. Voyez les prothèses totales de hanches, qui peuvent être aujourd'hui proposées sous forme individualisée. Face à quoi il sera difficile de proposer un générique. Il faudrait commencer par réguler le marché.

M. René-Paul Savary. - Je reviens au conventionnement. J'ai la conviction qu'il faut travailler à un conventionnement par territoire. Alors que l'on se contente de réagir aux demandes des médecins, il faudrait inverser la logique, en faisant une offre, par territoire, avec un quota, afin de lutter contre la désertification.

M. Antoine Durrleman. - Sur les dispositifs médicaux, nous ne limitons pas nos suggestions aux génériques - nous ne pensions, en cette matière, qu'à des dispositifs très simples, comme certaines catégories de pansements. Nous relevons aussi le retard des pouvoirs publics en matière d'évaluation. Les résultats de celles qu'a menées la Cnam sont contestés, mais ce n'est certainement pas le Ceps qui peut, dans ces débats, s'ériger en arbitre. La dépense échappe, elle n'est ni maîtrisée, ni analysée : il y a un grand retard à combler.

Sur le conventionnement, nous avons fait des recommandations dans la communication que nous vous avons adressée. Il importe que les pouvoirs publics donnent des orientations claires à la politique conventionnelle. Le projet de loi de santé prévoit que le Gouvernement pourra indiquer clairement au négociateur principal, c'est-à-dire au directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) les orientations qu'il souhaite voir privilégier dans la négociation.

M. Alain Milon, président. - Il me reste à vous remercier du temps que vous nous avez consacré.

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 - Nomination de rapporteurs

La commission nomme :

- M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie ;

- M. René-Paul Savary rapporteur pour le secteur médico-social ;

- Mme Corinne Cayeux rapporteur pour la famille ;

- M. Gérard Roche rapporteur pour l'assurance vieillesse ;

- M. Gérard Dériot rapporteur pour les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Loi de finances pour 2015 - Désignation de rapporteurs pour avis

La commission nomme :

- M. Jean-Baptiste Lemoyne rapporteur pour avis pour la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ;

- M. Gilbert Barbier rapporteur pour avis pour l'action Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) ;

- M. Jean-Marie Morisset rapporteur pour avis pour la mission Egalité des territoires, logement et ville ;

- M. Didier Robert rapporteur pour avis pour la mission Outre-mer ;

- Mme Agnès Canayer rapporteur pour avis pour la mission Régimes sociaux et de retraite ;

- M. René-Paul Savary rapporteur pour avis pour la mission Santé ;

- M. Philippe Mouiller rapporteur pour avis pour la mission Solidarité, insertion et égalité des chances ;

- M. Michel Forissier rapporteur pour avis pour la mission Travail et emploi.

Simplification de la vie des entreprises - Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis

La commission décide de se saisir pour avis du projet de loi n° 771 (2013-2014), adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la simplification de la vie des entreprises.

Elle nomme Mme Catherine Procaccia rapporteure pour avis de ce projet de loi.

Programmation des finances publiques - Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis

La commission décide de se saisir pour avis du projet de loi n° 2236 (AN-XIVe) de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 (sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission).

Elle nomme M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général, rapporteur pour avis de ce projet de loi.

La réunion est levée à 12 heures.