Mardi 4 novembre 2014

- Présidence de M. Jean-Jacques Filleul, vice-président -

Simplification de la vie des entreprises - Examen des amendements aux articles 8 et 11 bis du texte de la commission des lois

La commission procède à l'examen des amendements aux articles 8 et 11 bis du texte n° 60 (2014-2015), adopté par la commission des lois, sur le projet de loi n° 771 (2013-2014) relatif à la simplification de la vie des entreprises.

La réunion est ouverte à 14h20.

M. Jean-Jacques Filleul, vice-président. - Nous devons nous prononcer uniquement sur les amendements qui visent des articles qui nous ont été délégués au fond par la commission des lois, c'est-à-dire les articles 8, 11 et 11 bis, ainsi que sur les amendements portant articles additionnels se rapportant à ces articles ou aux compétences de notre commission.

Quatre amendements ont été déposés sur ces articles. Je passe la parole au rapporteur Gérard Cornu.

Article additionnel après l'article 8

M. Gérard Cornu, rapporteur. - Cet amendement porte sur un sujet souvent débattu dans cette assemblée et bien connu de notre commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, celui des dérogations à la loi Littoral de 1986, et plus spécifiquement de la construction d'éoliennes sur nos rivages.

Avant tout, j'aimerais faire un court rappel du droit en vigueur. Afin de lutter contre le mitage des côtes et éviter le développement anarchique d'îlots de constructions, l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme prévoit que l'extension de l'urbanisation doit se réaliser en continuité avec les agglomérations et villages existants. Or, un arrêt récent du Conseil d'État a confirmé que la construction d'éoliennes doit être regardée comme une extension de l'urbanisation et doit donc être implantée en continuité d'une agglomération ou d'un village existant (CE, 14 novembre 2012, Société Néo Plouvien). En application de la loi Littoral, les éoliennes semblent donc ne pouvoir être construites que dans le prolongement des constructions existantes.

Ces règles se heurtent cependant aux dispositions issues de la loi Grenelle II de 2010 : le code de l'environnement impose aux éoliennes dont les mâts dépassent 50 mètres d'être implantées à plus de 500 mètres des constructions à usage d'habitation. La lecture combinée de ces dispositions conduit donc à ne pouvoir implanter des éoliennes sur les littoraux qu'en continuité des zones urbanisées non destinées à l'habitation, comme par exemple les zones industrielles ou les installations portuaires.

L'amendement déposé par notre collègue Joël Labbé prévoit de permettre l'implantation d'éoliennes en dérogation du principe d'urbanisation en continuité. Je vous proposerai d'émettre un avis défavorable sur cet amendement.

Ainsi que l'avait souligné l'excellent rapport d'Odette Herviaux et Jean Bizet sur la loi Littoral, la situation juridique actuelle n'est pas un signe d'incohérence des politiques publiques. Elle est bien le fruit d'une hiérarchisation des priorités. L'objectif de protection de nos littoraux prime, à ce jour, le développement de l'éolien terrestre. Le rapport ne recommandait d'ailleurs pas de revoir l'ordre de ces priorités. Bien plus qu'une simple mesure de simplification de la vie des entreprises, nous sommes ici face à une véritable question d'aménagement du territoire.

Le débat aura de toute façon lieu dans le cadre du projet de loi relatif à la transition énergétique pour une croissance verte : le gouvernement y a fait adopter à l'Assemblée nationale un amendement allant dans le même sens que celui de Joël Labbé, à l'article 38 bis A. Nous aurons donc l'occasion d'en rediscuter à ce moment-là.

M. Ronan Dantec. - Je croyais que l'amendement du Gouvernement au projet de loi relatif à la transition énergétique pour une croissance verte n'avait pas été adopté. Je tiens à préciser qu'il ne faut pas confondre implantation d'éoliennes et urbanisation. Nous sommes tout de même aujourd'hui dans une situation kafkaïenne dont il faudra sortir. D'autant que les gisements de vent sont plutôt sur le littoral. Je voterai l'amendement de mon collègue Joël Labbé même si j'entends l'avis du rapporteur.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 67.

M. Gérard Cornu, rapporteur. - Nous en venons maintenant à l'amendement n° 85 déposé par le Gouvernement. Cet amendement, portant lui aussi article additionnel après l'article 8, a été déposé hier soir par le Gouvernement. Il sollicite une habilitation pour modifier les dispositions législatives du code de l'environnement relatives au régime des plans de prévention des risques technologiques (PPRT).

Je l'ai déjà dit et je le répète : je déplore la méthode retenue par le gouvernement dans le cadre de la préparation de l'examen de ce texte. À aucun moment dans nos échanges le gouvernement ne nous a indiqué vouloir modifier le régime des PPRT. Or, cette habilitation prévoit d'une part, de modifier les règles applicables aux entreprises en matière de réduction de l'exposition au risque, d'autre part, de « préciser, clarifier et adapter » l'ensemble du régime relatif aux PPRT.

Cette habilitation est particulièrement large et je n'ai bien évidemment pas été destinataire d'un éventuel projet d'ordonnance. Si le régime de PPRT peut être amélioré, et nous sommes prêts à y réfléchir en travaillant avec le gouvernement, il n'est pas possible de le faire dans ces conditions, littéralement à l'aveuglette, et dans des délais aberrants.

C'est pourquoi je vous proposerai de donner un avis défavorable à l'adoption de cet amendement.

M. Charles Revet. - Je partage à 200 % les propos du rapporteur. Je trouve cette méthode absolument scandaleuse. D'autant que le Gouvernement aurait tout à fait pu, s'il souhaitait modifier le régime des PPRT, le faire dans son projet de loi initial. Si nous donnons un avis favorable à cette demande d'habilitation, cela équivaudrait à dire que le Parlement n'a plus lieu d'être.

Mme Odette Herviaux. - Je suis d'accord avec le rapporteur sur la forme, mais sur le fond, c'est vrai qu'il y a un vrai problème. La dernière partie de la justification de l'amendement m'interpelle puisqu'il s'agit de permettre dans certains lieux et à certains moments, non pas d'assouplir le PPRT lui-même mais de réfléchir à des solutions alternatives. Pour avoir fait le tour de France à l'occasion de mon rapport sur les ports décentralisés, je peux vous assurer que sur l'ensemble des ports décentralisés, il n'y en a qu'un qui a finalisé son PPRT, tant les procédures sont compliquées. Je prends un exemple dans un des ports que j'ai visités : un hangar se situait dans le périmètre jugé le plus dangereux. Autorisation avait été donnée au port de conserver le hangar pour stocker les marchandises, à condition d'installer des piliers de soutènement tous les deux ou trois mètres, ce qui rendait le stockage des marchandises impossible. À ce compte-là, autant raser le bâtiment...

Mme Chantal Jouanno. - On ne peut pas légiférer par ordonnances sur le sujet de la prévention des risques. Cet amendement propose de revenir sur la loi votée à l'époque sur la prévention des risques, dont on sait aujourd'hui que nous n'avons pas les moyens de l'appliquer. Or, dans le budget de cette année, les crédits qui y sont dédiés sont encore en baisse, alors même qu'on sait qu'il faudrait augmenter le nombre d'inspecteurs. C'est le rôle du Parlement, et surtout du Sénat au regard de sa compétence en matière de collectivités, de légiférer sur le sujet de la prévention des risques.

M. Gérard Cornu. - Je ne suis pas allergique aux ordonnances en soi, mais le Gouvernement aurait pu nous faire part de ses intentions avant, d'autant que l'habilitation sollicitée est très large et dépasse l'exemple donné par Odette Herviaux. Je pense qu'il faut mettre un coup d'arrêt à cette méthode qui dessaisit le Parlement de son rôle de législateur. Cela n'empêche que sur le fond, il y a peut-être des choses à rectifier. Nous aurons l'occasion de le faire lors de l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 85.

Article 11 bis

M. Gérard Cornu, rapporteur. - Nous avons là deux amendements identiques, le 35 et 62, qui visent à supprimer l'article 11 bis. Cet article, qui a été inséré par la commission spéciale à l'Assemblée nationale, vise à autoriser, par dérogation, le convoyage par motoneige de la clientèle des restaurants d'altitude. Notre commission a adopté cet article avec une modification de coordination, pour quelques raisons simples. Nos stations de ski sont en concurrence avec des stations étrangères, dans lesquelles ce convoyage est autorisé (plus de 400 stations sont concernées, principalement dans les Alpes), ce qui pèse donc sur leur attractivité et donc sur leur compétitivité économique. Par ailleurs, le service nocturne de ces établissements représente une part importante de leur chiffre d'affaires : jusqu'à 45 % d'après les chiffres communiqués par le Gouvernement. Enfin, cette mesure serait une mesure favorable à l'activité et à l'emploi dans les stations.

En revanche, et c'est bien l'inquiétude qui est exprimée par ces amendements, cette dérogation devra être strictement encadrée par le décret prévu. L'impact environnemental de cette dérogation devra être pris en compte. Et aussi l'impératif de sécurité. Le Gouvernement nous a déjà indiqué que le décret prévoirait notamment que les motoneiges ne pourraient pas circuler dans les zones de réserve naturelle, ni hors des pistes déjà utilisées par les dameuses.

C'est pourquoi je vous proposerai d'émettre un avis défavorable à cet amendement. Je souhaite néanmoins que le Gouvernement soit plus spécifique sur les précautions qui seront prises dans la mise en oeuvre de cet article.

M. Ronan Dantec. - Où est l'étude d'impact environnemental de cette mesure ? Il s'agit d'une fausse simplification. Évidemment, la tendance aujourd'hui est à considérer que seule compte l'économie et que l'écologie passe par pertes et profits. Je pense que cette mesure va conduire à une augmentation du contentieux. Les associations veilleront à ce que l'exercice encadré de cette nouvelle possibilité soit respecté et déposeront des recours. Pour les mêmes raisons que le rapporteur avançait à l'amendement précédent, je trouve que l'introduction de cet article à l'Assemblée nationale est extrêmement légère. Je donnerai un avis favorable à ces amendements.

M. Gérard Miquel. - Je rejoins tout à fait l'analyse du rapporteur sur ce sujet. Nous ne pouvons pas pénaliser nos entreprises par rapport à celles qui travaillent dans des conditions similaires dans les pays voisins. Quant à la faune sauvage, on en a partout. Pourquoi ne pas interdire aussi la circulation automobile dans ces conditions ?

M. Pierre Médevielle. - Je pense aussi que cet article posera des problèmes certains. Je suis aussi élu de montagne. L'utilisation de ces motoneiges la nuit va poser des problèmes de circulation sur les pistes réservées aux dameuses, aux heures où le trafic est le plus important. Cela posera aussi des problèmes en termes d'environnement. D'un point de vue économique enfin, je ne vois pas où est la difficulté : les repas servis dans les restaurants d'altitude ne seront pas servis dans les stations. Cela créera un désordre certain avec les associations de protection de la nature, y compris hors des parcs naturels régionaux. Évitons à tout prix ce surplus de fonctionnement sur les pistes nocturnes.

M. Gérard Cornu. - Je précise que l'article ne prévoit que le convoyage des clients par motoneige.

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

M. Hervé Maurey, président. - Je mets aux voix les amendements n° 35 et 62.

La commission émet un avis défavorable aux amendements n° 36 et 62.

Mercredi 5 novembre 2014

- Présidence commune de M. Hervé Maurey, président, et de M. Jean Claude Lenoir, président de la commission des Affaires économiques -

Transition énergétique pour la croissance verte - Audition de M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, de M. Jean Jouzel et Mme Laurence Hézard, rapporteurs d'un avis du CESE

La commission entend, en commun avec la commission des affaires économiques, M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, M. Jean Jouzel et Mme Laurence Hézard, rapporteurs d'un avis du CESE.

La réunion est ouverte à 9h30.

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des Affaires économiques. - Nous auditionnons, et j'en suis très heureux, M. Jean-Paul Delevoye, président du CESE, accompagné de M. Jean Jouzel et de Mme Laurence Hézard, rapporteurs de l'avis sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.

Vous avez débattu de la part du nucléaire dans le mix énergétique sans parvenir à un consensus au sein du CESE : quelle est votre position sur le double objectif de réduire de moitié notre consommation d'énergie fossile d'ici 2050 et de réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production d'électricité d'ici à 2025 ?

Quelles ont été les positions, ensuite, dans votre débat sur la contribution au service public de l'électricité (CSPE), laquelle grève déjà lourdement les revenus des ménages les plus modestes mais qui paraît encore à certains, cependant, une source de prélèvements supplémentaires sur les ménages ?

Que pensez-vous des « réseaux intelligents » et autres technologies qui informeraient les consommateurs et les aideraient à maîtriser leur consommation ?

Quid, également, des hydrocarbures non conventionnels : avez-vous examiné leur rôle possible ?

Que pensez-vous, encore, du mécanisme adopté par les députés pour les certificats d'économie d'énergie ?

Merci d'avance pour vos réponses et sachez que l'avis du CESE comptera dans nos travaux; vous avez la primeur puisque nous ouvrons nos auditions avec vous : c'est un signe de l'importance que nous accordons à vos travaux, parce que nous en savons la grande qualité !

M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable. - Dans son avis adopté le 9 juillet dernier, le CESE estime que ce projet de loi sur la transition énergétique ouvre « une nouvelle étape de l'histoire de l'énergie de la France », une étape qui engage la France « vers un nouveau modèle énergétique ». De son côté, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) - dont le vice-président n'est autre que Jean Jouzel -, dans le rapport qu'il vient tout juste de publier, montre que pour éviter un réchauffement climatique de plus de 2 °C, c'est-à-dire pour tenir notre engagement collectif, il faut faire bien davantage qu'améliorer notre mix énergétique : il faut en réalité changer notre façon de produire, de nous déplacer, de nous loger, de travailler... en un mot, nous devons changer nos comportements pour sauver la planète.

À cette aune, la transition énergétique n'est que le premier volet de la transition écologique, où l'enjeu global consiste à passer d'une économie ne considérant que deux facteurs de production qui sont créés par la main de l'homme, le travail et le capital, à une économie qui prenne également en compte le capital naturel, celui que nous n'avons pas créé mais sur lequel repose notre système climatique et la diversité du vivant.

Cette approche intégrée est au coeur de la transition énergétique, c'est elle qui nous fera répondre aux défis immenses que représentent le réchauffement climatique, l'indépendance énergétique de notre pays, la limitation des risques environnementaux et la prospérité de nos territoires.

Comme nous l'avons fait au Sénat, vous avez souhaité porter sur ce texte un regard économique et de développement durable, en confiant la rédaction l'avis du CESE à deux sections, celle des activités économiques et celle de l'environnement. C'est certainement la bonne manière d'aborder le sujet.

Je vous interrogerai, pour commencer, sur certaines des observations critiques que vous faites sur le projet de loi.

Vous êtes réservés sur les moyens financiers mis au service de ce texte : pensez-vous que les mesures proposées depuis, en loi de finances ou dans les déclarations de la ministre, sont à la hauteur des enjeux de la transition énergétique ?

Considérez-vous, ensuite, que les objectifs chiffrés de ce texte sont réalistes, accessibles ?

Vous savez combien, au Sénat, nous sommes attachés aux territoires : que pensez-vous de ce nouveau concept de « territoire à énergie positive », qu'on trouve dans le projet de loi ? Quelles sont les conditions pour que cette expression ne soit pas qu'un concept flou ?

Pouvez-vous nous dire un mot de la piste du livret de transition énergétique que vous préconisez dans votre rapport ?

Vous paraissez ensuite reprocher au texte de s'en tenir au « tout électrique » en matière de transports : comment en sortir ?

Le rapport du GIEC indique qu'il y a urgence mais qu'il est encore temps d'agir. Comment ce projet de loi peut-il, finalement, y contribuer ?

M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental. - Merci pour votre accueil, je tâcherai d'être bref pour laisser la parole aux deux rapporteurs du CESE et au débat.

Le CESE s'est mobilisé très tôt sur la transition énergétique, en amont de ce projet de loi, nous avons travaillé en particulier sur l'efficacité énergétique, sur les transports, sur les perspectives énergétiques.

La campagne pour les élections européennes nous a laissés orphelins d'un grand débat sur l'énergie à l'échelle du continent ; c'est d'autant plus regrettable que l'énergie est au coeur de la compétitivité et de l'emploi industriel : si elle ne maîtrise pas le coût de son énergie, l'Europe perdra toute industrie énergivore. Nous sommes en phase de croissance faible et je crois que nous y sommes durablement - je n'ai jamais cru aux sirènes présidentielles, d'où qu'elles viennent, annonçant le retour d'une croissance forte... -, l'énergie est au coeur des crises internationales, voyez le Proche-Orient, la Russie, le réchauffement climatique dresse une perspective dramatique pour l'humanité tout entière : comment, dans ces conditions, imaginer pouvoir se passer d'un grand débat, comment penser que nous n'aurons pas à faire des choix ? Il est d'autant plus important de le comprendre aujourd'hui qu'il est encore possible de faire ces choix, nous devons y procéder non pas en restant campés sur des positions idéologiques et antagonistes, mais en recherchant les solutions avec réalisme. C'est ce que nous avons fait dans cet avis, par exemple sur le nucléaire où nous avons bien dit qu'en France, l'atteinte de nos objectifs ne pourrait se faire sans l'énergie nucléaire.

Quand la société française est traversée par des violences, quand les positions risquent de se radicaliser, quand toute réforme est désormais vécue comme punitive, de grâce, retrouvons un certain enthousiasme à réformer : la transition énergétique n'est pas une liste de contraintes, de punitions du consommateur, c'est un nouveau mode de vie à inventer, où chacun se mobilisera parce qu'il a quelque chose à y gagner ! Il faut dépasser les clivages, jouer l'apaisement, débattre des objectifs et pas seulement des conséquences. Considérons aussi que la France peut prendre une place de tout premier rang dans la compétition pour la digitalisation industrielle, qui est un atout décisif face à la précarité énergétique, tout autant que pour la maîtrise des réseaux. Il est choquant de constater qu'au moment où la Commission européenne lance un programme de 300 milliards d'euros d'investissements sur les infrastructures, nous n'avons pas de réflexion sur les connexions, sur les surproductions d'énergie, sur l'efficacité énergétique des différentes sources d'énergie... L'Europe doit être un modèle énergétique, cela suppose de modéliser l'ensemble des facteurs, de la production à la consommation d'énergie, en passant par le stockage et le transport : il y a beaucoup à faire en la matière et c'est d'autant plus motivant que la maîtrise énergétique est un facteur majeur de stabilité globale.

Dans notre pays, on regarde toujours ce que coûteraient l'action, la réforme, sans considérer ce qu'il en coûtera de ne rien faire. Le CESE s'est prononcé, officiellement et avant la réunion des chefs d'État à Bruxelles, pour que les engagements continentaux en matière d'environnement se traduisent par des obligations étatiques, ou bien nous savons déjà que les objectifs manqueront d'effectivité car, on ne peut pas laisser les pouvoirs locaux assumer une telle charge.

Nous avons également dit qu'il y avait un besoin de cohérence : les Français sont fatigués des lois d'affichage. Être ambitieux dans les objectifs, c'est bien, mais les outils fiscaux et financiers sont indispensables. Il faut également penser les outils de la mobilisation politique - c'est l'un des enjeux de la vaste réforme territoriale sur laquelle vous travaillez, que d'articuler cette mobilisation pour la transition énergétique avec la notion de responsabilité. Ne perdons pas de vue qu'avec une faible croissance, il va falloir apprendre à être heureux avec moins, nous avons besoin de maîtriser l'énergie bien plus que nous ne le faisons aujourd'hui.

Enfin, je vous confirme que deux dissensus ont été maintenus malgré le débat approfondi : nombre de conseillers ne croient pas à une baisse de la consommation d'énergie de moitié d'ici 2050, non plus qu'à l'objectif d'une électricité nucléaire à 50 % en 2025, contre 75 % aujourd'hui. Sur ces points, le débat reste bien entendu ouvert.

M. Jean Jouzel, rapporteur pour avis du CESE (section de l'environnement). - Le rapport que nous avons signé avec Laurence Hézard résulte d'un travail collectif important, où nos deux sections ont examiné tous les articles plutôt que de se les répartir, c'est un point de méthode auquel nous tenons parce qu'il s'avère très fructueux.

Le tout dernier rapport du GIEC, effectivement, présente la synthèse des analyses sur le réchauffement climatique et sur les solutions entre nos mains. Où en sommes-nous ? Les choses sont très claires sur le diagnostic : tous les voyants sont au rouge, nous allons vers un réchauffement supérieur à 4 °C, nos générations en sont responsables - nous ne pouvons pas dire que nous ne savons pas. Du côté des solutions, tous les pays savent qu'il faut faire quelque chose, puisque tous ont adhéré à l'objectif de prendre les mesures propres à limiter le réchauffement à 2 °C à long terme.

Nous savons aussi que l'augmentation de l'effet de serre est due pour les trois-quarts aux combustions d'énergies fossiles, de même que nous savons que sur les 790 milliards de tonnes de gaz carbonique correspondant à un réchauffement de 2 °C - soit la température de stabilisation à long terme pour laquelle les États se sont engagés, celle dont nous allons débattre l'an prochain à Paris -, nous en avons déjà émis plus de 500 milliards de tonnes : au rythme actuel, nous aurons atteint le total dans vingt-cinq ans. Il faut savoir aussi que les quelque 250 milliards de tonnes de gaz carbonique à émettre pour atteindre ce réchauffement de 2° C, correspondent à seulement 20 % des réserves facilement accessibles d'énergies fossiles ; ces réserves ont doublé depuis dix ans avec le pétrole et le gaz non conventionnels - cela explique mon opposition de climatologue à l'exploitation des gaz de schistes. Pour avoir dialogué encore hier avec les représentants des énergies fossiles, je sais que les pétroliers ne sont pas encore prêts à jouer le jeu de la transition énergétique; cependant, il faut la faire sans attendre, ou bien nous ne serons pas sur la trajectoire que nous nous sommes fixée pour 2050 - et nous savons déjà qu'il faudra poursuivre sinon accentuer l'effort après cette date.

Les solutions passent par un grand nombre d'actions, incluant l'efficacité énergétique, le développement des énergies renouvelables, l'inclusion de l'énergie nucléaire, le stockage du gaz carbonique... Nous avons explicité l'objectif d'un facteur quatre pour la France d'ici 2050, car il est dans la trajectoire conséquente avec l'analyse du GIEC - et nous considérons normal que les pays développés soient exemplaires en matière énergétique.

Parmi les autres points à signaler, nous aurions souhaité que les objectifs européens se traduisent par des contraintes sur l'efficacité énergétique et sur les énergies renouvelables, à l'horizon 2020 mais aussi au-delà. Nous manquons cruellement d'une politique européenne de l'énergie : notre continent ne peut se contenter d'un simple échange d'électricité entre pays, nous avons besoin d'une stratégie, d'investissements communs, de normes communes. Les objectifs européens sont importants, mais il faut les traduire en actes.

Un mot sur la recherche, qui est indispensable, à court comme à long terme : c'est grâce à la recherche que nous avons trouvé des solutions par le passé et que nous trouverons celles dont nous avons besoin pour l'avenir.

Enfin, nous avons regretté que le projet de loi réduise la question essentielle de l'économie circulaire au seul domaine des déchets : la question est bien plus large et il y a beaucoup mieux à faire, nous espérons qu'il sera possible d'aller plus loin.

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des Affaires économiques. - C'est vrai, l'Europe n'a pas de politique de l'énergie - mais la France doit être le leader en Europe pour la mise en place des politiques dites « intelligentes » en matière énergétique. Vous avez également raison de souligner le rôle incontournable de la recherche : si nous savions comment stocker l'énergie, nous aurions résolu bien des problèmes qui se posent à nous...

Mme Laurence Hézard, rapporteure pour avis du CESE (section des activités économiques). - Dans la préparation de cet avis, nous avons voulu hiérarchiser les objectifs énoncés par le projet de loi. Certains objectifs de court terme peuvent être rapidement mis en oeuvre et ils concernent les secteurs les plus énergivores, le bâtiment et les transports ; d'autres, de plus long terme, exigent de se prononcer collectivement sur un scénario de mix énergétique, ce qui nécessite de l'information et de la pédagogie. Cette hiérarchisation des objectifs demande de la cohérence entre les décisions, entre les réglementations, de la transparence sur les décisions, du suivi et de l'évaluation dans la durée. Nous savons combien la prise en compte du long terme est nécessaire à la réussite, la France en a fait l'expérience puisque notre situation énergétique actuelle résulte de décisions prises dès avant la dernière guerre mondiale.

Nous avons apprécié que le bâtiment figure au premier rang pour les mesures concrètes de ce texte. La notion de performance énergétique du bâtiment est de nature à mobiliser l'ensemble des acteurs concernés, de la maîtrise d'ouvrage aux artisans, avec des enjeux très importants sur les matériaux, aussi bien que sur la formation. Si ces mesures sont d'application relativement simple pour le logement neuf, les choses se compliquent pour la rénovation ; comment inciter les propriétaires à rénover par des travaux coûteux, quand les loyers sont de plus en plus contraints ?

Nous avons également pointé les difficultés pour les ménages précaires, qui sont souvent logés dans des logements énergivores. Il nous a paru utile de bien distinguer deux sujets : l'aide sociale pour aider ces ménages à payer leurs factures d'énergie, par exemple le chèque énergie, d'une part, et les moyens à mobiliser pour rénover le logement, le rendre plus sobre. Ces deux sujets ne se confondent pas, il est important de le préciser.

Dans les transports, autre poste très consommateur d'énergie, nous ne sommes pas favorables au « tout électrique » ; d'autres solutions ont un faible impact sur l'environnement, par exemple les moteurs hybrides, le gaz naturel méthane, ou encore le bio-méthane carburant ; surtout, l'impact global du transport électrique n'est pas présenté, de l'extraction du lithium au retraitement des batteries, en passant par les réseaux électriques : la recherche doit progresser, pour s'assurer que la bonne idée d'aujourd'hui soit aussi une bonne idée pour demain. Nous devons nous adapter à la géographie et à l'usage : le transport sur de longues distances et le transport urbain, par exemple, n'appellent pas les mêmes solutions. Sur les biocarburants, nous avons considéré aussi qu'il est devenu nécessaire d'arrêter ceux de première génération, qui ne répondent pas à nos objectifs de réduction des gaz à effet de serre. Nous avons indiqué encore que les pratiques évoluent : les jeunes n'ont pas le même rapport à la voiture que leurs parents, le covoiturage se développe, la location entre particuliers, tout ceci a des incidences sur les modalités d'action, par exemple sur les aménagements urbains à réaliser.

Pour la gouvernance proposée dans le cadre des plans pluriannuels de l'énergie, nous avons eu ce leitmotiv : la simplification. Il nous a semblé que de nouvelles instances allaient s'ajouter, se superposer à celles qui existent, alors qu'il vaudrait mieux commencer par remettre à plat le système actuel. Nous avons encore souhaité que la programmation pluriannuelle porte sur l'ensemble des énergies, y compris le pétrole : c'est nécessaire pour atteindre nos objectifs.

Nous avons apprécié que des mesures soient prises pour le nucléaire en exploitation : améliorer l'information, la transparence, le rôle de l'Autorité de sûreté nucléaire, voilà autant de sujets importants qui ont fait consensus au CESE. En revanche, les avis ont divergé sur le nucléaire de demain : certains conseillers pensent que le scénario proposé est irréaliste, d'autres pensent qu'il faut aller plus loin. Nous avons réussi à sortir du dogmatisme, en disant que les objectifs généraux sont suffisamment crédibles pour avancer et travailler sur les scénarios de mix énergétiques, en les évaluant plus complètement - ce qui n'est pas fait aujourd'hui.

Nous avons voulu que le vocable de la transition énergétique paraisse explicitement dans le projet de loi, ce qui avait paru un temps incertain. Car c'est bien de transition énergétique qu'il s'agit, d'une mobilisation collective à construire ensemble, pour aller vers un modèle énergétique que nous ne connaissons pas et qui a de très nombreuses implications dans notre société. Il nous faut de la pédagogie pour que chacun puisse choisir, afin que chacun, individu ou collectivité, s'inscrive dans le projet d'ensemble - c'est aussi l'enjeu de la cohérence

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des Affaires économiques. - Quelle sera la demande d'énergie d'ici 2030 ou 2050 ? C'est un élément essentiel à prendre en compte, mais le sujet divise.

M. Hervé Maurey, président. - Je partage votre perspective optimiste, Monsieur le président Delevoye, la réforme est perçue comme négative, anxiogène, alors qu'elle peut symboliser l'espoir, une nouvelle voie. On regarde toujours ce que coûte l'action sans considérer ce qu'il en coûtera de ne rien faire, alors qu'il faut, comme vous le dites, raisonner de manière plus dynamique, comme lorsqu'on investit dans une entreprise ; c'est certes plus difficile quand l'argent est rare, mais cela reste vrai.

M. Ladislas Poniatowski. - Je vous remercie, Monsieur le Président, d'avoir bien replacé ce projet de loi dans son contexte international, géostratégique, et je crois comme vous que la croissance sera faible pendant un certain temps.

Des membres du CESE ont émis des réserves sur la part du nucléaire dans le mix énergétique : quelles étaient ces réserves ? J'ai vu qu'il y avait eu des doutes sur la constitutionnalité du plafonnement du nucléaire à sa capacité actuelle : avez-vous examiné ce point ?

Le CESE a déjà préconisé une réforme de la CSPE, pour la rendre plus lisible et transparente, avez-vous des éléments plus précis à nous communiquer, en particulier sur cette idée d'en élargir l'assiette ?

Le CESE, ensuite, s'est-il prononcé sur l'opportunité d'explorer - je parle bien d'exploration, pas d'exploitation - ce qu'il y a dans notre sous-sol, en matière d'hydrocarbures non conventionnels ? Jusqu'où êtes-vous allés dans l'analyse ?

Que pensez-vous des certificats d'économie d'énergie tels qu'adoptés par nos collègues députés ?

Enfin, l'article 7 bis du projet de loi prévoit la possibilité d'afficher en temps réel la consommation d'électricité : cette information est-elle utile ou consommateur, considérant son coût élevé de mise en oeuvre ? Je suis sceptique...

M. Louis Nègre. - Le CESE fait un travail de qualité, nous vous en remercions d'autant plus chaleureusement que vous nous aidez à préparer le nôtre. Vous appelez à de la pédagogie, c'est d'autant plus nécessaire qu'en réalité nous sommes devant une véritable révolution culturelle ! Peut-on se contenter d'une loi d'affichage ? Pour avoir rapporté la loi Grenelle II, je sais que l'énoncé d'objectifs est vain si ceux-ci ne sont jamais atteints... faute de moyens. Vous sonnez le tocsin, tous les voyants sont au rouge : nous entendons le message. Cependant, quels moyens cette loi va-t-elle mobiliser concrètement ? Nous manquons cruellement de précisions.

Une première question générale en découle : ce texte est-il, selon vous, à la hauteur des enjeux ? Comporte-t-il des angles morts, des omissions qu'il faudrait réparer ?

Vous nous dites, ensuite, que se concentrer sur le véhicule électrique est insuffisant. Peut-être, mais cibler sept millions de bornes de recharge alors que notre pays n'en compte que 8 000, ce n'est pas rien, c'est même une avancée considérable, surtout lorsque l'on sait que le véhicule électrique atténue le bruit en ville - première nuisance -, les risques sur la santé, la pollution...

Sur l'économie circulaire, pensez-vous que nous sommes suffisamment réalistes - et ambitieux ?

Enfin, l'option retenue par la France en matière de qualité de l'air est-elle compatible avec les objectifs européens ?

Une remarque, pour finir : le président d'un grand groupe automobile français m'a dit qu'en 2020, les normes environnementales chinoises seraient tellement drastiques que les véhicules européens risquent fort d'être recalés sur ce marché, qui sera devenu le premier au monde - qu'en est-il ?

Mme Laurence Hézard, rapporteure du CESE. - Deux opinions se sont opposées sur le nucléaire : certains conseillers pensent qu'il faut baisser davantage la part du nucléaire dans le mix énergétique, d'autres considèrent que c'est irréaliste et que le nucléaire au niveau défini par ce texte est nécessaire. Cependant, nous avons su dépasser cette opposition frontale et prendre en compte les perspectives d'évolution de la demande d'électricité, nous avons suivi une démarche pragmatique en considérant l'ensemble des informations à notre disposition pour évaluer l'impact global sur l'environnement, ce qui nous fait dire qu'il faut continuer ce travail, pour choisir le mix à plus long terme.

Nous n'avons pas travaillé sur la constitutionnalité du plafond de capacité nucléaire, le Conseil d'État examine ce point.

Sur la CSPE, le comité de gestion proposé nous paraît tout à fait nécessaire, pour assurer de la transparence, du suivi et du contrôle. Il est prématuré d'élargir l'assiette de la CSPE : chaque énergie doit supporter ses externalités et nous devons connaître le coût de chacune, n'utilisons pas la CSPE comme un fourre-tout qui règlerait tous les problèmes et ne mutualisons pas les coûts des énergies, ce serait brouiller les choix que nous devrons faire pour demain.

Nous n'avons pas examiné la question des hydrocarbures non conventionnels.

Sur le certificat d'économie d'énergie, nous avons souhaité de la simplification, de l'évaluation et une meilleure gouvernance intégrant l'ensemble des acteurs représentatifs : ce sera un gage d'efficacité.

Je partage votre scepticisme sur l'utilité d'afficher la consommation en temps réel : les retours d'expérience que j'ai eus sur le sujet - pour la consommation de gaz - montrent qu'une telle information n'apporte pas grand-chose au consommateur ; en revanche, la comparaison de la consommation sur plusieurs saisons et sur plusieurs années est un plus.

La pédagogie est nécessaire, c'est certain. Nous avons commencé par nous-mêmes, puisque les 80 conseillers du CESE engagés dans ce travail recouvraient toutes les sensibilités, des plus « écolos » aux plus « nucléocrates » : nous avons eu la volonté d'avancer et nous y sommes parvenus parce que nous nous sommes écoutés. Il y a beaucoup d'idées reçues sur ces thèmes, les informations ne sont pas toujours disponibles, il faut un débat approfondi : c'est dans l'intérêt de tous.

M. Jean Jouzel, rapporteur du CESE. - De la pédagogie, certes, mais nous en faisons depuis 30 ans au moins, il est temps aussi d'agir.

Quels moyens ce texte met-il en regard de ses objectifs ambitieux ? C'est probablement là le principal angle mort de ce projet de loi. On sait pourtant que la balance n'est déjà pas favorable à la transition énergétique : quand la lutte contre la pollution reçoit 400 milliards de dollars de soutien, les industriels des énergies fossiles reçoivent, eux, 600 milliards de dollars de subsides publics, ces chiffres méconnus sont dans le deuxième rapport Stern... Ce déséquilibre des forces, ce manque constant de moyens pour servir nos objectifs pourtant si clairs, me font regretter l'écotaxe carbone, et je suis tout autant breton que ceux qui s'y sont opposés... Il faut évidemment des leviers financiers, ou bien les dispositifs restent lettre morte.

Beaucoup de travaux ont démontré qu'il faut diminuer notre consommation d'énergie en France à l'horizon 2030, c'est nécessaire et tous les scénarios sont sur cette hypothèse : une baisse comprise entre 20 et 50 % d'ici 2050. Ce sera du reste une bonne nouvelle pour notre balance extérieure, puisque l'énergie représente un déficit de 70 milliards d'euros. Nos objectifs impliquent à la fois une baisse du nucléaire et une baisse de la consommation électrique, c'est une donnée.

Enfin, oui la Chine a de grandes ambitions pour la qualité de l'air, alors qu'elle connaît des problèmes de pollution très importants liés, entre autres, à la combustion de charbon.

La transition énergétique est inéluctable, les choses avancent vite, nous devons nous y adapter maintenant, ou bien il sera trop tard. Ce projet de loi a de grandes ambitions, mais il sera jugé à sa mise en oeuvre.

M. Roland Courteau. - Vous dites que les mesures de ce texte ne doivent pas être punitives, qu'il faut de l'enthousiasme, de la pédagogie, des moyens : je crois que l'on trouve tout cela en considérant que la transition énergétique, c'est aussi un formidable levier de sortie de crise, le moteur d'un renouveau industriel. Pour mobiliser, il nous faudra aussi mettre de l'humain dans ce débat, en plaçant l'accent sur la solidarité, sur la lutte contre la précarité énergétique ; je me réjouis de la mise en oeuvre du chèque énergie, les tarifs sociaux sont ouverts à quatre millions de ménages qui se chauffent à l'électricité et au gaz - mais nous avions oublié au bord du chemin, ceux qui se chauffent au fuel, au bois, ils bénéficieront eux-aussi du nouveau chèque, c'est une bonne chose. Les biocarburants ? D'accord pour laisser ceux de première génération, mais il va falloir mettre des moyens sur la recherche, en particulier sur les biocarburants de troisième générations, comme les micro-algues. Une question ne vous a pas été posée : que pensez-vous de l'auto-consommation d'énergie renouvelable ?

Enfin, on ne peut pas dire que ce texte, en matière de transport, se focalise sur l'électrique : toute une liste de mesures concerne bien d'autres sujets que l'électrique, le texte est plus complet que vous ne le dites.

Mme Odette Herviaux. - L'urgence climatique est là, il faut aller vite, des problèmes de santé publique se posent. Vous évoquez les territoires à énergie positive : je suis convaincue que c'est à partir de telles expériences exemplaires que viendra la mobilisation. Je plaiderai pour les « insularités métropolitaines », des territoires petits, souvent isolés et dont l'isolement a longtemps été présenté comme un handicap. Ils peuvent être volontaires pour expérimenter cette notion de territoire à énergie positive, des moyens existent, il manque encore l'impulsion : je crois que le temps en est venu, ce sera un levier de mobilisation collective.

M. Yannick Vaugrenard. - Je suggère que nous auditionnons de nouveau le président et les rapporteurs du CESE une fois que nous aurons bouclé notre programme d'auditions, avant de débattre en commission, car je suis sûr que nous aurons encore des questions à leur poser et que le débat en serait enrichi.

Le problème du décalage entre les objectifs et les moyens est crucial pour notre démocratie elle-même. La question d'une politique européenne de l'énergie relance l'idée d'une Europe en cercles concentriques, où les vingt-huit États membres n'avanceraient pas tous ensemble sur tous les sujets, mais où certains pourraient choisir d'agir de concert, même s'il n'y a pas d'unanimité et si les autres ne seraient pas obligés de suivre.

Je partage, ensuite, l'idée que nous allons connaître une période durable de croissance faible. C'est un risque pour la transition énergétique : il ne faut pas se tromper sur les moyens dont nous disposons, ou bien nous allons élargir le fossé avec les objectifs.

La précarité énergétique touche particulièrement les enfants, on ne le dit pas assez. En matière de lutte contre la précarité énergétique, la mise en place d'un chèque énergie et l'instauration d'une trêve hivernale sur les coupures d'électricité et de gaz sont incontestablement nécessaires mais pas suffisantes. Il s'agit de familles en situation de grande pauvreté qu'il est indispensable de mieux accompagner sous peine de décrédibiliser, à leurs yeux, la transition énergétique que nous appelons de nos voeux.

Je suis parfaitement d'accord avec les propos tenus sur l'effort à mener en matière de recherche : il faut, en ce domaine, adopter une démarche rationnelle refusant toute forme d'obscurantisme et ne pas considérer, par principe, qu'il y aurait certaines recherches qu'il ne faudrait pas mener. Aux responsables politiques, ensuite, de faire leurs choix.

M. Rémy Pointereau. - En matière de transports, je regrette certaines contradictions et incohérences dans les décisions publiques, notamment avec l'abandon de l'écotaxe. Alors qu'il y a de plus en plus de camions sur nos routes, je note que vous n'avez pas évoqué, jusqu'à présent, la question du ferroutage ou du fret ferroviaire. En la matière, la SNCF aurait sans doute mieux à faire que de s'occuper de covoiturage ou de transport routier...

À vouloir être exemplaire en matière de transition énergétique, la France ne risque-t-elle pas de nuire à la compétitivité de ces entreprises dans un contexte où, vous l'avez rappelé, il n'existe pas de politique énergétique européenne ? Dans les entreprises ou dans le monde agricole, la transition énergétique est vécue, le plus souvent, comme une punition qui occasionnerait des charges sans retour d'investissement avéré. Il faudrait sans doute, sur ce point, faire oeuvre de pédagogie.

M. Jouzel, vous avez rappelé l'urgence à agir contre le réchauffement climatique. Que pensez-vous de la récente étude du professeur Robert Stavins, de l'université de Harvard, qui indique que la température dans la basse stratosphère serait stabilisée depuis deux décennies et que le trou dans la couche d'ozone se résorberait ?

M. Martial Bourquin. - Je tiens tout d'abord à remercier nos invités pour la qualité de leurs interventions. Monsieur le Président, vous faites, à juste titre me semble-t-il, le constat que nous sommes entrés dans une période durable de faible croissance. Afin d'éviter que ce contexte économique ne conduise à mettre de côté la transition énergétique, il faudrait agir sur au moins deux leviers : la fiscalité, d'une part, les appels d'offres, d'autre part.

En matière de fiscalité, certains pays d'Europe du nord sont parvenus à basculer leurs prélèvements du facteur travail vers les émissions de dioxyde de carbone, ce qui a deux vertus : baisser le coût du travail et intéresser fiscalement à la transition énergétique. Pour que celle-ci ne se réduise pas à un catalogue de bonnes intentions, il nous faut une action forte en la matière.

S'agissant des appels d'offres, la prise en compte de l'empreinte carbone doit devenir un élément déterminant de choix. Au-delà de la confrontation du seul critère prix, les décideurs publics doivent prendre en compte le mieux disant énergétique.

Dans le bâtiment, le risque est que seuls les ménages aisés aient les moyens de rénover leur logement, voire d'en faire des « maisons passives », tandis que les plus fragiles resteraient dans une situation de précarité énergétique. Ne faudrait-il pas mettre en place un plan extrêmement audacieux de rénovation thermique des logements lorsqu'on sait que, dans certains cas, le montant des charges dépasse déjà celui du loyer ?

M. Alain Fouché. - Vous disiez, Monsieur le Président, que toute réforme peut paraître négative et que tout dépend de la manière dont la réforme est mise en place. Nous le voyons d'ailleurs localement en tant qu'élus, sur deux sujets en particulier : la politique d'implantation en matière d'éoliennes et la politique de développement du photovoltaïque. Avec le démarchage permanent de groupes industriels auprès des communes et des intercommunalités pour l'implantation de champs d'éoliennes, on ne tient pas compte des paysages mais uniquement des incitations financières associées. L'État, dans ce domaine, laisse faire les choses d'une manière trop souple. Une politique cohérente et sérieuse devrait être mise en place. Concernant le photovoltaïque, qui a fait à nouveau récemment débat au Sénat, les constructions ont repris : on construit des bâtiments, parfois vides, uniquement pour toucher des recettes. Il faudrait gérer à la fois l'utile et l'efficace. Est-ce que la transition ne pourrait pas être organisée de manière intelligente, et non totalement désordonnée comme c'est le cas aujourd'hui ?

M. Joël Labbé. - Le président Delevoye a parlé « enthousiasme », ce qui ne m'étonne pas de lui, l'ayant connu à l'époque président de l'Association des maires de France. L'enthousiasme doit effectivement être présent, derrière un projet le plus lisible possible. Nos jeunes générations ont actuellement un énorme déficit de projets. Nous nous devons de transmettre l'enthousiasme. Je suis convaincu que le niveau de croissance du passé ne reviendra pas et que nous devons chercher une nouvelle forme de croissance, passant par une nouvelle transition avec des orientations clairement données. L'innovation est en place dans de nombreux domaines. De nouveaux emplois sont à développer dans la transition énergétique, l'économie circulaire, l'économie de proximité avec les services à la personne, l'économie sociale et solidaire. L'économie agricole et alimentaire sera également pourvoyeuse en nouveaux emplois. Il existe aujourd'hui des antagonismes avec certains lobbies. La transition vers une économie verte au sens large et noble du terme est un espoir. Je crois en la recherche, mais pas en la recherche par des apprentis sorciers, qui représente une fuite en avant.

Une nouvelle société émergente est en train de se construire, presque de manière souterraine. Je vous invite à ce sujet à regarder le dernier film de Marie-Monique Robin « Sacrée croissance », qui présente les alternatives qui se développent partout dans le monde. Je terminerai en citant une nouvelle fois Pierre Rabhi : « on y arrivera lorsqu'on sera capables d'admettre une sobriété heureuse ».

Mme Chantal Jouanno. - Je remercie nos intervenants pour leur capacité à mettre les points sur les i.

Il faudrait que nous ayons un débat sur l'adaptation, notamment à la suite du rapport que vous avez rendu au Conseil économique, social et environnemental, et du rapport que Jean Jouzel a remis à la ministre au mois de septembre.

Y a-t-il eu des débats au sein de votre institution sur les investissements nécessaires pour cette transition, y compris la question des subventions ou des dépenses fiscales en faveur des énergies renouvelables, par rapport au coût que représenterait l'inaction ?

Avez-vous discuté des objectifs en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre ou d'empreinte carbone, dans la mesure où la situation de la France n'est pas nécessairement brillante sur ce point ?

Quels ont été les débats autour du principe d'expérimentation ? Je pense notamment à l'économie circulaire, puisqu'on voit que les projets d'écologie industrielle territoriaux patinent faute de liberté d'expérimentation locale.

J'ai entendu des propos assez positifs sur les questions de fabrication additive. Envisagez-vous un rapport sur ce sujet, ou sur celui de la société et l'économie collaboratives ?

M. Daniel Gremillet. - Ce rapport doit se placer dans un contexte de transition énergétique. Il serait judicieux, comme d'autres collègues l'ont dit, que le Conseil économique, social et environnemental nous apporte aussi des éclairages sur d'autres défis : celui de l'emploi, celui de la reconquête industrielle. Nous devrions faire des croisements entre nos travaux et les rapports de la commission économique du CESE sur ces points. Deux éléments composent la compétitivité : le coût de la main-d'oeuvre et le prix de l'énergie. Nous assistons dans le monde industriel de notre pays à un renouvellement assez profond des systèmes énergétiques. Le nucléaire a apporté une stabilité à la compétitivité, une ligne directrice pour l'industrie. L'enjeu consiste à imaginer la transition énergétique avec le mariage entre l'obligation de reconquête industrielle et les besoins énergétiques. Nous parlons beaucoup de recherche. L'essentiel est la recherche appliquée, qui se développe dans les entreprises. Je suis dans un département où il y a beaucoup de bois. De nouvelles connaissances sur la biomasse ont permis au monde industriel de se reconvertir dans cette voie, à tel point que nous nous interrogeons aujourd'hui sur la capacité à produire la matière nécessaire à l'alimentation énergétique des entreprises.

M. Paul Vergès. - J'ai écouté avec passion les exposés présentés, mais également avec angoisse en pensant à l'avenir. Vous avez insisté sur l'importance nationale, européenne et mondiale de la transition énergétique. Or, la Réunion est un département intégré à la France, intégré à l'Europe, mais nous sommes dans l'Océan indien, à 10 000 kilomètres. Nous sommes face à une situation totalement différente. Nous avons tous les éléments pour la transition énergétique : l'éolien avec les vents alizés, le soleil, l'hydraulique avec nos montagnes, la géothermie avec un volcan en activité, et l'océan. Comment cependant réussir cette transition énergétique alors que la Réunion est un laboratoire de tout ce qu'il ne fallait pas faire ? Je prendrai un exemple : la facture du pétrole et du charbon augmente chaque année.

Sur le plan global, nous nous situons dans une zone de l'ancien empire colonial français, avec Maurice, les Seychelles, les Comores et Madagascar. Or nous sommes dans une situation d'évolution considérable qui pose le problème de l'énergie sous l'angle de la pression démographique. Nous étions 230 000 habitants en 1946 lorsque nous sommes devenus un département ; nous sommes actuellement 850 000 et nous serons un million dans quinze ans. La Réunion est une île modeste. Mais nous avons à proximité toutes les îles minuscules des Seychelles, des Maldives, l'île Maurice, et une île immense qu'est Madagascar. Madagascar avait 4 millions d'habitants en 1946, 24 millions d'habitants aujourd'hui, et en aura 55 millions en 2050. Nous ne pouvons pas poser le problème de la transition énergétique simplement sous l'angle de la Réunion. Comment allons-nous faire avec le voisinage d'une île comme Madagascar située à 700 kilomètres, dans un contexte de politique de regroupement, encouragée par l'Union européenne, avec les pays d'Afrique orientale ? En décembre sera signé l'accord d'intégration de ces pays, dans une zone couvrant au total 600 millions d'habitants. Qu'allons-nous faire, nous, département intégré à la France et à l'Europe, dans ce nouvel espace dans les années qui viennent ? Toutes les îles de la Commission de l'Océan indien couvrent un espace maritime commun égal à la Méditerranée. Toutes ces populations demandent un co-développement, chacune à des étapes différentes de leur développement. Voilà le problème angoissant qui se pose à nous.

Cette zone connaît une révolution dans tous les domaines, énergétique, climatique, démographique. C'est pourquoi je disais vous avoir suivi avec passion, mais également avec angoisse.

M. Jean Jouzel. - La réalité du changement climatique est sans équivoque. C'est certes anecdotique mais l'année 2014 sera certainement la plus chaude que l'on ait jamais connue. S'agissant de l'étude du professeur Robert Stavins, il existe effectivement un lien entre les températures observées dans la stratosphère et dans la basse atmosphère - la première baissant lorsque la seconde augmente ; en revanche, il n'y a pas de lien direct entre le trou dans la couche d'ozone et le réchauffement climatique.

Concernant les départements et territoires d'outre-mer, la transition énergétique est un véritable enjeu, en particulier à La Réunion.

S'agissant du ferroutage, la contribution climat énergie avait notamment pour but de favoriser son développement.

Dans le cadre du débat national sur la transition énergétique, toutes les estimations ont démontré qu'à moyen terme, la transition énergétique aura un effet bénéfique sur l'économie. À court terme, elle conduira certainement à des mutations profondes, avec des pertes d'emplois dans certains secteurs et des créations dans d'autres, mais il est essentiel que les hommes politiques aient cette vision de long terme. Si nous ne bougeons pas, le monde bougera sans nous.

Mme Laurence Hézard. -La notion de « territoire à énergie positive » est un concept intéressant qu'il faut cependant manier avec prudence et qu'il importe de mettre en perspective avec l'équilibre global du système énergétique français, fondé sur la solidarité et la péréquation tarifaire entre les territoires. Il existe en effet de nombreux territoires qui ne disposent pas de capacités de production et pour lesquels la solidarité nationale doit continuer de jouer.

Les propositions évoquées en matière de fiscalité sont intéressantes. Des choix devront être faits entre remboursement de la dette, d'un côté, et mesures incitatives en faveur de tel ou tel secteur, de l'autre, dont le soutien à la transition énergétique. Il importe de hiérarchiser les priorités et de donner de la cohérence à un système fiscal qui manque aujourd'hui de lisibilité.

Des expérimentations en matière d'économie circulaire existent et sont nécessaires. Leur succès dépend beaucoup de la qualité du chef de file, comme l'a montré par exemple le projet de développement de la méthanisation dans l'est de la France, pour lequel il a fallu à la fois modifier la réglementation et faire oeuvre de pédagogie.

En matière d'emploi, les membres du conseil ont unanimement recommandé la mise en place d'un plan de programmation de l'emploi et des compétences (PPEC) en parallèle de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) prévue dans le projet de loi.

M. Jean-Paul Delevoye. - Merci à l'ensemble des parlementaires. Je vous rappelle, messieurs les présidents, que vous avez la faculté depuis la dernière révision constitutionnelle de demander à votre Président de saisir le CESE afin de vous aider à la décision politique.

Pardonnez mon impertinence, mais permettez-moi de vous dire à quel point, dans l'état actuel de la société, il faut être extrêmement attentif à ne pas avoir un discours plein d'illusions et de rêves. L'objectif, c'est bien ; l'atteindre, c'est mieux. Aujourd'hui, tout sur la table est politique. La noblesse du politique a été restaurée, mais tout est détruit par les attitudes politiciennes. Il est tout à fait fondamental que vous arriviez à faire en sorte que la cause de l'énergie transcende les intérêts énergétiques.

Vous pourriez entendre le secrétaire général des affaires européennes afin qu'il vous expose les clivages compliqués dans les négociations européennes. Un accord a pu être obtenu sur le changement climatique parce que l'Espagne et le Portugal avaient demandé la connexion avec la France. Le problème polonais est un peu plus compliqué.

Il faudrait essayer de cerner quels sont les freins à la transition. À l'évidence, comme le disait Laurence Hézard, les capitaux s'investissent beaucoup sur les outils de production parce qu'il y a une rotation rapide, beaucoup moins dans les infrastructures de transport car il y a une rotation lente. Or, le problème de demain sera non seulement la production, mais aussi la capacité, par l'intelligence numérique, de réguler les zones de production, qui peuvent varier selon les climats. L'expérience allemande montre à quel point il peut y avoir des interrogations, et à quel point la vision européenne et la solidarité interétatique européenne sont des éléments essentiels.

Nous avons clairement indiqué qu'il y a une réflexion à mener en matière de recherche et développement à propos de l'augmentation du prix du carbone sur le marché carbone. Une partie de ces flux financiers pourraient être captée pour alimenter la recherche et le développement. La moitié des chercheurs dans le monde sont américains et chinois. La France est très bonne en recherche fondamentale, très peu en recherche appliquée. Nous sommes en train, dans une économie de l'innovation, de perdre la bataille de la recherche si nous n'y prenons pas garde. Or, l'énergie est un facteur de mobilisation industrielle et de mobilisation citoyenne. Au lieu de voir comme une punition la hausse de 2° C de température, essayons au contraire de transformer cette contrainte en objectif mobilisateur pour renforcer notre recherche. Les Chinois s'engagent dans une politique environnementale parce qu'il y a derrière cela un business avec un retour d'investissement.

L'ensemble des acteurs du CESE a estimé que la problématique de la rénovation thermique n'était pas uniquement un problème budgétaire. C'est aussi un problème de faiblesse des moyens d'ingénierie auprès des artisans, qui ne sont pas suffisamment formés. Il ne s'agit pas d'ouvrir un marché, le marché existe. Un certain nombre d'enquêtes ont montré le besoin d'une mobilisation forte du monde artisanal sur ce marché-là, par une formation des artisans aux nouvelles techniques, et sur les conseils à apporter sur les meilleurs choix en matière de rénovation thermique.

Le CESE a demandé que les collectivités territoriales puissent être des tiers payants, balayant l'argument qui nous était opposé par les banques sur le sujet de la concurrence. Nous avons démontré que cet argument n'était pas fondé juridiquement. Les élus locaux vont être obligés de construire des espérances territoriales, pour offrir une place à chacun, un droit d'accès à l'énergie et pour mettre en place des mécanismes de retour d'investissement sur les travaux énergétiques qui échapperont à la capacité contributive de certains propriétaires.

L'un d'autre vous a parlé de croissance faible et de problème de moyens. Il faut inverser les choses : la croissance est faible. On ne pourra plus financer la retraite et la santé sur le travail : formidable opportunité pour réfléchir à un nouveau contrat social. Quand il n'y a pas de moyens, il faut trouver d'autres ressources. L'État a 2 000 milliards d'euros de dette pour 12 000 milliards de patrimoine. Le patrimoine naturel est désormais pris en compte dans la biodiversité. Demain, on ne gèrera plus les ressources de nos sols et de nos sous-sols, on gèrera les flux qui traversent les territoires. La question se pose de leur captation. J'ai été extrêmement malheureux de voir retirer l'écotaxe. Je ne dis pas que cette mesure était bonne ou mauvaise. Vous allez toutefois devoir réfléchir à une fiscalité sur les flux, qui posent un problème de territorialisation et de rendement, pour compenser la problématique de faible croissance. Comment financer demain des politiques de solidarité qui peuvent être remises en cause par des conflits générationnels si l'on n'y prend pas garde ?

L'opportunité politique est majeure. Le débat politique a porté dans les trente dernières années sur les potentiels apportés par la technologie et par la science. Le débat politique actuel porte sur les limites : quelles sont les limites à ne pas franchir ? C'est le sujet, entre autres, du réchauffement climatique, ou encore du droit à mourir. Ces débats sont extrêmement intéressants. Quelles limites ne pas franchir pour ne pas perdre de compétitivité agricole ?

La transformation - je n'aime pas le mot réforme qui est anxiogène - représente un coût. On ne peut pas demander aux chauffeurs de taxi d'adopter une offre à bas coût si on ne rachète pas les plaques. Si un objectif apparaît prioritaire, il faut se demander comment l'atteindre, et faire en sorte d'aider les perdants.

Sur l'éolien, soyez attentifs à toujours précéder le juge. Il est préoccupant pour moi de voir que c'est le juge qui détermine aujourd'hui le permis ou l'absence de permis. Ce n'est pas le politique. En outre, ce sont des intérêts privés qui guident l'implantation des éoliennes alors que c'est une politique d'intérêt public. Vous avez, dans le cadre de la simplification, supprimé les zones de développement de l'éolien. Cela a permis la chienlit, parce que c'est celui qui paye le plus cher, ou qui achète les infrastructures des communes qui n'en ont pas, qui obtient le permis. Si vous pouviez déterminer des objectifs de production à atteindre par région ou par département, avec un schéma territorial qui permette de concilier paysage et production, en mobilisant des sociétés d'économie mixte dans lesquelles les collectivités territoriales et les citoyens pourront trouver le juste profit. Je ne crois pas au capitalisme d'État, c'est de l'utopie communiste ; je crois à l'État capitaliste. Vous ne valorisez pas les patrimoines. Pourquoi ne pas avoir, demain, des partenariats nouveaux entre le privé et le public où les collectivités locales ne toucheront plus beaucoup d'argent sur la fiscalité foncière mais pourront avoir une rentabilité forte sur la production d'énergies renouvelables ? Il est très enthousiasmant de chercher des réponses à travers des schémas nouveaux. La plus-value politique, c'est de rendre possible ce qui paraît impossible.

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des Affaires économiques. - Je pense qu'Hervé Maurey sera d'accord avec moi pour reprendre une suggestion qui a été évoquée à plusieurs reprises : nous aurons un nouveau rendez-vous une fois que notre travail sur la transition énergétique aura prospéré.

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

Prise en compte par le bonus-malus automobile des émissions de particules fines et d'oxydes d'azote et transparence pour le consommateur des émissions de polluants automobiles - Examen du rapport pour avis

La commission examine le rapport pour avis de Mme Odette Herviaux sur la proposition de loi n° 802 (2013-2014) relative à la prise en compte par le bonus-malus automobile des émissions de particules fines et d'oxydes d'azote et à la transparence pour le consommateur des émissions de polluants automobiles.

EXAMEN DU RAPPORT POUR AVIS

M. Hervé Maurey, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'examen du rapport pour avis de notre collègue Odette Herviaux, sur la proposition de loi n° 802 relative à la prise en compte par le bonus-malus automobile des émissions de particules fines et d'oxydes d'azote et à la transparence pour le consommateur des émissions de polluants automobiles.

Mme Odette Herviaux, rapporteure pour avis. - Il s'agit d'une version « remaniée » d'une proposition sur laquelle notre commission avait déjà donné un avis le 10 juin dernier et dont j'étais déjà rapporteure pour avis : la proposition de loi relative à la nocivité du diesel pour la santé. Ce texte, qui avait été rejeté par la commission des finances et sur lequel nous avions émis un avis défavorable, n'avait toutefois pas pu être examiné en séance publique dans l'espace réservé au groupe écologiste du mois de juin, faute de temps.

Avant d'entrer dans le détail de la proposition de loi, je voudrais, mes chers collègues, refaire un point sur le contexte dans lequel s'inscrit cette initiative.

Malgré un fort recul des ventes en 2013, les véhicules fonctionnant au gazole représentent encore en France plus de 60 % du parc automobile total et environ 67 % des ventes de nouveaux véhicules. Parallèlement, la part du gazole dans le total des consommations de carburants dépasse 80 %, ce qui paraît logique puisque les acquéreurs de véhicules diesel neufs ont souvent pour objectif de parcourir un grand nombre de kilomètres. Notre parc automobile est ainsi largement « diesélisé ». Face à ce constat, divers avertissements ont été exprimés depuis longtemps. L'Organisation mondiale de la santé a classé en septembre 2012 les fumées émises par les moteurs diesel comme « agents cancérogènes » certains. Alors qu'en 1988, ils étaient classés dans la catégorie « probablement cancérogènes ».

Plus récemment, dans un avis de juin 2014 sur les émissions de particules et d'oxydes d'azote, les NOx, par les véhicules routiers, l'Ademe - Agence de l'environnement et de la maîtrise d'énergie - a souligné que « 56 % des émissions nationales d'oxydes d'azote (NOx) sont liées au transport », dont « 89 % proviennent des véhicules diesel », rappelant que « 61 % des véhicules légers sont des diesels » dont seulement sept millions sont équipés d'un filtre à particule - puisque l'industrie automobile a fait de très importants efforts et s'est adaptée - tandis que douze millions n'en ont pas.

Enfin, et j'en aurai fini avec les mises en garde les plus récentes qui montrent à quel point nous parlons d'un vrai problème de santé publique, le 30 septembre 2014, l'Organisation de coopération et de développement économique, qui a réalisé deux études sur le sujet dans l'année, a publié un communiqué où elle « demande aux pouvoirs publics de cesser de subventionner les véhicules de société et de supprimer progressivement l'avantage fiscal en faveur du gazole », soulignant que « cette mesure serait bénéfique à la fois aux finances publiques et à la qualité de l'air », considérant qu' « aujourd'hui, le coût d'usage d'un véhicule automobile ne reflète pas pleinement son impact sur l'environnement et sur la société ».

Mes chers collègues, vous êtes comme moi déjà convaincus, j'en suis sûre, que les conséquences sur notre santé des fumées émises par les moteurs de véhicules diesel sont avérées, et notamment celles des particules fines et des oxydes d'azote qu'elles contiennent.

Or nous savons que le secteur des transports routiers contribue à hauteur de 19 % environ des émissions de particules fines les plus dangereuses pour notre santé.

Les conséquences pour la santé humaine d'une exposition à ces particules fines sont graves. Quelles sont-elles ? Pathologies pulmonaires tout d'abord, comme la bronchite ou l'asthme, mais aussi risque aggravé de cancers du poumon ou de la vessie. Si on ne dispose pas aujourd'hui de chiffres permettant de distinguer spécifiquement l'aggravation de la mortalité due au diesel de celle due aux autres sources de pollution, on sait que les particules fines, présentes en grande quantité dans ces fumées, en sont largement responsables. D'une manière générale, l'exposition à ces particules fines entraîne un vieillissement prématuré et affecte surtout l'appareil cardio-vasculaire. Une étude en Californie a récemment mis en évidence également un impact sur les naissances prématurées et le faible poids de naissance.

L'Institut de veille sanitaire, que nous avions interrogé en juin dernier, relevait aussi une aggravation des symptômes de nos pathologies chroniques, en quelques heures ou quelques jours, après une exposition aux particules fines, y compris à des concentrations faibles.

Au-delà de cet aspect - qui est le plus important - relatif à la santé publique, se pose également la question du modèle économique de notre filière automobile. La diéselisation du parc automobile a été, vous le savez, favorisée par une fiscalité préférentielle qui a conduit, d'une part, les constructeurs à investir dans des techniques de « dépollution » de leurs moteurs très coûteuses pour se conformer à la réglementation européenne et, d'autre part, l'industrie du raffinage à importer du diesel pour satisfaire la demande.

Que faire dans ces conditions ? Nos collègues écologistes ont fait successivement deux propositions.

La première proposition de loi, examinée en juin dernier, visait à créer une nouvelle taxe additionnelle de 500 euros, revalorisée de 10 % tous les ans, sur les véhicules diesel. Notre commission avait émis un avis défavorable à son adoption. Elle avait regretté la déconnexion d'une telle mesure d'une réforme globale de plus grande ampleur et plus progressive sur la fiscalité des carburants et l'absence de mesures d'accompagnement pour la filière industrielle automobile française, que la création d'une telle taxe n'aurait pas manqué de déstabiliser profondément.

La présente proposition de loi poursuit les mêmes objectifs mais modifie les moyens pour y parvenir, en tenant compte des remarques que la commission des finances et la nôtre avaient formulées en évoquant notamment la piste d'un élargissement du bonus-malus écologique aux particules fines.

La proposition de loi d'aujourd'hui comporte trois articles et son exposé des motifs indique que l'objectif du texte est d'intégrer les émissions de polluants atmosphériques tels que les oxydes d'azote et particules fines dans les critères du malus automobile, qui actuellement ne repose que sur les émissions de dioxyde de carbone.

Le dispositif de l'article 1er ne traduit toutefois pas exactement cette ambition. Il n'élargit pas le malus existant mais crée un nouveau malus pour les véhicules les plus émetteurs de NOx et de particules fines. En outre, en renvoyant la fixation du barème de cette nouvelle taxe au pouvoir réglementaire, il pose d'emblée un problème de constitutionnalité.

L'article 2 prévoit la remise au Parlement d'un rapport portant sur l'indépendance de l'expertise technique relative à la définition et à la méthodologie des mesures des émissions de polluants par les véhicules automobiles. Ce rapport devra être remis par le Gouvernement avant le 31 mai 2015.

L'article 3 crée un certificat de diagnostic d'éco-entretien qui devra être fourni par tout vendeur d'un véhicule diesel d'occasion de plus de quatre ans à son acquéreur. Ce certificat, qui sera obligatoire à compter du 1er janvier 2016, portera sur l'ensemble des émissions polluantes du véhicule.

Je souhaiterais formuler plusieurs remarques, mes chers collègues. En premier lieu, je n'ai pas changé de position quant à l'importance du problème mis en avant par l'objectif de ce texte. Il est essentiel.

Je partage donc entièrement cette initiative du groupe écologiste, notamment eu égard à deux enjeux très importants, comme je l'avais déjà souligné en juin.

Le premier point, c'est l'impact aujourd'hui avéré des fumées émises par les moteurs diesel sur notre santé. Ces fumées, on le sait, contiennent un peu moins de CO2 que les moteurs à essence : 123 grammes par kilomètre contre 127 grammes pour les véhicules à essence en 2012. Toutefois, elles contiennent d'autres substances, qui sont en cause dans la pollution atmosphérique et qui ont un impact sur notre santé. On trouve notamment dans les fumées de diesel des oxydes d'azote, les NOx, et les fameuses particules fines, dangereuses pour la santé. Les plus fines pénètrent profondément dans nos poumons et s'accumulent dans nos alvéoles. De là, elles peuvent franchir la barrière que constituent les alvéoles et passer dans notre sang.

L'impact sur la « pré-mortalité » est indéniable.

Une enquête portant sur la période 2000-2006 montre que la mortalité non-accidentelle journalière s'accroit lorsque les concentrations en particules PM 2,5 augmentent. En Île-de-France par exemple, l'augmentation des concentrations s'accompagne également d'une augmentation de 2 à 7 % des passages aux urgences d'enfants pour causes respiratoires.

Mon deuxième constat, qui n'a pas non plus varié, est celui de l'urgence d'un changement de modèle économique de notre filière automobile française. Aujourd'hui, les véhicules diesel représentent plus de 60 % du parc existant et environ 70 % des ventes de nouveaux véhicules. Par ailleurs, les diesels les plus anciens, c'est-à-dire de plus de 12 ans, représentent 27 % de notre parc. Ce sont eux qui polluent le plus.

En outre, l'écart de taxation entre l'essence et le gazole, qui est de 17 centimes d'euros par litre en faveur du gazole, contre 12 centimes d'euros en moyenne dans l'Union européenne, a récemment été épinglé par la Cour des comptes, qui relevait qu'il constituait une perte de recettes de 6,9 milliards d'euros en 2011.

La France fait d'ailleurs l'objet d'un contentieux devant la Cour de justice de l'Union européenne pour non-respect des valeurs limites de concentration dans l'air de particules PM 10, qui pourrait bientôt aboutir à une condamnation de plusieurs dizaines de millions d'euros et à une astreinte quotidienne.

Oui, il y a, sur ces aspects, comme je l'avais déjà dit en juin, une question de volonté politique et de responsabilité.

Pour autant, je ne pense pas, encore une fois, que la solution proposée par cette nouvelle mouture soit adaptée.

Pour plusieurs raisons, tant de forme que de fond.

Sur la forme, je considère qu'il serait plus adapté d'envisager une réforme plus graduée, sur la durée, ne reposant pas forcément uniquement sur une taxation supplémentaire et comportant des mesures d'accompagnement de la filière automobile et des ménages les plus modestes.

En effet, une telle taxation aurait, à n'en pas douter, un fort coût social en termes de pouvoir d'achat pour les ménages et en termes de compétitivité pour les constructeurs automobiles.

De surcroît, nous ne pouvons pas ignorer les autres rendez-vous législatifs qui sont devant nous : le projet de loi de finances, qui comprend des mesures relatives à la fiscalité des carburants, avec par exemple le relèvement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques - TICPE - en faveur du financement des infrastructures de transport, à hauteur de quatre centimes d'euro par litre sur le gazole ; ou encore le projet de loi relatif à la transition énergétique, deux textes qui vont être discutés très bientôt par notre assemblée. N'est-ce pas à l'occasion de ces débats, qui seront amples et j'espère, exhaustifs, que nous devrions nous pencher sur ces questions, plutôt que de le faire en quelques heures seulement et de manière isolée dans cette proposition de loi ? À ce titre, je crois qu'il s'agit davantage d'une proposition d'appel.

Sur le fond, à l'article 1er, le dispositif n'est pas efficace en l'état. En effet, la taxe créée est inconstitutionnelle et se surajoute au malus existant. Je vous proposerai donc de donner un avis défavorable à l'adoption de cet article.

À l'article 2, la proposition d'un rapport sur l'indépendance de l'expertise technique est selon moi intéressante mais elle gagnerait à être insérée dans le cadre d'une réforme plus globale. Il conviendra néanmoins d'interroger le Gouvernement sur les modalités actuelles de l'expertise et sur ses intentions. Je vous proposerai donc d'émettre un avis favorable à l'adoption de cet article.

Enfin, à l'article 3, je souscris pour ma part pleinement à cette disposition relative au certificat de diagnostic d'éco-entretien, mais je vous indique qu'elle a d'ores et déjà été intégrée au projet de loi relatif à la transition énergétique pour une croissance verte, lors de son examen par l'Assemblée nationale. Le député Philippe Plisson avait en effet déposé un amendement reprenant cette recommandation 18 du Plan d'urgence pour la qualité de l'air, présenté le 6 février 2013, qui a été adopté. Je vous proposerai donc d'émettre un avis plutôt défavorable à l'adoption de cet article, qui ferait doublon. Il donnera lieu, en tout état de cause, à une discussion approfondie lors du prochain examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour une croissance verte.

En résumé, je comprends et adhère à l'appel lancé par le groupe écologiste à travers cette proposition de loi. Nous devons en effet prendre en compte le sujet des particules fines dans la gestion de notre parc automobile, mais pas selon les modalités proposées.

M. Hervé Maurey, président. - Je vous remercie pour cette présentation.

M. Louis Nègre. - Cette proposition de loi part d'un excellent sentiment puisqu'elle entend protéger notre santé. Il nous faut toutefois rester prudent puisqu'elle pourrait avoir des conséquences sur l'évolution de notre filière industrielle.

Hier, à l'occasion d'une rencontre avec le Président de PSA Peugeot Citroën, j'ai appris que l'augmentation de quatre centimes d'euros sur le tarif du gazole allait pénaliser ce groupe automobile, spécialiste des moteurs diesel, et se traduire, de fait, par un certain nombre de conséquences non encore totalement évaluées. J'ai par ailleurs découvert, avec étonnement, que l'air évacué par les pots d'échappement des nouveaux moteurs diesel était plus propre que celui qui y entre ! Enfin, j'ai appris que PSA Peugeot Citroën envisageait de créer un groupe de travail, en lien avec l'Assemblée nationale et des scientifiques indépendants, sur la pollution causée par les moteurs diesel. Je me suis permis de faire remarquer que le Sénat devrait y être associé !

Je partage la position de notre rapporteure pour avis sur les trois articles de la proposition de loi qui nous est transmise. Nous devons faire face à un vrai problème de santé publique. Je rappellerai que l'on compte 42 000 morts prématurés chaque année en France à cause de la pollution de l'air, qui est aussi à l'origine de 15 % des cancers. Nous savons que l'essor du diesel a été favorisé par une fiscalité avantageuse. Par conséquent, en soutenant les énergies bas carbone qui ne produisent ni particules fines ni NOx, notamment au travers des véhicules électriques ou à hydrogène, nous pourrions faire évoluer les comportements de nos concitoyens.

M. Hervé Maurey, président. - Le groupe PSA Peugeot Citroën avait déjà exprimé l'idée selon laquelle les moteurs diesel seraient aujourd'hui plus propres que les autres moteurs. Le souhait d'obtenir une expertise objective sur cette affirmation, aussi surprenante qu'elle puisse paraître, ne me semble pas injustifié. La France est en effet compétitive sur le segment des moteurs diesel, ne l'oublions pas trop vite !

M. Louis Nègre. - La compétitivité de la France en la matière est toutefois limitée, car les marchés automobiles chinois et américains sont portés sur l'essence, et non sur le diesel.

Mme Chantal Jouanno. - Nous sommes confrontés à un cas d'héritage d'une politique qui a fait le choix d'une filière technologique particulière. Un rapport du Sénat sur les véhicules propres avait recommandé, je crois, d'abandonner ce type de politiques très orientées. Il ne faut pas, aujourd'hui, basculer tout à coup sur un autre choix, en augmentant par exemple de quatre centimes d'euro le tarif du gazole. L'an dernier, j'avais déposé un amendement qui proposait de diminuer d'un centime d'euro la fiscalité sur l'essence et d'augmenter celle sur le diesel pour parvenir à un rééquilibrage sur dix ans. Or le Gouvernement avait alors estimé que cette proposition était trop brutale !

Monsieur le Président, je pense qu'il serait utile, en prévision du projet de loi sur la santé publique, de constituer un groupe de travail avec les membres de la commission des affaires sociales, pour analyser les liens entre la santé et l'environnement.

Il me semble nécessaire, en outre, d'utiliser un autre vecteur législatif - le projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, le projet de loi de finances pour 2015 ou le futur projet de loi sur la santé publique - pour inscrire dans une vision plus globale les objectifs de la proposition de loi qui nous est soumise pour avis.

Je soutiens également l'idée d'une expertise sur la pollution causée par les moteurs diesel, mais je préférerais que cette expertise soit coordonnée de manière indépendante et pluraliste par le Sénat, et non par un constructeur automobile.

Le débat doit être sain, apaisé et global. Nous ne devons pas oublier, par exemple, la problématique des avantages fiscaux pour les véhicules de sociétés.

M. Hervé Maurey, président. - L'idée de création d'un groupe de travail santé -environnement me semble pertinente. Je rappelle que le groupe de travail sur les mobilités, qui va reprendre ses travaux, pourra également servir de cadre à des débats.

M. Pierre Médevielle. - Je déplore le manque d'originalité de la solution de taxe et de surtaxe proposée à l'article 1er de la proposition de loi. Elle a en effet montré ses limites dans d'autres domaines.

Nous n'avons pas évoqué le cas des véhicules hybrides sur lesquels les constructeurs français et européens ont réalisé d'importants investissements, qui utilisent également le diesel. Je ne pense pas que les constructeurs soient disposés à abandonner cette filière !

M. Jean-François Mayet. - La surtaxe est malheureusement une solution française habituelle. Je suis opposé à tout ce qui découragerait les producteurs de moteurs diesel, non seulement parce qu'ils sont sur le point de gagner le pari de la « pollution zéro » mais aussi parce qu'on ne peut se passer, aujourd'hui et pour au moins quelques dizaines d'années encore, de ce type de moteurs sur les véhicules à forte puissance.

M. Hervé Maurey, président. - La parole est à notre collègue Gérard Miquel, qui a été rapporteur, au nom de la commission des finances, de la précédente proposition de loi relative à la nocivité du diesel pour la santé.

M. Gérard Miquel. - Je vous remercie, Monsieur le Président. Je partage les analyses de notre collègue Odette Herviaux, rapporteure pour avis. Nos constructeurs ont réalisé d'énormes progrès de recherche. Nous allons par exemple bientôt disposer d'un véhicule qui consommera 2 litres d'essence aux 100 kilomètres. Il y a des pistes pour faire évoluer les filtres à particules. Par ailleurs, les filtres à NOx équipent nos véhicules neufs. Pénaliser ces véhicules neufs avec une surtaxe pose un problème. La production de particules fines provient aujourd'hui essentiellement des transports, notamment des camions, que l'on a pendant longtemps équipé de filtres à NOx mais pas de filtres à particules. Les matériaux de travaux publics et le chauffage sont également d'importants émetteurs de particules fines. Ils en produisent plus que les véhicules légers !

L'électrique est certes une solution en ville, mais pas dans nos campagnes, en raison du faible nombre de bornes de recharge. Il faut aller vers le véhicule hybride et soutenir notre industrie automobile en ce sens. Elle en a bien besoin !

Que l'on prenne en compte dans le calcul du bonus-malus des éléments autres que les émissions de CO2, comme les émissions de particules fines, n'est pas infondé. Toutefois, nos véhicules diesel en émettent moins aujourd'hui que nos imposants véhicules à essence ! Quand j'étais questeur du Sénat, j'ai demandé que des véhicules diesel soient achetés en remplacement de véhicules à moteur essence qui consommaient 20 litres aux 100 kilomètres. Ces véhicules ont des filtres à particules et fonctionnent parfaitement. Aujourd'hui, on rachète des véhicules à moteur essence, dont la consommation est impressionnante !

Je ne suis donc pas favorable au vote de cette loi en l'état. Je conçois que le système de bonus-malus puisse être revu pour prendre en compte divers éléments polluants, mais nous ne devons pas oublier les difficultés liées à l'éloignement des villes d'un grand nombre de nos concitoyens, qui sont contraints de passer plusieurs heures dans les embouteillages pour se rendre sur leur lieu de travail. Dans nos campagnes, de nombreuses personnes n'ont pas d'importants moyens et achètent de petits véhicules diesel pour réaliser leurs déplacements. Il ne faut pas les pénaliser par des mesures drastiques. Il faut les aider à changer leurs anciens petits véhicules polluants par des véhicules qui le sont beaucoup moins. Taxer des véhicules récents qui sont devenus beaucoup plus propres serait dommageable.

La commission émet, à l'unanimité, un avis défavorable sur l'article 1er de la proposition de loi, un avis favorable sur l'article 2 et un avis défavorable sur l'article 3.

Nouvelle organisation territoriale de la République - Demande de renvoi pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis

M. Hervé Maurey, président. - Le projet de loi n° 636 (2013-2014) portant nouvelle organisation territoriale de la République intéresse, pour certains aspects, directement notre commission. Plus globalement d'ailleurs, notre commission devra veiller, à mon sens, à se prononcer sur tous les textes ayant une dimension « aménagement du territoire ».

Sur le projet dit « NOTR », plusieurs articles peuvent faire l'objet de notre saisine, en particulier les articles 5 à 7 relatifs à la planification locale - instauration d'un plan régional de prévention et de gestion des déchets et d'un schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire -, les articles 8 à 11 portant sur divers transferts de compétences en matière de transport, les articles 24 à 27 sur l'accès aux services publics, et l'article 14 concernant le seuil des intercommunalités.

J'ai reçu la candidature de Rémy Pointereau.

La commission demande à se saisir pour avis sur le projet de loi n° 636 (2013-2014) portant nouvelle organisation territoriale de la République et nomme M. Rémy Pointereau rapporteur pour avis.

Transition énergétique - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis

M. Hervé Maurey, président. - La commission des affaires économiques est saisie au fond sur le projet de loi n° 16 (2014-2015) relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.

Comme cela a été acté en Conférence des Présidents, notre commission a reçu une délégation au fond de cette commission sur plus de la moitié des articles, en particulier sur les dispositions relatives à la mobilité durable, à l'économie circulaire, à la prévention des risques et des déchets. Nous aurons également à nous prononcer sur les articles définissant les objectifs de la transition énergétique et sur ceux qui traitent des énergies renouvelables, de la sûreté nucléaire, de la transparence et de l'information.

Je rappelle que ce projet de loi n'est pas seulement un projet sur l'énergie.

Cette solution permet d'éviter l'effet « entonnoir » de la création d'une commission spéciale, dont le nombre de membres est limité à 36, ce qui aurait exclu du travail sur ce texte nombre de sénateurs de notre commission.

J'ai reçu la candidature de Louis Nègre.

M. Louis Nègre - Nous veillerons à travailler en bonne intelligence avec le rapporteur de la commission des affaires économiques. Il ne serait d'ailleurs pas inutile que notre commission procède à son audition sur certains sujets.

La commission demande à se saisir pour avis sur le projet de loi n° 16 (2014-2015), adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transition énergétique pour la croissance verte et nomme M. Louis Nègre rapporteur pour avis.

Communication du président

M. Hervé Maurey, président. - Je souhaiterais terminer en abordant deux sujets évoqués lors d'un échange avec M. le Président du Sénat.

Tout d'abord, je vous confirme que les commissions permanentes retrouvent pleine et entière compétence en matière de suivi et de contrôle de l'application des lois, dès lors que la commission qui en avait été chargé n'a pas été renouvelée.

Ensuite, je tiens à vous indiquer que la volonté d'ouvrir le Sénat sur l'extérieur s'applique aussi aux commissions. Nous nous inscrirons dans cette démarche. Le premier thème qui pourrait nous conduire à nous rendre sur le terrain est celui du dérèglement climatique, dans le cadre de la préparation de la conférence de Paris sur le climat.

Je rappelle enfin que le groupe de travail sur le climat est en cours de constitution, sous le pilotage de Chantal Jouanno.