Mardi 25 novembre 2014

- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -

Audition de M. Jean-Bernard Lévy, candidat proposé aux fonctions de président-directeur général d'Électricité de France (EDF)

La commission entend M. Jean-Bernard Lévy, candidat proposé aux fonctions de président-directeur général d'Électricité de France.

La réunion est ouverte à 14h30.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous entendons, en application de l'article 13 de la Constitution, M. Jean-Bernard Lévy, dont la nomination en tant que président-directeur général d'Électricité de France (EDF) est envisagée par le président de la République. À l'issue de cette audition, nous procèderons à un vote à bulletin secret. Pour procéder au dépouillement, nous attendrons la fin du vote de la commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale en fin d'après-midi. Si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions, le président de la République ne pourrait procéder à cette nomination,

Monsieur le Président, vous avez été élu vendredi au poste d'administrateur d'EDF par les actionnaires de l'entreprise réunis en assemblée générale. Le conseil d'administration d'EDF a validé dimanche votre nomination comme président-directeur général par intérim avec prise de fonctions immédiate. Sous réserve du vote des deux commissions au Sénat et à l'Assemblée nationale, votre nomination sera formalisée par un décret présidentiel après validation en conseil des ministres.

Votre parcours professionnel est impressionnant : depuis votre diplôme de Polytechnique et de l'École nationale supérieure des télécommunications, devenue Télécom Paris Tech, vous alternez une carrière en entreprise, chez France Telecom, Matra-Espace, Matra-Communications, la société de bourse Oddo et Thales, avec des passages dans des cabinets ministériels en charge des télécommunications et de l'industrie.

Vous nous expliquerez comment ces allers retours entre le monde de l'entreprise et la sphère publique ont enrichi votre réflexion sur le rôle de l'État en matière économique, notamment dans les secteurs stratégiques. Vous nous présenterez aussi la stratégie de développement que vous entendez mettre en oeuvre pour EDF en France comme à l'international.

M. Jean-Bernard Lévy, candidat proposé aux fonctions de président-directeur général d'Électricité de France (EDF). - Je suis fier et honoré d'être pressenti pour diriger cette belle entreprise de service public qui contribue au bien-être de nos concitoyens comme au rayonnement de la France à l'étranger. Je mesure le poids de mes responsabilités : 160 000 salariés, un chiffre d'affaires de 75 milliards, 40 millions de clients !

Je suis un ingénieur et un industriel. Après mes études, j'ai exercé pendant dix ans dans le secteur public, avant de rejoindre le privé, animé par la fibre de l'entreprise. J'ai rejoint ou dirigé trois grands groupes français : Matra, Vivendi et Thales. Je suis ainsi familier du secteur public français et des questions internationales. EDF a toutes les armes pour réussir, au service des Français, des collectivités territoriales et des entreprises, tout en contribuant à renforcer la compétitivité de la France sur la scène internationale. Je porterai une grande ambition, à la mesure de l'excellence de l'entreprise et des enjeux du XXIème siècle.

EDF est une grande entreprise de service public. Sa première mission est de fournir une énergie à un prix compatible avec le pouvoir d'achat des ménages et la compétitivité de nos entreprises. Le droit à l'électricité montre comment EDF est partie prenante de notre contrat social. Je tiens à rendre hommage aux présidents Roussely, Gadonneix et Proglio. Grâce à eux et à leurs équipes, les Français bénéficient d'une énergie largement décarbonée. Selon Eurostat, nos concitoyens paient leur électricité 35 % de moins que la moyenne de l'Union européenne, deux fois moins cher qu'en Allemagne. La qualité de service est remarquable, y compris dans les moments critiques. Les équipes sont animées du sens de l'intérêt général - leur mobilisation exceptionnelle lors de la tempête de 1999 a marqué les esprits. L'électricité produite par EDF est respectueuse de l'environnement ce qui place notre pays en pointe dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Le savoir-faire de l'entreprise est unique, grâce à l'expérience accumulée en matière de sûreté nucléaire, sur laquelle il n'est pas question de transiger. Dans un monde incertain où les crises géopolitiques peuvent remettre en cause l'accès aux sources d'énergie, EDF offre à la France la sécurité d'approvisionnement en électricité. Cette entreprise est le fruit d'une vision stratégique et d'une excellence technique bien françaises. Notre système énergétique est de tout premier ordre. Il entraîne une filière industrielle d'excellence, en particulier dans le nucléaire avec Areva, Alstom mais aussi 30 000 PME, qui représentent le tiers des achats d'EDF. Le volume des investissements est de 9 milliards d'euros chaque année. EDF joue aussi un rôle clef pour le développement équilibré des territoires grâce à sa filiale ERDF et ses 35 000 collaborateurs. EDF, enfin, est un employeur de choix pour les ingénieurs à la sortie de l'école. Elle accueille chaque année 6 700 alternants et a décidé de relever son niveau d'embauche pour former la nouvelle génération d'opérateurs, techniciens et ingénieurs.

Depuis sa création en 1946, EDF a toujours su relever les défis auxquels elle a été confrontée. La transition énergétique représente une opportunité enthousiasmante pour innover, développer de nouveaux services. Mon projet est qu'EDF devienne un acteur majeur des services énergétiques, secteur en forte croissance, de 5 à 10 % par an. Grâce à Dalkia, EDF sera présent sur l'ensemble de la chaine de valeur : la construction et la rénovation des logements, le conseil aux collectivités territoriales et aux clients industriels, et la production décentralisée.

Notre objectif sera de développer les énergies renouvelables. EDF Energies Nouvelles est déjà l'un des dix premiers groupes mondiaux grâce à son formidable parc hydraulique et ses investissements dans le solaire et le photovoltaïque. L'entreprise devra aussi renouveler son parc nucléaire. L'achèvement de l'EPR de Flamanville est la première de nos priorités. Nous devrons aussi mener à bien le programme de grand carénage qui allongera la durée de vie des centrales nucléaires construites depuis les années 1970, tout en respectant les prescriptions de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), ce qui aura un effet d'entrainement important pour l'industrie en France.

La transition énergétique répond aussi à des aspirations sociales, sociétales ainsi qu'à des contraintes environnementales. Il s'agira en particulier de traiter la précarité énergétique. Elle constituera le levier d'une croissance fondée sur la compétitivité de la filière énergétique.

Plusieurs mutations sont devant nous. Il faut tout d'abord améliorer la situation économique du groupe. Les écarts sont préoccupants entre les tarifs en vigueur et ceux qui avaient été convenus avec l'État, aussi bien pour les tarifs de détail que pour les tarifs régulés de gros comme l'Arenh. Ces écarts conduisent EDF à s'endetter sans cesse - c'est en s'endettant qu'EDF paie le dividende ! Un rééquilibrage tarifaire s'impose. Il faut aussi stabiliser la contribution au service public de l'électricité (CSPE) dont la croissance rapide constitue un souci. C'est à ce prix qu'EDF pourra rester l'un des premiers énergéticiens mondiaux.

La conduite de nos projets dans le domaine nucléaire constituera une autre priorité. Il faudra livrer dès que possible l'EPR de Flamanville 3 en respectant les devis. Le projet d'Hinkley Point est essentiel pour notre développement au Royaume-Uni, comme pour notre partenariat avec la Chine, atout majeur pour notre développement international depuis trente ans. Avec Philippe Varin, pressenti pour prendre la tête d'Areva, nous travaillerons à améliorer le partenariat entre les deux groupes. Nous devrons aussi baisser le coût des EPR. Enfin, nous devrons prendre des décisions pour les centrales de moyenne puissance pour lesquelles il n'existe pas encore d'offre claire.

EDF devra aussi jouer tout son rôle dans le domaine de la production décentralisée, celui des énergies renouvelables, dans des relations de confiance avec les collectivités territoriales pour les services énergétiques. La révolution numérique sera un outil pour renforcer l'efficacité énergétique. Le compteur Linky est une première application prometteuse.

Nous devrons conforter nos positions en Grande-Bretagne, Italie, Belgique, Pologne, et développer notre politique internationale dans quelques pays ciblés, comme la Chine, conformément à des objectifs stratégiques clairs.

Enfin, le dernier enjeu est la gestion des déchets à longue durée de vie. Le projet Cigéo est majeur. Nous devrons trouver un consensus avec l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) pour développer une filière de gestion de ces déchets issus de nos centrales qui n'existe encore dans aucun pays.

Un mot, enfin, sur mon projet managérial. L'avenir du monde dépend pour beaucoup du secteur de l'énergie. EDF a de multiples perspectives de développement. Les femmes et les hommes qui composent l'entreprise ont les compétences, la passion du service public, le sens du collectif, autant de forces sur lesquelles nous appuyer pour construire. Il incombe aux dirigeants de les mobiliser au service d'une aventure exaltante pour continuer à innover, entreprendre, aller plus loin. Premier énergéticien mondial, EDF doit se doter d'un projet à moyen terme ambitieux et rassembleur. Le contexte est stimulant : loi de transition énergétique, paquet européen climat-énergie, conférence de Paris sur le climat, etc. Pour rassembler derrière un projet stratégique partagé, je compte engager une transformation qui impliquera un effort de prospective, notamment à travers les programmations pluriannuelles de l'énergie prévues par la loi de transition énergétique. Dans ce cadre, le dialogue social aura toute sa place. Je veillerai aussi à la transparence, vis-à-vis des actionnaires, de l'État et du Parlement.

EDF est le fruit d'une aventure collective engagée il y a plus de soixante ans. Ceux qui ont participé à son histoire sont fiers, à juste titre, des succès du service public. Nos technologies sont enviées dans le monde entier et justifient l'attachement des collaborateurs à leur entreprise. Mon projet consiste à relever avec eux les défis à venir.

M. Ladislas Poniatowski. - EDF est une entreprise très endettée. Elle doit pourtant réaliser des investissements dans le nucléaire : travaux de mise en conformité des centrales aux normes post-Fukushima ou prolongation de la durée de vie des centrales, avec un coût estimé entre 300 et 600 millions d'euros par réacteur. Que pensez-vous d'une éventuelle ouverture du capital des centrales dans le cadre de sociétés d'économie mixte, comme dans l'hydraulique ? La France compte déjà cinq centrales qui n'appartiennent pas totalement à EDF.

ERDF gagne bien sa vie alors que le réseau de distribution est ancien. Pendant quatre ans un effort avait été réalisé pour investir sur le réseau. Mais depuis deux ans, EDF, reprenant ses mauvaises habitudes, ponctionne les résultats d'ERDF.

L'achèvement du réacteur de Flamanville a été reporté à 2017. Ce n'est pas bon pour notre image à l'export. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vos projets ?

La contribution au service public de l'énergie (CSPE) représente une charge que vous supportez, au point que l'on se demande si l'État ne compte pas sur vous pour boucler sa trésorerie. La loi sur la transition énergétique prévoit encore différentes mesures qui chargent un peu plus le baudet... Il faudrait relever les tarifs de l'électricité ; malheureusement ce n'est pas vous qui décidez, mais la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et le Gouvernement.

M. Yannick Vaugrenard. - Très grande entreprise nationale, EDF a une envergure internationale. Autre élément de satisfaction, le nucléaire a assuré notre indépendance énergétique. A cet égard, la crise a davantage touché nos pays voisins ayant misé sur les énergies fossiles, comme l'Allemagne devenue dépendante des importations de Russie. EDF doit être un acteur de la politique énergétique européenne destinée à assurer notre autosuffisance. Que pensez-vous de la volonté de faire passer la part de l'énergie nucléaire de 75 % à 50 % dans notre pays en relativement peu de temps et quelle différence entre le souhaitable et le possible?

Pensez-vous qu'un nouveau délai sera nécessaire à Flamanville ? Quelle sera in fine la différence entre le coût total et le coût prévisionnel ? Il est sans doute inévitable de prolonger la durée de vie des centrales. Mais la sécurité sera-t-elle assurée  dans des conditions optimales ? Quel serait l'intérêt pour EDF d'un rapprochement avec Areva ? Enfin, envisagez-vous d'accroître la recherche sur les énergies éoliennes et hydroliennes, afin de déboucher sur des projets de recherche appliquée ?

M. Daniel Dubois. - Comment convaincrez-vous le Gouvernement de la nécessité d'augmenter les tarifs ? Notre industrie bénéficie d'un bas prix de l'énergie qui lui offre un avantage concurrentiel important.

M. Gérard César. - Président de l'Association des maires de France en Gironde, je me réjouis des relations que nous entretenons avec ERDF sur le territoire. Je souhaite que le compteur Linky soit déployé non seulement dans les zones urbaines mais aussi dans les zones rurales. Tirant les leçons de la tempête de 1999, nous avons désigné des correspondants tempête chargé de guider les équipes de secours venues de loin, pour qu'elles ne perdent pas de temps. Que pensez-vous de leur action ? Enfin, où en est le chantier de Flamanville et qu'en est-il de la construction de la centrale en Bulgarie dont nous avions visité le chantier ? À l'époque, les normes de sûreté nucléaire entraînaient des surcoûts...

M. Philippe Leroy. - Quelles évolutions législatives attendez-vous pour améliorer les recettes qui constituent l'essentiel de vos revenus ? Il y va de votre capacité d'investissement. À cet égard, le grand carénage représente un enjeu important pour les économies locales, de l'ordre d'un milliard d'euros pour certaines centrales. Les sous-traitants ont du travail pendant plusieurs années, ce qui relance l'activité. Quelle priorité lui accordez-vous ? Enfin comment avance la recherche sur le stockage de l'électricité, en lien avec la réflexion sur les réseaux intelligents et connectés et la diversification des sources ?

M. Daniel Gremillet. - Vous souhaitez une hausse des tarifs. Comment faire pour que les industries françaises conservent un avantage concurrentiel qui compense les charges de personnel, et cela sans accroître la précarité énergétique des ménages ?

La séparation entre ERDF et EDF fait songer à celle entre la SNCF et RFF, dont on constatait les limites sur le terrain. Développez-vous des stratégies partagées pour plus d'efficacité ?

Enfin, notre société accepte mal les grands chantiers, qu'il s'agisse d'installer un parc éolien, de créer une retenue d'eau ou de développer le nucléaire. Comment entendez-vous faire pour convaincre les citoyens d'accepter les investissements nécessaires ?

M. Franck Montaugé. - Vous avez souligné la compétence et le sens du collectif des personnels d'EDF. Comment construirez-vous votre projet social ? Le statut des industries électriques et gazières de 1946 s'appliquera-t-il toujours pour les collaborateurs que vous recruterez à l'avenir ou deviendra-t-il l'exception ?

Mme Dominique Estrosi Sassone. - La collaboration entre Areva et EDF est indispensable. Qu'en est-il de l'accord de coopération sur la conception et la commercialisation des nouveaux réacteurs ? Les liens entre les deux conseils d'administration seront-ils accrus ? En outre, comment concilier la création d'un marché européen de l'énergie avec la volonté de promouvoir le développement durable ?

M. Jean-Claude Lenoir, président. - La loi sur la transition énergétique prévoit de ramener le pourcentage d'électricité d'origine nucléaire à moins de 50 % en 2025. Est-ce réalisable ?

Un ministre, qui a quitté le Gouvernement depuis, envisageait de fermer Fessenheim avant fin 2016. Il se disait alors qu'EDF avait lancé une procédure pour se conformer à la volonté de l'actionnaire. Avez-vous eu des précisions sur ce point ?

Avez-vous une idée du coût de l'énergie nucléaire ? Plusieurs commissions d'enquête se sont penchées sur le sujet au Sénat et à l'Assemblée nationale. La loi de 2010 sur le nouveau marché de l'électricité a obligé EDF à céder une partie de l'électricité produite par ses centrales nucléaires à ses concurrents à des conditions représentatives des conditions économiques de production. La CRE a fixé ce tarif à 42 euros. Est-ce bradé, comme le pensait Henri Proglio ? Nombre de parties prenantes l'estimaient à 56-60 euros et le contrat avec la Grande Bretagne est à 100 euros. Les directives européennes prévoient que le tarif régulé fixé par l'administration doit couvrir les coûts.

Avec Ladislas Poniatowski, j'avais cosigné le rapport donnant le feu vert au Gouvernement pour lancer le déploiement du compteur intelligent, indispensable tant que nous ne savons pas stocker l'électricité. Enfin, ne craignez-vous pas que l'État fasse les poches d'EDF dans un avenir proche pour récupérer la trésorerie avant de céder une partie de ses actions ?

M. Jean-Bernard Lévy. - Vos questions témoignent combien vous maîtrisez ces sujets. Je n'ai pas encore pris mes fonctions. Pour répondre avec précision, il me faudra revenir devant vous...

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Si vous êtes nommé demain, nous vous entendrons à nouveau en janvier, dans le cadre de l'examen de la loi de transition énergétique.

M. Jean-Bernard Lévy. - La plupart de vos questions visent la capacité d'EDF à assurer ses missions dans le cadre de l'équation économique qui est la sienne. Tous les gouvernements sont réticents à augmenter les tarifs, même si les calculs en montrent la nécessité. On inscrit des provisions au bilan, on retarde les décisions... ce qui peut placer, en effet, EDF en situation délicate. Si les tarifs n'augmentent pas, nous aurons à opérer des choix. Il nous faut rénover les réseaux de distribution d'ERDF. Le grand carénage fait l'objet d'un consensus ; nous devrons le mener à bien dans le respect des prescriptions de l'ASN, tout en accroissant le niveau de sûreté du parc actuel dans le cadre des normes post-Fukushima.

La loi relative à la transition énergétique nous aidera en matière de programmation. Elle ira de pair avec le renforcement de la transparence dans la présentation des différents scenarios d'investissement, qui facilitera l'indispensable remontée des tarifs.

Les ménages allemands paient leur électricité beaucoup plus cher que les ménages français mais entre industriels la différence est faible. Notre voisin a choisi de favoriser la compétitivité de l'industrie et l'activité économique ; nous avons privilégié les ménages. Il faudra réfléchir à la hausse des tarifs. La CRE joue un rôle central - et très apprécié - dans le suivi des analyses de coûts ; EDF souhaiterait que ses avis soient plus rapidement suivis par les décideurs politiques.

Des électriciens partenaires étrangers pourraient partager la charge des investissements nécessaires. Cela se pratique dans les zones frontières, en échange d'un droit d'enlèvement. EDF ayant besoin de cette capacité, je ne serai pas favorable à ce que des intérêts financiers, qui chercheront à optimiser leurs profits, soient intéressés sur la partie la plus compétitive et la plus stratégique de notre parc : le nucléaire. Oui à des partenariats ponctuels ; non au mélange des objectifs.

Je souhaite que s'ouvre une période de coopération sincère avec Areva. L'État a manifesté l'intention de nommer des administrateurs communs aux deux groupes - Philippe Varin, élu administrateur vendredi, est pressenti pour présider Areva ; d'autres pourraient jouer un rôle majeur. Tournons la page de l'hostilité entre ces deux grandes entreprises françaises. Nous avons des problèmes difficiles à résoudre : faisons-le ensemble, dans un état d'esprit positif. Des travaux préliminaires ont été menés ces derniers mois en matière technique mais aussi commerciale. Je veux mettre les mois qui viennent à profit pour avancer sur ces deux aspects avec Areva.

Nous ne pouvons que nous désoler de voir un grand projet comme celui de l'EPR, impliquant de grands acteurs comme EDF, Areva, Bouygues ou Alstom, et des centaines d'autres dériver ainsi sans que l'on puisse maîtriser ni les délais - on parle désormais de 2017 - ni les coûts. Je doute qu'un énième allongement des délais aide à respecter les devis ; les équipes devraient avoir pour objectif prioritaire de tenir les délais, sous l'égide de l'Autorité de sûreté nucléaire. Il en va de l'honneur national.

En matière d'énergies renouvelables, EDF a déployé des moyens de recherche amont très significatifs ; son centre de recherche principal déménage à la fin de l'année prochaine sur le plateau de Saclay. Ces moyens doivent être mis au service des différentes filières technologiques de l'entreprise. Le solaire et l'éolien sont des énergies intéressantes mais intermittentes : que se passe-t-il en cas de vent ou d'ensoleillement limité ? Le stockage qui pourrait y remédier constitue un problème en soi. EDF a engagé près de 600 millions d'euros dans la préparation de notre avenir technologique.

Je rejoins le sénateur Gremillet sur l'acceptabilité des énergies renouvelables : tous ensemble, Parlement, Gouvernement, collectivités territoriales, aidons notre pays à s'en sortir en rendant acceptables ces investissements. Cette acceptabilité par le corps social des décisions prises, et la réaction d'EDF aux impacts sociétaux de ces évolutions font partie du projet social collectif. EDF, très présent sur les territoires et dans le tissu associatif, souhaite jouer un rôle majeur dans ces débats, sur le terrain, pas seulement dans les colloques parisiens.

Le statut des industries électriques et gazières est une exception dans le droit français mais la règle chez EDF.

Le milieu rural doit bien sûr rester associé au développement d'EDF. Vous voyez dans le compteur Linky un instrument pour urbains : cela me surprend car je ne vois pas pourquoi son déploiement dépendrait de la densité de population mais je prends bonne note de votre inquiétude. L'association des élus et de tous les acteurs locaux en matière de préparation des relèves d'incidents ou de dérangement en cas de tempêtes est évidemment une bonne chose.

Enfin, Monsieur Lenoir, c'est à l'État de répondre aux questions relatives à la gestion de son patrimoine.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je vous remercie pour cet échange très intéressant.

La réunion est levée à 15h50.

Loi de finances pour 2015 - Mission « Politique des territoires » - Crédits « Ville » - Examen du rapport pour avis

La commission examine le rapport pour avis sur les crédits « Ville » de la mission « Politique des territoires » du projet de loi de finances pour 2015.

La réunion est ouverte à 16 h 30.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous allons commencer par l'examen du rapport sur les crédits « Ville » de la mission « Politique des territoires » du projet de loi de finances pour 2015. Avant d'entendre notre rapporteure pour avis, Mme Annie Guillemot, je donne la parole au rapporteur spécial de la commission des finances, M. Daniel Raoul.

M. Daniel Raoul, rapporteur spécial. - Merci monsieur le Président. Le programme 147 « Politique de la ville » résulte d'un changement de maquette et d'un regroupement qui a été opéré sous l'égide du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), créé par la loi du 21 février 2014. Le CGET est issu du regroupement de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar), du Secrétariat général du comité interministériel des villes (SGCIV) et de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé). Bien qu'il y ait des synergies possibles grâce à ce regroupement, je m'interroge tout de même sur l'opportunité de séparer le logement de la politique de la ville ; l'exemple de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) illustre bien les interactions qui existent entre ces deux thématiques.

En ce qui concerne l'évolution budgétaire du programme, les quatre actions conservent les mêmes montants pour 2015 en autorisations d'engagement (AE) et crédits de paiement (CP). La seule différence par rapport au budget précédent concerne la diminution des dépenses fiscales, liée à la baisse des zones franches urbaines (ZFU).

Je m'interroge sur l'opportunité de revoir cette maquette : est-ce bien l'endroit adéquat pour rattacher la politique de la ville ? Ne faudrait-il pas plutôt qu'elle soit rattachée au logement ? J'ai également une remarque sur le fait de prendre 150 millions d'euros sur les crédits d'aide à la pierre pour les transférer au Fonds national d'aide au logement (FNAL) : il s'agit d'aides à la personne alors que la priorité est bien d'alimenter les opérations Anru et le logement. Je me pose en outre des questions sur la trésorerie de l'opération Anru 1 : il reste 600 millions d'euros à solder. Le directeur général de l'agence m'a rassuré, en m'expliquant que certaines opérations ne seraient jamais soldées ; les avances ont été touchées, mais les programmes n'ont pas été terminés ou les fonds ont servi au financement d'autres opérations. Il y a par ailleurs toujours une surestimation entre l'enveloppe demandée et le montant nécessaire à la réalisation.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je propose que nous entendions à présent notre rapporteure pour avis, Mme Annie Guillemot.

Mme Annie Guillemot, rapporteure pour avis. - Merci monsieur le Président. Mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous présenter pour la première année les crédits du programme 147 « Politique de la ville » qui est désormais rattaché à la mission « Politique des territoires » inscrite au projet de loi de finances (PLF). L'examen de ce budget intervient cette année dans un contexte particulier : il s'agit du premier budget après l'adoption de la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, dite loi Lamy.

J'organiserai mon propos en deux temps : j'analyserai les crédits du programme 147 inscrits au projet de loi de finances ; je ferai ensuite quelques observations sur le nouveau programme de renouvellement urbain puis sur l'emploi des jeunes dans les quartiers de la politique de la ville qui doit rester une priorité.

S'agissant des crédits du programme, je tiens à saluer, dans un contexte global de restriction budgétaire, les efforts du gouvernement pour préserver les crédits destinés aux quartiers prioritaires de la ville. Les crédits du programme 147  diminuent certes de 9,8 % en AE et de 7,9 % en CP mais cette baisse correspond à une « économie mécanique » résultant de la fin de l'entrée dans le dispositif des ZFU à compter du 1er janvier 2015 et de la fin de l'expérimentation des emplois francs. Le budget de la politique de la ville est donc pour l'essentiel préservé en 2015.

L'essentiel des crédits de ce programme est concentré sur deux actions : l'action « Actions territorialisées et dispositifs spécifiques de la politique de la ville » et l'action « Revitalisation économique et emploi ».

En ce qui concerne l'action « Actions territorialisées et dispositifs spécifiques de la politique de la ville », qui représente 73 % des crédits du programme, les crédits sont stables à hauteur de 332 millions d'euros et sanctuarisés pour trois années. Cette action regroupe l'ensemble des crédits à destination, d'une part, des quartiers prioritaires dans le cadre des nouveaux contrats de ville qui bénéficieront de 173 millions et, d'autre part, des dispositifs spécifiques tels que le programme de réussite éducative ou les adultes-relais qui bénéficieront de 159 millions.

Aux crédits spécifiques de la ville, il ne faut pas oublier d'ajouter les crédits de droit commun, qui représentent 4,3 milliards d'euros dont la loi Lamy a réaffirmé qu'ils devaient être utilisés par priorité aux crédits de la politique de la ville. Deux nouvelles conventions interministérielles facilitent leur mise en oeuvre et ont été signées cette année : le 17 janvier avec le ministère en charge de l'artisanat, du commerce et du tourisme et le 5 mars avec le ministère de la culture et de la communication. Ce sont ainsi 12 conventions interministérielles qui ont été signées.

Enfin, il ne faut pas oublier que le présent projet de loi de finances consacre aussi 358 millions d'euros aux dépenses fiscales rattachées à ce programme. Plusieurs dispositions du PLF concernent en effet les quartiers prioritaires. L'article 7 applique le taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 5,5 % aux opérations d'accession sociale à la propriété réalisées dans les quartiers prioritaires de la ville et dans une bande de 300 mètres autour de ces quartiers. L'article 42 ter prolonge à partir de 2016 et jusqu'en 2020 l'abattement de 30 % de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour la construction de logements sociaux situés dans les quartiers prioritaires et prévoit un dispositif transitoire pour 2015.

Je dois cependant constater quelques retards dans la mise en oeuvre de la nouvelle géographie prioritaire de la politique de la ville. La fusion de l'Acsé dans le CGET a été reportée d'une année afin de finaliser les transferts de dispositifs budgétaires et financiers. C'est l'objet de l'article 57 ter qui est rattaché à ce programme. Ce report permettra notamment que les associations ne soient pas pénalisées s'agissant du versement de leurs subventions. Je vous proposerai donc d'adopter cet article sous réserve d'un amendement de coordination.

La liste définitive des quartiers prioritaires devrait être publiée d'ici la fin de l'année : nous sommes dans l'attente de la décision du Conseil d'État sur les quartiers ultra-marins qui empêche la publication de la liste définitive des quartiers et par ricochet, la détermination par l'Anru des quartiers bénéficiaires du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU). Enfin, le rapport du gouvernement sur la dotation de la politique de la ville n'a pas encore été remis au Parlement.

S'agissant des dotations, je souhaiterais dire un mot de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU) et des conséquences de l'amendement de notre collègue député François Pupponi. Cet amendement a permis de diminuer le nombre de communes éligibles à la DSU qui étaient contributrices à l'effort demandé dans le cadre de la baisse des dotations ; j'attire cependant votre attention sur la situation des communes « confrontées à une insuffisance de leurs ressources et supportant des charges élevées » qui au-delà du rang 250 devront fournir un effort important. Cette modification couplée pour certaines communes avec une hausse de la contribution au Fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) pourraient conduire à une diminution de leur dotation globale.

Pour ce qui concerne l'action « Revitalisation économique et emploi », les crédits diminuent de 31 % en AE et de 24 % en CP. Comme je l'indiquais précédemment, cette diminution des crédits s'explique par la fin de la possibilité d'entrée dans le dispositif des ZFU à compter du 1er janvier 2015. Un dispositif de remplacement sera proposé dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2014 : il prévoit une diminution du plafond des bénéfices exonérés de 100 000 à 50 000 euros et une diminution de la durée des exonérations à 8 ans. Enfin à partir de 2016, le bénéfice de cette exonération sera subordonné à l'existence d'un contrat de ville. Ces nouvelles dispositions devraient ainsi limiter les effets d'aubaine que présentait l'actuel dispositif.

En outre, le gouvernement a mis un terme aux emplois francs après avoir constaté que ce dispositif n'avait pas les effets escomptés. En effet, seuls 280 emplois ont été créés sur les 5 000 emplois attendus. Je souligne enfin que les crédits de l'Établissement Public d'Insertion de la Défense (EPIDe) prévus par cette action demeurent, quant à eux, stables.

Les crédits de l'action « Stratégie, ressources et évaluation » diminuent de 21 % en AE et de 20 % en CP en raison d'un changement de périmètre. Cette action finance notamment l'observatoire de la politique de la ville et le conseil national des villes. Un décret sera pris d'ici la fin de l'année pour préciser leur fonctionnement. Les crédits de l'action « Rénovation urbaine et amélioration du cadre de vie » sont également en diminution  en raison de l'achèvement d'opérations de subvention d'investissement. Au vu de ces différents éléments, vous comprendrez, monsieur le Président, mes chers collègues, que dans le contexte qui est le nôtre, le montant des crédits affectés à ce programme 147 me satisfait.

Je souhaiterais maintenant dans cette deuxième partie vous faire part de quelques observations sur le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU), d'une part, et sur l'emploi des jeunes des quartiers prioritaires, d'autre part.

Le NPNRU pour la période 2014-2024 concerne en priorité les quartiers présentant les dysfonctionnements urbains les plus importants, soit 200 quartiers parmi les 1 300 quartiers de la politique de la ville. Cette liste devrait être connue dans la première quinzaine de décembre. Il pourra s'agir de quartiers déjà concernés par le premier programme de rénovation et nécessitant des interventions complémentaires, ou des quartiers qui n'ont pas encore fait l'objet d'interventions. Comme vous le savez, l'Anru va devoir poursuivre la mise en oeuvre du programme national de renouvellement urbain (PNRU) et dans le même temps lancer ce nouveau programme, ce qui n'est pas sans poser quelques interrogations sur la capacité financière de l'agence. Actuellement, l'Anru décaisse 1 milliard d'euros chaque année. Fin 2013, il restait encore 1,7 milliard à engager et 4 milliards à payer. Sur les 12 milliards d'euros d'AE, il devrait rester entre 500 et 600 millions de fonds non utilisés, certaines opérations ayant pris du retard, n'ayant pas été engagées ou ayant coûté moins que prévu.

La loi Lamy a prévu que 5 milliards seraient affectés au NPNRU. Le bouclage de son financement est, je crois, en bonne voie. Pour la période 2015-2019, la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) devrait verser 30 millions par an et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) 10 millions sur la période. Il manque la contribution d'Action Logement qui est actuellement en cours de négociation et qui devrait s'élever à 850 millions par an entre 2015 et 2017, puis à 500 millions par an en 2018 et 2019.

En juillet dernier, la Cour des comptes faisait plusieurs recommandations sur le NPNRU dont la suppression du système des avances. Ce système présente, il est vrai, quelques imperfections et peut-être que certaines communes s'y sont engouffrées. Mais leur suppression ne me paraît pas être une bonne chose. En effet, rares seraient les projets de rénovation urbaine qui pourraient voir le jour sans une avance. La solution proposée par le ministre d'un versement d'une somme forfaitaire lors du commencement des travaux me paraît raisonnable, et non pas 18 mois avant à la signature du contrat de ville. Enfin, je crois que le NPNRU devra traiter beaucoup plus de cas de copropriétés que le PNRU. L'Agence nationale de l'habitat (Anah) est un interlocuteur privilégié. Entre 2006 et 2011, elle est intervenue sur 245 copropriétés intégrées dans un programme de rénovation urbaine et a engagé 127 millions de subvention. Outre des moyens suffisants pour l'Anah, des compétences particulières en matière d'ingénierie pour les copropriétés seront nécessaires. J'ai également noté avec satisfaction que la ministre entendait poursuivre une politique volontariste en la matière.

J'en viens maintenant à mon second point : l'emploi des jeunes dans les quartiers prioritaires. Selon l'Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS), le taux de chômage des jeunes habitant dans les quartiers prioritaires atteint 45 % contre 23 % pour le reste du territoire. En 2013, les ministres de la ville et de l'emploi ont signé une convention pour inverser cette tendance. Ces jeunes sont les premiers concernés par les emplois aidés qu'il s'agisse des contrats unique d'insertion ; des contrats d'insertion dans la vie sociale ou des emplois d'avenir. Les emplois d'avenir permettent qu'en échange de l'embauche d'un jeune de 16 à 25 ans sous certaines conditions, l'employeur bénéficie d'une prise en charge par l'État d'une partie de la rémunération du jeune pendant une durée maximale de trois ans. Au 31 août dernier, les résidents des ZUS représentaient 19 % des signataires de ces contrats seulement. Le gouvernement s'est fixé pour objectif que cette part soit portée à 25 % en 2014 et 30 % en 2015.

Je voudrais également souligner la réussite des clauses d'insertion dans les marchés publics, grâce à la charte de l'Anru. Au 30 juin 2013, plus de 19 millions d'heures d'insertion ont été effectuées dans le cadre de 375 projets de rénovation urbaine par environ 50 400 personnes. 65 % des bénéficiaires habitent les ZUS ou les quartiers concernés par les PNRU. La loi Lamy a renforcé ce dispositif et une nouvelle charte d'insertion devra être élaborée dans le cadre du NPNRU.

Un mot de la garantie jeune qui offre aux jeunes sans emploi, sans formation, un accompagnement renforcé des missions locales et une allocation de ressources. Ce dispositif expérimental concerne 4 800 jeunes. En juillet dernier, le président de la République a annoncé sa généralisation avec l'objectif d'atteindre 50 000 bénéficiaires en 2015. À ces dispositifs d'accès à l'emploi il faut également ajouter les dispositifs pour renforcer la qualification des jeunes. Les écoles de la deuxième chance, qui proposent à des jeunes sans qualification sortis du système éducatif un parcours de formation et une remise à niveau des savoirs, ont ainsi accueilli 13 500 jeunes en 2013, dont 5 000 étaient issus des quartiers prioritaires.

Un autre dispositif qui fonctionne bien : c'est l'EPIDe qui accueille en internat des jeunes en situation de retard ou d'échec, sans qualification professionnelle, sans emploi. En 2013, 3000 jeunes ont été accueillis, dont 37 % venaient des quartiers prioritaires. Le gouvernement s'est fixé pour objectif de porter ce pourcentage à 50 % en 2015. La réussite de ces dispositifs suppose néanmoins une forte mobilisation des opérateurs d'accès à l'emploi. Pôle emploi s'est engagé en 2013 à assurer la présence de ses services dans les quartiers prioritaires et à mettre en oeuvre des dispositifs spécifiques en leur faveur. Entre juin et décembre 2013, 546 agents supplémentaires ont été affectés dans les agences situés dans les quartiers prioritaires. En outre, Pôle emploi devrait être systématiquement signataire des contrats de ville.

Les missions locales sont un autre acteur majeur. Elles sont mobilisées pour suivre et aider de façon personnalisée les jeunes en difficulté d'insertion. Toutefois des efforts sont à faire puisque la part des jeunes des quartiers prioritaires parmi le public en contact avec ces missions locales connaît une baisse et représente 15,2 % des jeunes suivis. Enfin, je souhaite plus particulièrement mettre en avant les équipes emploi-insertion, composées d'un agent de Pôle emploi, d'un agent de la mission locale et d'un ou plusieurs agents recrutés spécifiquement par les collectivités territoriales ou les associations. Ce dispositif permet de faciliter l'accès des habitants à l'information sur l'emploi et la formation, de proposer un accompagnement, et d'établir ou de rétablir le lien entre les habitants d'un quartier et les opérateurs du service public de l'emploi, certains habitants n'osant pas franchir les portes de Pôle emploi ou ne pouvant s'y rendre.

En conclusion, monsieur le Président, mes chers collègues, je vous invite à émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 147 « Politique de la ville ». Comme je l'ai indiqué précédemment, l'article 57 ter prévoit le report de la fusion de l'Acsé dans le CGET. Je vous propose d'adopter un amendement de précision, certaines coordinations dans le code de l'action sociale et des familles ainsi que dans le code du service national étant nécessaires.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Merci madame la rapporteure pour cet exposé.

M. Jean-Pierre Bosino. - Je me félicite de la récente loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine qui a été votée au mois de février. J'aurais aimé quelques précisions sur les crédits de droit commun : vous nous dites 4,3 milliards d'euros de crédits de droit commun et 12 conventions ministérielles signées. Cela reste flou : comment allons-nous concrètement voir arriver ces crédits sur les quartiers prioritaires ? Je relève aussi une difficulté de comparaison sur les crédits spécifiques, puisque nous sommes dans une période de transition avec la création du CGET.

Mme Annie Guillemot, rapporteure pour avis. - Concernant les crédits de droit commun, il est possible de se référer à la présentation des crédits et des programmes concourant à la politique transversale par ministère dans le document budgétaire de politique transversale consacré à la « Ville ». Au cours de la concertation nationale sur la réforme de la politique de la ville, une recommandation avait été émise afin que les nouveaux contrats de ville intègrent une première partie sur le diagnostic des crédits de droit commun investis par les différents ministères. Je pense que ce diagnostic devrait également inclure les crédits de droit commun des agglomérations, des mairies, des régions et des départements. Sur les crédits spécifiques, ils sont donc sanctuarisés pendant trois ans ; un problème se posera toutefois pour tous les quartiers qui ne seront pas repris par le NPNRU.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Au sujet de cette nouvelle géographie prioritaire, il existe une inquiétude forte pour les territoires qui en sortent et deviennent des territoires en veille, sans qu'on sache comment continuer de les accompagner. La mobilisation de crédits de droit commun pour des actions en faveur de ces territoires devient en effet très difficile, du fait de la raréfaction des dépenses publiques. Comment pourra-t-on demain mobiliser des crédits pour les quartiers sortant de la géographie prioritaire dans un contexte de restriction budgétaire ?

Mme Annie Guillemot, rapporteure pour avis. - Mme Najat Vallaud-Belkacem avait proposé que sur les 5 milliards du PNRU 1, un milliard soit consacré aux territoires qui sortent de la géographie prioritaire. La politique de la ville ne devrait d'ailleurs pas concerner seulement les quartiers urbains en difficulté, mais traiter également les sites urbains et ruraux, car l'objectif est de réduire les écarts. On ne peut pas rester en politique de la ville pendant vingt ou trente ans, d'où la nécessité de prévoir des dispositifs de sortie. Dans la concertation nationale, la situation économique de l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Épareca) a également été évoquée. Il a été relevé un manque d'intervention à l'égard de certains quartiers qui sont sur le point de sortir de la politique de la ville. Le droit commun doit constituer un axe majeur de la mise en oeuvre des contrats de ville.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Pour autant, il convient aussi de ne pas être dans le flou permanent, d'avoir une lisibilité et une visibilité qui permette à chacun d'appréhender ces sorties ; force est de constater que l'incertitude prédomine pour le moment. Dernier point : qu'en sera-t-il s'agissant des contrats de projets État-régions (CPER) et de leur complémentarité avec les contrats de ville ?

Mme Annie Guillemot, rapporteure pour avis. - À l'heure actuelle, les projets de CPER ont été renvoyés par les régions et une renégociation est en cours, la signature des contrats de ville devant intervenir avant juin 2015. Le CPER pourra concerner un certain nombre de quartiers touchés par des nuisances autoroutières, ferroviaires ou aériennes.

M. Martial Bourquin. - Mon intervention concerne les ponctions du FPIC sur les communes qui bénéficient de la politique de la ville. Je suis maire d'une ville de 15 000 habitants comportant trois quartiers sensibles. Je me rends compte que la part de ce qu'il nous faudra payer au titre de la péréquation horizontale sera bientôt plus importante que la DSU reversée. Et ce en raison de la loi de 2010, qui avait été votée à l'époque avec l'idée de prendre aux riches et de donner un peu plus aux pauvres. Sauf que dans la réalité les choses ne se passent pas ainsi. Les secteurs industriels, qui comptent une population pauvre, avaient auparavant une richesse grâce à la taxe professionnelle (TP). À présent, ces secteurs ont toujours un problème de population pauvre, encore accentué par la désindustrialisation, et ne bénéficient plus de la TP. Ils participent cependant à l'écrêtement, l'agglomération répercutant à 50 % les ponctions qu'elle subit. Je pense qu'on ne peut pas laisser cette situation en l'état ; c'est le contraire de la vocation que devrait avoir la péréquation horizontale. On est en train de prendre aux plus pauvres. En 2010, nous avions pourtant demandé que les villes touchant la DSU ne soient pas soumises aux ponctions du FPIC.

Mme Annie Guillemot, rapporteure pour avis. - Ce n'est pas la triple peine, mais bien la quadruple peine. Il y a la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF), la baisse de la DSU à partir de la 150ème commune, les ponctions du FPIC et enfin la perte de DGF qui se produit en cas de démolitions de logements sociaux inadaptés et d'une baisse du nombre d'habitants.

M. Daniel Dubois. - La politique de la ville doit s'inscrire dans la durée, tout en requérant un accompagnement au quotidien : il y a une vraie nécessité de suivi du diagnostic. Où en sommes-nous exactement aujourd'hui sur les quartiers ayant bénéficié de l'Anru 1 ? L'urbanisme et l'architecture ont changé, le quotidien des habitants a-t-il aussi évolué ? Vous nous dites que nous en sommes aujourd'hui à 73 % de crédits de droit commun. Je ne remets pas en cause le quadrillage des quartiers, tout en soulignant que la problématique du lissage et des quartiers qui en sortent subsiste. Je me pose cependant une question de cohérence : les crédits de droit commun sont normalement ouverts à tous : s'ils font l'objet d'un ciblage, que devient la périphérie de ces quartiers ? Il convient sans doute d'affiner les politiques mises en place aujourd'hui. À un moment donné, lorsque les collectivités se trouveront en situation financière délicate, tout l'accompagnement volontaire qu'elles mettent en oeuvre pourra-t-il être poursuivi ?

M. Michel Le Scouarnec. - Je partage ce qui a été dit auparavant. Dans ma propre expérience d'élu local, j'avais mis l'accent sur la mixité sociale en créant des opérations tiroirs, prenant appui sur des résidences de 30 à 50 logements, avec une offre de diversification pour le logement entre collectif, semi-collectif et pavillonnaire. Je suis inquiet de voir que dans certains quartiers 45 % de jeunes sont frappés par le chômage. Y a-t-il une école dans le quartier ? Comment en arrive-t-on à une situation pareille ? Sur la démolition de barres d'immeubles, deux bâtiments avaient été vidés dans ma ville en prévision de leur démolition mais ont tout de même été inclus dans le recensement des logements sociaux, ce qui a accru sensiblement le taux de non-occupation et entraîné une baisse des dotations.

M. Bruno Sido. - La politique de la ville a été très bénéfique pour certaines de nos villes et j'y suis très favorable. Elle mérite donc d'être poursuivie, malgré le contexte budgétaire contraint, afin d'encourager la mixité sociale et la démolition des barres qui ne peuvent pas être rénovées.

Une question à l'attention de Martial Bourquin : je crois me souvenir qu'à l'occasion de la suppression de la taxe professionnelle, le Fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) a été mis en place. Aussi, je m'interroge sur les remarques formulées par Martial Bourquin eu égard à l'existence de ce FNGIR.

M. Martial Bourquin. - Il me semble qu'il faut distinguer deux opérations différentes. Le FNGIR garantit les ressources pour les collectivités et leurs activités industrielles privées de la taxe. Je parlais pour ma part d'un autre dispositif issu de la loi de 2010, où une péréquation se met en place afin de prendre aux plus riches pour donner aux plus pauvres. Avec ce système, les ponctions interviennent quand bien même la ville bénéficie de la DSU parce que l'agglomération répercute sur les communes.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Il reste que le problème qui a été posé au sujet de la baisse de la population doit être regardé de près. Je crois que nous aurons à y revenir au-delà de la discussion sur les crédits de la « Ville ».

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - On insiste beaucoup sur la mixité sociale, mais dans les quartiers les plus en difficulté, cette mixité sociale est surtout acquise par l'accession sociale à la propriété. Le gouvernement a renouvelé l'idée d'une TVA à taux réduit pour ces quartiers. Dans le protocole initial de l'Anru, il était prévu que dans certains quartiers s'ajoute une prime d'accession afin de renforcer l'attractivité de l'accession sociale. Je pense que cette piste d'une prime d'accession au démarrage devrait être poursuivie.

Il se pose également une question stratégique sur l'Anru : à ses origines, l'agence devait reposer sur un cofinancement entre l'État, les partenaires sociaux et les collectivités territoriales. Depuis plusieurs années déjà, les aides de l'État ont complètement disparu. Aujourd'hui, c'est le « 1 % Logement », la CGLLS, les HLM, les collectivités territoriales qui permettent de financer l'Anru. J'ai découvert que dans le fonctionnement de l'agence était en outre compris le traitement de fonctionnaires de l'État. En effet, les heures des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) consacrées au renouvellement urbain sont payées par l'Anru, avec aucun financement de l'État. Je souhaite dénoncer ce dysfonctionnement : que chacun paye les siens.

La politique de la ville est une politique essentielle. En ce qui concerne l'emploi dans ces quartiers, il y a un bilan des clauses d'insertion dans les projets Anru qui a été établi. Il convient de durcir à mon avis à la fois en termes de nombre et en nature des emplois promus les fameuses contreparties emploi dans les appels d'offres. Le taux de ce qui devrait être mis en insertion mériterait d'être plus élevé, évitant par la même occasion le recours à des sous-traitants étrangers. Un accord-cadre avec la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) et la Fédération française du bâtiment (FFB) serait probablement bienvenu. Il faudrait également donner aux quartiers un peu plus de compétences dans les emplois offerts, en valorisant entre autres l'apprentissage.

Mme Annie Guillemot, rapporteure pour avis. - D'une façon générale, je crois qu'il convient de rester très modeste : l'Anru a permis de donner un élan à la politique de la ville, même si un certain nombre de quartiers continuent de connaître des difficultés. Le sujet de la mixité est lié à la diversité des produits et à la politique de peuplement, qui a été abordée par la loi Lamy. Le grand défi qui nous est posé aujourd'hui concerne davantage les copropriétés dégradées - Clichy-Montfermeil, quartiers Nord de Marseille - que les grands ensembles. On devient très humble en regardant les effets de l'intervention publique.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je suis saisi d'un amendement de votre part, madame la rapporteure pour avis. Vous l'avez déjà présenté et je le mets donc aux voix.

L'amendement est adopté.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je soumets à la commission l'avis proposé par madame la rapporteure sur les crédits « Ville » de la mission « Politique des territoires » : il s'agit d'un avis favorable. Nous passons au vote.

La commission rejette l'avis favorable sur les crédits « Ville » de la mission « Politique des territoires », mais émet un avis de sagesse.

Loi de finances pour 2015 - Mission « Égalité des territoires et logement » - Examen du rapport pour avis

La commission examine le rapport pour avis sur les crédits de la mission « Égalité des territoires et logement » du projet de loi de finances pour 2015.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous en venons à l'examen du rapport sur la mission « Égalité des territoires et logement » du projet de loi de finances pour 2015. La parole est à la rapporteure pour avis, Mme Dominique Estrosi-Sassone.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - Monsieur le Président, mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous présenter pour la première année les crédits de la mission « Égalite des territoires et logement » inscrits au projet de loi de finances, dont le périmètre a été modifié, le programme « Politique de la ville »  étant désormais rattaché à la mission « Politique des territoires ».

L'examen de ces crédits intervient dans un contexte particulier. Le nombre de permis de construire a diminué de 12,6 % en 2013 pour atteindre 433 000 permis et la baisse des mises en chantier a également reculé de 4,2 %, soit 332 000 logements mis en chantier. Le journal Les Echos a ainsi pu titrer : « Construction de logements : un naufrage sans précédent ». Les mises en chantier à la fin de l'année 2014 devraient être inférieures à 300 000 unités. Il faut remonter à 1997 pour atteindre un tel chiffre et à l'époque il y avait 55 millions de Français quand aujourd'hui nous sommes 10 millions de plus.

Avant d'en venir à l'examen des crédits de cette mission, je souhaite au préalable rappeler que le budget comporte par ailleurs de nombreuses mesures qui concernent le logement : dispositif Pinel, extension du prêt à taux zéro, mesures pour favoriser la libération du foncier, crédit d'impôt pour la transition énergétique entre autres.

Ces mesures traduisent des dispositions annoncées dans les plans de relance du logement du Gouvernement de juin et août dernier et censées être une réponse à la crise du bâtiment. Les professionnels que j'ai pu rencontrer en sont globalement satisfaits mais ils m'ont cependant unanimement dit que la confiance ne reviendrait que si ces mesures s'inscrivaient dans la durée, et que si se mettait en place rapidement un environnement juridique et fiscal stable et lisible.

Or, je constate que plusieurs mesures du projet de loi de finances sont limitées dans le temps et donc ne sont pas de nature à restaurer la confiance.

Les incohérences du Gouvernement nuisent également au retour de la confiance : à peine l'encre du plan de relance du logement est-elle sèche que le gouvernement annonce dans le projet de loi de finances rectificative une mesure pour renforcer la taxation des résidences secondaires. Comment voulez-vous que les Français s'y retrouvent ! Il est indispensable que le Gouvernement adopte une vision stratégique globale et cohérente.

J'en viens maintenant aux crédits de la mission « Égalite des territoires et logement ». Les crédits de ces programmes augmentent sensiblement cette année, de près de 75 %. Mais cette forte augmentation est le résultat d'une opération purement comptable de budgétisation des aides au logement

Le programme 177 « Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables » regroupe les crédits de la politique de l'hébergement et d'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées. Les crédits de ce programme augmentent de 4,5 %.

Je voudrais ici m'arrêter sur les crédits de l'hébergement d'urgence qui augmentent de nouveau très fortement cette année de 21 %. Ces crédits permettent le financement des nuitées d'hôtel. Au 31 décembre 2013, le nombre de places en hôtel avait augmenté de 23 % par rapport à 2012 en raison :

- d'une part, de l'augmentation du nombre de familles avec des enfants en bas âge nécessitant une prise en charge spécifique ;

- et, d'autre part, de l'augmentation de personnes présentant une situation administrative particulièrement complexe.

En raison de l'insuffisance des places dans les centres d'accueil pour les demandeurs d'asile (CADA) et du principe d'accueil inconditionnel, les demandeurs d'asile sont accueillis dans les structures d'accueil et d'hébergement généralistes. 20% de ces places seraient ainsi occupées par les déboutés du droit d'asile. Ce taux peut même atteindre dans certains cas 60 %, et ce au détriment, il faut bien en convenir, d'une population fragile en situation de précarité, créant de fait une inégalité pour les plus démunis.

Dans la détermination du montant des crédits, le gouvernement a anticipé les conséquences de la réforme de l'asile qui devrait permettre d'accélérer les procédures d'examen. L'Assemblée nationale n'a pas encore examiné cette réforme et je ne sais pas quand son examen sera inscrit à l'ordre du jour du Sénat.

En réalité, cette réforme permettra seulement de libérer plus rapidement des places dans les CADA pour les demandeurs d'asile et le nombre de déboutés présents dans les hébergements d'urgence généraliste augmentera.

Je crois qu'il est temps pour le Gouvernement d'adopter une position claire à l'égard des déboutés du droit d'asile : seul l'éloignement ou la régularisation permettra de diminuer les tensions sur l'hébergement d'urgence.

En prenant en compte cette réforme qui, n'ayant pas encore été examinée par l'Assemblée nationale, ne devrait être applicable que dans le courant de l'année prochaine et dont la ministre du logement a reconnu devant nos collègues députés que son effet « sur le volume de demandeurs d'asile [était], à ce jour, impossible à quantifier », j'estime que le Gouvernement a manifestement sous-évalué les crédits nécessaires à l'hébergement d'urgence. Ces crédits sont insincères.

Le programme 109 « Aide à l'accès au logement », comprend essentiellement la contribution de l'État au financement du Fonds national d'aide au logement (FNAL). Ses crédits augmentent de 115 % ... pour des raisons comptables l'État ayant décidé de budgétiser les aides au logement.

Je souhaite souligner que les aides à la personne constitueront le principal poste budgétaire de la politique du logement, soit 11 des 13 milliards du budget du ministère !

À périmètre constant, les crédits augmentent seulement de 3 %. Les dépenses d'aides au logement devraient se poursuivre en 2015 en raison de la persistance de la paupérisation des ménages, et malgré l'hypothèse d'une stabilisation du nombre de chômeurs, loin d'être acquise.

Le gouvernement prévoit deux mesures d'économie : la première résulte de l'indexation sur l'inflation de l'abattement forfaitaire sur le revenu pris en compte dans les calculs d'aide. La seconde est prévue à l'article 52 du projet de loi de finances, qui est rattaché à la mission, et prévoit la réforme de l'APL-accession. L'APL et l'ALS seraient désormais attribuées uniquement lorsque les ressources du ménage diminuent de plus de 30 % par rapport à leur niveau lors de la signature du prêt ou du contrat de location-accession. Les députés ont reporté cette mesure d'une année après engagement de créer un groupe de travail sur les APL. Les professionnels du secteur de la construction sont unanimes pour considérer que la réforme du dispositif de l'APL-accession était un signal négatif envoyé aux Français et qu'elle aurait des conséquences désastreuses sur le nombre de construction. L'Union des maisons françaises estime ainsi entre 15 et 20 000 le nombre d'opérations qui ne pourraient pas être réalisées. En conséquence, je vous proposerai un amendement de suppression de cette disposition qui porte un mauvais coup aux familles et à l'accession à la propriété.

Il est très difficile de dire si les montants prévus seront à la hauteur des demandes. Si on se fie aux dernières années, j'ai envie de vous dire que non, des dotations complémentaires ont dû être attribuées en projet de loi de finances rectificative pour faire face aux dépenses ; je ne suis pas certaine que 2015 échappera à la règle.

Plus généralement, l'augmentation du nombre de bénéficiaires doit nous conduire à réfléchir à une refonte de ces aides et à cette occasion, à examiner comment faire pour éviter leur effet inflationniste sur les loyers

Je finis en indiquant que le FNAL qui gère les APL recevra également une contribution renforcée d'Action logement, encore lui...contribution exceptionnelle de 300 millions d'euros en 2015 contre 150 millions prévus initialement. Je vous proposerai également de supprimer cette disposition car comme me l'ont expliqué les représentants d'Action logement le financement des APL est très éloigné de leur mission première : l'investissement dans la construction !

J'en viens au programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat », dont les crédits diminuent fortement en 2015, de 9 % en autorisations d'engament et de 28 % en crédits de paiement. Ce programme comprend notamment les crédits budgétaires destinés à soutenir la construction locative et l'amélioration du parc, autrement dit les « aides à la pierre ».

Les crédits budgétaires destinés aux aides à la pierre sont en forte diminution : les autorisations d'engagement diminuent 47 millions et les crédits de paiement de 105 millions d'euros. Je déplore ce choix alors même que les collectivités territoriales ne sont pas en mesure de compenser cette baisse et que les HLM utilisent de plus en plus leurs fonds propres.

Je formulerai plusieurs observations :

- de nouveau cette année, cette diminution des crédits de paiement est compensée par 216 millions d'euros de fonds de concours issus d'un Fonds géré par la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). On va de nouveau prélever sur les taxes versées par les bailleurs sociaux. On ne peut pas accepter que l'État se désengage autant.

- les objectifs annuels de construction de logements sociaux restent fixés au même niveau depuis 2012, à savoir 150 000 logements, alors que ces objectifs ne sont jamais atteints ; je m'interroge sur leur maintien. Ne faudrait-il pas plutôt se fixer des objectifs moindres mais plus réalistes ?

- la subvention unitaire par logement social est supprimée s'agissant des PLUS et l'effort est concentré sur les PLAI ou sur les super-PLAI. Or je le redis nous avons aussi besoin d'aide pour les PLUS

- les crédits pour la surcharge foncière sont également en baisse.

Un mot du financement de l'Anah. Alors que le Gouvernement renforce le crédit d'impôt pour la transition énergétique, et s'engage dans la transition énergétique avec un projet de loi dédié, il ne donne pas à l'Anah les moyens d'assurer ses missions. Chacun d'entre vous a pu le constater dans son département, faute de moyens suffisants, l'Anah a dû restreindre l'attribution des aides du programme « Habiter mieux » qui a de bons résultats, aux seuls ménages très modestes, mettant ainsi de côté les ménages modestes.

La ministre nous a expliqué que le Gouvernement était conscient de la fragilité du financement de l'Anah avec pour principale ressource la vente des quotas carbone et que l'agence verrait augmenter ses ressources issues de la taxe sur les logements vacants de 30 millions et recevrait une contribution d'Action logement à hauteur de 50 millions.

Il n'est pas question ici de remettre en cause le rôle de l'Anah dans la lutte contre l'habitat indigne mais une remise à plat de ses ressources et de ses missions me paraît inévitable.

Enfin, le dernier programme, le programme 337 « Conduite et pilotage des politiques publiques de l'égalité des territoires, du logement et de la ville », qui regroupe les effectifs et les crédits de masse salariale du ministère de l'égalité des territoires et du logement, voit ses crédits diminuer de 3 %.

Je voudrais dire un mot également des dépenses fiscales dont je rappelle qu'elles sont pour cette mission aussi importante que les crédits. Pour 2015, elles sont en baisse de 6 %.

Enfin, j'ai souhaité, dans mon rapport écrit, m'intéresser à la question de l'adaptation de la politique du logement au vieillissement de la société. Selon les prévisions de l'INSEE, entre 2007 et 2060, le nombre de Français âgés de plus de 75 ans devrait doubler et celui des plus de 85 ans pourrait être multiplié par 4 !

En conclusion, au vu de ces différentes observations, je vous invite à émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Égalité des territoires et logement », à adopter deux amendements de suppression des articles 52 et 53 et à adopter sans modification l'article 54 rattaché à la mission.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je ne partage pas l'avis aussi négatif de la rapporteure même si la situation mérite que des actions soient mises en place.

Je rappellerai que la baisse du nombre de construction a commencé dès 2010. On sait qu'en France, la reprise se fait généralement après les autres pays européens. Or la situation de la construction de l'immobilier n'est toujours pas favorable en Europe. Par ailleurs, la faible croissance n'a jamais aidé à la relance de la construction.

Les professionnels ont salué les dispositifs proposés par le Gouvernement. Il est vrai qu'ils souhaitent leur entrée en vigueur le plus vite possible.

Le rapporteur nous dit qu'il faut un cadre stable : c'est vrai pour des dispositifs généraux tels que le PTZ ou certaines aides fiscales. Mais certains dispositifs sont limités dans le temps pour favoriser leur effet « booster ». C'est le cas des mesures de libération du foncier. On sait que si ces mesures s'inscrivaient dans la durée, le prix du foncier augmenterait.

Le plan proposé par le Premier ministre a été bien accueilli, il faut faire en sorte que ça se poursuive.

Le Gouvernement présente d'autres mesures importantes : en matière d'accession à la propriété avec l'allongement du différé d'amortissement pour le PTZ, les mesures d'application de la TVA réduite pour la construction de logement autour des zones Anru, ou encore pour le logement intermédiaire. La situation est alarmante, il faut faire réussir ces mesures.

On a de plus en plus orienté les crédits vers les aides à la personne et de moins en moins vers les aides à la pierre. Le problème de l'effet inflationniste des aides est un sujet compliqué. Je suis favorable au maintien des aides en matière d'accession, mais je crois qu'il faut distinguer les APL-accession dans le neuf et dans l'ancien. En effet, dans le neuf il n'y a pas d'effet inflationniste et un effet booster. Le report d'un an de la réforme de l'APL accession afin de tenir compte de la réflexion qui va être menée sur les aides à la personne me paraît un compromis raisonnable.

Je considère que la construction de 20 000 logements sociaux s'est trouvée bloquée du fait des changements de majorité aux dernières élections municipales. L'objectif de 135 000 logements sociaux me paraît raisonnable. Je partage les remarques de la rapporteure sur les PLUS et je rappelle que la construction de logements sociaux bénéficie d'une TVA à taux réduit.

M. Daniel Dubois. - La construction de logement est favorable à l'État. Cela signifie des rentrées fiscales liées à la TVA, une diminution du nombre de chômeurs. Je rejoins la rapporteure lorsqu'elle dit qu'il faut de la stabilité juridique, de la confiance. On est dans une situation extrêmement complexe.

J'adhère à titre personnel aux mesures correctives de la loi Alur prises par le Gouvernement, comme aux mesures de simplification qui sont proposées. Le problème est que la confiance n'est pas au rendez-vous.

S'agissant du soutien apporté par les collectivités territoriales au logement social, l'équilibre financier d'une opération de construction de logements sociaux locatifs n'est possible que lorsque les collectivités territoriales sont présentes. Les fonds propres des HLM sont de plus en plus souvent mis à contribution.

Les collectivités territoriales vont naturellement diminuer leur soutien. Dans ma commune, je ne pourrai pas assurer sur la durée mon soutien à la construction de logement.

S'agissant de l'Anah, on ne peut pas d'un côté dire qu'on va supprimer les logements qui sont des « passoires énergétiques » et, de l'autre, laisser l'Anah sans crédit. Au niveau local, on soutient les dossiers mais les financements font défaut. Il y a un problème de cohérence dans le discours. Ainsi, pour le programme « Habiter mieux », on a augmenté le plafond de revenus pris en compte dans l'attribution des aides mais on ne donne pas à l'agence les moyens de répondre à cette nouvelle demande.

Pour les constructions en milieu rural, ici encore il faut arrêter le double discours sur la ruralité. La meilleure façon de tuer la ruralité, c'est de diminuer les dotations et d'interdire de construire des logements. Petit à petit, les services publics sont supprimés, la population vieillit et on constate un effet de ciseau avec des besoins croissants pour des moyens en diminution.

Enfin, la loi Alur a contribué à figer les documents d'urbanisme, et à geler les terrains à bâtir.

M. Michel Le Scouarnec. - J'ai entendu beaucoup de vérités. L'aide des communes ou des intercommunalités en matière de logement est utilisée comme levier pour combattre le chômage. Je suis déçu par rapport à l'effort de l'État en matière de logement. Les besoins sont immenses et les moyens ne sont pas à la hauteur.

Je le redis, le nombre de personnes sans domicile fixe a augmenté de 40 % ces dix dernières années, 35 000 d'entre eux sont des enfants, le chômage de longue durée s'est accru de 60 % en cinq ans.

Le logement intermédiaire est nécessaire. Je tiens à la mixité sociale. La réponse globale pour le logement n'est pas à la hauteur.

Mme Élisabeth Lamure. - Les capacités d'accueil des hébergements d'urgence sont insuffisantes pour répondre aux demandes de nos concitoyens tombés dans la précarité. Les organismes souhaitent augmenter leur capacité d'accueil, mais ils sont bloqués en raison de normes contraignantes, dont celle interdisant de loger une personne seule dans une pièce de moins de neuf mètres carrés. Résultat : certaines personnes se retrouvent entassées dans des logements de fortune. Une solution serait de déroger à ces règles pour les seuls hébergements d'urgence qui accueillent des personnes à titre temporaire, pour la nuit par exemple. Madame Cécile Duflot lorsqu'elle était ministre m'avait répondu négativement. J'ai interrogé Madame Sylvia Pinel, ministre du logement sur cette question mais je n'ai pas eu de réponse, ce que je regrette.

M. Bruno Sido. - Les conseils généraux prennent en charges les mineurs étrangers isolés. Je m'étonne un peu des chiffres annoncés par notre collègue Michel Le Scouarnec sur le nombre de mineurs sans domicile fixe.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je voudrai signaler que lors du débat en séance publique hier soir, nous avons regretté la volatilité des crédits de l'Anah qui reposent sur la vente de quota carbone.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - Si les professionnels disent leur satisfaction à l'égard des mesures proposées, ils disent également que les effets du plan de relance se font attendre. Je donnerai l'exemple des mesures de simplification qui devaient être mises en oeuvre d'ici la fin de l'année, et dont on nous annonce maintenant un report courant 2015. Pour certaines d'entre elles, je pense notamment aux règles relatives à l'accessibilité, la mesure devrait même intervenir seulement lors du second semestre de 2015.

Le dispositif Pinel dont on avait annoncé la mise en oeuvre dès le 1er septembre 2014 a entraîné un attentisme de nos concitoyens du fait de son inscription dans le projet de loi de finances. De même, pour les mesures de TVA pour la construction de logement dans les quartiers prioritaires situés en zone Anru, cette mesure ne peut s'appliquer tant que nous n'avons pas la liste de ces quartiers. Le décalage qui existe entre le moment de l'annonce de la mesure et son entrée en vigueur est trop important et ne permet pas de rétablir la confiance.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Egalité des territoires et logement », adopte les amendements de suppression des articles 52 et 53 rattachés à la mission et émet un avis favorable à l'adoption de l'article 54 également rattaché à la mission.

Organisme extra parlementaire - Désignation

La commission propose les candidatures de Philippe Leroy et Bruno Sido comme membres titulaires appelés à siéger au sein de la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques.

Vote sur la proposition de nomination du président-directeur général d'Électricité de France (EDF)

La réunion est ouverte à 18h00

La commission procède au dépouillement du vote intervenu sur la candidature de M. Jean-Bernard Lévy, candidat proposé aux fonctions de président-directeur général d'Électricité de France.

Le résultat du dépouillement est :

- 22 voix en faveur de cette candidature ;

- 1 voix contre.

Mercredi 26 novembre 2014

- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -

Loi de finances pour 2015 - Mission « Économie » - Examen du rapport pour avis

La commission examine le rapport pour avis sur les crédits de la mission « Économie » du projet de loi de finances pour 2015.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur pour avis. - La mission « Économie » est historiquement constituée par de trois programmes : le programme 134 « Développement des entreprises et du tourisme », le programme 220 « Statistiques et études » et le programme 305 « Pilotage de l'économie française ».

Sur le programme 134, sont retracés les crédits permettant de faire fonctionner un certain nombre de dispositifs d'appui aux entreprises, notamment des PME, dans les secteurs de l'artisanat, du commerce et de l'industrie : il s'agit de dispositifs d'information, de formation, de soutien dans l'accès aux financements ou encore d'accompagnement dans la projection à l'exportation.

Le programme 134 porte aussi les crédits de certaines autorités administratives indépendantes chargées de la régulation économique : Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), Commission de régulation de l'énergie et Autorité de la concurrence.

Enfin, le programme 134 retrace les moyens de la direction générale de la concurrence, la consommation et la répression des fraudes dans les trois volets de son action : régulation concurrentielle des marchés, sécurité du consommateur et protection économique du consommateur.

S'agissant des programmes 220 et 305, ils retracent les moyens de deux administrations d'état-major (la direction du Trésor et celle de la Législation fiscale), ainsi que de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).

À ce noyau historique de la mission « Économie », viennent s'agréger, depuis deux ans, des programmes nouveaux, qui modifient considérablement le périmètre de la mission et qui rendent l'analyse globale de ses crédits peu significative. En 2014, il y avait ainsi trois programmes temporaires destinés à mettre en oeuvre certains aspects du nouveau Programme d'investissements d'avenir (PIA). En 2015, ces trois programmes ont disparu mais est apparu un nouveau programme 343 intitulé « Plan France très haut débit », qui porte pour 1,4 milliard d'euros d'autorisations d'engagements (AE) et sur lequel reviendra Philippe Leroy dans quelques minutes.

Il est évident que comparer globalement les crédits de la mission d'une année sur l'autre n'a pas grand sens compte tenu de l'instabilité des programmes qui la composent. J'ai donc choisi de me concentrer sur les crédits de ses trois programmes pérennes.

Les crédits de la mission pour 2015 s'élèvent à 1,79 milliard d'euros contre 1,92 milliard d'euros en 2014, en baisse apparente de 124 millions d'euros. En réalité, les moyens de l'opérateur Atout France (soit 34,2 millions d'euros en 2015) ont été transférés vers le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » et la subvention versée au laboratoire national de métrologie et d'essai, soit 10,2 millions d'euros, figure désormais sur le programme 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle ». À périmètre constant, la baisse des crédits de la mission économie est donc en réalité de 79 millions d'euros, c'est-à-dire -4 %.

C'est un effort significatif, qui vient après le recul de 73 millions d'euros intervenu en 2014 par rapport à 2013. Sur deux ans, la baisse atteint 7,5 %.

Le tiers de la baisse des crédits de la mission, soit 25 millions d'euros, concerne les programmes 305 et 220 relatifs aux directions générales du Trésor, de la législation fiscale et de l'INSEE. Le plafond d'emplois s'établit à 5 598 ETP pour le programme 220, en baisse de 1,9 % par rapport à 2013. Celui du programme 305 atteint 1704 ETP, soit -1,5 %. En deux ans, ces deux programmes ont perdu respectivement 4 % et 10,8 % de leurs emplois.

Le reste de la baisse des crédits de la mission, soit 54 millions d'euros, concerne le programme 134.

L'action 2 « Commerce, artisanat, service » perd 21 millions d'euros.

Le FISAC était annoncé dans la version initiale du texte à 9 millions d'euros, contre 20 millions l'année dernière, 25 l'année précédente et 36 en 2012. À l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a cependant adopté un amendement majorant de 8 millions d'euros les crédits du FISAC -dont le budget s'établit maintenant à 17 millions.

En réalité, comme vous le savez, les crédits du Comité professionnel de la distribution des carburants (CPDC) sont supprimés en 2015 et c'est désormais le FISAC, comme l'a indiqué la ministre Carole Delga lors de son audition devant notre commission, qui prendra en charge les dépenses de mise aux normes des stations-service. Cette ligne de dépenses, de 3 millions d'euros en 2014, viendra donc amputer d'autant les moyens du FISAC, qui ne disposera en fait que de 14 millions d'euros.

Je crois que cela appelle plusieurs commentaires.

Sur le ciblage des économies budgétaires d'abord. Le FISAC et le CPDC sont des dispositifs à fort effet de levier. L'impact économique et social d'un euro d'argent public investi dans ces outils est important pour les territoires ruraux et les zones urbaines défavorisées. Si nous sommes tous conscients de la nécessité de réaliser des économies dans la dépense publique, j'estime qu'il y a un coût d'opportunité important à concentrer les économies sur des dispositifs d'intervention dont l'efficacité est avérée.

Deuxième commentaire, sur la méthode. La responsabilité de la baisse des crédits du FISAC entre 2010 et 2014 est assez équitablement partagée, je n'y reviens pas. Cette année cependant, le FISAC a été réformé dans le cadre de la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises. Par ailleurs, en fin d'année dernière, la ministre, Mme Pinel, avait annoncé une rallonge de 70 millions d'euros sur deux ans pour apurer le stock des dossiers en souffrance. Je pensais donc qu'il y avait une volonté politique forte de remettre le FISAC sur les rails, d'en faire un outil certes redimensionné à la baisse mais néanmoins pérennisé. Or, en affichant cette année encore des crédits en très fort recul, le Gouvernement brouille le message. Veut-il le réformer pour le pérenniser ou au contraire l'euthanasier ? Quel sens cela a-t-il de maintenir un dispositif d'intervention d'ampleur nationale tel que le FISAC s'il est doté de seulement 15 millions d'euros ? Nous allons sans le dire vers son extinction. Tout cela est peu lisible et peu favorable à la consolidation de la confiance.

Un autre motif d'inquiétude concernant le petit commerce est la suppression de l'indemnité de départ en retraite instituée en 1982 en faveur de certains artisans et commerçants. Cette mesure figure à l'article 51 rattaché à la mission « Économie ». Depuis 2003, cette aide au départ est financée par l'État au sein du programme 134. Pour 2015, 5 millions d'euros ont été budgétés à cette fin. En 2013, l'aide au départ a bénéficié à 1 330 indépendants, soit 2 % des artisans et des commerçants liquidant leur retraite. Il s'agit des plus modestes, des travailleurs indépendants pauvres. Je suis opposée à l'extinction de cette aide, qui frappe une population économiquement très fragile. L'aide au départ a peut-être des défauts. Soit. Alors réformons les conditions de sa distribution. Cela peut se faire par décret. Mais ne la supprimons pas.

Parmi les autres baisses importantes de crédits, je signalerai le recul des crédits d'intervention en direction des entreprises industrielles (-17 millions d'euros à périmètre constant) et celui de l'enveloppe destinée à compenser le coût de la mission de service public de La Poste dans le transport de la presse (-20 millions d'euros).

On note à l'inverse que les crédits de certaines actions sont stables, voire même en légère hausse :

- les moyens des autorités administratives indépendantes (ARCEP, CRE et Autorités de la concurrence) sont stabilisés ;

- ceux de la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes sont en progression de 4,9 millions d'euros, soit +2 %. Cela correspond à l'élargissement important des missions de cette direction avec la loi consommation ;

- enfin, les crédits de l'action 7 relatifs au développement international des territoires sont en hausse de 10 millions d'euros. On peut se féliciter que l'effort financier dans ce domaine ne soit pas abandonné.

Au final, on voit à travers le budget de la mission « Économie » un recentrage de l'intervention de l'État sur ses missions économiques régaliennes (régulation des marchés, protection des consommateurs) et un désengagement de certains actions d'intervention. En elle-même, cette démarche peut se justifier dans le contexte financier difficile que nous connaissons. L'important est simplement de bien cibler le désengagement et de le faire de manière lisible pour les opérateurs économiques.

Cela m'amène à une dernière remarque, qui concerne les chambres de commerce et d'industrie. L'année 2015 est marquée par une nouvelle mise à contribution du réseau consulaire. Les CCI voient le plafond de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (TACVAE) baisser de 213 millions d'euros. Les chambres sont soumises par ailleurs à un prélèvement de 500 millions d'euros sur leur fonds de roulement.

Que les CCI participent à l'effort collectif de réduction des dépenses et de la fiscalité, il n'y a rien de plus normal. Mais ce que je désapprouve, c'est la méthode. Le prélèvement exceptionnel de 500 millions d'euros de cette année fait suite au prélèvement exceptionnel de 170 millions l'année dernière. Idem pour l'abaissement du plafond de la TCVAE.

La réduction de la recette fiscale des CCI pourrait être un levier efficace pour inciter les CCI à se réformer, mais comment se réformer sans visibilité pluriannuelle des ressources ? Qu'on baisse les recettes des CCI soit, mais qu'on le fasse de façon programmée pour qu'elles puissent s'organiser et qu'on le fasse de façon modulée pour que celles des chambres qui ont engagé des efforts de réorganisation importants puissent conduire leur réorganisation de façon rationnelle.

Au final, je m'en remets à la sagesse de la commission concernant l'adoption des crédits de la mission. On peut y lire un effort réel de maîtrise de la dépense, une préservation des missions régaliennes de l'État et de la priorité à l'export. En même temps, les dispositions relatives au FISAC et aux CCI constituent de vrais motifs d'inquiétude, qui font que l'approbation des crédits de cette mission ne peut se faire à mon sens que du bout des lèvres.

Par ailleurs, je vous proposerai de ne pas adopter l'article 51 rattaché qui supprime l'aide au départ pour les commerçants.

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. - J'ai choisi de consacrer mon rapport pour avis à un aspect particulier de la politique en direction des PME, à savoir l'accès des PME à la commande publique. L'incidence budgétaire et fiscale de cette politique est faible, mais son importance économique est considérable, puisque la commande publique représente quelques 80 milliards d'euros par an.

C'est le rôle notamment de la direction des affaires juridiques et de la direction générale des entreprises du ministère de l'Économie de mettre en place de règles destinées à éviter l'exclusion de fait des PME et d'impulser un travail pédagogique en direction des acheteurs publics et des fournisseurs privés pour qu'ils maîtrisent mieux les règles de l'achat public et qu'ils en exploitent mieux les nombreuses possibilités.

On observe à cet égard une grande continuité de l'effort dans l'action des gouvernements successifs depuis le milieu des années 2000. En témoigne le travail pour réformer les procédures de passation des marchés publics et les rendre non pénalisantes pour les PME.

La version 2006 du code des marchés publics comporte à cet égard de nombreuses avancées. Les marchés publics sont en effet désormais en principe allotis. L'article 28 institue une procédure dite « adaptée », applicable lorsque leur valeur du marché est inférieure aux seuils de procédure formalisée. Ses modalités sont librement fixées par le pouvoir adjudicateur, qui peut négocier avec les candidats sur tous les éléments de l'offre. La procédure dite des « petits lots » prévue par l'article 27 du code permet par ailleurs de recourir aux procédures adaptées pour l'attribution des lots inférieurs à 80 000 euros pour les marchés de fournitures et de services et à 1 000 000 euros dans le cas des marchés de travaux. Enfin, certains marchés publics peuvent également être attribués sans publicité ni mise en concurrence en dessous de certains seuils. Le seuil de dispense a été relevé de 4 000 à 15 000 euros par un décret du 9 novembre 2011. S'agissant de la sélection des candidatures, l'article 45 du code dispose que les capacités professionnelles, techniques et financières doivent être proportionnées à l'objet du marché. Les PME peuvent enfin, en application de l'article 51 du code, utiliser la technique du groupement d'entreprises et ainsi additionner leurs capacités professionnelles, techniques et financières - possibilité qu'elles exploitent rarement.

L'adaptation des règles de la commande publiques aux contraintes de fonctionnement des PME se poursuit. Le projet de loi de simplification de la vie des entreprises va permettre de transposer les deux directes relatives aux marchés publics entrées en vigueur le 17 avril 2014. Parmi les avancées, on peut relever :

- l'allègement du dossier de candidature par la substitution d'attestations sur l'honneur à certains justificatifs ;

- la limitation du chiffre d'affaires exigible au double du montant estimé du marché sauf justification ;

- le recours à l'allotissement, déjà obligatoire en France, qui permettra aux PME françaises de se positionner plus facilement sur les marchés publics de nos partenaires européens ;

- la mise en place d'une procédure de partenariat d'innovation. Le pouvoir adjudicateur pourra recourir à une procédure négociée par phases incluant le développement et l'acquisition d'un produit, d'un service ou de travaux nouveaux et innovants, sans avoir à procéder à une passation de marché distincte pour l'acquisition -dès lors que le marché porte sur une innovation, c'est-à-dire un produit, une solution ou un processus qui n'est pas disponible sur le marché ;

- la reconnaissance explicite de la possibilité de recourir à des critères sociaux et environnementaux en mettant en avant le cycle de vie des produits, ainsi que l'expérience et les qualifications du personnel ;

- l'obligation de rejeter une offre anormalement basse qui ne respecterait pas la législation sociale environnementale ou du travail ;

- l'extension du champ de la réservation aux opérateurs économiques employant au moins 30 % de personnes handicapées ou défavorisées, ainsi qu'aux acteurs de l'économie sociale et solidaire lorsque le marché a pour objet des services sociaux.

Un deuxième axe important de l'action de l'État dans le domaine des marchés publics concerne la réduction des délais de paiement. Le délai maximum de paiement pour les marchés publics de l'État a été réduit de 45 à 30 jours par un décret du 28 avril 2008 pour l'État et ses établissements publics. Cette disposition a été étendue aux collectivités territoriales depuis le 1er juillet 2010. Plus récemment, la loi du 28 janvier 2013 et le décret du 29 mars 2013 relatif aux retards de paiement dans les contrats de la commande publique ont renforcé les sanctions en cas de retard de paiement des acheteurs publics. Enfin, dans le cadre du Pacte national pour la compétitivité, la croissance et l'emploi, l'État s'est engagé à ramener ses délais de paiement de 30 jours à 20 jours. Des consultations des organisations professionnelles se tiennent actuellement sur ce sujet.

Parallèlement à l'évolution du droit de la commande publique, a lieu un travail visant à faire évoluer les pratiques des acteurs de la commande publique. Le recours à la dématérialisation fait partie des voies à suivre. Depuis le 1er janvier 2012, les acheteurs publics ne peuvent plus refuser de recevoir les candidatures et les offres qui leur sont transmises par voie électronique. Un travail de pédagogie et de professionnalisation est en outre mené pour diffuser les bonnes pratiques. Une disparité des pratiques est en effet observable aussi bien chez les acheteurs publics de l'État que chez ceux des collectivités territoriales, avec pour résultat une utilisation sous-optimale des marges offertes par le code des marchés publics. Le recours à une multiplicité de critères pour déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse devrait être généralisé, afin de prendre en compte non seulement le prix d'une offre, mais aussi la qualité ou le caractère innovant de cette offre par exemple, comme le permet le code des marchés publics. De même, les pratiques en matière d'allotissement doivent être optimisées. L'allotissement peut être :

- fonctionnel, afin de faciliter l'accès de PME spécialisées dans un secteur ou un corps de métier particulier ;

- géographique, afin de limiter les effets négatifs de la globalisation des achats, qui concerne notamment l'État.

La prise de conscience est désormais, je crois, réelle. Un décret du 15 juillet 2013 a réformé le Service des achats de l'État (SAE) en lui confiant la mission de « s'assurer que les achats de l'État sont réalisés dans des conditions favorisant le plus large accès des PME à la commande publique ».

Les entreprises dans lesquelles l'État a des participations sont également mobilisées au travers d'une charte signée par un grand nombre d'entre elles (Air-France-KLM, AREVA, DCNS, EADS, EDF, ERDF, Orange, GDF Suez, GIAT Industries/Nexter, La Poste, SNCF, etc...).

Par ailleurs, un guide de l'achat public, publié en septembre 2013, s'adresse à la fois aux acheteurs publics et aux entreprises.

Pour finir sur ce thème de l'évolution des pratiques d'achat, je voudrais signaler aussi la création, en 2012, d'une fonction de médiateur des marchés publics placé auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Son but est de faciliter les relations entre les entreprises et les donneurs d'ordre publics afin de régler certains litiges pouvant survenir lors de l'exécution d'une commande publique.

Indéniablement donc, un effort a été réalisé de manière continue depuis une petite dizaine d'années. Mais avec quel effet concret ? Je vous propose maintenant d'examiner quelques chiffres : ils sont décevants. La part des PME dans la commande publique, en regroupant les marchés de l'État, ceux des collectivités territoriales et ceux des grandes entreprises publiques est en effet restée stable : 28 % du montant total des marchés en 2009, puis baisse entre 2010 et 2011 et enfin rétablissement de la position des PME en 2012, qui est la dernière année pour laquelle on dispose de chiffres. On est loin des 44 % que pèsent les PME dans la valeur ajoutée marchande.

Doit-on forcément parler d'échec de la politique visant à faciliter l'accès des PME à la commande publique ? Pas forcément. Il est probable qu'en l'absence des mesures adoptées, la part de marché des PME aurait baissé. La politique conduite aura donc au moins permis de préserver leur position. Ceci étant, l'objectif initial était de renforcer la position des PME et il n'est pas atteint

Alors que faire de plus ?

En premier lieu, il est important de poursuivre l'effort engagé : accompagner les PME vers la commande publique, c'est comme les accompagner vers l'export. C'est un travail de longue haleine. Le travail de détection des fournisseurs potentiels, bien en amont de la passation des marchés, est essentiel : les acheteurs publics doivent s'investir davantage dans la connaissance des marchés, des fournisseurs, les rencontrer dans des salons, organiser un dialogue technique et économique en amont de la commande proprement dite.

Ce travail est en cours, mais il faut l'intensifier, en donnant une impulsion politique forte. Le Gouvernement s'est fixé l'objectif de consacrer 2 % du volume des achats publics de l'État, de ses opérateurs et des hôpitaux à des achats d'innovation d'ici 2020. C'est la mesure 32 du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi. Chaque ministère doit établir un plan d'action de l'achat innovant. Je propose que nous allions plus loin : l'élévation du taux d'accès des PME à la commande publique doit devenir un objectif prioritaire de l'évaluation des politiques en direction des PME. Pourquoi ne pas faire de cet objectif l'un des objectifs « phare » du projet annuel de performance de la mission « Économie » ?

Ma deuxième proposition porte sur la transposition des deux directives sur la commande publique adoptées en début d'année. Elles accordent des marges de manoeuvre aux États membres sur la question de la sous-traitance. Elles rappellent la nécessité de faire respecter par les sous-traitants les obligations applicables dans les domaines du droit environnemental, social et du travail. Elles rappellent également qu'il est nécessaire d'assurer une certaine transparence dans la chaîne de sous-traitance pour que les entités adjudicatrices disposent d'informations sur l'identité des personnes présentes sur les chantiers de construction et sur la nature des travaux réalisés pour leur compte. Elles indiquent aussi expressément que les États membres devraient pouvoir aller plus loin que les normes minimales, par exemple en élargissant les obligations de transparence, en autorisant les paiements directs en faveur des sous-traitants en permettant ou en imposant aux pouvoirs adjudicateurs de vérifier que des sous-traitants ne se trouvent pas dans l'une quelconque des situations qui justifieraient l'exclusion d'opérateurs économiques. Donc nous devons demander au Gouvernement d'aller aussi loin possible dans la transposition de l'article 88 relatif à la sous-traitance.

J'ajoute, au-delà de la transposition de ces directives, que le problème des travailleurs détachés au sein de l'Union n'est à mon sens pas réglé. Nous sommes en train de délocaliser le secteur du bâtiment, dont nous pensions qu'il n'est pas délocalisable, en autorisant le recours massif à des travailleurs détachés. Compte tenu de la gravité de la situation du secteur en France, une clause de sauvegarde serait nécessaire.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Votre rapport souligne une difficulté que chacun de nous peut constater sur son territoire.

M. Alain Chatillon. - Il y a une trop grande rigidité sur le marché du travail français. Tant que l'on n'aura pas assoupli ces règles, la concurrence des travailleurs détachés sera très forte. Des activités comme celles des marchés publics font face des rigidités qui les empêchent de répondre à la concurrence. Je suis d'accord avec la proposition du rapporteur sur une initiative au niveau européen, mais parallèlement nous devons travailler en interne à assouplir le marché du travail. C'est vrai aussi dans le secteur des abattoirs.

M. Jean-Pierre Bosino. - Je partage l'analyse et les conclusions du rapporteur, mais je tiens aussi à rappeler le contexte. Nous nous inscrivons dans la perspective d'une réduction de cinquante milliards d'euros de la commande publique. Cette baisse va peser lourdement sur l'investissement public et donc sur la commande publique. Dans le même temps, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi mal ciblé, qui distribue des sommes considérables sans contrôle et sans exigences de contreparties. Quand il y a recours à une sous-traitance sous payée, il ne faut pas oublier qu'en haut de la chaîne de la sous-traitance, on trouve une entreprise donneur d'ordre qui réalise des bénéfices importants en captant la valeur produite.

M. Daniel Dubois. - Je voudrais dire que ce qu'illustre le problème des travailleurs détachés, ce n'est pas le trop d'Europe, c'est le pas assez d'Europe. Une approche fiscale et sociale plus intégrée constitue de la solution.

La question des travailleurs détachés pose aussi le problème de l'excès de normes, de contraintes qui corsètent l'activité. Et plus d'activité, c'est plus d'emplois. Prenons le secteur de la construction : cent mille logements de moins, c'est deux cents mille emplois de moins. Libérons l'activité.

Enfin, les économies de dépense publique doivent être mieux ciblées. En pratiquant des économies sur les recettes des collectivités locales, on tue le tissu des entreprises locales. C'est une erreur de ciblage. L'effort demandé aux collectivités est sept fois supérieur à celui demandé à l'État.

M. Yannick Vaugrenard. - Je crois qu'il ne faut pas plus d'Europe, mais mieux d'Europe. Les travailleurs détachés en France, sont payés au SMIC ou au niveau de la convention collective applicable. Mais les charges sociales sont celles du pays d'origine. Au-delà, il y a aussi le problème du contrôle par l'inspection du travail. Je tiens aussi à dire que si le problème des travailleurs détachés se pose dans le bâtiment, il se pose aussi dans les chantiers navals. On construit actuellement à Saint-Nazaire le futur plus grand paquebot du monde. Il y a 15 à 20 % de travailleurs détachés. Et quand on en parle avec le directeur des chantiers, il répond qu'il est obligé de faire cela, sinon il n'obtient pas la commande. Il y a donc vraiment un problème majeur de concurrence déloyale et de droit social. Enfin je voudrais rappeler qu'une résolution a été adoptée il y a quelques mois par le Sénat à l'unanimité. Maintenant, il faut transposer cette résolution au niveau européen et cela suppose que les forces politiques qui la soutiennent devant l'opinion publique française tiennent le même discours dans l'arène européenne. Ce n'est pas toujours le cas.

M. Michel Houel. - Flexibilité. C'est le maître mot. Qu'on arrête avec les seuils de salariés.

M. Joël Labbé. - L'Europe nous donne des injonctions sur notre budget et nous impose en même temps des règles qui plombent nos PME. Il faut arrêter de subir l'Europe et la changer.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Il n'y a pas que les entreprises privées qui se tournent vers les travailleurs détachés. Dans la filière bois, ils sont très présents et l'un des tout premiers employeurs dans ce secteur est l'office national des forêts.

M. Martial Bourquin. - La part des PME est trop faible dans la commande publique. L'Europe nous donne la possibilité de changer les règles d'achat avec les nouvelles directives qui sont en cours de transposition. Il est important maintenant de changer la culture des acheteurs publics qui ont parfois des comportements d'achat que même les entreprises privées n'ont pas ou n'ont plus.

J'entends ceux qui disent que la baisse de la dépense publique est mal ciblée, qu'elle devrait davantage épargner les collectivités. Mais je m'interroge quand les mêmes prônent non pas cinquante mais cent milliards d'économies. Et alors là que deviendra l'investissement public ? Soyons cohérents dans nos discours.

Je finis sur cette idée de clause de sauvegarde. C'est une idée que je lance. Il y a péril dans certains secteurs. Si nous n'agissons pas très vite, des secteurs d'activité entiers vont disparaître. Certains défendent plus de flexibilité, disent que c'est la solution face au travail détaché. Mais regardons les faits, rencontrons les PME sur nos territoires ! Quand je discute avec des petits patrons, ils me disent que le SMIC et le droit du travail ne les empêchaient pas de travailler et d'investir, mais que le travail détaché en revanche est en train de tuer leur entreprise.

Alors travaillons à l'harmonisation sociale et fiscale. Mais cela fait des années qu'on en parle. Cela devient la nouvelle arlésienne. En l'attendant, nous devons agir tout de suite pour sauver nos emplois.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur pour avis. - Après avoir centré mon approche, les deux années précédentes, sur le commerce extérieur, qui comme l'a rappelé M. Laurent Fabius, est un « juge de paix » de notre compétitivité, j'ai souhaité vous commenter les crédits de la mission économie pour 2015 sous l'angle des PME.

En effet, alors que les grandes entreprises françaises sont assez largement internationalisées, les performances de nos PME sont très dépendantes de notre cadre juridique, fiscal et budgétaire national. Je souligne qu'elles en subissent très directement les inconvénients mais n'ont pas toujours les moyens d'en tirer tous les avantages car cela suppose une veille juridique comptable et fiscale exigeante en moyens et en temps. Sur le terrain, les entrepreneurs préfèrent se concentrer sur leur coeur de métier et un tel arbitrage est compréhensible compte tenu de l'instabilité de la norme.

Je commencerai par deux observations sur les crédits de la mission économie et les dépenses fiscales associées. La première concerne les 108,8 millions d'euros alloués en 2015 à Ubifrance et l'Agence française des investissements internationaux qui sont deux agences de l'État en charge de l'accompagnement des exportateurs et de l'attractivité de la France. La dotation diminue d'à peu près 3 % par rapport à 2014. Vous vous en souvenez, lors de l'examen de l'article 29 du projet de loi de simplification portant sur la fusion de ces deux agences, votre commission, a procédé en deux temps. Elle a d'abord approuvé ma suggestion de s'attaquer de front au problème de la lisibilité et de l'articulation d'une cinquantaine d'opérateurs. Puis elle a acquiescé à la stratégie du Gouvernement consistant, dans un premier temps, à fusionner les deux agences de l'État qui travaillent d'ores et déjà ensemble. Du point de vue budgétaire, les rationalisations institutionnelles sont souvent présentées comme des sources d'économie potentielles, puis on constate, dans la réalité concrète, des surcoûts. La fusion d'Ubifrance et de l'AFII n'échappera sans doute pas à cette règle : les surcoûts n'apparaissent pas dans les comptes mais ils ont étés confirmés par le Gouvernement à hauteur de 8 millions d'euros, dont 5 en 2014 et 3 millions en 2015 : ils devraient être couverts par des reports de crédits mais ils constituent une dépense nouvelle. Toute la question est de savoir si ces surcoûts seront transitoires ou structurels. Deux mécanismes pourraient présager d'une hausse de la masse salariale et d'une tendance à la réduction des ressources propres. D'une part, les statuts des personnels devront être harmonisés et, d'autre part, Ubifrance faisait payer ses prestations (ce qui représente 38 % de ses ressources propres) tandis que l'AFII, pour attirer les investisseurs étrangers, ne leur facture pas ses services.

Permettez-moi à présent de concentrer mon propos sur les 10 milliards de dépenses fiscales qui sont rattachées à ce compte au titre du CICE. Comme le confirment les représentants des PME, la première priorité est de stabiliser le CICE. Son démarrage a été difficile : nous avons presque tous des témoignages de PME pour qui la crédibilité du CICE n'était pas suffisante pour qu'ils l'intègrent dès l'origine dans leurs déclarations d'impôt. Budgétairement, alors que l'on s'attendait à ce que le CICE coûte 12 milliards d'euros en 2014, son montant s'est élevé à un peu plus de 8,5 milliards d'euros. L'enjeu est avant tout de sauvegarder ou de créer des emplois et de reconstituer les marges des entreprises pour leur redonner une capacité de survie et d'investissement. Ne nous trompons pas sur l'importance du CICE : comme l'a bien résumé Louis Gallois, il s'agit d'une « bouffée d'oxygène », en particulier pour les PME. De plus, les représentants des entreprises, ont estimé que les effets positifs du CICE pourraient être intégralement annihilés par la complexité du compte pénibilité, tout en rappelant qu'il ne s'applique pas aux travailleurs détachés.

Pour l'avenir, je crois utile de tracer des perspectives en analysant le lien entre le CICE et la principale préoccupation de notre commission qui est la réindustrialisation de notre pays et la montée en gamme de notre économie. Certes, par sa nature juridique, le CICE est un crédit d'impôt, mais la commission européenne estime à juste titre que cet outil fiscal s'apparente aux autres mécanismes d'allègement du coût du travail.

Je rappelle qu'historiquement, dans les années 1990, les premiers allègements de charges sociales ont étés conçus de manière offensive, pour favoriser la baisse des prix des produits français à l'exportation. Par la suite, les allègements de cotisations postérieurs à 1998 ont pu être qualifiés de « défensifs » puisque leur but était de compenser les hausses de SMIC, les 35 heures. Concentrés sur les bas salaires, les allègements de charges sociales ont amplifié deux tendances structurelles. D'une part, ils créent ce que l'on appelle une « trappe à bas salaire » : la France se singularise dans l'OCDE par une proportion très élevée de salariés rémunérés au voisinage du SMIC. D'autre part, les allègements de charge ou le CICE incitent à l'embauche de personnes dont la rémunération est inférieure à celle des salariés à hautes compétences pourtant nécessaires à la montée en gamme de notre économie. En contrepartie, il faut reconnaitre que la concentration des réductions de charges sur les bas salaires a un effet plus puissant sur le nombre d'emplois sauvegardés ou crées et elle permet de limiter le chômage des non qualifiés.

À présent que la mécanique est enclenchée le mieux est de ne pas en changer les règles en introduisant un dispositif complexe et irréaliste de conditionnalité. Cependant, à brève ou moyenne échéance, pour accompagner la montée en gamme de l'industrie et favoriser les entreprises exportatrices, il faudrait, soit différencier les aides par filières, pour favoriser les secteurs exposés, ce qu'interdit a priori le droit européen, mais qui est pratiqué, par exemple aux États-Unis, soit relever le seuil du CICE, par exemple à 3,6 Smic comme l'avait proposé Louis Gallois, mais alors le dispositif aurait un coût budgétaire bien plus élevé.

Le second grand axe de mon rapport souligne que la simplification, la mutualisation et le renforcement des réseaux sont au centre de l'amélioration de la compétitivité des PME.

Tout d'abord, l'audition des représentants des entreprises a confirmé que la complexité et surtout l'instabilité des normes conjuguées à la lourdeur des prélèvements obligatoires ont atteint un seuil qui rend la situation difficilement tolérable pour une majorité de PME, surtout en période de ralentissement économique. Je rappelle également que, pour les observateurs étrangers, la principale singularité du système fiscal français a longtemps été la solidité de son socle, c'est-à-dire le consentement à l'impôt des agents économiques, ce qui a permis aux dépenses publiques d'atteindre 57 % du PIB dans notre pays. Or ce pilier des institutions et du modèle français semble aujourd'hui avoir atteint ses limites. Comme l'a rappelé le prix Nobel d'économie lors de son audition devant la commission, la qualité du service apporté en contrepartie de ces prélèvements n'est pas encore optimale, ce qui justifie une stratégie de réduction du coût du secteur public tout en maintenant la qualité de ses prestations.

A l'occasion de ce rapport, j'ai cependant tenu à contrebalancer le constat de ces difficultés en montrant que certaines PME ont adopté des stratégies offensives qui prouvent leur efficacité et peuvent constituer des exemples de bonnes pratiques.

L'innovation et les pôles de compétitivité fournissent une bonne illustration de schémas de mutualisation qui améliore les performances des PME. La politique nationale des pôles de compétitivité, initiée en 2004, produit des résultats satisfaisants. D'après la deuxième évaluation des 71 pôles de compétitivité publiée en juin 2012, en moyenne, la participation à un pôle de compétitivité accroit le chiffre d'affaires des PME et ETI de 2 % par an et par entreprise. Les PME représentent 86 % des entreprises membres des pôles et elles bénéficient d'environ 65 % des financements. La troisième phase (2013-2018) des pôles de compétitivité se résume à une attente : améliorer les retombées économiques des efforts de R&D en les transformant en produits, procédés et services innovants mis sur des marchés clairement identifiés pour leur potentiel. À mon avis, cette doit constituer un critère fondamental de la sélection des projets. À travers différents programmes, le projet de loi de finances pour 2015 prévoit un peu plus de 100 millions d'euros de crédits destinés aux pôles de compétitivité, dont 90 millions au titre du Fonds unique interministériel (FUI) et 11,5 millions pour l'aide à la gouvernance des pôles. Seuls ces crédits de gouvernance sont rattachés à l'action n° 3 « Actions en faveur des entreprises industrielles » du programme 134 relevant de la compétence budgétaire de la commission des affaires économiques. Face aux objections suscitées par la forte baisse des moyens alloués au fonctionnement des pôles, qui passent de 16 millions d'euros en 2014 à 11,5 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2015, Emmanuel Macron, ministre de l'économie, a proposé de faire « la moitié de la route » par des reports de crédits pour porter la somme prévue de 11,5 à 14 millions d'euros, et, en outre, de mener une approche au cas par cas et pôle par pôle, pour abonder leurs crédits de fonctionnement.

Pour répondre aux attentes des PME, il conviendrait de recentrer la stratégie de simplification sur le critère du gain de temps procuré aux entreprises. Incontestablement, la simplification a été affichée comme une priorité au cours des dernières années. En pratique, l'impression générale, sur le terrain, est que cet activisme remporte quelques succès ponctuels, mais les efforts de simplification du stock de règles existantes sont contrecarrés par la persistance d'un flux de normes nouvelles qui produit une instabilité et une perplexité peu propices à l'initiative économique. De plus, les normes les plus récentes ont tendance à perdre en concision et en clarté et les représentants des PME ont regretté la multiplication des dispositifs pouvant donner lieu à de multiples interprétations. Face au bilan mitigé qui s'en dégage pour les PME, je suggère de réorienter notre stratégie de simplification en fonction d'un critère majeur : améliorer la « compétitivité-temps » de nos procédures pour permettre aux entreprises de se consacrer à leur performance économique et non pas à des procédures administratives. Le principal objectif des PME est aujourd'hui de limiter les pertes de temps imputables aux démarches ou aux hésitations juridiques et fiscales. De plus, le niveau élevé des prélèvements obligatoires justifie de franchir une nouvelle étape dans l'efficacité administrative car les inconvénients de l'instabilité normative apparaissent parfois, pour les entreprises, supérieurs aux avantages attendus par le perfectionnement des dispositifs. Par-dessus tout, l'exemple du compte pénibilité démontre l'effet dévastateur de dispositions adoptées sans évaluation précise de leur impact sur la vie des entreprises.

S'agissant, enfin, du financement des PME, je me limiterai à trois remarques. Tout d'abord, budgétairement, le programme 134 retrace les dotations de garantie versées à la Banque publique d'investissement (Bpifrance), pour un montant de 30 millions d'euros, tandis que les dotations d'intervention figurent au programme 192, pour 175 millions d'euros. Or, la plupart des grands pays consacrent des montants bien plus importants pour la politique industrielle. C'est pourquoi, il nous faudra veiller au moins à ce que les 30 millions d'euros prévus pour garantir les prêts aux entreprises viennent bien en supplément des reports de crédits de 2014. Cette cause mérite d'autant plus d'être défendue que l'effet de levier de ces crédits est considérable, un euro de dotation générant 10 euros de prêts, en particulier parce que la Bpifrance intervient en co-financement avec des banques privées.

Mes entretiens avec les représentants de la banque ont confirmé le faible dynamisme général des projets d'investissement et l'inquiétude la plus forte concerne le secteur des travaux publics. L'activité de la banque, dans ce contexte, progresse puisque sa stratégie en matière de crédit est de se concentrer sur les principales failles du marché. Par exemple, le préfinancement du CICE  a doublé en 2014 et représente 2 milliards d'encours : on m'a signalé que des TPE ont parfois recours à ce préfinancement pour des montants très faibles, ce qui témoigne de leur fragilité. Bpifrance finance également les investissements immatériels, alors que les banques hésitent à s'engager dans ce domaine.

Par ailleurs, elle s'attache à analyser les stratégies de rebond à succès des PME et ETI. Tout récemment, une étude concernant les filières industrielles dites « de l'ombre » - parce que les médias en parlent peu - témoigne de l'arrivée d'une nouvelle génération de dirigeants plus axés sur les réseaux ou les alliances et plus ouverts sur l'international. La mutualisation qui suppose une meilleure coopération entre grandes entreprises et donneurs d'ordres me parait une des pistes d'avenir pour l'éclosion d'un nouveau tissu industriel.

M. Marc Daunis. - Je note, tout d'abord, que l'effort budgétaire, dans le contexte difficile que nous connaissons, est maintenu.

Comme l'a souligné la rapporteure, s'agissant des pôles de compétitivité, on ne peut pas se satisfaire de la faiblesse de l'entrainement des PME par les grandes entreprises. Comme l'avait souligné mon rapport d'information sur le bilan des pôles de compétitivité, la réalisation de plateformes technologiques est fondamentale. Je souhaite que ce bilan soit réactualisé et je rappelle que le crédit impôt recherche est un des atouts majeurs. Je me félicité des avancées prévues par le Gouvernement pour maintenir les crédits de gouvernance des pôles de compétitivité.

M. Gérard Bailly. - Je rappelle l'importance de l'agriculture et de l'agroalimentaire qui est notre « pétrole vert ». S'agissant des animaux vivants, j'appelle à une vigilance particulière pour sécuriser nos capacités d'exportation. Il ne faut pas négliger la contribution des produits non transformés au solde positif de notre commerce extérieur et, pour cela il faut être très attentif aux normes sanitaires.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur pour avis. - S'agissant des crédits de gouvernance, le ministre a prévu d'ajouter aux 11,5 millions d'euros prévus par le projet de loi de finances, d'une part, 2 millions d'euros de reports de crédits et, d'autre part, au cas par cas, des crédits qui seront alloués aux pôles.

En ce qui concerne l'intervention de M. Gérard Bailly, je partage la nécessité d'accorder une grande importance aux barrières non tarifaires qui pénalisent nos exportations.

M. Philippe Leroy, rapporteur pour avis. - Je vais évoquer avec vous la partie « communications électroniques » de la mission « Économie ». Je le ferai en deux temps. Tout d'abord, une analyse des évolutions budgétaires pour 2015. Puis quelques développements sur les problématiques actuelles du secteur des communications électroniques : à savoir le déploiement de la fibre à travers le plan « France très haut débit », qui a pris le relais du « programme national très haut débit », sans que le contenu n'en soit véritablement changé...

L'analyse budgétaire porte tout d'abord sur les actions 4 et 13 du programme 134. Elles correspondent à des sommes relativement faibles 196 millions d'euros au regard du poids du secteur dans la richesse nationale. Avec 173 millions d'euros de dotations, l'action 4 voit ses crédits reculer de 11 %. Cela s'explique par la baisse de 20 millions d'euros des crédits consacrés à la compensation par l'État des surcoûts de la mission de service public de La Poste. Cette baisse s'inscrit dans les prévisions du protocole d'accord signé entre l'entreprise publique, l'État et la presse en 2008. Mon prédécesseur, Pierre Hérisson, aurait sans doute eu beaucoup à vous dire sur cette partie du programme. Pour ma part, je m'en tiendrai à plusieurs observations relatives aux communications électroniques. À ce titre, quelques mots de la dotation de l'Agence nationale des fréquences (ANFR), dont la dotation est inscrite dans cette action 4. D'un montant de 33,5 millions d'euros, elle est en recul de 0,8 %, après avoir déjà baissé de 2,8 % l'année passée, et de 3 % l'année précédente.

Ces diminutions récurrentes sont inquiétantes car la subvention pour charges de service public représente 90 % des ressources de l'Agence. Or, celle-ci voit ses missions s'élargir, et ses moyens se réduire ! Elle doit notamment gérer les problèmes de réception de la télévision numérique terrestre (TNT) dus à la proximité de fréquence de la 4 G ; elle a par ailleurs intégré, au 1er janvier dernier, la mission « très haut débit » supervisant le déploiement de la fibre. L'action 13 est consacrée à la « régulation des communications électroniques et des postes ». En léger recul de 0,7 %, avec 22,7 millions d'euros, elle finance l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Et là encore, nous retrouvons une situation d'extrême tension, une sorte d'« effet de ciseau » entre des dotations publiques en recul et des missions qui s'accroissent. Cette baisse s'inscrit en effet dans une trajectoire triennale 2015-2017 prévoyant une réduction drastique de ses effectifs et de ses moyens matériels. On sait que les relations entre l'Autorité et l'administration centrale n'ont pas toujours été au beau fixe. Pourtant, cette dernière - mais aussi la Cour des Comptes - reconnaît que l'ARCEP est un « modèle de vertu » en matière de gestion budgétaire. Malgré ces efforts remarquables, l'ARCEP est parvenue à une situation limite, avec une impasse de fin de gestion de 385 000 euros. Cela alors que ses missions s'élargissent, avec par exemple l'attribution des fréquences 4G dans les DOM et de la bande des 700 MHz. Aussi l'ARCEP a d'ores et déjà fait savoir qu'elle ne serait plus en mesure de financer trois de ses fonctions essentielles. Il y a lieu à mon avis de s'interroger sur la logique d'une délégation à l'ARCEP d'un nombre croissant de missions, dont l'État devrait demeurer seul garant ; l'action de l'Autorité excède en effet largement aujourd'hui le champ de la régulation, sans qu'elle en ait les moyens financiers. Il y a là un problème de cohérence et de principe sur lequel il faudrait débattre au fond ; peut-être la future loi numérique en sera l'occasion ?

Un mot du programme 407 « Économie numérique », qui a disparu cette année. Il comportait tout de même, dans la dernière loi de finances, 215 millions d'euros pour les quartiers numériques et 350 millions sur les usages et technologies innovants. Des appels d'offre ont été passés par les collectivités. Le Gouvernement devra nous renseigner sur l'usage qui a été fait de ces crédits. Peut-être ont-il servi à abonder les 215 millions d'euros de l'initiative French Tech ? Les financements en ont été alloués à différents opérateurs via le programme Investissements d'avenir (PIA), dont la Caisse des dépôts et consignations ; ils ne sont donc plus retracés en loi de finances. Il y a là un imbroglio institutionnel et financier qui nuit gravement à la lisibilité du budget ; cela a été également souligné par mon homologue de l'Assemblée nationale, Corine Erhel, et la ministre devra s'en expliquer.

J'en viens maintenant au nouveau programme 343 « Plan France très haut débit ». Il va me permettre de vous parler de l'état d'avancement de ce plan très ambitieux, et même plutôt « ambigu ». Il doit nous permettre d'avoir un accès généralisé au très haut débit d'ici 2022, selon l'objectif fixé par le président de la République en février 2013, et un accès pour la moitié de la population dès 2017. La priorité a été donnée à la fibre optique, qui doit desservir 80 % des foyers en 2022. La « montée en débit » est également soutenue, avec pour objectif d'apporter très rapidement un « haut débit de qualité » (3 à 4 Mbit/s au moins) à toute la population. Enfin, les technologies non filaires sont également prises en compte pour la couverture accessoire, celle des endroits les plus reculés (satellite, WiMax et WiFi, mais aussi diffusion mobile avec la 4G ...).

L'organisation territoriale passe par la réalisation de schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique, les fameux SDANT ; vous vous souvenez peut-être de la loi Pintat du 17 décembre 2009 qui les avait institués. Leur élaboration a bien avancé puisque tous les territoires français en sont désormais dotés, à 80 % à l'échelle départementale. Les collectivités se sont largement investies dans ce plan. Depuis 2005 je vous le rappelle, la loi leur permet de créer des réseaux numériques et de devenir « opérateurs d'opérateurs », nous y avions d'ailleurs beaucoup travaillé ici. À ce jour, 407 projets de tels « réseaux d'initiative publique » (les RIP) ont été recensés, parmi lesquels 52 ont un « volet fibre », pour 3 millions de prises situées en dehors des zones les plus denses. Un chiffre qui devrait monter à 5,3 millions en 2020, et 8,4 millions en 2035. Si les collectivités prennent donc leur part du « fardeau », les opérateurs annoncent qu'ils feront de même, en investissant 6 à 7 milliards d'euros d'ici 2020 pour couvrir 57 % de la population dans les zones les plus denses. De nombreux accords de mutualisation ont été passés entre eux pour réduire ces coûts.

Au-delà de ce « tableau général » qui paraît très positif, de grandes incertitudes subsistent sur l'effectivité de ce plan. Première limite : le déploiement avance lentement. 11,4 millions de logements sont désormais éligibles, nous dit-on. Cela est à nuancer. On inclut dans ces chiffres les technologies permettant d'arriver à 30 Mbit/s : câble et VDSL2 (ou cuivre amélioré) ; or ces technologies sont moins performantes que la fibre, et ne sont guère évolutives. Par ailleurs, « éligible » ne signifie pas « abonné » : sur ces 11,4 millions, seuls 2,3 millions le sont effectivement. Et sur ces 2,3 millions, seuls 715 000 sont abonnés à la fibre ! Bref, on voit mal comment l'on pourrait respecter l'objectif de 2022 en partant d'aussi bas, même si la croissance est forte (+ 28 % par an). Deuxième limite : le plan de financement est très hypothétique. Les besoins sont de 20 milliards d'euros au moins sur les 10 prochaines années. Les opérateurs doivent en assumer le tiers, mais leurs capacités d'investissement décroissent avec le ralentissement du marché des télécoms et l'intensificationt de la concurrence. Les collectivités, on l'a vu, doivent apporter 13 à 14 milliards, mais cela suppose une forte rentabilité des RIP et un bon cofinancement par les opérateurs, ce qui est sujet à interrogation. Enfin, l'État doit mettre 3 milliards sur la table, dont 1,4 milliard est mobilisé sur le programme 343 ; mais il s'agit d'autorisations d'engagement, les crédits de paiement ne devant être décaissés qu'en 2018 ou 2019, alors que les 900 millions d'euros du Fonds national pour la société numérique (FSN) sont sur le point d'être épuisés.Troisième limite : la gouvernance institutionnelle du plan est très « fumeuse », avec une mission très haut débit qui devrait être intégrée dans une agence nationale du numérique. Or, celle-ci regroupera par ailleurs la mission French tech et la délégation aux usages de l'internet. Comment tout cela se coordonnera-t-il avec les autres acteurs institutionnels du numérique : Conseil national du numérique, ARCEP, services ministériels... ? Quatrième limite : le risque de fracture numérique s'amplifie. Cela n'est pas du ressort de notre commission, mais il faut tout de même le rappeler : le très haut débit par la fibre risque bien de se limiter aux agglomérations les plus peuplées, le reste du territoire n'ayant accès qu'à un « haut débit gonflé ».

Voilà ma contribution à cette mission « Économie », et les nombreuses interrogations qu'elle suscite. Je me propose d'en faire part à la ministre en séance, en espérant obtenir des éclaircissements. Après mure réflexion, je vous propose d'émettre un avis de sagesse sur ces crédits tout en ajoutant que l'avis mériterait d'être très défavorable l'année prochaine si on ne remédie pas aux objections que j'ai pu soulever. Je vous suggère, en revanche d'approuver l'article 23 relatif à la vente de fréquences au bénéfice du ministère de la Défense, cet article étant rattaché à la présente mission budgétaire.

M. Jean-Claude Lenoir, président - Nous sommes marqués par le décalage entre d'une part, les multiples annonces qui sont faites, le foisonnement institutionnel et, d'autre part, la réalité de terrain qui se traduit par une aggravation de la fracture numérique et des collectivités qui sont amenées à apporter des financements.

M. Martial Bourquin. - Je rappelle que la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique a commis une erreur en ne prévoyant pas de péréquation entre les zones urbaines et rurales. En effet, les opérateurs tirent d'importantes recettes de leur activité en zone urbanisée et demandent aux collectivités territoriales une participation financière en zone rurale.

M. Daniel Dubois. - Je note, en matière d'investissement dans le numérique, une impasse qui se manifeste par des crédits d'engagements non assortis de crédits de paiement. Je rejoins les propos qui viennent d'être tenus sur le risque d'aggravation de la fracture numérique. Il faudrait alimenter le fonds d'aménagement numérique des territoires (FANT) par une contribution.

M. Bruno Sido. - J'estime qu'on peut nuancer ce qui vient d'être dit et l'État est peut-être trop ambitieux en visant une généralisation de la fibre partout sur le territoire à l'horizon 2022, ce qui parait difficile à atteindre. Il faut à mon avis conserver le réseau de cuivre et tirer parti des avancées technologiques. Par ailleurs je rejoins les critiques du rapporteur à l'égard de l'Arcep. J'ajoute que les collectivités locales sont effectivement amenées à prendre les choses en main pour répondre aux attentes de la population.

M. Jean-Claude Lenoir, président - Un mécanisme de péréquation demeure nécessaire pour réduire les fortes inégalités existantes.

M. Marc Daunis. - Je rappelle que l'Australie, malgré ses conceptions anglo-saxonnes, a développé un réseau public qui irrigue l'ensemble du territoire. À Bruno Sido, je fais observer que, par expérience, lorsque la fibre et le cuivre coexistent, on perd sur les deux tableaux : il faut donc abandonner le second au profit de la première. En tout état de cause, je me félicite de l'avis de sagesse du rapporteur qui prend acte de la réorganisation des crédits en harmonie avec la réalité des besoins. Je note également, à propos du programme 134, que l'effort consenti en matière de CICE contrebalance la diminution des aides directes aux entreprises. J'approuve également les propos de la rapporteure Elisabeth Lamure qui invite à raisonner en termes de compétitivité administrative.

M. Bernard Lalande, rapporteur spécial de la commission des finances. - Je vous remercie de votre accueil. En commission des finances, nous avons, comme vous le proposez, rejeté l'article 51 rattaché à la mission économie.

Le mécanisme du CICE présente l'avantage, par rapport à une diminution de charges sociales, de favoriser l'autofinancement dans toutes les entreprises, y compris celles qui n'exportent pas. Dans le but de favoriser le rattrapage de notre retard important en matière de robotisation, nous avons par ailleurs, proposé, par voie d'amendement, un dispositif d'amortissement exceptionnel dont nous allons affiner la rédaction pour préciser la notion de matériel industriel.

S'agissant du numérique, nous avons estimé nécessaire de clarifier et d'affermir la stratégie du Gouvernement. À cet égard, le rapport de M. Philippe Lemoine, remis au Gouvernement en novembre 2014 comporte 180 propositions très opportunes sur la transformation numérique de l'économie française. Ce ne sont plus seulement les entreprises mais aussi les particuliers qui innoveront en matière numérique. Nous rejoignons votre proposition de travailler conjointement à la redéfinition d'une péréquation numérique qui intégrerait les territoires ainsi que les opérateurs pour que les abonnés puissent contribuer à la réduction de la fracture numérique.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - J'approuve, comme nous tous, la suggestion de mettre en place un groupe de travail pour étudier les modalités d'un dispositif de réduction de la fracture numérique.

M. Philippe Leroy, rapporteur. - Je me réjouis de notre convergence de vue avec la commission des finances : confusion des objectifs, multiplicité. À Bruno Sido, je fais observer que l'ambition de la France doit être de faire bénéficier chaque foyer d'une prise coaxiale modernisée ou d'un accès à la fibre optique : c'est une nécessité pour pouvoir faire fonctionner les objets connectés de demain. Il ne faut donc pas travailler uniquement sur la base des indications qui sont diffusées par ceux qui en réalité, ont pour but de préserver la « rente cuivre ».

M. Bruno Sido. - La boucle cuivre appartient à Orange et, à mon sens, il parait difficile que la loi puisse imposer l'abandon de cette technologie sans indemniser cette entreprise.

M. Philippe Leroy, rapporteur pour avis. - Lorsqu' une usine ne vaut plus rien, ses propriétaires n'ont pas droit à indemnisation et il en va de même pour le réseau du cuivre, si sa valeur périclite.

M. Martial Bourquin. - Je souligne notre approbation des crédits de la mission « Économie » dont l'équilibre global est satisfaisant. Comme en témoignent l'ampleur des dépenses fiscales qui y sont rattachées, comme le CICE, rarement les entreprises auront bénéficié d'autant de considération de la part d'un Gouvernement.

La commission émet un avis de sagesse à l'adoption des crédits de la mission « Économie » et adopte l'amendement de suppression de l'article 51 rattaché.

Loi de finances pour 2015 - Mission « Écologie, développement et mobilité durables » - Crédits « Pêche et aquaculture » - Examen du rapport pour avis

La commission examine le rapport pour avis sur les crédits « Pêche et aquaculture » du projet de loi de finances pour 2015.

M. Michel Le Scouarnec, rapporteur. - Depuis trois ans, les crédits en faveur des pêches maritimes et de l'aquaculture ont été transférés de la mission « agriculture » à la mission « écologie ». Notre commission a, depuis, choisi de se prononcer par un avis budgétaire dédié à la pêche maritime et l'aquaculture. C'est la première fois que je rapporte devant vous sur ces crédits, prenant la suite de notre ancien collègue M. Gérard Le Cam.

Avant tout, il faut avoir à l'esprit quelques chiffres-clefs pour la pêche maritime et l'aquaculture : au 1er janvier 2014, la flotte française comptait 7 163 navires de pêche, dont un peu plus de 4 500 en France hexagonale et un peu plus de 2 600 dans les Outre-mer. La flotte est très largement une flotte artisanale. Rien qu'en France hexagonale, on compte 3 623 navires de moins de 12 mètres. Ceux de plus de 12 mètres et moins de 25 mètres ne sont que 809 et ceux de plus de 25 mètres, qu'on peut qualifier de navires de pêche industrielle, à peine 104 ! Le nombre de marins-pêcheurs était en 2013 de 16 887, en baisse de 14 % depuis 2008. Le rapport entre le nombre d'emplois en mer et d'emplois à terre étant de l'ordre de 1 pour 4, cela signifie qu'un peu moins de 100 000 personnes vivent en France de la pêche maritime.

Le chiffre d'affaires de ce secteur ne représente qu'environ 1,1 milliard d'euros, pour 533 000 tonnes de poissons et crustacés débarqués chaque année dans les ports français. Au final, la pêche maritime est un petit secteur, et l'aquaculture plus encore : dominée par les productions de moule - mytiliculture - et d'huitres - ostréiculture - qui représentent les trois quarts des tonnages vendus, soit 150 000 tonnes sur 200 000 environ, et 500 millions d'euros de chiffre d'affaires, l'aquaculture ne décolle toujours pas en France. Le poisson reste pourtant un produit prisé des consommateurs, avec plus de 35 kg de poissons consommés par personne et par an. Mais 80 % de la consommation provient des importations. La France est loin d'être autosuffisante, alors que nous disposons de beaucoup de côtes et de ports.

La situation des pêcheurs est très contrastée : d'une région à l'autre et d'une pêcherie à l'autre, la tonalité n'est pas la même. Les pêches sélectives, avec des circuits courts de distribution, ont de meilleurs résultats économiques, d'après les informations fournies par le Comité national des pêches maritimes et élevages marins (CNPMEM). Les pêcheries du Nord de la France, qui exercent dans les mêmes eaux que les flottes anglaise ou hollandaise, sont à l'inverse soumises à rude concurrence, sur des stocks de poissons qui ne sont que de passage dans des eaux très disputées.

Surtout, la pêche française doit faire face à des contraintes extrêmement fortes qui pèsent sur son activité et résultent d'une réglementation toujours plus stricte de la politique commune de la pêche (PCP), mise en place à partir de 1983.

Entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2014, la nouvelle PCP s'inscrit dans la continuité de la précédente, avec des quotas fixés par espèce et par zone, en fonction des meilleurs avis scientifiques. La réforme vise cependant à être plus exigeants, en permettant une exploitation des stocks au rendement maximum durable (RMD) dès 2015, chaque fois que cela est possible, et en tout état de cause au plus tard en 2020. Ce principe conduit parfois à des baisses drastiques de quotas, qui mettent en difficulté les pêcheries : cette année, la commission européenne propose une diminution des quotas pour 45 espèces de poissons de l'Atlantique, de la mer du Nord et de la mer Baltique. Les baisses sont de 64 % pour le cabillaud en mer celtique, de 60 % pour la sole en Manche-Est, de 41 % pour l'églefin... A l'inverse la Commission propose d'augmenter certains stocks qui se reconstituent correctement. La hausse de quota la plus spectaculaire, décidée dans une autre enceinte que celle de l'Union européenne, est celle de thon rouge en Méditerranée : le quota total passera de 13 500 tonnes aujourd'hui à 23 155 tonnes en 2017.

Une autre contrainte apportée par la PCP concerne l'interdiction des rejets en mer. D'application progressive jusqu'en 2019, cette mesure nécessite néanmoins d'importantes adaptations pour la pêche française, qui devra débarquer l'intégralité des prises.

Enfin, d'autres contraintes doivent être prises en compte par certaines pêcheries : ainsi, la contestation persistante de la pêche en eaux profondes et les perspectives d'adoption du nouveau règlement européen qui l'encadre très strictement font peser une menace pour les armements qui la pratiquent.

Dans ce contexte, les crédits de l'État en faveur des pêches maritimes et de l'aquaculture sont en très légère diminution, passant pour 2015 à 47,9 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) comme en crédits de paiement (CP), contre 49,5 millions en 2014, 52 millions en 2013 et 60 millions en 2012.

Le financement des actions régaliennes, concernant le contrôle des pêches, la collecte de données ou encore l'appui technique aux organisations internationales ou au fonctionnement des comités consultatifs régionaux, est stable, à 16,7 millions d'euros. Notons que les moyens humains de contrôle ne figurent pas dans les crédits de la pêche. La Cour des comptes estime que, hors gendarmerie maritime et marine nationale, compétentes à l'égard de tous les navires, et notamment de transport, les moyens humains mobilisés pour le contrôle des pêches rassemblent 480 équivalents temps plein environ. J'ai été alerté par le responsable du port de Lorient sur l'existence d'erreurs dans la mise en oeuvre des contrôles, auxquelles il faudra remédier.

La participation de l'État à la caisse chômage intempérie des marins-pêcheurs, s'élève à 6,6 millions d'euros, en très léger reflux par rapport à 2014 et 2013. Cette caisse est alimentée par une même somme provenant des marins eux-mêmes.

Le bloc budgétaire des actions de soutien de l'État à la filière pêche et aquaculture est quasiment stable, à 24,6 millions d'euros en 2015 (contre 25 millions d'euros en 2014). La fin des plans de sortie de flotte et des contrats bleus a un impact direct sur ces crédits, qui constituent, pour l'essentiel, la contrepartie de crédits européens, par exemple pour l'aide à l'installation ou encore la mise en oeuvre de partenariats scientifiques avec les pêcheurs, ou l'aide au stockage des prises accessoires. L'installation des jeunes reste un souci majeur. L'achat de petits bateaux d'occasion nécessite de mobiliser déjà plusieurs centaines de milliers d'euros.

L'essentiel du soutien public à la pêche et à l'aquaculture relève en effet des crédits européens, et en particulier du nouvel instrument financier de la PCP, le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP).

La France bénéficie, au titre du FEAMP, de 588 millions d'euros sur la période 2014-2020, dont 369 millions d'euros au titre de l'action économique en faveur de la filière pêche et de l'aquaculture, ce qui est bien plus que les 216 millions d'euros du précédent instrument financier, le Fonds européen pour le pêche (FEP), pour la période 2007-2013. La France bénéficie de la deuxième enveloppe de crédits derrière l'Espagne et enregistre 70 % de hausse pour les crédits destinés à l'action économique, ce qui est très positif.

Encore faut-il rapidement lancer les actions permettant de mettre réellement ces sommes à la disposition de la filière pêche. Le programme opérationnel pour la mise en oeuvre du FEAMP est en cours de discussion entre l'État et les Régions, et devrait être transmis à la Commission européenne d'ici la fin de l'année. Environ 180 millions d'euros relèveraient de la décision régionale, et le reste des crédits relèverait de mesures nationales.

Il convient que l'État et les régions avancent rapidement sur le FEAMP, afin d'être en mesure d'utiliser l'ensemble des crédits de l'enveloppe pour la filière pêche et aquaculture, et de ne pas risquer en fin de période des dégagements d'office.

Ces crédits très importants constituent une opportunité pour la filière pêche pour mieux se structurer. En revanche, ils ne permettront pas, comme les précédents moyens mis à disposition par le FEP, de moderniser la flotte ou de financer les destructions de bateaux.

La modernisation de la pêche française est indispensable, mais elle ne peut plus passer par des aides budgétaires. Le renouvellement de la flotte doit être une priorité. Avec un âge moyen de 23 ans, les navires sont peu performants, gourmands en carburant et pas assez ergonomiques. Une mission « navire du futur » a été lancée, mais l'acquisition de navires neufs est très coûteuse, de l'ordre de 2 à 4 millions d'euros selon la taille des navires, une somme en tout état de cause hors d'atteinte pour des jeunes marins s'installant à leur compte. Le modèle économique de la pêche maritime a été trop fondé sur l'achat de vieux navires d'occasion, qui ne constituent pas le meilleur investissement pour les jeunes. La question centrale est donc moins technique que financière : quelles solutions apporter pour financer l'investissement dans de nouveaux outils de production ? À cette question, aucune réponse n'est aujourd'hui apportée. La grande distribution, à travers la Scapêche, a investi dans des armements. Il faut aussi d'autres acteurs.

Organisme interprofessionnel privé constitué il y a peu par les acteurs économiques de la filière, France filière pêche (FFP) promeut avec une certaine réussite le Pavillon France. FFP aide aussi les pêcheurs à progresser en matière d'économies d'énergie ou d'investissements de modernisation. Pour 2013, cela a représenté environ 16 millions d'euros. L'accord interprofessionnel qui fonde FFP doit arriver à son terme à la mi-2015. Il est indispensable de le reconduire et de continuer à disposer de cette manne de 30 millions d'euros par an en faveur de la pêche.

Pêche et aquaculture naviguent depuis plusieurs années dans un environnement économique difficile, et sont pénalisées également par les atteintes à l'environnement : mortalité des huitres, réduction des stocks de poissons dans les eaux côtières du fait des pollutions, comme par exemple dans les Antilles. Le budget national de la pêche n'est qu'un des instruments pour permettre à cette activité de se poursuivre sur le littoral, mais la pêche et l'aquaculture ont besoin de plus que ça : d'une volonté politique, qui ne se manifeste pas que dans les crédits budgétaires.

Je propose donc à la commission d'émettre un avis de sagesse à l'adoption des crédits relatifs à la pêche et à l'aquaculture figurant au sein de la mission « Écologie, développement et aménagements durables ».

M. Joël Labbé. - Comme en agriculture, la question de l'installation est très importante dans le secteur de la pêche. Pour les jeunes, l'installation dans le secteur de la pêche artisanale paraît pertinente car les circuits courts permettent une meilleure valorisation du poisson. En parallèle, il faut remarquer qu'il existe un déséquilibre entre pêche artisanale et pêche industrielle, dans laquelle la grande distribution a investi.

La question de la surmortalité des huîtres est préoccupante. Il conviendrait de renforcer les moyens de recherche sur cette question, qui devrait nous amener à privilégier les huitres naturelles plutôt que les huitres obtenues par sélection génétique, plus sensibles aux virus.

M. Bruno Sido. - Dans le passé, le poisson pêché était débarqué dans le port d'attache du navire. Aujourd'hui, ce n'est plus systématiquement le cas : les navires débarquent les poissons dans les grands ports, y compris étrangers, et le poisson revient sur le marché intérieur par camion. Pourrait-on distinguer la part des importations provenant de pêches effectuées par des navires battant pavillon étranger et la part des importations provenant de pêches effectuées par les navires français ?

M. Gérard Bailly. - C'est triste de constater que nous importons autant de poisson. À côté des pêches maritimes, il existe un potentiel de développement de la pêche d'eau douce. La pisciculture d'eau douce est faible. Ne pourrait-on pas développer cette filière ? L'organisation mondiale pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) recommande de manger des insectes. Je préfère plutôt que nous cherchions à manger du poisson !

M. Michel Le Scouarnec, rapporteur. - La pêche d'eau douce est pénalisée par les pollutions. Nous connaissons ce problème régulièrement en Bretagne, avec une surmortalité de poissons, relevée par les pêcheurs eux-mêmes.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je soumets à la commission l'avis proposé par le rapporteur sur les crédits en faveur de la pêche et de l'aquaculture figurant au sein de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

La commission émet un avis de sagesse à l'adoption des crédits en faveur de la pêche et de l'aquaculture figurant au sein de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

Loi de finances pour 2015 - Mission « Recherche et enseignement supérieur » - Examen du rapport pour avis

La commission examine le rapport pour avis sur les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » du projet de loi de finances pour 2015.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous en venons à l'examen du rapport sur la mission « Recherche et enseignement supérieur» (MIRES) du projet de loi de finances pour 2015. La parole est à la rapporteure pour avis, Mme Valérie Létard.

Mme Valérie Létard, rapporteure pour avis. - Je vais en effet vous présenter, pour la troisième année consécutive, les crédits de la MIRES.

Je me propose de vous exposer les grandes orientations du budget pour 2015, puis d'approfondir deux sujets sur lesquels j'ai fait porter mes auditions : le volet « recherche » du contrat de plan État-régions, et le crédit d'impôt recherche (CIR).

S'élevant à 25,9 milliards d'euros, le budget de la MIRES est en stagnation. À l'intérieur de cette enveloppe, les crédits consacrés à la recherche, qui nous intéressent, sont également en stagnation, à 7,8 milliards d'euros.

Cette reconduction est en réalité à nuancer fortement. D'une part, elle équivaut à une baisse en termes réels, c'est-à-dire en intégrant l'inflation. D'autre part, une deuxième délibération, à l'Assemblée nationale, a abouti, sur proposition du Gouvernement, à raboter de 135,5 millions d'euros les crédits de la MIRES. En cette période de montée inexorable du chômage, je comprends le réflexe de la majorité des députés de vouloir colmater l'hémorragie en finançant davantage d'emplois aidés ! Mais si en parallèle on prend des financements sur des projets de recherche et d'innovation, qui doivent permettre d'assurer le retour de la croissance, et donc d'éviter d'avoir à recourir demain à de tels emplois, il y a là une inconséquence sur laquelle le Gouvernement devra s'expliquer ...

Cette contraction générale des crédits se retrouve, logiquement, dans les dotations allouées aux grands organismes de recherche. Ceux que j'ai pu auditionner ou questionner m'ont fait part de la situation « limite » dans laquelle ils se trouvaient, et cela avant même ce rabotage de 135,5 millions d'euros : -0,1 % pour l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), -0,16 % pour le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), -0,54% pour le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), -0,69 % pour l'IFP-Énergies nouvelles ...

Si l'on rajoute à cela les obligations de mise en réserve, mais aussi les mesures de régulation budgétaire en cours d'exercice, on parvient à des situations d'impasse financière. Cela alors que les missions de ces organismes ne cessent de s'élargir. Ils sont aujourd'hui véritablement « à l'os », selon le terme employé par certains responsables auditionnés : l'IFP-EN a ainsi perdu 45 % de sa dotation budgétaire depuis 2002 !

Les organismes tentent de compenser ce désinvestissement de l'État en accroissant leurs ressources propres, lorsqu'ils le peuvent. Elles représentent désormais la première catégorie de ressources (53 %) pour l'IFP-EN, par exemple. Mais cela les place dans une situation de dépendance vis-à-vis des partenaires privés, qui peut remettre en cause leur autonomie et réduire leur liberté de recherche. De plus, elle présente, selon leurs responsables, un risque d'« aspiration vers l'aval », qui verrait ces organismes se rapprocher de centres d'ingénierie au détriment de la recherche.

Pour ceux qui ne peuvent pas valoriser leurs activités, pas d'autre solution que de tailler dans les moyens de fonctionnement, à commencer par la masse salariale : gel des embauches, suppression de contrats à durée déterminée (CDD), non remplacement de départs à la retraite ... En dernier lieu, et c'est le cas le plus grave, il leur faut arrêter ou renoncer à des programmes de recherche.

Nous sommes donc parvenus à une situation extrême, qui ne permet plus de préparer l'avenir de la recherche, et dont nous ferons les frais dans le futur. Dans une économie où la connaissance et l'innovation seront, demain plus que jamais, la source de toute valeur ajoutée, on mesure les conséquences désastreuses d'une telle évolution pour notre pays.

J'en viens à présent au thème principal du rapport pour avis : le volet « recherche » des contrats de plan État-région.

Un petit rappel : la cinquième génération de contrats de plan (2007-2014) s'achève cette année, et la sixième (2014-2020) est en cours de finalisation. L'enseignement supérieur et la recherche représentent la deuxième priorité de ces contrats, qui rassemblent des financements importants : un peu moins de 13 milliards d'euros de la part de l'État, et autant des régions. C'est donc un enjeu fort pour la territorialisation de programmes de recherche et d'innovation, en lien avec les collectivités et les acteurs du développement économique local.

Or, les perspectives avancées par le Gouvernement pour les contrats 2014-2020 sont préoccupantes. L'enveloppe globale serait en recul, à un peu moins de 10 milliards d'euros pour l'État. Cette contraction se constate également pour le volet « recherche », dont le mandat de négociation donné par le Gouvernement est très en retrait par rapport aux attentes.

Si je prends l'exemple de ma région, Nord-Pas de Calais, l'enveloppe de l'État serait divisée par dix, à 2,8 millions d'euros. Comment, avec des moyens aussi faibles, accompagner des projets de R&D structurants pour des filières d'avenir, en partenariat avec les organismes de recherche concernés et le tissu industriel ? Surtout que ces financements servent de base pour obtenir des cofinancements européens ...

Le Gouvernement semble décidé à accorder une enveloppe supplémentaire de 150 millions d'euros sur le volet « enseignement supérieur et recherche ». Mais même avec cette rallonge, le compte n'y serait toujours pas, et il manquerait encore 100 à 150 millions d'euros au minimum, aux dires des intéressés.

J'ai donc cherché à déposer un amendement transférant une centaine de millions d'euros de l'enveloppe allouée à l'Agence nationale de la recherche (ANR) vers le volet « recherche » des contrats de plan. Charge au programme d'investissements d'avenir (PIA) - doté de près de 47 milliards d'euros au total - de réallouer des financements à l'ANR. Pour des raisons de recevabilité financière, je n'ai pas pu déposer cet amendement.

Cependant, je compte interpeller en séance le Gouvernement sur ce dossier ; je veux obtenir l'engagement que soit inscrite une nouvelle action dans les programmes 172 et 192, finançant le volet « recherche » des contrats de plan. Ces financements proviendraient du PIA, qui poursuit bien les mêmes objectifs. Simplement, elle serait territorialisée et assurerait la pérennité des projets déjà lancés dans le cadre des contrats de plan, en rattrapant les inégalités existant entre les régions. À défaut, un coup d'arrêt risque fort d'être porté à cette dynamique, qui conditionne la compétitivité et l'emploi de demain dans nos territoires.

Je veux enfin dire quelques mots pour finir du CIR, élément incontournable du budget de la recherche. S'élevant à près de 6 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2015, en reconduction par rapport au dernier exercice, l'enveloppe qui y est consacrée représente toujours plus de 40 % de la part « recherche » des crédits de la MIRES !

Je ne reviens pas sur son historique, mais je vous rappelle que son enveloppe a été multipliée par plus de 13 depuis son instauration en 2003, au gré de ses diverses réformes, et qu'il représente désormais l'aide fiscale à la recherche et développement (R&D) la plus avantageuse des pays membres de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE).

L'efficacité du CIR, certes délicate à mesurer, semble cependant bien reconnue désormais. Deux rapports récents soulignent son impact positif sur la R&D des entreprises : pour un euro de CIR dépensé, 1,31 euro de recherche supplémentaire serait ainsi généré.

Dans ces conditions, la pérennisation du dispositif pour 2015 est une bonne chose. Mais il faut qu'il soit clarifié car, malgré les réformes de 2004 et 2008, son régime demeure encore trop incertain. Pas tant pour les grands groupes, qui ont les moyens d'instruire les dossiers ; en ce qui les concerne, il faudrait plutôt veiller à éviter les effets d'aubaine. Mais pour les petites et moyennes entreprises (PME), sa mise en oeuvre reste source de difficultés et d'incertitudes.

Le montage des dossiers s'est complexifié de façon considérable. Les entreprises doivent réunir des compétences pluridisciplinaires, tandis que la détermination de l'éligibilité des projets repose sur un jugement difficile à objectiver. L'administration s'appuie sur la réalisation d'états de l'art que les PME sont souvent peu armées pour réaliser.

Et la mise en oeuvre du crédit d'impôt innovation (CII), instauré en 2013, ne contribue pas à éclaircir les choses : la frontière entre les deux crédits d'impôt est ténue, et l'administration peut être facilement tentée de qualifier des dépenses d'innovation. En effet, le régime du CII est moins favorable pour les entreprises, et donc moins coûteux pour les finances publiques.

Aussi l'élaboration d'un référentiel clair et stable sur le périmètre des dépenses éligibles, pour le CIR comme pour le CII, permettrait aux entreprises de mieux affecter fiscalement leurs dépenses et d'en préparer la justification en amont.

Cela serait également de nature à réduire le recours aux cabinets de conseil, qui a explosé ces dernières années, avec la complexification du dispositif, et pose problème. Leur taux moyen de rémunération est en effet de 20 %, et peut atteindre jusqu'à 40 %. Or, leur intervention massive, notamment auprès des PME, n'a pas permis d'endiguer l'augmentation des rectifications depuis deux ans.

Plutôt qu'un agrément de ces cabinets, qui entérinerait leur existence et leur recours, il semblerait préférable de favoriser l'autonomie des entreprises. La labellisation des cabinets de conseil, qui leur laisserait davantage de libertés, pourrait être mise en place. Il faudrait par ailleurs davantage former et informer les responsables des comptes au maniement du CIR.

Enfin, dernière problématique relative au CIR, celle des procédures de contrôle. Elles sont en effet, elles aussi, très incertaines, car elles dépendent pour beaucoup de l'expert qui a été désigné par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche pour assister les services fiscaux. Souvent venu du monde académique, il n'est pas forcément au fait des contraintes et des réalités du monde de l'entreprise.

En outre, le dialogue contradictoire entre experts et entreprises est souvent inexistant ; il faudrait veiller qu'elles soient mieux tenues au courant de l'avancement du contrôle, qu'elles puissent davantage s'exprimer, et que ce contrôle soit réalisé en respectant des codes de bonnes pratiques qui en limitent les aléas.

Voilà, Monsieur le Président, mes chers collègues, les analyses et propositions que m'a inspirées cet avis « Recherche ». Pour conclure, il me reste à donner mon avis sur les crédits de la MIRES pour 2015. La coupe de plus de 135 millions d'euros opérée dans une mission à l'équilibre déjà précaire oriente certes mon choix. Et ce, dans un contexte où l'avenir de notre économie passe plus que jamais par l'excellence dans la recherche et l'innovation. Cependant, je souhaite laisser à la ministre la possibilité de nous faire des propositions qui permettraient de revenir sur le « coup de rabot » effectué par nos collègues députés. Aussi je m'en tiendrai à un avis de sagesse, quant au vote sur les crédits de cette mission.

M. Marc Daunis. - Je félicite notre rapporteure pour son excellent travail. Je la rejoins lorsqu'elle appelle à investir davantage dans la recherche. En revanche, ses propos sur les orientations budgétaires défavorables sont à nuancer : il y a trois ans, ce n'étaient pas de quelques dixièmes de points en moins dont on parlait pour le budget des organismes de recherches, mais de diminutions bien plus importantes. Et il faut en outre souligner que le budget permet de pourvoir au remplacement des emplois et aux départs à la retraite dans ces organismes.

J'apprécie vos propos, Madame la Rapporteure, sur la nécessaire territorialisation de crédits « recherche ». Mais attention à ne pas comptabiliser deux fois les mêmes financements, dans votre proposition : certains programmes budgétaires, qui ont disparu du projet de loi de finances, se retrouvent ailleurs, par exemple dans l'enveloppe du PIA.

S'agissant du CIR et du CII, je ne partage pas votre point de vue en revanche. Vos propositions risquent d'obliger les entreprises à rendre compte de façon encore plus pointilleuse de leurs dépenses. Je comprends bien son objectif, mais j'ai peur qu'elle se retourne en fait contre ceux qu'elle est censée servir.

La commission émet un avis de sagesse à l'adoption des crédits de la mission «Recherche et enseignement supérieur ».

- Présidence de M. Hervé Maurey, président, et de M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques -

Transition énergétique pour la croissance verte - Audition de Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie

La réunion est ouverte à 16 h 30.

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. - Nous sommes très heureux, madame la ministre, de vous accueillir aujourd'hui devant nos deux commissions, le Sénat n'ayant pas retenu, comme l'Assemblée nationale, l'option d'une commission spéciale. Le projet de loi relatif à la transition énergétique a l'ambition d'engager notre pays sur la voie d'une croissance verte, riche en emplois et respectueuse de l'environnement. Il renouvelle le modèle énergétique français en promouvant les économies d'énergie, en particulier dans le bâtiment, et le développement des énergies renouvelables - questions qui entrent dans le champ des compétences de la commission des affaires économiques. Il crée de nouveaux outils de gouvernance et de pilotage de la transition énergétique : objectifs qualitatifs et quantitatifs, stratégie bas carbone et programmation pluriannuelle. Il favorise également la rénovation thermique des bâtiments grâce à une simplification des règles d'urbanisme, à une obligation de travaux et au développement du tiers financement. Il combat la précarité énergétique par la création du chèque énergie.

Plusieurs dispositions doivent faciliter l'essor des énergies renouvelables : complément de rémunération au prix de marché, investissement participatif, regroupements des concessions hydroélectriques, création de sociétés d'économie mixtes (SEM) hydroélectriques, entre autres.

Les députés ont apporté de nombreuses précisions et introduit plusieurs dispositions importantes. La commission des affaires économiques sera très attachée aux objectifs de restauration de la compétitivité de l'économie française, qui suppose de maintenir un coût de l'énergie acceptable ; de soutien à la recherche et au développement de nouveaux modes de consommation plus économes, ainsi que du stockage de l'énergie ; de lutte, enfin, contre la précarité énergétique, par une politique ambitieuse de rénovation thermique et de diffusion du chèque énergie.

M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire.  - La commission du développement durable est saisie au fond de 83 articles sur les 175 de ce projet de loi, qui promeut une transition écologique autant qu'énergétique : il s'agit de modifier nos façons de produire, de consommer de l'énergie, de nous déplacer, de recycler, de jeter. Mais nombre des dispositions de ce texte sont essentiellement déclaratives. Les moyens nécessaires sont-ils prévus ? On en doute, à la lecture des articles. L'expérience du Grenelle de l'environnement a montré que des objectifs ambitieux ne suffisent pas. Ne manque-t-il pas ici un volet économique et un volet fiscal ? Cette fiscalité écologique, qui ne doit pas être punitive, mais de substitution, est quasiment absente de ce texte comme du projet de loi de finances pour 2015.

Le transport représentant 27 % des émissions de gaz à effet de serre. Je m'étonne, du reste, que ce texte soit si électrico-centré. Les dispositions touchant l'économie circulaire portent surtout sur les déchets. Notre commission étant compétente en matière d'aménagement des territoires, nous aimerions que vous précisiez votre vision de leur rôle dans cette transition. Que signifie le nouveau concept de « territoire à énergie positive » ? Alain Lambert, président du Conseil national d'évaluation des normes, nous a appris ce matin que le conseil avait rendu un avis défavorable à votre projet de loi, ce qui nous inspire une certaine inquiétude.

Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. - Je salue l'association entre vos deux commissions pour travailler sur ce projet de loi. Il marquera, je l'espère, un tournant longtemps attendu dans l'histoire du modèle énergétique français. Adopté par l'Assemblée nationale le 14 octobre dernier, il intervient dans une conjoncture particulièrement favorable : les États européens viennent de s'engager à réduire de 40% leurs émissions de gaz à effet de serre ; la conférence sur le climat de Lima, préparant celle de Paris en 2015, s'ouvrira dans quelques jours ; les territoires se saisissent des opportunités ouvertes par ce projet et ses mesures d'accompagnement. Si le défi climatique fait de la croissance verte une ardente obligation, elle représente aussi une chance de créer de nouvelles activités et de nouveaux emplois, si nous parvenons à bien articuler les grandes filières industrielles d'avenir - auxquelles 34 plans sont consacrés - les pôles de compétitivité des territoires, et le traitement de la précarité énergétique.

Le projet de loi de finances a introduit le crédit d'impôt « transition énergétique », destiné aux particuliers. Une ligne budgétaire de 5 milliards d'euros a été ouverte à la Caisse des dépôts et consignations afin que les communes et les communautés de communes puissent engager rapidement des travaux de performance énergétique. Et 100 000 prêts à taux zéro (PTZ) doivent être distribués par les banques - j'appelle les élus locaux à veiller à l'exécution de cet engagement. La taxe foncière a été localement supprimée pour encourager la création de méthaniseurs et le fonds spécifique pour la transition énergétique sera doté d'1,5 milliard d'euros sur trois ans.

Nos principaux objectifs sont, pour 2030, de réduire de 40 % nos émissions de gaz à effet de serre, de porter la production des énergies renouvelables à 32 % de notre consommation énergétique finale, de plafonner à 63,2 gigawatts la puissance nucléaire installée en France, soit son niveau actuel, de diminuer, enfin, la consommation d'énergie de 20 %. J'ai choisi de ne pas opposer les énergies les unes aux autres : le mix énergétique doit se constituer à la fois par les économies d'énergie, la montée en puissance des énergies renouvelables et le maintien d'une part d'énergie nucléaire, qui facilitera la transition.

Le bâtiment, gros consommateur d'énergie et gros producteur de CO2, offre le potentiel d'économies les plus rapides à obtenir, notamment dans les travaux d'isolation et d'installation des compteurs intelligents. Nous entendons promouvoir des transports plus écologiques : véhicules propres, augmentation des points de charge pour les véhicules électriques, création d'une prime à la conversion de 10 000 euros incitant les citoyens à abandonner leurs vieux diesels, plans de covoiturage, développement du fret ferroviaire, fluvial et maritime ; réflexion, enfin, sur le problème crucial du transport urbain.

L'économie circulaire consistera à réduire la production de déchets, qui seront réutilisés comme nouvelle matière première. Nous exigerons le recyclage de la masse considérable des déchets produits par l'industrie du bâtiment : la France est très en retard en ce domaine. S'y ajouteront le plan de lutte contre le gaspillage alimentaire et l'interdiction des sacs en plastique à usage unique au 1er janvier 2016. J'ai pu constater partout que la mécanique est enclenchée. Les appels à projets « zéro gaspillage, zéro déchet » commencent par la mobilisation des commerçants, afin d'éviter en particulier les dégâts causés aux mers et océans. Le navire Tara est de retour après sept mois de navigation en Méditerranée, où l'équipe était en mission de recherche. Le volume des déchets en plastique forme un continent sous-marin qui détruit la biodiversité. C'est un fléau terrible.

Un nouveau dispositif de soutien aux énergies renouvelables sera créé : les producteurs pourront vendre leur électricité directement sur le marché tout en bénéficiant d'une prime. Collectivités et citoyens participeront aux sociétés de projets pour les énergies renouvelables locales.

J'ai vu récemment le premier prototype de DCNS pour la récupération de la chaleur marine ; les courants et la houle offrent également un potentiel considérable outre-mer. Les éoliennes flottantes de nouvelle génération, expérimentées actuellement à l'île de Groix, n'abîment pas les fonds ; les hydroliennes placées dans le courant des rivières, ou sur les piles des ponts, sont des petits ouvrages très performants. Le développement de la méthanisation réduira notablement la pollution agricole, le problème des nitrates ; d'où un appel à projets pour 1 500 méthaniseurs sur l'ensemble du territoire.

Le titre VI prévoit le renforcement de la sûreté des installations nucléaires, il donne notamment plus de pouvoirs à l'ASN et met en place un nouveau cadre réglementaire. La représentation nationale sera enfin saisie de la politique nucléaire. Elle est fondée à en débattre - car ce sont les consommateurs, donc les citoyens, qui la financent - et à déterminer les grandes trajectoires en matière d'énergie.

Les projets dont la réalisation est trop longue finissent par devenir inadéquats : la création d'une procédure d'autorisation unique vise en particulier à clore les contentieux liés au littoral et à la loi sur l'eau. Des cours administratives d'appel seront spécialisées afin que les délais d'instruction soient réduits. Installer une éolienne ou un méthaniseur prend chez nous trois fois plus de temps que chez nos voisins. Je ne m'y résous pas.

La fin de ce texte porte sur le pilotage du mix énergétique : la stratégie nationale bas carbone doit améliorer notre politique de lutte contre le changement climatique. La programmation pluriannuelle de l'énergie fixera des objectifs quinquennaux. La représentation nationale sera ainsi à même de contrôler et réajuster le mix au fil du temps, en fonction notamment de son impact sur le coût de l'énergie.

L'identité insulaire des outre-mer, souvent perçue comme un handicap économique, deviendra une chance, à condition que nous travaillions à leur autonomie énergétique, que ce soit par la valorisation du soleil, du vent, de la mer, ou par la géothermie en exploitant les sous-sols volcaniques. La facture énergétique en sera réduite d'autant, pour ces territoires mais aussi pour la métropole - actuellement les coûts d'approvisionnement en énergie de ces territoires sont élevés.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur pour la commission des affaires économiques. - Nombre de vos objectifs, madame la ministre, suscitent un large consensus, mais deux d'entre eux posent problème : la réduction de la consommation énergétique finale de 50 % d'ici 2050 et la réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % d'ici 2025. Ne craignez-vous pas qu'en les gravant dans le marbre vous remettiez dangereusement en cause la croissance économique pour les prochaines décennies ? Je présenterai des amendements sur ce point.

Vous proposez la création d'un comité de gestion de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) ; or le problème n'est pas sa gestion mais l'ensemble de ce qu'elle recouvre. Votre texte n'était-il pas l'occasion idéale de remettre à plat la CSPE ? Comme d'habitude, c'est le consommateur qui finira par payer.

Je salue votre volonté d'investir massivement dans les énergies renouvelables tout en préservant le nucléaire. Pourriez-vous nous éclairer sur le complément de rémunération ? Quels en seront les bénéficiaires et comment fonctionnera-t-il ?

Votre texte intervient au moment où doivent être renouvelées les concessions des centrales hydrauliques. Les méthodes que vous proposez sont bonnes : concéder les fleuves dans leur entier, créer des SEM. Irez-vous jusqu'à des partenariats public-privé (PPP) ? Bruxelles nous surveille, et plusieurs entreprises étrangères espèrent beaucoup de ces appels d'offres. Une ouverture du capital de ces SEM pourrait être la solution.

Ce texte passe malheureusement sous silence le financement de nombreuses mesures, ou le renvoie à des ordonnances ou des décrets. Ne craignez-vous pas que l'on vous fasse reproche d'un texte qui ne serait pas à la hauteur de vos ambitions ?

M. Louis Nègre, rapporteur pour la commission du développement durable. - Je suis heureux qu'après les Grenelle I et II, nous nous attaquions à la transition énergétique. Les objectifs du Grenelle II, sur lesquels le Parlement s'était engagé, n'ont, hélas, pas été tenus. Quelle crédibilité peut-on dès lors accorder aux objectifs proposés par le Gouvernement ? Sont-ils autre chose que des produits d'appel ? Si le développement de la mobilité électrique est évidemment souhaitable, prétendre passer de 8 000 à 7 millions de bornes de recharge semble peu réaliste. Une perspective équilibrée ne serait-elle pas préférable au tout-électrique ? Vous avez abandonné l'écotaxe et le péage de transit poids lourds : quelle est à ce sujet la philosophie du Gouvernement ? J'ai écouté les dernières déclarations du Gouvernement : j'avoue que je m'y perds un peu...

Si le transfert modal est toujours votre objectif, sur le terrain, la part du fret ferroviaire se dégrade. Comment comptez-vous faire pour inverser la tendance ? Incluez-vous le moteur Euro 6 diesel parmi les véhicules propres ? J'aurais préféré que vous vous référiez plutôt à l'empreinte écologique des véhicules, depuis leur conception jusqu'à leur destruction. Quels sont précisément vos objectifs pour la disparition du parc diesel ancien ?

Vous donnez trop de compétences aux collectivités en matière de déchets - où sont les ressources correspondantes ? - et trop peu dans le domaine de l'énergie. En matière d'économie circulaire, vous fixez à la fois les résultats à atteindre et les moyens pour y parvenir : un peu plus de souplesse serait bienvenue.

Comment comptez-vous vérifier le phénomène de l'obsolescence programmée ? Enfin, le groupe de travail sur la servitude de marchepied dont vous prévoyez la création verra-t-il le jour dans le cadre de cette transition énergétique ?

Mme Ségolène Royal, ministre. - L'objectif de réduction de notre consommation énergétique finale de 20 % d'ici 2030 est ambitieux, mais réalisable : par le concours « Familles à énergie positive », l'Ademe incite à des économies qui atteignent déjà 15% de la consommation de certains foyers. Mon ministère en réalise d'importantes en luttant contre le gaspillage, par exemple en remplaçant ses ampoules par des leds. Les bâtiments entièrement rénovés ou neufs doivent être à énergie positive. Certes cela renchérit de 10 % le coût des travaux mais le retour sur investissement est rapide.

Je suis d'accord avec vous, il faut y voir clair dans l'utilisation du produit de la CSPE. La péréquation tarifaire finance des équipements d'énergie renouvelable ; elle soutiendra les outre-mer et la mise en oeuvre du chèque énergie. D'où l'importance du comité de gestion pour une meilleure transparence. Pour espérer réduire le montant de la contribution, il faut rendre autonomes les outre-mer, dont l'approvisionnement coûte 50 euros de CSPE par an aux abonnés métropolitains. Ce sera un cercle vertueux. Il importe également d'accompagner les énergies renouvelables afin qu'elles gagnent en compétitivité. Les coûts du photovoltaïque ont déjà baissé de 10 % cette année.

Le complément de rémunération est indiqué dans les appels d'offres concernant les investissements en énergies renouvelables, ce qui favorisera l'établissement de leur bilan coûts-avantages. La création de SEM pour l'hydraulique, sur le modèle de la Compagnie nationale du Rhône, répond au problème de la remise en concurrence des concessions venant à échéance.

J'espère que cette loi de transition énergétique, qui reprend les meilleures propositions de la droite et de la gauche, recueillera autant de votes que celles du Grenelle II. L'objectif de 7 millions de bornes de recharge est réaliste et volontariste. Celles de nouvelle génération sont beaucoup plus rapides, et certaines, mises au point par Schneider, produisent de l'énergie photovoltaïque.

L'écotaxe, que vous avez votée, reste bien inscrite dans la loi. Elle pourrait prendre la forme d'un bonus, et non forcément d'un impôt. C'est sa partie traduite dans le contrat Ecomouv' qui a été suspendue, afin d'éviter une hémorragie financière - 2 milliards d'engagement avant tout rendement ! - et immédiatement remplacée par une écotaxe de 4 centimes par litre de diesel pour les camions, qui ne coûte rien au contribuable et qui va directement à l'agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). J'ai pris mes responsabilités. Si j'avais maintenu le contrat, 40 % des fonds auraient été confisqués par l'exploitant, puisque les capitaux privés devaient être rémunérés à 17%, à quoi s'ajoutait le coût des portiques, du recouvrement, de l'usage de satellites, de l'envoi des factures aux entreprises... Le dispositif était encore compliqué par la possible répercussion de la taxe sur les chargeurs, c'est-à-dire sur les producteurs de fruits et légumes - d'où la révolte bretonne. On était bien loin du principe pollueur-payeur. Nous explorons à présent les possibilités de réutilisation des portiques pour d'autres usages.

La notion de véhicule propre que j'ai retenue englobe désormais les véhicules à hydrogène et à biocarburant, ceux qui ne consommeront que deux litres aux cent, et les diesels les moins polluants. Reste à nous entendre sur des normes incontestables de pollution de l'air.

M. Louis Nègre, rapporteur. - C'est le minimum...

Mme Ségolène Royal, ministre. - Le premier objectif de l'économie circulaire est bien de transformer le plus possible de déchets en matières premières ; et c'est un levier de développement économique très important. Les entreprises ne savent pas assez que les déchets de leurs voisines constituent peut-être pour elles des matières premières potentielles. Les territoires font preuve d'une grande inventivité pour cette valorisation circulaire.

M. Martial Bourquin. - Ce projet de loi, très important pour l'avenir de notre pays, ne doit pas se heurter à l'idée que la transition énergétique relèverait d'un supplément d'âme. C'est au contraire une formidable opportunité pour notre industrie : nouveaux process, nouveaux marchés, nouveaux carburants... Mais en aurons-nous les moyens ? L'ONU considère qu'il faudrait y consacrer 2 000 milliards par an. Comment basculer la fiscalité, qui pèse surtout sur le travail, vers la consommation de carbone ? La question de l'investissement reste posée pour les chantiers de l'avenir.

Mme Odette Herviaux. - Parlons couleurs : dans une période de grisaille, madame la ministre, vous proposez un avenir plus rose : je vous en félicite. Toutes les politiques publiques devront tendre à soutenir la croissance verte - et bleue, j'y tiens, comme élue d'une région littorale ! - mais quels moyens les financeront ? Certains estiment que l'effort d'investissement devrait être d'au moins 2 % du PIB dans chaque pays. En attendant le retour de la croissance, vos propositions constituent un véritable levier pour la création d'emplois de qualité. Comment favoriserez-vous la relance de l'investissement écologique privé ? Je plaide depuis longtemps pour le développement d'énergies à production constante, comme l'énergie marine ou la méthanisation. Les dispositifs de soutien prévus par vos articles 23 et 24 éviteront-ils les surcoûts engendrés par le système de subventions actuel ?

M. Alain Chatillon. - Comment sortirons-nous du contrat avec Ecomouv' et à quel prix ? Avec quels moyens comptez-vous soutenir le développement des pôles de compétitivité, puisque l'État vient de décider de réduire de 30% l'aide de 110 000 euros apportée à chacun ? L'intercommunalité que je préside en tant que maire de Revel s'est portée acquéreur de 15 000 mètres carrés au bord du lac de Saint-Ferréol afin de sortir d'une situation ubuesque en mettant fin à un bail précaire que Voies navigables de France a conclu avec un utilisateur. Malgré mes démarches répétées depuis dix-huit mois, je n'ai pu vous rencontrer à ce sujet et j'attends toujours de signer ce contrat, qui rapportera pourtant 160 000 euros à l'État.

M. Rémy Pointereau. - Ce texte traduit une ambition limitée et ne traite pas de tous les aspects de la transition énergétique. Il présente des lacunes sur l'aménagement du territoire et les transports : l'avant-projet de loi n'en disait rien, exception faite de la voiture électrique. Il aurait mieux valu s'attaquer au coeur du problème par des dispositions réduisant les déplacements des personnes et des marchandises et promouvant les transports collectifs, notamment ferroviaires. Les régions auront-elles les moyens de leurs missions ? Le CNEN, l'un des orateurs l'a dit, a émis un avis défavorable à votre projet, qui ne s'attaque pas à la superposition des multiples schémas régionaux relatifs à l'environnement et à l'énergie. Il faut six ans en France pour réaliser un projet de méthaniseur, contre deux ou trois ans en Allemagne. Comment comptez-vous concilier deux objectifs contradictoires, la diminution de 40 % des gaz à effet de serre et la réduction à 50 % de la part du nucléaire dans notre mix énergétique ? Qui en paiera la facture ?

M. Roland Courteau. - Ban Ki-Moon a déclaré à propos de la conférence sur le climat de 2015 « Il n'y aura pas de plan B, parce qu'il n'existe pas de planète B ». Réussir cette conférence requiert que la France montre l'exemple, et votre projet de loi y contribue. L'accord signé par les deux grands pollueurs que sont la Chine et les États-Unis est également une bonne nouvelle. Le crédit d'impôt « transition énergétique » aura un effet de levier appréciable sur la rénovation thermique des bâtiments, d'autant que son taux de 30 % s'appliquera dorénavant dès la première action de rénovation et non à un panier de travaux. J'applaudis aussi l'ouverture d'une ligne de prêt à la CDC pour l'isolation des bâtiments des collectivités. Pourriez-vous nous donner des précisions sur le programme d'investissements européen de 300 milliards d'euros ? Quelle part en sera affectée à la transition énergétique ? Est-il exact qu'une partie du fonds exceptionnel de financement par la CDC ira au remplacement des diesels anciens, mais aussi aux 200 territoires à énergie positive ? Quelle part pour le fonds « chaleur », essentiel si nous voulons atteindre dans ce domaine l'objectif de 38 % d'énergies renouvelables en 2030 ? Les articles 28 et 29 du projet de loi nous éviteront, en matière d'hydroélectricité, la simple mise en concurrence qui aurait conduit à brader notre patrimoine. Félicitations, madame la ministre, pour ces propositions !

Mme Ségolène Royal, ministre. - Je vous remercie d'avoir souligné l'importance de cette loi qui prépare l'avenir, pour les générations futures. La loi encourage les collectivités territoriales à mettre en valeur leurs actions, afin que les bonnes pratiques se diffusent ; elle vise à favoriser des filières de développements industriels.

Divers moyens sont prévus pour soutenir la transition énergétique : le crédit d'impôt sur la mobilité propre, la simplification des conditions pour l'obtention des crédits transition énergétique pour les particuliers, 100 000 PTZ, la possibilité pour les régions de mettre en place des fonds de garantie, les aides de l'Anah - l'enveloppe de 50 millions d'euros étant insuffisante compte tenu du succès du dispositif, je travaille à obtenir un réabondement - les aides de l'agence de l'Ademe, bras armé du ministère de l'écologie, les certificats d'économie d'énergie, les 5 milliards d'euros de prêts de la CDC sans apport des communes,... J'ai mobilisé les préfets pour qu'ils informent les communes de cette possibilité dont le président Pélissard a été le premier à profiter. À cela s'ajoutent les prêts de Bpifrance, qui est la banque de la transition énergétique, et les tarifs d'achat. Le fonds spécial de la transition énergétique destiné au subventionnement des territoires à énergie positive, des « territoires zéro déchet », des méthaniseurs et des contrats locaux de transition énergétique, est en voie de finalisation.

Vous avez évoqué avec raison la croissance verte et bleue : une partie de notre avenir se trouve dans la mer. Il ne faut pas la surexploiter mais capter ses ressources potentielles.

La relance de l'investissement doit être financée par Bpifrance. Les pôles de compétitivité dans le domaine de la croissance verte se mettent en place. Les entreprises peuvent s'entraider pour avancer en matière de transition énergétique.

Nous sommes en négociation avec Ecomouv'. Le contrat avec l'entreprise a été signé en 2011. Il est complété par un protocole plus récent. Nous analysons les conséquences juridiques de ces conventions, les dépenses effectivement engagées pour l'entreprise, afin de parvenir à un accord. L'État doit payer ce qu'il doit, mais pas plus. J'ai reçu le président directeur général d'Ecomouv'. Je lui ai rappelé que le contrat doit être interprété au regard des principes généraux du droit. Nous étudions également ce que nous pourrions tirer des installations existantes.

La loi sur la transition énergétique n'est pas électrico-centrée, au contraire, et elle est axée sur l'aménagement du territoire. J'ai utilisé mon expérience d'élue locale. Je souhaite m'appuyer sur les territoires qui sont en avance. L'initiative des régions dans le tiers financement bénéficiera aux territoires. Le dispositif d'appel à projets est infrarégional et concerne notamment les communautés de communes. Désormais le volet mobilité des contrats État-régions inclura une dimension de transition énergétique ; et un volet biodiversité a été introduit. Les régions bénéficieront d'un éco-financement régions-État.

Le Conseil national des normes a un avis défavorable ? Très bien : qu'il se saisisse du projet afin de nous aider à simplifier les normes ! Il nous faut arrêter l'empilement des schémas nationaux, régionaux, communaux dont la réalisation absorbe au moins 20 % du temps de travail des fonctionnaires territoriaux.

Je remercie M. Courteau de ses compliments. Il a cité une très belle phrase de Ban Ki Moon. J'aime aussi celle-ci : « Tout homme a deux patries, la sienne et la planète ». Il faut nous engager et agir ensemble.

M. Ronan Dantec. - Cette loi est importante. Elle a été précédée par un long débat dans la société française et traduit le souhait de celle-ci d'entamer la transition énergétique. Elle redonne à l'État un pouvoir de planification de la politique énergétique, qui avait été largement délégué aux grands groupes et qui échappait de plus en plus aux pouvoirs publics. Elle trace des axes pour la création de filières industrielles en lien avec les enjeux de demain. Et elle offre un vrai rôle aux territoires. C'est une boîte à outils. Certains s'emploieront à rendre ce texte le moins opérationnel possible, soyons vigilants. Il y a beaucoup de conservatisme.

Je suis surpris par l'ambiguïté de votre propos sur une planification à dix ans révisable tous les cinq ans, ce qui n'est pas la même chose qu'une programmation à cinq ans. Que faut-il comprendre ? Enfin, y a-t-il un montage d'ingénierie financière qui permettrait aux collectivités locales d'utiliser les moyens mis à leur disposition par la loi sans que cela n'accroisse leur dette ?

M. Daniel Gremillet. - Le sujet peut avoir des conséquences formidables sur l'emploi. La France dispose de ressources forestières, agricoles, maritimes. Ces ressources doivent être utilisées de manière cohérente, nous voulons en tirer le maximum de richesses tout en les préservant. Cela n'est pas toujours le cas : l'amendement interdisant l'herbe dans les méthaniseurs supprime une possibilité de valorisation d'un produit.

Nous avons pour notre pays une ambition d'excellence environnementale. Comment concilier cet objectif avec celui de la reconquête industrielle ? La question se pose à la fois au regard du coût de l'énergie, variable de compétitivité cruciale, et des distorsions qui pourraient exister entre nos règles et celles moins exigeantes de nos concurrents.

Mme Évelyne Didier. - Nous partageons votre souci de développer l'économie circulaire. Le cercle doit être vertueux et demeurer sur notre territoire afin d'y créer des emplois. Cela suppose des efforts en matière de contrôle, par exemple sur la filière textile. Un reportage récent du magazine Envoyé Spécial a montré que des contributions étaient versées pour le recyclage de tissus en France, mais que ceux-ci étaient envoyés en Tunisie.

Comment inciter les propriétaires privées à entreprendre des travaux d'isolation pour diminuer la consommation d'énergie des logements loués à des personnes économiquement vulnérables ?

Certains syndicats estiment que les objectifs fixés en matière d'économies d'énergie sont illusoires compte tenu de l'augmentation de la population et de la nécessité de relancer la croissance de l'économie. Que pouvez-vous leur répondre ?

M. Michel Le Scouarnec. - Comment relancer le fret ferroviaire ? Le logement est notre grande affaire. Peut-on améliorer la performance énergétique des bâtiments tout en contenant la hausse des loyers ? Les chaudières à bois doivent-elles être développées ? Nous disposons de deux chaudières de ce type à Auray, grâce à quoi nous avons créé des emplois dans l'agriculture. Quel est votre avis sur les incinérateurs? Faut-il enfouir ou brûler ? Est-il opportun de développer l'utilisation des moulins ou des petites turbines pour la fabrication de micro ou de pico-électricité ?

Mme Chantal Jouanno. - Je partage vos objectifs. Mes questions porteront sur les moyens prévus pour les atteindre. Tant que le système économique est globalement favorable aux énergies fossiles, il sera difficile d'obtenir des évolutions notables.

Il importe de donner une visibilité aux acteurs en matière fiscale. Pourriez-vous demander au ministre du budget, qui a jusqu'à présent rejeté tous les amendements en ce sens, si la parité fiscale entre l'essence et le diesel est envisageable d'ici dix ans ? Christian de Perthuis nous a indiqué que la taxe sur le carbone a un impact sur les décisions industrielles au-delà de 30 euros par tonne. Le montant actuel de la taxe est inférieur. Êtes-vous favorable à son augmentation ? A-t-on des objectifs en matière de certificats d'économies d'énergie ? Alors que 100 milliards d'euros sont collectés sur les livrets de développement durable, 3 % seulement sont utilisés pour servir cet objectif. A-t-on moyen de réorienter les fonds ?

M. Robert Navarro. - La France dispose de six grandes stations de transfert d'énergie par pompage (Step). Il est important d'améliorer cette capacité. Dans l'Hérault, plusieurs collectivités ont des projets de micro-Step. L'Assemblée nationale a prévu un dispositif de fixation des tarifs d'utilisation du réseau de transport d'électricité pour les Step. Comment l'Etat peut-il davantage s'impliquer ?

M. Jacques Cornano. - Les outre-mer disposent de ressources en matière d'énergie renouvelables. La Guadeloupe travaille sur différents projets, notamment à Bouillante, sur la géothermie, ou à Marie-Galante, sur une centrale multibiomasse de cogénération adossée à une sucrerie, pour exploiter la bagasse. Ce projet d'Albioma aura un fort impact sociétal et créera des emplois. Il satisfera tous les besoins d'électricité de Marie-Galante, et au-delà. La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a réduit l'assiette du montant d'investissement à la charge de la CSPE en considérant qu'une aide fiscale était nécessaire. La CRE tend à préférer la proposition la moins coûteuse sans considération pour les objectifs sociaux et environnementaux. Pouvez-vous trouver une solution ? Car la réalisation du projet suppose un câble sous-marin très onéreux entre l'île et la Guadeloupe. Quelles aides fiscales peuvent être envisagées pour assurer sa réalisation et la viabilité du projet ?

M. Yannick Vaugrenard. - L'Allemagne a choisi la voie du tout ou rien. Notre loi est à la fois plus ambitieuse, mesurée et pleine de bon sens. Je me félicite qu'elle opère le lien entre transition énergétique et croissance. Lors de son audition hier, le nouveau président d'EDF, M. Jean-Bernard Lévy, a évoqué la hausse nécessaire du prix de l'électricité. Il convient de trouver le juste équilibre entre les intérêts de l'entreprise et ceux des consommateurs, notamment les plus faibles. Quelle est votre position ? Le chèque énergie est un chèque social mais il pourra aussi être utilisé pour financer des travaux destinés à réaliser des économies d'énergie. Comment s'assurer que ce deuxième volet ne sera pas privilégié au détriment de la protection des ménages en situation difficile ?

M. Jean Bizet. - L'article 18 bis du projet de loi raccourcit la durée d'interdiction des phytosanitaires (ou leur plus stricte réglementation) qui est inscrite dans la loi de février 2014. L'échéance serait ramenée de 2020 à 2016. Mais à défaut de notification auprès de la Commission européenne, je doute que ces dispositions soient applicables. J'aimerais avoir votre avis.

M. Franck Montaugé. - L'ambition du Gouvernement doit être soulignée. La loi sollicite les collectivités locales, les acteurs publics et privés qu'elle encourage à travailler de concert. Son succès nécessite des investissements importants. Sans rentrer dans le débat sur la contribution des collectivités locales au redressement des comptes nationaux, ne faut-il pas prévoir des mécanismes financiers incitatifs, par exemple une bonification de la dotation globale de fonctionnement (DGF) ? Peut-on inventer une dotation d'investissement énergétique ?

Quelle sera la position de la France au sujet du fonds Juncker d'un montant de 315 milliards d'euros ? Comment la question du prix de l'énergie produite dans le cadre des territoires à énergie positive va-t-elle être traitée ? Va-t-on vers des marchés locaux d'énergie ?

M. Jackie Pierre. - Lorsque je traverse Paris, je suis surpris par les chauffages extérieurs destinés à réchauffer les terrasses. Ils consomment énormément d'énergie. Je suggère qu'ils soient interdits par décret.

Mme Ségolène Royal. - Ces questions variées et intéressantes donnent corps au texte législatif. Monsieur Dantec, j'aime l'image de la boîte à outils ; il est exact que le texte bouscule des conservatismes.

La planification est effectuée sur cinq ans avec une première étape après trois ans, puis, après, tous les dix ans révisable après cinq ans.

Je vais approfondir la question de l'endettement. Les communes pourraient en effet être réticentes à utiliser les droits de tirage auprès de la CDC pour ne pas accroître leur dette. Je vous rejoins sur l'innovation et les distorsions de compétitivité.

Monsieur Gremillet, la loi exclut l'utilisation de culture énergétique pour fournir les méthaniseurs.

Madame Didier, grâce à la levée du secret douanier voté par l'Assemblée nationale, nous allons faciliter les contrôles à l'exportation sur la filière textile évoquée.

Les aides de l'ANAH peuvent bénéficier aux propriétaires qui louent un logement. Il faudrait les inciter à faire des travaux.

Je partage les préoccupations de M. Le Scouarnec sur le fret ferroviaire ; je ne laisserai pas disparaître cette activité. Il y a sans doute un problème de transparence des prix. La question du fret ferroviaire sera examinée dans le cadre de la conférence environnementale qui s'ouvre demain. Ce problème doit être pris à bras le corps.

Les moyens, Madame Jouanno, constituent un sujet d'importance. Je vous remercie pour toutes vos questions sur le financement qui me permettront d'accélérer des arbitrages difficiles. Les livrets de développement durable sont ouverts à la CDC et permettent de cofinancer le fonds spécifique de transition énergétique. Nos objectifs en matière d'économie d'énergie sont ambitieux : nous visons 50 % de baisse à horizon 2050 et 20 % pour 2030.

Monsieur Navarro, la question de la capacité de stockage de l'énergie est capitale. C'est la clé de la prochaine révolution énergétique.

Monsieur Cornano, s'agissant de la centrale de Marie-Galante, la CRE donnera son accord dès que la loi locale aura interdit le charbon au bénéfice des biomasses. J'y veillerai.

M. Vaugrenard a évoqué l'audition du PDG d'EDF. Je pense qu'il a annoncé non une augmentation des tarifs - cette décision relève de l'État - mais un rééquilibrage des tarifs. Ma préoccupation est de maitriser les hausses de prix ; j'ai publié un décret réformant les modalités de révision des tarifs. Les consommateurs en ont assez des augmentations automatiques. La CRE se prononcera désormais, et EDF ne sera plus juge et partie. EDF doit être incitée à diminuer son train de vie et à faire des progrès de productivité. Les énergies renouvelables coûtent cher mais le nucléaire aussi. Il ne faut pas opposer les énergies. L'État doit jouer son rôle dans le conseil d'administration d'EDF.

Le chèque énergie ne sera pas transformé en chèque travaux dans l'immédiat. Les comportements à énergie positive doivent être encouragés. Il convient de pouvoir accompagner les familles dans le remplacement de vieux matériels très consommateurs d'énergie.

Monsieur Bizet, les dispositions de la loi sur les phytosanitaires ne nécessitent pas de notification auprès de la Commission. Ces notifications encadrent les entraves à la libre circulation des produits alors que l'article 18 bis règlemente l'usage de ces produits et incite à ne pas y recourir.

Monsieur Montaugé a raison de souligner le rôle de la loi. La diffusion de plate-formes d'information prend en compte avec souplesse le fait que la transition énergétique se fera d'abord dans les territoires, l'État donnant seulement l'impulsion.

Monsieur Pierre, si j'interdisais les chaufferettes extérieures, on m'accuserait d'être Madame Interdictions. Mais effectivement, ce n'est pas une solution optimale...Il faudrait trouver des systèmes solaires qui emmagasinent l'énergie le jour et diffusent la chaleur le soir. Cela pourrait être une idée à soumettre à une entreprise innovante. Dans les pays nordiques, on distribue des doudounes et on fait chauffer des briques.

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. - Une autre solution, c'est le bon vieux grog...ou le calva !

Je vous remercie, Madame la ministre, de vous être prêtée à cet exercice des questions/réponses. Vous souhaitiez que le Sénat examine rapidement ce texte ; le Gouvernement a fait un autre choix. Ne le regrettons pas : il y a une forte mobilisation ici pour élaborer un texte abouti et utile à notre pays. Le débat sera certainement utile et constructif.

M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable. - Je vous remercie, Madame la ministre, de nous avoir consacré du temps et d'avoir répondu à nos questions. Notre commission a montré sa compétence et son indépendance ; soyez assurée de sa volonté de travailler sur ce projet de loi dans un esprit constructif.