Mercredi 21 janvier 2015

- Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30

Audition de S.E. M. Hakki Akil, ambassadeur de Turquie en France

La commission auditionne S.E. M. Hakki Akil, ambassadeur de Turquie en France.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je souhaite la bienvenue à M. Hakki Akil, ambassadeur de Turquie en France, qui nous honore ce matin de sa présence.

Il nous a paru opportun de vous auditionner aujourd'hui, afin de mieux appréhender la position de la Turquie, confrontée au développement, à ses frontières méridionales, de deux conflits importants, en Syrie et en Irak.

Notre commission avait d'ailleurs recueilli l'appréciation de votre prédécesseur, en octobre 2012, sur la situation en Syrie.

Depuis 2014, ces conflits ont pris une autre dimension avec l'offensive conduite par Daech, qui a étendu son contrôle sur environ un tiers du territoire de ces deux Etats, abolissant symboliquement les frontières. Cette avancée du groupe terroriste qui menaçait l'Irak, jusque dans sa composante régionale autonome du Kurdistan, a conduit, à la demande des autorités irakiennes, à l'intervention militaire d'une coalition internationale à laquelle participe la France. Nous avons débattu tout récemment de la prolongation de l'opération Chammal...

Ce conflit n'est pas sans répercussion sur la situation intérieure de la Turquie. Nous mesurons tous ici les efforts considérables accomplis par le peuple turc pour venir en aide aux réfugiés qui ont fui les zones de combat. Nous sommes également conscients des difficultés que votre pays peut rencontrer en matière de contrôle aux frontières, en particulier s'agissant du passage des combattants terroristes, qui peuvent évidemment profiter de la situation. Nous comprenons aussi l'impact que la déstabilisation de la région peut avoir sur le dialogue établi par les mouvements kurdes en Turquie dans le processus de réconciliation engagé par votre gouvernement au cours des dernières années.

Il nous importe donc de comprendre la position de la Turquie dans ces conflits.

Je souhaiterais également que vous puissiez nous faire part de votre appréciation sur les relations de votre pays avec l'Union européenne. La poursuite du processus d'adhésion est bien évidemment marquée par des progrès, mais aussi par des interrogations liées à l'évolution de la situation intérieure. Nous aimerions savoir comment se déroule la coopération que la Haute représentante, Mme Federica Mogherini, essaie de mettre en place entre l'Union européenne, la Turquie et plusieurs pays arabes.

Je vous laisse sans plus attendre la parole pour nous décrire la situation et les principes politiques qui animent votre gouvernement. Chacun vous interrogera ensuite sur ses propres préoccupations.

Merci de votre disponibilité et de l'attention que vous portez aux travaux du Sénat.

M. Hakki Akil, ambassadeur de Turquie en France. - Je tiens en premier lieu à vous exprimer toutes mes condoléances pour les attentats qui ont eu lieu ces derniers jours en France. La Turquie, qui a beaucoup souffert du terrorisme, est l'un des pays qui comprend le mieux la souffrance du peuple français. Notre Premier ministre, malgré une forte fièvre, a d'ailleurs tenu à être présent à la marche de solidarité en hommage aux victimes de l'attentat perpétré au sein de la rédaction de l'hebdomadaire Charlie Hebdo, organisée dimanche 11 janvier dernier, à Paris, afin d'assurer la France de la solidarité de la Turquie et du peuple turc dans son combat contre le terrorisme international.

En ce qui concerne la Syrie, nous avons mené, depuis le début de la crise, et au moment du printemps arabe, une politique basée sur certains principes, et nous avons toujours répondu positivement aux aspirations des populations plutôt que de soutenir les régimes totalitaires.

Au début, nous avons essayé de convaincre Bachar el-Assad de faire quelques pas en direction des réformes, afin d'éviter le bain de sang en Syrie.

Notre Premier ministre, Ahmet Davutoðlu, s'est maintes fois rendu à Damas. Lors de son dernier déplacement, M. Davutoðlu s'est entretenu avec Bachar el-Assad pendant sept heures. Ils se sont mis d'accord sur une feuille de route qui prévoyait des réformes certes modestes, mais qui constituaient un bon début, susceptible d'empêcher le bain de sang en Syrie. Malheureusement, le lendemain de l'accord, Bachar el-Assad a attaqué des manifestants pacifistes, à Homs, avec des armes lourdes. Ceux-ci n'étaient à l'époque pas du tout armés...

La Turquie s'est alors trouvée face à un choix, celui de continuer à soutenir Bachar el-Assad ou de répondre aux attentes démocratiques des manifestants pacifistes. La Turquie a tranché. Nous avons pris le parti du peuple syrien plutôt que celui de Bachar el-Assad, qui n'était pas disposé à entreprendre des réformes démocratiques, bien que nous ayons essayé de le convaincre qu'un programme de démocratisation, même timide, pouvait calmer les manifestants et éviter toute l'évolution que nous avons connue.

La Turquie a alors clairement soutenu l'opposition syrienne modérée. Nous avons formé une coalition dénommée « Les amis de la Syrie », composée de onze pays, dont la France, les Etats-Unis, l'Allemagne et la Grande-Bretagne faisaient partie. Nous avons essayé de donner à l'opposition syrienne modérée les moyens de lutter contre Bachar el-Assad.

La Turquie est un pays frontalier. Nous nous sommes donc trouvés en première ligne des affrontements armés, avec un afflux de réfugiés vers la Turquie. Nous avions dit à l'époque que la Turquie était prête à accueillir jusqu'à 100 000 réfugiés. Personne n'imaginait que le conflit pourrait prendre une telle tournure. Ce chiffre paraissait alors énorme. Aujourd'hui, nous comptons 1,6 million de réfugiés syriens en Turquie ! Trente mille bébés sont nés sur notre territoire.

Avec le temps, l'opposition modérée a malheureusement perdu du terrain en Syrie, les pays de la coalition n'ayant pas pu, pas su ou pas voulu lui apporter le soutien nécessaire, sous prétexte qu'on ne savait pas qui pourrait prendre le pouvoir si Bachar el-Assad s'en allait.

Bachar el-Assad en a d'ailleurs joué en affirmant qu'un régime religieux s'installerait à Damas s'il partait. Durant cette période, l'Iran et la Russie ont continué à soutenir militairement le régime, ce que la coalition n'a pu faire avec l'opposition syrienne modérée.

On a alors assisté au glissement des combattants de l'opposition syrienne modérée vers des groupes plus extrémistes ; en effet, ceux-ci n'ayant pas assez de soutiens, ils pouvaient obtenir des armes, des équipements ou des moyens financiers plus importants de la part de groupes plus radicaux. C'est devenu un cercle vicieux : plus on assistait à ce glissement, plus les pays de la coalition estimaient qu'on ne pouvait se fier à l'opposition syrienne, car il existe en Syrie bien des groupes radicaux. On a commencé à prendre peur de la créature que nous avons créée de nos propres mains à cause de notre attentisme.

Dernièrement, la Turquie a proposé de créer une zone d'exclusion aérienne et des zones de sécurité au nord du 36e parallèle, de façon à avoir une zone protégée par les alliés, interdite au survol des avions du régime de Bachar el-Assad. Nous voulions une région, au nord de la Syrie, où les réfugiés puissent s'installer et refaire leur vie. En effet, ces personnes, avec raison, ne veulent pas rentrer chez elles, faute d'une réelle sécurité. Lorsque la situation s'est améliorée, une partie de cette population est repartie, mais elle est revenue peu après, lorsque le climat s'est à nouveau dégradé en Syrie. Il y a donc toujours eu un va-et-vient à la frontière turco-syrienne.

La proposition de la Turquie a été soutenue par la France ; les autorités françaises savent en effet que le fait de ne trouver aucune solution au problème des réfugiés revient à placer une épée de Damoclès au-dessus de la tête des pays européens, où une grande partie des réfugiés aimerait se rendre. Ils tentent d'y parvenir par tous les moyens, même en courant le risque d'être victimes de trafiquants d'êtres humains.

Aujourd'hui, de plus en plus de bateaux amènent des réfugiés syriens des côtes turques vers les côtes grecques ou italiennes, et ce n'est pas aussi facile à contrôler qu'on l'imagine.

Avec la France, nous essayons de convaincre nos alliés que l'on peut changer les données dans la région, et exercer une pression encore plus importante sur Bachar el-Assad si l'on parvient à réaliser une zone d'exclusion aérienne.

Après l'usage des armes chimiques par Bachar el-Assad, il existait une opportunité pour les pays de la coalition pour mener une intervention militaire. Nous avions déclaré que l'usage des armes chimiques constituait une ligne rouge pour la coalition. Malheureusement, certains de nos alliés n'ont pas voulu intervenir pour les raisons que l'on sait. La France et la Turquie, elles, étaient en faveur de l'intervention militaire.

D'ailleurs, le fait que les pays alliés ne soient pas intervenus après l'usage des armes chimiques a dû encourager certains pays dans leur politique étrangère ; ils ont peut-être pris certaines initiatives militaires qu'ils n'auraient pas prises si une intervention en Syrie avait eu lieu.

Jusqu'alors, personne n'avait entendu parler de Daech ; je suis sûr que si cette intervention avait eu lieu, nous ne serions pas en train de parler de Daech ou des autres groupes terroristes. C'est une occasion en or que nous avons perdue en n'intervenant pas !

Un mot à propos de Kobané, qui a fait couler beaucoup d'encre en France...

J'ai toujours essayé d'expliquer que, dans cette tourmente régionale, Kobané n'était qu'une goutte d'eau dans l'océan ; avant Kobané, Daech avait déjà attaqué Mossoul, Jarablus, Rakka, et fait énormément de morts. Personne n'en a parlé ! On a fait une ville martyre de Kobané, alors qu'il n'y restait plus aucun civil. Tous avaient fui la ville avant l'arrivée de Daech - Kurdes, Chrétiens, Yézidis. La Turquie, pour les sauver des exécutions de Daech, a ouvert ses frontières, et a reçu en trente-six heures 196 000 réfugiés, enfants, vieillards, sans demander qui ils étaient, d'où ils venaient, ni quelle était leur appartenance.

Quand Daech est arrivé à Kobané, il n'y avait plus là-bas que le PYD, la branche syrienne du PKK. Tous les combats auxquels vous avez pu assister sur vos écrans de télévision se déroulaient en fait entre deux groupes qui essayaient de prendre le contrôle de cette région pour y asseoir leur autorité. Personne ne s'y battait pour les valeurs occidentales ou pour les valeurs démocratiques : il s'agissait seulement de deux groupes terroristes, qui s'affrontaient pour le contrôle de la région !

On a également accusé la Turquie de fermer les yeux sur l'exécution des Kurdes par Daech ; c'est totalement faux ! Nous avons sauvé les Kurdes de l'exécution ! Une dépêche de l'Agence France-Presse a affirmé qu'après un mois et demi de combats à Kobané, on dénombrait environ quatre cent soixante morts du côté de Daech, deux cent vingt du côté du PYD, et seulement vingt civils. Les autres villes où Daech a mené une campagne terroriste ont compté des milliers de morts, dont personne n'a parlé !

Un vrai danger plane à présent sur Alep, qui compte plus de 300 000 habitants. L'étau de Daech et du régime de Bachar el-Assad commence à se resserrer autour de cette ville. Si Alep tombe, toutes les données de la région seront changées, et la Turquie connaîtra un nouvel afflux de réfugiés, qui peut être de l'ordre de 200 000 personnes à 300 000 personnes.

La Turquie a dépensé aujourd'hui plus de 5 milliards de dollars pour les réfugiés, alors que la contribution des pays de la communauté internationale n'est que de 200 millions de dollars. Ce chiffre est l'équivalent de 0,5 % de notre PIB. Pour la France, cela représenterait 12 milliards d'euros, et l'équivalent de 92 milliards de dollars pour les Etats-Unis. Or, ce coût ne fait qu'augmenter jour après jour ! S'il est un pays qui subit de plein fouet les effets négatifs de cette situation, c'est donc bien la Turquie.

En ce qui concerne l'Irak, après l'invasion de ce pays par les Etats-Unis, à laquelle la Turquie et la France étaient opposées, les Américains ont commis l'erreur de déstructurer complètement l'appareil de l'Etat. Ils ont chassé du pouvoir le parti Baas, surtout constitué de Sunnites, et en ont confié les rênes aux Chiites. Or, Nouri al-Maliki, malgré tous nos conseils, a fort malencontreusement mené une politique très sectaire. L'armée était composée de Chiites, dont les milices étaient chargées de la sécurité. De facto, le pays s'est divisé en trois : les Sunnites ne voulaient plus participer au pouvoir, se sentant marginalisés, les Kurdes, qui avaient déjà un statut autonome, ne parvenaient pas à un accord avec al-Maliki, qui occupait quant à lui le Sud.

Nous avons essayé de convaincre Nouri al-Maliki de mener des politiques intégrant davantage toutes les composantes de la société - Turkmènes, Chrétiens, Yézidis, Kurdes, Sunnites - afin qu'elles puissent participer aux institutions gouvernementales, et éviter le démembrement de l'Irak, dont risquait de souffrir la Turquie.

Nous ne sommes pas non plus parvenus à convaincre nos amis américains, qui nous disent aujourd'hui que nos remarques étaient fondées. Aujourd'hui, fort heureusement, les choses vont un peu mieux en Irak. Le gouvernement de Haïder al-Abadi essaie d'intégrer toutes les composantes de la société. Il faut cependant attendre pour juger des effets positifs de ce gouvernement. La stabilité en Irak est très importante pour nous, mais également pour toute la région. Il faut éviter à tout prix le démembrement de l'Irak en trois parties.

Daech a conquis Mossoul en une demi-heure. Tout le monde s'en est étonné : comment un groupe terroriste a-t-il pu conquérir une ville de 300 000 habitants ? C'est très simple... L'armée, composée de Chiites, ne se sentait pas concernée, considérant Mossoul comme une ville sunnite, et ne voulant pas mourir pour les Sunnites. Elle s'est donc retirée vers les lieux saints chiites pour les défendre contre Daech, en laissant sur place tout l'armement sophistiqué américain : chars, etc.

La population locale a accueilli Daech à bras ouverts, le groupe terroriste n'ayant pas encore commencé à exercer sa violence à l'encontre des Sunnites, afin de contrôler les tribus. Daech a ainsi pu obtenir tout un armement sophistiqué, a dévalisé les banques, obtenant 500 millions de dollars et devenant un géant, du fait des erreurs du gouvernement irakien.

En Libye, nous soutenons bien sûr les efforts de Bernardino León, Représentant spécial des Nations unies. Nous pensons qu'il faut trouver une solution qui laisse place au dialogue. La Turquie est actuellement le seul pays à dialoguer avec toutes les parties. Notre vice-Premier ministre les a toutes rencontrées à chacun de ses voyages pour essayer de les convaincre d'adopter un gouvernement de transition nationale. Des pourparlers ont actuellement lieu à Genève. Espérons que l'on puisse trouver une solution. Il faut surtout éviter l'intervention militaire, en particulier celle de l'Egypte et des Emirats arabes unis, qui empêchent tout dialogue entre parties.

Enfin, nos relations avec l'Union européenne durent depuis maintenant cinquante ans. Pour nous, l'Union européenne constitue un choix stratégique ; nous pensons que nous ne pouvons écrire l'histoire de la Turquie sans l'Europe, ni que l'Europe puisse écrire son histoire sans la Turquie. Nous faisons partie de la même famille !

Il est important de continuer le processus de négociation, et d'harmoniser notre législation avec l'acquis communautaire. Nous consulterons le peuple turc plus tard. Si le train arrive en gare, on lui demandera s'il veut en descendre ou non. Le chef de gare ne le laissera peut-être pas descendre du train. Peut-être les pays européens lanceront-ils de leur côté un référendum. Les Turcs considéreront peut-être qu'il vaut mieux rester dans la rame...

Pour nous, il s'agit d'un processus important. Le fait que la Turquie n'ait pu devenir jusqu'à présent membre de l'Union européenne, si je puis me permettre, n'est pas lié à la situation intérieure de la Turquie, mais en grande partie à l'attitude négative de la France et des Chypriotes grecs. La France a bloqué cinq chapitres et les Chypriotes grecs en ont bloqué huit lors des négociations. Nous avons mené nos réformes intérieures ; nous avons rempli les critères de Maastricht et de Copenhague mais, pour des raisons politiques, certains de nos alliés ont préféré tenir la Turquie à l'écart des négociations...

Je vous remercie de votre attention. Je suis à présent prêt à répondre à vos questions.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Permettez-nous de vous féliciter pour la qualité de votre français. Nous apprécions beaucoup votre facilité à communiquer avec notre pays.

La façon dont vous avez raconté la prise de Mossoul surprendrait à n'en pas douter l'opinion publique !

Par ailleurs, les questions liées à l'histoire européenne sont complexes...

La parole est aux commissaires.

M. Christian Cambon. - Monsieur l'ambassadeur, je tenais à vous remercier pour les éléments d'information que vous nous avez communiqués, pour le rôle que vous jouez, à Paris, dans l'intensification des relations entre la Turquie et la France, et pour l'effort que votre pays accomplit en matière d'accueil des réfugiés, sujet dont on ne parle pas très souvent, mais qui pose bien évidemment les problèmes que vous avez évoqués.

Ma première question concernera la protection et le contrôle des frontières. Vous partagez 900 kilomètres de frontières avec la Syrie. Nous sommes confrontés, comme de nombreux autres pays, à l'entrée en Syrie, par la Turquie, de djihadistes, de candidats au djihad, de fondamentalistes ou de radicaux. La coopération entre la Turquie, la France, et l'Europe d'une manière générale, qui avait posé quelques questions, s'est très sensiblement renforcée, notamment depuis l'accord passé avec notre ministre de l'intérieur, en septembre. Il semble que toutes les voies aériennes soient maintenant bien contrôlées.

En revanche, une question se pose concernant les ports. Il existe beaucoup de ports maritimes en Turquie, et il semble qu'il y ait là une sorte de brèche dans le dispositif de sécurité. Quelles dispositions la Turquie prend-elle, a-t-elle pris ou souhaite-t-elle prendre pour faire en sorte que les contrôles effectués dans les ports maritimes soient identiques à ceux réalisés sur les voies aériennes ?

Ma deuxième question concerne l'approvisionnement financier de Daech. Vous avez évoqué les conditions financières invraisemblables qui ont fait que des terroristes se sont emparés de véritables « magots ». En outre, selon les experts, il apparaît que, chaque jour, Daech gagne un million de dollars en trafiquant la vente du pétrole, notamment par le biais d'intermédiaires turcs. Que fait donc la Turquie pour assécher cette source de financement qui ne fait que renforcer ce groupe terroriste ?

M. Gilbert Roger. - Monsieur l'ambassadeur, je rejoins Christian Cambon à propos de la première question. Que préconisez-vous pour améliorer la coopération entre l'Union européenne, votre pays et nos partenaires arabes pour protéger la frontière entre la Turquie et la Syrie des actions de Daech ?

Pourquoi votre gouvernement refuse-t-il toujours d'autoriser l'OTAN, dont la Turquie est membre, à utiliser ses bases aériennes ? Qu'est-ce qui vous en empêche, alors que vos représentants affirment à qui veut l'entendre qu'ils sont très heureux d'être membres de cette organisation ?

M. Aymeri de Montesquiou. - Monsieur l'ambassadeur, une rumeur très négative se répand à propos de votre pays. Or, une rumeur est toujours incontrôlable et il est très difficile de s'en débarrasser...

Vous avez parlé de vos efforts pour lutter contre Bachar el-Assad, mais non de ceux employés pour combattre Daech. En France, on regarde avec horreur les exactions commises par Daech, qui semblent un mal bien plus grand que celui que représente Bachar el-Assad. Certains reportages diffusés par la télévision turque ont montré des terroristes de Daech passant sous un pont ferroviaire en direction de Suruç sans que l'armée turque réagisse.

On a vu des photos de l'armée turque à un kilomètre de Kobané. Peut-être beaucoup d'habitants en sont-ils partis, mais ils l'ont fait sous la terreur et par crainte des massacres. À aucun moment l'armée turque n'est intervenue contre Daech. De la même façon, les Kurdes syriens de l'YPG disent combien ils ont le sentiment que l'armée turque aide Daech, et agit contre eux...

Peut-être avez-vous pris connaissance des déclarations du colonel Abdul Jabbar al-Agedi, qui affirme que tout se passe bien avec Daech, mais que le problème vient des Kurdes de Syrie...

Il serait intéressant pour nous de savoir quelles actions mène l'armée turque contre Daech. Quels sont les éléments concrets ? Un certain nombre semblent prouver quelque complaisance de l'armée turque vis-à-vis de Daech : pouvez-vous nous affirmer le contraire ?

Enfin, des négociations ont lieu depuis de nombreuses années entre Abdullah Öcalan et l'Etat turc. Quel est l'objectif final de ces négociations avec le PKK ?

Mme Nathalie Goulet. - Monsieur l'ambassadeur, un certain nombre d'entre nous ont visité les camps de réfugiés. D'après le HCR, ces réfugiés vivent dans les meilleures conditions possibles. La France accueille 500 réfugiés syriens ; vous en êtes à près de deux millions. Cela doit tous nous faire réfléchir.

Par ailleurs, pourquoi la convention sur la sécurité intérieure, signée en 2012, n'est-elle toujours pas ratifiée ? En avez-vous une idée ? L'article 5 concerne la coopération en matière de terrorisme...

Enfin, quel est l'état de vos relations avec Israël ?

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Monsieur l'ambassadeur, vous avez la parole.

M. Hakki Akil. - La question du contrôle des frontières est primordiale pour la Turquie. Lors de notre lutte contre le PKK, nous ne sommes pas non plus parvenus à contrôler nos frontières avec l'Irak, par lesquelles passaient des terroristes du PKK, qui venaient attaquer les bases militaires de Turquie et commettre des exactions. Le bilan pouvait parfois s'élever à trente ou quarante militaires assassinés.

Le contrôle des frontières n'est donc pas aussi facile que vous l'imaginez, surtout dans une région très montagneuse. Même lorsqu'il s'agissait de combattre le PKK, nous n'arrivions pas à contrôler toutes ces zones montagneuses frontalières avec l'Irak.

Quant à la frontière avec la Syrie, elle s'étend sur 900 kilomètres, dans une zone où plus d'un million de réfugiés font le va-et-vient. Chaque fois que la situation s'améliore, les réfugiés syriens veulent rentrer chez eux. Nous n'allons pas les en empêcher ! Puis, ils reviennent quand les choses s'aggravent à nouveau.

L'opposition syrienne modérée utilise également ces frontières pour aller et venir, ou pour se faire soigner en Turquie. Soyons clairs : comme je l'ai dit au début de mon intervention, la Turquie soutient l'opposition syrienne modérée et l'appuie. Dans cette zone, le fait de contrôler les éléments terroristes n'est malheureusement pas aussi aisé qu'il y paraît. Vous considérez que, lorsque des djihadistes français débarquent à Urfa, il est simple de les distinguer des autres, et vous nous demandez pourquoi on ne les arrête pas. Ce n'est pas aussi facile que cela : la région est pleine de personnes de ce genre - réfugiés syriens, etc. Le travail des forces de sécurité dans cette région n'est pas aussi aisé que vous l'imaginez. Cela nous pose un problème de sécurité intérieure, avant d'en poser un aux autres. C'est un risque de première grandeur pour la Turquie.

Le contrôle des aéroports et des frontières est un phénomène nouveau. Nous avons dès le début demandé un échange d'informations avec les pays alliés, qu'il s'agisse de la France ou de l'Allemagne. Vous ne disposez malheureusement pas de fichiers ! Vous nous demandez quelque chose que vous-mêmes n'êtes pas capables de faire ! Vous n'êtes pas en mesure de les arrêter à la sortie de votre territoire, et vous voudriez qu'on le fasse lorsqu'ils passent frontière turque ! Comment voulez-vous que la Turquie puisse savoir qui est djihadiste ou qui est touriste ? Nous sommes la sixième destination touristique mondiale ! Notre pays compte 39 millions de touristes. Doit-on arrêter une femme parce qu'elle porte un foulard, ou un homme parce qu'il porte la barbe ou une djellaba ? Sur quoi la Turquie doit-elle se baser ?

Certains Français et certains journalistes ont opté pour la facilité en affirmant que les Turcs n'arrêtent pas les djihadistes à la frontière. Sur quelle base juridique peut-on arrêter les gens à la frontière ?

Dès le début, nous avons demandé des informations. Or, les pays européens, eux non plus, n'étaient pas prêts à affronter une telle situation ! Ils n'avaient ni fichiers ni législation adaptée ! Rappelez-vous les discussions qui ont eu lieu en France, à l'Assemblée nationale, quand il s'est agi de promulguer une nouvelle loi pour combattre la sortie des djihadistes du pays... D'un côté, on doit respecter les libertés individuelles et, de l'autre, combattre le terrorisme.

Vous nous avez demandé d'arrêter des gens présumés terroristes, sans qu'il n'y ait aucune preuve qu'ils le soient. Nous les avons refoulés, mais vous nous avez cependant demandé des choses que vous n'avez pas faites ! Quand nous avons mené la lutte contre le PKK, nous avons envoyé en France des dossiers avec des décisions de nos tribunaux comportant la liste des attentats et des meurtres qui avaient été commis par certains terroristes. Vous nous avez toujours répondu qu'on ne pouvait nous livrer ces terroristes, faute d'une pièce manquante dans le dossier, ou du fait de leur statut de réfugiés politiques, qui empêchait de les extrader ! De fait, jamais la France ni l'Allemagne n'ont extradé de terroristes du PKK.

Vous me demandez aujourd'hui pourquoi la Turquie, pays allié, ne coopère pas de façon efficace avec vous : nous coopérons d'une manière bien plus efficace que nos alliés européens ! Nous ne vous demandons ni dossiers ni preuves quand vous nous sollicitez pour refouler ou expulser certaines personnes. Nous prenons vos informations pour argent comptant, sans qu'il existe une décision d'un tribunal !

Nous avons expulsé de Turquie près de 1 200 djihadistes ou supposés tels, puisque nous n'en savons rien et que nous nous basons sur les données que nous fournissent nos alliés. Nous avons interdit l'accès sur notre territoire à plus de 8 000 personnes, toujours en fonction des informations données par les pays alliés. S'il y a eu une défaillance dans ce domaine, je peux vous garantir que cela ne vient pas de la Turquie, mais plutôt du manque d'information que les pays alliés nous fournissent.

Nous menons également des contrôles dans les ports maritimes. Si vous faites référence à des personnes entrées en Turquie par voie maritime, encore faut-il que des données sur ces personnes puissent être transmises.

Laissez-moi partager une information avec vous... Lors de l'attaque du supermarché casher, Porte de Vincennes, les chaînes de télévision françaises ont affirmé qu'une femme dénommée Hayat Boumedienne figurait au nombre des attaquants ; sa photo a été diffusée par les télévisions turques, et un policier turc, de sa propre initiative, a fouillé dans les archives. Il s'est rendu compte que cette femme avait débarqué à l'aéroport Atatürk le 3 janvier, avec un autre Français. Il a trouvé l'hôtel où ils avaient séjourné. Nous avons tout de suite averti les autorités françaises. Les Français pensaient que Hayat Boumedienne avait participé à l'attentat contre le supermarché. Personne ne savait alors qu'elle se trouvait à l'étranger. Aucune donnée n'avait été transmise aux autorités turques. C'est un policier turc, particulièrement vigilant, qui a découvert qu'elle était en Turquie. Le processus policier s'est ensuite mis en place, et on a essayé de la filer grâce à son portable.

Tout cela pour dire que, sans échange d'informations efficace entre les deux parties, il nous sera très difficile de combattre les djihadistes.

Depuis la visite du ministre de l'intérieur français, Bernard Cazeneuve, les choses vont mieux : les Turcs ont convaincu la France qu'elle devait davantage coopérer dans ce domaine, et qu'elle devait nous envoyer des informations. Sans un flux d'informations minimum, la Turquie ne peut rien faire - et je ne parle pas de l'affaire des trois djihadistes de Marseille : c'est une autre question qui relève de problèmes de politique intérieure. Je n'y reviens donc pas...

Que préconisons-nous pour protéger la frontière et assurer la lutte contre le terrorisme ? Je pense que la Turquie fait de son mieux en la matière. S'il existe bien un pays qui souffre du terrorisme, qu'il s'agisse de Daech, du Front al-Nosra ou d'autres, c'est bien la Turquie ! Lors de l'attentat d'Antakya, cinquante-deux personnes ont été tuées - policiers, soldats, civils. Nous sommes toujours sous la menace de ce groupe terroriste contre lequel nous nous battons.

Pourquoi la Turquie refuse-t-elle de laisser l'OTAN utiliser ses bases aériennes ? Tout d'abord, l'OTAN ne participe pas aux opérations. Il s'agit seulement des pays alliés et d'accords bilatéraux. Nous discutons avec les Américains pour l'utilisation de la base d'Incirlik.

La lutte contre Daech, ou contre le Front al-Nosra, la politique syrienne ou irakienne, constituent pour la Turquie un problème bien plus difficile que pour nos alliés. Les Américains, après le bourbier irakien, sont repartis chez eux. C'est nous qui avons payé le prix fort ! Nous devons être très attentifs. Il s'agit en effet de peuples amis, avec qui nous avons vécu durant six siècles, et avec qui nous allons continuer à vivre durant encore des siècles. Nous devons donc demeurer vigilants.

Si nous ne connaissons pas l'objectif des opérations militaires, nous ne pouvons nous lancer dans l'aventure. Nous demandons aux Américains de nous indiquer leur but final. Combattre Daech n'est pas la solution. Le bourbier demeure. Si ce n'est pas Daech, ce sera un autre groupe terroriste ! L'origine de tous les problèmes se trouve à Damas. Or, pour les Américains, la priorité est de combattre Daech. Combattons-le mais cela ne résoudra rien ! On ne peut combattre un groupe terroriste avec des F-16. Nous en savons quelque chose : cela fait trente ans que nous combattons le PKK : envoyer les F-16 sur les montagnes d'Irak du nord ne résoudra pas le problème.

Nous défendons qu'il faut assécher le marécage, plutôt que d'essayer de tuer les moustiques : tuez trente terroristes, quarante-cinq reviendront ! Tuez-en cinquante, ce sont cent autres qui prendront la relève. Ce n'est pas avec l'aviation que vous en terminerez avec un groupe terroriste. Il faut d'abord réaliser un travail politique, sur le terrain. En Irak, il faut que le gouvernement inclue toutes les parties pour couper l'herbe sous le pied de Daech, de façon qu'il ne puisse obtenir le soutien des tribus sunnites. Il ne faut pas que Bachar el-Assad se maintienne à Damas si l'on veut que les populations puissent rentrer chez elles.

On se pose la question de savoir qui remplacera Bachar el-Assad à Damas s'il n'est plus là. C'est très simple ! Il ne faut pas commettre l'erreur que nous avons commise en Irak ou en Libye en déstructurant l'Etat. On peut travailler avec les membres du gouvernement qui n'ont pas les mains couvertes de sang et qui possèdent l'expérience de l'Etat, afin de créer un gouvernement de transition, qui assurera une sorte de coalition incluant les Chrétiens, les Alaouites, les Sunnites, et toutes les composantes de la société.

Nous sommes réticents à une participation plus active, qui peut directement mener la Turquie à une guerre contre la Syrie, ce qui n'est pas le cas des Etats-Unis, de l'Allemagne, de la France ou de l'Italie. En cas de contre-attaque de la Syrie, la Turquie doit y répondre. Il y aura alors une escalade, et la Turquie se retrouvera entraînée dans la guerre. Les choses ne sont pas aussi simples que vous pouvez les voir de Paris.

Quant aux rumeurs, il y en a beaucoup. Je peux même vous en raconter d'autres ! On dit que nous faisons plus d'efforts pour lutter contre Bachar el-Assad que contre Daech. Croyez-moi : nous faisons également beaucoup d'efforts contre Daech. Nous avons fourni une aide militaire à l'Irak pour qu'il puisse combattre Daech. Lorsque nous avons voulu envoyer des soldats à Kobané, les Kurdes du PYD ont refusé l'aide de l'armée turque. Lorsque nous avons voulu faire transiter les peshmergas d'Irak du nord vers Kobané, le PYD a refusé. Il a fallu un mois de négociations pour qu'il accepte, la présence des peshmergas remettant en cause leur autorité.

On s'est entendu sur le chiffre de quatre cents peshmergas : ils n'en ont accepté que quatre-vingts ! Convaincre le PYD de faire transiter l'opposition syrienne modérée par la Turquie et de les envoyer en renfort nous a pris du temps, mais il a fini par les accepter.

Nous sommes en train d'équiper les Kurdes et combattons Daech d'une façon bien plus efficace que vous l'imaginez. Je ne sais comment les journalistes de la télévision peuvent affirmer que les personnes qui passent la frontière sont des militants de Daech. Je ne sais s'ils portaient sur eux des inscriptions permettant de les identifier, mais ce que je peux dire c'est qu'il y a eu dans cette affaire beaucoup de désinformation ! En France, le PYD a essayé de faire croire que des jeunes filles kurdes, une kalachnikov à la main, se battent pour des valeurs démocratiques ! Le PYD est une organisation stalinienne : je ne pense pas qu'il se batte pour des valeurs démocratiques !

Vous dites que l'armée turque n'intervient pas, alors qu'elle est à un kilomètre de Kobané. Le passage de la frontière par l'armée turque constituerait une déclaration de guerre à la Syrie. Ce n'est pas parce que vous voyez à la télévision des chars turcs alignés qu'ils peuvent passer la frontière à leur guise et combattre Daech. Pourquoi la France et les États-Unis n'envoient-ils pas des troupes au sol ? Je peux vous poser la même question. Pourquoi les Allemands n'envoient-ils pas des troupes au sol. Vous nous demandez quelque chose que vous ne faites pas vous-mêmes ! Les rumeurs vont bon train, mais elles sont parfois très déplacées.

Vous évoquez le colonel Abdul Jabbar al-Agedi. Je ne le connais pas. Il n'est certainement pas turc, étant donné son nom ! Laissez-moi vous dire que si un pays risque de souffrir de la présence de Daech, c'est bien la Turquie. Daech veut étendre son influence à la Turquie, pour l'exercer sur les populations sunnites. Nous devons donc être bien plus vigilants que la France, ou que les autres pays européens. Le combat contre Daech est pour nous dix fois plus important que pour les Français, les Allemands, ou les Italiens, car Daech constitue un danger imminent à nos frontières.

Comme je l'ai dit, avant de nous lancer dans une aventure militaire d'envergure, nous devons connaître le but final. Anéantir Daech, selon nous, ne résoudra pas les problèmes de la région. Les problèmes de la région se trouvent ailleurs. Si on anéantit Daech, les militants iront vers al-Nosra. Si on anéantit al-Nosra, une autre organisation prendra la suite. Jusqu'en 2013, personne ne parlait de Daech, qui est un pur produit du régime de Damas. Il faut donc bien analyser la situation sur le terrain.

Quant au processus de paix, ainsi que je le disais, la Turquie a mené la guerre durant trente ans contre le PKK, et a constaté qu'il n'existait pas de solution militaire. On a compté le nombre de morts des deux côtés, sans que cela ne mène nulle part. Le gouvernement a donc décidé de mener un processus de paix avec le PKK. Les négociations continuent. Le PKK est également un pur produit de Damas, protégé par Damas, et développé par la Syrie à partir de 1984. Abdullah Öcalan se trouvait à Damas de 1984 jusqu'à 1998, comme tous les autres chefs terroristes des autres groupuscules.

Nous savons que ce n'est pas une organisation monolithique. Les services secrets syriens sont derrière et essayent de saboter le processus de paix, continuant à commettre des attentats. Le gouvernement tente malgré tout de progresser, en dépit des difficultés de politique intérieure. Certains éléments du PKK continuent à commettre des attentats et à tuer des militaires. Le gouvernement demande à l'armée de ne pas intervenir. Politiquement, les choses sont délicates.

Les habitants, en l'absence d'affrontements militaires depuis un an et demi, se sont habitués au calme. Les investissements ont commencé à se développer et le bien-être s'est installé. Si l'une des parties tente de renoncer au processus de paix, elle sera très mal vue par la population. Espérons que l'on va trouver une solution pacifique.

Quant à la convention sur la sécurité intérieure, c'est aux parlementaires français qu'il faut poser la question ! Je pense qu'elle sera ratifiée par l'Assemblée nationale, mais je pense qu'il existe cependant certaines réticences du côté français.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Elle est, semble-t-il, à l'Assemblée nationale.

M. Hakki Akil. - Enfin, vous savez tous où en sont nos relations avec Israël. Après l'attaque du navire Mavi Marmara, nos relations ont connu une phase difficile.

Des pourparlers ont eu lieu ; nous avons été par deux fois très proches d'un accord. La dernière attaque de Gaza a compromis les choses. Nous pensons pouvoir trouver une solution dans les jours ou dans les mois à venir. Les relations entre la Turquie et Israël sont primordiales pour la région, mais le gouvernement israélien doit accepter l'idée qu'il ne peut continuer à faire ce qu'il veut, quand il veut, où il veut. Tous les pays ont des problèmes de sécurité. Israël n'est pas le seul. Nous en avons également. Nous combattons également les terroristes, mais cela ne nous donne pas pour autant le droit de commettre des attentats ou de tuer des gens dans des pays étrangers.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Ces sujets sont extrêmement graves, en particulier du fait de votre proximité - même si ceux qui sont éloignés des terroristes sont exposés d'une autre manière. C'est là une donnée nouvelle...

Mme Josette Durrieu. - J'ai visité le camp de Hatay dès son ouverture. Il faut saluer l'effort de la Turquie en matière d'accueil des réfugiés. Celui-ci est exceptionnel ! 5 milliards de dollars représentent en effet une somme énorme, et il faut relever que vous ne recevez pas beaucoup d'aides !

D'une manière générale, tout ce que vous avez dit est parfaitement exact. L'analyse à propos de Kobané pourrait toutefois être différente. Ce que nous avons vu était différent de ce que vous avez présenté. Vous ne pouvez pas esquiver le fait que Mossoul, Kobané et Alep sont situées sur la route du pétrole, et qu'il s'agit d'un positionnement stratégique important. Ici, le problème des Kurdes et du PKK reste majeur.

Nous sommes en 2015, et les élections législatives se profilent à l'horizon ; or, nous savons que le président Erdoðan souhaite probablement disposer d'une majorité au Parlement, afin de pouvoir notamment changer la Constitution. Il ne peut y parvenir que grâce à un accord avec les Kurdes. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos relations internes avec eux ?

Nous avons relevé la présence de votre Premier ministre lors de la marche pour les victimes de l'attentat contre le magazine Charlie Hebdo, mais la Turquie a également connu des problèmes majeurs le 14 décembre. Ceux-ci ont touché directement les journalistes des grands quotidiens - certains plus que d'autres. Comment faites-vous pour gérer cette contradiction ? La Turquie ne passe tout de même pas pour le pays où la liberté d'expression est la mieux préservée !

M. Jeanny Lorgeoux. - Quel est l'état actuel des relations de la Turquie avec l'Egypte ? Sont-elles exécrables, difficiles, indifférentes, cordiales ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Comment la Turquie intégrera-t-elle les événements relatifs à la communauté arménienne dans les célébrations du centenaire ?

M. Jean-Marie Bockel. - Par les hasards du calendrier, j'étais hier et avant-hier, dans le cadre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, sur la problématique des réfugiés syriens, à Urfa et à Kilis. Quand on se situe à quelques centaines de mètres de zones où se trouve Daech, on perçoit sur le terrain la complexité de la situation.

En ce qui me concerne, je ne suis ni complaisant ni donneur de leçons. Je crois que la Turquie fait de très gros efforts. On a tout dit sur la manière dont les camps sont gérés. De nouveaux sites sont en construction. J'ai pu en visiter, il y a un an et demi, et je me rends compte des progrès qui ont été effectués. Néanmoins, un certain nombre de réfugiés ne sont pas enregistrés pour différentes raisons. C'est la raison pour laquelle on peut en évaluer le chiffre à 2 millions environ. Quelles sont les perspectives, alors que l'afflux se poursuit ?

Par ailleurs, la zone tampon que vous avez évoquée est très attendue par les réfugiés, mais elle se heurte à un certain nombre d'obstacles. La France partage votre point de vue d'une manière générale. Pensez-vous avoir des chances de réussir ? Comment surmonter les obstacles ?

Enfin, s'agissant des questions de sécurité, qui nous tiennent à coeur de part et d'autre, la relation entre nos deux pays s'est sensiblement améliorée. Nous sommes en train de surmonter un certain nombre d'incompréhensions. En dehors des nuances que l'on peut avoir sur certains aspects, on ne peut que s'en réjouir.

M. Gaëtan Gorce. - Nous sommes conscients du rôle que la Turquie est appelée à jouer dans la région. Elle est en effet à l'intersection de deux zones extrêmement tendues, le Caucase et la Syrie. Or, pour que votre pays puisse jouer un rôle stabilisateur, il doit lui-même être dans une position stable, afin que les tensions économiques, sociales, politiques auxquelles on a assisté ces derniers mois puissent être traitées. Ma question prend le relais de celle de Josette Durrieu. Comment voyez-vous l'évolution intérieure du pays ?

Par ailleurs, on a le sentiment que, sur le sujet de la liberté de la presse ou de certaines expressions démocratiques, le pays a du mal à trouver un équilibre au regard des pressions dont il peut être l'objet. La question arménienne est toujours là. Il n'appartient naturellement pas à la France, ou à aucun autre pays, de voter des lois qui indiquent à la Turquie ce qu'elle doit faire. En revanche, il existe de grandes voix en Turquie, comme Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature 2006, qui estiment que la Turquie ne pourra pleinement trouver son équilibre intérieur que lorsqu'elle aura fait la paix avec son histoire, et notamment avec cette question. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Enfin, comment voyez-vous le rôle que la Turquie peut jouer dans l'évolution de la région ? Quel avenir lui voyez-vous ? Vous avez dit estimer que les États-Unis n'avaient pas une vision claire de ce qu'ils souhaitaient faire. Leur intervention a eu un rôle très déstabilisateur. C'est aux deux grandes puissances de la région que sont l'Iran et la Turquie de trouver un accord. Comment la réflexion peut-elle s'engager entre elles pour trouver des solutions que les interventions extérieures ne permettent manifestement pas de dégager ?

M. Robert del Picchia. - Quelles sont vos relations avec l'Iran ? J'ai autrefois, lors d'un entretien avec M. Erdoðan, à l'époque Premier ministre, pu observer une assez grande facilité dans le dialogue avec les autorités iraniennes, est-ce toujours le cas ?

Par ailleurs, nous avons rédigé plusieurs rapports sur la Turquie concernant ses relations avec l'Union européenne. De hauts responsables politiques de votre pays voient la Turquie associée à l'Union européenne, mais non en tant que membre, considérant qu'elle ne pourra politiquement passer certains stades. Vous avez évoqué tout à l'heure la possibilité d'un référendum en Turquie. Vous allez vous retrouver face à une grande difficulté, l'aile de l'AKP opposée à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne ayant toujours considéré que cette entrée ne vous apporterait que des ennuis et vous obligerait à respecter certaines valeurs que vous n'êtes pas en mesure d'honorer, selon eux. Vous risquez donc de subir un retournement de situation. Cette aile de l'AKP, qui est très puissante, va le devenir davantage encore, et risque de bloquer les relations avec l'Union européenne, que tout le monde souhaite pourtant voir se développer.

Sur le plan économique enfin, la Turquie est un grand allié de l'économie et de l'industrie française. À Bursa, une usine Oyak-Renault a produit l'année dernière 1,4 million de véhicules. Comment voyez-vous donc l'avenir avec l'Union européenne ?

M. Jacques Legendre. - Je désirerais donc connaître vos rapports avec l'Iran et l'appréciation que vous portez sur l'évolution de ce pays.

Mme Bariza Khiari. - Ma question se situe dans le prolongement de celle de Mme Durrieu au sujet de l'arrestation d'un certain nombre de personnalités, dont un journaliste dirigeant du journal Zaman.

Par ailleurs, après avoir été très proches de M. Erdoðan, il semble que les membres de la confrérie de Fethullah Gülen soient menacés. Y aurait-il une guerre larvée des clans en Turquie en ce moment ? Qu'en est-il en réalité ?

M. Jean-Pierre Masseret. - Ma question porte sur la laïcité. Ce principe a été totalement et historiquement partagé par la France et la Turquie. Nos deux pays ont toujours donné à ce mot exceptionnel le même contenu de valeur et d'opérationnalité. Est-ce toujours le cas en Turquie aujourd'hui ?

Le débat sur la Constitution ne conduirait-il pas à affaiblir ce principe, qui est aussi une des clés de l'intégration de la Turquie dans l'Union européenne ?

M. Hakki Akil. - Depuis une dizaine d'années, le pourtour de la Turquie a connu bien des guerres et des turbulences - Caucase, Géorgie, Abkhazie, Ukraine, Balkans, Proche-Orient, conflit irako-iranien. Pendant toute cette période, la Turquie a pu jouir d'une stabilité politique certaine et connaître une croissance économique énorme. Elle a plus que triplé son PIB ; elle est passée d'une économie de 230 milliards de dollars à une économie de 840 milliards de dollars. Vous pouvez penser tout ce que vous voulez : la Turquie n'a pu réaliser cet essor que grâce à ses valeurs démocratiques. La démocratie ne s'est jamais interrompue pendant ces douze années !

Il faut relever le fait que nous avons pu faire vivre la démocratie et continuer à croître économiquement dans une région de turbulences, celles-ci n'ayant jamais connu de pause. Ce n'est pas facile, lorsqu'on combat le terrorisme.

Nous l'avons fait grâce aux choix qu'a opérés la Turquie. Le gouvernement a toujours choisi clairement les libertés publiques, qu'il a favorisées, sans jamais faire de concession à la sécurité. Ce choix a été primordial pour l'essor économique. Durant cette période, les investissements étrangers se sont élevés à 130 milliards de dollars. Or, ceux-ci ne sont jamais réalisés dans un pays où il n'existe ni sécurité ni Etat de droit. Personne ne place son argent dans un pays qui n'est pas démocratique et qui n'offre pas une certaine garantie juridique !

Après cette introduction, je vais essayer de répondre aux questions que vous m'avez posées concernant les libertés publiques, l'arrestation des journalistes ou le rôle de la confrérie musulmane...

La Turquie n'a pas bonne presse en France. En tant qu'ambassadeur, j'en souffre beaucoup : notre Premier ministre vient en France avec 38 ° de fièvre assister à la marche à la mémoire des victimes de l'attentat du 11 janvier dernier, afin d'afficher sa solidarité avec votre pays dans la lutte contre le terrorisme et, le lendemain, trois journaux français titrent : « Un invité encombrant ! ». Pourquoi « encombrant » ? On nous traite comme des pestiférés, comme si notre pays ne défendait pas les libertés individuelles !

Sachez qu'en Turquie, on trouve plus de deux cents chaînes de télévision, deux mille avec les télévisions locales, plus de trois mille cinq cents radios FM. Tous les villages de trois mille habitants à quatre mille habitants disposent de leur radio FM. Vous ne pouvez prétendre que les libertés publiques n'existent pas dans notre pays, avec un éventail médiatique aussi large, et de tous bords.

Les croyants qui préfèrent regarder une chaîne religieuse bénéficient de leur canal ; le PKK bénéficie de sa chaîne. Certaines chaînes diffusent des émissions en kurde, en arabe, avec toutes les sensibilités locales ou ethniques. Il n'y a aucune interdiction, et l'on compte peut-être beaucoup plus de médias qu'en France.

Le Conseil mondial des journalistes, qui s'était inquiété de l'arrestation de sept journalistes turcs, est venu en visite dans notre pays, à la demande du ministre de la justice. Cinq de ces sept journalistes ont été arrêtés et inculpés de délits de droit commun - détention d'armes, attentats, meurtres. L'un d'eux est sous le coup d'une sentence à perpétuité, l'autre de douze années de prison pour des faits de droit commun. Un autre est mort. En Turquie, aucun journaliste n'est arrêté pour délit d'opinion.

En ce qui concerne les arrestations des journalistes de Zaman, la Turquie a connu ces derniers temps, vous le savez, des arrestations massives. Beaucoup de policiers ont été également arrêtés. Gülen bénéficie, depuis des années, d'un soutien très important dans le milieu judiciaire et administratif, au ministère de l'intérieur, jusque dans les rangs des préfets et des sous-préfets et, surtout, dans la police.

Imaginez un pays dont la police réalise sans autorisation, ni sans aucune décision judiciaire, des écoutes téléphoniques sur les téléphones cryptés du chef de l'Etat, du Premier ministre ou des ministres, ainsi que des autres officiels, y compris le chef d'état-major ! Les journalistes de Zaman, le journal de l'imam Gülen, étaient impliqués dans ces affaires. Policiers et juges faisaient partie du même réseau, et agissaient de concert. Une structure parallèle s'était installée au coeur de l'État !

Au départ, le mouvement de Gülen était l'allié du gouvernement, et ce dernier ne pensait pas qu'il pourrait le menacer. La Turquie a heureusement résolu le problème, tout en respectant le cadre démocratique. Les journalistes n'ont pas été jugés pour avoir écrit un article hostile au Premier ministre, au gouvernement ou à la politique gouvernementale, mais pour leur appartenance à un mouvement qui, selon le juge d'instruction, a tenté de renverser le gouvernement. C'est une affaire judiciaire. On verra comment elle se termine. Aucun journaliste, en Turquie, n'est arrêté pour délit d'opinion. Cela n'existe pas dans la loi.

Par ailleurs, nos relations avec l'Egypte sont assez difficiles. La Turquie a subi de multiples tentatives de coups d'Etat. Elle sait d'expérience que les coups d'Etat militaires ne sont pas une solution. Nous en avons vécu en 1960, en 1971, en 1980 et en 1998. Nous avons essayé d'expliquer à nos amis égyptiens que cela risquait de repousser la démocratisation du pays d'une dizaine d'années. En pareil cas, une partie de la population est en effet tenue à l'écart de la lutte politique. Lorsque ces gens prendront le pouvoir, dans dix ans, ils en seront au même point qu'en 2012, sans aucune expérience de l'Etat. Ils auront perdu dix ans...

C'est pourquoi nous avons été très critiques à propos de la prise du pouvoir du général al-Sissi en Egypte. Nous avons estimé qu'il s'agissait d'un coup d'État militaire et qu'il ne fallait pas se le cacher. En 1981, quand les militaires ont pris le pouvoir en Turquie, après un coup d'Etat, nous avions nous aussi prétendu qu'il y avait eu un soutien populaire, sans que personne ne sache d'où venait cette légitimité.

Nos relations sont donc délicates. L'Egypte est un pays très important pour le monde arabe. Espérons que la démocratie reviendra le plus tôt possible !

En ce qui concerne les événements de 1915, il faut séparer les relations entre le peuple arménien et le peuple turc, et la définition des faits. C'est là une question juridique. Chacun peut estimer qu'il s'agit ou non d'un génocide : cela n'a pas de valeur juridique.

Nous avons proposé à l'Arménie de réunir des historiens au sein d'un Conseil international, d'ouvrir toutes les archives, qu'elles soient turques, arméniennes, françaises, américaines, ou russes, et de les laisser travailler de façon à examiner tous les documents. S'ils l'estiment nécessaire, ils pourront saisir un tribunal en fonction de ce qu'ils auront découvert. Nous sommes prêts à accepter leurs conclusions, mais nous ne voulons pas que la diaspora arménienne oeuvre sur le terrain politique en répétant à l'envi qu'il y a eu génocide et en faisant voter les petites communes, les villes, les conseils municipaux sur les événements de 1915 - voire certains parlements, qui ne connaissent rien au problème.

La définition du génocide a été établie sur mesure pour l'holocauste. C'est une définition très précise. Il faut donc examiner les événements, et ce sont les historiens et les juristes qui doivent le faire. La Turquie est prête à accepter les conclusions des historiens, mais il faut que ce soit un tribunal approprié qui en décide. Ce n'est pas à un Parlement ni à trente ou quarante élus qui ont des convictions personnelles ou politiques d'en décider.

Le plus important pour moi réside dans le second volet. La définition des événements de 1915 peut varier. Il s'agit de circonstances malheureuses qui se sont déroulées il y a cent ans. Notre Premier ministre a expliqué que nous partageons la douleur du peuple arménien, que nous compatissons, que la déportation n'était pas une bonne décision politique, et qu'elle a eu des conséquences tragiques pour le peuple arménien.

Ce qui me gêne, c'est le fait que deux peuples qui ont vécu huit siècles ensemble, qui ont la même culture, la même cuisine, les mêmes chansons, le même humour, puissent se retrouver dans une situation telle à cause de la définition de ces événements.

Aujourd'hui, si un pays peut aider l'Arménie à rejoindre le camp occidental, c'est bien la Turquie. En trois ans, la Turquie peut garantir le développement économique de ce pays, que la plupart des Arméniens quittent malheureusement. Soixante-dix mille Arméniens, à propos desquels nous fermons les yeux, travaillent en Turquie dans la clandestinité. Ce peuple a beaucoup contribué à l'établissement de l'empire ottoman.

Si Istanbul est aussi belle, c'est grâce à plusieurs architectes arméniens, qui ont beaucoup contribué à l'épanouissement de l'Anatolie. En tant qu'ambassadeur de Turquie, cela me fait mal au coeur de constater que ces deux peuples sont partout considérés comme ennemis. Nous ne sommes absolument pas ennemis ! Quand un Arménien et un Turc sont côte à côte, ils s'entendent à merveille, je vous l'assure ! Tôt ou tard, ce problème doit être résolu d'une façon ou d'une autre. J'espère que ces deux peuples pourront retrouver l'amitié qu'ils ont connue pendant huit siècles.

En 2012, pour des raisons politiques, on a inclus deux pages dans les livres d'histoire français, où certains historiens ont énoncé des contre-vérités. Cela a créé des problèmes intercommunautaires dans les écoles entre élèves arméniens et turcs. Dieu nous en garde ! Des échauffourées entre élèves peuvent se traduire par des problèmes familiaux. Il s'agit là d'une bombe à retardement qui peut rapidement se transformer en conflit intercommunautaire. J'espère que la France sera sensible à cette question. Aujourd'hui, on compte cinq cent mille Français d'origine arménienne pour trois cent mille Français d'origine turque et trois cent vingt mille Turcs, soit six cent vingt mille personnes. Il nous faut donc faire des efforts pour éviter ce genre de malentendus entre les deux communautés !

Quant à l'Iran, nos frontières ont été tracées au XVIe siècle. Nous avons de bonnes relations, même si nous ne nous entendons pas très bien sur certains sujets, comme le dossier syrien. Nous entretenons un dialogue intense à ce sujet avec les Iraniens pour essayer de trouver une solution au problème entre l'Irak et la Syrie. Les efforts des deux pays sont très importants pour la stabilité régionale.

En ce qui concerne le dossier nucléaire, la Turquie est bien entendu contre les armes atomiques dans la région, pas seulement pour ce qui est de l'Iran, mais aussi s'agissant de tous les autres pays. Aucun ne doit être muni de l'arme nucléaire.

Par ailleurs, la laïcité constitue bien sûr un front commun entre la Turquie et la France. Vous vous êtes déclarés en faveur de la laïcité, en 1905, à l'initiative d'Émile Combes, Aristide Briand ayant finalisé la loi. Toutefois, la France, à la grande joie du Vatican, a séparé totalement l'Eglise et l'Etat et a perdu tout contrôle sur l'Eglise. Celle-ci est donc devenue entièrement indépendante.

Pour notre part, en copiant votre loi, nous avons réalisé deux adaptations... Nous avons interdit toutes les confréries et les congrégations ; cependant, nous avons créé une direction générale des affaires religieuses au sein des services du Premier ministre. La grande différence entre la religion musulmane et la religion catholique réside dans le fait qu'on ne trouve pas chez nous de classe cléricale. Il n'existe donc pas de hiérarchie. Les imans sont répartis un peu partout et peuvent agir chacun à leur guise.

M. Jeanny Lorgeoux. - C'est le cas chez nous !

M. Hakki Akil. - Cette direction générale ne va pas exactement de pair avec la notion de laïcité française. Avec la démocratisation du régime et le passage au multipartisme, la laïcité a changé de forme. Nous nous sommes rendu compte que le kémalisme et la laïcité servaient de prétextes aux militaires pour mener leurs coups d'Etat : prétendant que la laïcité était en danger, ils se sentaient le droit d'intervenir militairement et de changer le gouvernement !

Aujourd'hui, la laïcité en Turquie a évolué vers une conception anglo-saxonne. Les gouvernements successifs ont en effet rencontré beaucoup de difficultés avec la laïcité militante à la française. Une famille turque ne pouvait envoyer une jeune fille à l'université sous prétexte qu'elle portait un foulard, alors que ce n'était pas le cas en France, en Allemagne ou aux Etats-Unis ! L'exemple de feu le président Turgut Özal est de ce point de vue remarquable : quand il a voulu pour la première fois se rendre à la prière du vendredi, les journaux ont titré sur l'arrivée du fondamentalisme et la fin de la laïcité en Turquie ! En tant que Musulman, il était bien tenu de se rendre à la mosquée pour la prière du vendredi...

De nos jours, les choses se stabilisent. La compréhension de la laïcité a évolué : l'État est laïc, mais les individus peuvent être athées, croyants, Musulmans, Chrétiens, Juifs. L'État doit être à équidistance de toute croyance et garantir la liberté dans ce domaine, sans se mêler de la vie quotidienne des religions. Voilà où nous en sommes.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Le débat a été très intense. Derrière chaque sujet se profilent des aspects très lourds. On retiendra sans doute votre image : il faut d'abord assécher le marécage avant de tuer les moustiques ! Notre problème provient de la taille des moustiques...

M. Hakki Akil. - Ils sont encore plus gros de notre côté !

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Et vous avez le marécage ! Nous sommes donc liés par cette situation, et l'on voit d'ailleurs bien que la hiérarchisation des sujets revêt une certaine importance. Ce que vous avez dit à propos du dossier syrien est particulièrement clair.

Quoi qu'il en soit, vous avez participé à une séance qui restera, pour nous, très éclairante.

M. Hakki Akil. - Je vous remercie de votre attention. En ce qui concerne le marécage, nous en sommes très près. Seuls les moustiques qui nous échappent arrivent jusqu'à vous, mais le plus grand nombre reste dans notre région.

Situation en Turquie - Communication de Mme Nathalie Goulet

La commission a ensuite entendu une communication de Mme Nathalie Goulet sur la situation en Turquie.

Déplacement auprès des forces armées en Afrique - Communication de M. Jacques Gautier

Puis la commission a entendu une communication de M. Jacques Gautier sur le récent déplacement auprès des forces armées en Afrique, auquel participaient également MM. Daniel Reiner, Mme Leila Aïchi et M. Jean-Marie Bockel.

Questions diverses

Mes chers Collègues,

En « questions diverses » conformément à ce que nous étions convenus la semaine dernière, nous pouvons désigner aujourd'hui les sénateurs pour les missions d'information que le Bureau de notre commission a définies pour 2015.

Pour « Les conséquences géopolitiques du changement climatique : du dérèglement climatique au dérèglement politique », le groupe de travail sera co-présidé par Cédric Perrin et Leila Aïchi tandis que Éliane Giraud participera au rapport et effectuera le déplacement. Je précise tout de suite qu'un programme d'auditions sur la « Conférence Climat » sera organisé pour toute la commission en liaison avec les autres commissions concernées. Pour la mission en Chine, sur « Les conséquences sur la France et l'Europe de la « nouvelle croissance » -inclusive-, chinoise », les co-présidents seront Henri de Raincourt et Hélène Conway-Mouret, qui sont nos rapporteurs « aide publique au développement » ; tandis que Bernard Cazeau et André Trillard participeront au rapport et effectueront le déplacement. Pour le rapport : « Les relations avec la Russie : comment sortir de l'impasse ? », Aymeri de Montesquiou et Josette Durrieu seront co-présidents, tandis que Robert Hue (et un sénateur restant à désigner) participeront au rapport et effectueront le déplacement. La mission : « L'Iran, le renouveau d'une puissance régionale », dont le déplacement sera jumelé avec celui qui est prévu à Abou Dhabi (visite des bases militaires françaises, notamment la base aérienne d'où partent nos avions de chasse pour l'Irak, et présence au salon d'armement IDEX), justifie de ce fait, comme nous l'avons décidé la semaine dernière, la participation de 5 sénateurs. Jacques Legendre et Daniel Reiner seront co-présidents pour le volet « Iran », tandis que Jacques Gautier et Daniel Reiner co-présideront le volet « Abou Dhabi ». Michèle Demessine et Joël Guerriau  effectueront le déplacement à Abou Dhabi et en Iran et participeront au rapport.

A ces quatre thèmes de mission s'ajoute le déplacement annuel de la commission à New York à l'occasion de l'Assemblée générale de l'ONU, que je conduirai, et auquel Bariza Khiari et Alain Gournac participeront (un sénateur reste à désigner). Y a-t-il des oppositions ? (Il en est ainsi décidé).

Je n'oublie pas notre programme « défense », qui sera lui aussi bien rempli.  Nos rapporteurs du programme 146, Jacques Gautier et Daniel Reiner, vont travailler sur « La coopération franco-allemande en matière de défense » et se rendront, à cet effet, à Berlin. Nous devons également contrôler l'exécution de la loi de programmation militaire, s'agissant en particulier du respect de sa trajectoire financière, comme nous l'avions fait en juin dernier, et préparer la mise en oeuvre du report des déflations d'effectifs ; préparer aussi le débat législatif sur le droit d'association dans les armées ; et suivre la réforme du service de santé des armées.

La commission se déplacera auprès des forces armées, notez déjà le 5 février la visite du « Balardgone », qui sera suivie d'autres déplacements, auprès du service de santé des armées, de la base aérienne de Lyon Mont de Verdun, à Sissone au centre d'entraînement en zone urbaine de l'armée de terre, et à Toulon pour la Marine -et je ne désespère pas de vous faire découvrir la base aérienne de Cognac !-. Sans compter les visites de nos rapporteurs aux entreprises de défense -165 000 emplois sur le territoire-, grands groupes comme PME.

La réunion est levée à 11 h 50