Mercredi 1er avril 2015

- Co-présidence de M. Hervé Maurey, président, et de M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères et de la défense -

La réunion est ouverte à 11 heures

Conférence Paris climat 2015 (COP21) - Audition de M. Nicolas Hulot, envoyé spécial du Président de la République française pour la protection de la planète

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. - Le Sénat est mobilisé autour de la Conférence Paris climat 2015 (COP 21). De nombreuses initiatives ont été lancées, et Hervé Maurey est en charge de coordonner notre travail collectif. Au sein de la commission des affaires étrangères, particulièrement concernée par ce rendez-vous majeur pour la diplomatie française, nous avons créé un groupe de travail présidé par Cédric Perrin et Leila Aïchi. Il se concentre sur les aspects diplomatiques et internationaux du sujet, comme la question des réfugiés climatiques ou la situation géopolitique de l'Arctique.

Le calendrier fait coïncider la COP 21 avec le résultat des élections régionales en France. Le weekend dernier, quinze chefs d'État dont le président chinois étaient présents au Boao Forum for Asia, le Davos de l'Asie. Si le premier ministre néerlandais a mobilisé positivement autour de la Conférence de Paris, un représentant de l'Institut Rockefeller aux États-Unis a, en séance plénière, mentionné la France dans son discours, avec une photo de Marine le Pen en arrière-fond. C'est dire le risque qu'il y a à ce que la COP 21 serve de caisse de résonance aux résultats du FN en régions. Le monde entier se mobilisera sur le sujet, alors que ce n'est pas l'essentiel. Nous avons des ambitions fortes pour la COP 21. C'est un combat politique qui nous rassemble. Anticipons cette difficulté du calendrier pour qu'elle ne menace pas la substance même de notre mobilisation : le climat et l'avenir de notre planète.

M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable. - Le Sénat souhaite prendre toute sa part dans la préparation de la COP21. Un groupe de travail sur les négociations climatiques internationales existait au sein de la commission du développement durable. A la demande du président du Sénat, il a été élargi à l'ensemble des commissions et délégations du Sénat ; il est présidé par Jérôme Bignon. D'autres initiatives ont été prises. Outre le groupe de travail sur le climat en outre-mer, la délégation aux collectivités territoriales s'occupe également du sujet, sous la présidence de Jean-Marie Bockel. Enfin, le Président du Sénat souhaite qu'on y consacre un temps de discussion lors de la journée au Sénat des maires à l'occasion de leur prochain congrès.

La COP 21 représente une échéance capitale. Comme Jean-Pierre Raffarin, je regrette la malheureuse concomitance de la conférence et des élections régionales. Nous l'avions pourtant signalée assez tôt. Cette rencontre est importante pour notre diplomatie et pour la préservation de la planète. Pour reprendre les mots de Ban Ki-moon, « il n'y a pas de plan B parce qu'il n'y a pas de planète B ».

Monsieur Hulot, êtes-vous toujours raisonnablement optimiste, comme vous nous l'aviez dit il y a un an lors d'une précédente audition, sur l'issue positive de cette négociation ? Depuis Lima, je crois pouvoir dire que l'optimisme est plus mesuré. Nous avons été impressionnés de constater que beaucoup de pays africains, par exemple, n'étaient pas forcément prêts à se mobiliser sur la question du climat. Je reviens d'Hanoï, où j'étais à l'Assemblée générale de l'Union interparlementaire. On y observe une situation qui se retrouve dans de nombreux pays. Ainsi, le Vietnam est un pays entouré par les mers, avec les problèmes qui vont avec : inondations, salinisation, moindre fréquence des récoltes.... Le ministre vietnamien de l'environnement se dit conscient de l'importance des questions climatiques. Mais par une sorte de schizophrénie, on continue pourtant dans ce pays à développer des centrales à charbon.

Autre raison de ne pas céder à un optimisme béat, le nombre réduit de contributions reçues dans le cadre préparatoire de la COP21. Les États étaient invités à soumettre leurs propositions avant la fin du premier trimestre 2015. À ce jour, n'ont été déposées que celles de l'Union européenne, de la Suisse et de la Norvège.

Vous insistez également beaucoup, avec raison, sur la nécessité de prendre des engagements financiers forts, en instaurant une taxe sur le carbone et une autre sur les transactions financières. Comment ce sujet a-t-il évolué ?

Enfin, nous sommes très sensibles au Sénat à l'implication des territoires et à leur rôle actif dans la préservation du climat. Vous avez exprimé le souhait et manifesté la volonté que les Français exercent un rôle moteur dans la dynamique des initiatives. Vous invitez notamment les internautes à « liker » les initiatives qui leur paraissent intéressantes, sur le site My positive Impact. Un sondage récent montre pourtant qu'il faut encore travailler à convaincre les Français de l'importance du sujet et de la nécessité de se mobiliser. Quels éléments pouvez-vous nous livrer sur ces différentes questions ?

M. Nicolas Hulot, envoyé spécial du Président de la République française pour la protection de la planète. - Soyez remerciés de m'avoir donné l'occasion de cet échange. Je déplore également ce calendrier malheureux qui fait que l'issue de la COP 21 coïncidera avec le résultat des élections régionales. Le problème serait constitutionnel, m'a-t-on dit. Sans forcer le trait, je crois pouvoir dire que la réussite de la Conférence de Paris est largement aussi importante que les résultats des régionales.

Quant à mon état d'esprit, je suis d'un optimisme désespéré. J'ai du mal à comprendre pourquoi il faut déployer autant d'énergie pour convaincre l'humanité de se sauver elle-même. Le constat est clairement établi. Personne ne conteste les travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), et la responsabilité anthropique est avérée. Le scepticisme qui a longtemps entravé la dynamique d'une action sur le climat n'est plus un argument opposable. Initialement, la perspective de se passer des énergies fossiles grâce auxquelles nos économies ont prospéré depuis 150 ans a créé un état de sidération. Cependant, quand la contrainte devient imparable, l'improbable est possible. La créativité est en marche pour proposer un modèle de substitution. La transition énergétique est possible, pour peu que nous ayons foi en son avènement. L'heure n'est plus au conservatisme, au scepticisme ou au fatalisme : il nous faut briser un verrou culturel.

Lors de mon dernier séjour en Russie, il y a quelques jours, j'ai pu mesurer combien l'espoir n'était jamais loin de l'abattement. Avec Laurence Tubiana, ambassadrice pour le climat, nous avons rencontré pendant trois heures et demie le conseiller spécial de Vladimir Poutine sur le changement climatique. Il avait manifestement été mandaté par le président russe pour nous aider à préparer la prochaine négociation avec les BRICS, et pour nous annoncer une contribution russe à venir, éléments positifs s'il en est. Dans la même matinée, le ministre russe en charge de l'énergie nous présentait une planification sur trente ans prévoyant de faire passer l'exploitation des énergies fossiles de 30 % à 60 % dans les quinze prochaines années, en triplant les exportations vers la Chine. L'on vérifie le paradoxe exprimé par Bossuet à propos de ces étranges créatures « qui déplorent des effets dont elles chérissent les causes ». Cela signifie que nous n'avons pas suffisamment pris la mesure des choix que nous devons faire : quelles doivent être nos priorités et à quoi devons-nous renoncer ? Si nous voulons être cohérents, le constat doit laisser place à l'action. Les ONG et les pays du sud attendent que la communauté internationale fixe des objectifs et se dote des instruments nécessaires pour les réaliser.

À Lima, certains avaient sous-estimé la défiance, pour ne pas dire plus, des pays les plus vulnérables, envers les promesses énoncées à Copenhague, notamment celle du Fonds vert pour le climat. Nous ne sommes pas crédibles, parce que les procédures pour accéder aux mécanismes sont dissuasives : certains pays d'Afrique centrale auraient dû mobiliser leur administration pendant un an pour pouvoir accéder à certains fonds. Des promesses ont été faites sur des crédits non encore identifiés. Les pays d'Afrique sont rangés comme un seul homme derrière l'Afrique du Sud. Si nous voulons qu'ils viennent dans un esprit coopératif, il faudra saisir l'occasion du G7 et du G20, qui reste une échéance essentielle même s'il est programmé à quinze jours de la COP 21, pour rétablir la confiance en affichant davantage de transparence dans notre réflexion. Si, au sein du G20, les quinze pays qui émettent 70 % des gaz à effet de serre n'assument pas leurs responsabilités, je ne vois pas comment aborder la Conférence de Paris dans de bonnes conditions.

Nous n'avons pas plus de raison de céder au défaitisme que de nous laisser aller à un optimisme sans modération. Chacun des 195 pays engagés doit jouer son rôle. Quelle que soit notre fonction, que nous soyons ministre, député ou sénateur, nous devons défendre le sujet du climat dans toutes les occasions, en amont de la Conférence de Paris, ou en provoquant des discussions.

Quand nous aurons évalué les contributions nationales et que nous nous apercevrons que nous sommes loin de la trajectoire prévue, nous devrons veiller à ne pas donner le sentiment que nous nous en accommodons. Le mandat donné par les Nations unies vise à ce que la somme des engagements nationaux pris à Paris maintienne la trajectoire d'augmentation de la température en deçà de deux degrés Celsius, tout au long du siècle. Tous les modèles scientifiques, qu'ils soient produits par le GIEC, l'Académie des Sciences de Moscou, celle du Saint Siège ou par la Banque mondiale, estiment qu'au-delà, les conséquences seraient irréversibles. Cette cible difficilement atteignable n'est ni anodine, ni indolore. L'existence de millions de personnes dépend de l'échec ou de la réussite de la COP21. J'ai encouragé le président Hollande à se rendre aux Philippines pour montrer que nous sommes conscients de cet enjeu, aussi impalpable qu'il soit au regard des souffrances quotidiennes de nos concitoyens.

Pour mobiliser la société civile, il nous faut rappeler que l'enjeu climatique n'est pas optionnel, et qu'il conditionne la solidarité à laquelle nous sommes tous attachés. Le changement climatique n'affectera pas seulement les plus vulnérables. Facteur multi-aggravant, il déclenchera une chaîne d'impact dans le monde entier. C'est l'avenir de l'humanité qui se joue, plus que celui de la planète. Ma priorité est que les enfants qui jouent dans les cours d'école puissent demain déterminer leur avenir sans subir les conséquences de phénomènes qu'ils n'auront pas provoqués. L'enjeu climatique est l'injustice ultime. C'est la pierre angulaire de la justice et de la solidarité. Ceux qui en subissent les conséquences n'ont pas profité des modèles de développement qui en sont à l'origine. Une telle situation est un facteur d'instabilité majeur dans le monde connecté qui est le nôtre, où tout se voit.

En 2012, on a compté 40 millions de déplacés climatiques, pour une moyenne de 27 millions par an. Si le phénomène se développe, plusieurs centaines de millions de personnes pourraient être concernées. Monique Barbut, la secrétaire exécutive de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, estime que la progression de la désertification en Afrique aura porté entre 2000 et 2020 60 millions de personnes aux portes de l'Europe. Même les Américains sont sensibles à cet argument, et en premier lieu les militaires qui estiment la menace climatique aussi dangereuse que le terrorisme pour la sécurité intérieure de leur pays, d'autant qu'un lien existe entre les deux sujets, comme le montrent les travaux de Leila Aïchi et de bien d'autres. Le lien entre changement climatique et instabilité est important. Au nord-est de la Syrie, la désertification a réduit la production agricole de 80 % en dix ans et détruit 60 % des troupeaux. Un million et demi de personnes ont dû se déplacer vers le sud du pays. Le changement climatique a été un facteur aggravant. Il en va de même au Darfour.

La question n'est plus de savoir si l'on entrera ou non dans une ère d'économie bas carbone, mais quand et à quel rythme nous y parviendrons. Nous devons convaincre chacun qu'il n'y a pas d'autre issue possible tout en dessinant ensemble un horizon désirable, dans le cadre de cette trajectoire. Dans son « agenda des solutions », Laurent Fabius montre ainsi qu'il existe un modèle de société compatible avec nos exigences économiques et sociales, qui pourra se mettre en place pour peu que nous ayons la volonté de le faire.

Les financements pour le développement doivent être discutés à Addis-Abeba. Les objectifs du développement durable seront revus en septembre à New York. Quant à l'alimentation du Fonds vert, elle nécessite que nous sortions d'une forme d'orthodoxie financière pour la rendre effective et pour que nous gagnions de la crédibilité sur nos promesses de financement. Un agenda onusien est en place sur ces sujets. J'ai souhaité que la France et l'Allemagne prennent des initiatives dans l'évaluation de ces financements innovants afin de mobiliser un certain nombre d'États, et qu'elles s'en fassent les promoteurs au G7, au G20, ou au Forum des économies majeures. François Hollande a nommé deux économistes pour animer une commission d'évaluation qui travaille en collaboration avec l'Allemagne. C'est une de nos priorités. Nous l'avons coordonnée, hier soir, avec Michel Sapin et Ségolène Royal, entre autres.

Évitons d'abandonner la négociation de Paris aux négociateurs. Si nous ne parvenons pas à en extraire des priorités de niveau ministériel ou présidentiel, il y a peu de chance qu'elle aboutisse. Il est important que les ministres de l'économie s'emparent du sujet climatique lors du G20 et le fassent savoir.

Il est également essentiel qu'à côté des revendications portées par les parties lors de la session de Genève, le texte de Paris mentionne les éléments de blocage. Le principe onusien de responsabilité commune et différenciée en est un, dans la mesure où chaque État en a sa propre conception. Le climat est un enjeu universel, mais qui est appréhendé à travers le prisme des intérêts nationaux. Chacun tente de s'exonérer de ses responsabilités ou de rendre la contrainte moins forte, alors que personne ne peut tirer seul son épingle du jeu. La phrase de Martin Luther King s'applique parfaitement à la situation : « Nous devons apprendre à vivre ensemble, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots ». Si les gouvernements des grands émetteurs historiques n'assument pas leurs responsabilités, il sera difficile de demander aux pays en voie de développement de prendre leur part d'engagement. Dans le groupe des Like minded developing countries, certains pays, comme l'Arabie Saoudite et le Qatar, considèrent qu'ils doivent être dédommagés pour les conséquences du changement climatique qu'ils subissent. Chacun doit prendre sa part d'engagement. On ne peut pas laisser se développer des discussions stériles comme celles qui ont cours entre les États-Unis et la Chine, les Américains affirmant qu'ils produisent moins de CO2 que les Chinois en volume, et les Chinois répondant que les Américains en produisent quatre fois plus par habitant. Nous n'avons qu'un seul objectif à long terme : la neutralité carbone à l'horizon 2050.

L'évaluation des engagements nationaux reste difficile car elle bute sur la souveraineté des Etats. La communauté internationale doit se doter de moyens de contrôle tout en conservant une certaine souplesse. Il importe que l'accord de Paris soit dynamique, qu'il puisse être révisé au fil du temps.

L'adaptation est une revendication légitime majeure des pays les plus vulnérables qui souhaitent à juste titre que le Fonds vert ne soit plus seulement réservé à l'atténuation. Enfin, les Nations unies ont décidé à Durban que cet accord devait être global et juridiquement contraignant. Il reste à préciser si les contraintes doivent être nationales ou s'il s'agit d'un accord international qui doit être ratifié. Gardons de la souplesse : un traité ne sera pas ratifié par le Congrès américain mais des alternatives existent pour que le président Obama mette en oeuvre l'accord international par le biais des agences nationales. Un précédent historique existe : le Clean Air Act.

La Chine était venue à Copenhague à reculons, sous la pression internationale. Elle est désormais partie prenante dans les négociations, davantage mobilisée sur les conséquences de la pollution que sur les changements climatiques. En matière de développement des énergies renouvelables et d'efficacité énergétique, les Chinois, qui parlent désormais de civilisation écologique, ont dépassé tous leurs objectifs. Pour autant, l'engagement qu'ils ont pris à Brisbane reste insuffisant. Les Chinois ont promis d'atteindre le pic de leurs émissions de gaz à effet de serre en 2030 ; quant aux États-Unis, ils se sont engagés à réduire les leurs en 2025 pour les ramener au niveau de 2005. D'autres étapes sont nécessaires. Nous sommes comme dans une partie de poker où chacun dévoile ses cartes petit à petit.

L'Union européenne a pris ses responsabilités. Il est cependant difficile aux 28 de réviser leurs ambitions à la hausse dans la situation de crise où nous nous trouvons. Néanmoins, certains pays leaders pourraient prendre des initiatives unilatérales pour montrer le chemin aux autres - je plaide en ce sens.

La diplomatie française s'est mobilisée depuis deux ans. Laurent Fabius est sur tous les fronts. Mmes Tubiana et Girardin sont très actives. Le Président de la République profite de toutes les occasions bilatérales pour mettre le sujet à l'ordre du jour, comme avec Vladimir Poutine, quand il l'a rencontré sur le dossier ukrainien. Pour ma part, je n'ai qu'un rôle complémentaire : ma mission est de convaincre et de mobiliser toutes les composantes de la société. C'est pourquoi, j'ai souhaité m'adresser aussi aux différentes autorités religieuses : j'irai bientôt au Caire pour discuter avec des responsables musulmans.

L'enjeu climatique n'est pas que politique, économique, institutionnel ou technologique ; il est aussi philosophique et spirituel. Un couple de modernité s'était formé, qui unissait avenir et progrès. Sa marche triomphante a été entravée. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Telle est la question dont chacun doit s'emparer. Il faut que des voix supérieures s'expriment à Paris pour demander aux responsables politiques d'écrire l'histoire plutôt que de la subir. Le monde ne s'effondrera pas si Paris est un échec, mais un coup d'arrêt serait porté aux négociations multilatérales, ce qui serait lourdement préjudiciable tant du point de vue économique qu'humain.

M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable. - Je vous remercie pour cet exposé intéressant qui ne manquera pas de susciter de nombreuses réactions. Un colloque doit être organisé avant l'été au Sénat où interviendront les représentants des différentes religions. Vous me faites penser à Jean Monnet, lorsqu'il disait : « Je ne sais pas si je suis pessimiste ou optimiste. Je sais que je suis déterminé ».

M. Jérôme Bignon. - Il est important que tous nos collègues soient informés que l'ancien groupe de travail de la commission du développement durable s'est élargi pour mobiliser l'ensemble des forces vives du Sénat sur le sujet du climat. Même si nous ne sommes pas à la table des négociations, certains aspects nous concernent au premier chef, comme le rôle des territoires. Avec Jacques Cornano, nous développons la réflexion sur l'outremer et les changements climatiques. Notre objectif est d'avoir, avant la Conférence de Paris, un débat dans l'hémicycle à l'issue duquel nous adopterons une résolution qui sera le fruit de l'ensemble de nos travaux. Chantal Jouanno a par exemple proposé de faire participer la Délégation aux droits des femmes. En tant que sénateurs, nous assurons le relais avec les territoires.

Nous appartenons également pour beaucoup d'entre nous à des groupes d'amitié avec les différents pays du monde, ce qui offre une excellente occasion de sensibiliser chacun à l'importance de ces sujets. Nous sommes mobilisés. Comment être encore plus efficaces et plus utiles ?

M. Cédric Perrin. - Le groupe de travail mis en place par la commission des affaires étrangères se focalise sur les conséquences géopolitiques du réchauffement climatique. Avec Leila Aïchi, nous avons décidé de nous attacher particulièrement à l'Arctique, qui fait l'objet de convoitises importantes. L'ouverture de nouvelles voies de navigation vers l'ouest et l'est est envisagée, et les riverains sont tentés de s'approprier ses ressources halieutiques et minérales. Quelles sont les conséquences du dérèglement climatique sur cette partie du monde que vous connaissez bien ?

Si l'objectif est de respecter la trajectoire des deux degrés, notre capacité d'émission est de 250 milliards de tonnes de CO2 ; or le phénomène de fonte du pergélisol réduit cette capacité de 50 milliards de tonnes. D'après vous, existe-t-il d'autres phénomènes similaires que l'on n'aurait pas décelés ?

Mme Leila Aïchi- Quel est l'impact géopolitique des conséquences du dérèglement climatique sur les relations entre pays industrialisés et pays en voie de développement ? Les États-Unis et la Chine sont les deux pays qui octroient les financements les plus importants à la recherche scientifique sur les conséquences du réchauffement ; pour autant ils ne sont pas les plus enclins à diminuer leurs émissions de gaz carbonique. Qu'en pensez-vous ? Je suis présidente déléguée du groupe d'amitié France-Koweit, pouvez-vous m'éclairer sur la manière dont les pays du Golfe appréhendent la conférence COP 21 ?

M. Nicolas Hulot. - Les sénateurs et les groupes d'amitié remplissent un rôle inestimable dans notre dispositif diplomatique. Qui peut rencontrer personnellement des représentants des 195 pays participant à la conférence ? Les contacts doivent être les plus larges possibles aussi bien en ce qui concerne les interlocuteurs - il convient de pas se limiter aux chefs d'État et aux ministres - que les sujets : il faut communiquer sur les solutions et les outils indispensables pour rentrer dans une économie bas carbone, par exemple sur la mise en place d'un prix du carbone. D'autres sujets que nous pourrions porter collectivement sont ceux du nécessaire basculement des 650 milliards de dollars annuels d'exonérations et subventions fiscales diverses accordées au bénéfice des énergies fossiles vers des modèles énergétiques répondant aux enjeux climatiques, ou encore de l'orientation de la commande publique, qui représente 15 à 20 % de la production mondiale, vers des producteurs respectueux des normes bas carbone.

La création d'une organisation mondiale en charge de la gestion des biens communs a été écartée à la conférence de Rio mais doit être de nouveau défendue car cette question ne peut être prise en charge efficacement au rythme de conférences lourdes et onéreuses. Votre proximité avec les élus et les citoyens est précieuse pour mobiliser la société civile sur ces enjeux supra-politiques.

La contrainte environnementale doit aussi être envisagée comme une opportunité à saisir ; elle nous offre la possibilité de nous retrouver sur ce qui nous rassemble, de faire de nos différences un atout. La famille humaine est confrontée à des problématiques complexes qui demandent moins des sacrifices qu'une vision, une détermination et une intelligence collectives.

La France est peu influente sur la question de l'Arctique car elle n'y possède aucun territoire. Michel Rocard est très engagé sur le sujet. Le thermofrost nous offre un exemple d'effet d'emballement : à mesure que la glace estivale se réduit, les rayons lumineux qu'elle réfléchissait sont absorbés par l'océan, ce qui renforce le processus de disparition des glaces et ouvre des opportunités nouvelles d'exploitations des ressources du sous-sol pour des pays comme la Russie. La tentation de la ruine s'offre alors : l'exploitation de ces ressources achèvera de dégrader l'écosystème et sera source de tensions entre États. Ce sujet central a donné lieu à des modélisations du GIEC : lorsque la température estivale redevient positive, le processus de décomposition des matériaux organiques contenus dans le sol reprend et débouche sur la libération de méthane, quarante fois plus nuisible que le gaz carbonique. Le changement climatique n'évolue pas de manière linéaire, à des phases stationnaires succèdent des périodes d'accélération. Lorsque l'océan se réchauffe, sa capacité d'absorber le gaz carbonique diminue. La prise de conscience va moins vite que les effets d'emballement.

Les conséquences du dérèglement climatique constituent l'ultime injustice dans un monde d'incompréhension mutuelle. Les phénomènes auxquels nous assistons sont la conséquence de siècles d'histoire ; les pays en voie de développement écrivent l'histoire de demain. « Quand vous ajoutez l'humiliation à l'exclusion, tout est possible », dit Patrick Viveret. Dans notre monde connecté, tout se sait : les femmes sahéliennes qui doivent marcher plusieurs kilomètres pour trouver de l'eau savent qu'elles subissent les conséquences d'un développement économique dont elles ne profitent pas. La population de Dakar s'accroît de 300 000 personnes chaque année et double tous les dix ans du fait de la désertification. Les populations chassées par le désert viennent d'abord en ville trouver refuge puis mettent le cap au Nord, vers l'Europe, dans des conditions risquées. Bien des morts du détroit de Messine trouvent leur cause lointaine dans le changement climatique... Il faut agir et organiser les transferts de technologie nécessaires au développement. Il convient aussi de réhabiliter les terres dégradées et de revoir nos politiques d'aides au développement.

Le Qatar a fait preuve de bonne volonté en accueillant la conférence de Doha. J'ai eu l'occasion de visiter des centres de recherches, notamment sur le stockage des énergies intermittentes, situés dans les pays du Golfe. Ils sont dotés de moyens très importants. Ces pays ont compris que leur intérêt est de se diversifier. Ils ne pratiquent pas l'obstruction vis-à-vis des questions environnementales.

Mme Chantal Jouanno. - Les équipes de négociateurs des grandes conférences environnementales n'apprécient pas l'implication des politiques et des parlementaires. Ils préservent leur chasse gardée... Pouvons-nous toutefois cibler quelques pays sur lesquels intervenir, si oui, lesquels ?

La question de la gouvernance du fonds climat était apparue de façon plutôt virulente à Lima ; est-il opportun de développer d'autres sujets ? La France n'a pas été moteur sur le sujet des déplacés environnementaux ; quelle solution juridique apporter ? L'Organisation mondiale de l'environnement n'a pas été mise en place du fait de l'opposition des États, mais, sur ces sujets, les grandes entreprises et les fonds souverains sont souvent prescripteurs. N'aurions-nous pas intérêt à parier sur cette forme de négociation parallèle et sur le fait que ces acteurs pourraient conditionner leur soutien financier à des engagements climatiques ?

M. Gilbert Roger. - Comment trouver l'équilibre entre la volonté de développement économique des pays pauvres et les impératifs de protection du climat ? La COP21 se déroulera en Seine-Saint-Denis... où siège l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Est-il envisageable d'utiliser cet équipement ? Selon vous, quel sera le critère de réussite de la COP 21 ?

M. Michel Raison. - Vous exposez que les sujets environnementaux sont supra-politiques, certes, mais tous les sujets le sont ! Cela ne signifie pas que les politiques ne s'en emparent pas. Certains en ont fait leur fonds de commerce ; ne soyons pas naïfs !

Le Tibet est peut-être le théâtre de la plus grande catastrophe écologique du monde. La biodiversité culturelle est menacée, la déforestation engagée ; les détournements de fleuves dans ce château d'eau du monde pourraient avoir des conséquences dramatiques. Pour des raisons diplomatiques, le sujet est peu abordé. Quelle est votre opinion ?

M. Christian Cambon. - Je vous remercie pour votre engagement passionné. La conférence de Copenhague fut un échec. Comment l'expliquez-vous ? Les pays en voie de développement à qui des efforts étaient demandés les ont refusés au motif qu'il leur fallait en priorité nourrir leur population. La situation a-t-elle évolué depuis ? La troisième conférence de l'ONU sur la diminution des risques naturels a eu peu d'effet. Dans ce contexte, quels éléments vous permettent-ils de ne pas céder au pessimisme et de croire au changement ? Peut-on faire confiance à la bonne volonté des États ? Comment évaluer le respect des engagements qu'ils prennent ? Les critères sont-ils identiques pour tous ? L'Inde a-t-elle les moyens de mesurer ses émissions de gaz à effet de serre comme le font la France ou les États-Unis ?

Mme Fabienne Keller. - Merci pour votre engagement, qui, pour le coup, est bien supra-politique : vous travaillez avec tous ! J'ai participé à une conférence interparlementaire sur la COP 21. Quelle est l'articulation entre le commissaire européen, Miguel Arias Cañete, et la diplomatie française ? Le bon niveau est le niveau européen. Sauf erreur, la France n'a pas proposé de résolution ; j'ai pourtant le souvenir qu'à l'issue de la conférence en 2008, une résolution parlementaire avait permis de passer le paquet 3x20, alors que le conseil européen bloquait.

Le marché carbone va mal ; il est à des prix ridicules. Le moment ne serait-il pas venu de donner un signal ? Des montants extraordinaires ont été annoncés pour le Fonds vert pour le climat, qui n'ont pas été concrétisés à ce jour. Quels sont les financements envisageables ? Quelle priorisation opérer et quelle gouvernance pour le Fonds ?

M. Joël Guerriau. - Le nombre de sénateurs présents manifeste l'intérêt du Sénat pour les questions environnementales. Il est urgent d'agir, de sensibiliser afin qu'une prise de conscience s'opère à l'échelle planétaire. La France va recevoir la COP21 mais Paris n'est pas exemplaire en matière de pollution. Si nous devions prendre une seule mesure afin de démontrer l'engagement de notre pays, quelle pourrait-elle être ?

M. François Grosdidier. - Je ne voudrais pas vous désespérer davantage. Vous affirmez qu'il n'existe plus de climato-sceptiques... J'en croise pourtant au Sénat dans tous les groupes. Un de mes excellents collègues expliquait récemment que la main de l'homme n'était pas responsable de plus de 1% du réchauffement climatique. A l'occasion de la COP, il est donc nécessaire de poursuivre la pédagogie.

Quelle est la crédibilité de la France sur ces sujets ? L'ancienne majorité, à laquelle j'appartiens, a renoncé à la taxe carbone ; l'actuel gouvernement vient d'abandonner de manière pitoyable l'écotaxe poids lourds, même revisitée par nos deux assemblées !

Comme Fabienne Keller, je m'interroge sur la situation du marché carbone et ses effets pervers. Dans ma région, Mittal gagne de l'argent en vendant des quotas de gaz carbonique à chaque fermeture de haut-fourneau...

L'affichage d'un objectif de zéro gaz à effet de serre en 2050 me laisse sceptique. Est-il atteignable sauf à passer au tout nucléaire, dans toutes les régions du monde y compris les plus instables ? Les objectifs de long terme ne constituent-ils pas un alibi commode pour éviter de fixer des objectifs de moyen ou court terme plus contraignants ? Le Fonds vert est destiné à financer des mesures d'adaptation et non de réduction des émissions de gaz à effet de serre, un basculement total ne marquerait-il pas un renoncement ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Martin Schulz a déclaré qu'il était minuit moins cinq pour la survie de la planète. Vous avez préféré évoquer la survie de l'humanité, et vous avez raison de parler aux hommes. De nombreux sénateurs ont fait part de leur volonté de s'impliquer sur les questions environnementales. J'ai demandé à Laurent Fabius une feuille de route avec des objectifs clairs et simples. Elle pourrait être envoyée à tous les parlementaires et démultiplier votre action. Ne pensez-vous pas que la résolution du problème climatique passe aussi par une réforme de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et des règles du commerce international ? Les engagements de l'Union européenne en date du 6 mars dernier sont-ils suffisants ?

Mme Marie-Christine Blandin. - Je vous remercie pour votre présentation dont je retiens qu' « il faut dessiner ensemble un horizon désirable ». Malheureusement, ce n'est pas la qualité première des négociateurs. Convaincre les décideurs est nécessaire mais non suffisant. Il faut gagner le coeur de nos concitoyens. Si les programmes scolaires ont été modifiés, il reste un combat à mener dans les medias. Dans les dix dernières années, ils ont fait défiler des présentateurs de météo négationnistes et ont invité Claude Allègre plus souvent qu'à son tour au détriment de vrais scientifiques. Ne pouvez-vous sensibiliser les journalistes, dans le respect de leur indépendance ?

M. Marc Daunis. - Président du groupe d'amitié France-Australie, je sens dans ce pays une évolution sur ces sujets. La confirmez-vous ? Il ne faut pas laisser le sommet aux mains des négociateurs, les présidents et ministres concernés doivent intervenir. Au vu de l'évolution de la conscience de ces questions, le succès de la COP21 ne dépend-il pas en premier lieu d'un travail dans la société française ? La proposition d'Hélène Conway-Mouret d'une feuille de route largement diffusée est particulièrement pertinente. Une mobilisation générale est indispensable dans les prochains mois. Je suis surpris de notre capacité de dénigrement. Pour susciter l'adhésion de nos concitoyens, il convient de mettre en avant avec fierté le travail réalisé. Cessons de pointer nos insuffisances ! Mesurons au contraire notre progression collective.

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. - Notre naïveté collective m'inquiète. La diplomatie ne défend pas l'intérêt général mais, de plus en plus, l'intérêt national - voyez le recul du droit d'ingérence depuis dix ans. Chaque pays a ses objectifs. Si nous voulons convaincre, ne cherchons pas à imposer notre vision par le haut, dans une démarche ethnocentrique. Il nous faut partir des soucis des autres pays et leur proposer des solutions. Soyons vigilants sur une initiative diplomatique qui pourrait tourner au fiasco si l'on ne mesure pas que le monde n'attend pas de leçons. Il nous faut convaincre que la résolution des problèmes du monde - développement, pauvreté, pollution - est liée aux questions environnementales. Chaque pays viendra à la conférence avec ses objectifs vis-à-vis de son opinion publique. La démarche collective sera difficile. Nous devons travailler dans les sociétés et chercher des convergences entre notre intérêt, à nous qui avons une conscience universelle, c'est la tradition française - et ceux des autres nations.

L'espoir vient de l'idée émise par Chantal Jouanno du recours à des forces extranationales, tels que le GIEC ou les groupes industriels qui échappent aux clivages nationaux. Schneider a des solutions mondiales à proposer ! Nous disposons de grands groupes dans les domaines de l'eau ou de la santé, ils pourraient être des alliés de nos causes environnementales. Associons-les à ces combats. Lorsque le groupe Schneider envisage de s'implanter en Chine, il peut convaincre ses partenaires locaux de la nécessité de résoudre un certain nombre de problèmes et leur proposer des solutions pragmatiques. Il nous faut prendre la mesure des difficultés. La France joue gros. Ne passons pas à côté de l'histoire pour avoir sous-estimé la résistance des autres nations.

M. Nicolas Hulot. - Nos institutions ne sont pas adaptées à ces enjeux universels et de long terme. Le futur s'invite pour la première fois dans notre logiciel. Nous devons raisonner au présent qui nous sollicite, au passé - en prenant en charge les conséquences du développement économique des cent cinquante dernières années - et au futur - en tenant compte de l'impact de nos décisions sur les générations à venir. Cette complexité ne peut s'accommoder de nos divisions traditionnelles. Nous avons besoin de mutualiser nos intelligences et de faire preuve d'objectivité. En France, nous abordons ces sujets avec un prisme politique. Il faut tirer les choses vers le haut. La loi sur la transition énergétique, qui fait la navette entre les deux assemblées, peut être un instrument de sortie de crise pour notre pays.

Vous avez évoqué les grands groupes, n'oublions pas les PME françaises. L'innovation s'y trouve ! Il en va de nos PME comme de l'économie, elles attendent une trajectoire de référence et une fois rassurées, elles créeront de l'emploi. Chez nous, un risque est un risque ; ailleurs, il peut devenir une chance. Ne laissons pas nos ingénieurs, nos entreprises partir sous d'autres cieux - Colorado, Espagne - où ils bénéficient de conditions administratives et économiques plus favorables. Notre pays n'est pas à cours d'ingéniosité ; il souffre d'un peu de conservatisme. Montrer que la contrainte écologique n'est pas l'ennemi de la créativité mais sa condition suscitera l'adhésion.

Comme vous l'avez souligné, le rôle des médias est important. Chaque semaine, je prends du temps avec des rédactions entières - de presse écrite, de radio, de télévision - pour leur donner des éléments de réflexion et pour montrer que des choses fonctionnent déjà et sont reproductibles à grande échelle, comme l'illustre la campagne My Positive Impact.

Les règles de l'OMC ne sont pas compatibles avec la finitude de nos ressources. La raréfaction des matières premières est le paramètre le plus contraignant du XXIe siècle. Nous la découvrons en même temps que la vulnérabilité des écosystèmes. Elle doit se piloter grâce à des lois et des régulations. À défaut, nous souffrirons de pénurie, dont nous savons qu'elle conduit à la guerre.

Je relaierai évidemment l'idée de la feuille de route. Grâce aux analyses du Club de Rome, nous en savions assez pour agir depuis bien plus de vingt ans mais nous nous heurtons à une certaine inertie... Le climato-scepticisme a été préjudiciable mais il n'y a plus lieu de lui consacrer du temps. Sur 195 États participants, aucun ne conteste la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique. Nous mobiliserons sur des solutions et non sur des constats.

En ce qui concerne le Fonds vert, ne tombons pas d'un excès dans un autre. Certains projets d'adaptation contribuent aussi à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, par exemple la réhabilitation des sols : voyez la muraille verte au Sénégal. Pour autant, nous ne devons naturellement pas renoncer à l'atténuation. Elle demeure prioritaire. Sachons aussi préserver les puits de carbone existants.

Les choses bougent dans le domaine financier, y compris aux Etats-Unis. Le risque carbone est désormais intégré. Il conviendrait d'améliorer la transparence de manière à savoir où les fonds s'orientent. Ainsi les investisseurs pourraient choisir en toute connaissance de cause.

Je passe mon temps à exiger toujours plus de la France, qui aurait intérêt à y aller pleinement. Je plaide pour l'utilisation du levier fiscal. Jusqu'à présent, il a été mal utilisé, ce qui a suscité le rejet. La fiscalité écologique ne doit pas être une fiscalité additionnelle. Il convient d'envisager une révision holistique de la fiscalité : taxer le négatif, avoir une fiscalité incitative afin d'encourager des modes de production et de consommation vertueux. La taxation est un instrument de recette mais aussi de régulation. Au lieu de pénaliser le travail, nous pourrions réguler là où c'est nécessaire.

La faiblesse et les effets pervers du marché carbone sont connus. Il ne concerne que 40% des émissions de gaz à effet de serre, issus de l'industrie lourde. Nous avons pourtant besoin d'un prix du carbone qui s'applique à tous les secteurs économiques. Il devra jouer un rôle de cliquet anti-retour pour contrebalancer l'évolution erratique du prix du pétrole.

L'Union européenne a fait beaucoup, mais les questions écologiques ne font pas l'unanimité. Compte tenu de l'état d'esprit d'un certain nombre de pays de l'Est, nous ne devons pas nous attendre à de grandes avancées. Cela n'empêche pas des groupes de pays de prendre des initiatives. La France, qui a le courage d'accueillir la COP21, n'est guère soutenue par la chef de la diplomatie européenne - nous connaissions mieux avec la précédente Commission sur les questions du climat.

Les pays à cibler en priorité sont les États-Unis, la Chine, l'Inde, le Brésil, la Russie, l'Arabie saoudite, le Mexique, ainsi que l'Egypte et l'Afrique du Sud pour l'Afrique, la Malaisie pour les like minded developing countries, les Maldives pour l'AOSIS (alliance of small island states), l'Angola pour les pays les moins avancés, le Venezuela et Cuba aussi.

La Chine montre qu'elle est disposée à agir contre la pollution, doit-on la froisser en évoquant le Tibet ? Nous marchons sur une corde raide. Le Tibet subit de plein fouet les effets du changement climatique, nous ne pouvons l'abandonner mais peut-être pouvons-nous, sans être silencieux sur la cause tibétaine, scinder les problèmes - culturels, climatiques - plutôt que les aborder tous de front ?

M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable. - Nous vous remercions d'être venu. Mobilisés, les sénateurs ne demandent qu'à être davantage utilisés dans les négociations et à participer à l'évolution des mentalités. À Lima, nous avons eu le sentiment que notre implication n'était pas souhaitée... or elle peut avoir un effet démultiplicateur.

La réunion est levée à 12 h 50