Mercredi 27 mai 2015

- Présidence de M. Jean Claude Lenoir, président -

Audition de M. Stanislas de Bentzmann, président de Croissance Plus

La réunion est ouverte à 10h10.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous recevons aujourd'hui M. Stanislas de Bentzmann, Président de CroissancePlus et coprésident du groupe Devoteam. Il est accompagné de M. Nicolas d'Hueppe, vice-président de CroissancePlus et président du directoire de Cellfish, de Mme Florence Depret, directrice déléguée de CroissancePlus et de M. Thibault Baranger, chargé de mission.

Je rappelle, Monsieur de Bentzmann, que vous êtes le co-créateur de la société Devoteam, devenue en moins de vingt ans l'un des premiers groupes européens de conseil en technologies de l'information et de la communication. Votre groupe compte aujourd'hui 4 700 collaborateurs dans 23 pays et réalise un chiffre d'affaires de près de 443 millions d'euros - un bel exemple d'entreprise en croissance.

Entrepreneur « engagé », vous présidez également CroissancePlus. Tout le monde connaît bien, désormais, cette association d'entrepreneurs qui fédère les dirigeants d'entreprise en forte croissance et leurs partenaires - assurance, grandes banques, cabinets d'avocats, de conseil, d'audit, d'expertise-comptable, de recrutement, de capital-risque. Créée en 1997, CroissancePlus intervient de façon très active dans le débat public en portant tout particulièrement le point de vue des entreprises de croissance, ces petites et moyennes entreprise (PME) et ces entreprises de taille intermédiaire (ETI) dont le poids, comparé à ce qu'il est chez nos voisins, est insuffisant en France. Quatre valeurs sont mises en avant dans votre travail de communication : l'innovation, la compétitivité, le dialogue social et l'entreprise responsable. Quant à votre action, elle s'articule autour de cinq axes : réduire les délais de paiement, favoriser l'innovation, relancer l'emploi, réduire les prélèvements et développer l'actionnariat salarié - autant de tâches considérables.

CroissancePlus travaille notamment sur les questions relatives aux prélèvements obligatoires ou au fonctionnement du marché du travail. Pour stratégiques qu'ils soient, ces thèmes relèvent de la commission des finances et de celle des affaires sociales. Je souhaiterais donc que vous nous présentiez plutôt votre diagnostic sur les forces et les faiblesses des entreprises françaises et que vous évoquiez les moyens de lever les freins à leur croissance. À quelles conditions notre pays peut-il retrouver le chemin de l'industrie, et se constituer un tissu de PME en croissance et d'entreprises de taille intermédiaire ? Je vous demanderai, autant que possible, de vous concentrer sur les points qui relèvent plus spécifiquement des compétences de notre commission des affaires économiques.

M. Stanislas de Bentzmann, président de CroissancePlus. - Je vous remercie de votre invitation. Il est toujours important pour CroissancePlus de dialoguer avec nos représentants pour faire remonter ce qui vient du terrain.

CroissancePlus est une association qui s'est créée il y a une vingtaine d'années pour regrouper les entreprises de croissance, dont les problématiques propres étaient mal représentées au sein des grandes organisations patronales. Elle réunit aujourd'hui quelque 400 entreprises de croissance qui, pour y entrer, doivent avoir fait la preuve qu'elles ont une trajectoire de croissance forte, mis en place des outils de partage des résultats avec les salariés, voire, ainsi que nous y encourageons, ouvert leur capital pour intéresser sur le long terme ces éléments clé de l'entreprise que sont ses cadres.

Il s'agit pour nous à la fois de partager les meilleures pratiques et de réfléchir aux moyens de favoriser le développement des entreprises dans notre pays. Les entrepreneurs engagés dans CroissancePlus sont aux manettes de leur entreprise, dans laquelle ils ont pris le risque de mettre leur patrimoine : ce sont des gens très engagés, qui se sont regroupés pour réfléchir sans a priori politique, à partir des réalités de terrain. Nos propositions, sur lesquelles je reviendrai, se veulent pragmatiques, et visent à faire évoluer l'environnement économique en faveur de l'entreprenariat, de l'innovation, de l'esprit d'entreprise - que l'on voit aujourd'hui se développer, ce qui porte à l'optimisme.

Pour nous, la politique économique menée au cours des vingt dernières années, faites de décisions au fil de l'eau, a été néfaste au développement de l'entreprise. Notre tissu économique ne compte que très peu d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) et rares sont nos PME capables de se développer à l'international - on a même régressé puisque l'on est passé de 100 000 à 85 000 entreprises exportatrices. Nous faisons face à un chômage de masse, qui touche tout particulièrement les jeunes. Il est important de partager ce diagnostic pour aller de l'avant et trouver ensemble des voies.

Mme Élisabeth Lamure. - Notre nouvelle délégation aux entreprises, que je préside, a rencontré, depuis janvier, une centaine de chef d'entreprises, sur le terrain. Nous leur avons demandé ce qui freine leur développement. Le poids de l'administration de l'Etat, le code du travail, les seuils sociaux, les charges sociales sont les sujets qui reviennent le plus souvent, mais on ne les entend presque jamais évoquer le temps de travail - un sujet qu'avec un économiste vous abordez dans un ouvrage récemment publié sur les 35 heures. Cela nous a surpris. Comment l'interpréter ? Faut-il croire que les attentes immédiates sont si prégnantes que la question de la réforme du temps de travail ne leur apparaît plus que comme un horizon lointain ?

Nous nous sommes également rendus à Londres pour y rencontrer les chefs d'entreprise français. La comparaison entre le monde économique anglo-saxon et le nôtre est vite faite. Alors que les Britanniques ont eu à affronter, en 2009, une crise bien plus forte que nous, le taux de chômage est aujourd'hui à 5,5 % au Royaume-Uni, et le taux de croissance à 2,5 %. Cela fait rêver.

Pour autant, les entreprises françaises ont des atouts. La productivité du travail est meilleure en France qu'aux Royaume Uni, nos écoles sont meilleures, nous formons de bons ingénieurs - la preuve en est qu'ils sont souvent recrutés outre-Manche. Nos cultures économiques ne sont certes pas les mêmes, mais ne pourrait-on imaginer un mix qui nous permette, tout en tirant parti de nos atouts, de nous mettre au diapason de la réussite britannique ?

M. Yves Rome. - Vous invoquez « un nouveau contrat social », autour de deux mots clé que sont la simplification et la souplesse. Quelles pourraient en être, selon vous, les modalités pratiques ?

Notre ministre de l'économie porte une vision nouvelle des lignes de force de la politique industrielle française. Nous avons, par le passé, raté le coche de la robotisation. Au cours du quinquennat passé, plus de 300 000 emplois industriels ont été supprimés. Et dans la période plus récente, 107 000 encore. Alors que les marchés de demain tourneront inévitablement autour du numérique, l'industrie française ne doit-elle pas, selon vous, miser là-dessus pour retrouver sa vigueur ?

M. Michel Houel. - Est-il normal que l'Etat intervienne, comme il le fait en ce moment, par des aides aux entreprises ? Ne vaudrait-il pas mieux changer nos règles nationales, pour qu'elles pèsent moins sur les chefs d'entreprises, diminuer les charges et revenir sur les 35 heures, qui nous coûtent encore, chaque année, 11 à 12 milliards d'euros ? Je suis persuadé, pour ma part, qu'il faut revenir à un temps de travail analogue à ce qui a cours presque partout en Europe. J'ai reçu, dans ma commune, une délégation allemande, venue d'un village de Bavière : ils sont à 40 heures et ne se posent pas de questions.

M. Martial Bourquin. - Parmi les avantages sur lesquels peut compter la France, on trouve la productivité du travail. En revanche, nous peinons à créer une économie en réseau, des écosystèmes productifs où se lient harmonieusement universités, instituts universitaires de technologie (IUT) et tissu économique. Que préconisez-vous pour y remédier ? La loi Macron prévoit des mesures visant à simplifier la création d'entreprise et la vie des entreprises, comme la mise en place du guichet unique. Quelle est votre appréciation ?

Notre stock de robots est, en France, de 35 000, soit quatre fois moins qu'en Allemagne et deux fois moins qu'en Italie. Une frilosité bien française a voulu que depuis vingt ou trente ans, on ait privilégié l'investissement immobilier sur la machine-outil, secteur qui fait les beaux jours de l'économie allemande. Or, si nous voulons une reprise plus robuste, la question de l'investissement est décisive. Doit-on, à votre sens, retravailler notre fiscalité pour rendre l'investissement plus vertueux, voire le défiscaliser ?

M. Philippe Leroy. - Il me manque une photographie des entreprises que vous rassemblez. Quelle est leur taille ? Leur secteur d'activité ? Leur patrimoine est-il essentiellement familial ? L'appréciation portée sur les 35 heures peut dépendre de la nature des entreprises que l'on représente. J'ai le sentiment que les grandes entreprises du CAC 40 en ont fait leur affaire, tandis que les PME subissent leurs effets de plein fouet.

Quelle est, dans les entreprises que vous représentez, la part de l'innovation ? Et le rôle des transferts de technologie ? On dit souvent que l'avenir appartient à ceux qui inventent, mais si l'on ne compte que sur les entreprises qui innovent pour se porter sur des marchés nouveaux, on ne vaincra pas le chômage. Beaucoup d'entreprises, qui n'innovent pas mais travaillent à une production courante sur des marchés classiques pourraient améliorer leur productivité en ayant davantage recours à la robotisation.

M. Stanislas de Bentzmann. - J'ai en effet écrit un livre, avec un économiste, sur les 35 heures. Je crois que les entreprises s'y sont résignées. Depuis quinze ans, elles se sont organisées autour des contraintes que leur imposent la loi et les habitudes. Cela appauvrit-il le pays ? Sans aucun doute. On peut décider collectivement de travailler moins et de gagner moins ; on peut aussi en venir à se rendre compte que l'on ne parvient plus à assurer un service public à la hauteur, et qu'il faut se remettre au travail. Il est indubitable que si les Allemands travaillaient 35 heures, ils feraient la même chose, mais pour un coût supérieur, et leurs produits ne seraient plus aussi compétitifs. Inversement, si, en France, nous travaillions quatre ou cinq heures de plus, nous aurions plus de richesse à partager.

La productivité du travail en France ? Elle n'est pas aussi excellente qu'on le dit. Nous sommes, en réalité, au même niveau que les autres pays de l'OCDE. Comme, chez nous, le chômage des jeunes est très élevé, que le taux d'emploi des seniors est très faible et que le chômage des moins qualifiés est important, les statistiques ne portent que sur les plus productifs, d'où une déformation optique. Dans mon entreprise de 4 700 salariés, la productivité est analogue à celle que l'on constate dans les autres pays de l'OCDE. Les ingénieurs sont de même qualité que partout ailleurs. L'idée qu'une productivité supérieure nous permettrait de travailler moins est un leurre qui nous coûte très cher. Travailler moins, pourquoi pas ? Mais à condition que l'on accepte de gagner moins.

M. Nicolas d'Hueppe, vice-président de CroissancePlus. - CroissancePlus est concentrée sur les entreprises de croissance. C'est un écosystème en tant que tel : nous tenons la première marche du podium pour le nombre de créations d'entreprises. Nous prenons beaucoup d'initiatives, et nous créons beaucoup de boîtes.

En France, entre l'écosystème des grandes entreprises et celui des TPE, il n'y a pas grand chose. Quand on se demande pourquoi, on s'aperçoit que c'est là que jouent tous les freins. Celui des seuils sociaux, d'abord. Un entrepreneur qui passe le seuil des 50 salariés sans toujours avoir de directeur des ressources humaines se retrouve, du jour au lendemain, pénalement responsable. Autre problème, celui de l'actionnariat salarié. Pour grandir, une entreprise a besoin de recruter des cadres expérimentés : le seul levier pour les attirer est de leur promettre une part de la valeur ajoutée. Or, le système des stock-options est désormais galvaudé, parce que quelques-uns en ont abusé. Mais on ne poussera pas un cadre expérimenté à rejoindre une entreprise dans laquelle il prend un risque en lui proposant un malheureux bonus de 50 000 ou 60 000 euros. Le système est tellement vicié que beaucoup sont prêts à attendre leurs quinze ou vingt ans d'ancienneté pour saisir l'opportunité d'un plan social. Les dispositions de la loi Macron sur la fiscalité des actions gratuites vont certes dans le bon sens, mais elles ne font que nous ramener dans la moyenne de l'OCDE. Or, ce qui fait la force de pays comme les États-Unis, Israël ou l'Angleterre, c'est que les cadres expérimentés n'hésitent pas à quitter un grand groupe pour venir tenter l'aventure dans une boîte de plus petite taille, l'aider à se développer, quitte à retourner ensuite d'où ils viennent. C'est une faculté qui nous manque cruellement, parce qu'un entrepreneur ne peut arriver seul à développer son entreprise au-delà d'un certain seuil. Il peut toujours mettre quarante à cinquante personnes dans un open space et crier très fort pour se faire entendre, ce n'est pas cela qui lui fera atteindre la taille critique. Il faut des compétences supplémentaires. C'est bien la force des écosystèmes, aux États-Unis, en Israël, que d'aller chercher des expertises ponctuelles, universitaire, internationale, financière, pour aider l'entreprise à se structurer. On peut lever 500 000 euros en se tournant vers ses amis, mais cela devient plus compliqué de trouver 20, 30 ou 40 millions pour financer une entreprise de croissance. Aider nos PME à grossir et à devenir des ETI est aussi essentiel dans la lutte contre le chômage, car ce sont elles, et non les entreprises du CAC 40, qui recrutent localement.

D'où notre insistance sur un certain nombre de sujets : l'actionnariat salarié, mais aussi le financement des entreprises - qui passe par la question des délais de paiement. Il n'est pas normal que les PME soient amenées à subventionner, à hauteur de 13 ou 14 milliards d'euros, les grands groupes commanditaires, qui payent à 60 jours, voire beaucoup plus, puisqu'un tiers seulement des entreprises respectent ce délai légal. Il faut savoir qu'en Allemagne, il est à 30 jours, et que 67 % des entreprises le respectent.

M. Stanislas de Bentzmann. - Cela fait partie des mesures qui pourraient être rapidement prises et ne coûtent rien. Passer d'un délai légal de 60 à 30 jours changerait beaucoup de choses.

La numérisation de l'économie est un véritable enjeu. Le Gouvernement a beaucoup évolué en l'espace de quelques mois. Il existe une formidable dynamique sur le terrain, qu'il faut accompagner, tout en prenant garde que l'État ne s'y substitue pas au motif qu'il investirait mieux. Le plan Macron (les programmes de reconquête indistrielle) va dans le bon sens et prévoit des garde-fous pour éviter que l'on ne s'engage dans de grands plans publics à l'ancienne, qui ont certes donné quelques résultats mais se sont fait au détriment d'une politique en faveur des PME et ETI.

La numérisation de l'économie fait peur, mais c'est le seul moyen pour la France et pour l'Occident de renouer avec la compétitivité et de retrouver leur leadership. Il faut en passer par la destruction créatrice dont parle Schumpeter pour transformer les entreprises. C'est le meilleur moyen de gagner en productivité et cesser de perdre des parts de marché.

Les aides de l'État ? Nous n'en voulons pas ! Nous n'avons pas besoin qu'on nous donne la becquée. Ce que nous voulons, ce sont des délais de règlement plus courts, des charges sociales alignées sur celles de nos concurrents - dans mon entreprise, je paye 40 % de plus sur mes salaires localisés en France que sur ceux qui le sont en Allemagne. Des entreprises doivent mourir, d'autres se développer et ce serait bien mal allouer nos ressources que de dispenser des aides indifféremment, y compris aux canards boiteux au détriment de l'innovation. Aider nos entreprises à se développer c'est, au contraire, les aider à entrer en concurrence. La loi Macron fait un pas timide en ce sens. Il faut poursuivre, car les grands groupes se sont constitué des rentes qui empêchent les jeunes entreprises d'entrer sur le marché. Croire qu'en protégeant nos champions nationaux, on fait du bien à l'économie de notre pays, c'est raisonner à courte vue.

Il est vrai que le système d'investissement a, historiquement, favorisé l'immobilier. Voyez le patrimoine des élus, et surtout des ministres : à part un, aucun n'a investi en entreprise. Ils ne se distinguent pas, en cela, des Français dans leur ensemble, qui préfèrent toujours l'assurance-vie et l'immobilier. C'est sans doute culturel, mais on s'aperçoit aussi que, comme par hasard, la fiscalité est plus favorable à ce type d'épargne. Il faut à la fois favoriser l'investissement des entreprises et revoir la fiscalité de l'épargne, pour la drainer vers l'entreprise au lieu de l'entraîner vers l'investissement immobilier, qui fait monter les prix et nuit à la mobilité, y compris professionnelle.

Le débat qui consiste à opposer industrie et services est dépassé. Toute industrie est aujourd'hui servicielle. Il n'existe plus d'industrie sans services, et inversement. C'est cette industrie de demain, toute numérisée et robotisée qu'elle soit, qui amènera des emplois. Aucun produit ne se vend aujourd'hui qui ne soit accompagné de services. Quand on vend un Airbus, on vend certes un produit, mais qui est constitué de milliers d'heures de travail intellectuel et qui fait appel à des entreprises de services. Dire qu'il faut cibler l'accompagnement fiscal sur les entreprises qui sont en concurrence mondiale est absurde. Car tout le monde entre dans cette concurrence. Le balayeur d'une société de services qui assure l'entretien des hangars d'Airbus entre dans les coûts de l'entreprise.

Vous avez raison de dire que si toutes les entreprises ne sont pas à la pointe de l'innovation, elles doivent toutes faire évoluer leur modèle. En Allemagne ; toutes les entreprises cherchent à être compétitives. C'est cette agilité qui fait le plein emploi. L'économie bouge de plus en plus vite ; les entreprises qui ne sont pas agiles mourront, parce que leurs clients ne les attendent pas. Les entourer d'un carcan rigide sous prétexte de protection, c'est les tuer, au risque du chômage. Il faut trouver un juste milieu, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

M. Yannick Vaugrenard. - Vous avez insisté sur trois aspects indissolublement liés, innovation, compétitivité, dialogue social. Un dialogue qui contrairement à ce que l'on entend trop souvent, peut être gagnant-gagnant.

Vous avez évoqué les délais de paiement. Les raccourcir, plaidez-vous, amènerait de la trésorerie aux entreprises. J'ai rencontré, il y a quelque temps, le chef d'une petite entreprise de la métallurgie qui a bien mené sa barque et emploie désormais vingt ou trente salariés. Ces délais de paiement lui posent, en effet, un problème de trésorerie, mais la vraie difficulté est pour lui dans sa relation avec sa banque. Le système bancaire n'est plus ce qu'il était il y a vingt ans. La relation de confiance qui existait entre le responsable d'agence locale et le chef d'entreprise s'est perdue. C'est sur des modèles mathématiques que les banques fondent désormais leurs décisions. Et c'est ainsi qu'une entreprise dont le carnet de commande est pourtant plein se retrouve avec des problèmes de trésorerie. Est-ce là un sujet que vous évoquez avec les banques ?

Autre difficulté, les tracasseries administratives, qui s'aggravent d'année en année quel que soit le gouvernement en place. Avez-vous des pistes à suggérer ? C'est un sujet qui pourrait nous réunir, car il transcende les clivages politiques.

Vous n'avez pas évoqué la formation. Il y a pourtant des marges de progrès, vu l'inadéquation entre l'offre et la demande de travail. Qu'avez-vous à proposer ?

M. Alain Chatillon. - Merci de vos propos, qui sont un bol d'air frais. Je rejoins les observations de Yannick Vaugrenard et de quelques autres : les banquiers ne sont plus au service de l'industrie, ce sont désormais des financiers, qui ont cessé d'être à l'écoute de leurs clients. Cela va créer des désagréments de plus en plus vifs.

Je m'interroge sur la fiscalité. Il serait logique de défiscaliser en fonction du risque pris. Il est incroyable que l'on en reste à un plafond de 70 000 euros sur un an alors que l'on a créé des niches fiscales beaucoup plus coûteuses pour l'Etat dans d'autres secteurs. Il faut aussi mieux orienter l'épargne ; je pense en particulier au livret A.

Autre problème, celui des ETI, trois à quatre fois moins nombreuses chez nous qu'en Allemagne. Pour les constituer, il faut créer des cluster. Les pôles de compétitivité ont leur rôle à jouer, mais il faudrait plus d'accompagnement encore. La marge brute d'autofinancement de nos ETI ne dépasse pas le tiers de celle des ETI allemandes. Ce sont pourtant ces entreprises de taille intermédiaire qui créent l'emploi.

A vous écouter, je sens qu'une vague se lève qui me laisse penser qu'au delà des sensibilités politiques, nous pourrions nous entendre sur un programme proactif pour accompagner le développement des entreprises et de l'emploi.

Un mot, pour finir, sur l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), qui n'a jamais été débouclé depuis trente ans, si bien que même les faibles peuvent être touchés par cet impôt. On sait qu'il suffit d'avoir hérité une maison familiale sur l'Ile de Ré...

Une révolution doit se faire pour libéraliser, et j'ai le sentiment que nous pourrions nous mettre d'accord sur une liste de contraintes à lever.

M. Bruno Sido. - Pour avoir des entreprises, il faut des entrepreneurs, aurait dit M. de La Palice. Or, la culture entrepreneuriale est un état d'esprit. Comment l'insuffler aux jeunes ? Un micro trottoir devant Henri IV ou Louis-le-Grand vous renseignera sans tarder : ils veulent faire Sciences Po, l'ENA, passer les concours des assemblées, bref, être fonctionnaires. On a même vu des lauréats d'HEC devenir préfets... Moi qui suis agriculteur, à la tête d'une « pico entreprise », combien de mes amis n'ais-je pas entendu me traiter de fou alors que mon diplôme me permettait, me disaient-ils, de devenir fonctionnaire, prof ou directeur de coopérative - ce qui revient à peu près au même.

Pensez-vous que le Medef défend les PME et les ETI ? Si je vous pose la question, c'est que j'ai entendu des chefs d'entreprise - je ne parlerai pas comme vous de « boîtes », car l'expression me semble inappropriée - dire qu'ils ne se sentaient pas défendus.

M. Jean-Pierre Bosino. - Nous pourrions engager un débat très polémique. Certes, sans code du travail, sans cotisations sociales, désormais qualifiées de « charges », sans 35 heures, sans dispositions protectrices des salariés, tout serait plus simple. Et sans salaires, cela irait encore mieux. Je crois que l'on peut réfléchir autrement, en s'efforçant de prendre en compte tous les paramètres. Quelle est votre appréciation, par exemple, sur la financiarisation à outrance de l'économie, qui a cette conséquence que les banques, en effet, ne jouent plus leur rôle de soutien au développement économique ? Depuis trente ans, une part croissante de la valeur ajoutée a été captée par la finance, au détriment des salaires et des cotisations sociales. C'est un fait.

Le modèle allemand a été évoqué. Comment peut-on favoriser les coopérations entre entreprises qui travaillent sur un même produit via des relations de sous-traitance au lieu d'aiguiser entre elles la concurrence ?

Aux États-Unis, un certain nombre d'entreprises ont sensiblement augmenté les salaires, avec la double idée que l'entreprise doit aussi avoir une démarche citoyenne et qu'en augmentant les salaires, on alimente aussi l'économie.

M. Daniel Gremillet. - Une étude récente montre que si la France reste parmi les pays où des entreprises se créent et investissent, elle n'en est pas moins à la traîne si on la compare à certains pays - et pas seulement les pays émergents d'Asie. Quand un investissement crée 70 emplois au Royaume Uni et 40 en Allemagne, il n'en crée que 25 en France. Quelles sont les quelques mesures qui permettraient concrètement, selon vous, de renouer avec un investissement créateur d'emploi ?

Je compte sur votre franc parler : quelle est, pour CroissancePlus, l'utilité des chambres consulaires ?

M. Nicolas d'Hueppe. - Le risque : là est le mot clé, car là est le clivage - entre ceux qui sont prêts à le prendre, et les autres. La croissance ne peut venir que de la prise de risque. C'est par l'innovation que l'on gagne des marchés.

La difficulté tient au fait que plus personne, aujourd'hui, n'a intérêt à prendre des risques. J'ai dit ce qu'il en était pour les cadres. Il en va de même pour le financement : il est moins risqué, pour un investisseur, de choisir l'immobilier. Quant aux entrepreneurs, lorsqu'ils essaient de faire grossir leur boîte, les ennuis commencent.

Il ne s'agit pas pour nous de tout récuser, mais de faire bouger les curseurs. Il n'est pas normal d'être assujetti à la même taxation pour un investissement dans une PME ou dans un appartement parisien. On peut faire bouger le curseur de quelques points.

Je suis d'autant plus à l'aise pour le dire qu'aucune des entreprises de CroissancePlus n'a de rente à défendre. Si on ne bouge pas, on est mort. Les jeunes diplômés eux aussi n'ont plus rien à perdre. Les grands groupes recrutent peu, et plutôt à l'étranger. Or, tous ces jeunes n'ont pas envie de s'expatrier. Ils sont de plus en plus nombreux à avoir envie de créer, ici, leur entreprise. Regardez les cursus d'HEC : c'est la filière entreprenariat qui a le vent en poupe, quand il y a quelques années, ce que voulaient les étudiants, c'était devenir banquier ou trader. Même chose dans les écoles d'ingénieurs. On a un savoir-faire, en France, sur les objets connectés. Il s'agit de prendre les risques qu'il faut pour le développer.

On a inscrit le principe de précaution dans notre Constitution, mais c'est oublier que l'entrepreneur - je cite là encore Schumpeter - c'est quelqu'un qui prend des risques. C'est ce que nous faisons dans nos entreprises, avec nos salariés. Quand un salarié prend le risque de s'embarquer sur une coquille de noix, il est normal que lorsque l'entreprise réussit, il en partage le bénéfice. C'est quand les intérêts de l'investisseur, de l'équipe et de l'entrepreneur sont sur la même ligne que l'on on crée de la croissance. Quand ils divergent, on reste encalminés. C'est en ayant cela à l'esprit qu'il faut définir le cadre fiscal.

M. Stanislas de Bentzmann. - Tout à fait d'accord.

La relation avec les banques est, en effet, devenue plus complexe. Elles font valoir qu'elles sont encadrées par des ratios prudentiels trois fois plus contraignants qu'avant Bâle III. Nous ne sommes pas en mesure d'en juger ; notre seule certitude, c'est qu'il faut que les entreprises fassent des marges. Quand elles sont inférieures de 10 à 15 points à celles de nos concurrents, on ne peut pas s'autofinancer. Pour se développer, il faut aussi de la trésorerie. Pour un banquier, il est plus délicat que tout de financer de la trésorerie, parce qu'il ne sait pas ce qu'il finance. C'est pourquoi nous préconisons de ramener le délai légal de règlement à 30 jours. C'est le moyen d'injecter plus de 10 milliards d'euros, sans coût pour la collectivité. C'est ce que nous plaidons depuis des mois dans les cabinets ministériels, sans être entendus, parce que les grands groupes n'en veulent pas, au motif que cela entamerait leur propre trésorerie, donc leur développement. Mais ils n'ont pas les mêmes problèmes de trésorerie que nous ! Nous dialoguons, bien sûr, avec les banques, et nous avons beaucoup travaillé avec la médiation interentreprises, qui est un bon outil. Mais on ne va pas, à nous seuls, changer le modèle qui est le leur, et c'est pourquoi nous nous attachons à plaider pour des mesures concrètes, qui auront immédiatement leur effet. Le délai de 30 jours en est une, qui amènerait un carburant précieux à nos PME.

Tout le monde se retrouve, dites-vous, sur la nécessité de se regrouper, de créer des filières. Mais on oublie que la loi Hamon impose une communication générale à tous les salariés de tout projet de cession deux mois avant l'échéance. Cela fait des mois que nous expliquons que c'est une mesure anti-regroupements. Nous ne sommes pas contre l'information des salariés, surtout si c'est une solution pour vendre - j'ai moi-même vendu une de mes filiales en France à son équipe de management et j'en suis très content. Au reste, s'il existe un comité d'entreprise, c'est déjà une obligation de l'informer, mais qui se limite à quelques salariés, dont on peut exiger la confidentialité. Mais c'est tout autre chose de rendre publique une telle information, en amont ; cela crée des turbulences énormes. Cela inquiète non seulement les salariés, mais les clients, les fournisseurs, et cela donne des armes aux concurrents. Il faut être réaliste ! On vit dans un monde concurrentiel, où l'information est sensible. Pour peu qu'une telle annonce refroidisse les deux ou trois clients d'une petite entreprise, on la met au tapis.

Alors que les regroupements d'entreprises sont nécessaires pour former des ETI, la fiscalité ne les favorise en rien, même si cela s'arrange un peu. Nos entreprises ont besoin de se regrouper pour se donner du muscle à l'international. Comme l'a dit Nicolas d'Hueppe, un vent de liberté, favorable à la création d'entreprises, souffle sur le pays. Les cadres se rendent compte que travailler pour un grand groupe n'est pas toujours enthousiasmant, quand il peut l'être, au contraire, de créer son entreprise, de devenir son propre patron, de bâtir une aventure humaine. Si ces entreprises peuvent grandir, nous tenons la solution.

Le Medef ? Il est constitué de lobbies, si bien qu'il tend souvent à bloquer les choses, pour défendre une situation de rente. CroissancePlus, qui se contente de regrouper les entreprises de croissance, n'est pas, en ce sens, un lobby. Cela dit, le Medef représente des centaines de milliers d'entreprises, qui font remonter beaucoup de choses du terrain. Il faut écouter son point de vue, mais il faut savoir faire le tri, et vous savez le faire, entre la défense d'intérêts particuliers et le parler-vrai. Quand le Medef dit que la politique économique menée au cours des dernières décennies a été néfaste aux entreprises, il faut l'écouter.

M. Nicolas d'Hueppe. - Vous nous interrogez sur les hausses de salaires. C'est un sujet auquel je m'intéresse de près. Je suis, avec mon entreprise, qui fait 70 millions de chiffre d'affaires et emploie 150 personnes - des emplois que j'ai créées ex-nihilo - sur le même secteur que Netflix, dont le siège est en Californie, et qui compte quelques milliers de salariés. Qu'a fait Netflix ? Voyant que ses salariés passaient leur temps connectés sur Facebook et ailleurs, et géraient leur vie familiale depuis leur bureau, l'entreprise a décidé qu'ils pouvaient prendre, sans limite, des jours de congés. C'est un phénomène que l'on commence aussi à observer plus près de nous, en Angleterre. Un nouvel écosystème commence à se dessiner. Ce que j'ai constaté, c'est que mes salariés, qui sont très jeunes, ont tous, à côté de leur travail dans ma boîte, une activité, le soir, sur le web. Ils bricolent, développent des petits business où ils se font un peu d'argent. Je n'ai rien contre le contrat de travail, mais il va falloir le réinventer, sans se braquer sur des combats d'arrière-garde. Car comment demander l'exclusivité à des salariés qui sont tous en train de bricoler autre chose ? Faudra-t-il leur interdire de se connecter sur le web après leur travail ? Et puis, nous avons aussi des pères et des mères de famille qui veulent venir travailler, mais qui veulent aussi retrouver leur progéniture à quatre heures, reviennent à six heures, et le soir, se reconnectent. Les boîtes doivent être suffisamment flexibles, et se réinventer avec ce genre de choses. Augmenter les salaires ? Mais nous sommes face à des gens qui font de plus en plus la différence entre rémunération et salaire, quand le code du travail tient les deux pour équivalents. Ce que veulent les gens, au-delà d'un salaire, ce sont des bonus, de la formation, du temps libre, de la souplesse dans leurs congés pour pouvoir s'impliquer dans une association humanitaire. Or, le cadre réglementaire ne nous permet pas d'assouvir ces désirs. Si des salariés s'expatrient, ce n'est pas parce qu'ils pensent que la France est moisie, mais parce qu'ils sont plus libres ailleurs. Ils peuvent, par exemple, avoir un contrat qui les occupe le lundi et le mardi et faire autre chose le reste de la semaine. Ces jeunes viennent d'une culture du zapping, ils ont l'habitude de jouer en même temps à plusieurs jeux vidéo : ils n'ont pas envie de s'enfermer dans un seul job toute la journée ! Certains aussi, inversement, ne veulent pas de leurs huit semaines et demi de congés - avec les RTT -, dont ils ne savent pas quoi faire. Il y en a qui viennent me voir et qui me disent : Nicolas, je n'ai pas de copine, qu'est-ce que tu veux que j'en fasse de ces congés, je n'ai pas d'argent, je ne gagne pas beaucoup, je préfèrerais travailler et gagner plus. J'en conclue, si je projette le contrat de travail sur l'horizon 2030, qu'il faut individualiser. Il y a là un vrai travail à mener, sur lequel nous sommes prêts à vous accompagner.

M. Stanislas de Bentzmann. - Je n'ai pas le sentiment, lorsque je me rends au Danemark, où mes charges sociales ne représentent que 10% de la masse salariale et où j'ai beaucoup plus de souplesse dans le contrat de travail, d'arriver dans un environnement ultra libéral où la population vit dans la misère. Nous avons besoin de souplesse et de confiance, et Nicolas vient d'en donner un bel exemple. Oui, les abus doivent être sanctionnés, mais il ne s'agit pas pour autant de multiplier les contrôles à outrance. Voyez la toute récente décision de la Cour de cassation, qui a été très commentée. On a dit qu'elle interdirait dorénavant aux entreprises d'augmenter les salaires « à la tête du client », comme si c'était le cas ! S'il s'agissait d'augmenter les salaires à la tête du client, c'est bien simple, on ne les augmenterait pas. Il y a certes des augmentations, qu'il faut documenter, parce qu'il est important que les salariés les comprennent. Mais qu'un juge, un fonctionnaire, puisse venir dire à un manager qu'il fait mal son job et que la justice est, en sa personne - vous me comprenez - plus compétente que lui pour décider de ce qu'est une bonne augmentation de salaire ! Cela témoigne d'une véritable dérive. Je sais qu'il vous est plus difficile qu'à moi de vous exprimer là-dessus, parce qu'il s'agit d'une décision de justice, mais enfin... Et quand le gouvernement, de son côté, nous dit que l'on augmente trop les salaires, que le crédit d'impôt compétitivité-emploi (CICE) ne doit pas servir à cela et qu'il nous accuse de laxisme, avouez que le propos d'ensemble devient difficile à suivre !

La France a de nombreux atouts. C'est un beau pays dont la culture séduit partout dans le monde, elle a de bonnes infrastructures, un système scolaire qui reste, dans les bons endroits, excellent. Ce à quoi nous appelons, c'est à rechercher ensemble le cadre adéquat pour en tirer profit. Je ne dis pas que nous devons imiter en tous points le modèle libéral anglo-saxon, mais ce que je dis, c'est que l'entreprise des 35 heures est l'entreprise d'hier, et qu'il faut nous acheminer vers une transition. Vous devez vous approprier tous ces concepts, et créer un cadre où nos entreprises puissent grandir. Quand on parle à des entrepreneurs étrangers de la France, ils citent aussitôt deux chiffres, les « 75 %«  (la surtaxe provisoire sur le revenu)  et les 35 heures ; ce que l'on appelle les « chiffres rouges ». Il est temps de montrer que l'on a autre chose à leur proposer.

M. Roland Courteau. - Je reviens sur le dialogue social, qu'a évoqué Yannick Vaugrenard. Que pensez-vous du projet de loi Rebsamen, en cours de discussion à l'Assemblée nationale ?

M. Bruno Sido. - Ce n'est pas une révolution !

M. Roland Courteau. - Quelle appréciation portez-vous sur le CICE et le pacte de responsabilité ?

Oui, il faut simplifier la vie administrative de l'entreprise, mais vous avez raison, au-delà, de pointer le problème des délais de paiements. Les pressions que certains grands groupes font subir à leurs sous-traitants sont à l'origine de bien des faillites. Ce n'est pas admissible.

Notre pays a des atouts, avez-vous souligné. Ils sont aussi dans ses secteurs innovants, et je ne saurai trop insister sur la bioéconomie, un secteur dont on nous dit qu'il pourrait représenter, à l'horizon 2030, jusqu'à 2,7 % du PIB de l'OCDE. Les États-Unis, l'Allemagne, en ont fait une priorité, mais je ne suis pas sûr qu'elle le soit pour la France. Attention à ne pas accumuler les retards, car parfois, on ne les rattrape jamais.

M. Henri Tandonnet. - Je reviens sur l'actionnariat salarié. C'est une logique qu'a poussée assez loin une entreprise du Lot-et-Garonne, De Sangosse, où l'actionnariat salarié appartient aux seuls salariés actifs : ceux qui la quittent doivent céder leurs parts. Mais c'est une logique qui trouve ses limites en période de croissance, lorsqu'il faut investir, car cela peut devenir un moyen de prédation pour un investisseur qui voudrait prendre le contrôle de l'entreprise. Avez-vous eu connaissance de telles difficultés et des propositions à faire pour y remédier ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Il a beaucoup été question des 35 heures. Je rappelle que le nombre global d'heures travaillées en France a cru dans des proportions supérieures à la moyenne de l'Union européenne au cours des deux dernières années, même si cela est à tempérer compte tenu de l'augmentation de la population.

Vous mettez en avant la faiblesse des cotisations sociales au Danemark, mais c'est oublier le niveau de l'impôt, notamment sur le revenu : c'est sur quoi le pays finance l'Etat providence. Sur quoi doit-on financer la protection sociale, là est la question. On entend beaucoup de propositions qui ont pour conséquence de diminuer les recettes, mais qui ne mettent en avant aucune alternative pour financer notre modèle de protection sociale, dont 80 % des Français considèrent qu'il est le meilleur au monde. Sur quelles ressources l'asseoir à l'avenir ? Il est un point sur lequel je peux vous rejoindre. Lorsque vous regrettez que les Français investissent trop dans l'immobilier, et pas assez dans l'entreprise, je vous suis. Notre souci doit être d'aider les entreprises à accéder au financement. Il a ici été question des banques, mais je pense aussi à l'assurance-vie, où se porte le gros de l'épargne des Français. Or, cette épargne est insuffisamment orientée vers les entreprises que vous représentez. Avez-vous des propositions en ce sens ? Quant au livret A : une large partie reste aux banques, sans remonter à la Caisse des dépôts, pour financer, théoriquement, les PME. Mais personne ne sait ce qu'il en est vraiment. Ne serait-il pas plus judicieux de flécher plus étroitement ces sommes vers l'investissement innovant ?

Je souscris à ce que vous avez dit sur Bâle III, en rappelant que les Américains ont refusé de le mettre en oeuvre. Ces accords se fondent sur une stratégie malthusienne de l'investissement et du risque et sont un gros handicap pour nos banques.

Un mot sur la banque publique d'investissement (BPI). Son intervention répond-elle à vos besoins et si non, comment pourrait-elle être améliorée ?

Le débat sur les PME face aux grands groupes est, en France, récurrent. Je me suis récemment intéressée au poids des grands groupes dans l'économie nationale, et j'ai été surprise de constater combien il était lourd : que l'on parle de leur part dans le chiffre d'affaires, dans le PIB, ou dans les exportations, ont est autour de 35 %. Cela explique peut-être en partie vos difficultés à convaincre Bercy... En Allemagne, le lien entre les grandes entreprises et les ETI est beaucoup plus fort qu'en France. En la matière, ce n'est pas de l'Etat que tout peut procéder. Comment engager des coopérations entre grandes entreprises et ETI ? Comment trouver un cadre stimulant pour de telles coopérations ? J'estime, pour ma part, que l'on utilise mal, en France, les doctorants, et qu'il y a là une piste.

Je suis sensible à ce que vous avez dit sur les délais de paiement, mais la loi suffira-t-elle à régler tous les problèmes ? Que peut-on faire concrètement pour que les délais légaux soient respectés ? Faut-il plus de contrôles ? Faut-il imaginer des stratégies de recours automatiques, avec consignation des créances?

Il faut améliorer, dites-vous, la fiscalité des actions gratuites. C'est un débat que nous avons eu lors des discussions sur la loi Macron. Mais comme la fiscalité sera la même pour les grands groupes et pour vos entreprises, en quoi cela vous aidera-t-il ? Ne pourrait-on imaginer un plafonnement, qui fasse pencher la balance en votre faveur ?

Un mot, pour finir, sur le droit d'information des salariés. Je relève qu'en Allemagne, l'obligation d'informer les salariés d'un projet de cession vaut dès cinq salariés.

M. Stanislas de Bentzmann. - Mais pas deux mois avant !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Certains dont je suis auraient même souhaité que ce soit six mois avant, afin que puisse véritablement s'engager une réflexion sur l'avenir de l'entreprise. Le délai a finalement été fixé à deux mois, pour permettre aux salariés de dire s'ils veulent être acteurs d'une reprise. Si cela ne vous va pas, dites-nous quelles sont vos propositions alternatives ! Parce qu'en Allemagne, ça marche.

M. Gérard Bailly. - Je m'étonne de vous entendre dire que vous êtes, en somme, résignés sur les 35 heures. J'observe que lorsque les Suisses, il y a quelques mois, ont vu s'envoler leur monnaie face à l'euro, ils ont compris qu'il leur fallait passer à 42 heures pour améliorer leur compétitivité. Mais en France, on ne veut pas entendre parler de la compétitivité par le temps de travail. Quand on voit les grands ponts qui ont émaillé le mois de mai, le 1er mai, puis l'Ascension, puis la Pentecôte - alors qu'il n'y a plus personne, soit dit en passant, dans les églises - on comprend mal le bazar que provoque chaque tentative de supprimer un jour férié. Alors que les agences régionales de santé annoncent des diminutions de crédits dans tous les hôpitaux et qu'on sait qu'un jour de travail rapporte deux milliards d'euros, je me dis qu'une telle somme ne ferait pas de mal à notre système de protection sociale. Je comprends mal qu'un entrepreneur dynamique comme vous l'êtes se dise résigné, car pour moi, le combat sur le temps de travail doit être poursuivi.

J'en viens à ma question. La Caisse des dépôts relève que « compte tenu du vieillissement, la situation patrimoniale est clairement sous-optimale », ajoutant que « les personnes âgées, qui détiennent la majorité du patrimoine immobilier et financier, n'investissent pas assez dans les actifs risqués ». Ne serait-il pas bon de défiscaliser davantage les successions, afin que ces capitaux soient beaucoup plus actifs ?

Quant au taux de défiscalisation pour investissement dans les PME innovantes, qui ne dépasse pas 30%, est-il suffisant au regard des besoins de ces entreprises ?

M. Joël Labbé. - J'ai beaucoup appris de cet échange et je suis heureux d'entendre un discours qui est, véritablement, du XXIème siècle. Je vous sens volontaires et optimistes. Ce que vous avez dit des étudiants d'HEC est encourageant. Cela signifie qu'il y a de nouveau, en France, des possibilités ; que les jeunes ne voient pas forcément leur avenir dans la grande banque, mais dans l'entreprise.

La question des délais de paiement doit, évidemment, nous interpeller. Comment expliquer que 67 % des entreprises allemandes respectent le délai légal de 30 jours, quand à peine un tiers des nôtres se conforment au délai légal, bien supérieur, de 60 jours ? Le législateur que nous sommes doit prendre des décisions contraignantes. Nous avons compris ce que vous avez dit du Medef, dont les préoccupations ne reflètent pas toujours les entreprises que vous représentez. C'est une situation que l'on retrouve dans le monde agricole, avec la FNSEA. J'en profite pour vous demander si parmi vos adhérents, on trouve des entreprises de l'agro-alimentaire. La relocalisation à venir de l'alimentation, salutaire et inévitable, ouvre des opportunités pour l'innovation - et je rejoins ce que disait Roland Courteau de la bioéconomie. Il y a là un gisement d'innovation qui peut se démarquer des grands groupes.

M. Gérard César. - Je me réjouis de vos propos et félicite notre président de son initiative.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous la devons à Marc Daunis, qui n'a pu, malheureusement, être parmi nous.

M. Gérard César. - Vous n'avez rien dit de l'apprentissage. Dans certains secteurs, comme le BTP, on manque de ces apprentis, qui seront les employés de demain. Quel rôle êtes-vous prêts à jouer aux côtés de l'Education nationale ?

Que pensez-vous de l'action d'Ubifrance, désormais Business France ? Et du volontariat international en entreprise, qui fait de jeunes Français nos représentants à l'étranger et surtout, leur fait apprendre l'anglais ?

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Un article récent des Echos nous apprend qu'en matière de robotisation, l'écart entre la France et l'Allemagne, où le chômage est beaucoup moins élevé que chez nous, est de un à six. J'y ai également découvert à quel point les robots ont investi le secteur des services.

On a évoqué les 35 heures sous l'angle global, mais qu'en est-il du temps que chaque salarié consacre à son travail ? Quelle différence entre la France et l'Allemagne ?

M. Nicolas d'Hueppe. - Certaines mesures ont tout de même été prises pour flécher l'épargne vers l'investissement productif. Je pense au PEA (plan d'épargne en actions)-PME, que les banques, hélas, ne promeuvent guère. Avec l'investissement productif, on est dans la mécanique des fluides : il faut que flécher l'épargne et lui donner des perspectives de gain. On peut booster un peu le dispositif. Son plafond - 70 000 euros - mériterait d'être relevé. Ce ne sont pas forcément les gens qui n'ont que 2 000 ou 3 000 euros à placer qu'il faut viser.

Les assureurs sont également censés orienter 2 % des fonds de l'assurance-vie vers nos entreprises. Ce serait déjà bien qu'ils respectent cette exigence. On a besoin de cet argent.

Il faut aussi revoir la taxation des plus-values. On ne peut taxer de la même façon les plus-values de quelqu'un qui a mis 50 000 euros dans une boîte qui faisait 50 000 euros de chiffre d'affaires et celles de quelqu'un qui met 50 000 euros dans un placement immobilier.

Sur les délais de paiement, la loi a posé une règle : 60 jours à compter du bon de commande. Mais l'esprit latin sait en jouer. Bien souvent, la commande est passée par e.mail, et le bon de commande n'arrive que deux mois après... Reconnaître le courrier électronique comme une trace écrite d'engagement serait un premier pas.

Pour répondre à votre objection sur les actions gratuites, je dirai qu'il est un moyen simple de distinguer entre grands groupes et petites boîtes, c'est la valorisation de l'entreprise. C'est le cas avec les bons de souscription de parts de créateur d'entreprise (BSPCE), réservés aux entreprises dont la capitalisation boursière est inférieure à 150 millions d'euros. On pourrait d'ailleurs pousser ce plafond un peu plus haut, car une entreprise du digital est susceptible d'être catapultée très vite à des niveaux supérieurs. On peut ainsi distinguer par clés : chiffre d'affaires, valorisation, taux de croissance, aussi, pour favoriser les entreprises qui contribuent beaucoup à la croissance plutôt que celles qui protègent leur rente.

Les dispositions de la loi sur l'obligation d'information en cas de cession sont symptomatiques d'une certaine approche de la prise de risque. La démarche première visait à résoudre le problème de la transmission des PME, quand un chef d'entreprise partant en retraite a mal préparé sa succession, ou celui des entreprises en difficultés, en donnant aux salariés la possibilité d'une reprise. C'était une bonne démarche, mais le problème, c'est que l'on a fait une loi qui s'applique à toutes les boîtes, si bien que des entreprises comme la mienne se trouvent concernées. Je suis actuellement approché par des fonds qui seraient prêts à mettre plusieurs dizaines de millions d'euros pour développer ma boîte. Si j'arrive à mener à bien cette transaction, ces fonds vont en prendre le contrôle. Et il faudrait que j'aille recueillir la signature de chacun de mes salariés pour qu'il ait officiellement déclaré qu'il renonce à reprendre l'entreprise ? Ces dispositions, qui sont à nouveau dans les tuyaux, puisque la loi Macron, où vous avez décidé de les réintroduire, pourraient les modifier, sont symptomatiques d'une approche qui n'est plus de mise.

Le CICE ? On n'en veut pas ! On veut une baisse de charges, et qu'on nous laisse bosser, point ! Je sais, avec mon directeur financier, calculer ce qu'une baisse de charges me permettrait de recruter, mais la logique du CICE me dépasse.

M. Roland Courteau. - Tout le monde ne dit pas la même chose.

M. Nicolas d'Hueppe. - C'est vrai, mais la position des entreprises de croissance est très claire. Ce n'est pas une aide que nous demandons, c'est une baisse de charges, et qu'on nous laisse bosser.

Quant au débat sur la tracasserie administrative, je n'ai pas trop envie d'y entrer. On peut toujours améliorer la productivité de l'administration, mais je me méfie du « french bashing ». Pour nous, les priorités, ce sont le fléchage des investissements, dont on a besoin pour grandir, l'actionnariat salarié, parce qu'il faut rémunérer la prise de risques, et la création d'écosystèmes où les intérêts de l'investisseur, du chef d'entreprise et des salariés se rejoignent, grâce au partage de la valeur.

M. Stanislas de Bentzmann. - Vous avez raison de vous interroger sur le temps de travail, car il est important de se mettre d'accord sur un diagnostic. Si l'on divise le stock d'heures travaillées en France par la population, on constate qu'un Français travaille en moyenne 690 heures par an, contre 900 heures pour un Allemand et 880 heures pour un Anglais.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Il y a un léger biais dans votre calcul... Dans la population française, il y a beaucoup plus d'enfants.

M. Martial Bourquin. - Notre taux de natalité est plus fort.

M. Stanislas de Bentzmann. - Cela nous donne tout de même un indicateur. La différence est de 200 heures. Même si on tient compte de la différence de natalité, c'est beaucoup. Nous devons vivre avec moins de travail que nos concurrents, et cela pèse sur notre compétitivité.

Le délai de règlement à 60 jours est mal respecté, si bien que l'on est, en réalité, à plus de 70 jours. Si l'on ramène le délai légal à 30 jours, même avec des dépassements, on arrivera à mieux. En Europe du Nord, les règles vont du paiement au comptant à trente jours maximum. C'est un vrai outil pour grandir.

La BPI est un bon outil, avec des équipes très ouvertes : des anciens d'Oséo mais aussi des acteurs du privé. Elle est très active, et son intervention, sur le terrain, est utile, même si certains fonds estiment que son ampleur commence à fausser la concurrence.

Les grands groupes sont des acteurs très importants pour la France, dont ils sont l'un des atouts. Notre état d'esprit n'est pas de batailler contre eux, mais nous relevons qu'au regard de leur taille, ils créent peu d'emplois dans l'économie, parce qu'ils investissent beaucoup à l'étranger. Ce sont les PME qui ne délocalisent pas. C'est là qu'est l'avenir de notre pays.

Un mot sur les actions gratuites. Pour éviter les dérives des stock-options, nous avions proposé que le comité de direction ne puisse en toucher plus de 15 %, et qu'il soit obligatoire d'en donner au moins à 10 % des salariés. C'était le moyen de mettre fin aux abus tout en laissant la possibilité aux actionnaires de rémunérer les salariés. Car ce n'est pas le fonds d'exploitation de l'entreprise qui assume le coût des stock-options, mais bien l'actionnaire, qui prend dans sa poche pour donner aux salariés. Quand il ne donne qu'à quelques cadres, on en vient aux dérives que l'on a connues, mais quand on élargit le nombre des bénéficiaires, l'outil redevient vertueux : il sert à attirer de bons cadres, qui prennent un risque en venant chez nous. Nous plaidons désormais pour que l'on étende les BSPCE, en ne réservant pas le dispositif aux seules start-up, pour en faire un outil au service des PME.

M. Nicolas d'Hueppe. - Je fais partie de Business France et je puis dire que dans mon secteur, qui est celui des télécoms, son action est très utile. Nous pouvons, grâce à eux, être présents au Mobile World Congress de Barcelone, qui sans leur aide nous serait inaccessible. Ils nous aident aussi à prendre bien des contacts, charge à nous de les faire fructifier.

M. Stanislas de Bentzmann. - Que les charges sociales soient, au Danemark, de 10 % donne de la compétitivité aux entreprises. Il est vrai que la TVA est à 25 %, et que l'impôt sur le revenu est élevé, sans quotient familial. La fiscalité est plus lourde sur les particuliers, parce que tout est pensé pour l'entreprise. C'est la population qui porte le choix de l'Etat providence qui la protège.

Le monde change : robots, intelligence artificielle, bioéconomie. Tout cela crée de nouveaux métiers, qui rendent indispensable la formation. Il faut réformer notre système, qui est d'évidence à la peine. Les limitations imposées aux stages sont un mauvais coup fait aux stagiaires. Au motif de combattre les excès de quelques entreprises, on a posé toutes sortes de limites. Or, le stage est la clé d'accès à l'entreprise. Tout comme l'apprentissage, qui n'a guère été favorisé ces dernières années.

M. Nicolas d'Hueppe. - C'est parce que, dans nos entreprises, les intérêts de tous sont liés que le dialogue social fonctionne. Et il fonctionne d'autant mieux qu'il a lieu au sein de l'entreprise et qu'il n'est pas pris en otage par les idéologies. Nous avançons, avec beaucoup de pragmatisme, sur tous les sujets - formation, aménagement du temps de travail, etc. C'est entre nous, avec nos salariés, que l'on trouvera les formes d'organisation les mieux adaptées à nos business.

M. Roland Courteau. - Le projet de loi Rebsamen ?

M. Stanislas de Bentzmann. - Les secteurs où la représentation n'est pas propre à l'entreprise, mais extérieure, ne s'en plaignent pas : nous n'avons donc pas pris position là-dessus. En revanche, tout ce qui concerne les seuils et le rapprochement des instances de représentation du personnel nous déçoit. Nous aurions voulu voir remonter le seuil pour la constitution d'un comité d'entreprise de 49 à 99 salariés : on en est loin. A quoi bon, dans des entreprises de services comme les nôtres, avoir, en plus du comité d'entreprise, un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ? Le regroupement dans une délégation unique est certes un pas dans la bonne direction, mais qui reste trop timide. Dans nos entreprises, nous sommes dans le dialogue direct avec nos salariés. Tous ces comités l'alourdissent et y introduisent une connotation juridique malvenue.

M. Nicolas d'Hueppe. - Autant dire que ce texte n'aura pas, comme cela était son ambition, d'impact positif sur les chefs d'entreprises.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je vous remercie chaleureusement d'être venus jusqu'à nous. Merci à Marc Daunis d'en avoir pris l'initiative.

Communication

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je donne la parole à Anne-Catherine Loisier, présidente de la section « cheval » de notre groupe d'étude de l'élevage.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Nous souhaitons réaliser un audit sur la situation de la filière « cheval », dont dépendent beaucoup d'emplois.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Il est vrai que ce secteur est en crise. Les centres équestres, notamment, pâtissent beaucoup de la TVA à 20 %.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est levée à 12h05.