Jeudi 11 juin 2015

- Présidence de Mme Françoise Laborde, présidente -

Échange de vues

La réunion est ouverte à 9 heures.

Mme Françoise Laborde, présidente. - M. le rapporteur va nous présenter ses premières orientations de travail, phase importante de nos travaux. En seize semaines, nous avons procédé à 44 auditions plénières, dont trois sous forme de tables rondes, soit une durée totale de 45 heures 30, avec soixante personnalités de tous horizons : enseignants, conseillers principaux d'éducation (CPE), référents laïcité, philosophes, spécialistes des sciences de l'éducation, hauts fonctionnaires, responsables syndicaux ou politiques, journalistes... Notre rapporteur Jacques Grosperrin a organisé neuf auditions-rapporteur où il a entendu 27 personnes durant 9 heures 30.

Nous avons effectué neuf déplacements sur le terrain dont un à l'étranger, cinq en régions et trois à Paris et en Ile-de-France, onze jours au total. Je remercie les membres de la commission qui ont facilité dans leur département l'organisation de ces visites. Nous nous sommes rendus dans de multiples établissements d'enseignement de toutes catégories, dans des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ), à l'École supérieure de l'éducation nationale (ESEN) à Poitiers. Nous avons rencontré des recteurs, des enseignants de tous niveaux, des parents d'élèves, des CPE, des élèves et des étudiants, soit plus de 170 personnes, ainsi que des équipes éducatives.

Nous avons réussi à lever les préventions de ceux qui, au départ, s'interrogeaient sur la pertinence de notre démarche. Je leur ai dit et redit: « nous ne venons pas enquêter sur vous ni sur l'école, mais sur vos difficultés, pour vous aider à les résoudre ». Ce message est passé : les seuls à ne pas avoir compris le sens de cette commission d'enquête - ou plutôt, à ne pas vouloir la comprendre - sont ceux qui, dès le départ, ont préféré la politique de la chaise vide, comme les représentants de deux organisations syndicales et ceux de la FCPE au lycée Paul-Éluard de Saint-Denis.

Nous n'allons ce matin ni examiner le rapport, ni présenter des amendements, mais simplement échanger avec le rapporteur. Le rapport sera débattu mercredi 1er juillet après-midi. Nous travaillons à huis clos, sans enregistrement vidéo, le compte rendu de la réunion ne sera pas publié au Bulletin des commissions de cette semaine. À défaut de pouvoir parler très longtemps, vous pourrez parler très librement !

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Oui, nous avons beaucoup et bien travaillé. Mon rapport n'est pas finalisé, il était logique d'attendre cette réunion d'orientation avant de formuler mes propositions.

De nos auditions et rencontres, je dégage trois constats. D'abord, les incidents de janvier lors de la minute de silence révèlent un malaise. Leur nombre n'a pas été précisément quantifié par les services de l'éducation nationale. Ils n'ont pas affecté de manière grave le service public de l'éducation, mais ont révélé un malaise profond que le rapport Obin, il y a dix ans, avait déjà parfaitement diagnostiqué. Le ministère évoquait environ deux cents incidents, nous en comptabilisons plus du double - au moins, car nombre d'incidents ne sont pas signalés par les chefs d'établissement.

Cette querelle des chiffres révèle la faiblesse de l'appareil statistique du ministère ; surtout, nous avons pris conscience de l'impréparation de cette minute de silence. Comme le disait l'un de nos interlocuteurs, la compassion ne se décrète pas ! Pour reprendre l'expression de Mme Laborde, la minute de silence aurait dû être précédée d'une heure de parole.

Deuxième constat, le sentiment d'appartenance se délite. Ces incidents, qui ont pris les enseignants au dépourvu, l'ont révélé : beaucoup de jeunes n'adhèrent pas à des valeurs qu'ils connaissent mal ou qu'ils rejettent. Ces valeurs républicaines sont en réalité plutôt des valeurs démocratiques de tolérance et de respect de l'autre ainsi que de laïcité, gage d'un vivre ensemble harmonieux et d'une neutralité des enseignements.

Certains jeunes ne se reconnaissent pas membres à part entière de la communauté nationale ; leurs repères identitaires sont le quartier, le groupe ethnique, la communauté religieuse ou la nationalité des parents. Ces groupes ont leurs lois, leurs codes, leur croyances, mais leurs valeurs ne sauraient prendre le pas sur celles de la République, seules à garantir à tous l'égalité devant ses lois, sans considération d'origine, de race, de religion ou de croyance.

Pourquoi cette méconnaissance ou ce rejet ? D'avis presque unanime, le mode de transmission de nos valeurs nationales par l'école laisse fortement à désirer... Les enseignants sont les premiers à le regretter et ont besoin de soutien dans cette mission essentielle. L'école n'est pas responsable de tout, et ne peut pas tout. La marginalisation économique et sociale des quartiers, le chômage et les phénomènes de ghetto ne facilitent pas l'adhésion aux valeurs traditionnelles prônées par l'école. Les enseignants eux-mêmes subissent une dégradation constante de leur statut, à la fois matériel et social. Aujourd'hui, la parole du professeur est de plus en plus concurrencée : généralisation du relativisme, bruit numérique ambiant, travail de sape des théories du complot ...

Nous devons redonner aux enseignants confiance en eux-mêmes, pour qu'ils présentent les valeurs de la République non comme des contraintes imposées, mais comme des facteurs d'émancipation et de libre arbitre.

La perte des repères résulte d'un certain nombre de fragilités structurelles, mises en évidence par nos travaux, auxquelles nous devons apporter des solutions ambitieuses. Les grandes enquêtes internationales nous renvoient une image inquiétante. Un pourcentage considérable d'élèves ne maîtrise pas le socle de connaissances et de compétences requis à leur niveau. Trop de jeunes arrivent en sixième sans maîtriser le français. Comment leur transmettre ces valeurs dans une langue qu'ils ne comprennent même pas ? Je propose d'investir massivement dans l'apprentissage du français dès la maternelle. Quant aux enseignants, leur formation devra être revue, car ils ne sont pas correctement préparés à transmettre les valeurs. La formation initiale est inappropriée et la formation continue, en totale déshérence.

L'école républicaine doit aussi pratiquer de manière tangible et au quotidien les valeurs qu'elle est en charge de transmettre, notamment en favorisant certains rites républicains. Il ne s'agit pas d'imposer un nouveau catéchisme, mais de marquer un certain nombre de repères bien visibles favorisant l'émergence du sentiment d'adhésion. Enfin, je crois indispensable d'associer et de responsabiliser les parents à cet effort : l'éducation ne s'arrête pas à la sortie de l'école, et les familles sont à 100 % partie prenante de ce processus.

Je ne sais pas si nous parviendrons à nous entendre sur les solutions, mais je suis convaincu que ce constat sera partagé par tous ceux qui ont participé à nos travaux depuis cinq mois.

Mme Françoise Laborde, présidente. - Nous pouvons largement partager ces propos factuels. C'est sur les propositions que la discussion sera animée.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Elles ne sont pas arrêtées. Je souhaite en formuler une vingtaine tout au plus, afin que le rapport ait une véritable résonance. Je les ai regroupées sous quatre rubriques.

La première concerne le sentiment d'appartenance et l'adhésion de tous aux valeurs de la citoyenneté. Marie-Christine Blandin interpellait la ministre sur le sujet, d'autres évoquaient un triptyque républicain : code de déontologie, avec un serment de Socrate sur le modèle de celui d'Hippocrate et un règlement intérieur signé par chaque enseignant ; emblèmes de la République, exposés dans tous les établissements...

M. Jacques-Bernard Magner. - C'est déjà obligatoire.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Nous sommes allés dans un établissement de Villeurbanne où aucun drapeau n'était visible. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen pourrait être affichée à côté de la charte de la laïcité. Troisième pan, une réflexion sur la tenue d'établissement pourrait être lancée.

M. Jacques-Bernard Magner. - Que voulez-vous dire par tenue ? Le port de la blouse ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Une tenue, afin de sacraliser l'école. Vous avez lu hier la décision du tribunal administratif de Nice autorisant une mère voilée à accompagner une classe en sortie scolaire, position partagée et réaffirmée par la ministre. Nous pensons au contraire que les sorties scolaires sont des actes éducatifs.

Les programmes d'histoire doivent être recentrés - d'aucuns évoquaient « le roman de la nation ». La nation pourrait en effet être placée au coeur des programmes en primaire. Nous devrions instaurer un rite, comme un cérémonial dans la cour de l'école le lundi matin ou un « quoi de neuf » quotidien dans la classe.

Deuxième groupe de propositions : rétablir l'autorité des enseignants et assurer une vraie formation à la transmission des valeurs. Le contenu de cette formation doit être identique dans tous les ÉSPÉ. Quant à la formation continue, elle est le parent pauvre... Nous souhaiterions interdire l'affectation en zone difficile des nouveaux professeurs, sauf demande expresse de leur part. L'autonomie des chefs d'établissement doit être confortée, avec un droit de regard sur le recrutement de leurs équipes, bien sûr dans le respect des règles de la fonction publique. Un code de bonne conduite à l'école pourrait être adopté, sa transgression par l'élève sanctionnée par des travaux d'intérêt général scolaire.

Maîtriser le français et apprendre à se concentrer est essentiel. Cela pourrait donner lieu à un troisième groupe de propositions. Je songe d'abord à une évaluation réelle de la maîtrise du français en CM2. Certains proposaient d'évaluer la maîtrise du « lire, écrire, compter », mais souvent les difficultés en mathématiques proviennent de problèmes de lecture. Il convient de réfléchir à la suppression des enseignements des langues et cultures d'origine, dont les enseignants ne sont pas choisis par l'éducation nationale. Les tablettes - et non le numérique ou les tableaux interactifs - pourraient être interdits dans le primaire. Sinon les élèves n'écriront plus !

Quatrième axe : tous les acteurs doivent être responsabilisés. Les parents devraient être informés sans délai par SMS des absences injustifiées de leurs enfants, cela contribuera à prévenir l'absentéisme scolaire. Le contrôle du Parlement sur les stratégies éducatives doit être renforcé par un débat annuel, en sus des deux heures du débat budgétaire - deux heures, alors qu'il s'agit d'un des premiers postes de dépenses de la nation ! Pour éviter le « syndrome du couvercle », une remontée jusqu'au ministère de l'information sur les incidents est indispensable.

Mme Françoise Laborde, présidente. - J'approuve globalement ces propositions qui s'inspirent de ce que nous avons entendu, même si sur quelques points le rapporteur et moi avons eu des discussions animées ! Nous souhaitons tous deux, néanmoins, que toutes les personnes auditionnées s'y retrouvent, tout en ne retenant qu'une vingtaine de propositions, classées en quatre groupes pour plus de clarté.

Mme Marie-Christine Blandin. - Je ne me prononcerai pas sur ces propositions esquissées de manière impressionniste. Dès le départ, j'ai dénoncé l'esprit soupçonneux de cette commission, et je prends acte des paroles de la présidente, qui corrigent l'orientation initiale. Des auditions idéologiques visaient principalement à nourrir l'angoisse du rapporteur. Merci d'avoir accepté d'infléchir le casting pour l'ouvrir vers d'autres façons de penser l'école et les valeurs de la République.

Vos propositions sont trop vagues, comme le « rite solennel du matin », où vous citez à la fois un rituel dans la cour d'école - s'agit-il comme dans mon enfance en Algérie d'assister au lever des couleurs tous les matins, en uniforme, en présence de deux militaires ? - et l'exercice « quoi de neuf » qui se pratique dans les écoles Freinet, dont l'esprit est celui d'une école inclusive. Nous ne pouvons à ce stade nous prononcer sur ce grand écart entre des pistes que nous partageons et d'autres qui nous semblent redoutables.

M. Gérard Longuet. - Nous avons vu des enseignants qui aiment leur métier, qui ne sont pas désabusés, même s'ils sont lucides sur leur environnement et leurs conditions d'exercice. Ils ne regrettent pas leur choix et sont passionnés. C'est une richesse. Certains collègues de gauche nous reprochaient la création d'une commission d'enquête et parlaient de suspicion. Celle-ci existe peut-être dans une partie de l'opinion. Pour nous, la commission d'enquête était synonyme de rapidité et d'exigence dans la méthode de travail, certes pas de soupçon envers les enseignants.

Je souscris à la totalité des pistes envisagées par le rapporteur. L'exercice de la liberté n'exclut pas le formalisme. C'est en fixant les codes du dialogue que nous allons plus loin sur le fond, à l'instar des procédures du Sénat. On ne peut pas demander à un million d'enseignants de se comporter de manière homogène si aucune doctrine n'existe. Pour le dire autrement, le poisson pourrit par la tête. Soljenitsyne, dans son premier livre interpellait l'Occident : « en quoi croyez-vous ? ». Les livres d'histoire et d'économie sont des livres de convictions, ce n'est pas choquant. Mais l'autorité politique est seule légitime à définir quelle diversité elle accepte. Alors que l'histoire anglaise est marquée par la continuité, entre la Charte de 1214 et le Welfare State travailliste des années cinquante, nous avons, en France, sacralisé la Révolution française et gommé une partie de la longue marche de l'histoire du pays. Il faudrait définir cette doctrine de l'éducation nationale.

Il n'y a pas d'autorité sans autonomie. Je suis totalement favorable à l'autorité du chef d'établissement par rapport aux familles, aux élèves, aux enseignants ; elle ne se conçoit pas sans l'engagement des élus locaux. Enfin, sans langue commune et richesse du vocabulaire, la pensée est mutilée. Apprendre à lire à un enfant dont la famille ne lit pas n'est pas suffisant : si les parents ne sont pas capables de soutenir leur enfant, l'école doit s'en charger.

Mme Marie-Annick Duchêne. - Merci pour cette bonne ambiance de travail, malgré le malaise sur les bancs de gauche, et pour la qualité des intervenants de tous bords, grâce à l'ouverture évoquée par Marie-Christine Blandin.

Nous avons rencontré une enseignante très épanouie, qui avait en elle une autorité et un savoir-faire évidents. Cependant le malaise est réel chez beaucoup d'enseignants et de fonctionnaires, comme les conseillers principaux d'éducation (CPE) en ont témoigné. La forte demande de formation m'a frappée.

Les conclusions du rapporteur correspondent assez bien à ce qui était demandé, hormis la proposition relative à la tenue, qui reste à éclaircir. Pour moi une tenue correcte est importante pour éviter les dérives - j'ai pu connaître ce cas avec mes élèves.

M. Guy-Dominique Kennel. - En tant que nouveau sénateur, je n'ai pas compris tout de suite le débat sur le choix de la forme, entre commission d'enquête et mission d'information... En revanche, j'ai vécu dans cette commission ma première expérience de travail gratifiante. J'ai découvert que les sénateurs de gauche et de droite ont tous une passion pour l'éducation nationale : tant mieux ! Toutes les personnalités auditionnées étaient engagées et tenaient un discours très construit, ce qui fut très enrichissant. Une mention particulière au rapporteur qui a su construire des propositions structurées à partir de ces multiples auditions : loin d'être impressionnistes, elles dégagent des orientations claires.

On ne peut rien reprocher à un enseignant si on ne lui a pas demandé à l'origine de prendre des engagements, comme le ferait un employé qui signe son contrat de travail. Merci d'avoir retenu l'expression de « serment de Socrate » Je crois que cela donnera un sentiment d'appartenance aux enseignants.

La représentation nationale doit définir ce qu'elle attend de l'école et des valeurs qu'elle porte. J'ai été étonné que l'idée d'un code de déontologie à destination des élèves, enseignants, chefs d'établissements et parents n'ait été récusée par personne. Elle a reçu un bon accueil parmi nos interlocuteurs.

M. Jacques-Bernard Magner. - Le rapporteur a fait une présentation très consensuelle. Beaucoup d'éléments, comme les symboles républicains, sont déjà mentionnés dans des lois. Tout cela ne relève pas d'une commission d'enquête mais d'un rappel aux obligations légales. Je n'ai toujours pas compris la raison d'être de cette commission d'enquête. Un serment me semble excessif, désuet, mais enfin, pourquoi pas... à condition qu'il soit fondé sur la laïcité et les valeurs républicaines et imposé à toutes les écoles, publiques et privées sous contrat.

Je rappelle tout de même qu'une commission d'enquête n'a pas pour but de faire des propositions, mais de dresser des constats et procéder à des vérifications. M. Guy-Dominique Kennel et moi sommes chargés d'une mission d'information : voilà le cadre pour proposer des pistes.

Les enseignants n'ont pas été préparés à cette minute de silence, une heure de parole aurait été souhaitable aussi : avions-nous besoin d'une commission d'enquête pour conclure cela ? Le groupe socialiste attendra le rapport définitif pour se prononcer sur des propositions détaillées.

M. David Assouline. - Je ne juge pas ce travail car j'ai souvent été absent de ces débats, sur un thème qui pourtant me passionne. Les attentats ont été un choc dans toute la société. Quelques réactions malvenues dans des établissements scolaires montrent l'état déplorable du lien à la citoyenneté et de l'adhésion républicaine, au sein de toute la société et non seulement à l'école. Les extrémismes, djihadisme ou populisme nationaliste, gangrènent la société. Ne cantonnez pas le problème à l'école, il est plus global.

Une commission d'enquête aurait eu une justification si nous devions rechercher des éléments cachés, révéler des dérives, or ce n'était pas le fil conducteur de vos travaux. Vous pourriez admettre que ce cadre ne pouvait créer les conditions de la confiance. Auparavant des rapports étaient mis sous le boisseau, maintenant tous sont publiés.

M. Jacques Grosperrin. - Hier il y a eu un problème...

Mme Marie-Christine Blandin. - Un rapport a été enterré !

M. David Assouline. - Je parlais des rapports relatifs à l'éducation nationale. Certes il faut punir avec sévérité les apologies du racisme, de la haine et du terrorisme, mais des mesures ont déjà été adoptées : des chartes de la laïcité et de la citoyenneté dans tous les établissements, l'instauration d'une éducation morale et civique... Si ces décisions n'avaient pas été prises, alors votre commission d'enquête eût été justifiée.

Attention que votre proposition de serment de Socrate - j'ai été professeur - ne soit pas caricaturée par les médias comme la seule proposition de notre commission.

Mme Catherine Troendlé. - J'ai apprécié la liberté de parole qui a régné lors des auditions. Je pense que c'est le cadre, précisément - une commission d'enquête - qui a provoqué cela. On a entendu, par exemple, que les chefs d'établissement, lorsqu'il s'agissait de faire des signalements, restaient parfois timorés, pour ne pas faire de vagues. Nous avons constaté que la vraie difficulté touchait à la place de chacun dans l'éducation : parents, enseignants et élèves. Lorsque les uns empiètent sur les missions des autres, il en résulte des amalgames qui nuisent à l'efficacité. J'approuve le fait de classer nos conclusions en quatre catégories. Nous apportons des solutions globales à une situation qui mérite qu'on en débatte, même si elle n'est pas dramatique.

M. Patrick Abate. - L'éducation nationale est un corps de professionnels passionnés. Sans passion, un enseignant ne tient pas longtemps. Les valeurs de la République déclenchent également les passions. La confrontation des opinions sur ces sujets relève davantage de la démarche philosophique que d'une logique d'investigation. Dans nos débats, nous avons considéré la doctrine plutôt que l'enquête. Rien n'empêche que notre commission d'enquête se borne à constater une absence de problème. Les valeurs de la République se sécrètent plutôt qu'elles ne se décrètent. Quant à la minute de silence, il faut relativiser le grand émoi qu'elle a suscité : il n'y a eu que quelques centaines de perturbations sur des dizaines de milliers d'établissements. Il aurait suffi de la remplacer par une minute de parole pour éviter tout incident.

M. Michel Savin. - Les auditions ont été de qualité. Elles ont également été variées et passionnées. Qui d'autre que la commission culture aurait pu mettre en place cette commission d'enquête ?

M. David Assouline. - Le groupe UMP, pas la commission !

M. Michel Savin. - Elle a contribué à mieux quantifier les incidents, souvent minorés. Or, même limités, ils sont un message que nous envoie une partie de la population. Le sentiment de non appartenance à l'identité nationale et de perte de repères ne peuvent que nous interpeller. J'espère que cette commission d'enquête débouchera sur des propositions et contribuera à allumer des contrefeux pour rétablir la sérénité dans un lieu où l'on doit partager les valeurs de la République. L'apprentissage du français à l'école est un sujet essentiel. Dans la mesure où le redoublement n'est pas reconnu par les chefs d'établissement, comment éviter les décrochages scolaires ?

Mme Françoise Laborde, présidente. - A aucun moment nous ne ferons référence dans le rapport à des rituels comme la levée des drapeaux ou le salut aux couleurs. Je m'y oppose. Nous avons veillé à distinguer école et collège. La réflexion de M. Longuet sur la nécessité d'avoir un comportement homogène et cohérent est judicieuse. Nous noterons également qu'il manque dans les ÉSPÉ des modules sur la laïcité, les valeurs républicaines, l'histoire de l'école, etc.

M. Jacques-Bernard Magner. - C'est déjà dans la loi.

Mme Françoise Laborde, président. - Ce n'est pas appliqué. Nous avons demandé aux ÉSPÉ de prendre acte que l'éducation nationale doit imposer sur ces sujets des modules identiques dans toutes les académies. Des initiatives intéressantes existent en matière de tenue des élèves, avec le port de sweat-shirts par exemple, et non un uniforme à proprement parler. Le code de déontologie et le serment de Socrate ont déjà été testés. On nous a dit partout que c'était une bonne idée. Quant au drapeau, certains enseignants se sont plaints à Villeurbanne que leur chef d'établissement refuse d'en acheter un, pour des questions de coût. Enseignante, je suis effectivement passionnée par le sujet de l'éducation. Le rapport mentionnera la nécessité de relativiser les incidents sur la minute de silence. Des données statistiques y figureront et nous éviterons la confusion entre ces incidents et l'engagement des jeunes dans le djihadisme. Notre commission d'enquête a libéré la parole sans pourtant lever tous les silences. Nous avons recueilli le témoignage d'une enseignante ayant subi une agression au couteau : la proviseure a refusé de le signaler par souci d'éviter le scandale à la veille d'une inspection de l'établissement. L'ancien dispositif Signa facilitait le recensement de ces incidents. Peut-être faudrait-il le rétablir. Scolariser les enfants en maternelle dès deux ans et demi favoriserait leur apprentissage du français.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Même si nous ne sommes pas d'accord sur tout, j'ai apprécié de travailler avec la présidente. Madame Blandin, je viens de Besançon, pas de Giverny : je ne suis pas aussi impressionniste que vous le dites.

M. Gérard Longuet. - Il est plus Courbet que Monet.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Je ne suis pas particulièrement proche de M. Mérieux. Vous avez souhaité qu'il vienne ; nous l'avons entendu. Nous avons également auditionné des philosophes. Nous avions invité Michel Onfray ; il nous a répondu que nous pouvions continuer à supprimer les notes et l'effort, mais qu'il ne viendrait pas.

M. Jacques-Bernard Magner. - La loi l'y oblige pourtant si nous le convoquons ! Vous auriez dû le faire, et inviter M. Zemmour !

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Nous avions également envisagé d'inviter M. Cohn-Bendit. L'image de notre commission d'enquête serait devenue trop médiatique. Même s'il ne faut rien s'interdire intellectuellement, nous aurions manqué de prudence. Madame Blandin, le cérémonial du lundi matin dans la cour d'école servirait à recentrer les élèves après le week-end. Il relève plus du rituel que de la morale. Je ne suis pas pour la montée des couleurs ou le garde à vous. En revanche, le « quoi de neuf ? » est intéressant.

Mme Marie-Christine Blandin. - C'est une méthode de la pédagogie Freinet et non pas Montessori, comme vous l'avez laissé entendre dans un journal du Doubs.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Nous n'avons souhaité stigmatiser personne. L'école n'est pas responsable de tout et ne peut pas tout. M. Longuet a raison de dire qu'il n'y a pas d'autorité sans autonomie. Les codes et les rituels protègent les élèves comme les enseignants. Il suffit de songer à l'estrade, par exemple. L'apprentissage du français est une obligation fondamentale. Il faut prévoir une évaluation en CM2, car le collège ce n'est plus le primaire. Les enseignants du primaire font classe ; ceux du secondaire font cours. Je propose de renommer le serment de Socrate, serment Kennel ! La représentation nationale doit avoir son mot à dire pour forger les citoyens des décennies à venir.

M. Gérard Longuet. - On en revient à la doctrine.

Mme Marie-Annick Duchêne. - Si le serment est une excellente idée, méfions-nous du nom qu'on lui donnera. Socrate ne plaidait pour rien d'autre que la maïeutique.

M. Gérard Longuet. - Le serment de Ferry ?

M. Jacques-Bernard Magner. - Luc ou Jules ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Une commission d'enquête qui ne fait pas de propositions ne sert à rien.

M. Jacques-Bernard Magner. - C'est le titre de commission d'enquête qui est inutile. Mission d'information aurait mieux convenu.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Monsieur Abate, je ne suis pas certain qu'il n'y ait pas de problèmes dans l'éducation nationale. Cette commission d'enquête en a révélé certains, qu'on ne soupçonnait pas. J'ai découvert, par exemple, que l'enseignement de l'histoire était contesté. Pas partout, certes. Gardons cependant à l'esprit ce que disait M. Obin : ceux qui riaient en 2004 partent aujourd'hui faire le djihad. Si notre commission d'enquête nourrit le débat, nous aurons réussi. Des deux rapports sur le djihad, celui du Sénat a fait pschitt, alors qu'on continue de parler de celui de l'Assemblée. Évitons la mièvrerie et privilégions le réalisme : c'est ainsi que nous ferons exister le Sénat. Il n'y a eu que 200 incidents signalés sur les 400 (au moins) qui ont vraiment eu lieu. La ministre a mentionné 816 jeunes radicalisés recensés dans les établissements scolaires. Ce n'est pas rien.

Mme Françoise Laborde. - La définition d'un incident n'est pas la même à Dijon ou à Marseille. Dans son rapport sur le djihadisme, le Sénat a fait 101 propositions contre 10 ou 12 pour l'Assemblée. C'était plus lisible : on ne parle que de celles des députés.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Monsieur Abate, si les valeurs de la République ne se décrètent pas, elles se partagent. La commission d'enquête - notamment les discussions houleuses que nous avons eues, Mme Laborde et moi - nous a fait avancer vers un équilibre. J'espère que le rapport réveillera les consciences. Dans la plupart des établissements, les choses se passent bien. Il faut néanmoins contenir le mouvement de fond qui se lève. C'est à cela que sert le débat.

Mme Françoise Laborde, présidente. - Nous avons donné moins de place au lycée, car les élèves n'y arrivent pas sans acquis. J'ai demandé et reçu une note sur la situation de l'enseignement et de la citoyenneté dans plusieurs pays voisins (Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède), et une autre sur l'enseignement de l'éthique et du fait religieux. Chaque groupe pourra faire des propositions sur le rapport jusqu'au 1er juillet. Celui-ci sera ensuite présenté à nos collègues de la commission de la culture et de l'éducation, le 8 juillet. Une conférence de presse aura lieu dans la foulée.

M. Gérard Longuet. - Pour justifier notre commission d'enquête, nous devons partir du principe que nous avons cherché la réalité des faits, amplifiée par les uns, dissimulée par les autres. Nous avons ainsi réalisé que les actes d'incivilité traduisaient l'incompréhension par beaucoup d'élèves d'une éthique républicaine collective, et nous avons cherché des solutions. La légitimité de cette commission d'enquête a été de rétablir l'ampleur des faits en appréciant à leur juste valeur les délires et les silences. Les manifestations qui se sont exprimées sont moins assourdissantes que la déliquescence silencieuse des convictions.

M. Jacques Grosperrin. - D'autant qu'on ne la soupçonnait pas.

La réunion est levée à 10h45.