Mardi 17 novembre 2015

- Présidence de Jean-Pierre Raffarin, président -

La réunion est ouverte à 17 h 45

Iran et crise irako-syrienne - Audition de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Monsieur le ministre, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, chers collègues sénateurs, il est important de bien montrer aux Français l'importance que nous attachons à la capacité de l'État d'être rassemblé pour faire face à la tragédie. En ces jours de tristesse et de mobilisation nationale autour de nos institutions, il existe de petits moments de soleil ; la présence des députés parmi nous en est un, et je remercie le ministre pour sa disponibilité en cette période difficile.

Mme Guigou et moi-même allons introduire notre débat, puis trois questions de sénateurs seront posées, suivies de trois questions de députés. Nous laisserons ensuite le ministre répondre, avant de poursuivre s'il y a d'autres interventions.

Monsieur le ministre, nous sommes tous marqués par l'intervention du Chef de l'État, hier, devant le Parlement réuni en Congrès, notamment en ce qui concerne la politique étrangère, compte tenu d'un certain nombre d'orientations qu'il a définies.

Notre interrogation est forte sur plusieurs sujets.

Tout d'abord, en ce qui concerne la définition de l'ennemi, la clarification est de plus en plus nette. L'ennemi, c'est l'État islamique, c'est Daech. Nous hiérarchisons nos objectifs et clarifions bien cette position. Il y a là un point qui nous rassemble tous ici : quand on fait la guerre, on la fait contre un ennemi identifié et localisable.

Nous avons également entendu le Président de la République rejoindre l'idée d'une seule coalition, que la Russie puisse notamment intégrer, afin qu'il y ait, sur le terrain, une seule stratégie contre Daech, et qu'une alliance se forme avec nos partenaires sur ce sujet.

Vous nous direz par ailleurs l'évaluation que vous faites des discussions qui se tiennent à Vienne en vue d'une sortie de la crise syrienne, et vous nous préciserez comment vous ressentez l'association des sunnites aux responsabilités, ce qui constitue l'un de nos objectifs fondamentaux.

Vous nous donnerez peut-être également votre appréciation des frappes françaises réalisées en Syrie, mais c'est un sujet plus militaire que diplomatique.

Je laisse à présent la parole à Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, en lui souhaitant la bienvenue.

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale. - Merci beaucoup, monsieur le président, mes chers collègues, de nous accueillir au Sénat. Nous nous réjouissons de cette réunion.

Nous sommes tous encore sous le coup de cette terrible tragédie. Les victimes ne sont pas encore toutes identifiées. Les jours à venir vont être très douloureux. Les services publics de sécurité et de secours ont été admirables.

Hier, le Président de République a présenté des décisions lors du Congrès du Parlement, au cours d'un très beau moment d'unité nationale. Les terroristes de Daech n'attendent qu'une chose, que notre pays se divise. Il est donc très important que l'on puisse multiplier les moments d'échange et d'analyse commune pour essayer d'être plus efficaces et plus pertinents dans nos réactions.

Comme vous, j'ai plusieurs questions à poser au ministre, que je remercie pour sa disponibilité à l'égard du Parlement.

Tout d'abord, où en est-on sur le terrain face à Daech ? Daech est maintenant limité dans son expansion, a subi des revers assez sérieux en Irak. Les attentats ne sont-ils pas une façon de compenser ce relatif faux plat, de continuer à alimenter la surenchère dans l'horreur ? Que vise donc Daech ? Pourquoi notre pays est-il sa principale cible ? Sans doute est-ce en raison de ce que représente la France, mais votre analyse m'intéresserait beaucoup, monsieur le ministre.

En second lieu, à la suite des annonces du Président de République - formation d'une grande coalition, nouvelle proposition de résolution au Conseil de sécurité des Nations unies - comment voyez-vous les évolutions dans les prochains jours ? La Russie vous paraît-elle, après les réunions de Vienne et du G20, susceptible de réaliser des ouvertures dans le sens que nous souhaitons ? Qu'en est-il de l'Iran ? Quel va être le contenu de la résolution que notre pays va proposer aux Nations unies ?

En Syrie, on voit bien que l'ensemble des pays réunis maintenant autour de la table souhaite une solution politique et ne croit pas aux solutions militaires, même si des actions en ce sens sont nécessaires. Comment voyez-vous le jeu des différents acteurs ? Pensez-vous qu'un processus vers une transition soit engagé -même si nous avons bien compris qu'il existait toujours des divergences sur le sort de Bachar al-Assad ?

Enfin, s'agissant des frappes militaires, que pensez-vous que l'on puisse obtenir des Européens ? Le ministre de la défense a confirmé à l'Assemblée nationale qu'il avait demandé l'activation de l'article 42-7 du traité de Lisbonne, qui constitue une clause d'assistance mutuelle. Le traité prévoit également une clause de solidarité. Il semble que la proposition française ait reçu un accueil favorable de nos partenaires. Comment voyez-vous la suite ?

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - La parole est aux sénateurs.

M. Christian Cambon, sénateur. - Monsieur le ministre, j'aimerais évoquer les objectifs que la France s'est fixés pour lutter contre Daech - ou l'État islamique. Une précision serait du reste utile à ce sujet, car un certain nombre d'experts préconisent d'utiliser l'expression d' « État islamique », alors que vous-même avez expliqué plusieurs fois qu'il ne fallait pas l'employer. J'aimerais avoir votre sentiment sur ce point.

Je veux revenir sur ce qui se passe actuellement - et que nous approuvons : je veux parler des bombardements ciblés sur les installations militaires. Tout le monde sait que ces bombardements ne mettront pas fin à la domination de Daech, tous les experts le disent.

En revanche, on en sait un tout petit peu plus sur la manière dont Daech se finance, et notamment sur cette fameuse « contrebande du pétrole » qui prend une forme bien identifiable, puisqu'on parle de mille à deux mille camions sur des routes conduisant vers le sud de la Turquie. Ce sont des objectifs bien identifiables. Les forces aériennes françaises ont montré que de petits pickups, au Mali, pouvaient être détruits dans l'instant. Une bonne stratégie ne consisterait-elle pas à couper ces routes pour empêcher toute contrebande ?

Vous revenez de Turquie. Le comportement de M. Erdoðan ne laisse pas de poser des questions. Avez-vous obtenu des engagements de la part du premier ministre turc pour faire en sorte qu'il lutte contre cette contrebande ? S'il veut s'associer au mouvement de lutte contre le terrorisme, voilà un moyen efficace : faire en sorte que des oligarques turcs cessent de gagner de l'argent en achetant du pétrole de contrebande ! Ne pensez-vous pas que, parmi les objectifs que les armées françaises peuvent se fixer, il peut y avoir aussi, de manière plus prégnante, la fin de ce trafic de camions, qui rapporte chaque jour des centaines de millions de dollars à l'État islamique - ou à Daech, suivant l'appellation que l'on doit employer ?

M. Cédric Perrin, sénateur. - Monsieur le ministre, peut-on envisager de résoudre la question de Daech sans un dialogue stratégique avec la Turquie et l'Iran ?

En second lieu, jusqu'à quel point peut-on soutenir l'Arabie saoudite sans cautionner l'évolution de son prosélytisme radical ?

Quelle est votre vision de l'alternative politique pour les sunnites irakiens une fois Daech éradiqué, ainsi que je l'espère ?

M. Jean-Marie Bockel, sénateur. - Beaucoup de choses ont été dites à propos de la Syrie. Y a-t-il aujourd'hui un changement de pied s'agissant de la priorité qui doit être donnée à la lutte contre Daech ?

Quelles conséquences cela aura-il dans cette période de transition ? Tout le monde a le départ du président syrien à l'esprit, mais j'ai le sentiment que la question est aujourd'hui de savoir comment gérer la situation d'ici là. Qu'est-ce qui est acceptable, qu'est-ce qui ne l'est pas ?

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale. - La parole est aux députés.

M. Jean-Pierre Dufau, député. - Monsieur le ministre, depuis quelques jours, les événements se sont télescopés, avec des réunions programmées à Vienne, le G20, auquel vous avez participé et, malheureusement, les attentats terroristes, qu'il s'agisse de l'avion civil russe, en Égypte, ou de ceux de Beyrouth et de Paris. C'est pourquoi la diplomatie connaît une phase active et accélérée.

Pouvez-vous nous préciser en quoi consisterait la saisine du Conseil de sécurité des Nations unies ? Qui en est à l'initiative ? Comment faire pour que cela passe la rampe du Conseil de sécurité ?

La coalition internationale qui a été évoquée serait une véritable réponse coordonnée aux attentats. Quel en serait le périmètre ?

M. Pierre Lequiller, député. - Monsieur le ministre, quelle va être la réponse de l'Europe à la fois sur le plan diplomatique, mais aussi sur le plan du financement des actions militaires qui vont être nécessaires ?

A-t-on déjà une idée, dans cette affaire, de la solidarité européenne, qui ne s'est pas manifestée jusqu'ici ?

M. Jacques Myard, député. - Monsieur le ministre, je ne vais pas citer Edgar Faure et le monde qui change, mais avez-vous véritablement changé d'avis concernant les sanctions à l'égard de la Russie ? Je sais que vous étiez extrêmement modéré en la matière - je vous en donne acte - et que nous avons suivi les ultras Européens et les Américains.

S'agissant de la Syrie, nous sommes dans l'attente : avez-vous fondamentalement changé d'avis sur le fait de savoir qui est l'ennemi ?

Enfin, la Turquie, dont je reviens, joue un drôle de jeu, un jeu d'apprenti sorcier, tout comme l'Arabie saoudite. Vous avez donné une conférence à Paris à laquelle je n'étais pas présent, mais j'ai compris que vous tentiez d'amener l'Arabie saoudite à un changement. Comment la nouvelle ligne française peut-elle être acceptée par notre client majeur qu'est l'Arabie saoudite ?

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Monsieur le ministre, vous avez la parole.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. - Merci à tous d'avoir pris sur votre temps pour que nous puissions aborder ces questions très importantes. Je trouve excellent que nous puissions être rassemblés pour aborder des sujets aussi importants. Beaucoup d'autres questions auraient pu intervenir, mais vous avez rassemblé les principales. Ce sont des sujets sur lesquels le Président de la République et moi-même avons travaillé tous ces jours-ci.

Après ces attentats terribles de vendredi, nous avons jugé bon que j'aille à Vienne, le samedi, pour la réunion sur la Syrie, étant donné le rapport entre les deux.

Le Président de la République étant obligé de rester à Paris, il m'a demandé - ce que j'ai fait avec beaucoup d'intérêt, de plaisir et d'honneur - de le remplacer au G20. Je vous en parlerai : cela donne l'occasion de voir beaucoup de gens. Hier, le Président de la République s'est adressé au Congrès du Parlement, à Versailles.

La semaine prochaine, nous irons d'abord à Washington, puis à Moscou. Entre-temps, pour la COP 21, je m'en vais ce week-end en Inde, en Afrique du Sud et au Brésil, afin de visiter quelques pays dont il m'a semblé qu'ils étaient plus difficiles à convaincre que d'autres.

Au milieu de tout cela, je trouve tout à fait normal et légitime de vous rendre compte.

Je prendrai les questions dans le désordre, beaucoup se recoupant...

Sur le plan militaire, il est évident que l'adversaire, l'ennemi, c'est Daech, mais aussi Jabhat al-Nosra, qui sont des organisations considérées comme terroristes par les Nations unies elles-mêmes.

Dès le début, nous avons dit - et cela rejoint la question de la coalition - que toutes les forces devaient être concentrées contre cet ennemi.

Lorsque le président Poutine a avancé sa proposition de grande coalition, je me trouvais aux Nations unies, et j'ai répondu au nom de la France que c'était une bonne idée dès lors que trois conditions étaient remplies, en premier lieu que les Russes frappent Daech, et non les éléments modérés, en second lieu qu'il existe une transition politique - j'y reviendrai - et enfin qu'on se préoccupe des questions humanitaires - les « barrels bombs » - et de la libération de plusieurs zones.

Il peut y avoir bien des évolutions et des adaptations. C'est tout à fait normal, et le contraire serait absurde, mais constatons que, si les choses se poursuivent comme aujourd'hui, c'est le président russe qui revient sur une de ses conditions, 80 % des frappes russes étant jusqu'à présent destinées à l'opposition modérée. Ce n'est pas tout à fait un hasard si des frappes massives sont intervenues aujourd'hui sur Raqqah.

Il y a à cela à mon sens deux raisons. En premier lieu, les Russes se sont rendus à l'évidence : l'explosion de l'avion égyptien étant bien d'origine terroriste, ils ont voulu répliquer. En second lieu, la France elle-même a montré le chemin en bombardant durement Raqqah.

L'un des préalables que nous avons mis à cette coalition internationale, qui doit être la plus large possible, est désormais rempli par les Russes - surtout s'ils continuent.

Pour ce qui est du politique, je serai amené, en répondant à vos questions à propos de Vienne, à être plus nuancé. Le Président de la République et moi-même avons la même attitude. Il n'existe pas, comme je le lis parfois dans les journaux, une ligne Fabius, une ligne Hollande, une ligne Valls. Nous délibérons de tout cela ensemble et prenons la même position. Tel ou tel peut avoir intérêt à laisser entendre certaines choses, mais la réalité, c'est qu'il n'y a qu'une seule politique.

Nous continuons à considérer que nous ne parviendrons pas à une unité syrienne telle que celle définie dans le texte de Vienne, où chacun aura le droit de cité, une Syrie libre si, au bout du processus, Bachar al-Assad continue à présider aux destinées de son pays. Nous continuons d'en être convaincus, non pas seulement pour des raisons morales, mais pour des raisons d'efficacité, du fait de l'Histoire.

Ce n'est toutefois pas la même chose de considérer que ceci doit intervenir au début du processus ou à tel ou tel moment de celui-ci. C'est de la diplomatie, c'est normal.

Pour ce qui est de l'aspect politique, il existe une différence d'approche entre la France, la Russie et l'Iran. L'aspect humanitaire reste important car, tous les jours, la population reçoit des bombes, et il faut trouver des solutions.

Vous m'avez invité à vous parler de Vienne. Il s'agit de la seconde réunion que nous tenions. L'intérêt réside dans le fait que nous sommes une quinzaine autour de la table - membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, Iran, Arabie saoudite. C'est là un fait nouveau et positif.

La première réunion a été difficile Le texte de départ, assez détaillé, abordait les questions de la réunion de l'opposition, du cessez-le-feu, du gouvernement d'union, du changement de Constitution, de l'élection. La nouvelle réunion convoquée samedi dernier, a été assez dure elle aussi, mais nous sommes davantage entrés dans les détails. Je pense que le texte a été publié. Celui-ci fixe tout un processus, et c'est nouveau.

Il précise ce que l'on va essayer de faire pour réunir l'opposition, bâtir un gouvernement de transition et une nouvelle constitution. Au bout du compte, des élections auront lieu. La question était décisive, les Russes et les Iraniens, paradoxalement, estimant que c'est aux Syriens de décider tout de suite s'ils souhaitent ou non que Bachar al-Assad demeure président, alors qu'il a été déjà réélu il y a un an et demi. Nous avons fait valoir que, le moment venu, il faudrait que les Syriens votent, mais qu'il y avait auparavant toute une série de procédures à mettre en oeuvre.

À quoi sommes-nous arrivés ? Tout d'abord, la balle va passer entre les mains du Conseil de sécurité des Nations unies, et en particulier des membres permanents, dont la France. M. de Mistura, qui est un diplomate chevronné, a essayé de réunir tout le monde. À chaque étape, c'est le Conseil de sécurité qui va déterminer si l'on peut avancer ou non. C'est la première innovation car, pour le moment, le Conseil de sécurité n'était pas vraiment impliqué.

Nous estimons bien sûr qu'il faut que les parties interviennent, mais elles ne trouveront pas seules la solution.

Chaque étape du processus présente des difficultés immenses ; cependant, des dates ont été arrêtées.

Tout d'abord, pour aller vers un cessez-le-feu, il faut que l'opposition se rassemble. Je pense que cela se fera à Riyad. Ce sont les Saoudiens qui, à différents égards, détiennent les éléments pour essayer de réunir l'opposition.

Quelle opposition ? Tout le monde s'accorde pour dire qu'il ne s'agit pas de l'opposition terroriste. Qui est terroriste, et qui ne l'est pas ? Certains sont incontestablement terroristes, ceux qualifiés comme tels par les Nations unies - essentiellement Daech et les mouvements relevant d'Al-Qaïda.

Pour le reste, toute une série de questions demeure. Dans nos conversations, nous définissons trois catégories, les verts, les rouges et les jaunes. Les verts, ce sont ceux qui ne posent pas de problème, mais qui ne sont généralement pas les plus armés. Les rouges sont les deux mouvements que je viens de citer, les jaunes étant toutes les catégories intermédiaires. Il faut se mettre d'accord sur les catégories autorisées et celles qui ne le sont pas.

Il y a là toute une discussion : qui va opérer le choix ? Est-ce que ce sont les Nations unies ou le Conseil de sécurité ? On achoppe là sur la même difficulté, chacun défendant les siens. Finalement, cette question n'est pas tranchée.

Voilà une première difficulté. Il faut que l'opposition se rassemble et qu'elle soit non terroriste.

En second lieu, il va ensuite falloir parvenir à créer un gouvernement. On fait là référence à Genève I, qui comporte une grande ambiguïté. Genève I précise qu'il faudra un « gouvernement de transition doté de tous les pouvoirs exécutifs ». Ce n'est donc plus Bachar al-Assad qui le détiendra. Les Russes, ayant fait préciser que le choix devrait être réalisé « par consentement mutuel », font valoir ce point à chaque fois qu'ils ne sont pas d'accord.

Si on passe les deux premières étapes, la troisième est le cessez-le-feu, non avec Daech et Jabhat al-Nosra, mais entre le gouvernement syrien - du moins son armée - et l'opposition.

La phase suivante est constituée par la mise en place d'un gouvernement de transition. Les Russes, les Américains et la France ont échangé des noms. J'ai dit que nous l'avons déjà fait dans le passé, mais dès que les noms sont connus, la famille est assassinée ! Il faut donc le faire dans le secret le plus total.

Nous nous sommes mis d'accord sur la rédaction d'une Constitution, même avec les Iraniens. Il existe une définition de ce que nous voulons pour la Syrie. Une fois que ce sera fait, l'élection présidentielle aura lieu dans un délai de 18 à 24 mois, en associant la diaspora.

Je vous renvoie au texte de Vienne, qui a été étudié à la virgule près, et qui est très important. C'est en effet celui sur lequel toutes les parties prenantes se sont mises d'accord. Il s'agit d' « un engagement à l'unité de la Syrie, son indépendance, son intégrité territoriale et son caractère non religieux ».

Par ailleurs, l'engagement est pris « que les institutions de l'État restent intactes ». Il est très important de faire la distinction entre Bachar al-Assad et les institutions pour ne pas revivre l'affaire irakienne si tout s'écroule, « sans considérations de l'ethnicité ou de l'appartenance religieuse ». Tous les membres présents ont accepté ces principes fondamentaux. Ce n'est pas une petite affaire. On a naturellement bataillé pour y parvenir.

Voilà ce que nous avons obtenu à Vienne. Toute la question est ensuite de savoir ce que cela va donner. La diplomatie doit bien entendu jouer, mais à partir d'un rapport de forces. Il n'est pas de diplomatie sans rapports de force sur le terrain.

Concernant les États-Unis, bien évidemment, les attentats de Paris, ce qui s'est passé avec l'avion égyptien et au Liban, ainsi que les menaces qui existent sur le territoire des États-Unis font que les Américains essayent de trouver une solution. Ils savent qu'ils doivent s'engager. Quant aux Russes, au départ, le président Poutine est intervenu pour protéger son protégé, garder sa base de Tartous et conserver sa place dans le grand jeu mondial. Au fur à mesure, il s'est aperçu des bénéfices que cela pouvait lui apporter, beaucoup venant maintenant le solliciter, mais aussi des énormes problèmes que cela pose, et notamment du coût humain et financier de cette opération. En outre, Vladimir Poutine pense à ses propres intérêts au Moyen-Orient : s'il a tous les sunnites contre lui, cela pose un très gros problème. Les Russes sont donc à la fois satisfaits d'être un élément déterminant dans ce jeu, mais veulent cependant s'en sortir.

Après le discours du président Hollande, hier, Vladimir Poutine a saisi la balle au vol. Il vient d'envoyer un message à sa marine en estimant, le Charles-de-Gaulle appareillant, que l'on peut considérer les Français comme alliés. Il a été ravi que le président Hollande lui dise qu'il allait se rendre à Moscou la semaine prochaine, mais quand on évoque des sujets sur lesquels nous sommes en désaccord, comme le fait que Bachar el-Assad doive partir à terme, il nous fait savoir que, si les Russes ne sont pas mariés avec le président syrien, leur règle est de ne pas toucher au régime, même si cela peut arriver si les choses évoluent.

Beaucoup d'interprétations sont données de la rencontre qui a eu lieu il y a quelques semaines entre Vladimir Poutine et Bachar el-Assad, en Russie. Il semble que Vladimir Poutine ait dit à Bachar el-Assad qu'il fallait qu'il commence à considérer un certain nombre de choses.

Quant aux Iraniens, autant on peut avoir des moyens de pression sur les Russes, et comprendre les inconvénients qu'il y a pour eux à rester là où ils sont, autant c'est beaucoup plus difficile pour les Iraniens, tout d'abord parce que nous n'avons pas voulu lier l'affaire nucléaire à leur présence dans la région - et je pense que nous avons eu raison. Sauf si l'on découvrait un certain nombre de choses, l'accord sur le nucléaire est maintenant passé.

L'idée que les Iraniens, même s'ils ont des pertes humaines par centaines vont s'en aller d'eux-mêmes de Syrie ou être d'accord pour que Bachar el-Assad s'en aille - sauf à ce que son remplaçant soit son frère - est un raccourci bien rapide.

Les Russes nous assurent qu'ils vont en faire leur affaire, mais c'est un peu plus compliqué. Vous m'avez demandé comment les choses allaient avancer. Je pense que cela peut avancer avec les Russes si nous manoeuvrons bien ; avec les Iraniens, c'est une autre paire de manches !

La France a une prise sur l'opposition syrienne modérée, notre pays l'ayant toujours soutenue par ailleurs. Les choses sont pour elle très difficiles, toute leur famille ayant été décimée par Bachar el-Assad. Au début, ils voulaient passer Bachar el-Assad par les armes avant même toute discussion. Nous n'en sommes plus là, mais sans une perspective de changement, nous n'arriverons à entraîner ni les dirigeants ni les Syriens qui vivent hors de Syrie. Il faut bien admettre que les habitants d'Alep, qui sont depuis longtemps bombardés par Bachar el-Assad, à qui l'on demande de discuter à présent avec lui sans savoir ce qui va arriver ensuite, peuvent manquer d'enthousiasme.

Le risque est qu'ils refusent le cessez-le-feu ou qu'ils se tournent vers Daech, dont les membres sont sunnites comme eux. C'est le problème que nous avons, à moindre échelle, en Irak.

Les pays extérieurs - Qatar, Arabie saoudite, Émirats, Oman - discutent avec les Russes, et utilisent les arguments économiques qu'ils peuvent employer, qui sont importants dans cette affaire. Il faut avoir à l'esprit que, même s'ils sont hostiles à Bachar el-Assad, leur grand ennemi demeure l'Iran. Ils se détermineront donc par rapport à la question iranienne.

Quant à la Turquie, j'ai compris que vous n'aviez pas tous une opinion totalement positive des Turcs - en bon langage diplomatique. J'ai rencontré hier M. Erdoðan, qui a été réélu triomphalement. Que dit-il de la Syrie et des affaires européennes ? Il demande une « no-fly zone » ou une « no-Daech zone » au nord de la Syrie et au Sud de la Turquie. Il estime - son raisonnement est assez puissant - que si l'on ne veut pas que les Syriens pénètrent en Turquie, puis en Europe, il faut une zone où ils ne risquent pas d'être frappés.

Le problème vient du fait que les Etats-Unis sont sceptiques à cette idée. Il faudrait en effet au moins 20 000 personnes au sol pour tenir tout cela. C'est très compliqué du point de vue des avions et on n'a pas de certitude. Or, on ne peut pas le faire sans les Américains.

On voit du même coup le problème que cela pose par rapport à la question de l'immigration, déjà très difficile, peut-être objectivement moins en France que dans les Balkans.

Voilà où en sont les Turcs. Ils étudient ce qui se passe en Syrie ; ils sont très opposés à Bachar el-Assad, mais tiennent également compte des conséquences que cela peut avoir sur les Kurdes - PKK, PYD, etc.

Quand on met tout cela bout à bout, je pense que la France a raison d'être dans le jeu, d'essayer de rapprocher les points de vue. Avec Vienne, nous avons maintenant quelque chose sur la table qui n'existait pas auparavant, mais on ne peut assurer que l'on va pouvoir tenir les dates. Il faut toutefois pousser en ce sens.

Bizarrement, l'accord de Vienne est passé complètement inaperçu, mais il est vrai que c'était au lendemain de la tragédie française. C'est pourtant quelque chose d'important. Nous devons nous retrouver dans un mois environ ; on verra comment les choses vont avancer sous l'impulsion des Nations unies.

J'aborde à présent les questions de Mme la présidente Guigou - Mossoul, Raqqah, etc. Que se passe-t-il sur le terrain ?

Nous avons montré aux Américains, il y a déjà plusieurs semaines de cela, des clichés photographiques où 2 000 camions, en file indienne, attendaient d'être ravitaillés. Je vais fâcher M. Myard, mais une partie de ces cargaisons vont chez Bachar al-Assad...

Nous-mêmes avons étudié cette question scandaleuse. Ces gens apportent des ressources à Daech : pourquoi ne leur tire-t-on pas dessus ?

Il y avait un risque que des attaques contre ces camions soient constitutives d'un crime de guerre, dès lors que les conducteurs ne sont pas assimilés à Daech et ne sont pas des militaires. Qu'ont fait les Américains à ce sujet ? Ils ont distribué des prospectus au-dessus des camions. Une partie des véhicules et des chauffeurs est partie. Ils ont ensuite bombardé et touché de nombreux camions.

Il est évident, le droit demeurant le droit, qu'il faut quand même trouver une solution. Cela n'a pas de sens ! C'est un des éléments d'approvisionnement principaux. Pour couper cette filière - et cela explique la stratégie que nous avons utilisée - il convient de couper la route principale entre Mossoul et Raqqah.

Nous agissons à partir de nos propres renseignements, mais nous n'avons pas les mêmes moyens que les Américains. Ils se sont engagés à le faire. Nous partageons l'hypothèse formulée par Mme Guigou. Daech a subi des revers, comme à Sinjar ou ailleurs. Selon une stratégie classique, ils veulent exporter la guerre à l'extérieur, en Europe bien sûr, et s'ils le peuvent, aux États-Unis ou dans d'autres pays.

Hier, lors du G20, nous discutions avec le président de Malaisie et le Premier ministre de Singapour. Il existe maintenant au sein de Daech une légion « Asie du Sud-Est », spécialisée, à partir de recrutements locaux, pour atteindre les pays de la région. Tout le monde a maintenant peur.

Je ne reprendrai pas ce qui a été dit, et qui est tout à fait juste, mais le format des attentats de Paris augmente cette peur. Chacun est touché. Lisez la revendication de Daech sur ce qui s'est passé. J'ai attiré l'attention de Mme Merkel sur ce point. Ils expliquent avoir visé le stade parce qu'il n'y a rien de plus populaire que le football, et que la France et l'Allemagne sont des pays qui ont pris position contre eux. Ils ont attaqué le Bataclan et les restaurants parce qu'il s'agissait de centres de la perversité, etc.

Je n'apprécie pas le débat - et je souhaite que l'on partage la même impression - qui porte sur le fait de savoir si nous avons été agressés parce que nous sommes intervenus en Syrie. Ils cherchent à nous atteindre pour ce que nous sommes, que personne ne se fasse d'illusions ! Tout ce qui n'est pas sous leur domination ou leur idéologie doit être détruit, qu'il s'agisse de musulmans qui ne répondent pas à leurs injonctions, ou des catholiques. C'est une affaire de légitime défense.

Les crimes de janvier ont été commis alors qu'on n'était pas encore intervenu en Syrie. Ne nous égarons donc pas ! Lorsqu'on est attaqué et menacé, il faut se défendre, sans quoi on n'est pas digne de représenter son pays.

Une question a été posée à propos de la terminologie. On en parlait ce matin lors de la visite du Premier ministre du Qatar. Il ne faut pas fuir les mots. Camus disait : « Il faut désigner les choses telles qu'elles sont », mais il faut aussi penser aux musulmans. Je ne connais pas la traduction des termes « État islamique » en arabe, mais le Premier ministre du Qatar nous a expliqué refuser les mots d' « État islamique », d'abord parce qu'il ne s'agit pas d'un État, ensuite parce que cela s'apparente, sur le plan du vocabulaire, au mot de « musulman ». Les Qataris reconnaissent que ce sont certes des musulmans, mais qui abusent de la religion. Nous avons choisi la dénomination de Daech parce que tout le monde la comprend et qu'elle constitue en plus - bien que je ne parle pas arabe - une désignation péjorative.

On ne va toutefois pas s'enfermer dans ce débat ; les deux termes peuvent être utilisés. Chacun fera comme il l'entend.

Pour ce qui est de la résolution au Conseil de sécurité, un certain nombre ont déjà été déposées. Ce n'est pas ce qui va bouleverser les choses. J'ai toutefois bien compris le sens de votre question. C'est nous qui tenons la plume, et nous allons le faire de façon que tout le monde puisque voter cette résolution anti-Daech, qui sera très claire et qui doit afficher un rassemblement dans un esprit de coalition.

Il fallait le faire, mais ce n'est pas ce qui va bouleverser les choses...

M. Robert del Picchia, sénateur. - Les Chinois l'accepteront-ils ?

M. Laurent Fabius, ministre. - Oui.

Quid de l'article 42-7 du traité de Lisbonne, qui n'a encore jamais été utilisé ? Jean-Yves Le Drian, après que le président Hollande en ait fait l'annonce, l'a expliqué à ses collègues ministres de la défense, qui ont trouvé l'idée très bonne. L'invocation de cette clause relève de deux ordres : tout d'abord, c'est la première fois que cet article est utilisé. La France ayant bel et bien été attaquée, le cadre s'applique bien, beaucoup plus que l'article 5 de l'OTAN, qui vise d'autres circonstances et qui, si on l'appliquait, risquerait d'être en contradiction avec la prétention de rassembler tout le monde. Politiquement et symboliquement, il s'agit donc d'une affaire importante.

Vous avez vu ce qui s'est passé à l'issue du discours du Président de la République. On verra ce que cela donne, mais la Commission européenne, dans ses déclarations, a laissé entendre, la France étant à peu près la seule à dépenser de l'argent pour la défense, et étant attaquée, qu'il faudrait en tenir compte.

Ce n'est pas non plus une raison pour faire n'importe quoi du point de vue économique...

Les ministres de la défense ont annoncé ce matin qu'ils étaient disposés à apporter une aide à la France. Que va-t-on leur demander ? On est en train d'y travailler avec le ministre de la défense. Cela peut être une participation aux frappes en Syrie et en Irak - certains peuvent l'accepter, d'autres non - des contributions en effectifs et en moyens à la MINUSMA, car ce qu'on n'aura pas à faire d'un côté, on pourra le faire de l'autre, des contributions aux missions européennes d'entraînement et de formation, que ce soit EUTM Mali ou l'EUMAM RCA, même si nous ne sommes pas seuls, ou encore la mise à disposition de nos forces, au Sahel essentiellement, des moyens de soutien dont nous manquons : avions ravitailleurs, avions de transport, hélicoptères lourds notamment.

La défense est en train d'en faire le recensement, et nous allons envoyer les lettres.

M. Robert del Picchia, sénateur. - Qui pourrait nous aider militairement parlant ? La Belgique ?

M. Laurent Fabius, ministre. - Certains ont quand même des éléments, même si, c'est parfois difficile. Les Anglais s'appuient sur le drame français. On en a parlé hier avec David Cameron, Ils essaient de changer de position. Il faut toutefois qu'ils présentent l'affaire au Parlement. Il semble que les attentats français les aient vraiment touchés très profondément. Les Anglais sont également menacés. M. Perrin m'a interrogé sur l'Arabie saoudite. Nous parlons bien sûr beaucoup avec les Saoudiens ; j'ai rencontré encore hier le roi et le ministre de la défense. Mon interrogation porte plus sur l'Iran. Peut-on mettre d'accord l'Iran, l'Arabie saoudite, et quelques autres ? Il faut le souhaiter, mais c'est très compliqué. Ce conflit remonte à bien longtemps, et les solutions ne peuvent être les mêmes que celles que la France a trouvées en adoptant la laïcité, qui est ici, sans mauvais jeu de mots, une bénédiction.

La France a connu depuis le Moyen âge des guerres de religion épouvantables, qui ont duré jusqu'au XVIIIe siècle et qui n'ont été réglées que lorsque nous avons pu faire le départ entre l'ordre du religieux et l'ordre du politique ou du civil, avec la création de l'État par les philosophes, Hobbes, etc., et, bien plus tard, avec la séparation de l'Église et de l'État. Ce concept, dans les pays dont nous parlons, est inconcevable. Il existe une confusion entre le religieux et le politique depuis des siècles, qui est en train d'être réactivé.

Le rôle de la France, je le répète ici, indépendante, est de parler avec tout le monde et d'essayer, tout en défendant nos propres intérêts, de trouver des solutions de paix. Nous allons continuer en ce sens, tout en sachant que c'est très difficile.

M. Dufau m'a demandé quel doit être le périmètre de la coalition internationale. Le plus vaste possible ! De ce point de vue, il n'y a pas de contradiction entre ce que nous avons dit il y a quelques semaines, ce qu'ont dit les Russes et ce que veulent les Américains.

Jusqu'à présent, la coalition consistait seulement à se prévenir mutuellement lorsqu'on envoyait des avions dans les airs, afin qu'ils ne se considèrent pas comme ennemis les uns les autres. Si on échange des renseignements, si on peut avoir des capacités d'attaques communes, c'est autre chose.

L'un des participants au G20 disait une chose simple, que doivent penser beaucoup de nos concitoyens : Daech est certes constitué de monstres, mais ne représente que 30 000 ou 40 000 personnes. Si l'ensemble des nations du monde coalisées ne sont pas capables de les anéantir, il y a quelque chose qui ne va pas ! Ce n'est évidemment jamais si simple, mais il faut de temps en temps revenir à des considérations assez basiques.

Monsieur Myard, la sanction à l'égard de la Russie est un autre débat. Il s'agit de la question ukrainienne. On a déjà traité le sujet. J'entends des critiques sur notre politique étrangère, mais quel pays arrive à faire en sorte que les uns discutent avec les autres ? C'est bien la France ! Dans le format Normandie, nous avons deux problèmes ; celui du cessez-le-feu avance quelque peu ; quant au problème politique pour l'application des accords de Minsk, les Russes affirment qu'ils ne bougeront pas tant que nous n'aurons pas réglé la question constitutionnelle, et les Ukrainiens, qui sont de plus en plus anti-Russes, alors que M. Porochenko a besoin d'une majorité au Parlement, ne veulent pas se plier à ce que demandent les Russes.

Dès lors qu'on ira dans le sens du processus de Minsk - auquel on ne parviendra pas avant la fin de l'année - on pourra évidemment alléger les sanctions, mais encore faut-il que ledit processus soit respecté.

M. Yves Pozzo di Borgo, sénateur. - Qu'en est-il de la présence au sol ? Qui va y aller ? Les Kurdes, les Iraniens, les Turcs, les Américains ?

M. François Rochebloine, député - Hier, lors du discours du Président de la République devant le Congrès du Parlement, nous avons relevé une évolution manifeste de la position de la France concernant la situation en Syrie.

Vous étiez précédemment en contact avec l'opposition syrienne et l'armée syrienne libre, et vous ne vouliez pas entendre parler de Bachar el-Assad. Vous nous dites aujourd'hui qu'il faut parler avec tout le monde. Je le pense, mais pourquoi écarter Bachar el-Assad des discussions ? Pourquoi ne pas parler avec un adversaire ?

En second lieu, le nombre de réfugiés est aujourd'hui important. Ils éprouvent toutes les difficultés à rejoindre notre pays. Nous sommes prêts à les accueillir, mais il est pratiquement impossible d'obtenir des visas : il faut aller soit à Ankara, soit à Beyrouth. Ne peut-on trouver une solution pour que ceux qui le souhaitent puissent obtenir un visa en Syrie ?

M. Laurent Fabius, ministre. - Nous avons tout un dispositif en matière de visas. Je ne puis vous donner les chiffres, que je n'ai pas revus récemment, mais il existe un dispositif pour accueillir un nombre important de réfugiés syriens. Certes, leur nombre est très faible par rapport au nombre total de réfugiés. Vous avez eu l'occasion d'en accueillir certains ; je l'ai fait aussi. Dès lors qu'ils ont une attache avec la France...

M. François Rochebloine, député. - Trois mois pour obtenir un visa !

M. Laurent Fabius, ministre. - Il s'agit de pays en guerre. Il y a en outre, vous le comprendrez - et je pense que personne ne le contestera - quelques vérifications à effectuer. Chacun comprend de quoi je veux parler : il ne s'agit pas de faire venir des Syriens qui auraient pour objectif de s'en prendre à la France. Les instructions politiques sont d'être ouvert, sans être naïf.

Si vous avez des cas particuliers, vous pouvez me les signaler. Je l'ai dit également à nos consulats et à nos ambassades.

Je n'en ai pas parlé, mais nous avons évidemment pris les dispositions pour renforcer notre personnel et les protections extérieures, et je veux rendre hommage aux personnels du Quai. Dans les attentats, ce sont eux qui ont les contacts avec les familles. Vous imaginez à quel point c'est difficile. C'est un travail très pénible et les fonctionnaires le font de manière formidable, avec tact et efficacité. Je veux leur rendre ici hommage.

S'agissant de la question de la présence au sol, nous n'y sommes vraiment pas favorables pour ce qui nous concerne. Je sais qu'un grand homme disait qu'on parle toujours des leçons de l'Histoire, mais que l'Histoire n'apporte jamais de leçons. Peut-être, mais quand même, les leçons récentes de l'Histoire rappellent qu'une présence au sol se transforme très vite en armée d'occupation et, du même coup, par un rejet de la population. On aboutit donc exactement à l'inverse du but poursuivi. Vous avez tous des exemples à l'esprit.

Il faut toutefois des personnes au sol. Qui sont-ils ? Soit des Syriens, soit des Arabes proches. Il existe - et ce n'est pas négligeable - une armée syrienne libre. Certains groupes armés, ou qui peuvent l'être, ne sont pas des groupes terroristes.

On peut aussi compter sur les Kurdes, qui sont des combattants extrêmement courageux. On trouve aussi d'autres populations, qui sont voisines, mais pas de troupes au sol des pays de l'ouest. Le Président de la République et moi-même considérons que des troupes au sol constitueraient une grave erreur politique.

Enfin, vous évoquez le fait de parler avec tout le monde. Je ne voudrais pas qu'il y ait de confusion dans votre esprit, même si je crains de vous décevoir. Nous n'avons pas changé d'avis sur le fait, au bout du compte, qu'il n'existe pas de Syrie, au sens de Vienne, avec Bachar el-Assad comme perspective. Il est le principal responsable de la mort d'une grande partie de son peuple ! Mettez-vous un instant à la place des Syriens dont la famille a été victime de Bachar el-Assad à qui on va expliquer que c'est lui qui va diriger le pays pour la décennie à venir : c'est inacceptable ! Par souci d'efficacité, il faut un gouvernement d'union. Avec qui le composer ? Je vous le répète depuis longtemps, au point de vous lasser : il faut faire appel à des éléments du régime et de l'opposition dite modérée.

Les éléments du régime ne sont pas nécessairement des anges, mais si nous ne voulons pas assister à un écoulement des institutions et arriver à la situation irakienne, il faudra bien s'entourer. Il faudra également adjoindre des éléments de l'opposition.

Dans la discussion, lorsqu'il s'agira de composer le gouvernement, il y aura bien évidemment des représentants de Bachar el-Assad. Une chose est de discuter, une autre est de dire à quelqu'un qu'il sera, de toute éternité, le dirigeant de son pays.

J'ai entendu un député échanger avec Bachar el-Assad. Vous avez lu la déclaration de ce dernier qui, au-delà de quelques zakouski, dit en gros que la France n'a qu'à s'en prendre à elle-même concernant les actes terroristes. Un député français ne peut l'accepter ! Je ne peux partager cette conception.

Ne confondons pas tout ! Les parlementaires sont libres. La discussion a lieu avec les différentes parties prenantes, mais il faut arriver à la paix en Syrie, à la liberté et à un régime qui permette à chacun de vivre et de coexister. Nous ne croyons pas un instant que l'on puisse y arriver en disant, comme l'Iran, que c'est à Bachar el-Assad de présider aux destinées de son pays. L'opinion fait l'amalgame, et c'est notre rôle, aux uns et aux autres, me semble-t-il, dans une matière aussi compliquée, de dire où nous voulons aller.

Le Président de la République l'a dit avec beaucoup de force hier : il ne faut pas cacher les difficultés, qui sont grandes, ni le fait que les risques continuent à exister. Le Premier ministre insiste souvent sur ce point, d'où les décisions qui sont proposées. Il ne faut pas non plus cacher que les autres pays courent également des risques, mais il convient de tracer la piste.

Il faut accepter de s'adapter, et des modifications peuvent survenir. M. Poutine, jusqu'à hier, frappait à 80 % l'opposition modérée, et envoie aujourd'hui ses bombardiers sur Raqqah. C'est très bien ! Cela prouve que la France n'a pas eu tort d'y envoyer ses propres avions, ni de dire qu'elle était prête à se rapprocher de tous ceux qui désirent travailler dans un sens positif.

Merci à tous. (Applaudissements).

Loi de finances pour 2016 - Programme 152 - Gendarmerie nationale - Mission « Sécurités » - Examen du rapport pour avis

La commission examine le rapport pour avis de MM. Alain Gournac et Michel Boutant sur le programme 152 - Gendarmerie nationale - de la mission « Sécurités » du projet de loi de finances pour 2016.

M. Alain Gournac, rapporteur pour avis. - Monsieur le Président, mes chers collègues, en 2016, la gendarmerie nationale sera dotée d'environ 8,3 milliards d'euros en autorisations d'engagement, en augmentation de + 2,4 % par rapport à 2015. Les crédits de paiement s'élèveront quant à eux à 8,1 milliards d'euros, en hausse de + 0,8 %.

Les crédits de titre 2 pour rémunérations et charges sociales, qui représentent comme en 2015 environ 85 % des crédits du programme, se montent en 2016 à près de 6,9 milliards d'euros, soit une hausse de + 0,7 % par rapport à 2016.

Au sein du « hors titre II », les dépenses de fonctionnement s'établiront en 2016 à 1,1 milliard d'euros en crédits de paiement, en baisse de 0,16 % par rapport à 2015.

Par ailleurs, les dépenses d'investissement s'élèveront à 103 millions d'euros, soit + 18,5 millions d'euros par rapport à 2015.

Enfin, les députés ont adopté un amendement du Gouvernement traduisant le plan de lutte contre l'immigration clandestine et qui prévoit environ 19,8 millions d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement ainsi que 370 postes supplémentaires. Au cours d'une seconde délibération, l'Assemblée nationale a toutefois adopté un amendement du Gouvernement, qui prévoit une baisse de 20 millions d'euros des crédits des programmes police nationale et gendarmerie nationale afin de contribuer au respect de la norme de dépense en valeur de l'État.

Au total, la hausse des crédits de paiement demandés pour la gendarmerie sera de +1 %, contre +0,8 % avant adoption des deux amendements. Cette hausse reste modérée et ne traduit pas encore selon moi un effort suffisant, à la hauteur de la situation exceptionnelle que nous vivons.

Certes, le directeur général de la gendarmerie nationale, le général Favier, nous a quelque peu rassurés sur la question du dégel de la réserve.

Comme vous le savez, le taux de mise en réserve est passé à 8 % en 2015. S'appliquant à l'ensemble des dépenses hors titre II, la réserve se montera ainsi à 98 millions d'euros environ pour la gendarmerie, soit 1,2 % des crédits de la mission en 2016. Or, les dépenses hors titre II de la gendarmerie nationale sont très rigides. À titre d'exemple, les loyers se monteront à eux seuls à plus de 500 millions d'euros en 2016, les dépenses d'énergie et fluides à 84 millions d'euros, etc. Au total, les dépenses de fonctionnement et d'investissement de la gendarmerie sont à 75 % des dépenses obligatoires, loyers et paiements contractuels.

Dès lors, la levée de la réserve est essentielle pour assurer le paiement des nouveaux équipements indispensables aux activités des forces de la gendarmerie.

Or, le ministre de l'Intérieur a précisé, lors de son audition devant notre commission le 3 novembre dernier, en ce qui concerne l'exercice 2015, qu'un dégel de 38 millions d'euros a eu lieu le 23 septembre permettant de couvrir les dépenses de la gendarmerie mobile et d'acquérir des véhicules et des munitions, des discussions étant en cours pour le déblocage du solde. Ensuite, en ce qui concerne l'exercice 2016, il a annoncé que le dégel des crédits aurait lieu dès le début de l'année afin que les moyens nécessaires à l'acquisition des véhicules, des protections, des armes et des munitions soient disponibles.

Un effort est certes également accompli en ce qui concerne les effectifs.

Après une augmentation de 162 postes en 2015, le projet de loi de finances pour 2016 prévoit une augmentation de 554 nouveaux postes. Aux 184 postes prévus par le PLF 2016 initial s'ajoutent en effet 370 postes prévus par le plan de lutte contre l'immigration clandestine.

Il faut cependant tenir compte de l'écart entre le plafond d'emplois et les effectifs réels. Le programme gendarmerie se caractérise en effet par une sous-exécution particulièrement importante de ce plafond d'emploi, écart de près de 2 000 emplois souligné par la Cour des comptes dans son rapport sur l'exécution budgétaire 2014.

Cette sous-exécution est due à un écart persistant entre la masse salariale prévue et le plafond d'emplois et a tendance à fausser quelque peu la discussion budgétaire. Il conviendra donc de le réduire autant que possible à l'avenir.

Au total, le budget de la gendarmerie, comme celui de l'ensemble des forces de sécurité, tel qu'il est prévu par le PLF 2016 dans son état actuel, ne me semble pas répondre de manière adéquate au terrible défi qui nous est lancé.

D'abord, bien que les augmentations d'effectifs ne soient pas négligeables, elles ne seront pas suffisantes à elles seules pour rendre la gendarmerie plus efficace compte tenu de l'affaiblissement qui se poursuit des moyens de fonctionnement. Cet affaiblissement touche tous les aspects du fonctionnement courant de la gendarmerie ainsi que les véhicules. En fait, ce budget accentue l'évolution qui fait du programme 152 un budget de plus en plus consacré aux crédits de personnels, qui dépassent 85 % du total. Parallèlement, les moyens de fonctionnement et d'investissement qui seraient nécessaires pour renouveler les véhicules, moderniser les systèmes informatiques et donner aux enquêteurs les moyens de répondre aux immenses défis qui se posent à eux aujourd'hui, ne sont pas assurés.

Avant de conclure, je voudrais évoquer le sujet des associations professionnelles de militaires (APNM). Nous avons en effet reçu l'association « Gend XXI ». Comme vous le savez, c'est la loi du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire qui a permis la constitution de ces nouveaux organismes.

Aujourd'hui, l'association Gend XXI s'est donc constituée en APNM. Elle est actuellement en discussion avec des associations des autres armées pour créer une fédération. L'association « Gendarmes et citoyens » a également modifié ses statuts et est désormais dirigée par des gendarmes actifs. Elle devrait rapidement se transformer en APNM. Enfin, l'association de défense des droits des militaires-gendarmerie (ADEFDROMIL) est également en cours de constitution en APNM.

Je note que l'association que nous avons entendue a tenu un langage modéré et respectueux de l'institution. Je pense, à titre personnel, que les associations peuvent être utiles en permettant une meilleure remontée des difficultés rencontrées par les gendarmes, ce qui est positif : ils ont parfois tendance à être excessivement silencieux ! Il faudra toutefois rester vigilant. Les représentants de Gend XXI nous ont ainsi dit que si les associations estimaient ne pas être assez associées au dialogue interne, elles seraient naturellement tentées de parler davantage aux médias, ce qui ne serait pas forcément une bonne chose !

Pour conclure, le budget qui nous est présenté ne me semble pas, en l'état, à la hauteur de la menace, en particulier de la menace terroriste dont nous avons malheureusement pu mesurer l'intensité vendredi. Le Président de la République a annoncé des moyens supplémentaires en personnel pour l'ensemble des forces de sécurité. Il est nécessaire que les moyens de fonctionnement suivent ! En l'absence de précisions suffisantes à ce stade sur la manière dont cet effort supplémentaire sera intégré au PLF 2016, je vous propose que la commission donne un avis de sagesse aux crédits du programme 152. Nous pourrons ensuite nous déterminer à titre personnel, en fonction des précisions qui nous seront données par le ministre de l'Intérieur en séance, selon que nous jugerons l'effort prévu suffisant ou non.

Je laisse maintenant la parole à Michel Boutant.

M. Michel Boutant, rapporteur pour avis. - Monsieur le Président, mes chers collègues, je souligne d'abord que, par rapport au budget initialement présenté, de nouvelles annonces ont été faites à la suite des attentats du 13 novembre, dont la création de 5 000 postes supplémentaires pour les forces de sécurité dans les deux prochaines années. En ce qui concerne le fort taux de dépenses de personnel du programme, il en a toujours été ainsi et c'est une situation normale. Quant aux fortes dépenses de loyer, elles sont la contrepartie de l'obligation de disponibilité des gendarmes.

Je souhaite ensuite évoquer deux sujets pour lesquels un effort budgétaire particulier a été engagé.

En premier lieu, comme les autres forces de sécurité, la gendarmerie nationale est, depuis les attentats du mois de janvier, en première ligne pour lutter contre le terrorisme.

Dans le cadre du plan global de lutte contre le terrorisme du 21 janvier 2015, le décret d'avance du 9 avril 2015 a ainsi permis un effort budgétaire particulier.

En ce qui concerne la gendarmerie nationale, le décret a prévu 35 millions d'euros pour le programme 152, dont 12 millions d'euros pour les dépenses de personnel. Il a ainsi permis de financer 18,9 millions d'euros de nouveaux équipements : véhicules, armements et équipements de protection, notamment pour intensifier la lutte contre les drones malveillants et renforcer les moyens du Groupement d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) et des pelotons d'intervention de la gendarmerie nationale (PSIG) ; 2 millions d'euros dans le cadre d'un plan de renforcement et de modernisation technologique des services ; 2,1 millions d'euros de dépenses liées aux recrutements.

En outre, les dépenses de personnel supplémentaires ont permis d'augmenter les effectifs de la gendarmerie nationale de 100 ETPT au titre du renseignement territorial et d'unités opérationnelles des services spécialisés ainsi que de mobiliser les réserves civile et opérationnelle, qui vont sans doute être encore plus mobilisées à l'avenir.

L'effort budgétaire au titre de la lutte anti-terroriste se poursuivra en 2016 avec un montant de 5,2 millions d'euros notamment consacrés à la modernisation informatique de la gendarmerie.

En matière de lutte anti-terroriste, je souhaite souligner le travail accompli par la sous-direction à l'anticipation opérationnelle (SDAO), créée en 2012 pour doter la gendarmerie d'un niveau de centralisation du renseignement recueilli par les brigades sur le terrain. La SDAO coordonne ainsi le renseignement opérationnel, notamment à travers le service spécialisé de veille et d'exploitation de l'information d'alerte. Elle enrichit le dispositif anti-terroriste national et transmet les informations obtenues en zone gendarmerie aux services spécialisés, en concertation avec le service central du renseignement territorial (SCRT).

Lors de son audition du 3 novembre, le ministre de l'Intérieur nous a ainsi indiqué que la gendarmerie a été à l'origine de 41 signalements de départ vers les zones de djihad et qu'elle avait recueilli et partagé 25 notes de renseignement en lien avec les investigations à l'occasion de l'enquête sur les attentats de Charlie Hebdo. Enfin, les opérations de lutte contre la cybercriminalité, désormais basées au nouveau pôle de Pontoise, complètent l'éventail de la lutte anti-terroriste.

Le décret désignant le « deuxième cercle » des services de renseignement, prévu par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, a d'ailleurs été examiné par la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). La SDAO pourra ainsi utiliser une grande partie des techniques ouvertes aux services de la communauté du renseignement, à l'exclusion, notamment, de certains algorithmes utilisés dans le cadre de la lutte anti-terroriste.

Deuxième sujet d'actualité qui a des conséquences importantes pour le budget de la gendarmerie, la gestion de la « crise migratoire » que nous connaissons depuis quelques mois.

Un total de 900 ETPT supplémentaires vont ainsi être recrutés dans les unités de forces mobiles de la police et de la gendarmerie et au sein de la police de l'air et des frontières, dont 370 pour la gendarmerie mobile. En effet, les forces mobiles sont déjà particulièrement utilisées depuis le début de l'année, soit dans le cadre du plan Vigipirate, soit aux frontières (Calais, Vintimille).

Je voudrais ensuite évoquer l'effort positif accompli pour préserver les « fondamentaux » de la gendarmerie nationale dans un contexte budgétaire globalement restrictif.

Les crédits hors titre 2 augmenteront de 1,36 %. Le programme Gendarmerie contribue à l'effort de redressement des finances publiques mais son caractère prioritaire est ainsi manifeste. Le directeur général de la gendarmerie nationale nous a fait part de sa satisfaction à cet égard même s'il a également indiqué que les crédits demeureront un peu inférieurs aux niveaux de renouvellement optimal des moyens.

À titre d'exemple, un montant de 40 millions d'euros sera consacré en 2016 au renouvellement du parc automobile, soit les crédits nécessaires à l'acquisition de 2 000 véhicules supplémentaires. Ce nombre n'atteint toujours par le seuil de 3 000 véhicules permettant d'assurer un renouvellement normal des voitures mais il traduit un effort certain par rapport aux années précédentes.

Il convient également de souligner l'importance du plan triennal d'urgence pour le traitement des logements les plus délabrés du parc domanial, dont la mise en oeuvre a débuté en 2015 et dont la déclinaison pour 2016 prévoit 70 millions d'euros en autorisation d'engagement pour réhabiliter environ 5 000 logements. Ce plan d'urgence est essentiellement destiné à l'entretien et la réhabilitation des logements en vue de supprimer les « points noirs ». Le plan prévoit ainsi d'engager une trentaine d'opérations de réhabilitation lourde et de mise aux normes de casernes ainsi que les secondes phases de réfection du clos et du couvert des casernes de Bouliac et de Gap.

Enfin, le déploiement du projet NEOGEND permettra de doter les gendarmes d'outils mobiles d'accès aux systèmes d'information, dans une logique de proximité et de souplesse dans l'emploi des forces, en particulier en milieu rural. Le directeur général de la gendarmerie nationale nous a ainsi fait part du projet de doter l'ensemble des gendarmes de terrain d'une tablette informatique permettant d'automatiser de nombreuses tâches répétitives. A ce plan centré sur la mobilité, s'ajoutera le volet 2016 du plan de modernisation technologique de la gendarmerie qui permettra de développer des dispositifs de pré-plaintes en ligne ou encore d'aide à la décision s'appuyant sur les données de masse (Big Data).

Enfin, je voudrais évoquer le bilan selon moi très positif de l'utilisation de la réserve opérationnelle de la gendarmerie. De toutes les réserves militaires, c'est celle qui fonctionne le mieux. En 2014, environ 23 000 réservistes ont été mobilisés pour 468 452 jours d'activités. Les réservistes ont été intégrés en 2015 dans le dispositif opérationnel de lutte anti-terroriste mis en place par la gendarmerie nationale. Ils ont ainsi renforcé les unités territoriales sous forme de détachements autonomes (détachements de surveillance et d'intervention), participé à la sécurité et à la surveillance des sites sensibles et apporté de manière permanente un soutien au dispositif de renseignement et d'information de la gendarmerie. Ils jouent en effet, grâce à la diversité de leur recrutement, le rôle de « capteurs » auprès de leurs lieux de résidence et des milieux socioprofessionnels auxquels ils appartiennent.

En conclusion, même si la situation budgétaire reste tendue et malgré certains points noirs persistants comme l'immobilier domanial, pour lequel un effort important sera toutefois fait en 2016, les crédits de la gendarmerie nationale sont préservés et même renforcés dans certains domaines. En outre, la posture de la gendarmerie a été dûment adaptée au contexte sécuritaire issu des événements de janvier dernier et la récente crise migratoire a également été réellement prise en compte. Dès lors, nous avons toutes les raisons de donner un avis favorable à ce budget.

M. Daniel Reiner. - S'agissant des crédits de la gendarmerie, il ne faut pas aller jusqu'à la caricature ! Combien d'escadrons de gendarmes ont été supprimés entre 2002 et 2012 ? Cela donnera la mesure de l'effort accompli cette année !

M. Alain Gournac, rapporteur pour avis. - La situation que nous vivons est exceptionnelle. Après les événements du mois de janvier, je n'ai pas eu le sentiment que la menace était suffisamment prise au sérieux, notamment dans le monde rural. On aurait souhaité un effort beaucoup plus important. Les moyens, notamment informatiques, sont très insuffisants !

M. Michel Boutant, rapporteur pour avis. - Pour répondre à Daniel Reiner, ce sont 15 escadrons de gendarmerie qui ont été supprimés entre 2002 et 2012.

M. Jeanny Lorgeoux. - Les crédits hors titre II sont en hausse ; je voterai donc ce budget. Si j'étais dans l'opposition, aurais-je la sagesse de le voter aussi ? Je l'espère !

M. Yves Pozzo di Borgo. - Le rapport de notre collègue Philippe Dominati sur le renseignement a suggéré que les services souffraient sans doute d'un certain manque de coopération et de coordination. Dans le contexte actuel, il conviendrait peut-être de renforcer la fonction renseignement au sein de la gendarmerie pour obtenir davantage de résultats.

Mme Hélène Conway-Mouret. - La gendarmerie prévôtale est-elle toujours aussi active ?

M. Jacques Legendre. - Si le Président de la République a annoncé hier des mesures nouvelles pour la gendarmerie, c'est bien parce que le budget présente en l'état des lacunes par rapport à l'état de la menace aujourd'hui. Si les annonces sont concrétisées avant le vote en séance, nous serons sans doute amenés à prendre une position différente.

M. Jacques Gautier. - Nos rapporteurs ont travaillé sur un projet de budget qui va être modifié. Le Président de la République et le Premier ministre ont annoncé des amendements améliorant les effectifs ; dans ces conditions je préconise que notre groupe s'abstienne. Si les amendements attendus sont présentés, nous pourrons voter en faveur des crédits de la gendarmerie nationale, à laquelle nous sommes tous attachés.

M. André Trillard. - Si ce budget était celui d'une entreprise, un tel rapport entre les frais de personnel et les dépenses d'investissement ne laisserait pas d'inquiéter !

M. Michel Boutant, rapporteur pour avis. - Pour répondre à Mme Conway-Mouret, les gendarmes sont toujours aussi sollicités dans leurs fonctions de prévôts auprès de nos forces armées en opérations extérieures.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je comprends parfaitement la volonté de faire pression pour que le Gouvernement dépose les amendements qu'il a annoncés. Si in fine le budget de la gendarmerie est celui que le Président de la République a évoqué, nous l'adopterons. Je mets donc aux voix le texte.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités », les membres du groupe Les Républicains s'abstenant.

- Présidence de M. Christian Cambon, vice-président -

Loi de finances pour 2016 - Programme 129 - Coordination du travail gouvernemental - Mission « Direction de l'action du Gouvernement » - Examen du rapport pour avis

La commission examine le rapport pour avis de MM. Jean-Marie Bockel et Jean-Pierre Masseret sur le programme 129 - Coordination du travail gouvernemental - de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2016.

M. Jean-Marie Bockel, co-rapporteur pour avis du programme 129. - Au sein du programme 129 - « Coordination du travail gouvernemental», votre commission s'intéresse exclusivement à l'action n° 2 « Coordination de la sécurité et de la défense » dotée, en 2016, de 289,46 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 283,94 millions d'euros en crédits de paiement. Cette action regroupe en effet : les crédits du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) , les subventions pour charges de service public de l'Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et l'Institut national des Hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), la dotation en fonds spéciaux et enfin une partie des crédits du Groupement interministériel de contrôle (GIC).

Par rapport à 2015, la dotation de cette action enregistre une diminution de 3,2 % en CP (- 9,3 millions d'euros). Cette évolution est liée, pour l'essentiel, à une diminution des dépenses d'investissement (- 11,5 millions d'euros). En revanche, la dotation progresse de 10,7 % en autorisations d'engagement (+ 27,9 millions d'euros), ce qui devrait permettre une remontée du niveau de ces investissements en crédits de paiement dans les prochaines années.

L'évolution du budget du SGDSN continue de s'inscrire principalement dans la priorité, portée par l'ANSSI, de montée en puissance de la politique de sécurité des systèmes d'information et de protection des intérêts nationaux contre la cybercriminalité.

Je vais vous présenter les crédits destinés à l'ANSSI et son activité, Jean-Pierre Masseret ceux alloués aux autres entités.

Première observation : la menace cyber ne cesse de s'accroître. La France est classée au 14ème rang des pays où la cybercriminalité est la plus active. Selon l'ANSSI, on dénombre une attaque majeure en moyenne tous les quinze jours à l'image de ce qu'a subi TV5Monde, en début d'année. La cyberdéfense reste dans ce contexte une priorité nationale.

Deuxième observation : les dispositions prévues dans la LPM sont mises en place progressivement. Les décrets ont été publiés en mars 2015. Parallèlement, une concertation avec les Opérateurs d'importance vitale a été engagée début 2015. Les premiers arrêtés devraient être publiés avant la fin de l'année. C'est un progrès majeur que les opérateurs soient dans l'obligation de déclarer leurs incidents et acceptent de se faire aider par l'ANSSI.

Un premier bilan de la mise en oeuvre de la « Politique de sécurité des systèmes d'information de l'État » publiée en juillet 2014 est en cours, en vue de son actualisation.

L'ANSSI a engagé un travail d'élaboration d'une « stratégie nationale de sécurité du numérique » présentée par le Premier ministre le 16 octobre. Elle constitue une nouvelle feuille de route.

Pour protéger les communications de l'État, des outils et des réseaux sécurisés ont été déployés. Le réseau de données interministériel Confidentiel Défense ISIS poursuit sa modernisation et son extension. Au total, 230 sites sont raccordés et on comptabilise 2 300 abonnés, sur 900 postes.

L'ANSSI développe une capacité de détection des attaques informatiques des systèmes d'information de l'État. Elle continue d'industrialiser les solutions et d'améliorer ses capacités afin d'anticiper de nouvelles menaces. Les développements ont principalement porté sur l'intégration de techniques de détection innovantes et sur la conception de sondes haut-débit destinées à la supervision du Réseau interministériel de l'État.

Elle dispose d'un « centre opérationnel de cyberdéfense » et a affiné son organisation de crise suite aux attentats survenus à Paris en janvier et à la résolution de l'attaque contre TV5 Monde.

Elle poursuit son action de sensibilisation auprès des administrations, des acteurs économiques et du grand public par ses publications et va déployer des correspondants dans les régions.

Elle attribue un label attestant de la sécurité des produits qui lui sont soumis et a initié une politique de certification de prestataires compétents techniquement et de confiance. Le développement d'un écosystème privé est indispensable car l'ANSSI n'a ni la vocation, ni les moyens de tout faire. Nous avons de belles entreprises, notamment dans le domaine militaire, qui ont été les premières à s'engager dans ce domaine et des PME innovantes, il faut les protéger.

Enfin, le développement de nouveaux usages et des objets connectés ouvre un nouveau champ de recherche pour l'ANSSI.

Troisième observation : L'ANSSI représente désormais plus de la moitié des effectifs budgétaires, et des efforts d'investissement ainsi que 70 % des crédits de fonctionnement du SGDSN. Cette proportion augmentera avec sa montée en puissance.

La poursuite des créations d'emplois est confirmée. Le plafond d'effectifs fixé à 455 ETPT en 2015 est porté à 507 en 2016. Cette montée en puissance constitue un défi structurel pour l'ANSSI qui doit également pourvoir au turn over relativement important de ses agents. Recruter en nombre et maintenir le niveau qualitatif est compliqué compte tenu de la faiblesse du vivier et du niveau des rémunérations offertes par le secteur privé lorsqu'il s'agit de cadres expérimentés. Le départ d'agents de l'ANSSI peut favoriser l'émergence d'un réseau lorsque les industriels et les prestataires de services de cybersécurité qui embauchent ces personnels sont considérés comme de confiance. Mais paradoxalement plus son action de sensibilisation est efficace, plus la concurrence sur le marché du travail est vive.

Nous estimons que face à ces difficultés spécifiques, l'ANSSI doit être soutenue, en pérennisant d'une année sur l'autre les emplois autorisés mais non pourvus en fin d'année afin de lui permettre de lisser les recrutements et par le maintien d'une certaine souplesse au niveau des rémunérations susceptibles d'être servies. À plus long terme, une politique active de développement de filières de formation doit être conduite.

Hors titre 2, les dotations de l'ANSSI sont passées de 25,3 millions d'euros en 2009 à 68,8 millions en 2016. Par rapport à 2015 elles progressent en crédits de paiement (+1,5 %) comme en autorisations d'engagement (+29 %).

La réalisation d'un data center sécurisé représente le principal investissement : 16,1 millions d'euros en AE et 8,5 en CP lui est consacré. Il sera cofinancé avec le ministère de l'intérieur, et livré en 2019. Le coût global de l'opération immobilière est estimé à 24,2 millions d'euros et la quote-part à la charge du SGDSN à 18,2 millions.

M. Jean-Pierre Masseret, co-rapporteur pour avis du Programme 129. - Je commencerai par quelques observations concernant le SGDSN. Jean-Marie Bockel vous a exposé les missions exercées par l'ANSSI, service à compétence nationale placé auprès du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, et qui en gère les moyens. Ceci mis à part, le SGDSN assure des missions de coordination interministérielle comme le secrétariat des conseils de défense et de sécurité nationale. Il participe à l'analyse des crises internationales. Il élabore la planification interministérielle et veille à sa mise en oeuvre. C'est à ce titre qu'il procède à l'évaluation du plan Vigipirate rénové en 2014 et à la préparation du rapport sur les conditions d'emploi des armées sur le territoire national qui nous sera présenté en janvier. Il faudra que puissent être pris en compte les évènements que nous venons de vivre, la semaine dernière. Il organise les moyens de commandement et de communication nécessaires. Il veille à la cohérence des actions en matière de recherche et développements des projets technologiques intéressant la défense et la sécurité et contrôle les exportations d'armement comme les transferts de technologie sensible. C'est à ce titre qu'il a préparé la sortie du contrat de vente des BPC à la Russie et a eu à connaître du rapprochement industriel entre KMW et Nexter. Il appuie l'action du coordonnateur du renseignement. Enfin, il assure la tutelle de l'IHEDN et de l'IHESJ.

Pour exécuter ses missions, il dispose de moyens en personnels, 204 ETPT pour 2016, auxquels il convient d'ajouter les 184 militaires qui servent le centre de transmission gouvernemental. Le plafond d'emplois du SGDSN (hors ANSSI), subira une diminution de 1 emploi chaque année sur la période 2015-2017.

Hors titre 2, le SGDSN dispose de 96,6 millions d'euros en crédits de paiements pour 2016, soit une diminution sensible de 10,8 %. On observe une évolution inverse pour les autorisations d'engagement qui progressent de 10 % et s'élèvent à 96,4 millions d'euros. Au sein de cette enveloppe, les crédits destinés au soutien et à l'administration générale du SGDSN, c'est-à-dire ceux consacrés effectivement à son fonctionnement, s'élèvent à 9,2 millions d'euros. Ils subissent une érosion sensible. Les écarts sont essentiellement la conséquence de l'évolution des crédits consacrés à la poursuite de projets interministériels concourant à la défense et à la sécurité nationale (70,5 millions d'euros en 2016) qui sont transférés en cours d'exercice vers le ministère de la défense.

Enfin, les subventions destinées à l'IHEDN et à l'INHESJ sont prévues à hauteur de 16,8 millions d'euros pour 2016 à comparer avec 17,4 millions d'euros prévus en 2015.

Quelques observations sur ces opérateurs. Ils sont en pleine restructuration. Après l'élaboration d'orientations stratégiques, ils vont entrer en phase de négociation d'un contrat de performance avec l'État. L'un des objectifs principaux est la mutualisation des moyens et le développement de synergies entre les deux établissements qui seront désormais tous les deux installés sur le site de l'École militaire. Les années 2013, 2014 et 2015 ont vu un amoindrissement de leur financement public, avec l'obligation de développer leurs ressources propres.

Nous mesurons la portée de ce rapprochement dont la cohérence avec le continuum entre la défense et la sécurité nationale doit être soulignée, mais en conservant la personnalité propre de chacun des deux établissements. Il doit être l'un des axes des contrats de performance qui seront approuvés au premier semestre 2016. Il serait d'ailleurs souhaitable qu'à l'instar de ce qui se pratique dans d'autres domaines, les rapporteurs pour avis puissent en avoir communication avant qu'il soit soumis aux conseils d'administration afin de formuler des observations.

J'en viens maintenant à quelques brèves observations sur les fonds spéciaux qui s'élèvent à 47,3 millions d'euros. Ils sont attribués aux services de renseignement et au Groupement interministériel de contrôle. Je rappelle que le contrôle de leur exécution est confié à la commission de vérification des fonds spéciaux placée au sein de la délégation parlementaire au renseignement.

Ce groupement, et ce sera ma dernière observation, est un service du Premier ministre chargé des interceptions de sécurité et du recueil des données de connexion. La loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement prévoit un éventail de techniques de renseignement, dont le processus d'autorisation et de mise en oeuvre devra faire l'objet d'une traçabilité et d'une centralisation par le GIC. En vue de répondre à ses nouvelles missions, le GIC devra augmenter ses capacités et renforcer ses effectifs. Pour tenir compte de ce besoin, le plafond d'emplois du GIC est établi à 80 ETPT.

Sous le bénéfice de ces observations, nous émettons une appréciation positive sur les crédits inscrits, pour le programme 129, dans le projet de loi de finances pour 2016 et proposons en conséquence à la Commission de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Direction de l'action du gouvernement ».

M. Jacques Gautier- Je tiens à souligner l'importance du travail de coordination du SGDSN et rappeler la production d'une étude récente sur l'usage malveillant des drones de loisir.

À l'issue de ce débat, la commission a donné un avis favorable, pour ce qui concerne le programme 129, à l'adoption des crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement ».

La réunion est levée à 19 h 52

Mercredi 18 novembre 2015

- Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -

La réunion est ouverte à 9 heures

Loi de finances pour 2016 - Programme 144 - Environnement et prospective de la politique de défense - Mission « Défense » - Examen du rapport pour avis

La commission examine le rapport pour avis de MM. André Trillard et Jeanny Lorgeoux sur le programme 144 - Environnement et prospective de la politique de défense - de la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2016.

M. André Trillard, rapporteur pour avis. - Le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » représente 1,28 milliard d'euros dans le projet de loi de finances pour 2016, soit 3,2 % des crédits de paiement prévus pour la mission « Défense » l'année prochaine. Ce programme est en effet modeste par le volume financier, mais il constitue le coeur de la fonction « connaissance et anticipation » de notre outil de défense.

Par rapport à la prévision pour 2015, les crédits de paiement sont en baisse de 3,7 %. Cette évolution est liée, pour l'essentiel, au redéploiement, en faveur des opérations d'armement du programme 146, des économies engendrées, sur le programme 144, par l'évolution des indices économiques, donc du coût des facteurs, depuis décembre 2013. Cela est conforme à la loi de programmation militaire (LPM) actualisée.

Ces crédits devront bien sûr couvrir le report de charges du programme issu de l'exécution budgétaire 2015. Ce report est estimé à 128 millions d'euros. Par rapport à l'année dernière, c'est une amélioration : le report de charges est moindre de 27 %.

Les priorités du programme 144 sont, conformément au Livre blanc de 2013 et à la LPM actualisée, d'une part, la réaffirmation du rôle central du renseignement - dont parlera tout à l'heure Jeanny Lorgeoux - et, d'autre part, la consolidation des efforts de recherche de défense et le maintien de la capacité d'influence de la France.

Je commencerai par ce qui concerne la recherche de défense. Les études amont font l'objet pour 2016 d'une prévision de 706 millions d'euros de crédits de paiement ; c'est là plus de la moitié des crédits du programme 144. Par rapport à 2015, il s'agit d'une diminution de 4,5%. Cependant, comme l'a confirmé le délégué général pour l'armement, lors de son audition par notre commission le 21 octobre dernier, cela ne remet pas en cause l'objectif fixé en matière d'études amont par la LPM, soit 730 millions d'euros en moyenne annuelle sur la période 2014-2019. Nous resterons bien sûr vigilants quant au respect de cet objectif !

L'analyse stratégique, de son côté, doit bénéficier de 6 millions d'euros en crédits de paiement - montant quasiment stable par rapport à 2015 -, mais de 9,7 millions d'euros en autorisations d'engagement, soit une forte augmentation : + 59 %. Il s'agit d'une conséquence de la réforme du soutien à la recherche stratégique actuellement mise en oeuvre. Le ministère de la défense, en effet, pour donner plus de prévisibilité et ainsi améliorer le pilotage des études, met en place des contrats-cadres, augmente les études de type « observatoire », et entend développer de nouvelles relations avec l'université. Ce sont des évolutions positives.

Tous programmes confondus, le budget total consacré à la recherche et développement (R&D) de la défense sera, l'année prochaine, de 3,78 milliards d'euros. C'est une augmentation de près de 10 % en deux ans et de 25 % en trois ans, et un tel niveau, en la matière, n'avait pas été atteint depuis 2009. Il faut bien sûr s'en réjouir : malgré les contraintes financières, la France est ainsi le pays d'Europe qui consacre le plus gros effort budgétaire à sa R&D de défense.

Dans ce contexte, nous sommes préoccupés par les difficultés de l'ONERA - l'Office national d'études et de recherches aérospatiales, opérateur du programme 144. La Cour des comptes a mis en lumière des problèmes, à la fois, de gouvernance, de ressources et d'infrastructures. La situation appelle des solutions de moyen terme, pour assurer l'avenir de l'établissement, en commençant par la production d'un contrat d'objectifs et de performance, dont l'élaboration est en cours. Mais il faut aussi apporter des réponses d'urgence, car la soufflerie de Modane s'avère mise en danger par un affaissement des sols et l'immeuble de Châtillon n'est pas aux normes de sécurité. Afin de traiter ces urgences, nous proposons un amendement, rédigé en concertation avec nos collègues rapporteurs du programme 146. Cet amendement majore, de 15 millions d'euros, la subvention prévue pour l'ONERA à hauteur de 105 millions d'euros par le projet de loi de finances, montant qui n'est pas suffisant pour équilibrer le budget de l'Office. Ces 15 millions d'euros supplémentaires seront pris sur le programme 146, sans remettre en cause d'opérations d'armement. Il s'agit de préserver cet outil d'excellence qu'est l'ONERA, car il est essentiel pour la filière aéronautique.

J'en viens à la capacité d'influence internationale de la France. À cet égard, le programme 144 est marqué par la création, en janvier dernier, de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), qui tend à rationalisation la fonction « relations internationales » du ministère de la défense. Je rappelle que la DGRIS est née de la fusion de l'ancienne délégation aux affaires stratégiques (DAS) et d'éléments de l'état-major des armées et de la direction générale de l'armement (DGA). Elle dispose de 213 agents, et sa création permet l'économie de 57 équivalents temps plein sur le périmètre « relations internationales » de la défense. La mise en place s'est bien déroulée.

Pour les actions de coopération et de diplomatie de défense pilotées par la DGRIS, près de 41 millions d'euros sont prévus en 2016. Mais plus des deux tiers de cette somme - 27 millions d'euros - tiennent à l'aide versée à la République de Djibouti, au titre de l'implantation des forces françaises, en application du traité international entre nos deux pays. Le reste des crédits est destiné à financer, notamment, le fonctionnement du réseau des attachés de défense en ambassade.

M. Jeanny Lorgeoux, rapporteur pour avis. - Je vais m'efforcer d'être aussi synthétique que mon collègue André Trillard.

Une première observation : le programme 144 porte les crédits hors titre 2 alloués aux services de renseignement relevant du ministère de la défense, c'est-à-dire la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) et la direction générale des services extérieure (DGSE).

J'inclurai toutefois dans mon analyse les crédits de titre 2, et en priant mes collègues del Picchia et Roger de m'excuser pour cette intrusion, mais on ne peut bien comprendre les enjeux et les perspectives que si l'on y inclut la dimension humaine.

Seconde observation : si l'on s'en tient au programme 144 stricto sensu on observe une diminution de 12,7 % des crédits de paiement prévus à hauteur de 234,7 millions d'euros et une diminution du même ordre des autorisations d'engagement.

Cette diminution résulte de l'effet conjugué de la baisse des crédits de fonctionnement - en grande partie en raison d'une mesure de périmètre - et de la baisse des investissements qui est la conséquence de l'entrée dans le creux du cycle des programmes d'investissement de la DGSE, les années 2014 et 2015 ayant atteint un pic.

Au sein de cette enveloppe, les crédits attribués à la DGSE constituent la masse la plus importante : 224,2 millions d'euros, dont 186,4 millions d'euros destinés aux investissements. Ces crédits sont en outre souvent abondés en cours d'exercice par des transferts de crédits interministériels et par une partie des fonds spéciaux, qui figurent au programme 129.

Les crédits de la DPSD ne représentent que 10 millions d'euros. Ils sont moins affectés par la diminution, les autorisations d'engagement progressent même en raison de la mise en oeuvre d'un programme d'équipement plus conséquent suite à l'autorisation d'emploi de nouvelles techniques de renseignement par la loi du 24 juillet 2015.

Mais cette évolution, que je qualifierai de mécanique, est largement compensée par les renforcements d'effectifs de ces services. Ce sera ma troisième observation.

La DGSE bénéficie sur la période 2014-2019 de 605 créations d'emplois, 169 ont été réalisées en 2014 et 2015, 122 sont prévues en 2016. Il s'agit essentiellement de personnels de catégorie A et d'officiers. La DGSE emploie hors service action plus de 5 200 agents. Le montant des crédits inscrits au titre 2 du programme 212 progressent en conséquence de 403 millions d'euros en 2015 à 413 millions dans le PLF pour 2016. Au sein de ces personnels, la part des militaires connaît une érosion depuis plusieurs années passant de 29,3 % en 2008 à 25,9 % en 2015 qui résulte des difficultés éprouvées pour les armées à réaliser leurs contrats d'objectifs mais aussi de la diversification des profils recherchés. Cela constitue une préoccupation s'agissant d'un service relevant du ministère de la défense. On observe également pour la même raison une progression du nombre des contractuels au sein des personnels civils. La difficulté de recrutement et de maintien des personnes au sein du service, même si elle est surmontée, tient à la spécificité de certains profils recherchés et à la faiblesse des viviers. Jean-Marie Bockel a évoqué hier cette question à propos de l'ANSSI, c'est une préoccupation que partagent les services de renseignement et je m'associe à ses pertinentes observations. L'idée d'une mobilité au sein de la communauté du renseignement se met progressivement en place, c'est un moyen, comme de résoudre ces difficultés, c'est aussi et surtout le moyen de développer une culture commune qui accroît l'efficacité opérationnelle des services dans un contexte où menaces intérieures et menaces extérieures sont de plus en plus imbriquées.

La DPSD agit en matière de sécurité du personnel, des informations, des matériels et des installations sensibles, en mettant en oeuvre des mesures de contre-ingérence et de protection du secret de la défense nationale. Nous constatons en France une insuffisance de la culture de protection du secret de la défense nationale. Nous souhaiterions que des formations soient introduites dans le programme de nos écoles d'ingénieurs à commencer par les établissements relevant du ministère de la défense.

La DPSD dont les effectifs étaient tombés à 1 053 à la fin 2013, connaît un renforcement significatif, accéléré et amplifié dans le cadre de la LPM actualisée. Son plafond d'emplois devrait atteindre 1 200 à d'ici la fin de 2016 avec une progression significative des crédits qui passent de 69,3 millions d'euros en 2015 à 84,7 millions. Elle aura à gérer turnover et montée en puissance de ses effectifs. Nous estimons que dans ce contexte la fonction RH doit être renforcée et que sa politique de recrutement doit être particulièrement soutenue.

Ce renforcement d'effectifs est le bienvenu compte tenu du surcroit d'activité de la DPSD, dans le domaine de la lutte anti-terroriste mais aussi dans ses activités traditionnelles. Les décisions prises en début d'année suite aux attentats terroristes ont conduit à devoir gérer des demandes d'avis de sécurité plus nombreux. De même, en matière d'inspections de sites, la responsabilité de la DPSD est de respecter les programmes de visites et de se montrer très scrupuleuse pour identifier leurs vulnérabilités. Mais encore faut-il que les préconisations qui en résultent soient mises en oeuvre. Suite à l'incident de Miramas en juillet dernier, nous estimons que la mise en place d'un indicateur de performance sur le taux de suivi des recommandations des rapports d'inspection est nécessaire.

Sous le bénéfice de ces observations, et sous réserve de l'adoption de l'amendement, présenté par André Trillard, qui vise à majorer la subvention de l'ONERA, les rapporteurs pour avis que nous sommes émettent une appréciation positive sur les crédits inscrits, pour le programme 144, dans le projet de loi de finances pour 2016. C'est aussi une marque confiance pour nos services de renseignement dans un contexte particulièrement difficile qui exige de leur part une vigilance permanente.

M. Gilbert Roger- Comme d'autres parlementaires, j'ai été alerté sur la situation de l'ONERA. Je soutiens l'amendement que présentent nos collègues à cet égard. Alors que les différentes administrations et services concernés semblent se renvoyer l'un à l'autre la responsabilité de prendre en charge le redressement de cet établissement, nous devons obtenir du Gouvernement des engagements précis en la matière. L'ONERA constitue en effet un outil très important, unique au plan européen.

M. André Trillard, rapporteur pour avis. - Notre amendement, au-delà du soutien direct qu'il entend apporter à l'ONERA, est bien conçu comme une invitation à s'exprimer en direction de chaque partie prenante du dossier.

M. Gilbert Roger- Très bien !

M. Jeanny Lorgeoux, rapporteur pour avis. - La période que nous traversons montre bien qu'il nous faut savoir concilier les exigences du court terme et les besoins du moyen terme. La France doit garder son rang. Notre amendement, en visant à préserver les capacités de l'ONERA, s'inscrit dans cette perspective.

M. Jacques Gautier. -Je veux saluer le travail de nos collègues rapporteurs et, en particulier, souligner l'importance de l'amendement qui a été présenté. L'ONERA constitue une véritable « pépite » de notre base industrielle et technologique de défense. La soufflerie de Modane est la plus grande d'Europe, elle remplit une mission essentielle pour la filière aéronautique. Or l'affaissement des sols met actuellement cet outil en danger ; des travaux sont nécessaires, à hauteur de 20 millions d'euros. L'amendement vise donc les difficultés les plus pressantes de l'ONERA, mais un effort beaucoup plus important devra être fait afin d'assurer l'avenir de cet établissement, pour lequel l'État doit définir clairement ses intentions et ses ambitions.

M. André Trillard, rapporteur pour avis. - L'heure serait mal venue pour une politique d'abandon de nos ressources de défense. J'ajoute que le montant de 20 millions d'euros à dégager pour les travaux urgents de la soufflerie de Modane reste, chacun en conviendra, relativement modeste, au regard de l'ensemble des ressources de la mission.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je mets aux voix l'amendement sur les crédits de la mission « Défense » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2016, présenté par nos collègues André Trillard et Jeanny Lorgeoux, rapporteurs du programme 144, et cosigné par nos collègues Jacques Gautier, Daniel Reiner et Xavier Pintat, rapporteurs du programme 146.

La commission adopte cet amendement, puis réserve son vote sur l'ensemble de la mission « Défense » jusqu'à la fin de son examen par la commission le 25 novembre.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Il me revient de vous présenter un autre amendement, portant sur la première partie du projet de loi de finances pour 2016. En effet, l'Assemblée nationale a adopté un amendement qui tend à supprimer la disposition relative à la décote dite « Duflot » que nous avions introduite, dans la loi d'actualisation de la programmation militaire, en juillet dernier. Je rappelle qu'à l'initiative conjointe de notre commission et de la commission des finances du Sénat, et avec une rédaction de la commission mixte paritaire qu'avait proposée, afin de trouver un consensus, notre collègue Daniel Reiner, nous avons souhaité limiter - à 30 % - le taux de la décote praticable, en faveur du logement social, sur la valeur des immeubles vendus par le ministère de la défense. Il s'agit ainsi de garantir le niveau de ressources du budget de la défense, pour lequel les cessions immobilières doivent représenter 730 millions d'euros sur la période 2015-2019. Avec un objectif constant, cet amendement tend à maintenir la disposition votée par le Parlement cet été.

M. Yves Pozzo di Borgo. - J'ai co-signé cet amendement. Lors de l'adoption du projet de loi portant actualisation de la programmation militaire pour les années 2015 à 2019, nous étions parvenus, après bien des efforts, en commission mixte paritaire, et grâce à l'union de la majorité et de l'opposition sénatoriales, a une solution équilibrée préservant le financement de notre outil de défense. Cet amendement tend à maintenir cette solution équilibrée. Dans le contexte actuel, il est moins que jamais envisageable de réduire les moyens du ministère de la défense.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je mets aux voix cet amendement co-signé par notre collègue Yves Pozzo di Borgo, comme il vient de le signaler, ainsi que par nos collègues Jacques Gautier, Daniel Reiner et Xavier Pintat. Il s'agit en pratique de supprimer l'article 21 ter du projet de loi de finances pour 2016, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale. Je précise que le même amendement a été adopté par la commission des finances du Sénat.

La commission adopte ce second amendement.

Loi de finances pour 2016 - Programme 105 - Action de la France en Europe et dans le monde- Mission « Action extérieure de l'Etat » - Examen du rapport pour avis

La commission examine le rapport pour avis de M. Christian Cambon et de Mme Leila Aïchi sur le programme 105- Action de la France en Europe et dans le monde - de la mission « Action extérieure de l'Etat» du projet de loi de finances pour 2016.

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - Au sein de la mission « Action extérieure de l'Etat », le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » finance : d'une part, les contributions obligatoires aux organisations internationales et opérations de maintien de la paix dues par notre pays et d'autre part, l'administration centrale du ministère des affaires étrangères et notre réseau diplomatique, dont je vous rappelle qu'il est, avec 163 ambassades, le troisième réseau diplomatique du monde, derrière ceux des États-Unis et de la Chine.

Ce programme représente près d'un tiers des crédits et un peu moins de la moitié des emplois dont dispose le Quai d'Orsay. Pour 2016, il est doté d'un plafond d'emplois de 7 836 équivalents temps plein travaillé (ETPT) et de crédits de paiement à hauteur de 1,97 milliard d'euros, soit une augmentation de 10 % par rapport à 2015, dont nous ne pouvons pas nous réjouir, comme je vais m'efforcer de vous le montrer.

L'évolution du barème des contributions de la France aux opérations de maintien de la paix permet pour 2016, une nouvelle réduction de 30 millions d'euros. Or, ceci ne donnera pas de nouvelles marges de manoeuvre au ministère parce que le risque de change n'est pas couvert correctement. L'augmentation de 10 % des crédits du programme 105 résulte essentiellement d'un effet de change défavorable. La dépréciation de l'euro par rapport au dollar induit une hausse du coût en euros des contributions internationales payables en devises qui passent de 746 millions d'euros en 2015 à 904 millions d'euros en 2016. Le rapport de la Cour des Comptes sur les contributions internationales de la France, remis en octobre 2015 à la commission des finances de l'Assemblée nationale, estime que la perte de change pourrait s'élever à la fin de l'année 2015 à 145 millions d'euros, et 150 millions d'euros en 2016 et en 2017. Ce chiffre doit être rapproché des débats que nous avons sur l'attribution de 5 millions d'euros supplémentaires aux bourses ou à la promotion du tourisme. À ce jour, selon le rapport précité de la Cour des comptes, la convention pour la couverture du risque de change, signée entre le MAEDI et l'Agence France Trésor, fige les gains budgétaires en cas d'appréciation de l'euro et empêche la couverture de risques en cas de baisse de l'euro sur une longue tendance. Certes, ce n'est pas le rôle de l'administration de spéculer sur la baisse de l'euro, mais ce choix a un prix pour le MAEDI. Il est donc indispensable que des stratégies de couverture du risque de change soient mises en place, et que le ministère professionnalise, avec l'aide de Bercy, cette fonction de couverture du risque de change.

De même, il n'est pas de bonne gestion que le différentiel entre la « somme appelée » et « l'état de la trésorerie de l'ONU sur les opérations de maintien de la paix closes » ne soit pas recouvré par la France. Selon la Cour des Comptes, un reliquat de 13,7 millions d'euros pourrait ainsi être rappelé. On voit là tout l'enjeu d'une gestion rénovée des contributions internationales et des opérations de maintien de la paix.

Un second point de critique importante tient au modèle de gestion immobilière que met en oeuvre le ministère des affaires étrangères. Le problème de cette gestion- nous l'avons souvent dit-, c'est qu'elle fait dépendre l'entretien normal des bâtiments des recettes exceptionnelles de cessions d'immeubles. Ce modèle n'est pas vertueux : faire financer des dépenses de fonctionnement par des recettes patrimoniales, c'est appauvrir le patrimoine de l'État. De plus, ce système est en voie d'essoufflement. Certes, d'importants produits de cession ont encore été réalisés cette année : telle que la vente de notre vaste campus diplomatique en Malaisie, à Kuala Lumpur, à hauteur de 171 millions d'euros, amenant le produit de cessions, pour 2015, à 252 millions d'euros. Notons que le risque de change n'a, encore une fois, pas été couvert ce qui aurait réduit de 20 millions d'euros la recette attendue. Sont encore prévues les ventes du palais Clam-Gallas à Vienne, pour 22 millions d'euros et de la résidence consulaire à Munich, pour 10 millions d'euros.

Je souhaite faire à ce sujet plusieurs remarques. Ces ventes ne me semblent avoir de sens que si elles permettent de rationaliser les implantations de la France et d'assurer le rayonnement international de notre pays. Dans le cas contraire, c'est une perte sèche de patrimoine et de prestige. Ces cessions doivent également être l'occasion de développer des colocalisations bilatérales avec nos partenaires allemands. Au-delà des sept ambassades colocalisées existant déjà, deux nouveaux projets verront le jour en 2016 : à Dacca au Bangladesh et à Koweït City. De même, les colocalisations avec les services extérieurs de l'Union européenne doivent être privilégiées comme ce sera le cas au Nigéria à Abuja.

Enfin, la participation du ministère au désendettement de l'État est certes louable mais elle doit être assortie à mon sens de deux conditions : la première concerne l'établissement d'un état sanitaire pour l'ensemble du patrimoine immobilier du ministère. Il est indispensable de connaître le besoin réel d'investissement et de crédits d'entretien du MAEDI, sans se limiter aux plus gros postes diplomatiques comme ça été le cas jusqu'ici. La seconde condition est que les crédits nécessaires soient inscrits en loi de finances initiale.

A l'heure actuelle, le ministère contribue au-delà de ses obligations au désendettement de l'État alors que ses perspectives de cession s'essoufflent et que ses besoins d'investissement et de dépenses d'entretien sont mal connus. Les 5 millions d'euros supplémentaires prévus au titre des dépenses d'entretien en 2016, soit un total de 7,2 millions d'euros sont très loin d'être suffisants : le projet de modernisation et de rénovation du Quai d'Orsay devrait coûter à lui seul 27 millions d'euros en 2016 et le besoin d'entretien des biens situés à l'étranger, soit 2000 bâtiments représentant 2 millions de mètres carrés, se situe dans une fourchette allant de 15 à 30 millions d'euros par an. Cette imprécision est à elle seule le signe qu'une amélioration est possible.

Le MAEDI devait verser au titre du désendettement de l'État 25 millions d'euros par an en 2015, 2016 et 2017. En 2016 pour tenir compte des recettes exceptionnelles de Kuala Lumpur, sa contribution sera portée à 100 millions d'euros. Mais les ventes « faciles » auront bientôt toutes été réalisées. Il est regrettable que le maintien en l'état du patrimoine du MAEDI dépende d'objectifs de vente qui sont par nature soumis à la fois au risque de change et aux incertitudes liées au marché de l'immobilier.

Enfin, je voudrais dire quelques mots de la mue du réseau diplomatique. Cette « mue », vous le savez c'est le « recalibrage » des postes catégorisés, en postes « à mission élargies », postes « à missions prioritaires » et postes « de présence diplomatique ». Je reste prudent sur les premiers postes de présence diplomatique, dont le bilan doit nous être présenté d'ici la fin de l'année. Pour que la politique menée ne se cantonne pas à une politique d'influence, il faut que ces postes s'appuient sur les ressources des services extérieurs de l'Union européenne. Une mutualisation est possible sans remettre en cause l'indépendance de la politique diplomatique française. De même, il me semble primordial que l'action de ces postes intègre l'ensemble du « réseau de l'action publique française » dont Leïla Aichi vous parlera. Les régions ont là un rôle à jouer. Enfin, il apparaît que ces postes de présence diplomatique reposent tout entier sur la personnalité de l'ambassadeur nommé. Une réelle évolution du métier d'ambassadeur est en cours sur laquelle il me semble que notre commission devra se pencher dès l'année prochaine.

Mme Leila Aïchi, rapporteur pour avis. - Comme Christian Cambon l'a indiqué d'emblée, les crédits du programme 105 sont en hausse, dans le projet de loi de finances pour 2016 de 10 %, et reflètent en cela l'absence de couverture du risque de change.

Cela étant dit, le PLF 2016 présente l'avantage de préserver les moyens de fonctionnement du réseau diplomatique qui constitue l'essentiel du programme 105. Une dotation de 209,5 millions d'euros est en effet prévue pour le fonctionnement de ce réseau, ce qui représente une augmentation de 12,7 millions d'euros pour couvrir la perte au change et de 13,15 millions d'euros pour tenir compte de la dégradation du contexte sécuritaire. A ce titre, 55,88 millions d'euros sont ouverts pour la sécurisation des biens situés à l'étranger, soit une augmentation de 31 % par rapport à la loi de finances pour 2015 et 8,1 millions d'euros pour les emprises du ministère situées en France. À ses moyens budgétaires s'ajouteront également 10 millions d'euros prélevés sur le produit des cessions immobilières pour financer les travaux de sécurisation des postes. Il est important de rappeler que la question de la sécurité ne se pose plus seulement pour nos ambassades, consulats et résidences. Les attentats ayant frappé les instituts français ont conduit le MAEDI à renforcer la sécurité du réseau culturel et scolaire et à y consacrer 1 million d'euros en 2015 et 10 millions d'euros par an à partir de 2016, selon le programme « MAEDI 21, une diplomatie globale pour le XXIe siècle ».

Des efforts de maîtrise de dépenses s'avèrent nécessaires pour préserver le réseau diplomatique, tout en assumant la dégradation de la valeur de l'euro, qui renchérit chaque poste de dépenses libellées en devises. Cela se traduit par le fait que d'importants efforts sont réalisés sur les lignes de dépenses « dites pilotables » du programme 105, par opposition aux lignes « contraintes » que sont les contributions aux organisations internationales et aux opérations de maintien de la paix et les dépenses de personnel. Sont ainsi réduites de 6 millions d'euros les dotations du protocole, de 4,6 millions les dépenses de la direction de la coopération de sécurité et de défense.

En 2016, le plafond global de la mission « Action extérieure de l'État » devrait être réduit de 97 équivalents temps pleins dont 88 sur le seul programme 105, soit une diminution de 1,1 % de ses effectifs contre une baisse de 08 % du plafond d'emploi de la mission. Comme pour les crédits, cette diminution d'effectifs va peser essentiellement sur la mission de coopération de sécurité et de défense. Année après année, cette mission pourtant essentielle est considérée comme la variable d'ajustement du budget du MAEDI.

Cette réduction des moyens en la matière, de 4 % sur le triennum 2015 - 2017, constitue, au premier chef, une entrave à la capacité de la France de faire émerger en Afrique une architecture de sécurité africaine. Or cette orientation ne paraît pas cohérente avec les ambitions affichées. En particulier, elle n'est pas en ligne avec la nécessité de lutter contre le terrorisme et les trafics transnationaux au Sahel, et de renforcer la sécurité maritime dans le golfe de Guinée. Elle n'est pas davantage en phase avec l'implication de nos forces armées dans la bande sahélo-saharienne, notamment au Mali. À cet égard, comment expliquer que les crédits consacrés à la prévention et à la consolidation des capacités de sortie de crise de nos partenaires africains, pourtant modestes, soient continûment diminués ? Il y a là une forme de contradiction de la politique étrangère française. Enfin, lors des auditions que nous avons menées dans le cadre de la préparation de ce rapport, il nous a été indiqué que des coopérations dans le domaine de la santé avaient été supprimées alors que le rôle du Service de Santé des Armées dans la gestion de l'épidémie Ebola, par exemple, a été crucial. Faute d'évaluation des actions menées, les décisions prises sont-elles toujours les plus pertinentes ?

Je voudrais maintenant revenir sur les enjeux de la diplomatie économique. Il s'agit de mobiliser l'outil diplomatique dans le but de favoriser le développement des entreprises françaises à l'international et de promouvoir l'attractivité de notre pays pour les investisseurs et pour les touristes étrangers. Je voudrais tout d'abord exprimer deux regrets : malgré nos recommandations de l'année dernière, aucun indicateur d'activité n'a été associé à ce pan des compétences du MAEDI, d'une part, et l'opérateur Business France, dont la création nous réjouit, regroupant UbiFrance et l'agence française pour les investissements internationaux, l'AFII, reste rattaché au ministère de l'économie d'autre part. L'essentiel des crédits de la diplomatie économique dépendent donc de Bercy et non du Quai d'Orsay.

Par ailleurs, je voudrais saluer l'initiative des « rencontres expresses » ou « speed dating » mise en place lors de la semaine des ambassadeurs afin de permettre à toute entreprise le demandant de rencontrer l'ambassadeur à Paris ou dans le cadre de rendez-vous réguliers par visioconférence. Comme toujours, je souhaiterais que cette initiative soit évaluée. Tout comme les mesures relatives à l'instauration de conseils économiques pour les 126 postes situés dans un pays recevant plus de 50 millions d'euros d'exportations françaises, à l'insertion systématique d'un volet économique dans les plans d'action des ambassades, et à la nomination d'« ambassadeurs pour les régions », qui sont mis à la disposition des présidents de région le souhaitant, pour favoriser le rapprochement entre les régions françaises, leurs entreprises - en particulier les PME - et le réseau diplomatique. Cette initiative va dans le bon sens, les régions doivent être plus amplement et plus systématiquement associées aux initiatives des services de l'État en faveur du développement économique national à l'étranger, notamment pour la préparation et dans la réalisation des déplacements officiels. Il en va de même des PME, envers lesquelles je souhaiterais que le réseau diplomatique mène une « action proactive », en analysant les marchés puis en les sollicitant, au lieu d'attendre que la PME fasse elle-même les démarches.

Enfin, extrêmement succinctement, je souhaiterais rappeler, en plein accord avec le Président du Sénat, que la diplomatie parlementaire doit être développée ainsi qu'il l'a fait tout au long de l'année en défendant à chaque rencontre, à chaque voyage, les positions françaises sur la COP 21.

C'est sur la COP 21 que je conclurai justement. Il est regrettable que les coûts d'organisation se soient avérés supérieurs aux estimations initiales. Bien sûr l'organisation du sommet des chefs d'État n'était pas prévisible, et la volonté d'associer la société civile par la création d'un espace dédié est louable. En revanche, l'accroissement de 50 000 m² du besoin des surfaces aménagées dans le cadre de l'accord de siège signé au printemps 2015 me semble plus difficile à justifier. Dans ce contexte, les dépenses de mécénat, à 75 % en nature, ne viennent pas en déduction du budget initialement prévu mais financent les surcoûts. Je comprends que nos collègues de la commission des finances souhaitent pointer cette moindre performance par leur amendement de suppression de 10 millions d'euros de crédits, et ce d'autant plus que les 139 millions d'euros de crédits de paiement ouverts au titre de 2016 ne constituent pas des coûts complets. Aucune dépense de personnel n'est imputée au programme 341 dédié à la COP 21. De même, l'essentiel des dépenses de sécurisation de la COP 21 est imputé sur la mission « Sécurités ». Il est encore trop tôt pour avoir une évaluation des coûts évités par la déprogrammation annoncée par le gouvernement de certains évènements de la COP 21, mais nous suivrons ces questions.

Enfin, je regrette que l'action du ministère n'est pas été plus volontariste en direction des PME moins au fait des dispositions fiscales du mécénat que les grandes entreprises qui ont décroché le label COP 21. Certains de nos champions dans des secteurs très pointus et porteurs ne seront ainsi pas représentés sur le forum des associations alors qu'il y avait là un tremplin qui aurait dû être exploité.

M. André Trillard. - Dans un contexte de rationalisation immobilière des postes diplomatiques commandée par la contrainte budgétaire, je crois qu'il faudrait réfléchir au regroupement physique des ambassades européennes situées dans des pays où nos intérêts sont faibles ; je pense, par exemple, au Kosovo. On pourrait imaginer, dans chaque capitale concernée, une emprise européenne dûment sécurisée.

Deuxième questionnement, nous avions l'habitude, c'était encore le cas il y a deux ans, de fournir à certaines organisations internationales des engagements supérieurs à nos obligations alors même que notre présence réelle dans ces zones était peu importante. Je pense notamment à l'Amérique du Sud. J'espère que cette tendance a été rectifiée.

Mme Hélène Conway-Mouret- Je félicite les deux rapporteurs pour leur excellent travail, très dense. Je salue leur proposition visant à mettre en place un système de couverture du risque de change. J'aimerais savoir si vous pouvez nous fournir des précisions sur ce que pourrait être une réforme dans ce domaine. Par ailleurs si la rationalisation de notre patrimoine immobilier s'imposait pour des raisons budgétaires, notamment dans certains pays où nous avions trois ambassades par exemple, le ministre lors de son audition devant notre commission a avoué que les services du ministère n'étaient pas une agence immobilière. Je me demande dès lors comment s'assurer que les cessions sont réalisées dans de bonnes conditions.

Je rappelle que le choix de l'universalité du réseau a été fait par les ministres successifs. La fermeture d'une ambassade peut être interprétée de façon très négative alors que sa transformation ou le maintien d'un consulat ou d'un poste simplifié permettent d'assurer une veille politique et de montrer que la France est toujours présente. La permanence de notre représentation en Birmanie permet aujourd'hui à nos entreprises, alors que le climat politique évolue, d'être bien positionnées.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Je souhaitais revenir sur la répartition de notre réseau diplomatique en trois catégories que vous avez évoquée. Il me semble que le choix d'un format simplifié ou non de nos postes à l'étranger relève du pouvoir exécutif. Je me demande si le Parlement a un quelconque droit de regard en la matière. Il se trouve que le Sénat m'a confié la responsabilité de m'occuper des pays d'Asie centrale. Je m'étonne que les effectifs de la représentation française au Tadjikistan soient si peu proportionnés aux enjeux : le Tadjikistan est le pays par lequel nos troupes sont passées lors de nos interventions en Afghanistan, c'est une zone limitrophe d'importants trafics de drogue, des entreprises françaises, telles qu'Auchan, s'installent dans ce pays. Enfin l'entreprise Total semble vouloir y développer ses activités suite à la découverte d'une poche de gaz naturel d'une taille inégalée.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Il est évident que la question du patrimoine immobilier a un impact déterminant sur l'image et le prestige de la France. Abandonner, en période de crise, certains bâtiments peut donner l'impression d'un affaiblissement de la France, cela a été le cas à Londres ou aurait pu l'être à Shanghai récemment. On envoie parfois des messages de paupérisation de la France, contre-productifs par rapport au travail diplomatique accompli sur place. Je me demande s'il ne faudrait pas dresser une sorte de cartographie d'un patrimoine minimum nécessaire au maintien du rayonnement de notre pays et qu'il conviendrait de conserver. On voit également que la question des ambassades à format réduit suscite des interrogations au sein de notre commission. Les frais de fonctionnement sont extrêmement réduits et la présence française est maintenue. Il serait intéressant d'évaluer ce dispositif. Il me semble plus que jamais nécessaire de travailler sur notre réseau diplomatique et sur le métier d'ambassadeur, en 2016.

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - Il est certain que certaines cessions peuvent nuire à l'image de la France. La vente du palais Clam-Gallas à Vienne a constitué un premier signal négatif, renforcé par le rachat dudit palais par le Qatar. Lors de la préparation de notre rapport budgétaire, nous avons ressenti sur la question du patrimoine immobilier une sorte de malaise dans la mesure où il semble que les directives du ministère de l'économie soient de maximiser les ventes, sans qu'aient été hiérarchisées, en premier lieu, les sites à préserver. Certaines ventes, comme celle de l'appartement à New York du représentant permanent de la France à l'ONU, n'étaient pas contestables. Dans d'autres cas, il convient d'analyser plus finement la situation locale. Ces cessions n'ont de sens que si elles permettent la rationalisation de l'implantation de la France et l'accroissement du rayonnement de notre pays. Je prends l'exemple d'Hanoi où les représentations françaises sont dispersées en de multiples sites, alors que l'Allemagne a vendu ses emprises pour s'installer dans un immeuble ultramoderne et très visible, véritable vitrine du pays contribuant à son identification et à son influence et rassemblant à la fois la chancellerie, les services d'aides aux entreprises, etc. Ce genre d'initiative peut être intéressant puisqu'elle permet le dialogue entre les différents services qui composent la représentation nationale à l'étranger et qu'elle accroît l'efficacité et le rayonnement de la France. Cela me semble en revanche beaucoup moins convaincant s'il s'agit d'alimenter le tonneau des Danaïdes qu'est le désendettement de l'État. Certains projets sont dérisoires : conserver la villa Bonaparte au Saint-Siège tout en vendant le logement du gardien n'a pas de sens. Il me semble intéressant que la commission se saisisse de ce sujet et demande au ministère une cartographie des projets de cession. Certes, le Parlement n'a pas compétence en ce domaine, mais nous pouvons exiger un pilotage plus stratégique des cessions, ce que nous faisons d'ailleurs dans le cadre de la préparation de l'avis budgétaire.

S'agissant de la sécurisation de nos postes à l'étranger, un effort réel est fait augmentant de 13,5 millions d'euros les crédits dédiés, soit une progression de 31 % par rapport à l'année dernière. Ce sont d'abord nos postes les plus exposés qui seront renforcés. Un vrai effort est accompli qui correspond à une forte mobilisation des services.

Par ailleurs, on nous a précisé que le ministère s'entourait d'experts pour réaliser les cessions à l'étranger, qu'il s'agisse d'agences immobilières ou de cabinets d'avocats. Les spécialistes locaux sont sollicités et travaillent en concertation avec les services à Paris. Les prix de cession semblent donc correspondre à la réalité des marchés immobiliers, sous réserve du problème de la non-couverture du risque de change.

À ce sujet, une première proposition de modernisation consiste à réviser la convention de change signée entre le ministère et l'agence France Trésor. La piste de la création d'un programme spécifique pourrait également être suivie. Cela permettrait de constituer des provisions pour risque de change, comme le fait tout importateur.

S'agissant de la dimension universelle de notre réseau diplomatique, il me semble important de rappeler qu'un rééquilibrage doit être fait. La tradition consistant à davantage doter en postes les pays européens ou africains au détriment des émergents paraît décalée par rapport au monde actuel. Il convient de renforcer notre réseau dans les pays émergents tels que l'Indonésie. De plus, la fluidité et l'aisance de certaines de nos relations diplomatiques pourraient nous permettre de réduire certains postes, qui paraissent aujourd'hui surdimensionnés, sans nuire à la qualité de nos relations et de nos échanges avec les pays concernés.

Mme Leila Aïchi, rapporteur pour avis. - Je n'ai que quelques points de compléments à apporter. Je voulais notamment souligner l'importance de l'effort réalisé en faveur de la sécurisation de l'ensemble de notre réseau diplomatique à l'étranger. Par ailleurs, le dimensionnement de notre réseau diplomatique doit résulter d'un choix, ce qui implique forcément des renoncements. Il est peut-être temps de se demander si la France doit avoir un représentant dans chaque pays si cela nous conduit à des décisions économiques irrationnelles telles que la vente de notre patrimoine pour financer des dépenses d'entretien de bâtiments. Je conviens, en m'appuyant sur mon expérience personnelle, qu'il est aisé aujourd'hui de rencontrer nos interlocuteurs européens, pour autant chaque fermeture de poste est vue comme un signal politique ce qui doit nous amener à analyser finement ces décisions.

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - En réponse à Yves Pozzo di Borgo, la détermination du format des postes diplomatiques est une prérogative de l'exécutif. En revanche, notre commission peut s'intéresser à cette question dans le cadre de ses travaux. Sur cette question, l'importance de l'évaluation d'une politique publique apparaît clairement. Le bilan qui doit nous être adressé d'ici la fin de l'année sur le fonctionnement des premiers postes à format réduit devrait être éclairant. Dans ce domaine, comme dans d'autres, la culture de l'évaluation doit être renforcée. Avec ma co-rapporteure, nous appelons de nos voeux la mise en place une évaluation de la diplomatie économique, qui prenne réellement en compte l'intégralité de l'action diplomatique française, collectivités territoriales et chambres de commerce comprises. De même, il me paraît souhaitable que les voyages officiels favorisent plutôt les PME et TPE. Les très grandes entreprises n'ont pas besoin d'aide pour avoir directement accès aux acteurs influents des pays dans lesquels elles se développent.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Il ressort clairement de nos débats que ces sujets ne font pas consensus. Il serait intéressant que notre commission réfléchisse à ce qu'est ou à ce que doit être la représentation française à l'étranger. L'influence d'un pays se crée dans le temps, en fonction de l'histoire et des réseaux présents sur place. L'annualité budgétaire ne correspond pas à ce temps long. Pour peser sur les décisions du pouvoir exécutif, il faut que le Parlement ait une pensée claire de ce que doit être un réseau diplomatique moderne et professionnel. Si des efforts budgétaires doivent être consentis, il faut que ce soit au service de cette vision.

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - Il y a du reste des choix à faire. Si vous regardez la façon dont les ambassades américaines ont toutes été reconstruites selon un « cube sécurisé », où le critère de protection des accès et des personnels est essentiel, on voit bien que le réseau diplomatique français n'est pas à ce jour soumis à cette orientation. Cependant, le besoin de sécurisation devient prégnant.

Mme Nathalie Goulet. - Je remarque que les mêmes débats se tiennent année après année au sein de notre commission. Nous avons su en matière d'aide au développement développer des positions claires qui ont permis d'instituer une culture d'évaluation. Il me semble nécessaire de mener le même effort dans le domaine de la définition du dimensionnement et de l'implantation de notre réseau diplomatique. Je souhaiterais que notre commission puisse d'ici un à deux ans être force de proposition en la matière.

Mme Hélène Conway-Mouret- Je tenais à rappeler que si les grandes entreprises sont régulièrement invitées à des voyages officiels, c'est parce que ceux-ci sont l'occasion de signer d'importants contrats commerciaux. Pour autant les PME ne sont pas oubliées et sont régulièrement associées, elles aussi, aux déplacements officiels.

Je ne suis pas sûre que nous puissions à ce stade nous inspirer de l'exemple américain de création d'un poste de représentation à l'étranger, sorte de modèle type, extrêmement sécurisé. Cela voudrait dire que nous ne vendons plus notre patrimoine immobilier pour entretenir les bâtiments existants - ce que nous faisons - mais pour réinvestir et construire de nouveaux postes.

L'augmentation des crédits destinés à la sécurisation des représentations françaises concerne des dépenses de sécurité passive. Cela ne doit pas conduire à délaisser la formation des forces locales ; comme j'avais eu l'occasion de le dire lors de la fermeture du lycée français au Mali, sa réouverture ne pouvait être envisagée que lorsque sa sécurité pourrait être garantie par les forces maliennes.

Enfin, le ministre a procédé à une consultation interne sur la diplomatie du XXIe siècle qui s'est traduite par la rédaction du document intitulé « MAEDI 21 » qui pourrait, en raison notamment de l'exhaustivité des acteurs consultés, inspirer le travail de notre commission sur les implantations et le dimensionnement des postes diplomatiques français.

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - Le résultat de cette consultation nous a été fourni par le ministre et nous l'avons exploité. Par ailleurs, je précise que le produit des cessions de biens immobiliers est versé au compte d'affectation spéciale n° 723 et peut être utilisé, par le ministère, comme il l'entend pour entretenir son patrimoine ou construire de nouveaux postes, ambassades, résidences ou autres.

M. Jeanny Lorgeoux. - Il me semble que l'influence de la France ne peut pas être subordonnée aux fluctuations économiques et aux restrictions budgétaires de court terme. L'implantation du réseau diplomatique doit répondre à des objectifs politiques de long terme et non à des contingences économiques.

Mme Leila Aïchi, rapporteur pour avis. - L'examen pour avis du budget du programme 105 nous donne l'occasion d'aborder un enjeu qui dépasse ces crédits, celui du dimensionnement et de l'implantation de notre réseau diplomatique. Je partage tout à fait l'opinion selon laquelle la construction d'une architecture de sécurité africaine est indispensable, et c'est pour cela que la réduction des crédits dédiés à la coopération de sécurité et de défense apparaît regrettable. Enfin, les PME sont, je vous le rappelle, le premier employeur de France, il est indispensable qu'elles se sentent soutenues dans leurs efforts à l'exportation. Nous avons tous des demandes en ce sens que nous devons relayer. Il me semble d'ailleurs que la diplomatie parlementaire est sous-estimée et que le réseau diplomatique français gagnerait à tenir compte des déplacements et des actions des parlementaires. Nous avons tous à coeur d'oeuvrer pour les intérêts de notre pays.

M. Alain Joyandet. - Il ne me paraît pas envisageable de revenir sur l'universalité de notre réseau. J'avais en mémoire qu'un travail avait déjà été effectué au Quai d'Orsay pour hiérarchiser et calibrer nos représentations selon un certain nombre de critères. Je ne comprends pas très bien ce que nous souhaitons faire de plus.

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - Nous avons simplement demandé la transmission de l'évaluation, qui est en cours de réalisation, pour les treize premiers postes à format réduit, avant l'ouverture de postes supplémentaires. Ces postes semblent effectuer de façon satisfaisante les missions qui leur sont confiées, en revanche certaine mesures d'accompagnement doivent être prévues. Lors de nos auditions, nous avons entendu parler des locaux devenus vides suite au recalibrage de postes. Cette évolution doit être accompagnée d'une réflexion sur l'utilisation des locaux dans ces nouveaux postes à présence réduite.

M. Jean-Marie Bockel. - Je me demande, s'il ne faut pas repenser l'universalité de notre réseau, au profit de coopérations et d'actions groupées avec nos partenaires. Il est sans doute possible de faire mieux à certains endroits. Ceci ne nous empêcherait pas, le cas échéant, de nous redéployer le moment venu.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - -Il y a un vrai choix politique à faire sur ce principe d'universalité du réseau. Nous travaillerons sur ce sujet très stratégique en 2016, sans en sous-estimer la difficulté. Le principe d'universalité de notre réseau est un marqueur fort, il est vrai que nous avons ce débat depuis des années, sans doute en raison justement des divergences existant sur ces questions. La remise en cause de l'universalité n'est pas sans rappeler l'utilisation par Valéry Giscard d'Estaing, alors Président de la République, de l'expression « puissance moyenne » pour qualifier la France, qui avait soulevé, c'est le moins qu'on puisse dire, de l'émotion.

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - Il me semble que nous sommes tous favorables au développement de partenariats avec les pays membres de l'Union européenne. Or, la réduction du format de notre représentation en Papouasie Nouvelle-Guinée a eu des répercussions sur nos collaborations européennes, puisque nous étions seuls présents sur ce territoire et donc en charge de délivrer les visas pour toute la zone Schengen. Désormais, le poste simplifié ne délivre plus de visas.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je suis pour ma part extrêmement attachée au principe d'universalité du réseau diplomatique français. Je pense qu'il nous faut également réfléchir plus largement à la façon d'inscrire les affaires internationales plus au coeur de nos préoccupations. Le budget du ministère des affaires étrangères est trop souvent sacrifié. C'est une tâche politique essentielle qui nous revient : garantir, par une meilleure prise en compte de l'importance de ces problématiques, le rayonnement de notre pays.

La commission réserve son vote jusqu'à la fin de l'examen de la mission « Action extérieure de l'Etat ».

Loi de finances pour 2016 - Programme 151 - Français à l'étranger et affaires consulaires - Mission « Action extérieure de l'Etat » - Examen du rapport pour avis

La commission examine le rapport pour avis de M. Jean-Pierre Grand et Mme Marie-Françoise Perol-Dumont sur le programme 151 - Diplomatie culturelle et d'influence de la mission «Action extérieure de l'Etat » du projet de loi de finances pour 2016.

M. Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis. - Le programme 151 finance les dépenses du réseau consulaire et, à ce titre, l'ensemble des services dévolus aux 2 millions de Français établis hors de France, ainsi qu'aux Français « de passage » à l'étranger représentant un flux de plus de 21 millions de personnes par an. La délivrance des visas relève également de ce programme.

Pour 2016, les crédits du programme 151 s'établissent à 369,9 millions d'euros, soit une baisse de 4,4 millions d'euros (-1,16 %) par rapport à 2015. Cette baisse s'explique principalement par la diminution de 10 millions d'euros de la dotation destinée aux bourses scolaires. Parallèlement, les crédits consacrés aux services consulaires et au traitement de visas augmentent respectivement de 4,2 millions d'euros et de 1,5 million d'euros.

L'enveloppe destinée aux bourses scolaires passe de 125,5 millions à 115,5 millions d'euros. Je regrette vivement cette diminution qui marque une inversion de tendance par rapport à l'augmentation de cette dotation depuis 2012. Rappelons-nous que celle-ci devait être la contrepartie de la suppression de la prise en charge des frais de scolarité.

Certes, cette réforme a atteint les objectifs fixés pour ce qui relève de l'équation budgétaire. Ainsi, la dépense n'excède plus l'enveloppe prévue en loi de finances initiale. Et le nombre de bourses à 100 % a diminué au profit d'une amélioration de leur quotité sur les tranches intermédiaires du barème. Pour autant, je m'interroge sur la diminution de la dotation allouée aux bourses en 2016. Cette baisse correspondrait à un ajustement aux besoins constatés lors des dernières campagnes, les enveloppes allouées n'ayant pas été intégralement consommées. Or, nul ne peut nier l'importance des bourses pour les familles et la part que représentent les frais de scolarité sur leur budget. J'ai interrogé le ministre lors de son audition, qui a répondu qu'il se pencherait attentivement sur le sujet. En séance, je reviendrai sur ce point afin d'obtenir les précisions attendues. Je voudrais également rappeler que l'enseignement du français à l'étranger est un vecteur d'influence important. Gardons-nous de mettre en place un système qui participerait à l'éviction des familles françaises du système.

Un mot sur l'amendement de la commission des finances transférant 5 millions d'euros du programme 185 au programme 151. Je veux rappeler que ma collègue et moi avions demandé l'année dernière que les recettes issues de la vente des visas bénéficient au ministère des affaires étrangères et du développement international. De fait, il n'est pas question d'opposer le programme 151 au programme 185. Mais il s'agit de transparence, de sincérité et d'équité entre Atout France et l'enseignement français à l'étranger. J'adhère pleinement aux arguments exposés par notre collègue Jacques Legendre lors de l'examen de son avis sur le programme 185. Je regrette que Bercy nous contraigne à choisir entre deux politiques dont nous avons besoin.

Concernant les autres lignes budgétaires du programme, la légère augmentation (+ 4,2 millions d'euros) de l'enveloppe destinée aux services consulaires vise notamment à préparer les élections prévues en 2017 (présidentielle et législatives), à encourager le développement de la e-administration et à compenser les pertes liées au taux de change euro-dollar. Les crédits d'intervention en matière d'aide sociale diminuent légèrement, pour s'établir à 18,07 millions d'euros. Enfin, l'augmentation (+1,5 millions d'euros) des crédits destinés à l'action « visas » servira à renforcer les effectifs affectés à cette politique.

J'en viens maintenant au réseau consulaire et à son activité. Constitué au 1er janvier 2015 de 221 postes et complété par un réseau d'un peu plus de 500 agences consulaires, ce réseau, désormais le troisième mondial derrière ceux des Etats-Unis et de la Chine, a beaucoup évolué ces derniers temps. Il a été renforcé en Asie, dans les pays du Golfe, à Londres, c'est-à-dire là où la population française augmente. De même, il a été réduit dans les zones dites « stables », notamment en Europe. Dans un contexte de forte contrainte budgétaire, ces redéploiements sont nécessaires. Plutôt que procéder à des fermetures pures et simples, cette évolution s'est surtout traduite par une adaptation de la forme de la présence consulaire : transformation de consulats généraux en postes à gestion simplifiée, ou en agences consulaires, allègement des missions et adossement à des institutions françaises présentes sur place, comme un institut français ou un bureau d'UbiFrance, prise en charge des missions consulaires par des postes de rattachement du fait de la transformation d'ambassades en postes de présence diplomatiques.

Il arrive cependant qu'on revienne sur des formules d'allègement finalement non pertinentes. Il en est ainsi de certains « pôles régionaux » constitués dans les années 2000 pour regrouper la transcription des actes d'état civil, et qui, en pratique, alourdissent les procédures et rallongent les délais de traitement pour des économies limitées de personnels. En 2015, le pôle régional d'Europe centrale à Vienne a ainsi été dissout. N'est prévue en 2016 que la suppression de sections consulaires dans le cadre de la transformation d'ambassades en postes de présence diplomatique. Il faut également signaler la création en 2017 d'un nouveau type de structure : les « bureaux de France » dans certaines grandes villes dépourvues d'ambassades et de consulats.

Les consulats sont toujours très sollicités au titre des services administratifs fournis aux Français de l'étranger. Quelque 272 000 passeports ont été délivrés en 2014, soit 13 % de plus qu'en 2013 et 95 % de plus qu'en à 2009.

Le nombre de cartes d'identité délivrées en 2014, soit 82 100, a en revanche diminué de 8,2 %. Cette tendance tient au fait que la durée de validité des cartes d'identité délivrées aux personnes majeures a été portée à quinze ans par un décret de décembre 2013.

Il faut également rappeler que les consulats ont établi en 2014 plus de 123 000 actes d'état civil, un chiffre en augmentation par rapport à l'année précédente, et 3 735 actes notariés.

Enfin, je soulignerai l'adoption en avril dernier de la directive européenne sur la protection consulaire après trois années de négociations. La notion de protection consulaire européenne a des implications particulières pour la France, compte tenu de l'étendue de son réseau et alors même que 7 millions d'Européens voyagent ou résident dans un pays tiers où leur État d'appartenance ne dispose d'aucune représentation diplomatique ou consulaire. Le texte adopté présente, nous le soulignons, des garanties satisfaisantes pour la France, notamment s'agissant du partage de la charge de la solidarité et du remboursement de certains frais engagés.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteur pour avis. - Je centrerai mon propos sur deux grands thèmes : la modernisation des procédures au sein de la Direction des Français à l'étranger, d'une part, la politique en matière de visas d'autre part, avant d'évoquer les propositions récemment formulées par notre collègue Hélène Conway-Mouret dans un rapport intéressant sur le retour en France des Français de l'Etranger.

La Direction des Français à l'étranger met en oeuvre des démarches innovantes visant à moderniser les procédures applicables pour gagner en efficacité. Dans ce domaine, des avancées ont été enregistrées durant l'année écoulée. Ainsi, un décret paru en juin 2015 autorise la délivrance des passeports aux Français de l'Etranger par courrier sécurisé, mettant fin à l'obligation qui leur était faite de se présenter deux fois au consulat, pour le dépôt de la demande et pour la réception du titre. De même, une convention en cours de signature entre le ministère et le Conseil supérieur des Notaires permettra bientôt la transmission directe et sécurisée des actes d'état civil à ces derniers par le Service central d'état civil (SCEC).

D'autres mesures sont annoncées pour 2016, en particulier la possibilité pour nos compatriotes de gérer en ligne leur inscription au Registre des Français de l'Etranger et d'actualiser leur situation au regard de celui-ci, une mesure qui était attendue de longue date. Cela se fera via le site MonServicepublic.fr qui va se substituer au portail MonConsulat.fr.

De même, il leur sera permis de s'inscrire et de mettre à jour leur inscription sur la liste électorale de leur lieu de résidence et de conserver dans un coffre-fort électronique les documents importants les concernant. Des mesures de simplification seront également mises en oeuvre comme la radiation automatique de la liste électorale consulaire en cas de radiation du Registre ou l'envoi des procurations par voie dématérialisée à la mairie compétente en cas de vote par procuration.

Le projet du ministère pour le XXIème siècle évoque la création en 2017 d'un portail Internet pour les visas permettant les demandes en ligne ainsi que, à terme, la délivrance en ligne des visas et la mise en place d'un nouveau système de vote par internet pour les Français de l'Etranger.

Ainsi, les projets et les initiatives de l'administration consulaire se multiplient et illustrent sa volonté d'améliorer sa performance et les services offerts. L'enjeu étant aussi, bien évidemment, pour elle, de dégager des marges de manoeuvre dans un contexte de rareté des ressources et de privilégier la proximité avec les usagers plutôt que les tâches administratives.

En ce qui concerne les visas, nous ne pouvons que nous réjouir de la progression spectaculaire de cette activité depuis 5 ans et de la manne qu'elle représente. En 2014, sur 3,2 millions de visas demandés, 2,8 millions ont été délivrés, soit une augmentation de 12,4 % par rapport à l'année précédente. La grande majorité (89,3 %) sont des visas de court séjour, pour l'essentiel liés au tourisme. Les recettes tirées de cette activité ne cessent de progresser, passant de 137 millions d'euros en 2013 à 161 millions d'euros en 2014.

À cet égard, tout en regrettant une certaine forme de compétition entre les programmes pour le bénéfice de ces ressources, nous nous félicitons que Monsieur le ministre des affaires étrangères ait réussi à obtenir de Bercy le principe d'un retour d'une partie des recettes des visas au ministère des affaires étrangères, dispositif que nous appelions de nos voeux l'année dernière. Ce « retour » modéré porterait en 2016 sur 6,6 millions d'euros dont 5 millions d'euros iront à Atout France en vue de soutenir le tourisme et 1,6 millions d'euros serviront à renforcer les moyens consacrés au traitement des visas. Rappelons que l'objectif poursuivi est celui d'un doublement du nombre de visas délivrés - soit 5 millions - à l'horizon 2020, compte tenu de la progression attendue des flux touristiques mondiaux, même si une diminution temporaire du nombre de visiteurs est à craindre au regard des événements tragiques qui se sont déroulés à Paris vendredi dernier.

Afin d'accompagner ce dynamisme de la demande, l'activité « visas » fait l'objet d'une attention particulière. Elle devrait ainsi bénéficier de 25 postes « équivalents temps plein » supplémentaires en 2016, l'accent étant mis notamment sur le renforcement des équipes mobiles intervenant en fonction des pics d'activité. Par ailleurs, le programme « visas en 48 heures », expérimenté en Chine depuis janvier 2014 et étendu en 2015 à plusieurs pays dont l'Inde, l'Afrique du Sud et plusieurs pays du Golfe, devrait s'appliquer prochainement à la Turquie, Singapour et à l'Indonésie.

Enfin, je souhaite mettre l'accent, pour finir, sur le travail mené par notre collègue en ce qui concerne le retour en France des Français de l'étranger. Se penchant sur une question jusqu'à présent peu étudiée, ce rapport constate qu'il est paradoxalement plus difficile pour des Français de rentrer en France que d'en partir. Cette difficulté tient à une multitude de démarches administratives qui compliquent la satisfaction de préoccupations élémentaires comme trouver un logement, un emploi ou s'inscrire à l'assurance-maladie. Pour remédier à cette situation, le rapport formule des propositions générales visant à :

- faciliter l'accès à l'information sur le retour, avec, par exemple, la mise en place d'une plateforme numérique fournissant une aide en ligne et l'élaboration d'un « guide du retour » en France ; ces deux préconisations devraient être mises en oeuvre dès le début 2016, ce dont nous nous félicitons ;

- faciliter les démarches des candidats au retour et améliorer leur dialogue avec l'administration, comme la délivrance systématique d'accusés de réception des demandes.

Ces propositions générales sont assorties de nombreuses propositions thématiques dans les différents domaines de préoccupations identifiés. À titre d'exemple, en matière d'emploi, il s'agirait de permettre aux personnes préparant leur retour d'avoir des entretiens à distance avec des conseillers de Pôle Emploi.

À titre personnel, j'émettrai un avis favorable à l'adoption de ces crédits et je redonne la parole à mon collègue Jean-Pierre Grand pour qu'il vous présente le sien.

M. Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis. - Je vous propose également de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits. Concernant le dossier des bourses, qui a déjà été évoqué lors d'une précédente réunion, il n'est pas satisfaisant de prendre 5 millions d'euros au programme 185 ; compte tenu de la modestie des sommes en jeu au regard du budget de l'Etat, il devrait être possible de les trouver ailleurs. Il faudrait que le gouvernement modifie sa position sur ce sujet.

Mme Nathalie Goulet. - La situation d'état d'urgence dans laquelle nous nous trouvons impose-t-elle des vérifications supplémentaires -et donc des délais supplémentaires- pour contrôler les identités lors de la délivrance des visas? Quant à l'envoi de passeports par courrier sécurisé, est-il généralisé ou limité à certaines catégories de personnes ? En effet, des personnes revenant de Syrie et dépourvues de papiers en demandent à notre consulat d'Istanbul. On espère donc que toutes les précautions sont prises.

Mme Bariza Khiari. - Nous avons eu ici un débat au sujet de la répartition des recettes provenant des visas entre l'administration consulaire et Atout France. Où en est-on ?

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteur pour avis. - Nous ne connaissons pas encore les dernières mesures prises au titre de l'état d'urgence mais nous allons nous renseigner. Concernant l'envoi sécurisé des passeports, il est réservé aux personnes inscrites au registre des Français établis hors de France dans certaines zones.

M. Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis. - La commission des finances a adopté un amendement transférant 5 millions d'euros du programme 185 au programme 151 pour compenser le fait qu'Atout France percevrait 5 millions d'euros en gestion au cours de l'année 2016 au titre des recettes tirées des visas. Néanmoins, il faudrait que le gouvernement réévalue lui-même la dotation consacrée aux bourses.

M. Robert del Picchia. - Je désapprouve ce budget à cause de la baisse des crédits destinés aux bourses scolaires. Ayant assisté récemment à un conseil consulaire de bourses, j'ai constaté que la demande était nettement supérieure à ce qui était proposé, le consul ayant pour instruction de ne pas dépasser la somme allouée à son poste. Ainsi, on limite les enveloppes attribuées aux consulats et, constatant ensuite que toute la dotation n'a pas été consommée, on la réduit l'année suivante. Le résultat, c'est qu'on n'aura bientôt plus dans l'enseignement français à l'étranger que les enfants de familles françaises riches et ceux de familles pauvres, mais plus ceux des classes moyennes qui se trouvent exclus. En outre, notons-le, la dotation de l'Agence française pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) aussi été réduite de 15 millions d'euros pour 2016.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Je souhaite attirer l'attention sur le cas d'étudiants souhaitant venir en France avec l'accord de Campus France et qui se voient refuser des visas alors même qu'ils disposent des ressources nécessaires pour suivre des études dans notre pays.

Mme Hélène Conway-Mouret. - L'augmentation du nombre de papiers d'identité délivrés illustre la grande mobilité des Français. Mais la question du retour en France de ces Français, que j'ai eu l'occasion de traiter dans un rapport remis cet été au Premier ministre, mérite aussi qu'on s'y intéresse. Je me réjouis, à cet égard, que les deux mesures-phares proposées - la mise à disposition d'une plateforme d'accès en ligne aux administrations françaises et d'un « guide du retour » - seront bientôt mises en oeuvre. S'agissant de la dématérialisation des procédures, il faut prendre garde à ce qu'elle n'entraîne pas une augmentation des tâches de saisie pour les agents consulaires, notamment à l'occasion de transferts d'informations entre services. Concernant les bourses, il ne s'agit pas d'une opposition entre les programmes 185 et 151 ; l'enjeu est de définir une priorité dans l'attribution d'une partie des recettes des visas. Personnellement, je soutiens l'amendement de la commission des finances.

La réforme des bourses scolaires ne visait pas à faire des économies. Depuis 2012, l'enveloppe destinée aux bourses a augmenté de 30 millions d'euros, ce qui représente un vrai effort. Si cette enveloppe baisse, c'est parce qu'elle n'a pas été consommée, les commissions locales des bourses n'ayant pas attribué tous les crédits qui leur avaient été alloués. Il faudrait les inciter à dépenser l'intégralité de leurs enveloppes.

M. Joël Guerriau. - Sur quels critères la réduction de notre réseau consulaire se fonde-t-elle? Il ne doit pas être aisé d'arbitrer dès lors qu'on souhaite garder une représentation universelle. La Grande-Bretagne a, quant à elle, fait le choix d'une représentation privilégiant les villes dynamiques sur le plan commercial. Par ailleurs, quels sont les modes de contrôle exercés sur nos représentations consulaires ? L'accueil laisse en effet parfois à désirer dans certains postes. Sans parler de l'affaire du consul honoraire en Turquie qui s'était mis à faire du commerce.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - L'enseignement français à l'étranger est le fleuron de notre politique de rayonnement. Comment peut-on dire que les bourses ont été augmentées depuis 2012 et que les demandes sont insuffisantes pour consommer les crédits alloués ? Le président Nicolas Sarkozy avait tenté d'instituer la gratuité de l'enseignement du second degré à l'étranger avec comme objectif de permettre une plus grande équité entre les Français de France et ceux de l'étranger. Mais cela a été contesté, notamment dans cette commission puis supprimé ! Il est inadmissible que le budget consacré aux bourses scolaires diminue au prétexte qu'il y aurait moins de demandes alors que les agents consulaires ont justement reçu comme consignes de décourager les dépôts de demandes et d'orienter les familles concernées vers les systèmes locaux d'enseignement pour faire des économies. J'ajouterai que du fait du taux de change, les bourses coûtent plus cher, qu'en outre, le besoin augmente du fait de l'augmentation du nombre d'établissements (illustrée par la récente ouverture du lycée Churchill à Londres) et que les familles des classes moyennes, parce qu'elles reçoivent des bourses d'un montant insuffisant, finissent par délaisser le système d'enseignement français, ce qui est une perte pour notre pays.

Mme Christiane Kammermann. - J'appuie totalement les propos de mes collègues Robert del Picchia et Joëlle Garriaud-Maylam, sur le fondement de mon expérience personnelle que je suis prête à partager avec vous.

M. Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis. - Cette question mérite d'être posée clairement au ministre en séance publique.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteur pour avis. - Sur les bourses, il faut souligner qu'un objectif est atteint, celui d'un plus grand nombre d'allocataires. Néanmoins, on ne peut nier les difficultés évoquées. Nous sommes prêts à relayer vos inquiétudes lors du débat en séance publique. En ce qui concerne les critères d'évolution du réseau consulaire, selon les informations dont nous disposons, les pays non prioritaires sont ceux dans lesquels la population française n'augmente pas et qui ne présentent pas de problèmes particuliers en termes de sécurité. S'agissant de la dématérialisation, les réformes menées visent précisément à alléger la tâche des agents consulaires en transférant la charge de la saisie d'informations aux demandeurs. Sur l'accueil dans les consulats, il faut souligner le déploiement en cours du référentiel Marianne, qui est une sorte de charte visant à garantir la qualité.

M. Jacques Legendre. - La question qui se pose au sujet des bourses est justement l'occasion de demander au ministre une solution impliquant le ministère de l'éducation nationale.

À l'issue de ce débat, la commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l'Etat ».

Loi de finances pour 2016 - Audition du Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des Armées

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Mon Général, bienvenue. C'est un plaisir de vous retrouver, à l'occasion de notre examen du projet de budget 2016 de la défense.

Le contexte des terribles attentats de vendredi dernier et les annonces du Président de la République devant le Congrès, lundi, nous imposeront naturellement de sortir un peu de ce cadre.

Je vous propose de faire d'abord le point sur la remontée en puissance depuis vendredi à la fois de l'armée sur le territoire et du rythme accéléré donné à l'opération Chammal et en particulier de nos frappes en Syrie.

Un renforcement des moyens de la défense se profile -et nous nous en félicitons-. Le Président de la République a annoncé lundi qu'il n'y aurait aucune réduction d'effectifs de la défense d'ici à 2019, au bénéfice des unités opérationnelles, de la cyberdéfense et du renseignement ; par ailleurs, il a mis l'accent sur les réservistes. Sur la nouvelle planification des effectifs et l'effort budgétaire supplémentaire ainsi requis, avez-vous, Mon Général, des précisions ?

La France, hier, lors de la réunion des ministres de la défense de l'Union européenne, a demandé la mise en oeuvre de la clause de défense mutuelle (article 42 point 7 du traité). Quelles conséquences concrètes attendez-vous ?

Je n'oublie pas les questions budgétaires, ce n'est pas tant la prévision pour l'année prochaine qui nous préoccupe - le PLF - que la fin de l'exercice en cours : la conversion en crédits budgétaires des « REX », la couverture des surcoûts des opérations extérieures (plus de 620 millions d'euros) et celui des opérations intérieures, principalement l'opération Sentinelle, soit 200 millions d'euros environ. Le projet de collectif comprend, avec un décret d'avance à venir, des crédits nécessaires, à hauteur de 800 millions - ce qui paraît suffisant à 20 ou 25 millions près, y compris la couverture des 57 millions d'euros qui ont été soustraits au programme 146, cet été, dans le règlement de l'annulation de la vente des Mistral à la Russie, et qui devaient donc être restitués. Mais des tensions existent liées à l'annulation de la baisse des effectifs et aux dysfonctionnements du logiciel Louvois, non financés. Le projet de collectif ne prévoit en effet rien en ce domaine.

Par ailleurs, ce projet de collectif annonce, au titre des régulations interministérielles de fin de gestion, une annulation de 298 millions d'euros de crédits au sein du budget de la défense. Sur ces points et sur d'autres, nous sommes très heureux de vous écouter.

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées.- Je voudrais vous remercier très sincèrement de m'accueillir une nouvelle fois au sein de votre commission. J'attache la plus grande importance à ces échanges directs avec la représentation nationale. C'est pour moi un rendez-vous majeur et les moments que nous vivons actuellement renforcent encore cette exigence.

Vous le savez, les armées françaises, directement aux ordres du chef des armées, le Président de la République, ont une raison d'être, celle d'assurer la sécurité de la Nation ; elles ont une vocation, celle de protéger la France et les Français. Le contexte de mon intervention est sur ce plan singulier, vous le comprendrez.

La dernière fois que je suis venu ici, c'était en juin dernier à l'occasion de l'actualisation de la Loi de programmation militaire qui a été décidée par le Président de la République, sous l'impulsion de notre ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian. Aujourd'hui, vous avez souhaité m'entendre sur le projet de loi de finances pour 2016, première annuité de cette LPM actualisée.

Lundi, devant le congrès rassemblé à Versailles, le Président de la République a annoncé l'annulation de toutes les déflations d'effectifs qui étaient encore prévues, d'ici 2019, dans le cadre de l'actuelle LPM. Cette décision, devant être intégrée dans le projet de loi de finances qui nous concerne, modifie le texte tel qu'il a été initialement préparé. Il m'est donc difficile de parler dans le détail d'un projet qui est en cours d'évolution.

Pour autant, la décision du Président de la République conserve - et même consacre - le principe qui a guidé l'actualisation de la LPM, puis la construction du PLF 2016. Ce principe est celui de l'adéquation entre la menace, telle qu'elle est évaluée, les missions qui sont confiées aux armées et les moyens qui leur sont donnés. Aujourd'hui, face à la situation d'une extrême gravité, nos missions sont de nouveau augmentées ; les moyens doivent être ajustés en conséquence.

Avant de répondre spécifiquement sur le sujet du PLF pour 2016, je voudrais faire un point d'actualité suite aux terribles évènements de ce week-end. Si vous le permettez, monsieur le président, je dépasserai donc les vingt minutes qui m'étaient octroyés pour ce propos introductif. Je crois que la situation le permet...

J'articulerai mon discours en 3 parties :

1ère partie, au lendemain des attentats, quelle est mon évaluation de la situation ?

2ème partie : nos missions et nos moyens : c'est notre modèle d'armée qui doit répondre aux enjeux d'un contexte sécuritaire qui se durcit sous nos yeux.

3ème partie : mes préoccupations, en toute transparence et vérité.

Pour commencer donc, mon appréciation de la situation actuelle. Je veux me limiter à trois constats.

Premier constat : le terrorisme international, incarné par Daech et ses affiliés, a désigné notre pays comme cible. En frappant aveuglement au coeur de Paris, c'est la France dans son ensemble qui est visée ; c'est chacun de nos concitoyens. Ce phénomène, d'une violence inouïe, renvoie à la radicalisation djihadiste et manifeste la réalisation d'un plan délibéré de rupture par une surenchère de terreur ; il s'appuie sur une propagande agressive, véhiculée sur internet et les réseaux sociaux. Il menace notre société et place la violence au coeur de notre démocratie.

Deuxième constat : le caractère transfrontalier de la menace. Nos adversaires ne sont pas des individus isolés ou désorganisés ; ce sont des groupes armés terroristes, islamistes radicaux, structurés, entraînés et déterminés. Ils ont leurs foyers au Levant, au Sahel et en Libye ; leurs relais se déploient dans toute l'Europe ; leurs ramifications s'étendent à l'intérieur de nos frontières. Ils savent donc utiliser une forme de profondeur stratégique. La révolution des communications et de la mobilité permet une circulation de leur propagande, de leurs commandos et de leurs armes. Ce constat marque avec force le lien de plus en plus étroit entre sécurité extérieure et sécurité intérieure. Les menaces de la force et de la faiblesse décrites dans le Livre blanc de 2013 sont toujours présentes, mais la menace du non-droit est là ; non plus à nos portes, mais déjà au coeur de notre territoire ; à Saint Denis, ce matin !

Troisième constat : les modes d'action des terroristes, sont jusqu'auboutistes, fanatisés. L'emploi de « suicide bomber » témoigne d'un idéal de mort et d'une radicalisation extrême. Nos ennemis d'aujourd'hui sont similaires à ceux que nous avons combattus en Afghanistan et au Mali et à ceux que nous combattons aujourd'hui dans la bande sahélo-saharienne. C'est une rupture, non seulement d'échelle, mais aussi de nature de la menace, qui atteint sur notre territoire un niveau inédit. Ce sont des actes de guerre.

Face à ce triple constat : quelles actions pour nos armées ? Ce sont d'abord les actions immédiates, décidées par le Président de la République, et qui ont été mises en oeuvre sans délai :

Pour la sécurité du territoire national, le dispositif Sentinelle a été renforcé ; 1 000 hommes supplémentaires dès dimanche soir, puis 2 000 autres, dans les deux jours qui ont suivi. Au total, ce sont donc à nouveau 10 000 soldats qui arment la seule opération Sentinelle.

Pour la défense de l'avant, notre aviation de combat a détruit, depuis la nuit du dimanche 15 novembre, six objectifs importants de Daech : pour l'essentiel des centres de commandement et des centres d'entraînement terroristes situés à Raqqa en Syrie. Des actions terroristes étaient planifiées et préparées à partir de chacun de ces centres. Ces six raids massifs, dont les deux derniers hier soir, ont donné lieu à des frappes robustes - entre 15 et 20 bombes chaque soir - et ont obtenu des résultats probants. On leur a fait mal.

J'ajoute que l'envoi du porte-avions, qui appareille en ce moment de Toulon, nous procurera en Méditerranée orientale, puis dans le golfe arabo-persique, une capacité supplémentaire de frappe et une plateforme de renseignement totalement interopérable avec nos alliés américains.

Par ces actions, à l'intérieur et à l'extérieur de nos frontières, nos armées ont, une nouvelle fois, fait la preuve de leur réactivité, de leur professionnalisme et de leur efficacité. Mais, au-delà de ces réactions immédiates, nous devons nous adapter en conséquence. Pour cela, je m'appuierai sur trois principes, que vous reconnaîtrez : « l'économie des forces », « la concentration des efforts » et « la liberté d'action ». Ces trois principes, chers au maréchal Foch, ont fait leurs preuves. En ces circonstances exceptionnelles, il faut puiser dans les bonnes références.

1er principe : l'économie des forces. Parce que nos moyens sont comptés, ils doivent être valorisés au mieux. Sur le territoire national, nous ne pouvons pas nous payer le luxe de sous-employer ni de surconsommer nos soldats dans les seuls dispositifs statiques. En d'autres termes, les forces armées n'ont pas vocation à agir « à la place », mais bien en complémentarité des forces de sécurité intérieure. Face à des groupes armés qui utilisent des modes d'action guerriers, mettons à profit nos capacités militaires en termes de planification, d'autonomie, de réactivité. Nos armées possèdent des moyens d'observation, de surveillance, de contrôle de zone, ou d'intervention qu'elles sont parfois les seules à mettre en oeuvre et dont l'expérience sur les théâtres d'opérations extérieures leur a donné la maîtrise.

2ème principe : la concentration des efforts. Non pas la concentration géographique, mais celle qui s'applique à l'ennemi qui est désormais clairement désigné, à savoir les djihadistes islamistes radicaux, en agissant sur l'ensemble de leurs moyens. Face à cet ennemi qui multiplie les lignes de front, il faut une défense - et aussi des actions offensives - dans la profondeur. N'attendons pas que ces groupes armés terroristes viennent jusqu'à nous pour les combattre. Nos opérations extérieures, nos missions intérieures, la surveillance et le contrôle de l'espace aérien et des approches maritimes, le renseignement, la cyberdéfense : ce sont toutes ces actions que nous devons combiner pour agir dans la profondeur.

Pour être efficace, parce que nous ne pouvons pas tout faire, il faut fixer des priorités, faire des choix. Il faut ensuite - avec calme, détermination et sang-froid - fixer un cap, élaborer une stratégie. Et cette stratégie doit être globale, car gagner la guerre ne suffit pas à gagner la paix. La force militaire n'agit pas sur les racines des crises qui s'ancrent, le plus souvent, dans des problèmes d'identité, de culture, d'éducation... Seule une approche globale, qui intègre tous ces paramètres peut espérer venir à bout de la violence. La concentration des efforts, c'est donc aussi l'addition des efforts sur chacun de ces champs. J'en suis un ardent partisan.

3ème principe : la liberté d'action. Elle passe d'abord par la préservation permanente d'une capacité de réaction ; par le souci du « coup d'avance » ; par une réserve stratégique.

Elle passe aussi par la prise en compte du facteur temps. La gestion du temps court ne doit pas occulter la préparation du temps long. Il faut gérer les évènements tout en ayant le souci du temps d'après. En effet, face à ces menaces, sachons garder le juste recul pour appréhender l'avenir incertain et toujours « penser l'impensable ». L'histoire est en effet parfois cruelle sur ce plan. Méfions-nous donc des perceptions biaisées qui pourraient conduire à des décisions hâtives, telle que l'abandon de telle ou telle de nos capacités militaires sous prétexte qu'elle serait mal adaptée à la menace la plus proche, dans l'espace et dans le temps.

« Economie des forces », « concentration des efforts », « liberté d'action » : tels sont les trois principes qui doivent guider l'action et le long combat qui est devant nous. La volonté de combattre les terroristes demandera en effet de l'endurance, de la constance et de la persévérance.

La volonté de combattre l'adversaire doit aussi prendre corps dans les moyens d'action, dans un effort financier qui doit, lui-aussi, s'inscrire dans le temps et être à la hauteur des enjeux :

- le temps long, c'est l'objectif, rappelé lors du sommet de Newport, des 2 % du PIB consacré à notre défense à horizon de 2025 (contre 1,7 % actuellement) ;

- le temps court, c'est le projet de loi de finances pour 2016, ce qui me conduit naturellement à ma seconde partie.

Comme je vous l'ai indiqué en introduction, vous comprendrez que je ne rentrerai pas dans les détails chiffrés qui sont probablement appelés à évoluer dans les jours qui viennent. Je me limiterai à rappeler les principes qui structurent la cohérence du projet. Ces principes reposent sur la complétude de notre spectre des capacités et sur un bon équilibre entre les fonctions stratégiques, telles qu'elles sont inscrites dans notre Livre blanc, telles qu'elles sont traduites dans la LPM actualisée et telles qu'elles doivent le rester dans ce PLF 2016.

Pour la fonction dissuasion, c'est son maintien dans son niveau actuel. Le budget qui y est consacré doit garantir l'indispensable disponibilité et la performance de la dissuasion nucléaire, dans ses deux composantes, océanique et aérienne. Gardons-nous des effets de mode !

Pour la fonction protection, c'est une obligation ; elle doit être renforcée. La défense opérationnelle du territoire exige la rapide montée en puissance de la force opérationnelle terrestre vers un effectif de 77 000 soldats. Cet effort en effectif, caractéristique forte de l'année 2016, est plus qu'un objectif, c'est un impératif !

C'est aussi l'optimisation, voire le renouvellement dans certains cas, des moyens militaires contribuant à l'action de l'État en mer, à la défense maritime du territoire et à la posture permanente de sûreté aérienne. L'arrêt des déflations d'effectifs va naturellement aider à ces nécessaires consolidations.

Pour revenir à l'action des armées sur le territoire national, pour résumer ce que je vous ai déjà dit : il faut une valorisation, pas une banalisation en recherchant au maximum la coopération avec les forces de sécurité intérieure, pour lesquelles j'ai la plus grande admiration et le plus grand respect. Les jours passés ont montré l'étendue de leurs compétences et de leurs qualités. Et les heures récentes avec cette intervention du RAID à Saint Denis me renforcent dans cette conviction : nous avons des forces de sécurité intérieure remarquables.

Pour la fonction connaissance/anticipation, c'est un effort supplémentaire, avec un plan de recrutement, donc des postes nouveaux consacrés au renseignement et à la cyberdéfense ; et avec la poursuite des grands programmes qui continueront à garantir à la France une capacité autonome d'appréciation des situations. Plus que jamais, nous avons besoin de savoir, de comprendre, pour ensuite agir avant que nos ennemis ne passent à l'action. Il faut revenir à la devise du maréchal de Lattre : « ne pas subir ».

Pour la fonction intervention, toujours centrale, c'est à la fois une régénération et une adaptation, avec deux axes d'effort :

- Premier axe d'effort : dans un contexte de fort engagement de nos armées, l'entretien programmé des matériels et leur régénération pour les plus sollicités d'entre eux en opérations. Il s'agit de reconstituer au plus tôt, durablement et en permanence le potentiel des matériels - terrestres, maritimes et aériens - les plus affectés par un emploi intensif. Nous voyons juste en faisant cela.

- Deuxième axe d'effort : des acquisitions supplémentaires pour adapter notre dispositif aux conditions de nos engagements actuels dans les domaines de la mobilité, de l'initiative, de l'endurance et de l'anticipation, avec, par exemple, l'achat de 4 C130, 6 NH90, 7 Tigre, 1 BSAH, 1 B2M ; tous ces équipements ayant été ajoutés dans le cadre de l'actualisation de la LPM.

C'est enfin un maintien de la fonction prévention, essentielle, car elle permet de prévenir les crises et d'agir au plus tôt. C'est, entre autre, le rôle joué par nos forces prépositionnées en Afrique qui sont un atout majeur pour notre pays, pour notre capacité d'anticipation des menaces par la connaissance du milieu ; pour nos capacités d'action et de réaction. C'est aussi, par exemple, le déploiement de navires dans les espaces maritimes sensibles, notamment pour le contrôle des flux.

Pour conclure cette deuxième partie, je dirai que la cohérence de notre modèle complet d'armée sera assurée dans le PLF2016 par cet équilibre entre les fonctions stratégiques.

Mais, vous le savez, le costume reste taillé au plus juste. C'est pour cela que les armées directions et services poursuivent leur transformation ; elle est portée par notre projet commun Cap 2020, qui, autour de l'équipe des chefs d'état-major d'armée, est mis en oeuvre résolument. Ce projet global nous évitera le syndrome du maillon faible, qui peut conduire à la défaite. Car c'est bien cette adéquation entre nos moyens et nos missions qui me préoccupe. Avec quatre points d'application qui constituent ma troisième partie.

Mes préoccupations : elles sont au nombre de 4 : le budget, la protection de nos installations militaires, notre modèle de ressources humaines et le moral. Là encore, je ne rentrerai pas dans les chiffres.

Premier point de vigilance : le budget. Je vous le répète régulièrement : quelle que soit la programmation budgétaire initiale, quelles que soient les déclarations d'intention, je crains toujours le grignotage progressif en gestion de nos ressources financières. Il nous faut ces ressources selon le calendrier prévu. Il faut que la réalisation soit conforme à l'intention. Dans le contexte actuel, cela nous est plus que jamais indispensable pour cette bonne combinaison entre les moyens et les missions. Pour cela trois points en particulier méritent l'attention :

Premièrement, la fin de gestion 2015 : elle conditionne la bonne « mise sur les rails » de l'année 2016. L'ensemble des crédits de la mission Défense doit être au rendez-vous en fin de gestion 2015. Mais, au-delà de ces crédits, pour ne pas hypothéquer l'avenir, les charges nouvelles doivent également être couvertes tout en exonérant la défense des abattements désormais traditionnels de fin d'année. Cela correspond - à ce stade - à environ 950 millions d'euros comprenant notamment les surcoûts OPEX, Sentinelle et la révision de la trajectoire des effectifs avec l'indispensable montée en puissance de la force opérationnelle terrestre.

A titre d'illustration, la décision de non remboursement sur la durée de la LPM de l'opération Sentinelle reviendrait à annuler la totalité des ressources dédiées à la régénération des équipements, ainsi qu'une partie de celles dédiées à l'achat de matériels. Cela n'est ni raisonnable, ni concevable, sauf à accepter de dégrader encore le report de charge ; sauf à remettre immédiatement en question l'actualisation de la LPM que vous venez de voter ; sauf à remettre en question nos capacités d'engagement opérationnel ; sauf à remettre en cause l'effort qui vient d'être décidé pour la protection de notre pays et de nos concitoyens. Je reste donc confiant, mais particulièrement vigilant.

Deuxièmement, le PLF pour 2016. 2016 est la première annuité de la LPM actualisée. Elle doit marquer le redressement de l'effort de défense.

Quelles que soient les décisions à venir, l'annuité 2016 restera, à mes yeux, soumise à plusieurs risques :

- d'abord ceux dont je viens de parler pour 2015, et en particulier le remboursement de Sentinelle ;

- ensuite, la réalisation des 250 millions d'euros de cessions, essentiellement immobilières ;

- et enfin la réalité des gains liés à l'évolution du coût des facteurs. Ce point constitue mon troisième point de préoccupation pour le budget.

Troisièmement donc : le coût des facteurs : je rappelle que les gains liés à l'évolution favorable des indices économiques doivent permettre de financer, sur la période 2016-2019, un milliard d'euros d'équipements dont nous avons absolument besoin. Nous devons être vigilants sur la réalité des économies réalisées. Nous avons pris des hypothèses de programmation très volontaristes. Dès lors, nous devons être attentifs à ce que les gains de pouvoir d'achat attendus se traduisent dans la vraie vie des unités. Par ailleurs, le ministère doit faire face à des dépenses non prévues au moment du vote de la LPM. L'application de nouvelles lois ou normes, par exemple dans le cadre de la transition énergétique, réduit d'autant l'effet positif du coût des facteurs. C'est ce que l'on appelle les charges additionnelles.

Ce sujet fait l'objet actuellement d'une nouvelle mission conjointe de l'inspection générale des finances et du contrôle général des armées, dont les conclusions sont attendues pour la fin de l'année. Je les attends avec intérêt.

Après le budget, deuxième point de vigilance : la protection des installations militaires. La menace terroriste visant notre pays concerne aussi les militaires pour ce qu'ils représentent. Nous devons prendre toutes les mesures nécessaires pour renforcer la sécurité de nos installations, de nos militaires et de leurs familles.

Nous devons notamment nous interroger sur la pertinence de l'externalisation de certaines fonctions, comme celle du gardiennage. Peut-être sommes-nous parfois allés trop loin. Nous devons impliquer tout le personnel militaire et civil affecté sur chaque emprise dans une défense collective coordonnée.

La coordination interministérielle, au niveau du renseignement doit également encore progresser, notamment au niveau local. Elle est en effet nécessaire pour accroître le niveau des postures de protection au regard de la réalité de la menace.

Troisième point de vigilance : le modèle RH. Ce modèle, c'est l'adéquation de notre ressource humaine à nos besoins ; c'est aussi tous les moyens de recrutement, de formation et de mobilité. La qualité humaine est la vraie richesse de nos armées. C'est pour cela que le modèle RH constitue une partie intégrante du modèle d'armée et que sa rénovation est essentielle.

C'est un chantier majeur, car je crois en la jeunesse : celle de mon pays et celle que nous recrutons pour qu'elle puisse exprimer tout son potentiel. Nous voulons un modèle plus dynamique dans ses flux, mieux pyramidé, plus attractif et toujours mieux adapté aux besoins opérationnels des armées. Nous voulons rétablir l'adéquation entre le grade, les responsabilités et la rémunération. Je vous en ai déjà parlé dans mes précédentes auditions.

Ce modèle RH intègre aussi un volet spécifique pour la réserve, vivier de multiples compétences, pivot du lien armée-nation et précieux renfort pour les unités d'actives, dont le budget devra également être ajusté à l'ambition qui sera fixée, notamment pour la participation des réserves à la protection du territoire national. Nous réfléchissons à ce sujet dans le cadre des réflexions interministérielles pour le déploiement des forces militaires sur le territoire national.

Je vous l'ai dit, l'ambition de la refonte de notre modèle RH n'a qu'un seul but : avoir l'armée de nos besoins, celle dont la France a besoin.

Dernier point de vigilance, le plus important : le moral. Je l'évoque à chacune de mes auditions, car il est une part déterminante de la capacité opérationnelle. On ne gagne pas sans les forces morales.

Comment est le moral de nos armées ? Au plus haut en opération ; il est plus fragile en garnison, dans les états-majors et notamment à Paris. Nous devons donc le surveiller. Oui, les hommes et les femmes de nos armées ont un sens aigu du service. Face aux dangers, face aux terroristes, ils ont pleinement conscience de leurs responsabilités. Leur moral est ainsi excellent dès qu'ils sont directement employés pour la défense de notre pays. Je le constate lorsque je les visite en opération extérieure ou intérieure, là où se concrétise le sens de leur engagement.

Mais je constate aussi ce que note par ailleurs le haut comité à l'évaluation de la condition militaire - le HCECM - dans son dernier rapport. Je cite : « il existe parfois un sentiment d'une insuffisante considération par rapport à celle accordée aux autres catégories sociales ». Ce sentiment est le résultat d'années d'efforts consentis par les militaires. Nous avons aujourd'hui moins de militaires qu'il n'y avait de professionnels avant la professionnalisation !

Nous devons être attentifs à ces femmes et ces hommes qui enchaînent les missions sans se plaindre, qui supportent les dysfonctionnements de Louvois avec courage, qui font passer leur devoir avant leurs droits ; ils ont besoin de notre reconnaissance et de notre soutien.

Nos militaires défendent avec foi les valeurs de notre pays : la liberté, ils combattent pour elle ; l'égalité, ils la vivent sous l'uniforme ; la fraternité, elle est leur quotidien.

Veiller au moral est d'autant plus important que les armées sont, depuis toujours, le creuset d'une jeunesse qui est à l'image de notre nation, dans toute sa diversité et sa richesse. Il en va de la pérennité de notre modèle social militaire.

Pour éviter que le moral ne se dégrade, je suis persuadé que l'on gagnerait à prendre en compte les préconisations du HCECM en matière de condition du militaire pour l'avenir ; c'est un enjeu opérationnel ! C'est un point d'attention majeur pour moi !

Mesdames et messieurs les Sénateurs, quand la force avance, la violence recule.

Le contexte sécuritaire actuel qui se dégrade sous nos yeux renforce la pertinence des choix qui ont été faits lors de l'actualisation de la loi de programmation militaire. Ils doivent être renforcés dans le PLF 2016 qui vous sera présenté.

Réévaluons la garde à la hauteur de l'adversaire. Restons debout et fiers des valeurs que nous défendons. Restons vigilants quant aux moyens qui sont donnés à nos armées. Restons unis derrière les hommes et les femmes qui risquent leur vie, sous l'uniforme de nos armées, pour défendre la France et les Français.

Vous pouvez compter sur mon engagement sans faille et sur ma totale loyauté. Je sais pouvoir compter sur votre soutien en ces heures difficiles. Nous gagnerons ce combat contre les terroristes.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci pour ce discours clair et charpenté.

M. Jacques Gautier. - Concernant l'exécution du budget 2015, nous espérons que le projet de loi de finances rectificative permettra de couvrir les différents surcoûts, notamment celui de Sentinelle. Pourriez-vous nous dire un mot de la réflexion en cours sur la doctrine d'emploi des forces armées sur le territoire national, dans l'attente de sa présentation au Parlement en janvier prochain ? Concernant Daech, les frappes françaises contre Raqqa sont importantes, car, outre le symbole que cette ville représente, elles visent des centres de commandement et d'entraînement. Mais ne faudrait-il pas également s'attaquer au financement de Daech, en frappant les camions-citernes qui acheminent son pétrole vers la Turquie ? S'agissant de l'annulation des déflations prévues, elle signifierait 4 500 postes maintenus en 2016 et 14 817 d'ici la fin de la programmation. Pouvez-vous nous confirmer ces chiffres ? Enfin, je voulais témoigner à nos forces notre respect et notre reconnaissance.

M. Daniel Reiner. - Notre commission sera très vigilante sur l'exécution budgétaire 2015 et sur celle de la LPM. Faute de recevoir suffisamment d'informations, l'opinion publique s'interroge sur l'efficacité de notre action dans le cadre de l'opération Chammal. Il faudrait communiquer davantage sur nos résultats. En ce qui concerne Sentinelle, nous attendons le rapport du SGDSN. L'opinion considère que l'armée est responsable de la protection du territoire et un élément de la sécurité nationale, à côté des forces de sécurité intérieure, dès lors qu'on a affaire à des actes de guerre. Cela plaide aussi pour une réévaluation de la réserve, en particulier celle de l'armée de terre qui est un vivier dans lequel il faut puiser.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je m'interroge pour ma part sur l'utilisation du mot « guerre ». Si nous sommes en guerre, nous ne serions plus supposés nous promener dans la rue, nous installer en terrasses des café comme nous y sommes incités. Ce n'est pas qu'une affaire sémantique. Faut-il employer le mot guerre ?

Général Pierre de Villiers. - Je réfléchis beaucoup à ces questions. La sémantique est importante. Nous avons en face de nous des gens qui s'identifient comme des adversaires, comme nos ennemis. En ce sens, nous pouvons parler de « guerre ». Toutefois, nous demandons aux Français de faire comme s'il n'y avait pas de guerre pour ne pas céder à la panique, pour résister. Il me semble juste de dire que nos adversaires - l'islamisme radical - pratiquent des actes de guerre et que nous, nous sommes dans une lutte contre des terroristes. Toutefois, dans mon quotidien de militaire, dans le cadre de nos opérations extérieures, nous sommes en guerre. On parle de Daech, mais nous affrontons d'autres groupes de fanatiques islamistes pratiquant des actes de guerre et des actes terroristes : Mujao, Ansar Dine, Al-Morabitoune, le front de libération du Macina... Le conseil de défense du 29 avril dernier a acté le concept de déploiement pérenne des militaires sur le territoire national. Une réflexion interministérielle a alors été mise en place. Elle doit aboutir à la remise d'un rapport au Parlement entre la fin de l'année et la fin du mois de janvier. Au sujet de cette doctrine d'emploi, je souhaite être clair dans ma vision des choses. Les militaires doivent être utilisés en complément des forces de sécurité intérieure. Dans le cas contraire, il n'y aurait aucune raison de garder ces hommes sous commandement militaire. Notre action doit venir en complément et en addition de l'action des forces de sécurité intérieure, pour lesquelles j'ai le plus grand respect. Elles ont accompli un travail remarquable. Nous pouvons leur apporter, grâce à notre formation et à notre expérience, des compétences dans le domaine de la prévention et de la réaction par rapport à des actes de guerre, ce qui n'est pas leur coeur de métier. Nous savons mettre en place des dispositifs mobiles, contrôler des zones, notamment de nuit, en bonne synchronisation avec le réseau Acropol que nous utilisons tous avec profit.

Dans un autre ordre d'idées, nous pouvons également utiliser les réserves territorialisées : qui connaît mieux son canton qu'un réserviste ? Vous le savez et vous m'avez soutenu dans cette démarche, j'appelle au développement de la réserve, pour ma part, depuis plus de 20 ans. Je constate d'ailleurs qu'il existe une forte demande de la part des Français qui souhaitent participer à des unités de réserve opérationnelle.

M. Jean-Marie Bockel. - Faut-il aller jusqu'à la mise en place d'une garde nationale ?

Général Pierre de Villiers. - Je vous ai déjà parlé du projet de valorisation de la réserve qui a pour horizon 2019. À cette date, selon ce projet, nous aurons formé et territorialisé des unités de réserve opérationnelle. Nous pourrons alors nous demander si une garde nationale peut et doit leur succéder ou non. Ce n'est pas tant le nom qui compte que les efforts que nous ferons pour nous assurer que les personnels civils mobilisés dans ce contexte sont opérants.

Vous en aviez conscience, et les récents événements l'ont confirmé la « sécurité de l'arrière » et la « défense de l'avant » vont de pair. Sont mêlés aux récents attentats des individus qui ont séjourné en Syrie. Nous intensifions nos frappes, en Syrie, non par vengeance mais par détermination. Notre stratégie, d'abord concentrée sur l'Irak, a été réorientée en septembre et s'étend désormais en Syrie. Les vols de reconnaissance ont d'abord permis trois frappes en Syrie, aujourd'hui suivies de frappes massives et efficaces, sur la base des renseignements que les premiers vols nous ont permis d'acquérir puis de confirmer. Nous conservons notre éthique militaire : nos frappes sont ciblées pour réduire au maximum les risques de dégâts collatéraux. C'est d'abord une question d'éthique, mais aussi d'efficacité. Nous avons donc une fine connaissance des cibles avant de frapper, car le doute n'est pas tolérable en la matière. Je vous garantis que l'intensité de la frappe a eu des résultats sévères et certains. Le bombardement intensif et par surprise d'un centre d'entraînement satisfait ces conditions.

S'agissant de notre intervention dans le cadre de l'opération Chammal, je défends ardemment la stratégie basée sur un bombardement aérien par la coalition, relayé par une action au sol menée par les troupes locales. Nous savons que les bombardements ne suffisent pas à gagner une guerre, mais nous sommes également certains qu'une action au sol des troupes alliées occidentales serait une très mauvaise idée. Daech espère nous entraîner sur cette voie pour frapper les opinions publiques en tuant nos troupes au sol. Nous devons au contraire aider et former en Irak et en Syrie les forces modérées luttant contre les fanatiques. Il ne peut s'agir que d'une opération de longue haleine, nous le savons et l'exemple du Kosovo l'a parfaitement illustré. Il faut presque 15 ans pour sortir de ce type de conflit. C'est une durée qu'il est difficile de rendre acceptable dans la société de l'instantané qui est la nôtre. Pour autant je ne cacherai pas qu'il n'y a pas de solution militaire à court terme. Les frappes sont indispensables et efficientes, mais la solution, au final, ne peut être que diplomatique et politique. Et je me réjouis de l'évolution de la situation en Syrie qui voit l'émergence d'une opposition coalisée. La situation reste complexe. Quoi qu'il en soit, la situation est grave. Il faut trouver des solutions politiques et diplomatiques et donner à l'architecture de sécurité locale le temps de se mettre en place, un temps nécessairement long.

Sur les déflations, je ne suis pas en mesure de donner de chiffres à ce stade.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Le renchérissement du coût du maintien en condition opérationnelle du fait des opérations nous semble sous-estimé. Lorsque les armées cèdent des frégates ou des Rafale, elles doivent de plus utiliser des matériels vieillissants dont le MCO est plus onéreux.

Mme Michelle Demessine. - Nos concitoyens vivent des moments graves et on sent que quelque chose se passe dans notre pays. Les gens essayent de comprendre ce qui se passe mais il est très difficile de donner des explications. Comme vous l'avez souligné, il n'y a pas de solution militaire à la situation en Syrie, mais l'engagement de notre armée est indispensable pour construire la paix. Par ailleurs, nous avons fait un déplacement à Bordeaux au sujet du MCO aéronautique. Nous avons pu constater la mobilisation et l'engagement très fort des personnels tant civils que militaires. Grâce à cet engagement, une partie du déficit de MCO a été comblé, pour atteindre 80 % de disponibilité des matériels. Mais nous allons passer à la vitesse supérieure en termes d'engagement, notamment avec la projection du Charles de Gaulle ! Comment assurer cette montée en puissance ? Concernant le SIAé, nous avons perçu des inquiétudes quant à son avenir, d'autant que toute une génération est en train de partir à la retraite avec son savoir-faire.

M. Christian Cambon. - Les missions de nos armées s'accumulent : OPEX, Sentinelle, etc. Certains experts estiment que les forces françaises seront insuffisantes pour faire face à l'ensemble de ces défis. En ce qui concerne le moral des troupes, vous avez été rassurant mais nous avons parfois des échos plus contrastés. Hier, nous avons demandé à nos partenaires européens de nous soutenir davantage dans notre lutte contre les djihadistes. Recevrons-nous d'eux autre chose qu'un soutien moral et une aide très ponctuelle ? Est-il raisonnable de poursuivre l'ensemble de nos engagements si nous ne sommes pas soutenus par ces pays ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je voudrais d'abord rendre hommage aux hommes et aux femmes placés sous votre commandement à l'étranger ou sur le territoire national. Que pouvons-nous attendre de nos partenaires européens ? N'est-ce pas le moment de réfléchir à nouveau à la défense européenne ? La menace concerne tous nos partenaires ! Quelles demandes la France a-t-elle formulées dans ce domaine ?

M. Alain Gournac. - Nous sommes fiers de nos armées. Un rapport sur le bilan de Sentinelle va nous être remis à la fin de l'année. Ne serait-il pas possible d'avoir un retour plus rapide ? J'observe d'ailleurs que l'armée est présente à Saint-Denis ce matin pendant l'assaut contre les terroristes, et qu'elle est en position ! Par ailleurs, il serait bon d'informer davantage les Français sur les opérations menées par nos armées. Quant au moral, les militaires se posent tout de même des questions ! Les annonces du Président de la République constituent certes de bonnes nouvelles, mais il faudrait quand même les écouter davantage, car ils sont remarquablement responsables.

Mme Leila Aïchi. - Vous avez raison de dire qu'il ne faut pas perdre de vue les objectifs de long terme ! Je sais que ce n'est pas une hypothèse que vous envisagez mais combien d'hommes seraient nécessaires pour détruire Daech au sol ?

M. Gilbert Roger. - Je ne crois pas avoir entendu les sénateurs de cette commission dire autre chose que leur confiance et leur soutien à nos armées. J'aimerais que la réciproque fût totalement vérifiée : or des militaires retraités critiquent sans cesse la politique menée ! Avez-vous compétence et qualité pour les rappeler à l'ordre ? Je regrette l'absence de relations entre mon département et l'armée : ne pourrait-on pas relancer des opérations de recrutement au niveau départemental ? Enfin, l'actualisation de la programmation militaire est tout de même appréciable si on la compare à une RGPP qui « tirait à vue » sur les effectifs.

Mme Bariza Khiari. - Je souscris à l'hommage qui est rendu à nos forces armées et aux forces de sécurité et je partage vos interrogations et réflexions sur l'importance de la sémantique et du choix des mots. Il faut à l'évidence une adéquation entre l'expression « nous sommes en guerre » et notre mode de vie. Compte tenu de la cible des attentats (le sport, la jeunesse, les loisirs, les restaurants, le Bataclan, la convivialité), observez-vous depuis vendredi un surcroît d'intérêt pour l'armée chez les jeunes ? Cela pourrait être intéressant pour une jeunesse qui, souvent, voudrait vivre une citoyenneté plus active.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je vous avais déjà interrogé sur la réserve au mois de Juin, et en particulier sur l'utilisation des réserves citoyennes. Quand vous parlez de l'horizon 2019, cela me semble trop loin. Nous avions rédigé, mon collègue Michel Boutant et moi-même, un rapport sur la création d'une réserve nationale de sécurité mobilisable en cas de crise majeure. Nous pressentions déjà ce qui allait se passer. Les décrets d'application de la loi du 28 juillet 2011 sont toujours en cours d'élaboration ; je crois qu'il est à présent nécessaire d'accélérer : nous avons besoin de cette réserve, notamment en matière de cybersécurité. La réserve citoyenne serait certes un peu plus facile à mettre en place parce que la question de la relation avec les employeurs ne se pose pas.

Général Pierre de Villiers. - Sur le sujet du maintien en condition opérationnelle, je pense qu'a été rétablie une forme de cohérence grâce aux 500 millions d'euros que nous avons obtenus, dans le cadre de l'actualisation de la loi de programmation militaire, en faveur de l'entretien programmé des matériels. S'il advenait que l'emploi des matériels augmente, ce format ne serait bien sûr plus adapté. Si les missions augmentent, les moyens doivent augmenter aussi, c'est mécanique, je ne ferai pas croire, je ne sais pas faire croire, à mes soldats et aux armées, qu'on fera plus avec moins. En revanche, si le format des missions tel qu'il a été décrit dans le cadre de l'adoption de la LPM actualisée est respecté, nos armées ont les moyens de leurs missions. Cela dit, nous sommes en tension permanente et, si vous voulez bien me passer l'expression « le costume est taillé au plus juste ». Bien sûr, il faut faire la part entre ce qui est la réaction du Français « gaulois » qui est rarement content - c'est quand même une de nos caractéristiques, et le génie français passe aussi par là - et la réalité de l'acuité du problème. Oui, le costume est taillé au plus juste. Nous ne devons pas être en deçà de la limite acceptable, pour que les militaires puissent s'entraîner, voler, naviguer et faire leurs heures sur le terrain. Reconsidérer les moyens à hauteur de nos missions, c'est précisément ce que nous devons faire dans le PLF 2016.

Dans cette problématique d'augmentation des crédits, se pose la question de ceux dédiés au MCO-aéronautique dont le SIAé est un acteur essentiel, sur lequel a été appelée votre attention. Je connais les évolutions démographiques que vous annoncez et qui vont caractériser le SIAé. Nous vivons dans une société anxiogène et c'est souvent l'aspect inquiétant des évolutions qui est mis en avant. Je m'attache à lutter contre cela et tente d'apporter aux gens une espérance, des certitudes, un cap auquel ils peuvent se raccrocher.

Vous avez raison d'évoquer ici le personnel civil. Je suis toutes les semaines en déplacement, en homme de terrain. Mon métier de chef d'état-major des armées n'est pas une tâche bureaucratique et je me dois de connaître nos armées. Je sais quelle force nous apporte le personnel civil. Ils n'ont pas le même statut que les militaires, ni le même métier. Cela n'empêche pas que leur disponibilité est exceptionnelle dans ces crises. J'en ai de multiples exemples. Pour nos armées, les effectifs civils sont capitaux et je l'ai toujours souligné, il n'y a pas les personnels civils d'un côté et les militaires de l'autre, il y a une communauté soudée qui sert au sein des armées, directions et services. Le dévouement pour la France est commun aux civils et aux militaires, il est remarquable, et c'est un formidable vecteur d'espérance.

Concernant la réunion des ministres de la défense européens, je n'ai encore d'éléments de réponse. Ce que je peux vous dire, c'est que le modèle d'armée que je vous ai présenté implique une coopération internationale, et a fortiori européenne. Je déplore la baisse des dépenses militaires de défense dans la plupart des pays européens. Pour l'heure, très peu de pays participent aux frappes en Syrie contre Daesh : principalement les États-Unis et la France. J'espère que l'élan suscité par les récents attentats va favoriser une prise de conscience et que d'autres pays européens vont venir combattre sur les mêmes fronts que nous. Concernant Sentinelle, je fais preuve de pragmatisme. Ainsi, les 3 000 soldats supplémentaires récemment mobilisés sont orientés prioritairement vers des actions mobiles et de surveillance de zone, en concertation avec le ministère de l'intérieur. Dès la mise en place du dispositif après les attentats de janvier 2015, nous avions pressenti que Sentinelle ne pouvait être le simple prolongement de Vigipirate, qu'un dispositif figé ne convenait pas au regard des circonstances actuelles. Nous avons déjà adapté notre dispositif à Paris, où se concentrent 50 % des effectifs de Sentinelle, en réduisant d'une vingtaine à trois le nombre de commandements. Trois chefs de corps commandent chacun un groupement tactique interarmes (GTIA), comme en OPEX, et ça fonctionne ! Avant-hier je suis allé rendre visite au chef de corps de Vincennes, qui commande 2 200 hommes. Certes, on peut regretter que la doctrine ne soit pas encore prête. Le volet juridique est complexe parce que ce n'est pas le droit de la guerre qui s'applique mais la légitime défense. Il faut du temps pour examiner toutes les questions juridiques qui se posent. Mais la démarche conduite, qui réunit les différents acteurs interministériels et fait émerger entre eux une vraie synergie, est très positive.

S'agissant du chiffrage des troupes au sol qui seraient nécessaires en Syrie, je ne peux pas vous en donner d'estimation. L'important est de savoir que les bombardements ne peuvent être efficaces sans une action au sol et que celle-ci ne peut être coordonnée sans un effort diplomatique et politique permettant de rassembler tous les acteurs autour de la table. Ça se fait plus ou moins bien en Irak où un nombre croissant de milices sunnites se joignent aux chiites pour combattre aux côtés de l'armée irakienne. Mais ce n'est pas très facile.

Résoudre le problème en Syrie prendra des années en l'absence d'un accord politique fort. On ne forme pas des soldats comme ça, surtout face à Daesh. Nous avons en face de nous des gens complètement fanatisés, capables d'actes d'une barbarie inconcevable et qui cherchent à inspirer la peur.

Le lien armée-nation est fondamental. J'ai confiance en nos soldats qui sont exceptionnels. Je suis fier du modèle social militaire. Je ne sais pas s'il y a beaucoup d'institutions qui autorisent la promotion d'un deuxième classe jusqu'au grade de général, qui autorisent une ascension sociale aussi exceptionnelle, qui placent le souci de l'autre au centre de leur action et qui font de l'humanité dans le style de commandement un élément essentiel. Tout n'est certes pas parfait mais j'essaie modestement de garder ce cap. Nous avons des soldats extraordinaires. Il faut les écouter, il faut les entendre. N'ayant ni syndicats ni aucun contre-pouvoir de ce type, le commandement doit être parfaitement en prise avec les soldats. J'ai la faiblesse de penser que les trois chefs d'état-major et que les cinq directeurs des services le sont. Au sommet, nous essayons modestement d'entretenir une synergie profonde entre ceux qui donnent les ordres et ceux qui les exécutent, avec entre les deux un corps des sous-officiers absolument exceptionnel. Je termine sur une note optimiste en disant que nous avons de belles armées. Je suis fier de cette jeunesse, je suis fier de ce qu'elle fait. Nous gagnerons ce combat contre les groupes armés terroristes. Je vous l'ai dit et j'en suis persuadé. Nous le gagnerons parce que nous avons une nation derrière nous, un peuple debout. Et je le sens aujourd'hui vraiment. Pas seulement au travers de la représentation parlementaire mais aussi au travers de mes déplacements, de ce que je lis et de ce que j'entends. Et cela c'est peut-être ce qu'il y a de plus beau. De toute difficulté peut surgir un bien. La France peut en sortir grandie.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Comme tous les Français, nous allons applaudir nos soldats.

Applaudissements

La réunion est levée à 12 h 30