Mercredi 9 mars 2016

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 10

Mise en oeuvre des recommandations du projet BEPS (« Base Erosion and Profit Shifting », érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices) - Audition de M. Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE

La commission entend tout d'abord M. Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, sur la mise en oeuvre des recommandations du projet BEPS (« Base Erosion and Profit Shifting », érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices).

Mme Michèle André, présidente. - Nous entendons Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, pour évoquer une question majeure : la lutte contre l'érosion des bases fiscales et le transfert abusif de bénéfices par les entreprises multinationales. En anglais, cela tient en un acronyme dont nous sommes maintenant familiers : « BEPS » (Base Erosion and Profit Shifting).

La commission des finances est depuis longtemps attentive à ce sujet, et ce n'est d'ailleurs pas la première fois que nous avons le plaisir de recevoir Pascal Saint-Amans. Nous avons organisé, le 1er juillet dernier, une audition sur la diplomatie fiscale de la France en faveur de ses entreprises. Le projet BEPS est plus que jamais d'actualité : hier, le Conseil de l'Union européenne a approuvé deux nouvelles propositions de directives, qui visent à mettre en oeuvre, au niveau européen, certaines de ses recommandations, que nous devrons ensuite transposer.

Seulement voilà, les mesures proposées par la Commission européenne ne correspondent pas exactement aux préconisations de l'OCDE, approuvées par les chefs d'État et de Gouvernement du G20 en novembre dernier. Pour certains, l'Union européenne va trop loin, trop vite. Pour d'autres, elle manque d'ambition, sinon de vision. Peut-être ce premier paradoxe pourra-t-il servir de point de départ à votre propos introductif.

M. Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE. - Pourquoi le paquet de mesures fiscales connu sous le nom de BEPS a-t-il été lancé ? Où en est-il ? Quels enjeux emporte-t-il, notamment en termes de transposition en droit interne par les parlements nationaux ? Telles sont les trois questions auxquelles je m'efforcerai de répondre.

On sait les progrès enregistrés, dans le cadre du G20, en matière de lutte contre les paradis fiscaux, avec le pas important qu'a représenté, s'agissant de la levée du secret bancaire, l'échange automatique d'informations, qui devrait voir le jour entre 2017 et 2018. C'est à la suite de ces avancées qu'ont été lancés, dans le même cadre, les travaux sur le projet BEPS. Le fait que, par des artifices juridiques, des entreprises multinationales puissent disjoindre à leur gré la localisation de leurs activités et celle de leurs profits, mis à l'abri dans des juridictions dépourvues de fiscalité, voire qu'elles y soient encouragées par les législations en vigueur, témoigne d'une défaillance des règles internationales. Cet état de fait peut s'expliquer par la réticence des États, souverains en matière fiscale, à s'engager dans une démarche internationale. Mais avec la globalisation de l'économie, le hiatus devenait trop important entre des entreprises globales, à même de décider facilement du lieu où elles localisent leurs profits, et des souverainetés locales mal équipées pour parer à de telles pratiques.

Nous avons donc proposé au G20 de s'attaquer à ce chantier, non pas en s'en prenant à chaque schéma d'optimisation fiscale, toujours renouvelés - nous en avons identifié pas moins de 450 -, mais en s'attaquant aux racines du mal, selon un programme ambitieux. Quinze mesures, qui s'articulent en trois volets, ont été retenues. Elles doivent être mises en place à l'horizon de deux années, horizon qui est celui de la politique.

Le premier volet du projet BEPS vise à faire en sorte que les pays interagissent, au lieu de s'ignorer. C'est notamment l'enjeu des produits hybrides : si ceux-ci peuvent être utilisés à des fins fiscales, c'est bien parce qu'une telle interaction fait défaut. Un exemple type est celui d'une une entreprise qui consent un prêt à sa propre filiale, laquelle lui verse un intérêt : dans un pays, celui-ci vient en déduction des charges et donc en réduction du profit ; dans l'autre pays, il est regardé comme une action, laquelle reçoit un dividende exonéré d'impôt. C'est ainsi que les entreprises obtiennent artificiellement une double non-imposition. Quatre mesures sont prévues pour remédier à de telles pratiques. La première vise à renforcer les dispositifs anti-abus tels que celui prévu, en France, à l'article 209 B du code général des impôts. La deuxième tend à développer une législation, dont nous avons produit le modèle, destinée à mettre fin aux produits hybrides : le traitement fiscal d'un revenu doit aussi dépendre de la façon dont le revenu a été traité fiscalement dans le pays source. La troisième vise à limiter la déduction des intérêts : s'il est légitime qu'une entreprise déduise ses intérêts, tel n'est plus le cas lorsqu'une multinationale prête massivement de l'argent à ses filiales, dont les intérêts sont reversés à une centrale de trésorerie localisée en Irlande, au Luxembourg ou ailleurs, dans des juridictions où les revenus ne sont pas taxés - au point que certaines entreprises parviennent à déduire avec cette méthode artificielle des montants largement supérieurs à ceux qu'elles déduisent au titre de leurs emprunts « extérieurs ». La quatrième, enfin, vise à lutter contre les mesures fiscales dommageables. Si la compétition fiscale est une réalité incontournable, il est clair que certains régimes fiscaux, faits pour attirer les bénéfices indépendamment des activités qui les soutiennent, vont trop loin - je pense notamment à l'opacité des rescrits fiscaux et aux « patent boxes », ou « boîtes à brevet », conçues pour attirer des revenus qui n'ont pas été générés localement. Voilà pour le premier volet.

Le deuxième volet du projet BEPS est relatif aux conventions fiscales internationales. Il s'agit de remédier à l'abus des traités. Certaines entreprises, au lieu d'appliquer, par exemple, la convention entre la France et l'Inde, transitent par l'île Maurice, ce qui leur permet de ne payer d'impôt nulle part. Il s'agit également de revoir la définition de l'établissement stable, qui permet d'imposer dans un État une entreprise d'un autre État. Il s'agit enfin de modifier les règles relatives aux prix de transfert, un domaine qui relève de l'interprétation de l'article 9 des conventions fiscales où est prévu le « principe de pleine concurrence ». Or, une interprétation beaucoup plus juridique qu'économique des prix de transfert a abouti à ce que des profits soient abrités dans des cash boxes localisées dans des paradis fiscaux : 2 100 milliards de dollars de profits cumulés de sociétés américaines seraient, par cet artifice, localisés aux Bermudes et aux Îles Caïman.

Le troisième volet du projet BEPS concerne la transparence, sous trois registres. Transparence sur l'impôt, en premier lieu. Le fait est que l'on ignore le montant de l'impôt payé par les multinationales. Parmi les actions prévues sur ce volet, l'une est ainsi destinée à mesurer l'ampleur de l'érosion des bases et des transferts de bénéfices - entre 100 milliards d'euros et 250 milliards d'euros s'évaporent chaque année. Nous avons retenu une approche économique, dotée d'indicateurs, qui nous permettra de suivre ce phénomène.

Transparence, en deuxième lieu, des entreprises vis-à-vis de l'administration fiscale. Nous proposons un système de reporting pays par pays, qui obligera les entreprises à fournir un certain nombre d'informations aux administrations fiscales : quel est leur chiffre d'affaires et où est-il localisé ? Quels sont leurs profits et où sont-ils localisés ? Où sont acquittés leurs impôts et pour quel montant ? Où sont localisés leurs employés ? Où se trouvent leurs actifs ? S'y ajoutent des déclarations de montages qui pourraient être rendues obligatoires - à cet égard, le Parlement français a mené à plusieurs reprises une tentative en ce sens, censurée par le Conseil constitutionnel. Les meilleures pratiques des pays de l'OCDE pourraient permettre d'élaborer un texte assez lisible, dont la constitutionnalité serait garantie.

Transparence, en troisième lieu, au travers de trois mesures horizontales. La première vise à mesurer les enjeux et les défis de la numérisation de l'économie ; la deuxième vise à améliorer la transparence des administrations fiscales vis-à-vis des contribuables, avec l'amélioration des procédures amiables ; la troisième, enfin, une prévoit l'élaboration d'une convention fiscale multilatérale, bien entendu soumise à ratification des parlements, destinée à vise à éviter les délais qu'exigerait la modification des quelques 3 500 conventions fiscales existantes.

Tel est le projet BEPS, présenté par des pays qui représentent 90 % de l'économie mondiale - tous les pays de l'OCDE auxquels s'ajoutent les huit pays du G20 qui n'en sont pas membres - et « endossé » par les pays du G20 à Antalya en novembre 2015. Nous en sommes aujourd'hui à la phase d'application. Il revient aux gouvernements de saisir les parlements nationaux pour transposer en droit interne certains aspects de ces accords, sachant que quatre standards minimaux doivent être appliqués : fin des pratiques fiscales dommageables ; fin de l'abus des traités ; amélioration des procédures amiables ; reporting pays par pays - la France ayant déjà une longueur d'avance. Nous sommes en train de mettre en place un cadre pour assurer la vérification de l'application de ces mesures, mais aussi du paquet BEPS dans son ensemble. Enfin, il est prévu une application inclusive, pour s'assurer que tous les paradis fiscaux rejoignent bien ce cadre. Car si l'on met fin au « treaty shopping », au chalandage aux Pays-Bas ou en Belgique, il faudra aussi qu'il y soit mis fin à l'Île Maurice, à Hong Kong et ailleurs. Application inclusive, aussi, dans les pays en voie de développement, qui souffrent plus encore que les autres de ces pratiques, parce que l'impôt sur le revenu des sociétés y est, relativement parlant, plus important encore. Ce cadre inclusif que le G20 nous a demandé de développer a été présenté à Shanghai la semaine dernière et sera mis en place avant la fin du mois de juin - nous espérons réunir 80 à 100 pays autour de la table pour en discuter.

Au sein de l'Union européenne la règle, en matière fiscale, est l'unanimité, si bien qu'il est extrêmement difficile d'avancer. Les tentatives d'harmonisation ont plus ou moins échoué - sauf en matière de TVA, et à grand peine. Alors que les vingt-huit États membres sont pour la plupart - mais pas tous - membres de l'OCDE, l'Union européenne a retenu une approche utile et intelligente, consistant à transposer de manière harmonisée les mesures de BEPS en droit communautaire, pour une mise en oeuvre plus rapide.

Elle l'avait déjà fait avec la directive sur les rescrits fiscaux, ou tax rulings : celle-ci a été adoptée, ce qui est un record, en quelques mois. Elle prévoit l'échange automatique de ces informations, lorsqu'une décision fiscale individuelle dans un pays peut avoir un impact sur la base taxable d'un autre pays - ce qui est parfaitement aligné sur l'action 5 de du projet BEPS présentée aux chefs d'Etat et de Gouvernement à Brisbane en 2014.

Puis, il y a quelques semaines, la Commission européenne a proposé un paquet de mesures globalement alignées sur nos travaux. Hier, le conseil Ecofin a adopté une la proposition de directive visant à transposer le reporting pays par pays, ainsi que la proposition de directive comportant trois mesures liées au projet BEPS et trois autres liées à l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS). On relève certes quelques petites différences s'agissant des trois mesures de BEPS, sur les produits hybrides, les dispositifs anti-abus touchant aux sociétés étrangères contrôlées et la limitation des intérêts, mais celles-ci ne sont pas fondamentales. Au-delà des propositions de directive, la Commission européenne a émis une recommandation pour l'application des mesures BEPS relatives aux traités fiscaux. En bref, on avance bien dans la même direction. Je crois que la Commission européenne a compris qu'il ne fallait pas réinventer la roue pour aller de l'avant, mais plutôt s'aligner sur ce qui a fait l'objet d'un accord dans une enceinte à laquelle la plupart de ses États membres appartiennent - certes, des États comme Malte et Chypre sont animés par une autre sensibilité, mais ne sont guère en mesure, sur ces sujets, de bloquer l'Union européenne.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je salue l'engagement de Pascal Saint-Amans sur des sujets qui ont connu des avancées considérables, inimaginables il y a encore quelques années. Le Sénat, lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2015, a engagé un débat sur la publicité du reporting pays par pays. Nous étions une majorité à considérer qu'il ne fallait pas rendre ces déclarations publiques, et le Conseil constitutionnel a d'ailleurs confirmé que l'article 121 de la loi de finances pour 2016 était conforme à la Constitution dès lors que ces éléments n'étaient pas rendus publics. Or on constate aujourd'hui, d'après les déclarations récentes du secrétaire d'État chargé du budget, Christian Eckert, que le Gouvernement est prêt à faire évoluer sa position. D'où ma question : considérez-vous que la transposition des mesures de BEPS doit prévoir une telle publicité, ce qui pourrait poser des difficultés dans un certain nombre de pays ?

Les sociétés qui réalisent d'importants bénéfices sont pour beaucoup américaines. Or, les Etats-Unis ont certes souscrit au projet BEPS, mais en formulant des réserves importantes. Ils ne se sont pas engagés, en particulier, sur le reporting pays par pays. Comment, dans ces circonstances, éviter l'optimisation fiscale internationale ?

La commission des finances du Sénat a beaucoup travaillé sur l'économie numérique. Un groupe de travail s'est penché sur la question de la fraude à la TVA, et sur celle de l'économie dite « collaborative », ces plateformes qui tirent un profit de la mise en relation des particuliers - lesquels deviennent parfois des professionnels. Ces géants mondiaux n'ont pas leur siège dans les pays où ils opèrent, comme la France. Est-il prévu d'avancer sur cette question et qu'en est-il, notamment, du concept d'« établissement stable virtuel », qui est sans doute le moyen de faire avancer les choses ? En cette matière, nous attendons beaucoup de l'OCDE, dont l'impulsion a été réelle, et a permis de faire évoluer les choses à grands pas.

Mme Michèle André, présidente. - Vous insistez sur la nécessité d'éviter les mesures unilatérales. Mais certaines entreprises nous font savoir qu'elles se voient imposer des redressements par des pays comme la Chine, l'Inde ou le Brésil. Nous constatons, d'autre part, que l'initiative unilatérale d'un grand pays a fait ses preuves : c'est la loi FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) adoptée par les États-Unis en 2010. Des mesures fortes prises par quelques grands pays européens ne seraient-elles pas préférables à un instrument multilatéral nécessairement plus faible, car exigeant un consensus ?

Que proposez-vous, par ailleurs, pour assurer le suivi effectif de la mise en oeuvre des mesures du plan BEPS ? Le mécanisme d'examen par les pairs, via le Forum fiscal mondial peut-il suffire ? Ne faudra-t-il pas, à terme, envisager des sanctions ?

M. Pascal Saint-Amans. - Sur la publicité du reporting pays par pays, il y a manifestement débat, et pas seulement en France. Voici le mécanisme prévu par l'OCDE : les entreprises multinationales dont le chiffre d'affaires est supérieur à 750 millions d'euros par an devront, à compter de 2017, déclarer aux administrations fiscales de leur État de résidence, sur leurs comptes 2016, pour chaque pays dans lesquelles elles opèrent, sept informations différentes : chiffre d'affaires, bénéfice, impôt, employés etc. Les négociations sur cet accord ont duré un an, certains pays, sièges de multinationales grandes exportatrices de capitaux, comme les États-Unis, le Japon, l'Allemagne, s'étant montrés réticents ; inversement, certains pays émergents souhaitaient que les éléments d'information soient beaucoup plus fournis et aillent jusqu'à cinquante. Le compromis auquel nous sommes parvenus, loin de vider le projet de son contenu, apporte, à mon sens, une information significative. À mes yeux, ceux qui demandaient beaucoup plus d'éléments avaient tort. Ce qui importe, c'est de comprendre, grâce à un schéma simple et puissant, où sont les profits, où sont les activités, où sont acquittés les impôts et pour quels montants. Nous disposons là d'un instrument extrêmement utile et ce n'est pas en ajoutant cinquante éléments supplémentaires, sur les redevances, sur les intérêts et j'en passe, que l'on aura une vision globale de la planification fiscale des entreprises.

Ensuite, il a fallu une autre année pour trouver un accord sur le mécanisme par lequel ces informations atteindraient les administrations fiscales. Initialement, nous avions prévu que la déclaration se fasse dans tous les pays où la société opère. Mais certains pays ont insisté pour obtenir quelques garanties quant à la confidentialité de ces informations, et donc pour que la déclaration soit faite dans l'État du siège, charge à lui de la transmettre, via les accords d'échange d'information, aux pays où sont établis des filiales. Il s'agit également de garantir par là une bonne utilisation de l'information : elle n'est pas faite pour effectuer des redressements fiscaux mais pour comprendre ce qui se passe et évaluer les risques afin que l'administration fiscale opère, sur cette base, les contrôles adéquats.

Avec le reporting pays par pays tel que nous l'avons conçu, les entreprises vont ainsi révéler quelles sont respectivement leurs marges dans le pays A et dans le pays B. Il demeure certes un petit risque, celui que l'administration du pays A, où la marge serait de 10 % alors qu'elle est de 15 % dans le pays B, estime que 5 % lui sont soustraits et opère un redressement dans cette proportion, alors même que cette différence peut ne pas tenir à la planification fiscale mais à des conditions de marché différentes - l'entreprise pouvant se heurter à un compétiteur dans un pays et pas dans l'autre. On comprend par-là la nervosité des pays sur la transparence. D'où ce mécanisme assez complexe d'échange de renseignements. Trente pays ont signé, dès janvier, des accords exécutifs s'appuyant sur la convention multilatérale.

Cette solution est-elle satisfaisante pour le public ? La réponse est non. Les journalistes, les parlementaires, les observateurs aimeraient disposer de ces informations. C'est une question sur laquelle je reste agnostique, mon travail consistant à mettre en application un accord qui a fait l'objet d'un compromis à l'OCDE. Mais il se trouve que de petits pays en voie de développement, et aussi des grands pays, ne peuvent pas s'échanger d'informations extraterritoriales, pour des raisons constitutionnelles. On ne peut pas, par exemple, demander à une filiale américaine en France de fournir des informations sur les relations entre sa filiale à Hong Kong et sa filiale en Chine. C'est pourquoi il faut au moins pouvoir vérifier ces informations avec les pays de siège. Or ceux-ci, au premier rang desquels les États-Unis, l'Allemagne et le Japon, sont plutôt réticents et se sont montrés disposés à transmettre ces informations sous de strictes conditions : il était préférable de satisfaire cette exigence. On ne peut pas risquer de voir les administrations fiscales privées de telles informations au motif que la transparence n'est pas assurée pour le public. D'où cet accord de compromis, que certains peuvent juger frustrant, mais qui garantit que dès 2017, l'information sera échangée et que l'on disposera ainsi du « portrait » des sociétés. Ce qui importe à mon sens plus que tout, c'est que les principaux pays de siège s'engagent bien dans l'échange de renseignement.

Ceci m'amène à votre question sur la position des États-Unis. Il n'est pas vrai de dire, comme le laissent entendre certaines entreprises ou groupements d'entreprises - par exemple une association de très grandes entreprises françaises cotées - que les États-Unis ne veulent pas s'engager. Comme l'a clairement dit le président Barack Obama à Antalya en novembre 2015, et comme l'a répété le secrétaire au Trésor Jack Lew, à Shanghai il y a une dizaine de jours, les États-Unis vont appliquer le reporting pays par pays dès 2017. La seule difficulté tient à ce que la déclaration portera sur les comptes à compter du juillet 2016, soit un retard de six mois. Contrairement à ce qui a pu être dit, c'est une prérogative qui ne relève pas du Congrès mais de l'administration. Comme l'a rappelé Bob Stack, en charge du dossier au département du Trésor, celle-ci peut procéder par régulations. Elles sont en cours de consultation publique, et seront adoptées avant le 1er juillet. J'ajoute que l'OCDE, pour remédier à ce décalage de six mois, négocie avec les entreprises américaines qui souhaitent éviter de rencontrer des problèmes avec les administrations fiscales de certains pays, pour les engager à utiliser un mécanisme secondaire prévu dans le reporting et qui veut que si l'État de siège ne demande pas l'information, l'entreprise puisse volontairement la remplir dans un État où elle possède une filiale. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont déjà indiqué publiquement qu'ils accepteraient que ces informations volontaires soient remplies chez eux et qu'elles seraient échangées avec tous les pays avec lesquels ils ont passé une convention d'assistance administrative. En résumé, les États-Unis ne sont nullement désengagés du plan BEPS, y compris s'agissant des nouvelles règles relatives aux prix de transfert.

Cela dit, malgré les avancées considérables réalisées en matière de coopération fiscale, nous ne sommes pas à l'abri d'une guerre fiscale larvée ou ouverte entre l'Europe et les États-Unis. Comme agent de la diplomatie multilatérale, je me garderai de vous conseiller d'aller vers une telle guerre, dont tout le monde sortirait perdant. La coopération permet d'associer les États-Unis, où la situation politique interne pourrait se révéler un peu complexe - réponse à la fin de l'année - dans un dialogue non seulement avec l'Union européenne mais aussi avec le G20. D'où l'intérêt, me semble-t-il, d'essayer de limiter le caractère unilatéral de telles mesures, en faisant en sorte que les décisions souveraines des États en la matière soient aussi proches que possibles d'un accord international, afin de limiter les risques de frottement.

J'en viens à l'économie numérique. La TVA fait partie du plan BEPS : dans le cadre de l'action 1, plus de cent pays - ceux du G20, ceux de l'OCDE ainsi que de nombreux pays en voie de développement - se sont mis d'accord sur le principe d'une taxation à la destination. Celle-ci permet, par exemple, que pour le téléchargement d'une application en France, la TVA soit payée en France. Ceci est cohérent avec l'approche retenue par l'Union européenne. L'objectif est de faire en sorte que l'entreprise américaine ou chinoise qui vend en France dispose, dans ce pays, d'un représentant fiscal chargé de déclarer et de collecter la TVA. Un accord clair a été passé entre les pays signataires : c'est une mesure concrète.

Le groupe technique chargé de suivre les évolutions de l'économie numérique poursuit ses travaux. Il lui reviendra de mesurer l'impact des changements fondamentaux suscités par la numérisation de l'économie, qui exacerbe l'érosion des bases fiscales. Le rapport considère que la notion d'établissement stable numérique ne suffit pas à répondre aux enjeux : nous ne sommes pas face à un secteur numérique circonscrit, c'est bien plutôt à une « numérisation de l'économie » que l'on assiste, d'où la nécessité d'une approche globale.

En conclusion, le dialogue doit se poursuivre, avec l'ensemble des pays de l'OCDE et du G20, les pays en voie de développement et tous pays à la fiscalité favorable, pour s'assurer de la bonne application du plan. Il est prévu un système d'examen par les pairs sur les quatre standards minimaux, ainsi qu'un système de monitoring sur l'ensemble des autres mesures. La première réunion de ce groupe se tiendra à Kyoto les 30 juin et 1er juillet prochains, et l'on espère la participation de 80 à 100 pays pour se mettre d'accord sur des termes de référence et des méthodologies, mettre en place l'examen par les pairs et faire en sorte qu'il concerne tous les pays. Il s'agit de « niveler le terrain de jeu » - level the playing field -, c'est-à-dire de faire en sorte que l'ensemble des acteurs se trouve sur un pied d'égalité en matière de concurrence, en évitant que certaines juridictions échappent au contrôle international.

M. Michel Bouvard. - Je vous remercie pour votre analyse et pour le travail accompli. Vous avez indiqué que l'évasion fiscale représente entre 100 milliards de dollars et 250 milliards de dollars. Certains secteurs d'activité sont-ils plus concernés que d'autres ? Certaines zones géographiques ? Avez-vous observé des mutations au cours des années écoulées ?

Les positions de l'Union européenne sur la question ne sont pas toujours homogènes, ainsi qu'en témoigne le tropisme britannique prononcé en faveur des petits États comme Malte ou Chypre. Y a-t-il du moins cohérence des positions au sein de la zone euro, qui est aujourd'hui le coeur du réacteur européen ?

Comment s'assurer de la fiabilité des déclarations pays par pays ? Quand on voit ce qu'il en est, en France, sur le seul sujet de la sincérité de la répartition par établissement de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), on mesure, sur le sujet bien plus complexe qui nous occupe, combien de questions se posent. Disposez-vous de moyens de contrôle ?

À partir de quand, enfin, les pays lésés par l'érosion de leurs bases d'imposition pourront-ils espérer un retour en termes de recettes fiscales ?

M. Jacques Chiron. - Je remercie Pascal Saint-Amans pour les travaux qu'il mène au sein de l'OCDE, injustement critiqués dans la presse alors qu'ils ont produit, en très peu de temps, des résultats considérables.

J'ai bien compris les avancées de l'action 1 sur l'économie numérique. Mais ainsi que le faisait valoir la présidente Michèle André, les mesures unilatérales, telles que celles qu'ont prises les États-Unis, ont fait bouger les lignes beaucoup plus vite. Le principe de l'expérimentation n'est-il pas, en matière numérique, une voie intéressante ? Je pense notamment à l'expérience de paiement à la source de la TVA qui a été menée en Italie sur les marchés publics, et qui a bien fonctionné. En taxant les flux - sur lesquels repose l'économie numérique - plutôt que les biens, on peut de surcroît tirer des enseignements précieux quant à la fiabilité des déclarations. Quand on connait la TVA qu'acquitte une entreprise, on peut avoir une idée son chiffre d'affaires.

M. Bernard Lalande. - Existe-t-il, à l'échelle mondiale, un « livre noir » de l'optimisation fiscale ? On sait combien les fiscalistes sont créatifs en la matière, et combien sont puissants les groupes internationaux dont le lobbying va jusqu'à infléchir la fiscalité des États. Quelles sont les obligations des États, à l'égard de l'OCDE, en termes d'information sur les évolutions de leurs règles fiscales ? A défaut de jouer un rôle de gendarme, aurez-vous du moins un rôle de contrôle une fois le plan BEPS mis en place ?

M. André Gattolin. - La qualité de cet exposé témoigne de celle des travaux que vous menez dans le cadre de l'OCDE. Vous avez indiqué qu'il existe plus de 3 000 conventions fiscales bilatérales ; ces conventions intéressent au premier chef le législateur que nous sommes, puisqu'elles sont soumises à l'examen du Parlement - au Sénat, elles sont renvoyées à juste titre à la commission des finances, ce qui n'est pas le cas à l'Assemblée nationale. À chaque fois, on nous explique que tels ou tels intérêts français justifient qu'on leur appose telle ou telle rustine. Mais ces conventions juxtaposées construisent un droit fiscal dont nous ne pouvons pas avoir une vision globale. Un observatoire d'analyse à l'échelle de l'OCDE ne serait-il pas utile pour la construire ?

La directive sur le secret des affaires, en cours d'élaboration, n'est-elle pas susceptible, selon l'interprétation retenue, d'entamer, à terme, la volonté de transparence ? Quelle est, à ce sujet, la position de l'OCDE ?

M. Charles Guené. - Le projet BEPS a pour ambition de poser les fondations d'un cadre modernisé pour la fiscalité internationale, afin que l'impôt soit prélevé là où la valeur est créée. Cette vision n'est-elle pas trop ambitieuse ? En réalité, le projet BEPS vient avant tout combler certaines failles du droit fiscal. Envisagez-vous, pour une refondation véritable, de travailler avec le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, ou encore l'Organisation des Nations Unies (ONU) ?

D'après l'OCDE, les pays en voie de développement sont les premières victimes de la planification fiscale agressive des multinationales. Or, il nous semble que le rapport de force évolue, en défaveur des pays développés. N'y a-t-il pas, à cet égard, une part de naïveté dans la démarche d'un pays comme la France ? À l'inverse, le FMI estime que le projet BEPS ne va pas assez loin en faveur des pays émergents. Que faut-il en penser ?

M. François Marc. - Les évolutions récentes sont considérables, et l'on peut s'en féliciter. Il y a quelques années, le scepticisme quant aux chances d'aboutissement du projet était encore marqué. Pourtant, l'OCDE a bien travaillé, et le G20 a validé, à Antalya, le dispositif proposé. Nous sommes donc sur la bonne voie.

Je m'interroge sur les actions 8 à 10. Le commerce mondial tend à stagner tandis que le commerce intra-groupe s'accroît, laissant penser que l'exploitation des prix de transfert altère sans doute les modalités de recouvrement de la fiscalité. Les actions 8 à 10 visent ainsi à aligner les prix de transfert sur la création de valeur : l'action 8 vise à agir sur les actifs incorporels, cependant difficiles à évaluer, l'action 9 sur l'allocation des risques, l'action 10 sur les règles relatives à certaines transactions spécifiques. On touche là au coeur du réacteur du modèle capitaliste. Les entreprises ne jouent-elles pas précisément, dans leur recherche de stratégies gagnantes contre la concurrence, sur la répartition des risques, sur l'optimisation de transactions spécifiques et sur le levier des actifs incorporels ? Votre projet ne vient-il pas limiter les conditions de la concurrence mondiale entre les entreprises ?

M. Éric Bocquet. - Les travaux de l'OCDE font avancer les choses dans un domaine où il est urgent d'agir. Je m'interroge, cependant, sur le reporting pays par pays. Le commissaire européen chargé de la fiscalité, Pierre Moscovici, a déclaré en février dernier qu'il souhaitait la publicité, pour répondre à une attente citoyenne irrésistible. Je partage ce constat et suis partisan d'une transparence qui ne se limite pas aux échanges entre administrations fiscales et entreprises, car il s'agit d'une affaire citoyenne, au sens noble. D'un autre côté, lorsque nous avons examiné, récemment, deux conventions, l'une avec la Suisse, l'autre avec Singapour, le ministre a rappelé les difficultés que posait la publicité. Quant à l'OCDE, elle se dit, par votre voix, agnostique. Ces divergences d'approche ne risquent-elles pas de nuire à l'efficacité de l'action ?

Mme Michèle André, présidente. - Éric Doligé, qui ne pouvait être parmi nous ce matin, aurait sans doute souhaité vous interroger sur les clauses anti-abus introduites dans les conventions fiscales. La France en a introduit dans ses accords récents, par exemple avec la Colombie et Singapour. Entre les clauses générales et les clauses sectorielles, lesquelles sont les plus efficaces ? L'action volontariste de la France en la matière a-t-elle été utile dans le cadre des négociations menées au sein de l'OCDE ?

S'agissant des prix de transfert, que l'action 13 prévoit de documenter, n'est-il pas difficile, pour certains actifs, de trouver des éléments de comparaison ? Que vaut l'algorithme de Google, ou un gisement d'uranium ? Peut-on en savoir plus sur les recommandations de l'OCDE à ce sujet ?

M. Pascal Saint-Amans. - Quand on parle d'évasion fiscale, il faut distinguer trois zones. La première, que je qualifierai de zone blanche, repose sur des schémas légaux : le parlement vote une incitation fiscale, et les entreprises en profitent, sans sortir du cadre de la loi. La zone noire est celle de la fraude. Entre les deux, il y a une zone grise, avec de multiples nuances : elle va de pratiques qui, tout en restant légales, sont contraires à l'esprit qui animait le législateur, jusqu'à l'abus de droit. Or, c'est au juge qu'il revient de trancher s'il y a ou non abus de droit. On se trouve ainsi sur la crête. Bien souvent, les entreprises, tout en agissant dans un cadre légal, pratiquent une planification fiscale agressive.

Quels sont les volumes en cause, et dans quelles zones géographiques ? Le monde des affaires a changé en l'espace de deux ou trois décennies. La création de la chaîne de valeur repose de plus en plus sur les incorporels, plus faciles à délocaliser. L'OCDE est d'ailleurs attaquée aux États-Unis au motif que les recommandations du projet BEPS interdisent désormais à une entreprise qui délocalise ses profits aux Bermudes tout en maintenant ses emplois à Palo Alto en Californie. On nous reproche ainsi de provoquer des pertes d'emplois.

Tous les secteurs sont touchés par la concentration de la valeur sur les incorporels et ce phénomène de planification fiscale agressive, même si les entreprises du numérique ou encore les entreprises pharmaceutiques, où les licences comptent pour beaucoup, sont davantage concernées.

Dans la répartition géographique, plusieurs facteurs entrent en jeu. En premier lieu, plus le niveau de fiscalité globale est élevé, plus les entreprises sont incitées à planifier. Les États-Unis, avec un impôt sur les sociétés fédéral de 35 %, associé à un différé d'impôt sans limite tant que les bénéfices ne sont pas rapatriés, en sont l'illustration parfaite. Si l'on considère que les 2 100 milliards de dollars bloqués aux Bermudes devraient faire l'objet d'une taxation à 35 %, les États-Unis auraient perdu plus de 700 milliards de dollars d'impôt. Les pays européens, entre lesquels la compétition fiscale est forte, sont également concernés.

Y a-t-il une position unique de la zone euro ? Tout ce que l'on peut dire, c'est qu'il y a une position unique de l'ensemble des pays du G20 et de l'OCDE : c'est le projet BEPS. En revanche, des différences de sensibilité persistent. Les positions d'un pays comme l'Irlande ne sont pas totalement alignées sur celles d'un pays comme la France. Mais au cours des dernières années, l'Irlande, le Luxembourg, la Suisse, les Pays-Bas, la Belgique, petites économies ouvertes très concernées par la planification fiscale ont décidé de rejoindre les pays de l'OCDE, comprenant que s'ils ne participaient pas au mouvement, ils feraient l'objet de mesures unilatérales de rétorsion dommageables pour leur économie. C'est en quoi nous avons, à mon sens, engagé une dynamique de changement.

Quelle est la fiabilité des déclarations de reporting pays par pays ? Nous ne sommes pas encore dans la phase du contrôle, nous n'en sommes qu'à espérer qu'elles seront correctement remplies et échangées à l'horizon 2017-2018. Il est vrai qu'il faudra, à un moment, en vérifier la crédibilité. Nous avons laissé beaucoup de flexibilité aux entreprises, par souci de réalisme, ce qui a d'ailleurs été un peu critiqué. Nous n'avons pas cherché à concevoir un système parfait, d'un cartésianisme à la française, qui fonctionnerait à coup sûr. Mais partant de rien, et face aux oppositions fortes des entreprises et aux réticences significatives de certains pays, nous avons privilégié le pragmatisme. Nous avons fixé un seuil assez élevé, de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires, pour voir dans un premier temps ce que ces dispositions donneront avec les grandes entreprises. Nous les avons laissées libres de décider de la façon de consolider leurs comptes - top down ou bottom up - du moment qu'elles fournissaient un reporting pays par pays sur les sept points que j'ai mentionnés. Cela vise à donner une vision du paysage de l'entreprise : ses activités sont-elles localisées en Europe ou en Chine alors que ses profits se trouvent aux Bermudes ?

Quand ces mesures feront-elles sentir leurs effets ? L'action 11 permettra, grâce à des indicateurs précis, de l'évaluer. Ce qui est clair, si j'en crois ce que j'entends des avocats américains ou luxembourgeois, c'est que les choses bougent : plus aucune structure ne se met en place aux Bermudes ; nombreuses sont celles qui sont en cours de démantèlement dans d'autres pays. Bien des entreprises sont en train de changer leurs pratiques, même si certaines, comme les entreprises américaines, poussent de hauts cris en clamant qu'elles vont subir une double imposition - le fait est qu'en cette période de bouleversement, un tel risque n'est pas à exclure, qu'il faudra traiter.

Tout cela ne signifie pas pour autant que 100 à 250 milliards de dollars vont immédiatement rentrer dans les caisses des États. Il y aura assurément un élargissement des bases, mais qui peut se traduire par une diminution des taux. C'est ce que vont faire un certain nombre de pays. Même un pays comme l'Irlande a connu, au cours des derniers mois, une augmentation du rendement de l'impôt sur les sociétés de 30 % ou 40 %, parce que des profits jusqu'à présent localisés aux Bermudes correspondaient à des activités réelles sur son sol. Le temps de la planification fiscale agressive facilitée, acceptée, encouragée par les États est révolu. Les grandes entreprises sont en train de revoir leur modèle d'affaires - ceci pour le plus grand bonheur des entreprises de conseil, auxquelles il est désormais demandé de donner des conseils de conformité, ce qui vaut toujours mieux que d'encourager à l'évasion fiscale.

Faut-il prendre des mesures unilatérales sur l'économie numérique ? C'est une très bonne question. Notre rapport concluait, sur l'action 1, en trois points. En premier lieu, le rapport soulignait qu'il n'y a pas à proprement parler d'économie numérique, et que c'est bien plutôt de numérisation de l'économie qu'il convient de parler. Ce qui engage à éviter les solutions trop ciblées sur un secteur, très vite vouées à l'obsolescence. En deuxième lieu, cependant, le fait que l'économie se numérise accroît les risques d'érosion des bases et de transfert des profits, parce que les incorporels comptent davantage, parce que ces entreprises plus neuves, manquant d'une tradition d'interaction avec les États, sont beaucoup plus agressives dans leur planification, et enfin parce que le secteur, n'étant pas stabilisé, compte de nombreuses entreprises en création, un moment où l'on est un peu en dehors des clous, et donc des normes fiscales. Les mesures du projet BEPS relatives aux prix de transfert et aux conventions fiscales sont précisément faites pour régler le problème. En troisième lieu, le rapport concluait que tout cela ne suffirait pas, mais qu'il n'y avait consensus sur aucune des options en présence. Nous en avons examiné trois : peut-on taxer, ainsi que le recommandait le rapport de Pierre Collin et Nicolas Colin, la collecte de données ? Peut-on taxer des flux, à partir d'un chiffre d'affaires ? Une entreprise qui n'est pas présente physiquement dans un pays peut en effet, sans y être un acteur fiscal, y réaliser un chiffre d'affaire important. Peut-on combiner les deux premières options ? Les pays sont souverains et peuvent en décider librement, mais j'aurais tendance à conseiller d'attendre que la situation se décante. On m'objectera qu'attendre, c'est perdre de l'argent - à quoi je réponds que donner un coup d'épée dans l'eau en adoptant une disposition qui fera peut-être la une des medias mais ne se révèlera, in fine, peu utile, n'est pas de bonne politique. Attendre n'est pas rester inactif : il s'agit de voir ce que donnent les mesures du plan BEPS. Le volet TVA, très important, doit faire l'objet de la plus grande attention. S'il s'agit de taxer des flux, la TVA est plus appropriée que l'impôt sur les sociétés, qui s'apparente à un impôt sur le revenu.

Il n'existe pas de « livre noir » des paradis fiscaux. Ce que l'on peut dire, c'est qu'ils sont nombreux, trop nombreux. L'OCDE agit, dans le cadre du Forum mondial, en vérifiant ce que font les États lorsqu'ils ont pris des engagements en matière de coopération fiscale. Le Forum mondial a un pouvoir de contrôle : nous envoyons des équipes dans les pays concernés, comme ce fut le cas au Panama la semaine dernière, pour voir comment y est appliqué le standard d'échange de renseignements à la demande. Nous avons considéré, assez généreusement, que le cadre législatif était en place, ce qui permet au pays de passer de la « phase 1 » à la « phase 2 ». Il s'agit maintenant de voir ce qu'il en est en pratique. Nous allons procéder de la même manière pour l'échange automatique de renseignements. Je vous encourage à lire les rapports du Forum mondial, qui livrent des tableaux avec un code couleur. Les pays dépourvus du cadre légal et réglementaire, une douzaine - qui ne sont pas des places financières majeures mais plutôt des pays prisonniers de leur ploutocratie - apparaissent en rouge. Lorsque le cadre légal existe, nous observons, ensuite, sa mise en pratique, comme cela est le cas au Panama. Lorsque le pays n'est pas conforme, nous le dénonçons aussitôt, comme cela a été le cas de Chypre, du Luxembourg, des Seychelles, des Îles vierges britanniques. Dans les trois mois qui ont suivi, ces pays ont radicalement modifié leur approche, ainsi qu'un nouvel examen sur place nous a permis de le constater. Le Luxembourg, qui avait résisté jusqu'à la dernière minute a, sous l'impulsion de Pierre Gramegna, ministre des finances, et de Xavier Bettel, Premier ministre, radicalement changé de position. Sur les quatre standards minima du projet BEPS, nous effectuerons le même type de contrôles. Nous développerons des termes de référence, des méthodologies, et nous irons voir, dans les pays, ce qui marche et ce qui ne marche pas. C'est une procédure certes un peu intrusive, et qu'un certain nombre de pays contestent, au nom de leur souveraineté, mais c'est la contrepartie des bénéfices de la globalisation, dont les petites économies ouvertes ont indument bénéficié par défaut de régulation fiscale.

Il est très difficile, ainsi que l'a souligné André Gattolin, d'avoir une vision globale sur les conventions fiscales, en particulier pour un pays comme la France, dotée d'un large réseau conventionnel - plus d'une centaine de conventions bilatérales pour lesquelles les négociateurs se sont ingéniés à faire valoir telle ou telle petite spécificité, ce qui donne lieu à bien des particularités compliquant toute appréhension d'ensemble. Cela dit, on n'y mettra pas fin, car la dimension bilatérale n'est pas appelée à disparaître. Un observatoire des conventions fiscales ? Il en existe un en France, à l'initiative de quelques entreprises, mais qui est loin d'offrir une vision globale à l'échelle mondiale. Dans le cadre du plan BEPS, nous avons entrepris d'identifier les grands trous dans les conventions fiscales. Il en existe deux. Le premier, c'est l'abus des conventions. Dans un monde global, les entreprises pratiquent le « treaty shopping », le « chalandage fiscal ». C'est ainsi que 27 % des investissements directs étrangers en Inde viennent... de l'Île Maurice, parce que la convention conclue entre l'Inde et l'Ile Maurice prévoit une taxation des plus-values à la résidence, tandis que les conventions entre l'Île Maurice et les autres pays du monde retiennent une taxation à la source. Or l'Île Maurice n'impose pas les plus-values. Si bien que par une combinaison de conventions, une entreprise peut investir en Inde via l'Île Maurice, afin de n'être imposée ni en Inde, ni à l'Île Maurice, ni dans le pays d'origine, dès lors que le produit n'y est pas rapatrié. Ce système a permis à l'Île Maurice de se développer. Les Indiens ont calculé que des centaines de millions d'euros par an leur échappaient ainsi. S'il n'y a pas été mis fin, c'est que l'Île Maurice compte une population indienne importante, ce qui crée des relations particulières entre les deux pays. L'action 6 du projet BEPS prévoit de mettre fin à ce type de situation, selon deux options : soit par une disposition dite de « limitation des bénéfices » de la convention aux vrais résidents du pays, sur le modèle américain, qui fonctionne très bien mais est assez compliqué, soit par une clause excluant du bénéfice de la convention les opérations à but principalement fiscal.

J'ajoute que pour harmoniser les conventions et éviter un camaïeu de particularités, il a été décidé d'inscrire cela dans une convention multilatérale unique, qui viendra modifier toutes les conventions existant entre les parties. A l'heure actuelle, 96 pays participent à la négociation de cet instrument multilatéral, ce qui couvre 2 000 conventions fiscales, dont celles des États-Unis - qui sont d'ailleurs généralement conformes aux normes.

Vient ensuite la question de l'établissement stable. On sait que le paragraphe 5 de l'article 5 du modèle de convention fiscale, qui prévoit la définition de l'établissement stable et de l'agent dépendant, présente une défaillance qui permet à une entreprise de transformer un distributeur, qui fait entre 15 % et 20 % de retour sur investissement, en commissionnaire, qui n'en fait que 2 % à 3 %. Un simple changement de contrat y suffit. Devant les tribunaux, les gouvernements ont systématiquement perdu leurs recours. C'est pourquoi nous proposons de modifier la définition de l'établissement stable.

S'achemine-t-on vers un nouvel ordre international, ou ne fait-on qu'apposer des rustines ? Quel est l'équilibre entre les pays développés et les pays en voie de développement ? La France n'a-t-elle pas été naïve en concédant de nombreux avantages à des pays émergents, ainsi que le lui reproche l'association d'entreprises à laquelle je faisais tout à l'heure allusion ? L'ordre international fiscal a été construit en 1928 par la Société des Nations (SDN), sur le fondement d'un modèle de convention fiscale dont l'article 9 prévoyait les prix de transfert et le principe de pleine concurrence - qui veut que si les entreprises liées se comportent entre elles comme si elles étaient des entités indépendantes, afin que se fixe un prix de marché permettant de déterminer, dans chaque pays, quelle est la base taxable. Autrement dit, même si leur impôt sur les sociétés est le même, il faut obliger les entreprises à « jouer à la marchande ».

Quel est le modèle alternatif ? Il consiste, pour une entreprise unie au plan économique, à calculer son profit au niveau mondial, puis de le répartir entre les pays en fonction de clés de répartition - le chiffre d'affaires, relativement peu manipulable, les employés, qui peuvent certes être délocalisés, ou encore les actifs physiques. La beauté de ce modèle tient en cela qu'il est « pur et parfait » : tous les économistes vous diront, depuis leur bureau, que c'est ainsi qu'il faut procéder. Mais quand il s'agit, pour les parlements, de transformer cela en droit, puis de le faire appliquer par les administrations fiscales et les entreprises, les problèmes commencent. Un beau modèle donc, mais qui n'a pas été testé, pour la bonne raison que les pays ne peuvent pas se mettre d'accord. Les Chinois diront que la bonne clé est celle des employés, les Américains que c'est la création de valeur. Les Français estimant quant à eux, dans une vision un peu schizophrène, tantôt que c'est la valeur intellectuelle, pour les produits de luxe, tantôt la consommation, pour ceux de l'économie numérique. Il est donc extrêmement complexe de parvenir à un accord mondial. On peut en tirer une conclusion pessimiste, et considérer que l'on ne parviendra à rien parce que rien n'est jamais comparable, comme vous le souligniez à propos des actifs incorporels, mais on peut aussi tenter de remédier au problème en introduisant une approche beaucoup plus économique. Le problème des prix de transfert tient au fait qu'ils ont été conçus dans une vision économique, mais ont progressivement évolué vers une vision de plus en plus juridique. Les fiscalistes se sont emparés des prix de transfert, en élaborant des contrats juridiquement « bordés ». Ce que nous avons entrepris, avec les actions 8 à 10, c'est de nous pencher sur les contrats en regardant s'ils correspondent à la réalité économique. Il ne s'agit bien évidemment pas de les remettre en cause à la tête du client, car les entreprises ont besoin de sécurité juridique - mais renoncer à taxer les profits des multinationales en leur permettant de se livrer à une planification fiscale agressive constituerait l'insécurité juridique absolue. Il s'agit donc d'en finir avec les schémas fiscaux déconnectés de la réalité économique.

Le plan BEPS modifie-t-il le rapport de force entre pays développés et pays en voie de développement ? C'est une question fondamentale : il est légitime pour un pays de défendre ses propres intérêts. L'association de grandes entreprises françaises que je mentionnais estime que nous allons entièrement modifier le rapport de forces. Je ne crois pas que ce soit le cas. Le plan BEPS ne dit pas où un profit ne peut pas être taxé, mais où il ne peut pas être localisé. Autrement dit, il ne décide pas si les profits de l'économie numérique de source américaine doivent être taxés en France ou aux États-Unis, mais il dit qu'ils ne peuvent être localisés aux Bermudes. Il en va de même de tous les schémas fiscaux : on ne peut pas localiser les profits dans des juridictions où ils se trouvent totalement à l'abri. Ceci ne tranche pas la question du lieu de taxation - pays source ou pays de résidence -, question politique qu'il revient à chaque pays de trancher. C'est un débat plus complexe qu'il n'y paraît. On peut considérer, en première analyse, qu'en tant qu'exportateur de capitaux et en bonne place, après les États-Unis et le Japon, dans la liste des États de siège, la France devrait privilégier la taxation à la résidence pour protéger ses entreprises. Cela paraît logique et de bonne politique. Mais il faut garder présent à l'esprit que nous sommes, avec nos partenaires, dans un rapport de force. La Chine, avec 1,4 milliard d'habitants, peut poser des conditions à ceux qui veulent investir chez elle. Plutôt que d'ignorer les rapports de force économiques, ne vaut-il pas mieux s'engager dans une relation constructive ? Du point de vue des entreprises, seul doit compter, en toute logique, l'exigence de ne pas payer deux fois l'impôt - qu'elles le paient en Chine ou en France devrait leur être indifférent. À chaque pays de décider de la bonne dynamique, en gardant à l'esprit que les choses ne se décident pas unilatéralement mais se négocient.

Pour les pays en voie de développement, le débat est également plus compliqué qu'il n'y paraît. Les organisations non-gouvernementales (ONG) font valoir, comme le fait aussi dans une certaine mesure le Fonds monétaire international (FMI), qu'il faut taxer à la source, parce que ces pays ont besoin de mobiliser les ressources domestiques - l'un des enjeux fondamentaux du programme des Nation-Unies pour le développement (PNUD), que nous soutenons pleinement. Mais dans le même temps, ces pays ont besoin d'investissements. Or, plus ils taxent à la source, moins ils sont attractifs. Un pays en voie de développement qui a besoin d'importer de la matière grise serait mal inspiré de taxer lourdement des redevances à la source, car cela revient à en renchérir le coût, et donc celui du développement intellectuel du pays. Il est vrai qu'il en va un peu autrement des pays émergents, qui peuvent compter sur de grands marchés domestiques.

Sur la publicité du reporting pays par pays évoquée par Albéric de Montgolfier et Éric Bocquet, j'ai rappelé les options en présence : la transparence totale, une publicité réservée aux administrations fiscales ou une solution intermédiaire, qui est peut-être le chemin que prendra l'Union européenne. Je me permettrai une mise en garde. L'Union européenne, la France, ont-elles la possibilité de demander à une entreprise étrangère une information sur la totalité de ses comptes, y compris concernant des filiales sans aucune connexion avec leur territoire ? Peuvent-elles, comme l'ont fait les Américains avec la loi FATCA, édicter des règles unilatérales et extraterritoriales ? Si tel n'est pas le cas, la publicité ne vaudra que pour les entreprises européennes, pas pour les entreprises américaines, ce qui pose un vrai problème d'équité entre les entreprises.

Faisons en sorte que le reporting pays par pays se mette en place, sans entrer dans une guerre entre l'Europe et les États-Unis - car cela permettrait aux États-Unis de se dédire. Or nous avons besoin de l'information en provenance de ce pays. Certes, ce choix est éminemment politique, et il est difficile de renoncer à la transparence publique, mais il faut penser au coup d'après. Sécurisons avant toute chose les informations pour les administrations fiscales.

Les clauses anti-abus fonctionnent. L'action 3 prévoit un renforcement des dispositifs du type de celui de l'article 209 B du code général des impôts français. Alors que les États avaient démantelé de tels régimes, il est sans doute temps de les rétablir, raisonnablement. La solution retenue à l'OCDE, ne pénalisant pas le pays qui la mettrait en place, offre un bon équilibre. Il s'agit de rehausser le niveau d'exigence fiscale à une hauteur raisonnable, qui permettra peut-être aux États-Unis de faire enfin passer la réforme de leur système fiscal et à l'Union européenne d'avoir enfin un espace intégré permettant de lutter contre les abus.

La France a joué un rôle éminemment positif. Le projet BEPS a été initialement lancé en novembre 2012 à la demande de George Osborne, chancelier de l'Échiquier britannique, de Wolfgang Schaüble, ministre des finances allemand, et de Pierre Moscovici, alors ministre des finances français. Un rapport avait été demandé à l'OCDE en vue du conseil Ecofin de juillet 2013. La France a donc été à l'initiative, suivant en cela, il est vrai, le Royaume-Uni, dans une convergence bipartisane, associant les gouvernements de droite britannique et allemand et le gouvernement socialiste français. Michel Sapin a été, par la suite, extrêmement actif en tant que ministre des finances. La dynamique reste vive. À Shanghai, les ministres sont convenus qu'il fallait aller plus loin. Wolfgang Schaüble a déclaré qu'il fallait commencer à penser à un projet « BEPS 2 ». Le soutien politique du G20 reste très fort sur le sujet.

Évolutions de la banque de détail - Auditions

La commission procède, conjointement avec la commission des affaires économiques, à l'audition de Mme Marie Cheval, directrice générale de Boursorama et de MM. Sébastien Declercq, associé chez AT Kearney, Mathieu Escot, responsable du département des études de UFC-Que choisir, Jean-Yves Forel, directeur général chargé de la banque commerciale et de l'assurance au groupe BPCE, et Antoine Saintoyant, sous-directeur des banques et du financement d'intérêt général à la direction générale du Trésor.

Mme Michèle André, présidente. - La banque de détail est confrontée, depuis plusieurs années, à une évolution majeure de la réglementation, mais surtout du contexte économique et des pratiques des consommateurs - baisse des taux, encadrement des tarifs bancaires dans un souci de protection des consommateurs, diminution de la fréquentation des agences et développement de la banque en ligne et de la banque mobile.

Il y a un peu plus d'un mois, la commission des finances a organisé une audition sur les technologies de la finance - les « FinTechs » - et leurs conséquences sur le modèle bancaire : nous avons souhaité poursuivre cette réflexion, conjointement avec les membres de la commission des affaires économiques, en nous intéressant plus spécifiquement à l'évolution de la consommation de services bancaires, à l'heure où les services par Internet, les applications sur smartphone, la concurrence qui se dessine des géants de l'Internet viennent bouleverser ou menacer un modèle économique déjà remis en question par les évolutions réglementaires.

Pour nous aider à mieux comprendre ces évolutions, leurs enjeux respectifs et la manière dont la banque de détail traditionnelle se transforme pour y répondre, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui :

- Marie Cheval, directrice générale de Boursorama ;

- Sébastien Declercq, associé du cabinet AT Kearney, spécialisé dans la stratégie bancaire ;

- Mathieu Escot, responsable du département des études de l'association UFC-Que Choisir ;

- Jean-Yves Forel, directeur général en charge de la banque commerciale et de l'assurance au sein du groupe BPCE ;

- Antoine Saintoyant, sous-directeur des banques et du financement d'intérêt général au sein de la direction générale du Trésor.

Je me permets de vous indiquer qu'afin de toucher du doigt la nouvelle concurrence des acteurs de l'Internet et du mobile, nous avions demandé à Orange de participer à cette audition, en raison du lancement d'Orange cash et de la volonté, annoncée par son président-directeur général, Stéphane Richard, de devenir à moyen terme le « Free de la banque ». Nous regrettons vivement qu'Orange n'ait pas souhaité répondre à notre invitation.

Je donne tout d'abord la parole à Sébastien Declercq, afin qu'il nous dresse, en introduction, un panorama rapide de la situation de détail en France, de son modèle économique et de ses défis, peut-être en soulignant les spécificités françaises par rapport à nos voisins.

M. Sébastien Declercq, associé, AT Kearney. - Le cabinet dont je suis l'associé accompagne depuis une vingtaine d'années les grands établissements bancaires dans leur stratégie et leur transformation. Je vais partager avec vous quelques éléments d'observation sur l'industrie bancaire en France et en Europe, et essayer de tracer quelques perspectives pour les prochaines années.

Tout d'abord, la crise financière a profondément bouleversé les équilibres des grands acteurs bancaires. La rentabilité sur capitaux propres est passée d'environ 15 % avant la crise à 4 % à 5 % l'an dernier.

Ce bouleversement a commencé dans les métiers des capitaux et de banques d'investissement mais on constate aujourd'hui que la banque de détail, métier historique des acteurs bancaires, est aussi touchée.

Si l'on étudie les évolutions du marché français depuis cinq ans, on constate que les revenus des acteurs de la banque de détail ont marqué le pas et n'ont crû que de 0,9 % en moyenne depuis cinq ans. Plusieurs grands établissements ont commencé à observer une baisse des revenus sur cette période.

Cette baisse s'accompagne a contrario d'une augmentation des charges supérieures à l'évolution du produit annuel bancaire d'environ 1,3 point par an, soit 7 % sur la période. Ceci se traduit par une dégradation de la rentabilité opérationnelle des acteurs bancaires en France, et notamment du coefficient d'exploitation, qui représente le rapport des charges sur les revenus, passé de 63 % à 65 % l'an dernier.

Ce coefficient d'exploitation nous situe parmi les plus mauvais élèves d'Europe. Bien entendu, les marchés bancaires européens sont tous très différents. Chaque pays a un certain nombre de spécificités. Cette tendance s'est renforcée avec la crise, les grands acteurs bancaires internationaux s'étant recentrés sur leur marché domestique.

Les acteurs les plus efficaces d'un point de vue opérationnel se trouvent dans différents pays - Angleterre, pays nordiques, Espagne - dont les coefficients d'exploitation sont de l'ordre de 50 % à 55 %, sensiblement inférieurs à ceux des banques françaises. Depuis cinq ans, dans chacun de ces pays, on a vu que les banques accentuaient leur transformation. Cela s'est traduit notamment par un certain nombre d'éléments, comme la réduction du nombre d'agences bancaires, de l'ordre de 20 % par an pour l'Angleterre et l'Espagne depuis cinq ans, et même de 35 % dans les pays nordiques. Cette évolution s'accompagne d'une réduction des effectifs totaux des établissements bancaires de l'ordre de 5 à 10 % depuis cinq ans.

Dans d'autres pays plus comparables à la France, les banques ont aussi entrepris une rationalisation de leur modèle opérationnel qui s'est également traduite depuis cinq ans par une réduction du nombre d'agences de 5 % en Allemagne, ou de 20 % en Italie.

En France, les réseaux d'agences n'ont pas beaucoup varié depuis cinq ans. Ils sont à peu près stables, à l'exception de quelques établissements. Vous avez peut-être pu noter quelques annonces de BNP Paribas, qui a déjà commencé à réduire le nombre de ses agences depuis deux ans, ou du Crédit agricole, qui a prévu la fermeture d'environ cinquante agences en Île-de-France dans les prochaines années. La Société générale a annoncé un plan de réorganisation de son réseau, qui va se traduire par la fermeture de 400 agences d'ici 2020.

Cette pression traduit la baisse de fréquentation des agences bancaires et, plus profondément, l'évolution fondamentale des comportements des clients. Depuis 2010, le canal de l'Internet s'est énormément développé. Beaucoup de consommateurs consultent leur compte en ligne. 2016 va marquer une nouvelle étape, puisque le canal préféré des Français sera le mobile et non plus l'Internet. On constate donc que les canaux à distance - mobile, Internet, téléphone - complètent les canaux traditionnels, notamment le dispositif d'agences.

Selon nos estimations, on peut s'attendre dans les cinq prochaines années à une rationalisation du nombre total d'agences bancaires, en France, de l'ordre de 15 %.

Cette rationalisation, il ne faut pas la vivre comme une fatalité. Elle traduit une évolution des comportements qui est aussi une multiplication des points de contact, tous s'ajoutant et permettant en principe une meilleure connaissance des clients et la capacité des acteurs bancaires à bien répondre à leurs attentes et à utiliser la technologie pour le faire.

Les banques directes se sont développées ces dernières années et gardent un potentiel de développement important. Elles représentent environ 3 % à 5 % des banques principales sur le marché français, et de l'ordre de 10 % à 12 % des relations de banques secondaires.

C'est une proposition attractive, puisqu'elle repose sur un positionnement de prix plus agressif et plus attractif pour les consommateurs, notamment en matière de cotisations de cartes bancaires, mais aussi dans les services de banque au quotidien.

Cette montée en puissance des banques directes qui reste à venir va probablement être complétée par de nouvelles formes de concurrence, et entraîner une refondation de certains états de la chaîne de valeur dont le service aux consommateurs.

À ce titre, les investissements de la « FinTechs », dont on constate une très forte vague en ce moment, ont été multipliés par sept au niveau mondial entre et 2010 et 2014. La France, qui avait un peu de retard, est en train de le rattraper depuis dix-huit mois.

Ce développement est facilité par la symétrie avec les grands acteurs bancaires. Ce sont des acteurs rapides, innovants, dont la structure de coûts est réduite, et qui utilisent massivement le big data pour introduire de nouveaux usages.

Ils profitent aussi de la réglementation bancaire, qui a introduit plus de fluidité dans les différents compartiments, notamment dans les paiements, qui permettent à ces nouveaux acteurs de trouver de nouvelles voies d'accès au marché.

Le marché bancaire français, aujourd'hui, reste dominé par les acteurs historiques. Après des années de taux bas, d'exigences réglementaires accrues, ces acteurs sont confrontés à un pincement de leur marge opérationnelle et doivent continuer à s'adapter.

Ils font face à des transformations majeures, des changements profonds des habitudes de consommation, de nouveaux concurrents et de nouveaux services digitaux, des enjeux de sécurité des données et d'adaptation de leurs modèles et des réseaux d'agence.

On peut dire que la transformation des établissements de crédit est nécessaire. Elle s'accompagne d'investissements et d'une évolution de leur modèle opérationnel financier et économique, qui devrait continuer à peser sur leur niveau de rentabilité dans les prochaines années.

Mme Michèle André, présidente. - Je me tourne à présent vers Jean-Yves Forel, qui nous donnera le point de vue de l'un des principaux réseaux bancaires de détail français sur les évolutions qu'il a constatées ces dernières années et nous dira comment il fait face à la généralisation du digital.

M. Jean-Yves Forel, directeur général de BPCE. - Le groupe Banque populaire-Caisse d'Épargne, créé en 2009, représente deux des grands réseaux de banque de proximité.

La situation de la banque de proximité, en France, se trouve devant trois défis.

Le premier défi concerne la situation macroéconomique et les taux, qui sont extrêmement bas, où l'écart entre les taux courts et longs n'a jamais été aussi faible. Ceci pose une question importante sur le modèle économique de la banque de proximité, dont le métier est de faire de l'intermédiation, c'est-à-dire de collecter l'épargne, qu'elle rémunère et prête ensuite aux investisseurs, particuliers, professionnels ou entreprises.

À ce stade, j'appelle votre attention sur le fait que, contrairement à ce qui s'est passé dans d'autres pays, les banques françaises ont continué à soutenir l'économie réelle, et que les encours de crédits ont progressé.

Néanmoins, la banque de proximité, en France, est soumise à une difficulté particulière, les crédits immobiliers représentant une grande partie des crédits à nos bilans. En France, ces crédits immobiliers sont à taux fixe, mais révisable à la baisse, la concurrence et les consommateurs ayant profité de ce mouvement régulier de baisse des taux que nous connaissons depuis plusieurs années pour renégocier leur crédit très régulièrement, à des taux plus favorables, ce qui a abaissé le rendement au-delà du fait que les nouveaux crédits se font à des taux très bas.

Dans le même temps, dans les bilans de la banque de proximité en France, une grande partie des ressources est réglementée - livrets, plans d'épargne logement - et il faut bien reconnaître que l'évolution du coût de ces ressources n'a pas suivi le même trend, pour des raisons que vous connaissez, que celui imposé par le marché.

La compression de la marge d'intermédiation, c'est-à-dire l'écart entre le rendement des crédits et le coût de la collecte, qui met nos revenus sous pression, est donc extrêmement rapide et très significatif.

Le deuxième défi, que je qualifierais de réglementaire, comporte deux dimensions.

Depuis de nombreuses années, toute une série de réglementations ont encadré et limité les possibilités, pour la banque de proximité, de faire payer le service à son juste prix, incitant d'ailleurs à faire des péréquations entre l'activité d'intermédiation et les activités de services. Il s'est notamment agi des réglementations sur les frais d'incident. Certaines réglementations ont également pu nous imposer des dispositifs, qu'ils soient destinés à tel ou tel type de clientèle ou de situation. Ces dispositifs ont généralement des coûts très significatifs, alors même qu'ils ont parfois rencontré peu de succès auprès des publics auxquels ils étaient initialement destinés.

Le deuxième impact réglementaire est plus générique : il concerne la banque de proximité, mais aussi l'ensemble des activités financières. Il s'agit de l'alourdissement des exigences en fonds propres, des réglementations et des coûts de supervision et de résolution au niveau européen.

Ce deuxième défi a tendance à alourdir nos charges et à ne pas faciliter notre action par rapport à notre troisième défi, qui est pour moi le plus important, celui de l'évolution des comportements de nos clients.

Que veulent nos clients ? Ils veulent être plus autonomes, avoir accès à des produits plus simples, à des tarifications plus compréhensibles, et pouvoir interagir de la manière dont ils le souhaitent.

C'est un mouvement qui ne concerne pas que la banque, mais beaucoup de secteurs économiques. La banque de proximité se doit évidemment d'y répondre car, pour toute entreprise, il faut s'intéresser à ce que souhaitent les clients et leur apporter satisfaction.

Cela nécessite des investissements extrêmement significatifs et une redéfinition du modèle de relations que nous avons avec l'ensemble de nos clients.

Nos clients veulent à la fois de l'autonomie, de la simplicité, mais aussi parfois avoir recours à un conseiller. Ceci peut se produire de manière impromptue - besoin d'investissement, rentrée d'argent inattendue. Il faut donc que nous sachions allier à la fois l'autonomie exigée par les clients et la présence du conseiller, même si celle-ci est très différente de celle que l'on constatait par le passé. Le conseiller aura lui aussi accès à des outils d'analyse, afin de mieux définir les attentes du client et les réponses que nous pouvons lui apporter.

C'est le troisième défi que connaît la banque de proximité, dans lequel nous sommes engagés.

Du fait des conditions et de la situation économique et de la politique monétaire conduite aux niveaux européen et mondial, la pression sur nos revenus va continuer à s'exercer sans doute quelques années.

L'évolution des comportements des clients va se poursuivre. D'ores et déjà, 20 % à 25 % de nos clients sont des utilisateurs très réguliers de l'ensemble des outils digitaux. Cette part de notre clientèle enregistre un taux de progression, en 2015, de l'ordre de 15 % à 20 %. Ce mouvement va continuer et nécessitera de poursuivre les investissements.

Je ne peux qu'appeler votre attention sur le poids de la réglementation. Je pense en effet que la banque de proximité et la présence des conseillers dans des territoires constituent un enjeu extrêmement important en termes d'aménagements du territoire, de sociabilisation et de développement économique. Il ne faut pas uniquement considérer les concentrations urbaines. Comme cela a été rappelé par Sébastien Declercq, cette adaptation, qui portera forcément sur les coûts, ne doit pas entraîner une disparition trop massive de la présence des conseillers, que les clients plébiscitent - toutes les études le démontrent - mais pour lesquels il faut évidemment que le modèle économique, et notamment le service rendu, puisse être facturé au juste prix.

Mme Michèle André, présidente. - La parole est à Marie Cheval, directrice générale de Boursorama, qui pourra prolonger le propos de Jean-Yves Forel en nous exposant la stratégie poursuivie par le groupe Société générale, qui a créé très tôt une filiale spécifique de banque en ligne.

Pouvez-vous nous parler de votre retour d'expérience, des limites - s'il y en a - à ce modèle ? Êtes-vous menacés par les nouveaux acteurs qui se profilent, comme Orange, Google ou Facebook ?

Mme Marie Cheval, directrice générale de Boursorama. - Un mot sur Boursorama, qui est peut-être un peu moins connue que BPCE. Boursorama est une filiale du groupe Société générale créée il y a vingt ans qui exerce trois métiers.

Le premier, pour lequel il a été créé, est celui de la bourse en ligne, métier qui ne croît plus beaucoup en France du fait de la désaffection des actionnaires individuels pour la bourse - mais ce n'est pas ici le sujet.

Le second métier de Boursorama concerne l'information financière, avec le portail Boursorama.

Le troisième métier, développé à partir de 2006, est celui de la banque en ligne, aujourd'hui principale activité de Boursorama, qui se développe avec un peu plus de 750 000 clients aujourd'hui.

Tout d'abord, j'insiste sur le fait que les contraintes que Jean-Yves Forel a très bien décrites - taux, contraintes économiques et réglementaires, évolution des comportements des clients - pèsent de la même façon sur les banques en ligne, notamment les deux premières.

J'ajoute que le coût croissant des exigences de sécurité que nous devons à nos clients nécessite des investissements de plus en plus lourds, notamment en matière de sécurité des données. Il faut se battre tous les jours contre les hackers.

Bien évidemment, les banques en ligne bénéficient plutôt aujourd'hui de la contrainte que représente l'évolution des comportements des clients, qui veulent être plus autonomes et utiliser de plus en plus leur mobile.

Je confirme les chiffres cités par Sébastien Declercq concernant la part de marché des banques en ligne aujourd'hui en France, qui représente environ 7 % à 8 % des parts de marché en stock. En flux, on estime qu'un compte sur trois s'ouvre aujourd'hui en France dans une banque en ligne. Les banques en ligne gagnent donc des parts de marché, la multibancarisation tirant beaucoup le marché de la banque de détail.

Pourquoi les banques en ligne se développent-elles ? Ceci est très fortement lié à l'évolution des attentes des clients, la banque de détail constituant une industrie de services comme les autres. Les clients désirent une promesse claire et que l'on tienne. Leurs souhaits sont tous différents : certains veulent disposer d'une agence, d'autres non. Ceux-là se tournent plus naturellement vers les banques en ligne.

Plus globalement, on recense trois grandes évolutions dans les comportements des clients. Ils s'aperçoivent tout d'abord qu'ils se rendent de moins en moins dans leur agence bancaire, tout comme ils fréquentent de moins en moins d'autres réseaux.

Par ailleurs, Internet a beaucoup favorisé la comparaison. Les clients comparent tous les services et recherchent de plus en plus le meilleur prix pour la relation qu'ils veulent développer.

La troisième évolution vient de la généralisation du smartphone, de la 3 G et, à présent, de la 4 G. Tout le monde souhaite utiliser de plus en plus son mobile.

Les banques en ligne ont mis du temps à prendre des parts de marché. Quand Boursorama a été lancée en 2006, peu de clients se tournaient vers ces solutions. Nous étions alors plutôt une banque de geeks parisiens. Aujourd'hui, de plus en plus de Français se tournent vers la banque en ligne ; nos clients sont de plus en plus représentatifs de la population française.

Un mot sur le modèle des banques en ligne, qui est très différent de celui des banques traditionnelles. Tout d'abord, nous avons la chance d'avoir été lancés plus tard, et sommes nés avec Internet, ce qui facilite les choses. Il existe également une volonté de rompre avec un certain nombre de paradigmes de la banque de détail. L'absence d'agence signifie moins de coûts, et l'on peut donc rendre de la valeur aux clients. L'architecture très ouverte est par ailleurs la règle sur Internet : on peut trouver des produits de Boursorama chez Boursorama, mais pas seulement. Par ailleurs, nous cherchons à rendre le client autonome : il peut faire tout ce qu'il veut à n'importe quelle heure du jour et de la nuit, et depuis n'importe quel terminal, qu'il s'agisse d'un ordinateur, d'une tablette ou d'un mobile.

L'autonomie du client ne veut pas dire que nous n'avons pas de contacts avec nos clients, au contraire, mais ce ne sont pas des contacts physiques. Enfin, nous proposons une gamme de produits complète mais simple, et entièrement accessible en ligne.

La banque en ligne a évidemment beaucoup d'avenir devant elle. Les forts taux de croissance de Boursorama et d'autres acteurs de la banque en ligne en témoignent. La stratégie du groupe Société générale est de considérer qu'il existe des attentes très différentes selon les clients. Ce qui compte est donc de tenir une promesse claire et de répondre aux attentes du client, qui est d'obtenir le juste prix en fonction de la relation qu'il attend. Ces promesses s'intègrent, au sein du groupe Société générale, dans des marques et des banques différentes : Crédit du Nord, banque régionale traditionnelle, Boursorama, banque en ligne - toutes deux avec de très forts taux de recommandation de la part des clients - et Société générale.

Mme Michèle André, présidente. - La parole est à Mathieu Escot, de l'UFC-Que choisir. Quel est le bilan pour le consommateur des différentes évolutions qui ont été décrites ? La banque est-elle globalement moins chère aujourd'hui qu'il y a dix ans ? Pensez-vous que le développement du digital et la concurrence des nouveaux acteurs soient une bonne chose pour le consommateur ?

M. Mathieu Escot, responsable du département des études, UFC-Que choisir. - De toute évidence, les évolutions qui ont été décrites vont être lourdes pour les banques de détail et pour les clients.

J'axerai ma présentation sur la question du coût des banques, des frais, de la concurrence et de la mobilité.

Les banques sont-elles moins chères qu'il y a dix ans ? La réponse est difficile à apporter, les tarifications ayant beaucoup évolué. On a précédemment plutôt dit du mal de la réglementation. Pour l'UFC-Que choisir, la représentation nationale peut être fière des avancées réalisées en termes de réglementation sur les frais bancaires, qu'il s'agisse de la transparence qui a été imposée, en particulier le fait de fournir une liste standardisée de tarifs en tête de brochure permettant la comparaison, ou d'avoir plafonné les frais d'incidents de paiement. Ces commissions d'intervention pesaient très lourdement sur un public fragile, avec des répétitions de frais à un niveau extrêmement élevé et pénalisant pour ces populations. C'est donc une bonne chose que ces tarifs aient pu être plafonnés par la loi.

Certains tarifs ont baissé, d'autres ont augmenté. Le bilan global est donc difficile. On a observé, au moins au niveau du secteur bancaire, que l'imagination est au pouvoir, dans la mesure où chaque fois qu'une tarification est plafonnée ou mise en lumière par la transparence et la comparabilité, les facturations se déportent sur d'autres frais.

L'exemple qui a beaucoup agité les consommateurs et la presse ces derniers mois concerne les frais de tenue de compte. Nous avions alerté l'opinion publique dès 2013 sur le sujet, en ayant déjà constaté à l'époque une montée de cette généralisation des frais de tenue de compte, qui s'accentue aujourd'hui. Les arguments, à nos yeux, ne sont pas concluants, en particulier quand il s'agit de dire que les applications Internet coûteraient extrêmement cher : d'une part l'usage des canaux numériques permet des économies, d'autre part c'est un mouvement qui a été poussé par les banques elles-mêmes, qui ont tout fait pour inciter les consommateurs à passer par Internet. L'argument est donc étrange.

La question des taux bas est par ailleurs réelle, mais que se passera-t-il quand les taux remonteront ? L'argent gratuit n'a qu'un temps. Il viendra un moment où les taux se normaliseront, c'est une évidence : ce jour-là, les frais de tenue de compte disparaîtront-ils ? On peut avoir des doutes !

L'enjeu, pour arriver à contenir les frais et rendre un service au juste prix au consommateur, passe par la concurrence et la mobilité bancaire. En France, 3 % des clients changent de banque chaque année, la moyenne des grands pays européens étant de 9 %. Cette faible mobilité bancaire ne semble toutefois pas corrélée au taux de satisfaction de la part des consommateurs à l'égard des banques de détail.

Il existe donc des freins à la mobilité. Ceux-ci tiennent à la difficulté de comparaison entre les tarifs. Des progrès ont été réalisés, comme la standardisation d'un certain nombre de tarifs, l'émergence de comparateurs bancaires en ligne grâce à des acteurs privés à but lucratif ou non lucratif, comme l'UFC-Que choisir, ou au Comité consultatif du secteur financier (CCSF), dont le comparateur de tarifs bancaires qui vient d'être lancé constitue une première étape vers une offre publique de comparaison des frais.

C'est un premier élément qui permet de prendre conscience des avantages que peut représenter la mobilité bancaire, car il existe une véritable méconnaissance des consommateurs quant à ce que leur coûte leur banque, même si l'on trouve désormais un récapitulatif de frais et des informations sur le niveau possible d'économies. Toutefois, il existe, même entre banques de détail disposant d'un réseau physique, des écarts de tarifs extrêmement significatifs qui peuvent rendre la mobilité intéressante.

Par ailleurs, nous attendons beaucoup de la mise en place par la loi, l'année prochaine, d'un service d'aide à la mobilité qui permettra de faciliter ces démarches.

Enfin, nous avions chiffré l'an passé les économies possibles pour les consommateurs dans un scénario de raffermissement modéré permettant une baisse moyenne des tarifs de 15 %, ce qui est ambitieux mais réaliste comparé aux écarts existant entre réseaux, en prenant comme référence une part de marché des banques en ligne de 10 %. Ceci représenterait pour les consommateurs une économie potentielle de près de 2 milliards d'euros par an en frais bancaires. L'enjeu de la concurrence est donc vraiment important.

La mobilité et la concurrence sont nécessaires pour que la réduction de réseaux se traduise pour les consommateurs par une diminution des coûts, et non uniquement par une restauration ou une augmentation des marges du secteur bancaire.

Mme Michèle André, présidente. - Je me tourne à présent vers Antoine Saintoyant, sous-directeur des banques et du financement d'intérêt général au sein de la direction générale du Trésor. Quel regard portez-vous sur l'évolution de la banque de détail ? S'agit-il d'opportunités nouvelles pour les consommateurs ou d'une fragilité pour le modèle économique bancaire ? Identifiez-vous des besoins nouveaux de protection du consommateur dans ce nouveau contexte ?

M. Antoine Saintoyant, sous-directeur des banques et du financement d'intérêt général, direction générale du Trésor. - La direction du Trésor est l'administration chargée de la réglementation bancaire sous trois angles, l'angle de la réglementation prudentielle relative à l'encadrement de la solvabilité et de la liquidité des banques, celui de la réglementation des différents produits d'épargne, et l'angle de la réglementation de la consommation en matière financière.

Les principales préoccupations de la direction générale du Trésor dans ce domaine sont au nombre de quatre. La première est relative à la stabilité du secteur bancaire et à celui de la banque de détail. La deuxième concerne la protection des consommateurs bancaires. La troisième s'attache à la concurrence et à l'innovation dans le secteur bancaire. Enfin, la quatrième a trait à la compétitivité et à la capacité des banques, notamment de détail, à financer l'économie et les entreprises.

S'agissant de la stabilité financière, ainsi que cela a été souligné, les règles ont été significativement renforcées en matière de solvabilité et de liquidité, permettant de notre point de vue, grâce à l'adoption des règles de Bâle 3 et à leur transposition au niveau européen, de renforcer la situation du secteur bancaire.

Ceci a été rappelé récemment par le gouverneur de la Banque de France, et par le superviseur européen. Nous partageons leur analyse selon laquelle les banques, en Europe et notamment en France, sont solides et que cette stabilité s'est renforcée de manière notable au cours des dernières années.

La question que nous posons dans le cadre des discussions qui se poursuivent sur ces règles prudentielles est celle de la compatibilité de ces nouvelles règles et de l'augmentation de leur portée avec la capacité des établissements bancaires à continuer à financer l'économie dans de bonnes conditions et à faire face aux défis qui ont été précédemment mentionnés.

De ce point de vue, dans le cadre des discussions qui vont se poursuivre aux niveaux international et européen au cours de l'année 2016, nous sommes particulièrement attentifs à ce qu'un équilibre soit trouvé entre l'objectif de stabilité financière et celui du financement de l'économie.

De notre point de vue, ainsi que cela a déjà été indiqué, des progrès importants ont été accomplis en matière de protection des consommateurs au cours de ces dernières années sous quatre angles sur lesquels le Gouvernement a particulièrement mis l'accent.

Il s'agit tout d'abord de la lisibilité des tarifs bancaires et de leur comparabilité grâce au lancement, le 1er février dernier, par le ministre des finances Michel Sapin, d'un comparateur public des tarifs bancaires, qui fait aujourd'hui l'objet de consultations extrêmement fréquentes de la part des consommateurs.

Les frais de tenue de compte ont fait l'objet de discussions dans le cadre du Comité consultatif du secteur financier (CCSF). Le ministre a confié au président du CCSF la mission d'évaluer dans quelle mesure il sera nécessaire d'homogénéiser ces frais de tenue de compte pour bien comprendre ce qui est facturé au consommateur. À ce stade, il n'est pas prévu d'encadrer ces frais, mais de mieux comprendre ce qu'ils recouvrent. Cette mission doit aboutir d'ici la fin du printemps.

La deuxième mesure destinée à favoriser la protection des consommateurs consiste à leur permettre de changer facilement de banque grâce à la mobilité bancaire. La loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques du 6 août 2015 permet maintenant de changer de banque sans aucune démarche autre que le fait que de donner mandat à la nouvelle banque de transférer l'intégralité des virements et des prélèvements auparavant réalisés sur l'ancien compte. Le décret d'application de cette loi a été adopté le 31 janvier de cette année. Le dispositif est maintenant totalement effectif.

La troisième préoccupation du Gouvernement est d'assurer la protection des populations les plus fragiles, notamment grâce à la mise en place d'une offre spécifique avec un certain nombre de services bancaires ne pouvant dépasser 3 euros, afin de limiter les situations de surendettement.

La concurrence et l'innovation se sont notamment traduites dans le secteur des services de paiement par l'adoption d'un régime juridique permettant d'encadrer l'arrivée de nouveaux acteurs, notamment les agrégateurs de comptes bancaires ou les tiers de confiance, afin de réaliser un certain nombre de paiements, grâce à l'adoption d'une directive communautaire récente qui doit être maintenant transposée.

Par ailleurs, en matière de paiement, une stratégie nationale a été développée qui doit permettre d'encourager le paiement par virement et prélèvement.

La quatrième préoccupation concerne la banque de détail, qui fait aujourd'hui face à des coûts de mise en conformité, notamment à cause de la sécurité, et à une baisse très forte de la marge d'intermédiation, du fait des taux bas et des renégociations de crédit immobilier massives intervenues au cours des deux dernières années, qui ont eu pour conséquence de fortement diminuer le rendement du stock des bilans des établissements, ainsi que leurs marges. Les commissions ont subi une baisse liée aux différentes mesures que j'ai décrites.

La situation est donc plus compliquée en termes de profitabilité et de rentabilité de la banque de détail. Des adaptations de la présence territoriale ont déjà été annoncées. Les comparaisons internationales démontrent que les établissements français, de ce point de vue, sont plutôt en retard par rapport aux autres pays.

Des évolutions sont probablement à attendre de ce point de vue au cours des prochaines années, ainsi qu'une adaptation indispensable des banques de détail classiques à la banque en ligne et au développement de nouveaux acteurs dans ce secteur, qui devront probablement accroître leurs propres offres. Toutes commencent d'ailleurs à le faire, bien qu'il existe de potentiels conflits d'intérêts internes dans ce domaine.

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. - La commission des affaires économiques se sent particulièrement concernée par ce sujet, d'abord parce que nous traitons des questions touchant la consommation, mais aussi parce que nous sommes également intéressés par le financement des PME, et par le financement de l'immobilier.

Concernant le crédit à la consommation, je voudrais vous interroger sur les effets de la loi Lagarde de 2010 : y a-t-il des risques de dérapage du crédit à la consommation malgré les dispositions de la loi ? Ces risques sont-ils aujourd'hui correctement régulés ?

Concernant le financement des TPE et des PME, quelle est votre opinion sur le court terme ? Les banques font-elles bien leur travail ? D'une façon plus générale, existe-t-il une coopération fructueuse entre les banques et Bpifrance ?

Enfin, concernant le crédit immobilier, j'appelle votre attention sur les travaux du Comité de Bâle qui, semble-t-il, font peser des incertitudes sur le modèle français de distribution du crédit immobilier. Il pourrait à terme menacer des crédits immobiliers à taux fixe et remettre en cause le système de cautionnement français, très particulier, par rapport au dispositif en cours dans les pays anglo-saxons, qui pratiquent l'hypothèque. Ces travaux ne risquent-ils pas d'imposer aux banques de se focaliser davantage sur la valeur du bien que sur la solvabilité des emprunteurs ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - Les banques de détail n'ont-elles pas créé leur propre concurrence en ayant de plus en plus recours à des centres d'appel téléphonique ou à des moyens Internet, recherchés par les clients ? N'ont-elles pas accéléré le mouvement vers la banque digitale et fait en sorte que beaucoup de clients n'ont aujourd'hui plus beaucoup d'intérêt à aller dans une banque de guichet, où ils ont la plus grande difficulté à avoir un accès physique à une personne ?

Deuxièmement - je m'adresse aux acteurs bancaires - quels sont aujourd'hui, selon vous, vos principaux concurrents ? S'agit-il de banques comme Boursorama, qui sont parfois des filiales de grands groupes bancaires, de nouveaux acteurs comme PayPal ou, demain, Orange, grâce à la téléphonie, des comptes Nickel, ou de moyens de paiement comme Apple, Amazon ou autres ? Aura-t-on d'un côté le paiement, qui peut se faire par différents canaux et, de l'autre, lorsqu'il s'agit d'assurances, de placements, de crédits, une activité bancaire plus traditionnelle, éventuellement avec des banques à distance ? Le paiement ne sera-t-il pas demain totalement scindé de l'activité bancaire ?

Par ailleurs, comment le coût des distributeurs de billets - 2,6 milliards d'euros - sera-t-il pris en charge par les banques ou les acteurs qui n'ont pas de guichets physiques ?

Enfin, risque-t-on de connaître, dans le domaine des relations entre l'entreprise et la banque, le même phénomène de digitalisation que pour les particuliers ?

M. Sébastien Declercq. - Le modèle français de banque repose sur le principe de la banque universelle, dans lequel on intègre un grand nombre de métiers : les paiements, le crédit, l'épargne et même les produits d'assurance, qui forment aujourd'hui un bouquet de services qui sont présentés aux consommateurs.

Ce modèle est assez spécifique. Il explique aussi pourquoi la fidélité des clients est plus importante en France que dans les autres pays, le nombre de liens qui existent entre une banque et son client étant de l'ordre de huit à dix produits en moyenne par client.

Ce modèle de banque universelle va-t-il survivre ? Comment fait-il face à l'émergence des nouveaux canaux ?

Sur le plan de l'évolution internationale, en matière de distribution, les acteurs bancaires suivent plutôt les comportements, sans être précurseurs. Les établissements bancaires qui s'adaptent le plus vite aux nouveaux comportements, notamment à la téléphonie et à Internet, sont plutôt les acteurs du Nord de l'Europe - Royaume-Uni, Pays-Bas, pays nordiques - qui ont beaucoup investi dans ce domaine. Le fait que le mobile constitue aujourd'hui un vecteur très puissant de communication crée les conditions du développement d'acteurs comme Orange ou Boursorama avec un certain succès.

On peut s'attendre à ce que cette tendance se poursuive et que la plupart des acteurs bancaires développent des stratégies omnicanales, afin d'accompagner les besoins du consommateur selon son envie et le canal qu'il choisit, suivant un parcours très fluide lui permettant d'entrer dans une agence pour demander une information, de poursuivre sur son téléphone mobile, et éventuellement de conclure par un autre canal.

Ces évolutions posent le sujet du modèle de banque universelle, qui a quand même ses vertus, notamment parce qu'il permet de diversifier la gamme de produits pour le consommateur et les risques pour la banque.

Les directives européennes et la réglementation ont créé les conditions pour de nouveaux acteurs européens, notamment dans le domaine des paiements. Hors d'Europe, PayPal a connu un succès planétaire. Ceci pourrait avoir des conséquences sur le modèle économique des acteurs bancaires. Si cette segmentation par métier devait s'accentuer, elle pourrait remettre en cause les équilibres économiques des acteurs bancaires français, qui ont aujourd'hui des marges assez faibles sur les crédits immobiliers et ne facturent pas nécessairement tous les coûts mais, a contrario, des services plus spécifiques pour équilibrer leur modèle. Une verticalisation des métiers pourrait créer une symétrie entre les coûts et les revenus des acteurs, ce qui n'est pas aujourd'hui tout à fait le cas.

M. Jean-Yves Forel. - Les banques de proximité n'ont-elles pas créé leur propre concurrence ? Je ne crois pas que l'on puisse présenter la situation de cette manière. Il existe tout un ensemble d'opérations que, par le passé, le client, par obligation et non par plaisir, devait réaliser en agence et qui peuvent aujourd'hui être totalement automatisées, ce qui est plus pratique. Pourquoi se rendre dans une agence pour effectuer un virement ou un retrait automatique, alors qu'on peut utiliser un distributeur, souvent très facile d'accès ?

Pour autant, toutes les banques n'ont pas développé de centres d'appel. Cependant, depuis quatre ou cinq ans, la nature des contacts a évolué de manière extrêmement significative : il est en effet plus facile de téléphoner ou d'envoyer un courrier électronique. Aujourd'hui, un client considère qu'un courrier électronique qui n'a pas obtenu de réponse en quatre heures, ou qu'un appel téléphonique qui n'a pu être suivi d'un rappel en moins de huit heures, traduisent une difficulté.

Cette évolution n'est pas propre à la banque. Elle concerne tous les secteurs, et révèle une évolution du comportement de l'ensemble de nos concitoyens.

Tous ces efforts ont eu pour but de rendre plus opérationnelle et plus pratique la gestion du flux de ces contacts téléphoniques ou électroniques, qui n'a cessé de croître.

Pour notre part, nous avons décidé, il y a trois ou quatre ans, de supprimer les centres d'appel et de communiquer à nos clients le numéro de ligne directe de nos conseillers. Je ne crois pas que ceci suffise à expliquer qu'on se rende moins dans une agence, au motif qu'il existe un ensemble d'opérations très faciles à réaliser. Les banques, en la matière, ont soutenu une évolution bien naturelle réclamée par les consommateurs.

Pour ce qui est des distributeurs de billets, leur nombre est bien plus significatif en France que dans les autres pays, alors même - et je crois qu'il faut s'en féliciter - que l'usage de la monnaie fiduciaire diminue. Vraisemblablement, le développement de certains dispositifs de paiement, notamment le dispositif sans contact, qui permet de régler facilement de petits montants, va encore réduire l'usage de la monnaie fiduciaire.

Le mouvement a déjà largement été entamé et va se poursuivre. Il va donc y avoir moins de distributeurs de billets en France. Ce sont ceux qui, à travers le monde, enregistrent le moins de retraits par appareil, tout simplement parce qu'il y en a trop.

Qui sont les concurrents ? Ils sont divers. Il existe une concurrence très importante entre tous les acteurs présents, qu'il s'agisse des banques classiques, directes, ou des nouveaux acteurs, en matière de paiement, de gestion de l'épargne, de financement, ou d'assurance.

Le sujet a été très bien décrit par Sébastien Declercq : on aura sans doute à l'avenir des banques universelles et des banques plus modulaires, à l'architecture plus ouverte, qui agrégeront des services verticaux développés pour répondre à telle ou telle attente des clients.

Les défis, s'agissant des PME et des professionnels, sont un peu les mêmes que ceux que nous connaissons avec la clientèle des ménages et des particuliers. La marge d'intermédiation est également sous pression dans cette activité, mais les entreprises restent bien plus attachées que les particuliers à la présence d'un conseiller qui les accompagne dans la mise en oeuvre de leur stratégie de développement, ou en matière de plan de financement. Cette présence physique est sans doute plus indispensable que pour la majorité des clients particuliers.

Cependant, si le digital a sur cette clientèle un impact plus marqué que sur celle des particuliers, c'est que celui-ci va vraisemblablement profondément modifier certaines offres. Jusqu'à récemment, pour un commerçant, il s'agissait de négocier avec sa banque les conditions de remise de son chiffre d'affaires de cartes bancaires, de chèques, ou éventuellement fiduciaire, et l'ensemble de ses paiements. Aujourd'hui, la convergence entre les activités physiques et les activités par Internet va certainement faire évoluer ces métiers et offrir des services globaux d'acquisition, qui constitueront des couches de désintermédiation qui agrégeront l'ensemble des services, avec des différences, comme la tenue d'un fichier clients ou l'exploitation des données clients afin d'assurer la fidélité, ou un ensemble d'actes de gestion relevant du domaine de l'activité commerciale.

Autre exemple : la commande, la facture, le paiement et le financement - et cela peut s'appliquer à beaucoup de secteurs d'activité - peuvent créer des verticalités totalement digitalisées, que des acteurs qui ne sont pas ceux que vous avez nécessairement en tête pourront proposer. Le président de la commission des affaires économiques a parlé de financements à court terme : cela peut être une évolution à moyen terme de ce type de dispositif.

Enfin, dans un secteur comme le secteur médical, on peut imaginer des verticalités destinées à gérer le planning, les rendez-vous, à encaisser le règlement et à assurer le remboursement. Ce rapport bouleverse beaucoup de choses. Cela peut rappeler un des facteurs du développement des plates-formes de VTC : leur règlement, qui était plutôt naturellement dans la partie bancaire, s'est totalement intégré dans un dispositif qui n'était pas du tout financier, et qui est devenu totalement transparent du point de vue du consommateur.

Dans la clientèle professionnelle, les verticalités vont se développer et intégreront une chaîne de valeurs qui ne comportera pas que le paiement, le règlement ou le financement, mais qui remontera en amont ou en aval en fonction des métiers.

Mme Marie Cheval. - Je partage totalement ce qu'ont dit Sébastien Declercq et Jean-Yves Forel au sujet de la concurrence des nouveaux acteurs.

J'ajoute que le système français de crédit immobilier, qui fonctionne bien, comporte plusieurs spécificités, dont deux sont très importantes. La première est la caution, qui n'existe qu'en France, qui revient bien moins cher au client et est surtout techniquement plus rapide que l'hypothèque. Il faut donc absolument trouver une façon de préserver ce système, très positif pour la Franque, que l'on arrive d'ailleurs maintenant à expliquer. Les autorités européennes commencent à le comprendre. Il est très important que des acteurs comme Crédit Logement puissent continuer à exercer.

La seconde spécificité provient du fait qu'en France, lorsqu'on prête, on regarde la solvabilité de l'emprunteur plutôt que la valeur du bien. Ceci a démontré ses vertus au moment de la crise, et permet d'éviter de prêter à quelqu'un qui ne pourra jamais rembourser. C'est aussi une spécificité française qu'il faut conserver.

Enfin, les centres d'appel, pour être quelque peu polémique, ne sont pas forcément synonymes de mauvaise qualité de service. On peut réaliser des choses en France dans ce domaine, avec des centres d'appel à taille raisonnable, où l'on trouve une réponse rapide et complète, alors qu'un conseiller, lorsqu'on cherche à le joindre, peut être en rendez-vous, en formation, en congés, ou ne pas avoir la réponse parce qu'il ne se trouve pas dans son bureau ! Le téléphone n'est donc pas forcément mauvais.

M. Mathieu Escot. - L'UFC-Que choisir s'était très fortement mobilisée sur la question du crédit à la consommation, en particulier au moment de la loi Lagarde. Force est de constater que la situation s'est réellement améliorée de ce point de vue. Les dérives qu'on avait pu constater sur le crédit renouvelable sont en grande partie derrière nous.

Quant au cautionnement bancaire, il s'agit d'un marché extrêmement verrouillé par les banques, dont les filiales sont soit directement captives du cautionnement, soit du Crédit Logement, que possède un pôle de banques. On arrive à des niveaux de rentabilité extrêmement élevées, selon une étude que nous avions menée en 2014. Le modèle n'est pas forcément mauvais, mais il existe un véritable enjeu de concurrence s'agissant de cette question.

M. Antoine Saintoyant. - Une question a été posée au sujet du crédit à long terme consenti aux TPE et aux PME, notamment concernant l'articulation avec Bpifrance.

Il est clair, selon nous, que Bpifrance doit intervenir en complément des banques, et non en se substituant à elles. C'est ce que Bpifrance a fait, notamment via le préfinancement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), à partir de 2014, et surtout en 2015, avec des montants de préfinancement très importants qui, de notre point de vue, ont été un vecteur extrêmement utile pour le financement à court terme des entreprises.

En second lieu, l'objectif du Gouvernement, qui prend part aux discussions du Comité de Bâle sur les questions de crédit immobilier, est bien de préserver le modèle français de crédit à taux fixe et de dispositif de cautionnement.

Ainsi que cela a été dit, ce modèle étant assez spécifique, notamment pour ce qui est de la caution, le travail d'explication reste assez fort, comme à chaque fois que l'on doit essayer de préserver un modèle particulier, mais on est convaincu de son intérêt, notamment en termes de stabilité financière. On entend donc bien chercher à le préserver aux niveaux international et européen.

M. Philippe Dallier. - Ma question concerne l'avenir de la banque de détail. J'ai été surpris de la manière dont le sujet a été abordé.

Sébastien Declercq nous a dit que la profitabilité était moins bonne qu'auparavant, et que l'on risquait donc d'assister à des fermetures d'agences. C'est étonnant ! La profitabilité du réseau n'est pas en baisse en raison de l'accroissement des coûts de fonctionnement des agences, mais en raison de la situation des taux et des contraintes prudentielles : cela peut évoluer.

Le vrai problème - et j'ai l'impression qu'on n'ose pas le dire, mais il faut en tenir compte et s'y adapter - vient du fait que les clients n'iront effectivement plus dans les agences bancaires. Qui a envie d'aller passer une heure, un samedi après-midi, dans une agence bancaire ? Personne ! On n'ira bientôt plus que pour signer les prêts, et quand la signature électronique sera généralisée, on n'ira plus du tout. Il faut avoir le courage de regarder les choses en face : le monde est en train de changer, et il va falloir que les banques s'adaptent.

Combien d'emplois sont en jeu à cinq ans ou à dix ans ? C'est là la vraie question ! Comment s'y adapter ? Ce sont les emplois les moins qualifiés dans les banques qui vont encore disparaître. Il faut dès maintenant réfléchir à notre système de formation, et arrêter de former des gens qui ne retrouveront pas d'emploi dans cinq ans !

M. Marc Laménie. - Les différents intervenants nous ont apporté leur éclairage sur des sujets qui sont au coeur de nos préoccupations de parlementaires, mais aussi d'élus de proximité.

S'agissant de la fermeture des points de contact, dans mon département des Ardennes, comme dans beaucoup d'autres, on cherche en vain les agences bancaires ouvertes le samedi après-midi, voire le lundi. C'est le cas du Crédit agricole, d'après ce que disent les sociétaires lors des assemblées générales des caisses locales. Les plages d'ouverture étant peu nombreuses, on en conclut que de moins en moins de monde fréquente les agences. On parle d'aménagement du territoire, mais le problème vient de la fermeture de plus en plus d'agences locales, notamment dans les bourgs centres.

La dématérialisation, Internet, les comptes en ligne, etc., ont leurs limites. Cela n'a pas été évoqué, mais il existe encore beaucoup de zones blanches. Je ne suis pas expert en informatique, et je suis davantage intéressé par les relations humaines mais, même si les distributeurs automatiques peuvent apporter un plus, ces zones blanches et les escroqueries informatiques à la carte bancaire peuvent constituer un problème pour les populations les plus fragiles.

M. Alain Houpert. - Je suis heureux que les banques prospèrent et enregistrent des bénéfices importants, mais je pense que Bâle 3 a bon dos !

Les banques sont obligées de communiquer chaque année à leurs clients le détail de leurs frais financiers. Or, en France, il existe un principe selon lequel on ne doit pas dépasser le taux d'usure, et les frais financiers qui sont parfois prélevés sur de toutes petites opérations dépassent largement celui-ci, qui est d'environ 3 % pour un prêt classique, mais qui monte jusqu'à 19,99 % pour un découvert ! J'aimerais donc savoir quel est le taux de l'usure en France.

Par ailleurs, s'il existe une désaffection de la clientèle pour les agences bancaires, ce n'est pas simplement dû à Internet, mais aussi au fait que le client est de moins en moins bien accueilli.

En outre, la relation du client avec l'agent bancaire est régulièrement stoppée par l'obligation de mobilité qui est appliquée par toutes les banques. En milieu rural, les gens qui fréquentent les agences bancaires sont souvent des personnes âgées, qui aiment bien avoir le même interlocuteur.

Mme Marie-France Beaufils. - Il ne faut pas oublier les populations fragiles, qui utilisent très peu Internet, et qui ont peu de moyens de pouvoir disposer des outils qui leur permettront d'être bien informés sur leur situation bancaire, ou qui ont parfois du mal à comprendre les outils que vous mettez à disposition en ligne.

On n'en parle pas, mais cela touche une partie importante de la population. On ne peut balayer cet argument d'un revers de la main sous prétexte qu'une économie numérique se met aujourd'hui en place. Ce n'est pas si simple quand on est sur le terrain et qu'on regarde les choses de près... J'aimerais que les banques soient plus attentives à ces aspects-là. J'ai pris connaissance de vos prévisions de réduction du nombre d'agences et de salariés en vue d'une meilleure rentabilité et d'une meilleure marge. Quand j'observe le résultat de la Société générale tel qu'il a été publié dans la presse, je n'ai pas l'impression qu'il est si mauvais ! Je n'ai pas l'impression d'une chute catastrophique qui empêche de conserver un maillage suffisant pour l'ensemble de la population. J'émets donc des réserves sur la démarche telle qu'elle est abordée aujourd'hui, qui tient très fortement compte des marges, mais insuffisamment des clients et de la façon de répondre à leurs attentes. Je le dis parce qu'il s'agit d'un ressenti très fort.

Vous avez parlé de renégociation des crédits, en laissant supposer que ceux-ci pèsent lourdement sur les résultats de la banque. Cependant, les conditions de refinancement sont elles aussi meilleures qu'auparavant. J'aimerais que vous m'expliquiez cet aspect des choses.

Enfin, le secteur bancaire a bénéficié du CICE, ce qui n'est pas négligeable. J'aimerais que vous nous apportiez quelques éléments sur la façon dont ces ressources ont été utilisées. Bien sûr, cela a été présenté, particulièrement pour les petites entreprises, comme un outil de trésorerie, mais les banques de détail n'ayant pas besoin d'outil de trésorerie, pourraient-elles nous dire comment elles ont utilisé le CICE, celui-ci ayant pour objectif de renforcer la compétitivité et non de réduire les emplois ?

M. François Marc. - Quelqu'un a parlé d'un « pincement des marges opérationnelles des banques ». Un pincement peut faire mal, mais on constate à la sortie 6 milliards d'euros de résultats pour BNP Paribas, 4,5 milliards d'euros pour Société générale. Le pincement n'a donc pas été excessivement douloureux !

Quand on évoque ce sujet - et la commission des finances rencontre régulièrement la fédération bancaire française (FBF) - on entend dire que la régulation mise en place est pénalisante du fait des critères à respecter à la suite des accords de Bâle. On nous met également en garde contre toutes ces dispositions qui pourraient pénaliser un peu plus encore la rentabilité.

Or, les banques ont aujourd'hui de quoi fonctionner dans de bonnes conditions. La Banque centrale européenne injecte 60 milliards d'euros par mois. En cas de problèmes de trésorerie, on pourrait disposer de moyens d'action à des taux dérisoires. Pourquoi l'argent ne va-t-il donc pas davantage vers l'économie ? C'est un peu la question que tout le monde se pose !

J'ai le sentiment que notre société recherche plutôt ce qui est rentable, spéculatif, qui va permettre du rendement. J'en veux pour preuve le fait que, si les banques ne se développent plus aujourd'hui, elles n'en créent pas moins des réseaux dans la finance parallèle. Tout le monde sait bien que le shadow banking, qui représente à peu près 50 % de l'activité financière non régulée, est en relation très étroite avec le système bancaire régulé. C'est ce fonctionnement en réseau, grâce à des filiales diverses et variées, qui permet d'obtenir la rentabilité.

Les choix stratégiques qui sont faits ne contiennent-ils pas une des explications du fait que l'argent va plutôt à l'argent, recherche de la rentabilité et du risque et essaye de dégager des profits ? Dès lors, le financement de l'économie, qui peut se révéler parfois trop risqué, n'est pas forcément privilégié par les banques.

C'est un des éléments d'explication à propos desquels j'aimerais obtenir le point de vue des deux orateurs que j'interpelle à ce sujet.

M. Michel Canevet. - On a bien compris que l'évolution risquait d'être terrible au plan territorial, en particulier pour les zones rurales.

J'aimerais demander à Sébastien Declercq s'il a le sentiment que plus aucun client n'aura à fréquenter les agences bancaires, et si l'évolution ne sera pas trop rapide.

Des opérateurs comme Amazon - chez qui nous nous sommes rendus récemment - qui proposent plus de 200 millions de références, ne risquent-ils pas d'investir le secteur bancaire pour récupérer l'ensemble des gros opérateurs internationaux et mettre ainsi la main sur le réseau bancaire ?

Je souhaite également demander à Marie Cheval s'il y a eu un transfert de clients de la Société générale vers Boursorama. Est-ce ainsi que votre entité s'est développée, ou est-ce par des prises de marchés extérieurs ?

Je voulais également interroger Antoine Saintoyant sur le risque de concentration des banques. Je prends pour illustration la tentative de mainmise du Crédit mutuel-CIC sur le Crédit mutuel Arkéa, groupe enraciné en Bretagne, dont la plus-value consiste à investir l'économie locale et à s'impliquer dans la vie des entreprises. Si on évolue vers une internationalisation accrue, les opérateurs ne s'intéresseront plus aux questions d'économie locale, et cela risque d'être dramatique pour une partie de notre territoire !

M. Claude Raynal. - Sébastien Declercq a évoqué le fait que les banques françaises sont traditionnellement des banques généralistes. Ne va-t-on pas finalement vers une plus grande spécialisation des banques, certaines personnes ayant déjà plusieurs banques ? Ceci vient-il du fait que l'on n'est pas assuré de récupérer ses fonds au-delà de 100 000 euros, ou du fait que certaines banques spécialisées attirent une clientèle particulière ?

Deuxièmement, s'agissant de la numérisation, comment va-t-on traiter les populations les plus défavorisées, les contacts avec le conseiller étant dématérialisés ? Beaucoup de banques traditionnelles offrent encore des possibilités de contacts humains : il existe des règles, mais on connaît les clients, on s'adapte, on tolère. Les applications numériques peuvent-elles reproduire ce modèle ?

Troisièmement, on a évoqué la restriction de la monnaie fiduciaire. On sait qu'il existe un débat à ce sujet avec les Allemands, qui apprécient particulièrement les billets de 500 euros. On n'est donc pas prêt de la supprimer !

J'entends cependant dire qu'il existerait trop de distributeurs de billets. Il est vrai que certaines avenues en sont abondamment pourvues ! Vous voulez les comprimer mais, dans les petites communes, on va très vite arriver à un distributeur de billets, alors que beaucoup n'en ont déjà plus !

La commission prélevée pas les banques lorsqu'on utilise un distributeur d'une autre banque que la sienne sera-t-elle maintenue ? Si on enlève des distributeurs, il faut qu'on ait les mêmes coûts qu'avec sa propre banque lorsque retire de l'argent à un distributeur unique !

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Certains de mes collègues ont évoqué les problématiques des populations précaires ou défavorisées. Je voulais relever une faiblesse, qui concerne certes peu de monde, mais touche cependant les personnes disposant de faibles revenus. Les plates-formes en ligne imposent en effet des conditions de revenus minimums pour pouvoir ouvrir un compte bancaire ou bien utiliser une carte bleue gratuite.

Je sais que l'on peut librement ouvrir un compte sans conditions de revenus minimums chez Boursorama, mais je crois savoir que, pour obtenir une carte bleue, il faut atteindre 1 000 euros nets de revenus mensuels. Ceci constitue une faiblesse, et je voudrais connaître votre avis à ce sujet.

M. Jean-Claude Requier. - J'ai entendu que l'on envisageait de fermer physiquement des agences. Je suis inquiet, car je suis élu d'un département rural, le Lot, où beaucoup de personnes âgées sont très réticentes à Internet. On risque de laisser des clients captifs sur le bord de la route ! Je suis donc favorable au fait de maintenir ces agences le plus possible, au nom du combat pour un service public bancaire.

En second lieu, les distributeurs automatiques de billets, que l'on appelle en occitan des « tiranous » - on « tire à nous » les billets - sont très importants pour le commerce local. En effet, dans une cité touristique comme la mienne, les gens s'arrêtent pour retirer de l'argent et le dépensent dans les commerces. C'est donc un service important.

Ma question rejoint celle de Claude Raynal, et je me demande s'il ne conviendra pas, si on les réduit trop, d'assurer au moins la présence d'un distributeur. À quel coût pourra-t-on alors prélever de l'argent si ce distributeur n'est pas celui de sa propre banque ?

M. Jean-Yves Forel. - Je n'ai pas dit qu'on allait fermer des agences : j'ai dit qu'on devait adapter notre modèle de relations.

J'ai beaucoup parlé du conseiller. Vous avez raison : il y a bien longtemps qu'on ne vient plus en agence pour réaliser des opérations que l'on peut faire de manière beaucoup plus simple.

Vous avez dit - et vous avez raison - que la plupart des contrats pourront être signés électroniquement. Chez nous, ils représentent déjà 25 % du total. On vient donc de moins en moins en agence pour cela.

Cependant, je reste persuadé que le conseiller conservera un rôle très important, par exemple en matière de prêts, pour discuter des capacités de remboursement, etc.

Peu de gens réalisent encore aujourd'hui des opérations simples en agence. Il n'existe plus beaucoup de guichetiers, mais les emplois de conseillers nécessitent des compétences financières, fiscales, techniques, et surtout une capacité d'écoute et de compréhension des situations, qui sont très différentes d'un client à l'autre, qu'il soit particulier ou professionnel.

On a donc un besoin de s'adapter, dans un contexte de pincement des marges. Certes, les coûts de refinancement ont baissé mais, en face des crédits, dans nos bilans, on a des ressources qui sont parfois rémunérées, réglementaires. La diminution de ce rendement n'a peut-être pas été de même nature que la baisse des conditions de financement. Nous avons également des charges - agences, conseillers. Il s'agit d'un coût de collecte. Celui-ci, à ma connaissance, n'a pas baissé, les conditions de mise en oeuvre étant conformes à ce qui se passe dans l'économie en général.

Pour des taux de refinancement de 2 %, la rémunération des conseillers, le traitement des opérations, les coûts informatiques et les coûts immobiliers des agences ne pèsent pas dans les mêmes proportions et ne suivent pas la même évolution à la baisse. C'est ce qui explique que les marges se sont réduites entre le rendement des crédits et le coût de la collecte.

C'est un phénomène très important. On a pu se focaliser ici ou là sur les commissions que l'on facture, mais il faut se rappeler que, dans le revenu des banques de proximité, ces commissions représentent peu de chose. La majorité du chiffre d'affaires de la banque de proximité, c'est la marge d'intermédiation.

Certes, le coût de la banque a diminué durant les dix dernières années, les crédits souscrits par les clients ayant beaucoup baissé. C'est bien du pouvoir d'achat qui est entre les mains des ménages.

Enfin, vous nous avez interrogés sur la banque de proximité. Vous évoquez la rentabilité des groupes. Il faut bien distinguer les deux : la banque de proximité apporte parfois une contribution minoritaire à un résultat global d'un groupe, qui peut agir dans beaucoup de territoires et beaucoup de métiers.

Pour ce qui est des distributeurs automatiques de billets, j'ai dit qu'il y en avait beaucoup. En fait, beaucoup de banques, au départ, ont mis plusieurs distributeurs dans le même point de vente. Il faudra également régler un problème qui se pose depuis plusieurs années, celui des zones à faible densité, plutôt rurales : comment faire pour assurer ce service très utile - même si l'usage, en France, de la monnaie fiduciaire diminue et va continuer à diminuer, tout simplement parce que ce sera plus pratique pour nous tous de payer un café sans avoir de monnaie dans sa poche.

M. Sébastien Declercq. - Tout ce que l'on a décrit se déroule bien évidemment sur nos territoires, mais également à l'étranger.

L'évolution a commencé. On l'observe depuis plus de cinq ans, avec des évolutions assez sensibles des modèles de banque de proximité, où l'on trouve tous les points de contact, digitaux et physiques.

En France comme à l'étranger, on constate une diminution de 5 % à 6 % par an de la fréquentation des agences bancaires. C'est vrai aussi des bureaux de poste. Cela ne signifie pas que les agences vont disparaître, mais elles doivent se réinventer. Elles deviennent un peu plus légères, se dédoublent avec les distributeurs automatiques. De nouvelles formes d'agences vont évoluer pour être moins chères et conserver un peu de proximité.

Je suis totalement d'accord pour ce qui est du conseil : les agences vont conserver toute leur légitimité dans la compréhension des besoins et pour apporter des conseils aux clients. Ce qui va se dématérialiser, ce sont les transactions. C'est déjà le cas et les choses vont se poursuivre : de plus en plus de services vont se dérouler sous forme électronique.

Que se passe-t-il en France, et comment cela varie-t-il ? Le système français comporte deux points spécifiques. Tout d'abord, les deux tiers de l'activité sont portés par les acteurs mutualistes, qui ont une vraie proximité avec les territoires. Le nouveau président du Crédit agricole a rappelé, ce matin, son ambition de rester au contact des territoires. Je pense que le groupe BPCE est dans la même démarche. D'une manière générale, c'est une spécificité française qui nous donne la capacité d'agir et d'influencer le maillage territorial, à travers les caisses locales et régionales.

En second lieu, on trouve, à l'autre bout de l'échelle, la Banque postale, que le Trésor a souhaité créer il y a quelques années, qui a aujourd'hui toute sa place sur le marché français et qui repose sur des agences postales encore très nombreuses. On pourrait dire la même chose des agences postales que ce que j'ai dit tout à l'heure à propos des agences bancaires. Une très grosse refonte est intervenue dans les bureaux de poste un peu partout en Europe, voire à des niveaux plus importants.

L'accessibilité des services financiers aux populations rurales, et notamment aux populations fragiles, constitue un véritable atout. Ce n'est pas parfait, mais on n'a pas à en rougir. Je sais que ceci est au centre des préoccupations des pouvoirs publics et des acteurs bancaires.

Pour ce qui est du futur, vous avez cité Amazon. On pourrait également parler de Google, qui sait avant tout le monde qui va acheter une voiture, un réfrigérateur ou une télévision, qui va déménager, et qui peut donc être à la source d'événements, ce qui lui permet le cas échéant d'ouvrir de nouveaux services, notamment de type bancaire ou assurantiel.

Aujourd'hui, on n'a observé nulle part dans le monde de nouveaux concurrents totalement révolutionnaires qui aient embarqué une grosse partie de l'activité. Certes, il existe PayPal dans le domaine du paiement. C'est peut-être l'exception. Toutefois, dans les services financiers de proximité, cela ne s'est pas encore produit. C'est cependant une menace. Si elle se confirme, elle ne fera qu'accentuer la pression sur le modèle économique dont on a parlé.

Mme Marie Cheval. - Je voudrais revenir en complément sur trois points.

Un point important concerne l'exclusion potentielle de la numérisation d'une certaine partie de la population. Tout d'abord, il ne faut pas croire que la numérisation complique les choses. Il existe un certain nombre d'exemples dans notre vie courante : commander un billet de train, déclarer ses impôts, payer la cantine de ses enfants n'est pas plus compliqué à faire avec un smartphone que sans smartphone.

Ceci pose la question de l'accès de certaines populations à Internet, de leur équipement et des zones blanches, mais faut-il pour autant freiner la digitalisation ? N'est-il pas préférable de trouver les moyens de remédier à ces problèmes ?

En ce qui concerne les banques en ligne, je déconseille à quelqu'un qui n'a pas d'accès à Internet de venir chez Boursorama. Toutefois, 20 % de nos clients ont plus de soixante ans !

S'agissant de la question de Claude Raynal au sujet de l'adaptation et de la tolérance, va-t-on avoir la même relation avec une banque en ligne et avec une banque classique ? Tout d'abord, l'adaptation et la tolérance, sur un certain nombre de sujets bancaires, ne sont plus possibles du fait de la réglementation. Aujourd'hui, on ne peut ouvrir un compte sans pièce d'identité ni justificatif de domicile, que ce soit dans une banque en ligne ou dans une banque traditionnelle, sous peine d'amende pour la banque.

En outre, ce n'est pas parce qu'on est client d'une banque à distance qu'on ne peut pas échanger avec quelqu'un et interagir. Pour les personnes qui préfèrent avoir un interlocuteur en face d'elles, il est préférable de conserver plusieurs types de banques.

Enfin, s'agissant de la carte bancaire gratuite, les choses sont en train d'évoluer. Il faut bien gagner de l'argent ! Boursorama réserve la carte bancaire gratuite à ses clients qui disposent de 1 000 euros nets de revenus mensuels. Cela nous permet de générer des revenus. Je rappelle toutefois que, pour les membres de BlablaCar, il n'existe pas de conditions de revenus pour disposer d'une carte bancaire gratuite.

M. Mathieu Escot. - On est vraiment au coeur de la question des attentes des consommateurs. Ces évolutions se font pour des raisons externes plutôt conjoncturelles - taux, etc. - et pour des raisons structurelles qui relèvent des comportements des consommateurs. Aujourd'hui, la fréquentation des agences diminue, alors même que le réseau n'a pas encore drastiquement diminué. On voit bien que ce n'est pas parce que les agences ferment que les clients y vont moins : c'est parce qu'ils vont moins dans les agences bancaires que les réseaux vont fermer !

On ne peut ni ne doit lutter contre ces comportements : on ne va pas forcer les clients à aller deux fois par an dans leur agence pour faire du flux ! Pour autant, il ne s'agit pas non plus de les contraindre dans d'autres domaines. Je pense aux moyens de paiement dématérialisés utilisant le smartphone, qui sont très bien pour les populations qui ont un smartphone. Même à moyen terme, la population ne sera jamais équipée à 100 % de smartphone pour des questions de revenus ou d'âge.

Ces évolutions doivent se faire naturellement, sans forcer, les attentes de la population évoluant avec elle. Je pense en particulier aux propositions qui refleurissent assez régulièrement sur la disparition du chèque ou sa facturation, sur la question de l'argent liquide, sur la fonction de paiement par téléphone portable.

Ces évolutions forceraient le comportement des consommateurs. Pour l'UFC-Que choisir, ce n'est pas à encourager, bien au contraire. Il faut du choix, une pluralité de modes de paiement, de banques. Les banques en ligne sont très bien pour une partie des consommateurs, pas pour l'autre. Il faut conserver la pluralité, et que la réglementation le permette. Il ne s'agit pas de maintenir artificiellement des modèles qui ne sont plus fréquentés, pas plus que de forcer la fermeture de modèles moins fréquentés mais qui pourraient encore répondre à des besoins. Toute la population n'aura pas accès à ces solutions et les questions d'exclusion bancaire sont probablement plus devant nous que derrière.

M. Antoine Saintoyant. - Aujourd'hui le taux de l'usure varie en fonction du type de prêt. Le taux de l'usure du crédit immobilier est à environ 4 %, celui du crédit à la consommation, en fonction du montant, entre 7 % et 19,9 %. Il est de 13,2 % sur les découverts bancaires, mais on constate une baisse générale du taux de l'usure sur les crédits immobiliers du fait de la baisse des taux.

Une deuxième question a été posée sur la tendance à la concentration dans le secteur bancaire. Depuis la crise de 2008, la volonté des autorités, notamment des régulateurs, a été d'essayer de mettre un certain nombre de limites à cette concentration pour éviter le « too big to fail », certaines banques étant tellement grosses qu'elles devaient être soutenues par les pouvoirs publics en situation de crise.

Ceci s'est notamment traduit par des exigences en fonds propres plus fortes pour les banques dites systémiques. C'est le cas de quatre grandes banques françaises qui, à ce titre, se voient imposer des exigences plus importantes.

Il existe donc bien une volonté de tenir compte du risque lié à une taille susceptible de poser une difficulté aux pouvoirs publics en période de crise, et de tenir compte de risques liés à une taille trop importante susceptible de poser une difficulté pour les pouvoirs publics en période de crise.

Par ailleurs, l'accessibilité aux comptes pour les personnes défavorisées est une préoccupation forte du Gouvernement. La Banque postale joue d'ailleurs dans ce domaine un rôle important, et s'est vue confier par l'État une mission spécifique d'accessibilité bancaire, pour laquelle elle est rémunérée à hauteur d'environ 200 millions d'euros par an, et a obligation d'ouvrir un compte à toute personne qui détient un livret A.

Il existe d'autre part une procédure confiée à la Banque de France, qui peut désigner un établissement pour ouvrir un compte à une personne qui n'arriverait pas à avoir un accès au compte.

Le CICE, quant à lui, est un point particulièrement important pour le Gouvernement. C'est le comité de suivi de l'utilisation du CICE qui étudie ces questions. En matière bancaire, les investissements de mise en conformité liés pour partie à la réglementation relative à la lutte contre le blanchiment, au financement du terrorisme et à la gestion des comptes en déshérence ont entraîné des coûts très significatifs pour les établissements. Ce sont notamment ces investissements que le CICE a financés.

Enfin, s'agissant de la question de la rentabilité, lorsqu'on fait la somme des résultats nets des cinq plus grands établissements bancaires français en 2015, on arrive à des chiffres significatifs, aux alentours de 25 milliards d'euros. Ils peuvent paraître refléter une bonne santé financière. Cependant, une partie importante de ces résultats doit être utilisée pour renforcer les fonds propres des banques. Ceci va devoir continuer, les réglementations devant entrer progressivement en vigueur.

En outre, la marge sur l'activité classique bancaire présente une érosion forte, avec des perspectives de rentabilité préoccupantes, qui ont d'ailleurs été soulevées par le Gouverneur de la Banque de France et par le superviseur européen. La faiblesse de la rentabilité des banques européennes est aujourd'hui un point de préoccupation majeure, bien plus que la question de leur liquidité.

Il n'existe pas de problème de solvabilité, les exigences ayant été fortement renforcées. En revanche, la faible rentabilité est de plus en plus mise en avant par les superviseurs et les banquiers centraux. C'est de plus en plus une préoccupation pour le financement de l'économie, car des banques, qui verraient leurs revenus décroître progressivement, seraient sous pression pour continuer à financer l'économie dans de bonnes conditions.

Mme Michèle André, présidente. - Merci.

La réunion est levée à 12 h 40.