Mardi 20 juin 2017

- Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente -

Rapport « Femmes et agriculture » - Audition de Mme Stéphanie Pageot, présidente de la Fédération nationale d'agriculture biologique

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Mes chers collègues, je vous remercie de votre présence à cette audition.

Dans le cadre de nos travaux pour préparer le rapport sur la situation des agricultrices, nous avons le plaisir d'entendre aujourd'hui Stéphanie Pageot, présidente de la Fédération nationale d'agriculture biologique (FNAB). Elle est accompagnée de Julien Adda, délégué général de cet organisme, qui compte 10 000 adhérents et qui porte la voix des producteurs bio depuis 1978.

Je précise que notre réunion, qui fait l'objet d'une captation vidéo, est ouverte à nos collègues de la commission des affaires économiques et de la commission du développement durable. Je remercie le président Lenoir de nous accueillir dans la salle de la commission des affaires économiques.

Je rappelle que nos travaux ont commencé au mois de février, à l'occasion d'un colloque organisé au Sénat qui a rencontré un vif succès et suscité de fortes attentes. De nombreux sénateurs ont souhaité qu'un travail de fond prolonge cet événement. C'est pourquoi nous avons profité de cette période pour mener une réflexion et des auditions. Nous organisons cette étude de manière collective puisque tous les groupes du Sénat ont nommé un co-rapporteur pour former le groupe de travail chargé de rédiger le rapport. Nous tâchons autant que possible, dans cette délégation, que les rapports soient adoptés de façon consensuelle.

Depuis le colloque du 22 février dernier, nous avons organisé deux tables rondes, trois auditions - Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, les Jeunes agriculteurs et la Confédération paysanne - et quatre déplacements.

Nous espérons adopter le rapport en délégation début juillet et le présenter au public en septembre. Nous pouvons d'ores et déjà sensibiliser nos collègues députés aux problématiques des agricultrices ainsi que les sénateurs qui seront en campagne après l'été. Ils pourront ainsi se saisir de cette question, qui concerne l'agriculture et les femmes, deux sujets liés puisque les problématiques des agricultrices sont une amplification de celles de l'agriculture en général.

Stéphanie Pageot, vous êtes une femme présidente d'organisme professionnel, pouvez-vous nous décrire votre parcours ? En effet, même si l'agriculture biologique emploie plus de femmes que l'agriculture conventionnelle, vos instances de direction demeurent très masculines.

Par ailleurs, la place des femmes en agriculture constitue-t-elle un sujet d'étude, en particulier dans les travaux de la FNAB ?

À l'issue de votre présentation, les sénateurs poseront des questions ou feront part de leurs réactions. Je vous laisse sans plus tarder la parole.

Mme Stéphanie Pageot, présidente de la Fédération nationale d'agriculture biologique. - Je suis agricultrice en Loire-Atlantique, dans un GAEC, un groupement agricole d'exploitation en commun. Nous sommes trois associés : mon mari, mon beau-frère et moi-même. Nous employons cinq salariés représentant au total trois ETP. Nous produisons du lait bio, mais nous avons aussi une activité de transformation fromagère et de vente directe à la ferme.

Je représente les producteurs bio à l'échelon national depuis 2013.

J'ai une formation agricole assez poussée, puisque je suis ingénieure en agriculture. Mon mari et moi nous sommes installés dans l'Ouest en reprenant l'exploitation de mes beaux-parents - je suis pour ma part originaire des Vosges -, où les conditions de reprise étaient plus favorables, et nous avons décidé, sur mes instances, de nous lancer tout de suite dans l'agriculture biologique. Cela ne s'est pas fait sans difficulté puisque, à l'époque, en 1998, l'agriculture biologique n'était pas aussi reconnue qu'aujourd'hui et les organismes agricoles classiques, ainsi que nos voisins, ne croyaient pas du tout à notre projet.

Au début de mon mandat comme présidente de la FNAB, je n'ai pas pris conscience immédiatement de la problématique de la place des femmes dans l'agriculture biologique. Je souhaitais plutôt promouvoir le bio auprès des institutions parlementaires - d'ailleurs, il y a encore beaucoup de travail pour encourager cette agriculture, qui représente à mon sens l'avenir de l'agriculture française.

Néanmoins, je souhaite m'intéresser plus à cette thématique au cours de l'année qui vient, la dernière de mon mandat, lequel s'achève en 2018. Avant mon départ, je compte organiser un colloque sur les agricultrices bio, sur leur place en France, sur leur faible investissement dans notre organisation et, de manière plus générale, en politique, ainsi que sur les leviers permettant d'y remédier. Il y a, c'est vrai, plus de femmes en agriculture bio, mais il reste de nombreux progrès à faire pour les représenter davantage dans les instances représentatives.

Pour ma part, je traduis cette volonté en féminisant les substantifs dans mes discours et en tâchant d'intégrer plus de femmes au sein du conseil d'administration de la FNAB et dans la gouvernance en général. À mon avis, le frein principal des femmes réside en réalité dans un manque de confiance en soi et dans l'impression qu'elles ont d'être moins au fait des questions traitées que les hommes.

Moi-même, j'ai vécu cela, j'ai eu ce sentiment, mais j'ai été poussée à me présenter à la présidence et j'ai pris conscience qu'une présence féminine à la tête d'une organisation change la vision qu'ont les femmes d'elles-mêmes. Elles se posent davantage la question de leur investissement, ce qui n'était pas le cas auparavant.

Autre frein, les contraintes d'ordre familial ; il peut y avoir un choix à faire entre la maison, l'organisation de l'exploitation et l'investissement à l'extérieur. Pour ce qui me concerne, j'ai toujours eu le soutien de mes associés et de mon mari.

Nous avons peu de données sur le profil des exploitants en bio. J'aimerais que l'Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique, dite « Agence bio », oriente ses recherches sur les agricultrices bio, car cela m'intéresserait beaucoup.

Cela étant dit, dans les études générales du recensement agricole de 2010, il apparaît qu'il y a plus de femmes dans les fermes bio et que les exploitations les plus féminisées sont celles qui font de la vente directe - ovins, caprins, plantes aromatiques et médicinales -, c'est-à-dire celles qui sont proches de l'agriculture biologique.

L'agriculture bio représente, pour beaucoup d'agriculteurs, un moyen de sortir du système classique et de retrouver de l'autonomie. Ainsi, les femmes peuvent retrouver de l'indépendance par le biais d'une activité de vente directe et de commercialisation, voire d'accueil à la ferme ou d'agrotourisme.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Je vous remercie. Je vous propose de passer aux questions ; je laisse la parole à mes collègues.

Mme Marie-Pierre Monier, co-rapporteure. - Une question est apparue de façon récurrente au cours de nos travaux : celle du statut des agricultrices. Avez-vous toujours été au sein d'un GAEC ? De manière générale, quel type de statut les exploitantes bio choisissent-elles ?

Mme Annick Billon, co-rapporteure. - Il y a plus de femmes en bio que dans l'agriculture conventionnelle. Est-ce lié à la taille plus petite des exploitations qui, selon certains stéréotypes, serait mieux adaptée aux femmes ? Lors de l'installation d'une femme, sa relation avec les banques est-elle plus facile s'il s'agit d'une exploitation bio ?

Par ailleurs, nous avons été confrontés aux questions des remplacements, des congés maternité, du statut de conjoint exploitant. Votre fédération s'est-elle emparée de ces sujets ? Avez-vous eu des motifs de satisfaction, au cours de votre mandat, sur ces sujets ?

Mme Stéphanie Pageot. - En ce qui concerne le statut des agricultrices, j'ai toujours été, pour ma part, associée d'un GAEC. J'ai souhaité l'être dès mon installation et j'en détiens autant de parts que mes associés.

J'ai tout de même observé une évolution à ce sujet. Autrefois, les femmes n'avaient pas de place clairement identifiée ; puis elles sont devenues conjointes d'exploitation ; maintenant, elles sont associées de GAEC, y compris entre époux. C'est donc une avancée notable.

Cela me rappelle une anecdote personnelle. Au moment où nous avons repris l'exploitation de mes beaux-parents, je ne l'ai réalisé qu'a posteriori, on a fêté le départ en retraite de mon beau-père, pas celui de ma belle-mère, alors qu'elle avait travaillé toute sa vie à la ferme. « Je ne fais pas grand-chose », disait-elle : « juste la traite et la comptabilité ! ». Sauf que dans une exploitation laitière, ce sont des compétences-clé. Elle n'avait pas de statut, elle n'a touché aucune retraite... Nous aurions dû valoriser son départ de l'exploitation autant que pour mon beau-père.

Pour ce qui concerne la question de la taille des fermes, s'il est vrai que certaines exploitations bio sont de taille plus réduite que les exploitations conventionnelles, ce n'est pas toujours le cas. Je ne pense donc pas que ce soit la raison du plus grand nombre de femmes dans ce domaine.

Il s'agit plutôt d'un choix de mode de production. Les femmes sont plus sensibles à l'environnement, aux consommateurs, à la santé, à la qualité de l'alimentation. Cela joue dans leur choix du mode de production biologique, de même peut-être que la sensibilité aux aspects financiers. En effet, beaucoup de femmes sont chargées de la comptabilité, elles sont plus attentives à l'équilibre financier, et elles se rendent compte que l'agriculture bio permet de vivre mieux.

Ainsi, les femmes ont un rôle déterminant dans certaines conversions à l'agriculture bio, et, a contrario, quand elles s'y opposent, elles ont aussi un rôle majeur.

Enfin, les conjoints non agriculteurs peuvent également jouer un rôle important dans l'adoption d'un mode de production bio et inciter à une conversion.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, co-rapporteure. - Vous avez indiqué avoir poussé votre mari à vous installer en bio. Vous avez aussi souligné le besoin d'autonomie de certaines femmes vis-à-vis du système classique, ainsi que celui d'articuler les temps de vie. D'autres intervenantes ont insisté sur la nécessité que les femmes connaissent leurs droits. Organisez-vous des actions spécifiques pour expliquer aux femmes quels sont leurs droits ?

Par ailleurs, y aurait-il besoin d'une harmonisation de l'offre de remplacement, puisqu'elle diffère selon les territoires ?

Enfin, vous avez affirmé qu'il reste beaucoup de travail pour que la France se convertisse à l'agriculture bio. Quelle serait votre principale recommandation à cet égard ?

Mme Corinne Bouchoux, co-rapporteure. - Pour justifier une conversion au bio, il y a l'approche économique, mais aussi l'approche sanitaire, que l'on entend de plus en plus. Des agricultrices nous ont dit que, leurs beaux-parents ou leurs parents étant décédés prématurément, même si elles ne pouvaient prouver le lien avec leur activité, elles avaient souhaité privilégier un autre mode de production. Avez-vous eu des témoignages de ce type ?

Je précise que, avant d'être parlementaire, je travaillais dans l'enseignement agricole.

M. Alain Gournac. - J'ai plusieurs questions. Vous avez suivi une formation au traitement de la pollution liée aux déjections animales. Avez-vous des solutions à proposer à ce sujet, notamment pour protéger l'eau ?

Par ailleurs, sur vos cinq salariés, combien y a-t-il de femmes ?

Je vois sur votre curriculum vitae que vous avez deux enfants. Avez-vous une fille et, si oui, envisage-t-elle de suivre votre exemple ?

Dans votre secteur, et non seulement dans votre exploitation, les salaires des femmes sont-ils les mêmes que ceux des hommes ? Si ce n'est pas le cas, est-ce que, en tant que présidente de la FNAB, vous constatez que les choses s'améliorent ?

Enfin, j'ai apprécié la valeur de votre anecdote concernant le départ en retraite de votre beau-père. Sentez-vous une évolution ? Les femmes tendent-elles à être plus respectées dans les fermes bio ? Les tâches sont-elles également partagées ou y a-t-il une répartition entre les sexes ?

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Si vous n'avez pas les réponses à toutes les questions qui vous sont posées, vous pourrez nous les communiquer ultérieurement par écrit.

Mme Stéphanie Pageot. - Il est évident que, parmi les agriculteurs qui se convertissent au bio, certains le font selon une approche santé, mais j'ai tendance à penser que ce choix - un choix fort - n'est pas forcément féminin : il est le fait de personnes, hommes ou femmes, qui ont été confrontées à des problèmes de santé, personnellement ou dans leur famille, qui, même s'il n'y a pas de preuve scientifique, établissent un lien de cause à effet et qui, pour cette raison, décident de tout arrêter de leur précédente activité.

En ce qui concerne les salariés de ma ferme, ils sont deux hommes et trois femmes. Les femmes s'occupent plutôt de la transformation fromagère et de la commercialisation, les hommes plutôt de l'élevage et des grandes cultures.

Du côté des associés, nous avons fait le choix de nous intéresser tous à la commercialisation, alors que, souvent, celle-ci revient aux femmes. En effet, il y a un lien évident entre la relation avec le consommateur et la façon de produire : être directement en contact avec les consommatrices et les consommateurs aide à comprendre pourquoi il faut travailler différemment en amont.

Au demeurant, il y a là un enjeu, bien au-delà de l'agriculture biologique, pour l'agriculture en général : la présence au coeur des instances agricoles de citoyennes et de citoyens, de consommatrices et de consommateurs, changera le regard porté par les agricultrices et les agriculteurs sur leur métier et leur fera comprendre la nécessité d'évoluer. L'alimentation ne concerne pas seulement les agricultrices et les agriculteurs, mais les 65 millions de citoyens français ! Notre organisation défend cette revendication dans l'idée de faire évoluer l'agriculture en général, ce à quoi la féminisation contribuera aussi nécessairement.

J'ai bien une fille, monsieur le sénateur Gournac, mais elle est en première année de sociologie... Je ne pense donc pas qu'elle se destine à suivre ses parents dans l'agriculture, même si elle sera sans doute une avocate de la cause féminine !

Pour ce qui est des salaires, il n'y a pas de différence entre les hommes et les femmes au sein de notre ferme. En revanche, nous savons bien que ce problème se pose dans l'agriculture, comme, du reste, bien au-delà.

S'agissant enfin de la question des droits, je dois admettre que nous n'avons jamais travaillé de façon spécifique sur les droits des femmes dans l'agriculture, sans doute parce que nous ne sommes pas reconnus institutionnellement comme un syndicat généraliste, à la différence de la FNSEA, de la Confédération paysanne et de la Coordination rurale. Cette situation nous pose d'ailleurs des problèmes de présence dans certaines instances, auxquelles nous revendiquons de pouvoir participer au côté des autres.

Mme Michelle Meunier. - Le manque de confiance en soi n'est pas propre au secteur agricole ; dans de nombreux domaines, on constate que les femmes n'ont pas suffisamment confiance en elles pour prendre des responsabilités. Vous-même, madame Pageot, avez dit avoir été poussée à prendre la présidence de la FNAB.

Au-delà de l'utilisation du féminin et du masculin dans vos propos, qui est un premier signe important pour intégrer tout le monde, pensez-vous faire quelque chose en plus dans votre action à la tête de cette organisation du fait que vous soyez une femme ?

M. Pierre Cuypers. - Le rôle de la femme est tout à fait essentiel pour le développement d'une entreprise agricole, que celle-ci soit biologique ou non - même s'il est vrai que l'agriculture biologique nécessite peut-être plus de main-d'oeuvre que l'agriculture traditionnelle. Moi-même, je n'aurais pas pu m'engager dans la vie de la profession si mon épouse n'avait pas été sur l'exploitation.

Le statut du conjoint ou de la conjointe a, grâce au ciel, évolué ; il doit continuer d'évoluer, dans la généralité de l'agriculture et de ses métiers.

La chambre consulaire d'agriculture de mon département, dont j'ai été président, s'occupe des agriculteurs biologiques, hommes et femmes. Ceux-ci sont bien identifiés dans le réseau consulaire, y compris par les syndicats majoritaires. Il n'y a pas de différence entre les uns et les autres.

Mme Stéphanie Pageot. - Si je mène en tant que femme des actions spécifiques ? Je crois que ma seule présence dans les instances agricoles est un sacerdoce spécifique... Quand j'ai participé pour la première fois au Conseil supérieur d'orientation stratégique du ministère de l'agriculture, nous devions être cinq femmes au milieu de quarante-cinq hommes, dont deux seulement en responsabilité professionnelle ! J'ai pensé qu'il restait beaucoup de travail à faire dans l'agriculture...

M. Pierre Cuypers. - Vous êtes tout de même d'accord que la situation a évolué ?

Mme Stéphanie Pageot. - Dans les instances agricoles, non !

M. Pierre Cuypers. - Si, elle a évolué. Je crois que c'est une question de personnalité ; ce n'est pas une chose qui s'impose.

Mme Stéphanie Pageot. - Imposer un minimum de femmes lors des élections aux chambres consulaires a un peu fait évoluer les choses. Reste qu'il faut aller plus loin, notamment, je le répète, en plaçant des citoyens au coeur des instances agricoles. Sans quoi l'agriculture n'évoluera pas comme elle devrait face aux enjeux sociétaux à venir.

On m'a interrogée aussi sur les déjections animales. À la vérité, mon mémoire de fin d'études portait spécifiquement sur la manière de les valoriser pour la fertilisation en agriculture biologique, où les engrais chimiques de synthèse ne sont pas utilisés.

Depuis plusieurs années, ma fédération mène un travail spécifique sur le développement de l'agriculture biologique au coeur des sites à enjeu « eau », c'est-à-dire les zones de captages prioritaires : dans ce cadre, nous avons mis en place des sites pilotes pour montrer que le développement de l'agriculture biologique autour de ces zones contribue à la préservation, voire à la récupération, de la qualité de l'eau potable. Il y a là un enjeu important pour les années à venir.

M. Julien Adda, délégué général de la Fédération nationale d'agriculture biologique. - Je voudrais apporter quelques compléments au sujet d'une question clé de cette audition : la dimension féminine en agriculture biologique par rapport à l'agriculture en général. Monsieur le sénateur Cuypers, vous avez semblé dire qu'il n'y aurait pas un tel enjeu « femmes ».

En réalité, le rapport « Agreste » fondé sur le recensement agricole de 2010, qui fait apparaître un doublement du nombre de producteurs bio, passé de 15 000 à 35 000 en sept ans, montre que, parmi les agriculteurs de moins de quarante ans, les femmes sont 7 % à travailler en agriculture biologique, contre 5 % pour les hommes. Il y a donc tout de même une détermination qui joue, puisque, dans les faits, il y a plus de femmes en agriculture biologique.

Comment expliquer cette situation ? D'abord, d'après le même rapport, les agriculteurs biologiques sont généralement plus jeunes et plus diplômés que les agriculteurs conventionnels ; cet effet joue en faveur de la féminisation. Ensuite, l'effet sociologique est redoublé par des systèmes de production : les exploitations biologiques concernent souvent des ovins, des caprins, des plantes aromatiques et médicinales ou des maraîchages diversifiés, auxquels l'accès est plus facile, du fait, notamment, d'une moindre mécanisation ; ce phénomène aussi favorise la féminisation. En outre, 30 % au moins, et jusqu'à 50 % dans la plupart des départements, de ceux qui s'installent hors cadre familial - c'est-à-dire qui ne viennent pas du monde agricole - choisissent l'agriculture biologique. Or les femmes sont plus nombreuses parmi eux.

Par ailleurs, les femmes optent pour l'agriculture biologique pour des raisons objectives - petites surfaces, systèmes originaux de production -, mais aussi parce qu'elles sont beaucoup plus nombreuses à créer des circuits de diversification sur la ferme : agrotourisme, marchés de plein vent, circuits courts, entre autres. Or les systèmes de commercialisation de ce type, inhérents aux filières de l'agriculture biologique, sont davantage pratiqués par les femmes dans l'agriculture en général. Cet effet-là aussi joue fortement.

Enfin, parmi les personnes non issues du monde agricole, on trouve de nombreux néoruraux ou urbains, motivés par des enjeux environnementaux et de santé. Ceux-là sont un peu plus en adéquation - mais ce point resterait à vérifier - avec les aspirations des consommatrices bio, qui tirent aujourd'hui le développement de la filière, notamment au moment de l'arrivée du premier enfant. De fait, dans les changements de parcours professionnels que nous observons au sein de la communauté bio, il y a souvent chez de jeunes femmes le choix d'aligner leur vie sur leurs valeurs : nous voyons de nombreuses jeunes femmes diplômées se reconvertir dans l'agriculture biologique pour se mettre en accord avec leurs valeurs.

Il y a donc bien un effet « femmes » qui sera certainement déterminant pour l'avenir de l'agriculture en général, qui tend vers des systèmes plus diversifiés, des filières plus équilibrées entre circuit court et circuit long et des modes de production plus liés à la consommation. De ce point de vue, l'agriculture biologique est au coeur d'une évolution plus générale de l'agriculture, au sein de laquelle la question féminine est centrale.

Mme Corinne Bouchoux, co-rapporteure. - Pour élargir un peu notre réflexion, je voudrais interroger Stéphanie Pageot sur les obstacles au développement de l'agriculture biologique. Dans mon département, qui est très agricole, on voit bien que ce développement est bloqué par le problème de l'accès au foncier. Il y a parfois aussi des problèmes avec certaines banques.

La FNAB a-t-elle des mesures à nous suggérer, que nous pourrions recommander dans notre rapport, pour favoriser une liaison vertueuse entre le développement du bio et la poursuite de la féminisation de l'agriculture qui est propice aux modes de production plus doux, moins intensifs et davantage tournés vers les circuits courts ?

Mme Stéphanie Pageot. - L'accessibilité du foncier est évidemment un enjeu majeur. Nous travaillons beaucoup sur cette thématique au sein de l'association Terre de liens, dont nous sommes membre fondateur. Nous sommes aussi particulièrement investis au plan local, notamment en Loire-Atlantique, sur la question de Notre-Dame-des-Landes, où se joue un usage aberrant de terres agricoles. La question se pose aussi de la cohérence globale des politiques publiques.

Le rôle des collectivités territoriales est important pour préserver toute terre agricole fertile, notamment autour des villes. Au moment où il faut relocaliser l'économie et construire des filières créatrices de valeur ajoutée sur les territoires, dans une logique de proximité à laquelle les citoyens sont de plus en plus sensibles, la préservation des terres agricoles me paraît un enjeu essentiel. Il convient aussi de considérer l'agriculture comme une véritable source de développement économique : les zones commerciales et industrielles ne sont pas les seules perspectives d'avenir pour les collectivités territoriales...

Les agricultrices et les agriculteurs eux-mêmes ont un rôle important à jouer : il faut être cohérent et abandonner le schéma d'un agrandissement systématique et permanent des fermes destiné à compenser les pertes de revenus. Il convient de changer de stratégie et d'essayer de créer davantage de valeur ajoutée. De ce point de vue, l'agriculture biologique a toute sa place dans une stratégie globale, puisque ses prix sont nettement plus rémunérateurs que ceux de l'agriculture conventionnelle.

De nombreux agriculteurs et agricultrices de notre réseau laissent un hectare ou deux pour des installations, ce qui devrait aussi être encouragé. Laisser des terres à d'autres, ce n'est pas la mer à boire !

Enfin, il faut envisager de favoriser la division de certaines grandes fermes quasiment impossibles à reprendre, compte tenu des capitaux énormes à racheter. Elles pourraient être divisées en cinq ou dix petites fermes, pour remettre de la vie au coeur des territoires.

Plus généralement, c'est le modèle d'ensemble de l'agriculture qu'il faut changer. Le schéma stéréotypé consistant à promouvoir une agriculture française exportatrice et à expliquer que pour être compétitif il faut de très grosses exploitations, schéma qu'on essaie de nous vendre depuis trente ou quarante ans, a mené un certain nombre d'agricultrices et d'agriculteurs à leur perte. Il faut aujourd'hui expliquer aux agriculteurs qu'ils ont tout intérêt à réduire leur production pour vendre mieux, à des prix plus rémunérateurs, et en étant plus autonomes - par exemple, pour une ferme laitière, en envisageant l'autonomie fourragère, qui dispense d'avoir à acheter du soja d'Amérique du Sud, réduit les coûts et crée de la valeur ajoutée et des emplois sur les territoires. Au juste, qu'attendons-nous ?

M. Jackie Pierre. - Quelle est votre production en fromages ? Quelle est la moyenne de production de vos vaches ? Connaissez-vous au cours de l'année des difficultés sur le plan commercial, c'est-à-dire un déséquilibre entre votre production et la demande ?

Mme Stéphanie Pageot. - Nous produisons 340 000 litres de lait et en transformons la moitié, soit 170 000 litres. Notre production moyenne est de 5 000 à 5 500 litres de lait par vache, ce qui est classique en agriculture biologique, mais très inférieur à la moyenne de l'agriculture conventionnelle, qui est de 8 000 à 9 000 litres. En termes de valorisation, nous sommes, grâce à la transformation, à pratiquement 1 euro le litre, soit plus de trois plus qu'en agriculture conventionnelle. C'est aussi pour cela que nous avons pu créer de l'emploi.

Pour ce qui est du développement commercial, nous n'arrivons pas à satisfaire la demande. Celle-ci est telle pour l'agriculture biologique et pour la production locale que nous n'arrivons pas à fournir l'ensemble des marchés. Nous commercialisons à quinze kilomètres autour de chez nous ! C'est dire si le potentiel de développement est énorme, à condition de savoir s'organiser, de façon individuelle, comme nous l'avons fait pour la transformation, ou de façon collective. Il faut en tout cas que les agricultrices et les agriculteurs reprennent la main sur une partie de la transformation, sans quoi ils n'arriveront pas à récupérer de la valeur ajoutée !

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Je vous remercie tous les deux de vos explications très intéressantes.