Mercredi 28 juin 2017

- Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -

Audition sur la crise diplomatique dans le Golfe

La réunion est ouverte à 10 heures.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Mes chers collègues, permettez-moi de saluer la présence de MM. Placé et Vallini, qui rejoignent notre assemblée après leur expérience gouvernementale. C'est un plaisir de les retrouver parmi nous.

Mes chers collègues, je souhaite en votre nom la bienvenue aux trois experts qui ont bien voulu éclairer notre commission sur la crise diplomatique dans le Golfe relative au Qatar : Mme Agnès Levallois, consultante, vice-présidente de l'IReMMO (Institut de recherche et d'études Méditerranée Moyen-Orient) ; Mme Fatiha Dazi-Héni, responsable de programme à l'IRSEM (Institut de recherches stratégiques de l'École militaire) et maître de conférences à l'IEP de Lille, spécialiste de la péninsule arabique ; M. Stéphane Lacroix, professeur associé à l'École des affaires internationales de Sciences Po et chercheur au CERI (Centre d'études et de recherches internationales conjoint à Sciences Po et au CNRS).

Nous avions d'ailleurs déjà bénéficié de l'expertise de Mme Dazi-Héni et de M. Lacroix, l'année dernière, pour une audition sur l'Arabie saoudite. Merci à tous les trois d'avoir accepté de participer à l'audition d'aujourd'hui.

Je signale à tous que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo, retransmise sur le site internet du Sénat.

Le 5 juin dernier, l'Arabie saoudite, les Émirats Arabes Unis, Bahreïn et l'Égypte, puis le Yémen ont rompu leurs liens diplomatiques avec le Qatar, lui reprochant de soutenir le « terrorisme » et de déstabiliser la région. Un blocus terrestre, maritime et aérien a été organisé contre Doha. Cette crise brise de fait l'unité du Conseil de coopération du Golfe. Elle est évidemment problématique, alors que la stabilité régionale est nécessaire pour lutter contre le terrorisme et pour résoudre les autres crises en cours, en Syrie et en Libye notamment.

Pour essayer de mieux comprendre les tenants et les aboutissants de la situation, je propose que nous procédions en deux séquences. Chaque fois, nos trois experts auront dix minutes pour répondre synthétiquement à deux questions, avant de répondre aux interrogations de ceux de nos collègues qui souhaiteront intervenir.

Première question : d'où la crise est-elle née ? Quelles sont ses racines ? Au-delà des motifs officiels, quels sont les véritables griefs de Riyad et de ses alliés contre le Qatar ? La bonne entente relative de l'émirat avec l'Iran ? Le soutien qu'il apporte aux Frères musulmans égyptiens et à d'autres organisations apparentées dans la région ?

Plus généralement, quelle part les choix de politique étrangère de Doha ont-ils prise dans l'opposition de ses voisins, et dans quelle mesure les déclarations du Président Trump en Arabie saoudite, décrivant un nouvel « axe du mal », ont-elles pu servir de déclencheur ?

Deuxième question : où la crise peut-elle mener ? Toutes les puissances qui se sont exprimées ont appelé au dialogue entre les parties, et le Koweït conduit une médiation entre Riyad et Doha. La Turquie a également proposé ses services de médiation, mais cette offre a été déclinée par l'Arabie saoudite : quelle est la stratégie du Président Erdogan ? Quelle est celle de l'Iran, qui a mis en place un pont aérien et maritime pour assurer le ravitaillement du Qatar malgré le blocus ? Quels buts l'Égypte poursuit-elle ?

Par ailleurs, quelle peut être la portée, pour la suite des événements, de la récente décision prise par le roi Salman d'Arabie saoudite de désigner son fils, Mohammed ben Salman, dit MBS, comme prince héritier ?

Se dirige-t-on vers une forme de recomposition régionale ? Que peuvent, dans cette perspective, la France et les États-Unis, qui multiplient actuellement les contacts en faveur de la désescalade ?

Je cède tout d'abord la parole à M. Lacroix, pour un cadrage régional.

M. Stéphane Lacroix, professeur associé à l'Ecole des affaires internationales de Sciences Po (PSIA) et chercheur au Centre d'études et de recherches internationales (CERI-Sciences Po-CNRS). - Monsieur le président, je vous remercie de cette invitation.

Vous l'avez dit, cette crise oppose trois pays du Golfe et l'Égypte, mais aussi, plus largement, tous leurs clients régionaux qui se sont ralliés à l'une ou à l'autre des causes. C'est le cas du président du Yémen soutenu par l'Arabie saoudite, le Yémen étant lui-même divisé en deux camps. C'est pareil en Libye, où le général Haftar, pro-saoudien et pro-émirien, soutient ses alliés naturels.

Pour autant, la crise concerne avant tout l'Arabie saoudite, les Émirats Arabes Unis et le Bahreïn, ainsi que l'Égypte, avec, pour moteur principal, les Émirats Arabes Unis (EAU), qui sont les plus proactifs. À leur tête, le Sheikh Khalifa bin Zayed, qui est le grand maître d'oeuvre de cette opération.

Face à eux, on trouve donc le Qatar, qui, dans un premier temps, était seul, mais qui a été rejoint, après quarante-huit heures d'incertitude, par la Turquie. Pour répondre très brièvement à votre seconde question, je pense que c'est ce soutien qui interdit aujourd'hui toute escalade militaire. Pourtant, lorsqu'ils se sont retrouvés isolés au tout début de la crise, les Qataris ont vraiment cru à la possibilité d'une invasion terrestre. Le camp Erdogan affiche un soutien qui s'inscrit dans la logique du pacte militaire qui avait été signé un mois plus tôt entre les deux pays et qui prévoyait l'installation d'une base turque au Qatar. Malgré tout, personne ne savait si Erdogan allait mettre cet accord en avant et s'afficher au côté de son allié dans un contexte aussi tendu. À mon sens, le fait qu'il s'engage a contribué à rééquilibrer les forces et interdit aux uns et aux autres de chercher à s'imposer militairement.

Un des arguments officiellement mis en avant par les contempteurs du Qatar concerne l'Iran. Ils accusent le Qatar d'entretenir une proximité gênante avec Téhéran. Il me semble que c'est là un pur prétexte. En effet, les différents pays du Golfe ont, pour des raisons diverses, des relations avec l'Iran. Les EAU, ses banques en particulier, sont le premier partenaire commercial de l'Iran dans le Golfe. Le Koweït est obligé d'avoir des relations cordiales avec l'Iran, 30 % de sa population étant chiite, avec une partie d'ascendance iranienne qui se rend régulièrement dans ce pays. De plus, les deux États partagent une frontière. Oman a également de bonnes relations avec l'Iran. Je dirai donc que le Qatar ne se distingue pas de ses voisins en ce qui concerne ses relations avec l'État perse. Il y a de surcroît la question du champ gazier que partagent l'Iran et le Qatar, et qui les oblige à avoir des relations fonctionnelles avec leurs grands voisins du nord. À mon sens, cet argument est mis en avant par les EAU et l'Arabie saoudite pour légitimer leur position à l'égard de deux publics essentiellement : tout d'abord, les Américains et Trump, dont on connaît la position anti-iranienne ; ensuite, les opinions publiques du Golfe, au sein desquelles le sentiment anti-iranien est aujourd'hui très fort. Il y a cette idée dans les populations du Golfe, du côté arabe, que l'Iran est une puissance expansionniste menaçante. Mettre en avant les relations supposées entre le Qatar et de l'Iran, c'est vraiment accuser le Qatar de trahison à la cause. Mais, je le répète, pour moi, il ne s'agit pas là de la vraie raison du déclenchement de cette crise.

La deuxième raison mise en avant, c'est le soutien au terrorisme. Si l'on entend par là soutien à Daech, c'est évidemment une accusation fausse. Aucun pays ne soutient officiellement Daech dans cette histoire. Ses chefs ont d'ailleurs un discours très hostile aux monarchies du Golfe, que ce soit le Qatar ou l'Arabie saoudite. Une telle accusation relève plus du fantasme que de la réalité. Malgré tout, dans le contexte de la crise syrienne, il est vrai que les monarchies du Golfe en général ont très largement arrosé de nombreux groupes armés. Or la porosité est telle dans le champ de ce conflit que les financements passent facilement d'un groupe à l'autre. Il n'est donc pas impossible que de l'argent qatari, mais également saoudien, voire émirien, ait bénéficié à des groupes que l'on peut qualifier de djihadistes en Syrie. Ce n'est donc pas une spécificité qatarie, même si, et je vais y revenir, le Qatar a eu une position plus officiellement favorable à un certain islam politique, qui, dans le cadre syrien, est représenté par les Frères musulmans et un groupe qui se trouve à la gauche de Jabhat al-Nosra. Il ne d'agit pas de djihadistes globaux, mais de salafo-nationalistes, comme les appellent certains de mes collègues chercheurs. Vu de l'extérieur, ces groupes paraissent certes infréquentables, mais, dans le contexte syrien, le Qatar a pu les soutenir officiellement.

En revanche, je le répète, ni le Qatar ni aucun de ses voisins n'affiche un soutien officiel à l'égard de groupes terroristes partisans du djihad global. Là encore, on se trouve devant un débat, qui, à mon avis, cache autre chose, d'autant qu'un tel reproche peut tout à fait être renvoyé aux Saoudiens, comme ils ont pu s'en rendre compte assez vite à la lecture de la presse américaine.

Quelles sont, alors, les causes réelles de cette crise ?

À mon sens, il y a des causes profondes qui ont ressurgi dans un certain contexte.

Alors que le Qatar était l'un des États fondateurs du Conseil de coopération du Golfe en 1981 et avait une politique suiviste jusqu'en 1995 à l'égard de ses voisins, en particulier l'Arabie saoudite, cette année va marquer un changement radical dans la politique du Qatar, avec l'arrivée au pouvoir d'un nouvel émir qui essaie de marquer l'indépendance politique du Qatar, avec la volonté d'en faire une puissance régionale, voire globale. Il y a le désir de construire la marque « Qatar », comme le disent les Qataris, qui parlent volontiers business, avec une politique qui se veut indépendante par rapport à ses voisins, ambitieuse, iconoclaste. Celle-ci va se décliner de différentes manières, parfois contradictoires en apparence : ouverture d'une base américaine, relations diplomatiques avec Israël, ouverture d'une ambassade des Talibans. Tout est mis en oeuvre pour se distinguer.

Dans le même temps, le Qatar va ouvrir un espace médiatique qui n'existait pas jusqu'alors dans le monde arabe. Au début, il y a eu Al Jazeera, puis tout un empire médiatique a vu le jour. La chaîne Al Jazeera a été une vraie révolution au moment de sa création, puisqu'elle a été la première du monde arabe à organiser des débats mettant face à face des gens qui n'étaient pas d'accord. Il s'agissait de prendre un pro-régime et un anti-régime, qui, idéalement, pour faire de l'audience, finissaient pas en venir aux mains. C'est la marque de fabrique « Al Jazeera ». Brusquement est apparu un espace de débat virulent dans des pays habitués à un consensus de façade. Cet empire médiatique qui s'est développé a contribué à donner une voix à toutes les oppositions du monde arabe : on peut voir sur Al Jazeera des opposants saoudiens, des opposants égyptiens, des opposants tunisiens, qui viennent défendre leurs positions face aux partisans du camp d'en face.

Le Qatar va même aller plus loin en donnant l'asile à un certain nombre de ces opposants, notamment saoudiens, ce qui va beaucoup énerver ses voisins.

Dans toutes les forces politiques qui investissent cet espace médiatique, il y a bien évidemment les islamistes, qui représentent une partie importante des oppositions du monde arabe, et à l'égard desquels le Qatar va avoir une certaine bienveillance. C'est surtout le cas avec les mouvements proches des Frères musulmans. Le grand prédicateur des Frères musulmans, Al-Qaradaoui, est basé au Qatar et il a eu une émission sur Al Jazeera, qui a été longtemps l'émission phare de la chaîne. La proximité est donc claire avec les Frères musulmans.

Dans ce contexte, le Qatar va se distinguer en 2011 en étant le pays qui soutient le plus ouvertement les printemps arabes dès le départ. On peut même dire que, dans certains cas, il les a rendus possibles. On a beaucoup parlé du rôle des réseaux sociaux dans la révolution égyptienne, mais je pense qu'Al Jazeera a eu un rôle plus important. Dès le 25 janvier 2011, la chaîne parle d'une révolution sur la place Tahrir, quitte à exagérer le nombre des manifestants. Un ami égyptien me racontait qu'il avait entendu Al Jazeera évoquer au début de l'après-midi 100 000 manifestants, mais qu'il n'en avait vu qu'environ 5 000 en arrivant. La chaîne a donc contribué à l'effet d'entraînement. Il en a été de même en Tunisie et en Syrie.

Très vite, le Qatar va choisir son camp, à savoir celui des Frères musulmans, avec qui il entretient une proximité très ancienne. Il s'agit aussi d'un calcul d'intérêt de sa part, puisqu'il pense réellement qu'ils sont les mieux placés pour s'imposer politiquement après les printemps arabes en Tunisie, en Égypte, etc. De fait, il est persuadé que cela renforcera son rayonnement politique. Il y a donc une question d'affinité idéologique avec les Frères musulmans, mais il y a aussi une politique d'intérêt bien compris.

Cette position est inacceptable pour les EAU et l'Arabie saoudite, qui se méfient dès le départ des printemps arabes. Il s'agit de monarchies conservatrices qui voient dans tout bouleversement de l'ordre régional une menace. D'emblée, les Émiriens et les Saoudiens sont donc furieux contre le Qatar et son soutien affiché aux Frères musulmans, avec qui ils ont une relation compliquée depuis longtemps.

Dans le cas des EAU, cette hostilité est très affichée depuis le début des années 2000. Les Saoudiens, quant à eux, ont eu des relations avec les Frères musulmans jusqu'aux années 90. Elles ont même été étroites dans les années 80 pour combattre l'occupation soviétique en Afghanistan. Seulement, au lendemain de la première guerre du Golfe, un mouvement d'opposition islamiste inspiré par les Frères musulmans s'est développé en Arabie saoudite contre la monarchie, qui considérera dorénavant les Frères musulmans comme des ennemis, d'autant plus menaçants qu'ils proposent un autre système politique que le leur, également fondé sur l'islam. Ils se battent donc pour la même ressource religieuse. Les EAU et l'Arabie saoudite se rendent compte que les Frères musulmans sont plus des concurrents que des alliés. Dès les années 2000 se développent donc des tensions entre tous ces protagonistes.

Jusqu'en 2013, les EAU et l'Arabie saoudite regardent de manière relativement impuissante les alliés du Qatar gagner partout. L'arrivée de Morsi au pouvoir les terrorise. Ils se mettent donc en ordre de bataille pour inverser la tendance. Cela se manifeste d'abord par le soutien apporté au général, devenu maréchal puis président, Sissi. Ce soutien interviendra bien en amont du coup d'État de juillet 2013. Il faut savoir que Sissi était attaché militaire en Arabie saoudite et qu'il a des liens très étroits avec les Saoudiens depuis longtemps. Quelques mois avant le coup d'état, les pays du Golfe, les EAU et l'Arabie saoudite ont fait savoir qu'ils étaient favorables au renversement de Morsi.

Ensuite, en 2014, les Émiriens et les Saoudiens décident de passer à l'action contre celui qu'ils considèrent comme étant la cause de ces troubles politiques, à savoir le Qatar. C'est la première crise, avec le retrait des ambassadeurs. Ceux-ci seront finalement réaffectés sans qu'aucune solution n'ait été esquissée.

La seconde crise, c'est la crise actuelle, qui éclate dans un contexte marqué par l'arrivée au pouvoir de Trump, lequel soutient les EAU et l'Arabie saoudite dans leur action contre le Qatar. Par ailleurs, on a assisté à des changements décisifs au sein de la monarchie saoudienne. La personnalité de Mohammed ben Salman joue beaucoup dans cette nouvelle donne. Or il a aujourd'hui le pouvoir quasiment tout seul en Arabie saoudite, ce qui est complètement nouveau dans une monarchie où le pouvoir est d'habitude réparti entre différents clans. Aujourd'hui, cet État a donc la capacité d'être beaucoup plus proactif dans sa politique étrangère.

Mme Agnès Levallois, consultante, vice-présidente de l'Institut de recherche et d'études Méditerranée Moyen-Orient (IReMMO). - Pour comprendre la politique du Qatar, il me paraît extrêmement important de partir de 1995, date qui correspond à l'arrêt du suivisme dans la ligne politique et la diplomatie pratiquées par ce pays. Dès lors, ce tout petit émirat, coincé entre l'Arabie saoudite et l'Iran, qui se sent donc foncièrement fragile, a affiché une ambition et s'est évertué à mettre en place une politique régionale, voire à caresser des ambitions supérieures, pour exister et essayer de s'acheter différentes assurances vie. Il est, en effet, tout à fait conscient de la fragilité de sa position géopolitique, de la petitesse de son territoire et de la faiblesse de ses ressources humaines.

Il faut être très conscient de ce que représente la population du Qatar. On parle de 2 millions à 2,5 millions d'habitants, parmi lesquels 10 % sont des locaux, des Qatariens. Cette démographie extrêmement faible constitue une grande fragilité. En effet, il faut avoir les moyens humains adaptés pour mettre en oeuvre la politique qu'on prétend mener.

J'ai le sentiment que, depuis quelques années, le Qatar veut en faire beaucoup plus qu'il n'en a la capacité et qu'il est en train de se prendre les pieds dans le tapis. L'organisation de la Coupe du Monde en 2022 est peut-être l'élément de trop !

On entend souvent dire  que le Qatar a beaucoup d'argent et qu'il peut tout faire. Quelle que soit sa puissance financière, je ne crois pas que tel soit le cas. Certes, il peut acheter des compétences et beaucoup de choses, mais il reste, en dépit de toute son ambition, foncièrement fragile. Il développe une politique et une stratégie pour conforter sa position et démontrer qu'il est en mesure d'aller jusqu'où il a décidé qu'il irait.

Le Qatar se demande comment faire pour apparaître sur la carte du monde et y rester, à l'abri des deux puissances régionales voisines que sont l'Iran et l'Arabie saoudite. Cela l'a amené à développer, depuis de nombreuses années maintenant, une politique autonome à l'égard des autres pays membres du Conseil de coopération du Golfe qui énerve terriblement ses grands voisins !

Le rôle joué par Al Jazeera dans l'expansion de l'influence du Qatar est, il est vrai, extrêmement important. Certes, cette chaîne a perdu de son influence depuis les révolutions arabes en raison de la ligne éditoriale qu'elle avait suivie à cette occasion. En dépit des critiques que suscite cette chaîne, même si les téléspectateurs zappent aujourd'hui plus volontiers et regardent différents supports, même si elle partage aujourd'hui son espace avec d'autres - ce qui est un fait nouveau - elle continue à être un média absolument incontournable, extrêmement regardé et suivi avec attention. Conserver cette forte audience permet à Al Jazeera d'exercer une influence très importante.

La crise qui se joue aujourd'hui dans la région et qui met en cause le Qatar est peut-être aussi une façon pour l'Arabie saoudite et pour les Émirats, qui sont, j'en suis moi aussi convaincue, vraiment à la manoeuvre, de rappeler au Qatar que les révolutions arabes sont finies. Ses voisins lui intiment l'ordre d'entrer dans le rang et de renoncer à la politique autonome pratiquée depuis le début des révolutions en soutenant les Frères musulmans. Ce qui s'est passé dans différents pays de la région, en Égypte, en Tunisie et dans d'autres pays, a semblé, au départ, donner raison à la stratégie du Qatar. Ce sont en effet les Frères musulmans qui sont arrivés au pouvoir. Or le Qatar avait des liens privilégiés avec tous les responsables de ce mouvement dans la région pour leur avoir accordé l'asile lors des années précédentes, quand ils étaient en mauvaise posture dans leur pays d'origine. Par la suite, le changement qui s'est produit, en particulier en Égypte, a évidemment mis à mal la stratégie du Qatar, lequel s'est retrouvé en plus grande difficulté, faute de pouvoir continuer à se reposer, pour justifier sa politique, sur les élections qui avaient amené au pouvoir les Frères musulmans.

Leur mise à l'écart - c'est le moins qu'on puisse dire - en Égypte et, dans une moindre mesure, en Tunisie, affaiblit la position du Qatar dans le soutien qu'il a affiché vis-à-vis de cette mouvance de l'Islam politique. Cela permet aux Émirats, à l'Arabie saoudite, ainsi qu'à l'Égypte de remettre en cause cette stratégie de soutien du Qatar, qui pouvait être en partie opportuniste, utilisée aux seules fins d'exercer une influence.

Ne l'oubliez pas, lorsque les Frères musulmans sont arrivés au pouvoir dans certains pays de la région, le Qatar s'est aussi présenté comme un médiateur vis-à-vis d'une partie des diplomaties occidentales auxquelles il a offert ses services, invoquant sa connaissance des nouvelles élites émergentes sur les scènes politiques en Égypte, en Tunisie et éventuellement dans d'autres pays de la région, pour les mettre en relation avec elles . Cet instrument d'influence, le Qatar l'a parfaitement bien utilisé et monnayé au profit de sa volonté de s'afficher comme une puissance régionale, alors qu'il n'avait pas la capacité réelle à en devenir une. En effet, je le répète et il ne faut jamais l'oublier, le Qatar est un tout petit pays, qui dispose de ressources humaines très réduites. Cet élément est, selon moi, extrêmement important pour appréhender ce qui se passe aujourd'hui et mesurer le poids du Qatar par rapport à l'Arabie saoudite et aux Émirats.

Le Qatar tire aujourd'hui sa force de l'appui de la Turquie, qui lui donne une surface un peu plus importante et lui permet de résister à la crise. En effet, on aurait pu penser que le Qatar, qui n'avait pas la capacité de pouvoir indéfiniment résister au rouleau compresseur de l'Arabie saoudite, des Émirats et de l'Égypte, allait rentrer dans le rang au bout de quarante-huit heures.

La Turquie a volé, si je puis dire, au secours du Qatar, mettant en place un système d'approvisionnement pour contourner le blocus et la fermeture de la frontière terrestre. Dans cette situation lourde de conséquences pour l'économie du Qatar, la Turquie est venue immédiatement proposer ses services, affrétant des avions remplis de nourriture et de produits de première nécessité. L'Iran est lui aussi venu voler au secours du Qatar, lui envoyant 4 000 vaches par avion pour subvenir à ses besoins !

Le Qatar a, me semble-t-il, la capacité de supporter un certain temps cette crise s'agissant de l'approvisionnement en ressources. Cet Émirat extrêmement riche est en mesure de faire venir par avion quantité de produits qui ne peuvent lui parvenir par la voie terrestre.

Le problème se pose, en revanche, sur la durée, car il me semble que les choses ne pourront pas rester en l'état indéfiniment. Si je dis cela, c'est parce que le Qatar s'est engagé dans l'organisation de la Coupe du Monde de 2022. C'est, pour le Qatar, un élément absolument essentiel à son rayonnement et à sa crédibilité. Il se veut une puissance capable d'organiser un événement de renommée internationale et se doit de respecter cet engagement. Il lui faut donc faire en sorte que les infrastructures soient prêtes pour 2022.

Or si ce blocus terrestre dure trop longtemps, si le port de Dubaï est fermé alors que celui du Qatar n'est pas encore en état de fonctionnement, cela peut provoquer un retard très important dans la construction des infrastructures. Ce qui serait vraiment pour le Qatar - passez-moi l'expression - une baffe absolument intolérable ! Après tout ce qu'il a fait pour obtenir cette Coupe du Monde, le Qatar joue très gros sur cette affaire. Vous l'avez vu, les enquêtes sont en train de sortir. Depuis hier, le rapport commandé par la FIFA met en cause ce pays et mentionne des accusations de corruption.

Autre élément très important, l'attitude des États-Unis vis-à-vis du Qatar. Vous le savez, ils y ont une base extrêmement importante - celle d'Al Udeid - qui compte 10 000 hommes. Les propos de Donald Trump, lors de sa visite en Arabie saoudite, ont donné au royaume une capacité à agir dans cette crise. Les premières déclarations de Donald Trump à l'égard du Qatar, l'accusant de soutenir le terrorisme, étaient très critiques. Et puis, quelques jours plus tard, voici que le Qatar achète pour 10 milliards d'euros de dollars de Boeings et de F15 ! On le voit bien, l'attitude des États-Unis est un peu plus complexe que le soutien affiché par Donald Trump à l'Arabie saoudite dans sa croisade contre le Qatar. Les choses sont d'autant plus délicates que le département d'État et le Pentagone ont tout à fait conscience que les États-Unis ont au Qatar une base essentielle pour lutter contre Daech dans la région et qu'on ne peut pas faire n'importe quoi !

Aujourd'hui, le secrétariat d'État américain est à la manoeuvre pour tenter d'apaiser la situation. La liste des treize conditions à remplir par le Qatar pour mettre un terme à cette crise a été rendue publique. Certaines d'entre elles sont absolument insupportables et inacceptables pour le Qatar, qui se retrouverait complètement sous tutelle, ramené au niveau de Bahreïn et perdant une partie de sa souveraineté. Autant de choses que, pour l'instant, le Qatar ne peut pas envisager.

Les Américains s'emploient à apaiser la relation entre les Émirats, l'Arabie saoudite et le Qatar. Le département d'État souhaite trouver une issue et sortir ce conflit de l'impasse.

Mme Fatiha Dazi-Héni, responsable de programme à l'Institut de recherches stratégiques de l'Ecole militaire (IRSEM) et maître de conférences à l'Institut d'études politiques (IEP) de Lille. - Je m'inscris dans la continuité presque totale de mes deux collègues. À cette réserve prés que je ne suis pas tout à fait d'accord sur l'importance du rôle joué par la Turquie dans cette affaire.

Il est clair que les deux instigateurs de cette crise sont, d'abord, Abu Dhabi, puis, Riyad, qui est beaucoup plus dans une position suiviste d'Abu-Dhabi qu'on ne peut le penser. En tout cas, elle a eu pour conséquence directe de permettre l'ascension du jeune Mohammed ben Salman, qui aura trente-deux ans au mois d'août et avait déjà des pouvoirs considérables - ministre de la défense, vice-prince héritier et président du Conseil économique et des affaires de développement.

Il y a eu toute une convergence d'intérêts, notamment l'arrivée du Président Trump à la tête des États-Unis, pour favoriser ce véritable coup de force qu'est le blocus décrété contre le Qatar. Ce blocus est la conséquence de la crise de 2014 au cours de laquelle Riyad, Abu Dhabi et Manama - qui est pratiquement la quinzième province du Royaume d'Arabie saoudite aujourd'hui - ont rappelé, en mars, leurs ambassadeurs. Cette crise s'est plus ou moins dénouée avec le retour des ambassadeurs à la mi-novembre 2014.

Je précise que, entre-temps, un très important accord de sécurité renforcée avait été signé à Riyad en 2012 et ratifié par l'ensemble des pays du Golfe - en dehors du Koweït, qui a un Parlement pluraliste et qui s'est opposé à la ratification. L'accord renforce les échanges de renseignements sur les activistes politiques entre les pays et crée des juridictions communes pour combattre les cellules terroristes.

Alors que le Qatar a joué le jeu, on estime qu'il n'a pas rempli toutes les conditions parce qu'il n'a pas mis un terme à son soutien aux Frères musulmans ; c'est le coeur de l'affaire. La crise est déclenchée le 5 juin.

Bien sûr, l'Iran a été utilisé comme prétexte et comme surenchère. Oman a un accord de sécurité et de défense avec l'Iran ; et personne ne vient lui chercher des poux dans la tête ! Koweït a des relations étroites et assez importantes avec l'Iran, qui est juste là pour la surenchère et qui est clairement l'ennemi désigné. La manoeuvre permet d'aller dans le sens de l'administration Trump, globalement hostile au régime islamique iranien et à sa politique d'expansion régionale en Irak, en Syrie, au Liban, voire au Yémen.

Tout cela est assez consensuel. Le coeur du problème, c'est bien le soutien du Qatar au courant des Frères musulmans, à cette fameuse chaîne Al Jazeera et à toutes ces couvertures médiatiques des événements qui ont tendance à exaspérer en Égypte, au Yémen ou à Bahreïn. Voilà le cadre.

L'actuel nouveau prince héritier saoudien s'est senti assez fort pour évincer, la nuit du 20 au 21 juin, l'homme fort du royaume, Mohammed ben Nayef. Ce n'était pas rien ! Outre qu'il était l'incarnation de l'État profond, il était le «  monsieur sécurité » et il avait combattu efficacement toutes les cellules al-qaïdistes du royaume, qui se sont rabattues pas très loin, à la frontière sud du Yémen. C'était un homme très respecté et plutôt populaire, même si ce n'était pas à proprement parler un démocrate - les prisons saoudiennes sont pleines d'activistes pacifistes !

Ce jeune prince héritier qui lui vole la place est bien entendu aidé par son papa le roi, qui a toujours eu l'ambition de faire de lui son successeur. Ce contexte et l'arrivée de Donald Trump offraient clairement l'occasion rêvée pour son ascension.

Aujourd'hui, on a un duopole. Le prince héritier d'Abu Dhabi, qui est l'homme fort de la fédération et de la région, mène très clairement la danse sur le blocus contre le Qatar. Il est le mentor du prince héritier Mohammed ben Salman, qui le prend pour modèle, car il a façonné une armée très sophistiquée, plutôt bien entraînée et qui recueille visiblement un certain succès dans la coalition arabe engagée au Yémen.

Je suis convaincue que le prince héritier d'Abu Dhabi est pour beaucoup dans l'ascension du prince héritier Mohammed ben Salman. Il lui a toujours conseillé d'être adoubé par l'administration américaine. En effet, l'ex-prince héritier était très apprécié des Américains, notamment par le Pentagone, les services de sécurité et la CIA. Pour eux, la marginalisation de Mohammed ben Nayef au profit de son jeune cousin, qui n'a pas beaucoup de compétences en matière de sécurité ou de défense - on le voit sur le théâtre du Yémen -, constitue une perte. Il me semble que Riyad est aujourd'hui sous la coupe de ce prince héritier d'Abu Dhabi, l'homme fort de la région, celui qui mène une politique très tranchée, assez agressive.

Ces deux figures incarnent donc la nouvelle génération de dirigeants du Golfe. Elle tranche beaucoup avec l'ancienne génération, symbolisée par le doyen, l'Émir du Koweït, qui est le médiateur de cette crise, ou le sultan Qabus, qui est très malade et qui était la figure de proue de la politique assez non-interventionniste, pacifiste et très raisonnable d'Oman. Ces deux personnalités faisaient office de négociateurs et étaient parvenues à faire en sorte que la crise de 2014 se règle en famille. Aujourd'hui, tous les moyens médiatiques de dénigrement sont déployés et l'on voit bien comment ces deux jeunes princes ont internationalisé la crise.

Les conséquences géopolitiques de cette situation sont très compliquées pour les alliés des pays du Golfe, notamment les États-Unis. On a évoqué cette confusion au sommet de l'administration américaine avec un Trump qui envoie des tweets intempestifs dans lesquels il prétend avoir trouvé la solution au terrorisme. Il suffit de désigner le Qatar comme l'affreux !

Son ministre de la défense, le général Mattis, et son secrétaire d'État, Rex Tillerson, se sont empressés d'aller lui expliquer que les choses étaient un peu plus compliquées, car les États-Unis ont une base à Al Udeid et que les intérêts de sécurité nationaux américains sont engagés dans cette crise. Cette base d'Al Udeid, avec ses 11 000 hommes et son système d'écoute extrêmement sophistiqué, est le cadre pour la lutte antiterroriste contre Daech et a été utilisée pour mener les actions en Afghanistan et en Irak. On voit mal comment le Qatar, sur le territoire duquel elle est installée, pourrait avoir organisé les choses et abrité tous les réseaux antiterroristes. Cette affaire est assez ridicule ! Il y a un vrai dilemme pour les États-Unis.

Tillerson semble dire qu'on va les laisser régler ces problèmes entre eux et en famille. Le problème, c'est que cela s'est internationalisé. Tillerson a exigé d'Abu Dhabi et de Riyad qu'ils aient des preuves de ces accusations et qu'ils produisent la liste de leurs récriminations. Quand on voit ladite liste, on est quand même loin du compte par rapport aux accusations premières faisant du Qatar le soutien de Daech, d'Al-Qaïda, du Hezbollah et des Frères musulmans - entre autres !

La condition sine qua non exigée du Qatar est la fermeture de la chaîne Al Jazeera ainsi que celle de la base militaire turque, qui ennuie beaucoup les Saoudiens et les Émiratis. Avec Erdogan et les Frères musulmans, la Turquie leur est en effet insupportable.

J'ai même entendu dire qu'ils exigent que le Qatar stoppe sa coopération avec les membres de l'OTAN. C'est presque une revendication déguisée pour lui interdire de conserver la base d'Al Udeid !

Le problème, c'est que les États-Unis - Tillerson comme Mattis - sont absolument furieux de l'ampleur de cette crise qui ne cesse d'escalader. Apparemment, les Saoudiens seraient plutôt pour apaiser les choses avec le Qatar. Toutefois, il est clair que celui qui est à la manoeuvre est le prince héritier d'Abu Dhabi, un chef de guerre un peu belliqueux, qui se sent extrêmement fort et qui ne l'entend absolument pas de cette oreille !

Cela tranche avec la culture politique du Conseil de coopération du Golfe, dont la mort est annoncée. Je ne vois pas comment Oman et le Koweït pourraient accepter ce diktat agressif, qui n'est pas dans l'intérêt de ce Conseil. Aussi imparfait soit-il, il est l'instance multilatérale arabe la plus solide, la plus pérenne, quasiment la seule à avoir toujours su négocier en interne les crises - et elles ont été nombreuses depuis 1981.

Tous ne partagent pas la même perception de la menace en ce qui concerne l'Iran. Oman et le Koweït se distinguent à cet égard. Le Qatar, par pragmatisme, veut avoir des relations plutôt bonnes avec son grand voisin iranien. Il y a un nouveau leadership saoudien. Le jeune prince saoudien a tous les pouvoirs internes ; il est à la tête de la diplomatie et de la défense dans son pays. Son amateurisme le pousse à être plutôt suiviste et à s'aligner sur l'orientation stratégique voulue par Abu Dhabi.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Grand merci à tous les trois pour ces exposés apportant la clarté dans la complexité ! Place aux questions.

M. Claude Malhuret. - Nous sommes tous conscients que l'argument de soutien au terrorisme par le Qatar est un prétexte. De la part de l'Arabie saoudite et de certains autres pays, c'est un peu l'hôpital qui se moque de la charité !

Quelle est la réalité du soutien financier, politique et religieux du Qatar, d'un côté, d'autres pays du Golfe, de l'autre, à certaines organisations salafistes, d'une part, et à certains groupes djihadistes, d'autre part ? Comment cette aide a-t-elle évolué au cours des dernières années ? Est-elle en train de changer actuellement à la suite d'un certain nombre d'événements dans la région ?

Quelle est votre analyse des relations très particulières de la France avec le Qatar lors des deux précédents quinquennats ? Comment doivent-elles évoluer aujourd'hui ? La France peut-elle jouer un rôle dans cette crise ? A-t-elle quelque chose à faire ou vaudrait-il mieux qu'elle s'abstienne soigneusement de s'en mêler ?

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - On n'a pas beaucoup parlé des raisons économiques et des conséquences économiques de cette crise. Le Président de la République a plaidé pour une désescalade.

Il a pris cette position pour des raisons géopolitiques, car ces pays sont notamment très impliqués dans la crise en Libye et en Syrie, mais aussi pour des raisons économiques. Si l'Arabie saoudite est notre premier client sur le marché de l'armement, il ne faut pas oublier que le Qatar est le deuxième.

Par ailleurs, Doha est une plate-forme aéroportuaire et un lieu de transit de première importance. Quid des incidences sur le trafic et sur l'économie aériens ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - La situation du Qatar me fait penser à la fable La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le boeuf ; j'espère que le Qatar ne connaîtra pas la destinée de la grenouille. Ce pays ne fait-il pas aujourd'hui les frais du choix opéré pour savoir qui, de l'Arabie saoudite ou de l'Iran, dominera la région ?

Aujourd'hui, l'Arabie saoudite s'affaiblit du point de vue économique, en raison de son engagement militaire. Le Qatar doit-il ou peut-il attendre cet affaiblissement et se maintenir dans le camp iranien ?

M. Michel Boutant. - À entendre les intervenants, la posture commune à ces États du Moyen-Orient était d'envoyer un message à l'Occident, en particulier aux États-Unis : ils se tenaient à l'écart du soutien apporté au terrorisme, mais désignaient du doigt le Qatar.

Outre ce message destiné à l'extérieur, y a-t-il un message adressé à l'intérieur, c'est-à-dire aux populations de ces pays ? S'agit-il de détourner l'opinion publique de certaines difficultés en l'orientant vers un problème extérieur ?

M. Robert del Picchia. - Selon Stéphane Lacroix, le Qatar a fait un peu tout et n'importe quoi à une certaine époque. Dans les conférences de l'OPEP, le ministre du pétrole, Al Thani était toujours le premier arrivé et le dernier parti et prenait le plus souvent des décisions à l'opposé de celles qui étaient retenues. Lorsqu'on lui demandait pourquoi, il répondait que sa famille n'avait pas à subir les ordres ou les diktats des Saoudiens ou des autres États membres du Golfe. En revanche, déjà, pour des raisons économiques, il s'entendait bien avec les Iraniens. Cette confrontation entre les familles existe-t-elle encore aujourd'hui ? Le gaz, dont la production est partagée entre le Qatar et l'Iran, n'explique-t-il pas la position du Qatar vis-à-vis de l'Iran, indépendamment de tous les problèmes religieux, sur cette « terre oubliée d'Allah », comme on disait à l'époque ?

M. Alain Gournac. - En langage direct, je pense que c'est un prétexte. On entend souvent parler des grandes familles. N'y a-t-il pas entre elles un jeu de financement pour acheter la sécurité et un certain équilibre ?

M. André Trillard. - Je m'interroge sur la population actuelle du Qatar. Les vrais Qataris sont quelques centaines de milliers. Actuellement, par qui est habité le Qatar ? Les pays voisins ne cherchent-ils pas à faire partir ou à inquiéter les résidents qui font vivre la machine économique au Qatar ?

Je suis toujours étonné de retrouver Bahreïn dans ce groupe : bien qu'extrêmement proche de l'Arabie saoudite, ce royaume est complètement différent. On trouve des comportements à la fois sociétaux et sociaux très évolués par rapport à l'ensemble des pays dont nous parlons, s'agissant par exemple de la protection des familles monoparentales ou des homosexuels. Je pense aussi à la base marine américaine de quelque 24 000 marins. Il y a là une complexité et des interactions complètement folles !

M. Jeanny Lorgeoux. - Est-ce qu'Israël constitue une pomme de discorde entre le Qatar et les autres pays du Golfe ?

M. Stéphane Lacroix. - Je commencerai par évoquer la réalité du soutien financier politique au salafisme djihadiste. Il s'agit d'une question compliquée. L'Arabie saoudite a une politique de soutien clair au salafisme, qui est liée à des équilibres internes, notamment au pacte entre la monarchie et le clergé. Ce salafisme exporté est quiétiste et non-djihadiste, ce qui peut malgré tout poser problème dans certains pays où il est en rupture avec la culture religieuse majoritaire. Les Saoudiens consacrent des milliards de dollars au prosélytisme. C'est inscrit dans l'ADN de leur système.

Se pose ensuite la question du soutien à différents groupes politiques. Daech a fait des vidéos contre la monarchie saoudienne. Par conséquent, les Saoudiens ne vont pas se tirer une balle dans le pied en soutenant ceux qui veulent leur mort. Il en est de même pour les Qataris. Il est vrai que, dans ces sociétés, les rapports entre le politique et les acteurs religieux sont assez complexes. En Arabie saoudite, par exemple, les acteurs religieux peuvent jouir d'une certaine autonomie permettant à certains d'entre eux de soutenir de manière relativement indépendante des groupes qui ne sont pas dans la ligne officielle. La pluralité est donc plus importante que l'on ne l'imagine.

Ces jeux d'équilibre permettent à des groupes qui ne partagent pas la ligne officielle de faire parvenir un soutien à l'étranger. Le Qatar et l'Arabie saoudite ont été rappelés à l'ordre et ont pris un certain nombre de mesures pour contrôler plus efficacement ces financements. Ceux-ci sont aujourd'hui beaucoup plus contrôlés qu'au début de la crise syrienne où le « tous contre Bachar » empêchait qu'on y regarde de trop près. On note donc une reprise en main aussi bien en Arabie saoudite qu'au Qatar.

Le rapprochement entre les Émirats et Israël est relativement ancien. Les Émirats entretiennent des relations assez étroites avec Israël, même si elles ne sont pas reconnues comme telles : beaucoup se passent à Washington. Ainsi, l'ambassadeur émirien à Washington a été très proactif avec les avocats d'Israël à Washington. La logique du « tous contre l'Iran » favorise un rapprochement des Émirats et, dans une certaine mesure, de l'Arabie saoudite avec Israël. Israël n'est donc pas la pomme de discorde.

Le Qatar a été le premier à nouer des relations avec Israël, même s'il restait officiellement un soutien à la cause palestinienne tout en se posant en médiateur. Dans les deux camps, ces pays ont des relations plus fortes avec Israël que la majorité des pays arabes. Israël a bien compris qu'il avait une carte à jouer dans cette politique du « tous contre l'Iran » et un rapprochement s'est opéré de fait.

Mme Fatiha Dazi-Héni. - Les incidences économiques sont très importantes. Je souhaite revenir sur la complexité et l'interdépendance de ces économies, qui sont très mondialisées. Qatar Airways est l'une des plus grandes compagnies aériennes au monde : 90 % de ses vols sont détournés à cause de l'interdiction des vols depuis l'Arabie saoudite. Ne parlons pas de Dubaï où trente-trois vols par jour sont prévus d'habitude. Finalement, le Qatar est tout aussi sanctionné que Dubaï.

Les effets collatéraux de ce blocus contre le Qatar touchent également les autres économies du Golfe, notamment l'économie émiratie. La bourse de Dubaï a dévissé de plus de 8 %après le déclenchement de cette crise, contre 11 % pour celle de Doha.

Le Qatar, qui est le plus grand exportateur de gaz, exporte vers les Émirats arabes unis jusqu'à Oman, grâce à son célèbre gazoduc : 40 % du gaz vient du Qatar, lequel, jusqu'à présent, n'a pas voulu fermer les vannes, alors qu'il aurait pu prendre des mesures de rétorsion. En effet, Oman est un allié objectif de Doha dans le blocus anti-Qatar.

Certes, les Iraniens et les Turcs essayent de compenser le manque d'approvisionnement vers le Qatar, mais les Koweïtiens et les Omanais n'ont pas rompu leurs relations. Ce sont les Émiratis les plus vociférants dans ce blocus. Il n'est qu'à lire la presse émiratie de ce matin : ceux qui continueront à aider le Qatar seront sanctionnés commercialement par les émirats. À qui s'adresse cette nouvelle exigence : aux voisins immédiats ? Aux pays occidentaux ?

Les incidences sont tout autant économiques que géopolitiques. La communauté internationale a très massivement réagi contre ce blocus, sauf Trump qui s'est distingué par quelques tweets intempestifs. Toutefois, le secrétaire d'État et le ministre de la défense américains sont tout à fait contre ce blocus, qui est extrêmement gênant par exemple pour les opérations américaines destinées à la lutte anti-Daech. Ne parlons pas de la Chine et de la route de la soie. À l'échelon international, il est compliqué de voir que ce blocus va s'éterniser.

Cependant, dans la mesure où les exigences de l'Arabie saoudite et surtout des émirats ne penchent pas vers une désescalade, on voit mal comment sortir de cette impasse. Cette situation est encore plus complexe dans un contexte de lutte anti-Daech : Daech est presque défait sur le terrain, mais sa capacité de nuisance à l'extérieur peut se reporter sur les pays de la péninsule. Il n'est qu'à voir l'attentat retentissant de Daech en Iran. C'était la première fois que cela se produisait.

Ce blocus n'arrange personne et commence à se retourner contre ses instigateurs.

Mme Agnès Levallois. - Pour ma part, je ne dirais pas que le Qatar est dans le camp de l'Iran. En revanche, le Qatar fait très attention à ses relations avec l'Iran et a à coeur que celles-ci restent correctes, en raison de l'exploitation commune de ce champ gazier. On le voit clairement dans ce conflit.

Il n'est pas question de faire partir la population immigrée qui habite au Qatar. Sur 2,5 millions d'habitants, on compte à peu près 10 % à 20 % de Qataris. La main-d'oeuvre qui fait tourner le pays vient du sous-continent indien, c'est-à-dire de pays dans lesquels le besoin d'émigrer est tel que, quelles que soient les conditions de travail, cette population n'a pas d'autre choix que de rester, car il lui faut travailler. Quelle que soit la situation, même si le blocus engendre par exemple des augmentations de produits de première nécessité, elle n'aura même pas les moyens ou la liberté de partir. Le Qatar a d'autant plus besoin de cette main-d'oeuvre au regard de l'échéance de 2022.

J'en viens à la position de la France. Nous revendiquons, à l'évidence, de bonnes relations tant avec le Qatar qu'avec l'Arabie saoudite. Nous vendons de l'armement dans les deux pays. Le Qatar, traditionnellement, est un élément important de notre politique d'exportation d'armement. Les relations avec l'Arabie saoudite s'améliorent aussi. Cela dit, nous ne jouons pas dans la même cour que les Américains. Les montants annoncés après la visite de Donald Trump en Arabie saoudite - jusqu'à 300 milliards de dollars - sont sans commune mesure avec nos 10 milliards de contrats potentiels avec ce pays. Nous pouvons essayer de jouer un rôle pour l'apaisement de la situation, mais soyons réalistes : notre capacité d'influence sur les pays de la région est relativement limitée. Nous n'arriverons jamais, quelle que soit notre volonté, à avoir un rôle plus important. À en juger par les déclarations du nouveau Président de la République, la France essaye de rééquilibrer ses relations avec les deux pays : après une période « tout Qatar » et une période « tout Arabie saoudite », M. Macron entend aujourd'hui établir des relations renouvelées avec l'ensemble des États de la région. Dans ce cadre, nous avons la possibilité de dire certaines choses, mais notre influence reste limitée.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - La question de Claude Malhuret portait sur la puissance des échanges, mais aussi sur l'influence mêlée de dépendance qu'on a pu connaître dans le passé : le Qatar a rendu des services assez significatifs à la France dans des périodes difficiles, notamment en matière de libération d'otages. On observait une proximité en fonction des services rendus. Cela est-il toujours aussi important ?

Mme Agnès Levallois. - Il est sûr que, pour le Qatar, il est important dans cette période difficile de garder le plus possible de bonnes relations avec les pays avec lesquels il a traditionnellement négocié et travaillé. Le Qatar veut pouvoir continuer à proposer ses bons offices. Les deux parties ont donc intérêt à conserver cette relation. Les déclarations du Président de la République témoignent elles aussi de cette volonté de garder la capacité de négocier. La France entend maintenir des relations avec l'ensemble des parties prenantes à cette crise. Telle est depuis longtemps notre position, aujourd'hui réaffirmée. La France doit pouvoir continuer à parler avec les Saoudiens, les Émiratis et les Qataris.

Quant à l'achat de la sécurité, cela a toujours existé, bien avant Daech. La capacité qu'ont certains États, ou certaines familles, d'acheter une sécurité en finançant tel ou tel groupe est une constante. Il ne s'agit pas d'une stratégie d'État ; pour autant, on ne peut exclure que, à certains moments, certains groupes aient été financés en échange d'une sécurité.

M. Robert del Picchia. - C'est le prix du pétrole !

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Mesdames, monsieur, je vous remercie en notre nom à tous. Malgré la complexité du sujet, vous avez su nous donner une idée assez claire de la source des problèmes et des évolutions possibles de la situation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Questions diverses

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Comme vous le savez, mes chers collègues, j'ai annoncé que j'allais quitter le Sénat de manière quelque peu anticipée, profitant de la césure que représente l'élection d'un nouveau Président de la République. J'ai souhaité m'engager sur d'autres voies, mais toujours sur des sujets très voisins. J'ai appris, durant les trois années que j'ai passées à ce poste, l'extrême gravité du monde. Ma génération était persuadée que la guerre était derrière nous ; aujourd'hui naît la crainte qu'elle pourrait aussi être devant nous. Je voudrais donc consacrer plus de temps à ce sujet, par le biais d'une organisation non-gouvernementale, afin de faire progresser la conscience de la gravité de la situation.

J'aurai le souci de réaffirmer que j'ai confiance dans le renouvellement des générations. Tous ceux qui sont de culture humaniste ont depuis longtemps remarqué que les sociétés progressent parce que les jeunes générations trouvent des solutions aux problèmes que les anciennes n'ont pas su résoudre ! Je passe la main en faisant confiance au renouvellement.

Je voudrais remercier chacune et chacun d'entre vous pour les relations personnelles que nous avons pu établir, mais aussi pour la qualité de nos échanges : nous avons suffisamment frotté nos cervelles pour accueillir des convictions partagées, nous avons en somme quelque peu grandi ensemble. Je vous suis très reconnaissant de m'avoir aidé à grandir sur ces sujets et à prendre conscience de leur gravité. J'ai été très fier d'avoir été à la tête de notre commission et je voudrais vous remercier de ce « patrimoine » personnel que vous m'avez offert trois ans durant. C'est avec une grande gratitude que je vous dis merci.

Je vous propose de procéder, lors de notre réunion du 12 juillet, à mon remplacement. Le groupe majoritaire fera une proposition ; pour ne rien vous cacher, M. Christian Cambon sera le candidat du groupe Les Républicains. J'en suis très satisfait, car nous avons beaucoup travaillé ensemble, et je verrai dans cette relève une forme de continuité heureuse. (Vifs applaudissements)

M. Daniel Reiner. - Je m'exprime, monsieur le président, au nom du groupe socialiste et républicain, qui était censé être le principal groupe d'opposition au sein de cette commission, mais qui au fond ne l'a jamais été, parce qu'il existe dans cette commission depuis bien des années déjà, et au travers de chacune des présidences que j'ai eu à connaître, depuis celle de Josselin de Rohan, un état d'esprit qui conduit à privilégier le travail en commun plutôt que l'affrontement ou l'opposition stérile. Il est vrai que les sujets sur lesquels nous travaillons le justifient largement.

Les trois années que nous venons de passer sous votre présidence ont été le prolongement de cette manière de faire. Travailler ensemble a été un plaisir, à la fois dans le partage des tâches, les prises de décision, ou encore les accords nécessaires pour régler la vie quotidienne. Ce n'est pas toujours simple, mais on y arrive : vous avez fait régner un état d'esprit tout à fait satisfaisant, qui ressemble bien à ce qu'on voudrait que soit le Sénat. Vous avez illustré cette bienveillance qui revient à la mode ; j'en suis ravi, parce que courtoisie et bienveillance sont nécessaires dans les relations humaines, y compris en politique. Malheureusement, alors que j'achève moi aussi ma carrière publique, j'ai pu constater que c'était tout de même un exercice bien compliqué ; pour autant, il ne faut pas y renoncer !

Évidemment, nous avons eu une relation privilégiée ces six derniers mois ; nous avons appris à mieux nous connaître en rédigeant un rapport ensemble. Cette période a été couronnée par une rencontre d'une heure avec le Président de la République sur ces questions de défense. Je dois dire, monsieur le président, qu'entre vous et moi il y avait au fond assez peu de différences sur ces sujets : cela permet un regard nouveau sur ce qui sépare nos partis politiques « raisonnables », de gouvernement, depuis très longtemps et qu'on se refuse parfois à voir. Merci donc pour cette façon de travailler : chacun garde naturellement ses propres convictions, mais si une telle attitude pouvait se poursuivre à l'avenir, ce serait vraiment une bonne chose ; nous comptons sur notre futur président pour faire prévaloir cet état d'esprit. (Applaudissements).

Projet de loi renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur

La commission décide de se saisir pour avis du projet de loi n° 587 (2016-2017) renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure et a nommé M. Michel Boutant, rapporteur.

Nomination de rapporteurs

La commission nomme rapporteurs :

M. Robert del Picchia sur le projet de loi n° 338 (2016-2017) autorisant la ratification du traité entre la République française et la République tchèque relatif à la coopération dans le domaine de l'exploration et de l'utilisation de l'espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques ;

Mme Gisèle Jourda sur le projet de loi n° 339 (2016-2017) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Secrétariat de l'accord relatif aux pêches dans le sud de l'océan Indien portant sur le siège du Secrétariat et ses privilèges et immunités sur le territoire français ;

Mme Hélène Conway-Mouret sur le projet de loi n° 273 (2016-2017) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République des Philippines relatif aux services aériens et n° 274 (2016-2017) autorisant l'approbation de l'accord relatif aux services de transport aérien entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Union des Comores (un rapport commun aux deux textes) ;

M. Jean-Paul Fournier sur le projet de loi n° 467 (2016-2017) autorisant la ratification de l'accord entre la République française et la République portugaise relatif à l'assistance et à la coopération dans le domaine de la sécurité civile et l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg relatif à l'assistance et à la coopération dans le domaine de la protection et de la sécurité civiles ;

M. Pascal Allizard sur le projet de loi n° 526 (2016-2017) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume hachémite de Jordanie relatif au statut de leurs forces.

La réunion est close à 11 h 40.

- Présidence de M. Christian Cambon, vice-président -

La réunion est ouverte à 14 h 35.

Situation internationale - Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

M. Christian Cambon, président. - Monsieur le ministre, nous sommes heureux de vous retrouver, certes dans des fonctions différentes de celles que vous exerciez précédemment, car vous avez toujours témoigné respect et amitié pour notre commission. Je vous souhaite bonne chance dans l'exercice des très lourdes responsabilités que le Président de la République nouvellement élu vient de vous confier.

Je vous prie par ailleurs de bien vouloir excuser l'absence aujourd'hui de Jean-Pierre Raffarin.

Vous arrivez au Quai d'Orsay dans un monde en pleine ébullition, en crise, dans une période dangereuse et compliquée.

Nous souhaitons connaître la feuille de route de votre ministère. Nous avons déjà perçu certains changements au cours de la campagne électorale et lors des premières déclarations du Président de la République, sur la Syrie, mais aussi sur l'Europe. Nous souhaitons vous entendre sur les crises qui sont d'une brûlante actualité, en particulier en Méditerranée.

La Tunisie nous inquiète, car c'est une démocratie fragile. Les résultats tardent à venir, le pays est confronté au retour de ses combattants djihadistes. La frontière tuniso-libyenne est un abcès inquiétant.

Il y a peu, vous étiez en Algérie, acteur majeur, mais aussi colosse aux pieds d'argile. L'état de santé du président Bouteflika et l'incertitude sur l'avenir politique de ce pays ne constituent-ils pas des risques majeurs pour l'Algérie et, indirectement, pour la France ?

En Libye, l'Égypte, menacée par le chaos à ses frontières, soutient le maréchal Haftar, lequel conteste l'autorité du gouvernement de M. al-Sarraj installé à Tripoli et reconnu par la communauté internationale.

Notre diplomatie, en changeant de chef, va-t-elle changer de cap à cet égard ?

En Syrie, nous sommes frappés collectivement par l'absence de solution politique. Vous avez suivi le dossier sous l'angle militaire. Quelle est votre approche, désormais, sous l'angle diplomatique ? Vous revenez de Moscou : le dialogue a-t-il été fructueux ? Nous savons bien que, sans la Russie, il sera difficile de trouver une solution dans ce pays.

Dans la bande sahélo-saharienne, au Mali, le terrorisme repart et les difficultés à faire adopter la résolution sur la force antiterroriste du G5 Sahel font craindre une fragilisation du soutien américain. Le mandat n'autorise pas le recours à la force. Le financement est renvoyé à une conférence des donateurs. C'est très problématique. Comment voyez-vous la suite ?

Au Mali, le président Ibrahim Boubacar Keïta est-il en capacité de mettre en oeuvre les accords d'Alger signés il y a deux ans alors que la rue a obtenu le report du référendum sur la révision constitutionnelle ? Le veut-il véritablement ?

Par ailleurs, comment la France intervient-elle dans le cadre de la crise diplomatique dans le Golfe arabo-persique qui s'est nouée autour du Qatar ? La commission a longuement travaillé ce matin avec des experts qui lui ont apporté un éclairage passionnant sur un conflit très compliqué ayant de nombreuses incidences, y compris sur la présence de la France dans cette région. Dans quelle mesure les tensions entre l'Arabie saoudite et l'Iran nuisent-elles à notre lutte contre le terrorisme ?

Enfin, nous souhaitons bien évidemment vous interroger sur le Brexit. Nous traversons une passe assez délicate. Le Sénat a la conviction que l'avenir à vingt-sept est plus important que le Brexit lui-même. Nous souhaitons une relance de l'Europe de l'énergie, de la défense, de l'harmonisation fiscale, de l'Europe sociale. Un échec des négociations avec les Britanniques est-il possible ? La diffraction de l'Europe, non-sens géostratégique à l'heure des pays-continents, aura des conséquences lourdes pour le Royaume-Uni, mais aussi pour les Vingt-Sept. Les relations de long terme avec le Royaume-Uni doivent être préservées : je pense surtout à la défense et la sécurité. Quelle est votre analyse en tant que ministre de l'Europe sur le début des négociations ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les sénateurs, la dernière fois que je suis venu devant votre commission, le 22 février dernier, vous m'aviez réservé un accueil chaleureux auquel j'avais été très sensible. Je pensais alors qu'il s'agissait d'un au revoir, mais me revoilà !

M. Christian Cambon, président. - En politique, il ne faut jurer de rien !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - J'ai cru comprendre que vous aviez aimé Le Drian, saison 1, nous allons nous engager dans Le Drian, saison 2.

Je suis toujours venu devant votre commission avec plaisir et enthousiasme, dans un état d'esprit de franchise et de clarté. Si je juge utile que nos travaux se déroulent à huis clos, sauf sur certaines questions, c'est parce que la confidentialité permet l'échange et la clarté.

Passant de l'art de la guerre à l'art de 1a paix, j'arrive à couvrir dans mes fonctions actuelles l'ensemble des prérogatives de votre commission, monsieur le président. Soyez convaincu que je remplirai de mon mieux et avec la plus grande détermination la mission de défense des intérêts et de protection des Français qui m'a été confiée par le Président de la République et le Premier ministre.

Je saisis l'occasion qui m'est offerte aujourd'hui pour faire part de ma reconnaissance à Jean-Pierre Raffarin, qui a conduit vos travaux ces dernières années et a toujours agi dans le sens de l'intérêt général et des intérêts du pays, en faisant preuve d'ouverture d'esprit, avec la passion communicative qui le caractérise.

Je tiens également à saluer Jean-Baptiste Lemoyne, il était l'un des vôtres il y a peu encore, qui me rejoint en tant que secrétaire d'État. Il sera, j'en suis certain, un précieux renfort. Je suis heureux de sa présence à mes côtés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ayant des impératifs horaires, je vous propose d'évoquer aujourd'hui les crises internationales et d'aborder les problématiques européennes, le Brexit, le commerce extérieur, le tourisme, les Français de l'étranger et la francophonie à l'occasion d'une très prochaine audition devant vous.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez ma manière d'envisager les événements internationaux : j'ai l'habitude de nommer les choses de façon directe. La France évolue aujourd'hui dans une situation internationale marquée par des ruptures profondes. Les crises liées au terrorisme, les politiques de puissance militaire et du fait accompli, la montée des défis de sécurité globaux comme le climat, les migrations ou la menace cyber, et, avec elle, les incertitudes stratégiques auxquelles nous devons faire face, créent un sentiment général d'insécurité jusqu'au coeur de l'Europe.

Ces crises engagent toutes, à un titre ou à un autre, les intérêts de la France et la sécurité des Français. La première des priorités de la politique étrangère de la France que le Président de la République m'a demandé de mettre en oeuvre est de faire face avec pragmatisme à ces crises, de définir des démarches politiques nouvelles pour y répondre et de conduire une diplomatie efficace pour défendre au mieux nos intérêts, notre sécurité et nos valeurs.

La manière dont on envisageait la mondialisation il y a encore une décennie est aujourd'hui remise en question, comme en témoigne la compétition qui se développe entre grands blocs économiques. De fait, certains pays cherchent à bénéficier d'une économie mondiale intégrée tout en refusant d'ouvrir leur marché intérieur en contrepartie. Mon ministère défendra les intérêts de la France et la nécessité d'une régulation économique mondiale, et ce dès le prochain G20, qui se tiendra dans quelques jours à Hambourg.

Pendant un certain temps, on a pensé que, au fur et à mesure de la mondialisation, la démocratie allait se répandre par un phénomène de porosité et que l'esprit de puissance d'un certain nombre d'États allait s'atténuer. Tel n'est pas le cas. La mondialisation se développe, mais, parallèlement, les puissances s'affirment, sans que pour autant la démocratie ne progresse.

L'économie mondiale est également marquée par le rôle croissant des capacités numériques. Vous le savez, ces capacités deviennent un milieu à part entière de conduite des relations internationales, comme aussi de conduite de la guerre. Toutefois, en l'absence encore de normes juridiques suffisamment fortes pour organiser ce nouveau domaine, nous sommes dans l'incertitude. Je présenterai bientôt une stratégie numérique internationale couvrant l'ensemble des sujets soulevés par cette question. Nous aurons, j'en suis sûr, l'occasion d'en reparler à la rentrée. C'est un sujet qui me préoccupe particulièrement.

L'interdépendance économique ne signifie ni la disparition des stratégies de puissance ni le règne universel des valeurs démocratiques et libérales. Nous constatons en réalité un regain de croissance des dépenses militaires, un retour très net de l'emploi de la force armée par de grandes puissances étatiques comme par des groupes terroristes adeptes de l'hyperviolence, au service de leurs ambitions territoriales. Ces stratégies hégémoniques et conflictuelles menacent le statu quo territorial, y compris en Europe. Elles peuvent également viser des nouveaux espaces disputés au coeur de la mondialisation. Je veux parler des espaces marins, extra-atmosphériques et des espaces cyber.

Dans cet ensemble, mon premier souci, c'est bien sûr le terrorisme. Aucun continent n'y échappe et l'Europe est en première ligne. Les attentats de Manchester et de Londres, où quatre de nos compatriotes ont perdu la vie - je me suis rendu aux chevets des blessés -, et l'attaque qui a échoué la semaine dernière contre nos forces de l'ordre sur les Champs-Élysées nous ont encore tristement rappelé le niveau très élevé de cette menace à l'intérieur des frontières européennes. Comme ministre de l'Europe et des affaires étrangères, je serai pleinement engagé dans la stratégie française contre le terrorisme voulue par le Président de la République. Ma priorité sera de garantir la sécurité des Français, où qu'ils soient dans le monde.

J'en viens maintenant à 1a situation sur les différents théâtres de crise où notre diplomatie est engagée. J'évoquerai tout d'abord ceux qui sont à la source de la menace terroriste qui pèse sur nous, en commençant par le Levant.

De toutes les crises internationales auxquelles nous sommes confrontés, la Syrie est celle qui menace le plus directement la sécurité des Français et la stabilité de l'Europe. Six années de guerre ininterrompue ont transformé ce pays en un État failli qui se décompose sous nos yeux. Les chiffres donnent la mesure de cette tragédie : plus de 300 000 morts, 5 millions de réfugiés et plus de 6 millions de déplacés internes. Livrée au chaos, la Syrie est devenue un des foyers du terrorisme islamiste, qui y a trouvé une emprise territoriale et une base arrière d'où lancer des attaques contre nous, notamment à partir de Raqqa, et diffuser sa propagande mortifère.

Le chaos syrien génère de l'insécurité, une insécurité tragique pour le peuple syrien, mais qui nous concerne aussi au premier chef en raison de la présence de Daech et Al-Qaïda en Syrie. Je le rappelle, la lutte contre Daech et Al-Qaïda est pour nous une priorité absolue.

Le conflit syrien est aussi source de mouvements migratoires forcés qui exercent une pression déstabilisatrice sur l'Union européenne et ses institutions et représentent une charge difficilement soutenable pour les États voisins.

Le régime de Bachar el-Assad est épuisé, mais conforté par ses alliés et une internationale milicienne assemblée par l'Iran. Le territoire est fragmenté en une multitude de fronts et distendu par les logiques de l'économie de guerre. L'opposition est divisée, démoralisée et radicalisée. Le processus politique, cinq ans après l'ouverture des négociations de Genève, est enlisé, même si des négociations doivent reprendre le 10 juillet prochain. Les éléments de sortie de crise sont de plus en plus ténus.

La Syrie est aussi le champ clos d'un affrontement entre des forces extérieures : Russie, Iran, Turquie, pays arabes et occidentaux, Américains.

Face à cette situation, la priorité absolue, clairement énoncée par le Président de la République, est de lutter contre le terrorisme. Cela implique la poursuite des opérations de la coalition contre Daech. Après plusieurs mois de préparation, la bataille de Raqqa est engagée et se déroule pour le moment plus rapidement que prévu.

Ce sont les forces démocratiques syriennes qui mènent la bataille de reprise de Raqqa contre Daech. Ces forces sont composées à la fois de Kurdes de l'YPG, les Unités de protection du peuple, et d'éléments arabes de la région, Raqqa étant, je le rappelle, une ville arabe.

Pour ma part, je ne pensais pas que cette opération se déroulerait aussi rapidement. Selon mes informations, un quart de la ville a pour l'instant été repris. Daech rencontrant de grosses difficultés, la ville sera inévitablement reprise. Se posera ensuite la question de sa gouvernance. Pour notre part, nous souhaitons qu'un conseil de gouvernance reflétant la réalité ethnique et sociologique de la population de Raqqa soit mis en oeuvre et que les Kurdes ayant fait le travail se retirent dans les lieux où ils vivent habituellement. Cela ne sera pas simple, mais c'est indispensable pour que la situation soit sereine après la chute de Raqqa.

Il faut également savoir que, après la chute de Raqqa, il y aura inévitablement des mouvements de combattants de Daech vers la vallée de l'Euphrate et vers la zone de Deir ez-Zor, qui risquent d'accueillir les combattants de Daech de Raqqa, mais peut-être aussi ceux qui ont été exclus de Mossoul. J'y reviendrai dans un instant.

En plus d'être un symbole, puisque c'est de cette ville qu'ont été ordonnés les attentats ayant touché la France, Raqqa est pour nous un test. La nouvelle phase qui s'ouvre exigera que l'on fournisse aux populations les services essentiels - l'eau, la nourriture, l'électricité, l'accès aux soins médicaux de base -, sans quoi nous risquons l'effet boomerang. Nous devons nous y préparer et apporter notre contribution, et ce d'autant que nous nous sommes battus pour que l'offensive sur Raqqa fasse partie des objectifs de la coalition.

À terme, il n'y aura pas de victoire durable contre le terrorisme sans solution politique en Syrie, c'est-à-dire sans préparer une sortie de crise qui permette la transition nécessaire.

Le Président de la République a fixé quatre principes impératifs, et indissociables, pour cette sortie de crise.

Premièrement, celle-ci doit intégrer la lutte contre le terrorisme et l'élimination de l'ensemble des groupes terroristes : Daech, mais aussi tous les groupes liés à Al-Qaïda. Chacune des parties prenantes de la sortie de crise en Syrie doit partager cet objectif et agir en ce sens.

Deuxièmement, l'arme chimique est formellement prohibée et toute tentative d'en produire ou d'en utiliser doit être condamnée. À nouveau, toutes les parties prenantes doivent faire en sorte que ce principe soit respecté.

Troisièmement, l'aide humanitaire doit être accessible à toutes les populations civiles de Syrie, indépendamment de leur positionnement dans l'ensemble émietté que représente aujourd'hui ce pays.

Quatrièmement, la désescalade doit s'envisager sous un angle pragmatique, dans le cadre soit de l'accord d'Astana, soit de l'accord en cours de négociation pour le sud de la Syrie.

Dans le même temps, un processus politique doit être engagé. Les négociations de Genève ont effectivement montré que solution politique ne semble pas pouvoir émerger immédiatement des rencontres inter-syriennes, même si, in fine, la solution est bien du ressort des seuls Syriens.

Je plaide en outre pour un double réalisme, en ce sens que l'on ne peut faire du départ de Bachar el-Assad un préalable indispensable à toute négociation, au vu de la situation sur le terrain, ni considérer que celui-ci sera la solution du processus politique de sortie de crise. Ces deux considérations s'ajoutent aux quatre principes que je viens d'énoncer, constituant un « paquet global » qui nous paraît susceptible de permettre une extinction de ce conflit dramatique et barbare.

Le Président de la République m'ayant demandé d'ouvrir des discussions avec tous ceux qui sont prêts à travailler dans ce sens-là, je me suis rendu à Moscou pour m'entretenir avec MM. Sergueï Choïgou et Sergueï Lavrov, les ministres russes de la défense et des affaires étrangères. Nos discussions ont été franches et serrées, et M. Lavrov doit revenir me voir dans une semaine pour les poursuivre. Je m'entretiendrai aussi prochainement avec le secrétaire d'État américain, et nous espérons pouvoir avancer lors du prochain sommet du G20 de Hambourg.

En Irak, les opérations militaires auxquelles les forces françaises participent sont relativement avancées. En dépit d'une reconquête difficile, rue par rue, avec des victimes civiles, on peut maintenant penser que la libération de Mossoul est prochaine.

Pour l'Irak, se posera la question de la gouvernance de Mossoul, mais aussi du gouvernorat de Ninive et, plus largement, celle de la proposition politique du Premier ministre Haïder al-Abadi. La logique inclusive pourra-t-elle être tenue ? Comment s'assurer que les sunnites ne seront pas exclus et que toutes les communautés retrouveront leur place ? M. al-Abadi le dit et le répète ; il n'y a aucune raison de ne pas le croire, mais des interrogations demeurent quant à la mise en oeuvre de cette logique et au rôle de l'Iran dans cette affaire.

S'ajouteront toutes les questions relatives à la reconstruction de l'Irak. Nous devrons aussi envisager une participation de nos opérateurs publics à l'effort de reconstruction, avec un « paquet de stabilisation » que je souhaite proposer aux autorités irakiennes et qui intégrera l'aide à la reconstruction, des actions de déminage et des programmes de réinstallation des déplacés. Il sera essentiel de soutenir la revitalisation du pays, de même que le processus indispensable de réconciliation nationale.

J'en viens à la Libye, un dossier considéré comme prioritaire par le Président de la République car les risques encourus sont très importants.

Depuis 2014, la Libye vit dans le chaos, Dans mes précédentes fonctions de ministre de la défense, j'avais très tôt alerté sur les conséquences de cette situation instable en matière de terrorisme, mais aussi d'immigration. Je m'étais notamment inquiété des risques d'implantation de Daech sur le territoire. Ces craintes ont été confirmées, même si, les milices de Misrata et l'Armée nationale libyenne du général Khalifa Haftar ayant « fait le travail », les combattants de Daech se sont volatilisés, et sans regroupement apparent, et il n'en subsiste aujourd'hui que quelques poches.

Pour autant, la crise n'est pas réglée. L'armée du général Haftar a beaucoup progressé, mais des éléments radicaux ont tenté à deux reprises de prendre le contrôle de la capitale Tripoli et de mettre le Gouvernement d'entente nationale de M. el-Sarraj en incapacité de gouverner. Des affrontements ont eu lieu en mai et juin, et la confusion règne. Il importe de trouver rapidement une sortie de crise car la voie de la Méditerranée centrale a supplanté celle des Balkans comme principale voie de migration, certains passeurs étant d'ailleurs liés aux groupes qui sèment le chaos dans le pays.

Dans ce contexte, le Président de la République m'a demandé de me rendre dans les pays limitrophes de la Libye pour évoquer les possibilités d'action en vue d'une sortie de crise. Les accords de Skhirat de décembre 2015 constituent une base indéniable, mais il faut sans doute les infléchir pour permettre la mise sur pied d'un gouvernement de transition, à la condition, bien sûr, qu'il n'y ait qu'un seul outil militaire, une Armée nationale.

Il reste à mettre en oeuvre cette orientation, à laquelle tout le monde peut souscrire, et c'est le discours que nous tenons aux uns et aux autres depuis ma prise de fonction. Nous travaillerons en ce sens avec M. Ghassan Salamé, qui deviendra, le 1er août prochain, le nouveau représentant des Nations unies en Libye. La position adoptée aujourd'hui par l'Italie en matière d'immigration impliquera peut-être d'aller plus vite.

S'agissant de la crise au Sahel, le Président de la République se rendra dimanche à Bamako pour une réunion du G5 Sahel, traduction concrète de la volonté des chefs d'État et de gouvernement des cinq pays concernés à mettre en oeuvre un processus de force militaire conjointe pour lutter contre le terrorisme et assurer la sécurité des frontières.

Cette prise de conscience, tout à fait positive, a été amplifiée par la création du RVIM - Rassemblement pour la victoire de l'islam et des musulmans - animé par Iyad Ag Ghali. Elle aboutit à la création de cette force, qui sera entérinée lors du sommet de Bamako, après avoir fait l'objet d'une résolution 2359 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée à l'unanimité, sur proposition de la France et malgré les réserves initiales des États-Unis, actuellement peu enclins à renforcer les opérations de maintien de la paix.

Pour appuyer la montée en puissance du dispositif, une conférence des donateurs sera organisée et un rapport du Secrétaire général remis en octobre, alors que la France assurera la présidence du Conseil de sécurité. Ce soutien international est essentiel : il émane de l'Union européenne, mais aussi de l'Union africaine, qui a infléchi ses positions depuis l'élection, à la présidence de la commission, du Tchadien Moussa Faki Mahamat.

Parallèlement, le Président de la République souhaite lancer une opération de développement du nord du Mali, car la mise en oeuvre des accords d'Alger, pourtant signés en juin 2015, en est encore à ses balbutiements. Ces accords prévoyaient notamment la mise en oeuvre des patrouilles mixtes ; je n'en ai vu qu'une à ce jour.

Il est important de revenir sur ce point dans le cadre du G5 et d'amener le président Ibrahim Boubacar Keïta à prendre les initiatives nécessaires, car je ne vois pas quelle alternative politique peut prévaloir en dehors des accords d'Alger. À cet égard, le report du référendum sur la réforme constitutionnelle intégrant une partie de ces accords est préoccupant.

Je terminerai mon propos en évoquant la situation dans le Golfe.

La crise qui oppose le Qatar à ses voisins et à l'Égypte depuis un mois s'inscrit dans la durée et devient une donnée du jeu régional. Les griefs formulés par les partenaires du Qatar à son encontre sont profonds : financement du terrorisme, promotion de l'islam politique, subversion de l'ordre politique des monarchies du Golfe par la chaîne al-Jazeera...

Ces pays ont rompu leurs relations diplomatiques avec Doha et poussé d'autres États, notamment africains, à faire de même, parfois avec succès. Ils ont également fermé leurs frontières terrestres et maritimes et interdit leur espace aérien aux aéronefs qatariens.

La position française sur le sujet repose sur les quelques principes suivants.

Premier principe, il faut combattre toutes les formes de terrorisme, et lutter notamment contre tout financement occulte du terrorisme, d'où qu'il émane.

Deuxième principe, nous considérons que c'est aux pays du Golfe qu'il appartient de gérer la sortie de crise. Les médiations extérieures ne sont pas souhaitables.

Troisième principe, nous soutenons la tentative de médiation conduite par l'émir du Koweït, car elle a le mérite de favoriser des rapprochements et d'engager un début de discussion entre les différentes parties.

Enfin, quatrième et dernier principe, il faut faire baisser le niveau de la confrontation et viser une désescalade de la violence. Les signes d'apaisement tardent à venir.

En tous les cas, il est nécessaire que cette discussion puisse avoir lieu, et ce d'autant plus qu'il ne vous a certainement pas échappé qu'un changement politique important avait eu lieu en Arabie saoudite. Mohammed bin Salman, le fils du roi Salman, a été désigné comme prince héritier en lieu et place de Mohammed bin Nayef. Il y a quelques jours, le Président de la République m'a confié la mission de me rendre au Qatar, au Koweït et aux Émirats pour tenter de mieux appréhender une situation de crise que nous suivons de très près.

Aujourd'hui, la situation reste compliquée. Le Qatar s'estime victime d'un « blocus ». C'est pourquoi il a saisi l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, ainsi que l'ICAO, l'Organisation internationale de l'aviation civile. En engageant des procédures officielles, celui-ci tente de protester contre les mesures qui lui sont imposées.

Par ailleurs, la Turquie, qui est liée au Qatar par un accord de défense, y a déployé symboliquement des troupes. Pour mémoire, je rappelle que le Qatar abrite également une base américaine de taille importante, avec près de 10 000 hommes, et que c'est cette base qui mène aujourd'hui les opérations militaires de la coalition américaine. Cela vous montre toute la complexité de la situation !

Sans compter que la France, même si elle ne dispose pas - ou très marginalement - de forces au Qatar, a noué un accord de défense avec cet État, mais qu'elle a également signé des accords de défense avec le Koweït et les Émirats arabes unis...

Pour toutes ces raisons, nous prônons une baisse des tensions et rappelons aux uns et aux autres qu'ils ont peut-être tort de jouer contre leur propre camp.

Je préfère m'arrêter sur ce point, même si je n'ai pas eu le temps de développer les autres points de mon intervention.

M. Christian Cambon, président. - Je donne sans plus attendre la parole à mes collègues, en les invitant à la plus grande concision.

M. Jeanny Lorgeoux. - Monsieur le ministre, après une « saison 1 » au cours de laquelle vous avez dirigé avec beaucoup de réussite le ministère de la défense, un ministère d'essence « jupitérienne » - tout le monde en conviendra -, disposant d'un budget de 32 milliards d'euros...

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Plus précisément 32,7 milliards d'euros !

M. Jeanny Lorgeoux. - Dont acte ! Après donc cette « saison 1 » où vos relations avec Bercy ont été, disons-le aimablement, « musclées », voici la « saison 2 » : vous êtes désormais à la tête d'un ministère prestigieux et, pour filer la métaphore antique, d'essence « olympique », mais avec un budget infiniment plus faible.

C'est pourquoi je m'interroge sur la nature de vos futures relations avec Bercy. Êtes-vous satisfait du budget qui vous est alloué pour conduire à bien une politique particulièrement complexe puisque, conformément à l'adage selon lequel « si tu veux la paix, prépare la guerre », elle mêle à la fois affaires étrangères, défense et forces armées ?

Mme Gisèle Jourda. - Ma question porte sur la diplomatie économique de notre pays. Il y a quelque temps, dans cette même salle, nous avons entendu Emmanuel Macron, à l'époque ministre de l'économie, formuler le souhait de voir la diplomatie économique relever de son ministère et non plus du ministère des affaires étrangères. Pourtant, chacun sait que le ministère des affaires étrangères a obtenu des résultats extrêmement positifs dans ce domaine, notamment pour le développement des entreprises. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Je souhaiterais également réagir aux propos que vous avez tenus tout à l'heure, monsieur le ministre. J'aimerais dire qu'en ce qui me concerne, et même si les vents ne me portent pas forcément dans la bonne direction, je reste attachée à la position adoptée par François Hollande devant l'ONU, laquelle consiste à dire que Bachar el-Assad ne peut pas faire partie de la solution en Syrie.

M. Henri de Raincourt. - Cinq sénateurs de cette commission ont, à un moment ou un autre de leur vie politique, exercé des compétences gouvernementales en matière de développement international et de coopération. Ce sont des sujets dont nous n'avons pas encore parlé aujourd'hui, et c'est dommage !

Mes collègues et moi-même considérons qu'il n'est pas possible de mener une politique de sécurité et de paix sans ce troisième volet du triptyque qu'est le développement. À cet égard, nous nous posons une question très pratique : qui s'occupera de la politique du développement à vos côtés au sein du Gouvernement ? En la matière, une certaine stabilité est nécessaire : les politiques du développement exigent un engagement sur le temps long. Je voulais en savoir plus sur le sujet ! (Sourires)

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Vous le savez, monsieur le ministre, en matière de coopération au développement, il existe deux types d'agences dans presque tous les pays européens. Il y a d'un côté les « financeurs » tels que l'AFD en France, l'Agence française de développement, ou la KFW, l'établissement de crédit pour la reconstruction, en Allemagne ; de l'autre, on trouve des agences de mise en oeuvre de ces politiques comme l'Agence de coopération internationale allemande pour le développement, la GIZ, ou Expertise France dans notre pays.

Pour parler d'Expertise France, cette agence est née de la volonté de notre commission, grâce notamment à l'amendement de notre collègue Christian Cambon, de rassembler les agences de coopération technique émanant de différents ministères. Elle existe depuis maintenant trois ans et a déjà prouvé son utilité, puisque l'on observe une croissance de plus de 20 % des contrats internationaux, contrats qui permettent de projeter l'excellence de notre expertise à l'international.

Or l'expertise est un enjeu majeur en termes de solidarité, d'influence, mais aussi de prévention des conflits bien souvent. De ce point de vue, la France ne doit pas baisser la garde et nous espérons pouvoir compter sur vous. Là où tous les États européens financent à plus de 80 % le budget de leurs agences, la participation de l'État français se limite à 20 % du budget d'Expertise France. Aussi, nous souhaiterions que vous vous engagiez, monsieur le ministre, à faire en sorte que la France confirme sa participation, et même aille au-delà. En effet, l'expertise technique est un moyen de créer un écosystème favorable à nos intérêts. C'est ce que les Allemands ont bien compris, puisqu'ils donnent plus de 2 milliards d'euros par an à la GIZ, alors que nous ne consacrons qu'une dizaine de millions d'euros à Expertise France. Monsieur le ministre, nous souhaiterions que vous vous saisissiez de ce dossier, car nous savons pouvoir compter sur vous.

Enfin, même si ce n'est pas nécessairement l'endroit pour en parler, il est très important que le président d'Expertise France et son directeur travaillent en parfaite osmose, dans l'intérêt des salariés, bien sûr, mais surtout dans l'intérêt de la France et pour sa capacité de rayonnement. Sur ce sujet, là encore, nous comptons sur votre vigilance.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Le Président de la République préside, le Gouvernement gouverne, et le parlementaire parle !

Aussi vais-je formuler une remarque : je suis membre de la commission des affaires européennes depuis de nombreuses années et suis profondément choqué qu'il y ait eu douze ou treize secrétaires d'État ou ministres chargés des affaires européennes en l'espace de deux quinquennats, celui de M. Sarkozy et celui de M. Hollande. Pour ne parler que de votre Gouvernement, nous en sommes déjà à deux titulaires à ce poste.

D'après moi, il existe aujourd'hui un problème d'architecture gouvernementale. Il ne s'agit pas d'un problème de personnes : nul ne peut mettre en cause votre sensibilité européenne ou celle du Président de la République. Il n'en reste pas moins qu'il est surprenant de constater que le ministère des affaires européennes est inclus dans le périmètre du ministère des affaires étrangères. J'ai tendance à penser qu'il faudrait plutôt un grand ministère des affaires européennes autonome, car les affaires européennes, ce ne sont pas les affaires étrangères ! Il est humiliant pour la commission des affaires européennes, pourtant seule commission parlementaire reconnue nommément dans notre Constitution depuis 2008, d'être obligée de ne travailler qu'avec des secrétaires d'État ou des ministres délégués, quelles que soient les qualités ou les compétences des différents titulaires.

Si je tiens ces propos, c'est que vous, comme le Président de la République, êtes des Européens convaincus. Bien que simple parlementaire, il me semblait utile de soulever ce problème.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Monsieur le ministre, ma question est bassement matérielle et s'inscrit dans la lignée de celle qu'a posée mon collègue Jeanny Lorgeoux.

Nous nous doutons bien que vous vous trouvez actuellement en plein dans la phase des arbitrages budgétaires. Nous espérons que vous aurez la même ténacité et le même militantisme que ceux que vous avez déployés comme ministre de la défense.

Le périmètre de votre ministère est très large. Celui-ci dispose de nombreuses attributions, comprend des réseaux très importants pour nous dans les domaines culturels, économiques ou en matière d'enseignement. Et pourtant, son budget équivaut à celui de l'opéra Bastille !

Nous espérons que vous défendrez avec force le budget de votre ministère, lequel a très longtemps été le bon élève, voire le meilleur élève de la classe en matière d'économies. Nous ne demandons évidemment pas à ce que vous soyez exonéré de toute contribution à l'effort national, mais nous nous inquiétons pour le devenir de ce grand ministère au budget modeste, alors qu'une récente annonce nous a appris qu'il existait un trou de 9 milliards d'euros dans les caisses de l'État.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - J'attire votre attention sur trois points.

Ma première préoccupation se rapporte à la fameuse route de la soie qui traverse 65 pays et concerne 4,5 millions d'habitants. Nous avons le sentiment que la France ne s'y intéresse peut-être pas assez et constatons un certain désengagement de notre pays en Asie centrale, alors même qu'il y existe un potentiel considérable. Aujourd'hui, on ferme des postes dans les ambassades, alors que nous devrions probablement davantage nous y intéresser.

Ma deuxième réflexion a trait au Brexit. Je sais bien que nous devons négocier bloc contre bloc, Royaume-Uni contre Union européenne. Toutefois, je me demande dans quelle mesure la France n'aurait pas davantage intérêt à prendre des mesures bilatérales à destination des Britanniques qui vivent en France et des Français qui sont en Grande-Bretagne, populations qui sont extrêmement préoccupées par leur situation actuelle. La France s'honorerait à prendre des décisions qui n'entameraient en rien l'actuel processus de négociation et qui pourraient au contraire avoir valeur d'exemple.

Troisième et dernier point, je souhaite moi aussi attirer votre attention sur des considérations budgétaires, et ce d'autant plus que l'on prévoit de supprimer la dotation d'action parlementaire (réserve). Ce projet aurait des répercussions extrêmement graves, notamment en ce qui concerne la présence française à l'étranger. Grâce à cette « réserve », mes collègues et moi-même soutenons de nombreuses petites initiatives, aidons des écoles à ne pas fermer, des alliances françaises, des fonds d'action sociale à l'étranger. Dans la mesure où l'on constate aujourd'hui un désengagement progressif du ministère des affaires étrangères, il s'agit d'un enjeu essentiel et d'une mesure qu'il faudrait probablement compenser sur le plan budgétaire. Monsieur le ministre, je compte sur vous pour nous aider, connaissant bien votre implication au ministère de la défense et les très bons résultats que vous avez réussi à obtenir.

M. Alain Gournac. - Monsieur le ministre, vous nous avez dit que Raqqa serait libérée dans les prochains jours ou les prochaines semaines. Nous sommes très préoccupés par le retour des combattants français sur notre territoire. Quelles mesures comptez-vous mettre en place pour filtrer ces arrivées ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Comme vous l'avez constaté, je n'ai pas pu, faute de temps, aborder certaines questions, notamment les questions du Brexit et de la diplomatie économique. J'aurai l'occasion d'y revenir la prochaine fois.

Pour répondre à M. Lorgeoux et à Mme Conway-Mouret, j'ai examiné de près la situation budgétaire du ministère des affaires étrangères et je vous confirme que celle-ci n'est pas très bonne. Le budget de ce ministère a diminué de manière inversement proportionnelle à l'élargissement de ses attributions. Le constat que je dresse après six semaines en fonction, c'est que la situation n'est pas viable sur la durée.

Vous l'avez dit, c'est un ministère qui ne proteste sans doute pas suffisamment et dont on peut écorner le budget sans trop de réactions du ministre. Ce ne sera pas mon attitude, chacun le sait. Tout ne peut pas se faire en un jour, mais il faut prendre conscience que notre attractivité, notre influence et notre présence dans le monde exigent un minimum de moyens. Or je le dis très clairement, les moyens du ministère sont insuffisants aujourd'hui, et je l'ai d'ores et déjà fait savoir au Président de la République et au Premier ministre.

S'agissant de mes attributions, madame Jourda, j'ai la responsabilité totale et entière du commerce extérieur bilatéral, conformément au périmètre défini par Laurent Fabius il y a quelques années. Ce périmètre est large, cohérent et j'ai bien l'intention de me montrer extrêmement actif sur le volet de la diplomatie économique : il faut tout d'abord simplifier les procédures pour faciliter l'action des entreprises, en particulier celle des PME, à l'exportation. Il faut ensuite créer une véritable équipe de France qui s'investisse sur les grands projets structurants et gagne les grands contrats. Enfin, et c'est une nouveauté, j'agirai pour mettre en oeuvre un partenariat beaucoup plus offensif et efficace avec les régions.

J'en profite pour répondre à la question qui m'a été posée sur le partage des responsabilités au sein du Gouvernement : le Premier ministre a souhaité que les secrétaires d'État qui se trouvent auprès des ministres n'aient pas d'attributions strictement définies, afin que leur fonction corresponde au mieux aux besoins et aux nécessités de l'action de leur ministre. Jean-Baptiste Lemoyne, nommé secrétaire d'État à mes côtés, et moi-même avons convenu qu'il s'occuperait plus spécifiquement du tourisme et du commerce extérieur.

Quant à la question du développement, soulevée par Mme Perol-Dumont et M. de Raincourt, son importance ne m'échappe pas. En m'exprimant sur la situation au Sahel tout à l'heure, j'ai bien dit que le sommet qui se tient dimanche serait l'occasion non seulement de débattre de l'orientation militaire à définir, mais aussi d'évoquer les questions de développement, car les deux vont de pair.

En tant que ministre de la défense, il m'est arrivé de ressentir une certaine frustration à ne pouvoir mener qu'une action militaire, alors que je savais que cette action aurait dû s'accompagner de mesures en matière de développement et de coopération. Au Sahel, en particulier, si le recrutement de djihadistes continue de progresser, c'est parce que certains de ces combattants vivent grâce à cet engagement et à l'argent de la drogue qui le finance.

Pour revenir sur vos propos, madame Jourda, je n'ai jamais dit que Bachar el-Assad était la solution. Il me semble même avoir dit le contraire en parlant de double pragmatisme. Le réalisme ne consiste pas à attendre que Bachar parte : sinon, combien de morts faudra-t-il encore attendre ? Son départ ne peut donc pas être un préalable. Cela étant, Bachar ne peut pas non plus être la solution. Vous imaginez la réaction des 5 millions de réfugiés qui ont dû quitter la Syrie à cause de lui si on leur annonçait que celui-ci restera au pouvoir ? C'est impossible. Je ne nie pas l'inflexion de la position française, mais cette inflexion est avant tout liée au contexte actuel.

Dans mon exposé, j'ai insisté sur quatre grandes zones de crise - la Syrie et l'Irak ; la Libye ; le Sahel ; le Golfe -, car je souhaite qu'elles soient au centre des préoccupations d'un maximum d'acteurs, en particulier des pays membres du Conseil de sécurité de l'ONU et des États voisins de ces zones. Cela permettra, je le crois, d'engager une dynamique qui mettra peut-être fin à toutes ces souffrances et tous ces drames.

Madame Garriaud-Gaylam, vous avez évoqué la route de la soie. J'aurai l'occasion de m'entretenir de ce sujet avec les responsables chinois ainsi qu'avec Jean-Pierre Raffarin, grand spécialiste de ce pays. Nous avons en effet un réel intérêt à suivre ce dossier de près.

Monsieur Pozzo di Borgo, j'aimerais vous rappeler que je suis ministre « de l'Europe » et des affaires étrangères.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Pardonnez mon intervention, mais je suis un idéologue de l'Europe !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - C'est la première fois que l'intitulé de la fonction que j'occupe s'ouvre sur la mention de l'Europe. Cela n'a pas pu passer inaperçu. J'ai bien l'intention d'assumer pleinement cette fonction, même si Mme Loiseau me secondera de manière très efficace.

Enfin, pour répondre à votre question, monsieur Gournac, il reste 600 à 650 combattants français dans les rangs de l'État islamique. Quel sort les attend ? Première hypothèse, ils peuvent mourir au combat. C'est déjà arrivé à près de 200 de ces djihadistes. Deuxième hypothèse, ils peuvent être fait prisonniers par les forces irakiennes ou les forces démocratiques syriennes - les FDS -, et seront alors déférés à la justice irakienne. Troisième hypothèse, moins probable, ils peuvent finir entre les mains de la justice française. Reste le problème des enfants et celui des femmes combattantes, même si ces dernières sont peu nombreuses.

Pour ceux d'entre eux qui reviendront en France, ils feront face à la justice de notre pays.

M. Christian Cambon, président. - Merci, monsieur le ministre. Nous avons été sensibles au fait que vous ayez réservé à notre commission la primeur de votre première venue au Parlement.

La réunion est close à 16 heures 05.