Mercredi 28 mars 2018

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Projet de loi de programmation militaire 2019-2025 - Audition du Général François Lecointre, chef d'état-major des armées

M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, nous étions presque tous aux Invalides ce matin pour l'hommage rendu au colonel Arnaud Beltrame. Les mots du Président de la République ont été suffisamment forts ce matin, il n'est pas besoin d'ajouter de commentaire, mais la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ne peut passer cette journée sans se recueillir quelques instants.

L'ensemble des membres de la commission ainsi que le chef d'état-major des armées se lèvent et observent un moment de recueillement.

Mon général, nous sommes très heureux de vous entendre sur la loi de programmation militaire 2019-2025, dont les rapporteurs ont déjà commencé l'étude approfondie. Ce projet de loi est meilleur que les précédents et notre commission est a priori bien disposée à son endroit. L'hémorragie est effectivement terminée et les décisions prises dans ce texte par le chef de l'État et le Gouvernement vont dans le bon sens.

Vous aviez vous-même parlé d'une armée éreintée par une décennie de sacrifices budgétaires imposés par les gouvernements successifs. Nous ne sommes plus dans ce contexte aujourd'hui, et, par exemple, la priorité accordée à la condition militaire et aux familles des soldats est un point important, qui est apprécié.

Néanmoins, le travail de la commission s'apparente à l'examen d'un verre à moitié vide ou à moitié plein. En effet, nous ne sommes pas entièrement convaincus par les moyens que ce projet de loi prévoit. La commission, notamment son ancien président Jean-Pierre Raffarin, a beaucoup travaillé à la définition du contenu de ce que devait être une « bonne » loi de programmation militaire (LPM).

Selon nous, une bonne LPM comportait une augmentation de 2 milliards d'euros par an, et l'on n'atteint en l'espèce que 1,7 milliard. Nous souhaitions commencer la hausse dès 2018, alors que la LPM prévoit une année blanche neutralisée par les reports et la budgétisation des opérations extérieures (OPEX). Nous voulions que l'effort soit constant, alors que la LPM reporte les principaux efforts au dernier tiers de la période, avec toute l'incertitude que cela comporte, suscitant l'inquiétude de notre commission et de Dominique de Legge, ici présent, rapporteur spécial de la mission « Défense » auprès de la commission des finances. Enfin, nous estimions qu'il fallait rehausser les contrats opérationnels, ce qui n'est pas le cas.

Il y a de bonnes choses, comme la remise à niveau et la sécurisation des programmes d'équipements militaires, dont nous avons grandement besoin, mais le Sénat soulignera aussi les éléments qu'il aurait aimé voir figurer dans le projet de LPM.

Nous allons donc être très attentifs à votre analyse.

Général François Lecointre, chef d'état-major des armées. - Je remercie votre commission de m'accueillir de nouveau. Le vote solennel du projet de loi de programmation militaire a eu lieu hier à l'Assemblée nationale. Je veux rendre hommage à la ministre des armées pour son investissement personnel fort, et remercier le Sénat pour la rédaction de l'article 6 bis, relatif à l'exclusion de la défense du champ d'application de l'article 17 de la loi de programmation des finances publiques, dont l'initiative lui revient.

Nous entrons dans une nouvelle phase du travail parlementaire, qui vous sollicitera beaucoup jusqu'à l'examen du texte en séance publique, à la fin du mois de mai. Je vous remercie aussi d'avoir su convaincre les acteurs politiques et institutionnels de la nécessité d'aller vite. Nous battons en effet des records dans la rapidité d'élaboration de ce projet de LPM. Cela a demandé un investissement important des équipes du ministère - armées, directions et services, état-major des armées, Direction générale de l'armement (DGA), Secrétariat général pour l'administration (SGA). Toute une communauté rassemblée autour des armées, comprenant les parlementaires des deux assemblées, a permis de conduire très rapidement ces travaux, et de faire comprendre l'urgence de redonner aux armées les moyens de remplir durablement leurs missions.

Nous avons évoqué la situation internationale lors de la présentation de la revue stratégique. L'irruption brutale du terrorisme sur le territoire national et la dégradation sensible du contexte sécuritaire et géopolitique mondial imposaient une réponse claire, responsable, pour dépasser la période d'irénisme qui prévalait depuis de nombreuses années. Une partie de cette réponse claire et responsable réside dans ce projet de LPM. L'effort consenti par la Nation, monsieur le président, est important, dans le contexte de maîtrise de la dépense publique. Notre volonté est claire : tenir les armées à l'écart du risque de déclassement, alors que, dans le monde, la puissance s'affirme avec virulence par un recours de plus en plus décomplexé à la force et par une contestation dangereuse du multilatéralisme.

Dans ce système international marqué par l'instabilité et l'incertitude, la France doit conserver sa capacité d'agir et de décider seule pour défendre ses intérêts, c'est-à-dire son autonomie stratégique. Celle-ci confère à notre pays la capacité d'entraîner et de fédérer ses partenaires. C'est pour cela que nous avons fait le choix de préserver notre modèle d'armée complet et équilibré, instrument essentiel de la souveraineté d'une France demeurant maîtresse de son destin.

Ce projet équilibré permet de dégripper trois principaux leviers, indispensables à la bonne marche des armées et à la conservation de leur supériorité opérationnelle, aujourd'hui et demain. Il s'agit du levier budgétaire, du levier de l'activité et du levier des ressources humaines.

Le levier budgétaire est le plus important, il permettra de déverrouiller tous les autres. Le Président de la République a engagé un effort inédit à hauteur de 198 milliards d'euros courants au profit des armées sur les cinq premières années de la LPM, soit jusqu'en 2023. Cela se traduit par une augmentation de 22 % des crédits de la mission « Défense » par rapport aux lois qui ont régi la programmation militaire de 2014 à 2018, et cette hausse concerne l'ensemble des agrégats.

Ainsi, les crédits affectés au renseignement et à la cyberdéfense augmenteront de 53 %. L'effort en matière de dissuasion croîtra de 35 %, pour permettre le renouvellement et la modernisation des moyens des deux composantes, océanique et aéroportée, de la dissuasion. L'accélération du processus de modernisation représente un flux annuel moyen de 5 milliards d'euros, contre 3,7 milliards sur la période de la LPM en vigueur. C'est important, car la dissuasion constitue le coeur de notre appareil de défense.

Le budget des études amont augmentera de 35 %, de même que celui des programmes à effet majeur (+34 %). L'entretien programmé du matériel bénéficiera d'un effort supplémentaire de 30 % et l'effort en matière d'infrastructure progressera de 29 %.

Ce projet ne fait aucune impasse ; au contraire, il rétablit des équilibres. L'effort en matière d'infrastructure est à cet égard emblématique, car le parc immobilier souffre de plusieurs années de sous-investissements. Ce projet est donc marqué du sceau de la responsabilité et de la volonté de limiter les risques. Ainsi, il ne comporte pas de réductions de cible. Il ne prévoit aucun étalement de programme majeur. Enfin, la provision consacrée aux OPEX croîtra, pour atteindre 1,1 milliard d'euros en 2020.

Lors des années précédentes, malgré le principe de solidarité interministérielle affirmé dans la LPM en vigueur, ce sont les armées qui ont supporté l'essentiel du financement des surcoûts des OPEX, ce qui a désorganisé la programmation. C'est pourquoi l'élévation de la provision doit permettre de ne pas remettre en cause les investissements prévus dans la LPM, en faisant, si nécessaire, jouer le mécanisme de solidarité, à un niveau acceptable pour les autres ministères.

Enfin, troisième élément qui illustre le sérieux et l'esprit de responsabilité du projet de loi, la trajectoire financière n'intègre aucune ressource exceptionnelle, par nature incertaine. En outre, l'actualisation de la programmation prévue en 2021 permettra de vérifier la pertinence des choix et d'ajuster ceux-ci.

J'en arrive au levier de l'activité. Je le dis sans provocation, les armées n'ont pas besoin d'être engagées pour être utiles ; cela est solidement éprouvé par les faits. Une force prête à l'engagement est plus dissuasive qu'une force engagée au-delà de ses capacités. Il est donc indispensable que les armées, pour demeurer performantes, restent actives et prêtes. Ce message est souvent peu entendu des concitoyens et parfois mal compris des parlementaires, voire des armées, qui peuvent penser que leur surengagement permet de conserver des ressources en démontrant leur utilité.

La préparation et l'entraînement ont souffert du surengagement des dernières années - 30 % au-delà des contrats fixés dans la LPM en cours - et de la dotation sous-calibrée du budget d'activité. Par conséquent, le projet de LPM consacre un effort en hausse de 17 % au soutien de la préparation et de l'activité opérationnelles. Notre objectif est d'atteindre, en 2025, 100 % des normes d'activité de l'OTAN, en qualité et en quantité.

En outre, l'effort consenti en matière d'entretien programmé du matériel aura un effet immédiat sur la régénération des équipements, très sollicités au cours des dernières années. Ainsi, d'ici à 2023, l'effort en la matière représentera 11 % de la ressource de défense, soit une augmentation de 30 % par rapport à la période 2014-2018. Tous les milieux d'engagement sont concernés, cela représente en moyenne 1 milliard d'euros supplémentaires par rapport à la LPM en vigueur.

À cet effet, nous compterons sur différents plans concernant le maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (MCO-T), la réforme de la structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la défense (SIMMAD), ou encore l'optimisation de la supply chain.

La maintenance bénéficiera d'importantes perspectives de progrès, avec les nouvelles technologies - robotisation, numérisation, maintenance prédictive - et avec des contrats qui impliqueront plus fermement les industriels, en leur fixant des objectifs exigeants en termes de performance.

Enfin, l'accroissement des investissements dans les infrastructures dévolues à l'entraînement, à la simulation ou à l'accueil des nouveaux programmes permettra l'amélioration du niveau de qualité de la préparation de nos forces.

Enfin, le dernier levier, les ressources humaines, est important, car il influe sur la compétence technique des armées, mais aussi sur leur état d'esprit, leur force morale. La ministre des armées a voulu améliorer le quotidien du soldat, avec, entre autres, le « plan famille ».

Le projet de LPM répond aux besoins les plus pressants, notamment dans les domaines du renseignement, de la cyberdéfense et de la sécurité des emprises. Évidemment, l'augmentation de 6 000 postes sur la durée ne permettra pas de gommer intégralement certaines fragilités, en raison de la nécessaire maîtrise des ressources affectées au titre II et au fonctionnement. Nous devrons nous assurer que les mesures d'accompagnement destinées à fidéliser les compétences rares et à garantir la gestion des flux seront adaptées.

La libre disposition d'une jeunesse disponible, compétente et volontaire pour être formée et servir son pays est un défi relevé au quotidien. Ce défi pourrait être compliqué par les effets de la réforme des retraites, qui concentrera donc notre attention, de même que la nouvelle politique de rémunération des militaires, mise en oeuvre à compter de 2021. Sur ce sujet, nous comptons sur votre attention car cela conditionnera la préservation de la spécificité militaire, à laquelle je suis attaché, car c'est une condition essentielle de l'efficacité des armées au service de la Nation. En la matière, le rôle premier du chef militaire consiste à prendre en compte les préoccupations du personnel des armées, suivre son moral et écouter les aspirations légitimes des soldats.

En conclusion, je veux vous assurer de la détermination des armées à tirer tout le profit de cette LPM, que j'estime sincère et équilibrée. Ce projet de loi est un projet de régénération et de modernisation. C'est maintenant que tout commence. Au-delà de ce projet de loi, l'exécution année après année de ce programme fera l'objet de votre attention constante. Nous en aurons besoin pour que les promesses se transforment en faits.

Je ne m'interdirai pas, pour ma part, de questionner la philosophie de transformation de nos organisations qui prévaut depuis quelques années. La rationalisation conduite au travers des deux LPM précédentes sous une contrainte budgétaire forte a conduit à une atomisation des processus décisionnels, sur laquelle il faut, me semble-t-il, revenir. Il faut revoir les principes d'organisation des armées pour que l'armée de temps de paix ne soit pas trop différente, dans son organisation et ses modes de fonctionnement, d'une armée de temps de guerre, car la distinction entre ces deux situations est de moins en moins nette.

M. Christian Cambon, président. - Merci de cet éclairage, mon général. Je note des éléments de satisfaction, dont nous nous réjouissons. Vous pouvez compter sur nous pour vérifier la bonne application des programmations prévues. Rien ne serait pire que des promesses non tenues.

M. Jean-Marie Bockel, rapporteur pour avis du programme 178. - Nous vous avons écouté avec beaucoup d'intérêt, mon général. Je m'exprimerai en mon nom propre, en tant que rapporteur du programme 178 et au nom de ma collègue Christine Prunaud, dont je partage le point de vue.

Ce projet de LPM témoigne d'un réel effort. La préparation et l'activité opérationnelles devraient bénéficier d'une augmentation de 17 % entre 2019 et 2023 ; quel montant cela représente-t-il et quels sont précisément les objectifs de remontée des indicateurs de préparation opérationnelle en 2021 et en 2023 ?

Pour le maintien en condition opérationnelle, le MCO, je me pose la même question : pourquoi ni l'étude d'impact ni le rapport annexé ne prévoient-ils d'objectif précis de remontée des taux de disponibilité technique des principaux équipements militaires ? En effet, les pourcentages d'augmentation annoncés devraient avoir une traduction concrète.

Par ailleurs, les services de soutien ont souffert de réformes trop rapides et d'une suppression trop importante d'effectifs, vous l'avez dit. Le service du Commissariat des armées a retenu notre attention, de même que le service de santé des armées, que nous avons visité. La situation de ce service a forcé notre admiration, car son personnel fait un travail remarquable, mais nous a alarmés. N'est-il pas indispensable de mettre fin à la diminution des effectifs de ces deux services ? Est-ce prévu dans le projet de LPM ?

Enfin, pourquoi le Gouvernement a-t-il émis un avis défavorable à l'augmentation, de 5 à 10 par an, du nombre de jours passés par les réservistes sous les drapeaux ? Ne faut-il pas au contraire renforcer la contribution des réservistes à l'effort de défense ? Cette force est présente sur le territoire, et on fera sans doute appel à elle.

M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis du programme 144. - Les crédits du renseignement évoluent de manière positive, mais, eu égard aux difficultés rencontrées par les services et à l'actualité récente, cela sera-t-il suffisant ?

Par ailleurs, les crédits affectés aux études amont s'accroissent ; quelles seront vos priorités sur la répartition de ces crédits ?

Mme Gisèle Jourda. - Ma question porte sur les articles 32, 35 et 36 du projet de loi, qui contiennent des dispositions qui bouleversent le droit des pensions militaires d'invalidité. Les associations du monde combattant avaient participé à la dernière réforme, celle de janvier 2017, mais elles ont été tenues à l'écart de celle-ci.

Il s'agit du transfert du contentieux des pensions militaires d'invalidité de la juridiction des pensions vers la juridiction administrative ; en outre, un recours administratif préalable obligatoire serait mis en place. Pourquoi remettre en cause la spécificité de ce contentieux, qui n'est pas ordinaire et qui implique l'intervention d'un assesseur médecin et d'un assesseur pensionné ?

En outre, pour ce qui concerne le recours administratif préalable, certains justiciables seront dans l'impossibilité de saisir le juge à temps, en raison des OPEX, d'une mutation, d'une hospitalisation, d'une convalescence, etc. Enfin, ce recours serait coûteux, à cause des déplacements qu'il engendrerait.

M. Richard Yung. - Il y a des projets de coopération européenne d'armement, notamment avec l'Allemagne et le Royaume-Uni, mais aussi en matière de rapprochement des conceptions stratégiques et de formation des dirigeants militaires. Pouvez-vous nous en dire plus ? Quels apports en attendez-vous ? Quelles en sont les perspectives à l'horizon de quatre ou cinq ans ?

M. Ladislas Poniatowski. - Vous avez prononcé exactement la même phrase que Mme la ministre des armées : « ce projet de loi donne aux armées les moyens de remplir leurs missions ». Pourtant, le compte n'y est pas tout à fait, je pense en particulier aux OPEX. Nous revenons d'une mission au Niger et au Mali, où nous avons admiré le travail formidable des troupes de l'opération Barkhane dans ces deux pays, dont la situation est catastrophique ; l'addition sera lourde...

Sans doute, la provision a augmenté - dans la loi de finances initiale pour 2018, on est déjà passé de 450 à 650 millions d'euros -, et ce montant atteindra 1,1 milliard d'euros en 2020. Mais, pour l'instant, cela ne représente pas la totalité des besoins, puisque les OPEX ont coûté 1,2 milliard d'euros en 2017. Donc ces crédits de 650 millions d'euros sont insuffisants. Par conséquent, c'est le gel des crédits des autres ministères qui financera les besoins, mais vos investissements aussi risquent d'être gelés. Pourquoi ne peut-on avoir un budget de vérité sur les OPEX ?

M. Philippe Paul. - On parle des drones armés et du futur drone MALE, pour 2019. On parle aussi du porte-avions en 2038, date de la fin du coeur nucléaire du porte-avions Charles-de-Gaulle. S'il y a une réelle montée en puissance des drones armés, ceux-ci ne seront-ils pas suffisants sur les théâtres d'opération extérieure, et la nécessité d'un nouveau porte-avions sera-t-elle alors revue ?

M. Jean-Marc Todeschini. - Les efforts de ce projet de LPM sont considérables ; on peut s'interroger sur la hausse des crédits de 3 milliards d'euros en 2023, mais on y reviendra plus tard.

Dans deux ans, les coûts des OPEX ne seront plus pris en charge dans un cadre interministériel. Quel est votre sentiment à cet égard ? Cela ne va-t-il pas changer les choses pour des engagements décidés par le Président de la République ?

En outre, les crédits de la dissuasion passent de 3,8 milliards à 5 milliards d'euros. Quelles précisions sur la modernisation pouvez-vous nous apporter ? Comment se répartira cette augmentation ?

Général François Lecointre, chef d'état-major des armées. - Monsieur Bockel, les objectifs de remontée d'activité et les indicateurs qui doivent y être associés figurent dans le rapport annexé au projet de LPM. On y trouve les objectifs en termes de nombre de journées de préparation opérationnelle, de nombre d'heures d'entraînement par équipage de chars Leclerc, de jours de mer par bâtiment, de nombre d'heures de vol par pilote, etc. Il s'agit de consolider les choses jusqu'en 2021, puis, après 2021, d'avoir une remontée en puissance pour atteindre les normes de l'OTAN.

Sur la réforme du service du commissariat des armées et du service de santé des armées, tout l'état-major des armées avait conscience, lorsque j'ai pris mes fonctions, des difficultés de ces deux services. Le service de santé des armées a subi une réforme importante, tant du point de vue de l'organisation et des contraintes pesant sur les effectifs que de sa finalité. L'objectif est bien de recentrer ce service sur son coeur de métier : la médecine des forces. Les déflations d'effectifs ont affecté l'organisation et le moral de ce service. Nous avons décidé de faire bénéficier le service de santé des armées d'un moratoire, pour qu'il mène la réforme sans contrainte sur les effectifs.

Pour ce qui concerne le Service du commissariat des armées, notre objectif est que la réforme n'impose pas de contrainte supplémentaire sur les effectifs, en réfléchissant au recours à l'externalisation dans certains domaines, sans perte de qualité du service rendu. Nous avons donc aussi décidé de marquer une pause.

Même si nous allongeons le temps octroyé à ces deux services pour conduire leur réforme, nous ne les en exonérons pas complètement, puisque cette réorganisation nous permettra de réaffecter des effectifs à d'autres domaines, dans lesquels nous avons besoin de ressources humaines.

Enfin, la question du congé de réserve est très délicate. Il faut éviter de bloquer les employeurs de réservistes. Beaucoup de réservistes préfèrent en effet être des réservistes « clandestins » à l'égard de leurs employeurs, de peur de ne pas être embauchés ou d'être licenciés. La préoccupation du Gouvernement est d'éviter de voir les réservistes revenir à la clandestinité. Tout ce qui accroît la contrainte sur l'employeur d'un réserviste est donc considéré avec attention, et nous tenterons évidemment d'augmenter l'emploi des réservistes dans le cadre du projet de la garde nationale.

Monsieur Allizard, pour ce qui concerne les crédits du renseignement, les augmentations ne sont jamais suffisantes, mais il faut faire des choix. Sincèrement, avec les moyens techniques et humains prévus par ce projet de LPM, nous améliorerons directement nos capacités défensives et de renseignement, notamment grâce aux moyens satellitaires et de cyberdéfense. La vraie question est celle-ci : la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) et la Direction du renseignement militaire (DRM) auront-elles la capacité de réaliser cette montée en puissance, qui nécessite des ressources humaines qualifiées, au rythme prévu ? C'est tout le défi, bien davantage que les crédits. Oui, selon moi, les crédits alloués sont suffisants si l'on arrive à « transformer l'essai ».

Pour ce qui concerne les études amont, les priorités seront les technologies de rupture. Mais notre souci principal est d'éviter la déconnexion entre les études amont et les besoins militaires, afin que l'on puisse relier toute recherche à l'obtention d'une vraie supériorité opérationnelle et à la définition de nouvelles capacités opérationnelles utiles sur le champ de bataille. Tel est notre défi.

Madame Jourda, ayant moi-même étudié, comme jeune officier, les recours d'anciens combattants au sein des commissions, j'ai pu constater l'aspect laborieux de cette juridiction. Ayant, en outre, déposé des dossiers d'invalidité à titre personnel, j'ai pu constater l'efficacité relative et la très grande lenteur de ce système. Aussi, passer par la juridiction administrative est, selon moi, un gage de progrès, et je ne crois pas que les droits et la parole des anciens combattants n'y soient pas entendus. À l'occasion du recours préalable, des représentants des anciens combattants seront présents ; je ne vois donc pas pourquoi cette commission ne pourrait pas faire un travail correct.

En ce qui concerne les délais, peut-être faut-il en allonger la durée - cela ne relève pas de ma compétence -, mais la simplification que constitue le fait de passer par la juridiction administrative me semble préférable à ce qui existait jusqu'à présent.

Mme Gisèle Jourda. - Nous sommes assez circonspects à l'égard des simplifications administratives.

Général François Lecointre, chef d'état-major des armées.  - Je vous garantis pourtant, pour l'avoir vécu, qu'il y a une grande marge de progrès... Cela incitera en outre le ministère à être exemplaire dans le traitement des recours préalables.

Monsieur Yung, votre question sur la coopération européenne est très large. Ce que soutient la France, en dehors de la coopération structurée permanente, c'est l'initiative européenne d'intervention, qui vise à partager une vision stratégique commune avec plusieurs partenaires, notamment ceux qui partagent notre appréciation de situation en Méditerranée et en Afrique, et qui seraient prêts à s'engager avec nous.

Nous commençons à travailler dans ce sens. Nous allons partager des informations et des renseignements, puis nous ferons des exercices communs de planification. Ensuite, nous progresserons par l'identification des freins bloquant une intervention rapide dans ces zones, selon divers scénarios. Nous avons un rendez-vous à Paris dans deux mois à ce sujet.

Vous connaissez les programmes d'armement. Je citerai bien sûr le projet de drone MALE européen, le projet de système de combat aérien futur, avec l'Allemagne, le projet FCAS-DP de drone avec le Royaume-Uni, le projet de système d'artillerie future, un projet de chars lourds, avec l'Allemagne, des projets de lutte antimines et de missiles antinavires avec les Britanniques... Tous ces projets sont importants.

Ce sont des projets structurants pour les armées, et vous pouvez être convaincus de la détermination de la DGA et des armées à faire fructifier ces coopérations. En revanche, ce sont des projets de long terme, et nous devrons bien sûr être attentifs à l'impact que pourrait avoir, sur ces coopérations, les nouveaux équilibres politiques qui se dessinent chez nos partenaires.

Monsieur Poniatowski, vous avez raison, la provision OPEX n'est jamais suffisante. J'ai indiqué aux députés qu'un rapport du Contrôle général des armées à venir met en évidence que seulement 19 % du surcoût des OPEX a en fait été mutualisé ; les armées ont donc payé, au gré des annulations successives, plus de 80 % du surcoût des OPEX. Par le passé, la solidarité intergouvernementale n'a donc joué que très modérément, ce qui a aggravé l'effet d'éreintement des armées lié à la purge budgétaire subie.

Le resoclage de ces surcoûts est évidemment plus favorable aux armées. Nous allons monter à 650 millions d'euros en 2018, 850 millions en 2019 et 1,1 milliard en 2020. Mais nous serons peut-être alors à 1,4 milliard de surcoût... C'est pourquoi il faut un mécanisme de mutualisation des surcoûts excédant le soclage. De leur côté, les armées et le ministère doivent être vertueux et exigeants, en mesurant au plus juste l'effort militaire à produire pour atteindre les objectifs politiques. La modulation de nos engagements est essentielle : j'indique régulièrement au Président à quel surcoût est associée chaque option envisagée. Chaque décision fait donc l'objet d'une évaluation préalable du coût induit.

Les armées sont exemplaires dans l'application du principe de modularité, qui consiste à construire un outil sur mesure pour chaque intervention et chaque effet militaire souhaité, en taillant une force à l'homme et à la capacité près. C'est une spécificité française, qui induit une recherche d'efficience permanente. Si malgré cela les surcoûts OPEX excèdent la provision, il appartiendra au Parlement de faire en sorte que les armées ne paient que leur part de la solidarité intergouvernementale.

M. Ladislas Poniatowski. - Nous pouvons témoigner de cette exemplarité pour ce qui concerne l'opération Barkhane.

Général François Lecointre, chef d'état-major des armées. - Il y a trente ans, nous avions des divisions, des brigades, des régiments constitués face à l'ennemi rouge, notre référentiel, chaque unité étant précisément calibrée et connaissant sa zone d'engagement. Nous sommes passés de ce mode figé et prévisible, avec un engagement militaire programmé pour être immédiat, à un système où chaque crise est différente ; où le pouvoir politique engage des opérations militaires non plus seulement en fonction du danger perçu, mais également en fonction du signal qu'il souhaite donner. Nous composons ainsi des outils différents et adaptés, avec des effets positifs en matière de recherche d'efficience, mais aussi un impact inévitable sur la stabilité des régiments. Un régiment d'infanterie, un escadron de chasse n'est plus jamais engagé entièrement dans une opération. C'est un jeu de lego permanent qui fragilise la cohésion des armées et doit être compensé par une préparation humaine très spécifique, et induit une exigence forte sur la préparation opérationnelle, qui doit être normée.

Je veillerai à limiter nos engagements au strict nécessaire, mais la paix et la souveraineté de la France ont un coût. Nous comptons sur les parlementaires pour assurer une juste compensation de nos efforts.

Monsieur Paul, étant moi-même fils de marin, je suis particulièrement attentif à leur bien-être... Les possibilités d'un drone armé sont sans commune mesure avec celles d'un groupe aérien embarqué. Un porte-avions n'est pas un porte-aéronefs : il est équipé de catapultes pour faire décoller des chasseurs lourdement armés, avec un rayon d'action très long. Envoyer un groupe aéronaval au large d'un pays donné, c'est déployer l'équivalent d'une base aérienne complète. Le drone armé est pensé, quant à lui, comme une capacité de surveillance permanente d'une zone éventuellement assortie d'une capacité cinétique, mais à faible niveau. Ces deux instruments sont compatibles et nécessaires à l'équilibre de nos capacités militaires.

Plusieurs études sont prévues dans le cadre de la LPM afin de lever des inconnues. A titre d'exemple, nous étudierons le système de catapulte à retenir - à vapeur, comme aujourd'hui, ou électromagnétique.

Le renouvellement de la dissuasion nucléaire comprend le déploiement de la nouvelle génération de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins ; le financement des futurs missiles portant les charges nucléaires ; le renouvellement de la composante aérienne. Ce programme est financé dans le cadre de la LPM, ainsi que le renouvellement de la flotte d'avions ravitailleurs, nécessaire à notre armée de l'air et à la réalisation du contrat opérationnel des armées, mais aussi calibré par les exigences de la mise en oeuvre de la composante aérienne de la dissuasion nucléaire.

M. Christian Cambon, président. - La discussion de la LPM a duré une trentaine d'heures à l'Assemblée nationale, avec l'examen de 330 amendements en séance publique. Comme vous l'avez rappelé, la mission « Défense » a été exclue du champ d'application de l'article 17 de la loi de programmation des finances publiques, ce qui la prémunit contre la limitation des investissements de longue durée dans ce domaine, comme l'avait déjà noté le Sénat à l'automne.

Parmi les amendements adoptés avec le soutien de la ministre et du rapporteur figure le renforcement du contrôle parlementaire, notamment à travers un abaissement du seuil à partir duquel un projet d'équipement, d'armement ou d'infrastructures doit faire l'objet d'une transmission au Parlement pour contrôle.

Un amendement, dans nous avons parlé, adopté contre l'avis du Gouvernement et du rapporteur, accroît la durée du service des réservistes.

La possibilité pour les militaires de participer aux scrutins locaux a fait l'objet de larges débats très animés. Par un amendement de mon homologue Jean-Jacques Bridey, le nombre maximal d'habitants des communes où un militaire peut se faire élire conseiller municipal a été porté de 3 500 à 9 000. Les députés ont ainsi souhaité revaloriser le rôle des militaires en tant que citoyens à part entière. Quelle est votre appréciation sur ces différentes mesures ?

Général François Lecointre, chef d'état-major des armées.  - Les armées souhaitaient, comme le cabinet de la ministre, que le seuil financier déclenchant l'information du Parlement ne soit pas trop abaissé car cela aurait représenté une charge de travail considérable.

M. Christian Cambon, président. - Inversement, il est nécessaire que nous soyons informés au mieux pour contrôler la mise en oeuvre des promesses gouvernementales...

Général François Lecointre, chef d'état-major des armées.  - Je suis favorable à l'assouplissement des conditions de participation des militaires à la vie publique, dont ils restent trop absents. Ils ont une expertise à faire valoir, mais aussi une vision de la société de nature à inspirer nos concitoyens. C'est pourquoi il convient qu'ils fassent entendre leur voix, notamment à travers la participation à la vie élective. Nous savons qu'il est presque indispensable, pour être élu parlementaire, d'avoir une expérience politique. Ainsi, un officier ou sous-officier qui prend sa retraite n'a aucune chance de réussir son entrée dans la vie politique : il n'a pas noué les contacts nécessaires ni identifié ses électeurs. Il n'y a pas de parlementaires militaires.

M. François Patriat. - Le maire de Nuits-Saint-Georges est général.

Général François Lecointre, chef d'état-major des armées.  - Des officiers à la retraite ont en effet été élus maires de petites villes et, à la faveur du récent renouvellement législatif, des jeunes militaires ont pu être élus à l'Assemblée nationale. Mais je ne crois pas qu'un assouplissement des règles induise un risque de politisation de l'engagement militaire. Cela facilite, en revanche, un atterrissage en politique après la carrière militaire.

M. Christian Cambon, président. - La députée Laëtitia Saint-Paul par exemple est en effet militaire de carrière. Elle a activement participé aux débats sur la LPM.

Mon général, je vous remercie et tiens à vous faire part, à nouveau, de notre immense tristesse face aux événements qui ont fait l'objet de l'hommage rendu ce matin. En tant que chef des armées, vous êtes directement concerné. L'émotion était grande.

Général François Lecointre, chef d'état-major des armées.  - La mère du colonel Beltrame m'a dit tout à l'heure qu'il était mort en soldat. C'est tout à fait vrai. L'héroïsme ordinaire des soldats - un chef de corps de régiment a perdu deux de ses hommes et été très grièvement blessé au Mali récemment - doit être mieux reconnu. La mort du colonel Beltrame, sur le territoire national, met en lumière, pour tous nos concitoyens, la très grande spécificité de l'engagement militaire.

M. Christian Cambon, président. - Son épouse, à la caserne Tournon où nous l'avons rencontrée en allant nous recueillir avec le Président Larcher sur la dépouille du Colonel Beltrame, a fait preuve d'une grande dignité. Puisse ce sacrifice aider à la prise de conscience de l'engagement exemplaire de nos militaires !

Dialogue stratégique avec le Conseil de la Fédération de Russie - Communication

M. Christian Cambon, rapporteur. - Je vous présente maintenant la contribution de notre commission au rapport conjoint que nous avons engagé avec la commission homologue du Conseil de la Fédération de Russie. J'ai associé à ce travail Robert del Picchia et Gisèle Jourda, membres de la délégation conduite à Moscou l'année dernière par Jean-Pierre Raffarin, où avait germé l'idée de ce rapport conjoint.

Au cours des dernières heures, nos collègues du Conseil de la Fédération ont souhaité, à la lecture de notre partie du rapport qu'ils estimaient peut-être un peu dure, ajouter des paragraphes complémentaires à leur propre contribution que j'ai demandé à recevoir avant ce vendredi à midi. Il aurait été impensable de tenir notre réunion du 5 avril sans disposer des passages dûment stabilisés et avalisés. Grâce aux talents de négociateur de M. del Picchia, nous devrions recevoir rapidement ce complément. La réunion du 5 avril donnera sans doute lieu à des échanges assez vifs...

Je vous transmets également, avec cette communication, un mémorandum de l'ambassade de Russie concernant l'affaire de Salisbury. Des questions précises y sont posées sur les analyses effectuées par les Britanniques. Cette affaire crée une tension sans précédent : plus de cent diplomates russes ont été expulsés, dont soixante par les États-Unis et quatre par la France. Certains pays ne se sont pas joints au mouvement, comme la Belgique, le Luxembourg ou la Grèce.

Nous réaffirmons dans ce rapport, en pleine concertation avec M. le président du Sénat et notre diplomatie gouvernementale, notre volonté de maintenir le dialogue, ne serait-ce qu'en préparation de la visite du Président de la République en Russie. Cela n'empêche pas de dire nos vérités, et je vous invite à le faire auprès de nos amis russes, comme nous l'avons fait récemment devant l'ambassadeur turc. Notre discours converge avec celui du Président de la République : la Russie doit prendre tout son rôle de puissance, notamment dans le règlement des grands conflits, mais elle doit respecter davantage le droit international - je pense à l'annexion de la Crimée, au conflit en Ukraine, aux armes chimiques... Pour la première fois, en expulsant des diplomates, un très grand nombre de pays ont envoyé un message commun à la Russie.

J'étais ce week-end à Vilnius pour la réunion de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Les Lituaniens indiquent avoir subi 56 000 cyberattaques des Russes pour la seule année 2017. Ces derniers seraient allés jusqu'à intervenir directement dans le journal télévisé, supprimant une partie des propos du journaliste pour le remplacer par un extrait qu'ils avaient eux-mêmes produit. Ils arriveraient même à créer de toutes pièces des extraits vidéo mettant dans la bouche de dirigeants des propos qu'ils n'ont pas prononcés ! Nous nous sommes aussi rendus à la frontière biélorusse, où les soldats d'un côté et de l'autre sont dans un rapport de mille pour un...

M. Robert del Picchia. - Les relations politiques constituent le volet le plus difficile de nos relations et se focalisent sur deux crises majeures : l'Ukraine et la Syrie. Face à la déstabilisation russe en Ukraine et la violation de l'intégrité territoriale de ce pays souverain, la France a pris, avec les autres pays européens, des sanctions contre la Russie, car il n'y avait pas d'autres manières de réagir à cette agression.

La crise en Syrie a constitué à partir d'octobre 2015 un autre abcès de fixation de nos désaccords, alors même que l'objectif de lutte contre le terrorisme djihadiste paraissait devoir nous rapprocher : l'appui russe à une reconquête brutale du pays par le régime et l'attitude de blocage de la Russie aux Nations unies alimentent depuis deux ans nos dissensions. Sur ces deux dossiers, les progrès enregistrés sont maigres, pour ne pas dire inexistants. Aussi avançons-nous deux propositions.

Concernant l'Ukraine : explorons l'idée russe, qui aurait apparemment le soutien ukrainien, d'une opération onusienne de maintien de la paix dans le Donbass, pour tenter de sortir d'un face-à-face qui ne produit rien, et enclencher - enfin ! - la mise en oeuvre des accords de Minsk.

Concernant la Syrie : la priorité est, bien sûr, d'obtenir que cessent les bombardements et les atteintes inacceptables dont sont victimes les populations. Mais au-delà, il est nécessaire d'ouvrir la voie à un règlement politique du conflit. Nous proposons donc que le comité chargé d'élaborer une nouvelle Constitution pour la Syrie, qui est un des rares acquis du Congrès russe de Sotchi en février dernier, soit rapidement mis en place dans le cadre du processus de Genève et étroitement articulé avec la mise en oeuvre de la résolution 2254.

Les questions liées à la sécurité européenne constituent un autre chapitre important de notre rapport.

Depuis la crise ukrainienne, les tensions militaires se sont exacerbées dans la partie orientale de l'Europe, dans un contexte de militarisation accrue et d'affaiblissement des instruments de sécurité collective hérités de la fin de la guerre froide. Les rapports Russie-OTAN sont, bien sûr, au coeur de ces tensions, qui recèlent un important potentiel de déstabilisation et d'escalade. C'est pourquoi nous plaidons, comme déjà dans notre rapport de 2015, pour l'organisation, à moyen terme, avec la Russie d'un « sommet sur la sécurité européenne », dont le but serait de favoriser une compréhension commune des menaces et des tensions, de relancer les régimes européens de maîtrise des armements et de réaffirmer notre attachement aux principes fondamentaux de droit international énoncés, notamment, dans l'Acte final d'Helsinki.

S'agissant, enfin, de nos relations économiques avec la Russie, elles restent denses et variées, malgré le contexte politique et les sanctions. Il est intéressant de noter qu'aucune entreprise française n'a quitté ce marché, la France étant même devenue, depuis cette date, le premier investisseur étranger en flux. Les entreprises françaises constituent aussi le premier employeur étranger dans ce pays. Il existe cependant - nous le soulignons - des marges de progression, pour partie liées à la levée conditionnée des sanctions, mais pas seulement : la simplification des procédures et de la réglementation sur le marché, ainsi que le « climat des affaires » sont aussi des paramètres importants.

Mme Gisèle Jourda. - J'évoquerais, quant à moi, les processus d'intégration régionale, les relations culturelles et humaines et la coopération décentralisée, sur lesquelles il faut insister aussi, car cela constitue un aspect positif. Notre démarche mérite d'être approfondie quel que soit le contexte. Ne baissons pas la garde face à la difficulté !

En ce qui concerne les processus d'intégration régionale, le message sur lequel nous insistons fortement est qu'il faut éviter que s'instaure une concurrence entre l'Union européenne et l'Union eurasiatique qui s'est créée en janvier 2015 autour de la Russie. Les pays du « voisinage partagé » doivent être libres de rejoindre les espaces régionaux qu'ils souhaitent et ne devraient pas se voir imposer des choix binaires et exclusifs, comme ce fut le cas pour l'Ukraine. Voilà deux ans, nous avions plaidé auprès de la Commission pour que les pays ayant signé des partenariats avec l'Union eurasiatique puissent aussi signer des partenariats avec l'Union européenne, et nous avons été entendus.

Il faut faire en sorte que les accords qui leur sont proposés n'empêchent pas une appartenance simultanée à des accords différents, ces pays ayant vocation à être des passerelles.

S'agissant des liens culturels et humains entre nos deux pays, ils sont, depuis longtemps, particulièrement riches et n'ont pas été affectés récemment. C'est un fait, il existe entre nos deux peuples, des affinités culturelles et un attachement réciproque, résultant notamment d'une longue histoire commune.

Dans le rapport, nous souhaitons que nos deux pays s'épaulent mutuellement pour favoriser l'apprentissage du russe et du français, et nous rappelons la nécessité de promouvoir les échanges à tous les niveaux, y compris, le moment venu, et sous réserve de réciprocité, par un régime d'exemptions de visas de court séjour.

Enfin, nous encourageons bien sûr la montée en puissance du « dialogue de Trianon » entre les sociétés civiles, lancé à la suite de la rencontre de nos deux présidents à Versailles en mai 2017. Comme vous le savez, ce dialogue vise à susciter, au moyen de plateformes numériques, des échanges directs entre les citoyens russes et français et à faire émerger de cette manière des projets venant d'en bas sur des thèmes non politiques comme le premier qui a été choisi, la « ville du futur ».

Un mot, pour finir, de la coopération décentralisée, un champ de notre relation qui mérite d'être développé.

En effet, les coopérations en place sont encore peu nombreuses et insuffisamment dynamiques, sans doute en raison des approches assez différentes qu'en ont nos deux pays. Nous souhaitons notamment sensibiliser nos homologues à l'intérêt d'échanges entre collectivités qui ne seraient pas uniquement à visée économique, mais également tournés vers la jeunesse, l'environnement, l'éducation et d'autres sujets encore...

M. Christian Cambon, rapporteur. - Vous le voyez, notre démarche est équilibrée. Nous constatons les éléments positifs et nous n'occultons aucune des difficultés : ingérence dans les processus électoraux, cyberattaque, Crimée, Donbass, Syrie ; ces sujets sont posés. Mais nous voulons les dépasser par le dialogue, car la Russie sera incontournable pour le règlement des conflits.

J'espère que nos homologues vont nous remettre leurs compléments rapidement et que nous ne devrons pas reporter sine die la publication de ce rapport, qui constitue une première. Je le répète, j'ai été très attentif au respect de la méthodologie permettant à chacun de s'exprimer tout à tour sur chaque sujet.

La commission donne acte de sa communication à M. Christian Cambon et en autorise la publication sous la forme d'un rapport conjoint avec la commission homologue du Conseil de la Fédération de Russie.

M. Christian Cambon, rapporteur. - J'ai souhaité qu'un représentant de chaque groupe politique puisse participer jeudi prochain à notre réunion conjointe au Sénat avec la délégation du Conseil de la Fédération.

Questions diverses

M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, la Conférence des Présidents du 4 avril prochain va fixer le calendrier d'examen de la loi de programmation militaire.

Le Sénat devrait l'examiner en séance publique le mardi 22 mai à compter de 14h30. En conséquence, notre commission se réunira pour l'examen du rapport et l'établissement du texte de la commission le 16 mai ; et pour l'examen des amendements de séance, nous aurons la joie de nous retrouver le mardi de pentecôte 22 mai au petit matin, afin d'être en mesure de donner nos avis sur les amendements avant le début de la séance publique.

L'examen du texte devrait débuter en séance le mardi 22 mai à 14h30, avec suite le soir, puis continuer le mercredi 23 mai à 16h30 et le soir, avec une suite éventuelle le jeudi 24 mai à 10h30 et 16h15. Il y aurait un scrutin solennel le mardi 29 mai en début d'après-midi.

Enfin, je vous informe que les prochaines Universités d'été de la défense auront lieu les 10 et 11 septembre à Satory, près de Versailles, et à l'école militaire, à Paris, sur le thème : « Réussir la LPM : innover, s'engager, coopérer ». Ce thème et ce lieu, choisis par la ministre des armées, doivent permettre de mettre en valeur les thématiques de l'Europe, de la jeunesse, et de l'innovation. Je demanderai naturellement à l'organisateur, CEIS, de mettre nos rapports d'information à l'honneur lors des traditionnels ateliers de travail. Je vous engage à y participer nombreux.

La réunion est close à 18 h 20.