COMMISSION MIXTE PARITAIRE

Jeudi 24 mai 2018

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 17 h 05.

Commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la protection du secret des affaires

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la protection du secret des affaires s'est réunie au Sénat le jeudi 24 mai 2018.

Elle a tout d'abord procédé à la désignation de son bureau, constitué de M. Philippe Bas, sénateur, président, Mme Yaël Braun-Pivet, députée, vice-présidente, de M. Christophe-André Frassa, sénateur, rapporteur pour le Sénat et de M. Raphaël Gauvain, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.

La commission mixte paritaire a ensuite procédé à l'examen des dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la protection du secret des affaires.

M. Philippe Bas, président. - Nous accueillons avec plaisir nos collègues de l'Assemblée nationale.

M. Raphaël Gauvain, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - M. Frassa et moi-même sommes parvenus à un accord, et je l'en remercie. Le secret des affaires est dans le débat public depuis longtemps mais les tentatives, depuis 2010, pour légiférer sur ce sujet ont échoué, quelle que soit la majorité en place. Cette fois est la bonne ! La majorité au Sénat comme le groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale ont voté le texte en première lecture. Celui-ci opère la transposition d'une directive européenne présentée à l'initiative de la France sous la présidence de M. Hollande, M. Cazeneuve étant ministre délégué aux affaires européennes. Nous sommes tous attachés à la continuité de l'État et au respect des engagements européens. Je rappelle que cette directive a été adoptée par le Parlement européen à 80 % des votants. La transposition est fidèle, a jugé le Conseil d'État. L'accord en commission mixte paritaire est probable : nous avons fait du bon travail !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie, sénatrice. - Les conclusions ne sont pas encore votées...

M. Philippe Bas, président. - Les rapporteurs, pour ce qui les concerne, ont en tout cas trouvé un accord.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur pour le Sénat. - Dans nos échanges pour préparer la commission mixte paritaire, malgré des divergences, nous avons eu tous deux le souci d'aboutir, pour inscrire enfin dans la loi ce qui était une réalité non écrite, pour protéger nos entreprises dans la guerre économique qui fait rage, pour leur donner la capacité de riposter, mais également pour protéger le travail des journalistes et des syndicats ainsi que l'action des lanceurs d'alerte. La France, avec la loi « Sapin 2 », avait déjà pris des mesures de protection au bénéfice de ces derniers. Il n'a pas été facile d'articuler les deux dispositifs, la démarche n'a pas toujours été comprise. Nous sommes parvenus, je crois, à rendre la loi utilisable par les praticiens. À l'issue de notre travail, j'ose penser qu'elle sera intelligible.

M. Jean-Yves Leconte, sénateur. - Elle ne répondra pas à nos inquiétudes sur un certain nombre de questions. Nous sommes tous attachés au secret des affaires...

M. Philippe Bas, président. - C'est un plaisir de vous l'entendre dire.

M. Jean-Yves Leconte, sénateur. - ...mais ce n'est pas un hasard si la directive a nécessité de longues négociations. Le secret des affaires n'est pas facile à définir, il n'est pas toujours exclusif, et finalement la transposition est un peu plus large que les termes du texte européen.

Une autre rédaction aurait mieux répondu à certaines inquiétudes, notamment sur les abus d'usage du secret des affaires. La liberté de la presse est un principe inscrit dans notre droit depuis la loi de 1881. Or le risque, avec ces nouvelles dispositions, est que les journalistes soient désormais davantage soumis au code de commerce qu'auparavant. Le texte à cet égard ne répond pas aux inquiétudes. Nous aurions préféré une rédaction susceptible d'éviter les « procédures bâillons » conduites par des entreprises puissantes contre les organes de presse qui s'expriment à leur sujet. Nous aurions voulu aussi protéger et favoriser la recherche.

Il est dommage que nos propositions n'aient pas été retenues. L'optimisation fiscale a été maintenue dans le champ des savoir-faire protégés. Or, si elle n'est pas de la fraude, elle ne mérite tout de même pas d'être protégée, car elle va à l'encontre de l'intérêt général.

M. Philippe Bas, président. - Elle ne mérite pas d'être protégée : est-ce à dire qu'elle devrait plutôt être diffusée ?

M. Jean-Yves Leconte, sénateur. - Elle devrait ne pas être protégée !

Article 1er

M. Philippe Bas, président. - Nous prenons l'article 1er dans la rédaction du Sénat, avec quelques modifications rédactionnelles qui tiennent pour l'essentiel au débat sur la nature des informations protégées. Celles-ci ont-elles une valeur économique ou commerciale ? Le rapporteur du Sénat a accepté, par esprit de compromis, de revenir à la valeur commerciale de préférence à la valeur économique. Toutefois, l'anglais « trade » dont est issue la notion englobe les deux, il faut donc interpréter la valeur commerciale comme incluant la dimension économique.

M. Raphaël Gauvain, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Cela dépendra aussi de l'appréciation du juge.

M. Philippe Bas, président. - Le rapporteur de l'Assemblée nationale nous présente en outre une proposition de rédaction n° 1.

M. Raphaël Gauvain, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Elle vise à rétablir l'amende civile votée par les députés afin de lutter contre les « procédures bâillons ».

L'amende pour procédure abusive qui existe aujourd'hui a déjà été portée à 10 000 euros, contre 3 000 auparavant, mais elle est très rarement prononcée par le juge. Elle est ici considérablement majorée, passant à 60 000 euros ou 20 % du montant des dommages et intérêts réclamés. Dans 95 % des procédures dilatoires ou abusives, le montant des dommages et intérêts demandé est très élevé : 50 millions d'euros récemment, par un groupe qui a attaqué un journaliste en justice. Le même plaignant s'exposerait demain à 10 millions d'euros d'amende en cas de procédure dilatoire ou abusive.

La disposition a été introduite à l'Assemblée nationale par un amendement voté à l'unanimité des groupes, en commission comme en séance publique. Je remercie le rapporteur du Sénat d'avoir accepté son rétablissement dans le texte.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur pour le Sénat. - J'ai dit à mes collègues, en commission comme en séance, ce que je pense de l'amende civile. Je l'avais également indiqué lors des débats sur la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre. Je ne crois pas à la pertinence de l'amende civile en cette matière, quel qu'en soit le montant.

Le risque d'inconstitutionnalité, en outre, me semble avéré. Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs censuré comme disproportionné un dispositif comparable dans la loi sur le devoir de vigilance. Je m'abstiendrai donc.

M. Jérôme Durain, sénateur. - Mon groupe soutient la proposition, utile et pertinente, du rapporteur de l'Assemblée nationale.

M. Raphaël Gauvain, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La décision du Conseil constitutionnel portait sur des dispositions d'une nature très différente.

M. Philippe Bas, président. - Le rapporteur pour le Sénat espère que le Conseil constitutionnel sera saisi et mettra fin aux errements que la commission mixte paritaire s'apprête à suivre...

M. Raphaël Gauvain, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Je précise que l'alinéa 75, c'est-à-dire le deuxième alinéa du texte proposé pour l'article L. 153-1 du code de commerce, donnera lieu à un amendement conjoint des deux rapporteurs au texte de la commission mixte paritaire, à propos de l'exploitation des preuves par le juge, dans le cas où une pièce versée serait susceptible de mettre en jeu le secret des affaires. La rédaction est encore à affiner.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur pour le Sénat. - Il faut effectivement approfondir la question du respect du contradictoire dans la procédure conduite pour déterminer si une pièce peut bénéficier ou non de la protection du secret des affaires.

Je ne peux m'empêcher de faire remarquer qu'avec une vraie navette et une deuxième lecture, nous aurions pu mener ce travail sans attendre la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire. La chancellerie nous a saisis aujourd'hui même !

M. Philippe Bas, président. - Le Gouvernement ne présentera-t-il pas un amendement ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur pour le Sénat. - Les deux rapporteurs s'en chargeront.

M. Philippe Bas, président. - L'accord du Gouvernement sera requis.

M. Raphaël Gauvain, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Nous travaillerons avec lui.

La proposition de rédaction n° 1 est adoptée.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 1er ter

L'article 1er ter est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 1er quater (supprimé)

M. Raphaël Gauvain, rapporteur pour l'Assemblée nationale. -La proposition de rédaction n° 2 tend à supprimer l'article 1er quater. Faut-il ou non créer une infraction spécifique concernant la violation du secret des affaires ? C'est l'une des principales divergences entre nos deux assemblées. L'Assemblée nationale a considéré que cela n'était pas nécessaire, le droit commun - vol, abus de confiance... - suffisant au procureur pour engager des poursuites. Là encore, nous avons peut-être manqué de temps. Nous pourrons dans l'avenir réfléchir ensemble à l'opportunité de créer une infraction spécifique. Celle qui est ici proposée ne me semble pas opportune.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur pour le Sénat. - Nous voulions pour notre part que le message soit clair : nous sommes dans une guerre économique, un volet civil ne suffit pas, il faut un volet pénal.

Nous avons défini une infraction spécifique pour l'atteinte au secret des affaires et l'espionnage économique. Faute de temps, nous n'avons pu procéder à toutes les consultations que nous aurions souhaité mener. Nous avons inscrit dans le texte une amende de 375 000 euros, bien supérieure à celle prévue pour vol. C'est qu'il faut placer la barre haut !

Mais le rapporteur de l'Assemblée nationale et moi-même sommes convenus de poursuivre plutôt ces travaux dans le cadre d'une mission plus large, visant à mieux armer nos entreprises dans cette guerre.

Logiquement, je m'abstiendrai.

M. Philippe Bas, président. - Je suis sensible à la courtoisie du rapporteur de l'Assemblée nationale qui reconnaît, dans l'exposé des motifs de la proposition de rédaction n° 2, la pertinence de la question posée par le Sénat. Mme la présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale accepterait-elle de nous apporter ici la garantie qu'il ne s'agit pas seulement de courtoisie... et que le travail évoqué sera réellement effectué ? Les services de renseignement signalent une aggravation de cette guerre économique. Un réarmement juridique de la France s'impose, contre le pillage des données !

Mme Yaël Braun-Pivet, vice-présidente. - C'est avec plaisir que je vous assure de l'entière coopération de nos deux chambres. Si le rapporteur de l'Assemblée nationale s'engage à travailler avec vous, il tiendra parole.

La proposition de rédaction n° 2 est adoptée.

L'article 1er quater est supprimé.

Article 3

L'article 3 est adopté dans la rédaction du Sénat, sous réserve de modifications rédactionnelles.

Article 4

L'article 4 est adopté dans la rédaction du Sénat, sous réserve d'une coordination.

La commission mixte paritaire adopte, ainsi rédigées, l'ensemble des dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la protection du secret des affaires.

La réunion est close à 17 h 35.