Mercredi 4 juillet 2018

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

La réunion est ouverte à 10 heures.

Audition de M. Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations

M. Hervé Maurey, président. - Nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd'hui, car la Caisse des dépôts et consignations est un acteur majeur de l'aménagement du territoire. C'est la première fois que nous vous rencontrons depuis votre nomination à sa tête par le Président de la République en décembre dernier, pour prendre la succession de Pierre-René Lemas, atteint par la limite d'âge. Vous avez un parcours original puisque après avoir commencé votre carrière dans les cabinets ministériels, vous avez poursuivi une carrière brillante dans des secteurs de la banque et de l'assurance.

Il n'a pas été simple d'obtenir votre présence devant nous, mais nous y tenions. En effet, votre audition intervient à un moment important : la Caisse des dépôts vient de lancer la Banque des territoires, et vous nous direz ce qu'elle peut apporter de nouveau aux collectivités territoriales, et la manière dont elle s'articulera avec le Commissariat général à l'égalité des territoires et la future Agence nationale de cohésion des territoires. Le projet de loi « Pacte », que nous allons bientôt examiner suscite des inquiétudes quant à la gouvernance de la Caisse des dépôts, qui a une tradition d'indépendance depuis sa création en 1816, et une relation toute particulière avec le Parlement. La lettre de cadrage qui vous a été envoyée par le ministre de l'économie lors de votre nomination, fait sans précédent, a suscité une certaine émotion.

Vous avez récemment déclaré que vous souhaitiez que votre institution fasse « mieux et plus » ; je vous invite à nous expliquer comment.

Enfin quelle est votre vision du rôle de la Caisse des dépôts en matière d'aménagement du territoire ? Quelles sont vos priorités pour le numérique, l'accès aux services publics et la transition écologique ?

M. Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. - Nos missions recoupent largement celles du Sénat, qui est la chambre des collectivités territoriales, ainsi que le programme de travail de votre commission, qu'il s'agisse d'aménagement du territoire, de couverture numérique, de développement durable ou de mobilités. Nous partageons l'objectif de contribuer à l'égalité des territoires, afin qu'aucun d'entre eux ne soit oublié.

Depuis six mois, je me suis rendu sur le terrain auprès des élus de toutes les régions métropolitaines à l'exception, pour le moment, de la Corse. Cela explique au demeurant mes difficultés d'agenda : je n'ai bien sûr aucune réticence à vous rencontrer, d'autant que la Caisse des dépôts est placée sous la protection spéciale du Parlement. J'ai pu me rendre compte de l'énergie qui émane de nos territoires et de l'innovation dont ils font preuve, mais aussi du besoin d'expertise au service du développement territorial.

L'histoire de la Caisse a partie liée avec les grandes évolutions qu'a connues le pays ; et l'urgence, à notre époque, est de lutter contre les fractures territoriales. J'ai donc souhaité créer la Banque des territoires.

Notre institution peut parfois être perçue comme manquant de transparence ; c'est pourquoi je l'ai réorganisée autour de cinq métiers, pour plus de lisibilité. D'abord le financement des entreprises est confié à Bpifrance, filiale à 50 % de la Caisse des dépôts et de l'État. Le deuxième métier est celui d'investisseur institutionnel à travers la gestion des actifs. Les deux bilans de la Caisse des dépôts - celui des fonds d'épargne, délégué par l'État, et le bilan propre de la section générale - dégagent 150 milliards d'euros de liquidités investis dans les marchés financiers, principalement pour le financement des entreprises françaises, en capital ou en dette, et de l'État. Ils sont source de revenus pour la Caisse des dépôts.

Le troisième métier, moins connu, est celui de gestionnaire de régimes de retraite et d'acteur de la formation professionnelle. Nous gérons les retraites d'un cinquième des Français, notamment à travers l'Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques (Ircantec) et la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Notre implication dans la formation professionnelle s'est renforcée depuis quelques années et, comme vous le savez, le Gouvernement a choisi, dans le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, de confier à notre institution la gestion du nouveau compte personnel de formation (CPF).

Le quatrième métier est le suivi de nos grandes participations et de nos filiales, dont la Caisse des dépôts Habitat, ex-SNI, Transdev, Egis, la Compagnie des Alpes, la Compagnie nationale du Rhône ou CNP Assurances.

Enfin, le dernier métier, qui nous intéresse aujourd'hui, est le soutien au développement territorial. Nous avons décidé de le réorganiser à travers la création de la Banque des territoires lancée le 30 mai dernier en présence de certains d'entre vous. Des réunions de lancement se poursuivent dans les territoires - à Lyon, ou à Besançon hier.

La Banque des territoires a vocation à fédérer l'expertise au service des projets des territoires et du logement social. Nous voulons porter nos engagements jusqu'à 20 milliards d'euros par an dont 18 milliards sous forme de financements, un milliard - bientôt deux - en capital pour accompagner les territoires, notamment grâce aux financements de sociétés d'économie mixte. Nous nous appuierons pour cela sur notre réseau territorial de 35 implantations dont le poids sera renforcé, avec davantage d'autonomie et de pouvoir d'engagement.

Le projet de la Banque des territoires est de faire plus, mieux et plus simple. D'abord avec une plateforme digitale unique présentant l'ensemble de l'offre à tous nos clients, où toutes les opérations sont automatisées - c'est notamment le cas de 95 % des opérations de financement du logement social ; ensuite avec un référent unique pour nos interlocuteurs du territoire, susceptible d'apporter une réponse en moins de cinq jours, au moins sur le délai et les modalités de traitement ; et enfin grâce à une déconcentration sur les territoires.

En matière de gouvernance, nous sommes autonomes mais au service des politiques publiques. Dans les prochaines semaines, nous allons réfléchir à l'articulation avec la future ANCT, avec son préfigurateur, Serge Morvan, et les préfets de région. L'autonomie n'exclut pas la coopération. Nous travaillons étroitement avec l'État dans toutes nos actions.

Il nous est parfois reprocher de ne financer que les projets importants. Or 68 % de nos prêts ont été contractés à l'échelon communal, dont 60 % par des communes de moins de 3 000 habitants. L'effet de levier est considérable, car la Caisse des dépôts rassure les investisseurs : un euro investi en capital amène 7 euros de capital privé.

Quelques illustrations concrètes : dans les Hauts-de-Seine, nous avons initié la SEMOP de Châtenay-Malabry, qui aménagera 2 000 logements et 45 000 mètres carrés de bureaux ; à Trélazé, la Caisse des dépôts a investi trois millions d'euros dans une résidence de services innovante à mi-chemin entre le domicile et l'EHPAD ; dans le Bassin minier, nous sommes impliqués, à travers Maisons et Cités, dans la rénovation de 20 000 logements en dix ans ; enfin, à Nantes, nous avons financé des opérations de rénovation dans le quartier de la Création, mais aussi dans le quartier difficile de Malakoff.

À l'heure de l'examen du projet de loi ELAN, nous allons muscler nos interventions pour soutenir le logement social, et notamment la rénovation thermique, qui bénéficie à la fois au locataire et à la planète, et la construction. J'ai présenté en avril dernier un plan de 10 milliards d'euros, dont 9 milliards de financements et 1 milliard de capital au bénéfice des bailleurs sociaux.

La Banque des territoires vise à mieux articuler nos offres. Le programme Coeur de ville, dont bénéficieront 222 communes, choisies par la Caisse des dépôts et le Gouvernement, rompt avec la méthode traditionnelle d'action verticale pour se mettre à l'écoute des territoires et des projets des élus. Nous mettrons à leur service nos outils et ceux d'Action logement et de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH). La première convention dans ce cadre a été signée à Lunéville en juin ; à Châtellerault et à Libourne ont été lancés les premiers démonstrateurs de l'opération « Centres-villes de demain ».

La revitalisation est donc à l'oeuvre, renforcée par la proposition de loi de Martial Bourquin et Rémy Pointereau que votre assemblée a récemment votée. La Caisse des dépôts va investir un milliard d'euros de fonds propres et 700 millions sur fonds d'épargne pour financer l'ingénierie dont nos villes ont grand besoin. La Caisse des dépôts s'est ainsi impliquée à Vierzon, où une licorne - une entreprise récente déjà fortement valorisée en bourse - est implantée.

Au titre de « Coeur de ville », nous avons à ce jour conclu neuf conventions cadres, et 37 sont en cours de préparation. À Fécamp notamment, nous accompagnons le projet urbain de la commune et de l'EPCI Fécamp Caux Littoral.

Autre sujet d'importance, la fracture numérique et les zones blanches : comment des jeunes qui n'ont pas accès au numérique peuvent-ils s'insérer dans les formations modernes ? Depuis 2005, nous sommes entrés dans l'actionnariat de 50 réseaux d'initiative publique, et 450 millions d'euros de prêts ont été alloués. Un exemple : le syndicat THD 59-62, l'un des plus ambitieux de France, qui prévoit 680 000 prises.

Nous souhaitons aussi mobiliser les fonds européens. Je me suis rendu à Bruxelles pour évoquer le troisième volet du plan Juncker, qui donnera un accès direct à la Caisse des dépôts et à ses homologues aux fonds européens affectés aux réseaux et à la lutte contre les zones blanches.

Le développement durable est un sujet transversal. La Caisse des dépôts veut créer de la valeur à long terme, financière mais aussi et surtout sociétale et environnementale. Notre feuille de route « 2 degrés » lancée en 2016 relève de cet objectif. Ainsi, nous avons réduit l'empreinte carbone de nos 150 milliards d'euros d'actifs de 30 % depuis 2014, dépassant l'objectif de 20 % sur la période 2014-2020.

La Caisse des dépôts est engagée au total dans 95 projets locaux de la transition énergétique et écologique, pour 367 millions d'euros de valeur brute l'an dernier et 154 millions pour le premier semestre. Citons notamment l'éolien off-shore à Saint-Brieuc avec Iberdrola, ou le projet Engie/EDPR à Noirmoutier. À travers notre participation dans la Compagnie nationale du Rhône, nous soutenons la production d'hydro-électricité. À Villers-sous-Montrond, dans le Doubs, nous finançons également un projet innovant de valorisation de la biomasse. Nous avons aussi la possibilité d'aider d'autres opérations en matière d'efficacité énergétique à travers le grand plan d'investissement dont nous assurons le secrétariat.

La Caisse des dépôts est une institution précieuse dans la France d'aujourd'hui. Elle ne gère que de l'argent privé, principalement issu du Livret A et des placements des notaires, au service de missions d'intérêt général parmi figure la lutte contre les inégalités. Elle ne coûte par conséquent rien à l'État, au contraire même puisque l'an dernier, nous avons versé 1,9 milliard d'euros au budget national.

M. Gérard Cornu. - Je ne doute pas de l'importance de la Caisse des dépôts pour les territoires. Vous tordez le cou à la réputation qu'a votre institution de ne financer que les projets importants en vous disant prêt à soutenir des initiatives plus locales. Cependant, la proximité vous fait défaut, ce que les banques ne se privent pas de souligner. C'est pourquoi il serait souhaitable que les gestionnaires locaux, à commencer par les maires, acquièrent le réflexe de s'adresser à vous.

Le départementalisme bien connu du Sénat m'incite à vous demander si vous comptez, à terme, avoir un correspondant par département.

M. Joël Bigot. - Vous avez présenté la Caisse des dépôts comme une vénérable institution vieille de deux siècles, dont la vocation est de financer des projets à long terme et d'intérêt général. Or le projet de loi Pacte prévoit une réforme de la composition de la commission de surveillance qui la supervise, jusqu'ici présidée par des représentants de l'Assemblée nationale ou du Sénat. Marc Goua a ainsi succédé à Henri Emmanuelli. Désormais, la commission de surveillance compterait, à la place des représentants des corps de contrôle de l'État, des personnalités désignées par l'État, ce qui pose la question de l'indépendance de l'institution. Quelle plus-value peut-on attendre de cette recentralisation ? Quelles seront les complémentarités entre la Banque des territoires, l'ANCT dont nous attendons toujours la création, et la Caisse des dépôts ?

M. Rémy Pointereau. - Les ressources de la Caisse des dépôts, notamment les dépôts des notaires, sont-elles rémunérées ?

222 villes ont été retenues pour bénéficier de l'opération « Coeur de ville », mais le nombre de villes en grande difficulté est estimé à 700. Des fonds seront-ils attribués aux opérations de revitalisation des territoires des villes ne figurant pas dans le dispositif ?

Quels types de projets doivent présenter les communes, particulièrement celles de moins de 3 000 habitants, pour espérer être financées par la Caisse des dépôts ? Quelle plus-value, en matière de taux et de durée d'emprunt, la Banque des territoires apporte-t-elle par rapport à une banque classique ? Comme l'a dit mon collègue, la Caisse des dépôts est assez loin des territoires.

M. Hervé Maurey, président. - Ces interventions vous montrent que des efforts restent à faire en matière de proximité, surtout pour les territoires les plus modestes.

M. Éric Gold. - Plus d'un millier de distributeurs automatiques de billets ont été supprimés l'an dernier. L'argument de la tendance, réelle, à la diminution des retraits d'espèces ne suffit pas à le justifier, d'autant que les zones en difficulté, où le réseau n'est pas performant et le paiement en carte bleue moins disponible, sont les plus touchées. Les maires ruraux ont financé pour moitié, il y a quelques années, l'installation ou le maintien de ces distributeurs. La Caisse des dépôts, via la Banque des territoires, pourrait-elle s'engager sur ce terrain ?

Mme Michèle Vullien. - N'y voyez pas malice, mais quelle garantie les collectivités auront-elles à l'égard de la Banque des territoires ? Sénatrice du Rhône, j'ai assisté au scandale Dexia : le conseil général avait contracté 400 millions d'euros d'emprunts toxiques auprès de la banque, qui, elle aussi, avait pignon sur rue...

Mme Angèle Préville. - Quelle image vous faites-vous de la France ? Quelles fractures avez-vous décelées et quelles marges de manoeuvre avez-vous identifiées pour un meilleur équilibre des territoires ? Avez-vous des contacts avec les départements, les régions ? Comment incitez-vous les territoires à s'engager ?

M. Guillaume Chevrollier. - La création de la Banque des territoires doit rassembler l'expertise au service des territoires ; mais la Banque postale, dont la Caisse des dépôts est actionnaire, assume une mission analogue auprès des collectivités. Comment s'articuleront les activités des deux établissements ? Enfin, pouvez-vous nous en dire plus sur la gestion du CPF ?

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - L'ANCT, annoncée le 17 juillet 2017, devait être présentée le 15 juin 2018 ; un mois après, toujours pas de nouvelles... Je crois savoir que la Caisse des dépôts ne sera pas impliquée financièrement dans cette agence. Quels seront les termes du partenariat ? La Caisse des dépôts laissera-t-elle à l'ANCT l'ingénierie de certains projets où elle s'engagera ?

Les communes de moins de 3 000 habitants ont besoin d'une clarification sur les possibilités de financement de long terme. On interdit aux communes de trop s'endetter, mais il leur est vital d'investir pour poursuivre leur restructuration.

Enfin, la formation professionnelle, vitale pour les territoires, est trop concentrée dans les grandes villes. Il faudrait une décentralisation des organismes de formation.

M. Jean-Marc Boyer. - Les communes de moins de 3 000 habitants ont des difficultés importantes : baisse des dotations de fonctionnement, diminution des marges d'autofinancement, augmentation de l'endettement, dégradation des capacités d'investissement... Tout cela limite les capacités d'emprunt. J'inverserai donc la question de Mme Vullien : avez-vous toujours confiance dans la capacité des collectivités territoriales à rembourser leurs prêts à dix, quinze, vingt ou trente ans ?

M. Alain Fouché. - En Poitou-Charentes, nous avons créé le Futuroscope qui a attiré jusqu'à 3,2 millions de visiteurs par an ; il a ensuite été vendu au groupe Amaury dont la gestion a fait baisser la fréquentation jusqu'à 1,2 million. Le département l'a donc repris en partenariat avec la Caisse des dépôts, et les résultats sont excellents. Cela illustre le rôle positif que peut jouer votre institution dans les initiatives locales. Vous avez une forte présente dans les activités touristiques et de loisir, comme le parc Astérix que vous gérez. Sur combien de sites êtes-vous engagés et allez-vous poursuivre votre activité dans ce secteur ?

Mme Marta de Cidrac. - De quelle latitude disposez-vous pour refuser ou accepter un projet ? Quels seront, demain, les critères et les exigences vis-à-vis des communes, qui sont de plus en plus fragiles ?

Mme Martine Filleul. - La loi ELAN aura d'importantes répercussions sur les logements sociaux. De nombreux acteurs de la construction nous indiquent que leur carnet de commandes diminue. Les 10 milliards d'euros d'aide aux bailleurs sociaux que vous évoquez iront-ils à la construction ou à la réhabilitation, comme vous le faites dans en Nord-Pas-de-Calais-Picardie avec Maisons et Cités ? Les besoins de logements sociaux sont très importants dans cette région. Allez-vous cibler votre action sur les secteurs en grande difficulté ?

M. Didier Mandelli. - Avez-vous l'intention d'apporter votre expertise en stratégie financière aux collectivités ? En termes d'image, on ne peut que se féliciter que SNI soit devenu CDC Habitat. Allez-vous compenser les choix et les carences de certains bailleurs ? L'un d'entre eux nous a ainsi annoncé que sur les 15 communes d'une de nos communautés de communes de Vendée, il ne s'engagerait que dans les quatre plus importantes, alors même que les autres voient augmenter leur population et leurs besoins.

M. Ronan Dantec. - La décarbonation du portefeuille que vous annoncez ira-t-elle jusqu'à la neutralité carbone complète ?

La Caisse des dépôts est un opérateur financier majeur dans le domaine de la transition énergétique, à travers ses interventions sur l'emissions trading system, les obligations vertes, les fonds d'investissement comme celui de la Ville de Paris. Allez-vous créer de nouveaux outils de finance climat, en lien avec l'initiative Finance for tomorrow qui a pour ambition de faire de Paris la première place financière pour le climat ?

M. Jean-Michel Houllegatte. - Les villes moyennes et territoires ruraux ont aussi des atouts. Ils investissent beaucoup dans les infrastructures - zones d'activité, sites touristiques, implantations industrielles - mais ont des difficultés, dans un second temps, à trouver des partenaires privés pour l'exploitation. Comment faire venir les gros investisseurs, qui se concentrent sur les grandes agglomérations ?

M. Benoît Huré. - En matière d'endettement, il faut tenir compte de la durée des investissements dans la fixation de la date d'extinction de la dette. De plus, les collectivités n'empruntant que pour investir, le poids de l'endettement n'est pas le même que pour l'État, d'autant que ces investissements font l'objet de dotations aux amortissements. Enfin, prenez-vous en compte le poids du reste à rembourser au regard de l'investissement réalisé ?

Pour ma part je n'ai pas d'inquiétude quant à votre substitution à Dexia. Votre expertise est de nature à rassurer les collectivités. Concernant l'accompagnement dans la définition d'une stratégie financière, quelle est la différence entre vos diagnostics et ceux de la Banque de France ?

M. Éric Lombard. - Monsieur Cornu, nous avons plus de trente implantations, à partir desquelles nos délégués régionaux sont en contact avec les élus. Même s'ils utilisent beaucoup leur voiture, ce dispositif, en première analyse, nous semble adapté. Il donne à nos bureaux la masse critique d'expertise nécessaire pour traiter les dossiers. Nous ne souhaitons donc pas renforcer le maillage territorial, mais renforcer les délégations régionales qui prendront, dorénavant, la moitié des décisions d'investissement en fonds propres. Je donnerai un double objectif aux responsables, en montant mais aussi en nombre d'investissements, pour que les projets plus modestes ne soient pas oubliés. Cela fait partie de notre mandat.

La commission de surveillance de la Caisse des dépôts et moi-même avons été associés à la préparation du projet de loi Pacte. La majorité de représentants du Parlement - trois députés, deux sénateurs et trois personnalités nommées par les présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale - est maintenue. Il y aura également deux représentants des collaborateurs de la Caisse des dépôts. Dans la composition actuelle, les personnalités qualifiées comptent deux représentants de la Cour des comptes et un de la Banque de France. Puisque la Cour des comptes contrôle la Caisse des dépôts et que la Banque de France, via l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) la supervise, l'État a considéré qu'il y avait conflit d'intérêts. Le représentant du Conseil d'État sera remplacé par une personnalité qualifiée. Il y aurait donc désormais cinq personnalités qualifiées : le directeur ou la directrice générale du Trésor ou son représentant et quatre personnalités désignées par l'État ; mais l'article L518-2 du code monétaire et financier n'est pas modifié : la Caisse des dépôts reste une institution sui generis placée sous la protection très spéciale du Parlement. En tant que directeur général, je suis indépendant aujourd'hui et le resterai demain.

Madame de Cidrac, nous pouvons refuser tout projet qui nous semble mettre en risque les fonds qui nous sont confiés. Néanmoins je recommande à mes équipes de préférer au « non » le « oui, si ». Il est rare que les projets proposés par les élus soient mauvais... Cependant, il arrive qu'ils présentent des risques financiers que l'on peut corriger.

La création de l'ANCT n'est pas mise en doute. Dans son rôle de soutien des politiques publiques, la Caisse des dépôts travaille en bonne entente avec l'État et ses représentants, en particulier les préfets. Je privilégie le dialogue dans le respect de l'autonomie, et c'est ce que j'ai proposé au préfigurateur de l'ANCT, Serge Morvan. Quel que soit le futur périmètre de cette agence, elle relèvera de l'État. Nos missions restent très distinctes.

Monsieur Pointereau, nos ressources sont rémunérées à hauteur de 75 centimes pour cent euros au détenteur de livret A et une commission de gestion de 40 centimes versée aux banques. Les mêmes conditions s'appliquent aux dépôts des notaires.

Le budget total de l'opération Coeur de ville est de 5 milliards d'euros au total, dont 1,7 milliard pour la Caisse des dépôts. 35 villes ont été désignées dans le Grand Est pour bénéficier d'un programme de revitalisation, dont 27 au titre de Coeur de ville. Les autres seront accompagnées : Coeur de ville ne nous distrait pas de notre mission, qui est de financer l'ensemble des collectivités locales.

Quant à la lisibilité de la Caisse des dépôts, que plusieurs d'entre vous ont évoquée, la création de la Banque des territoires donne un signal de disponibilité aux élus. Sa valeur ajoutée est d'être à la disposition de ces derniers ; concrètement, cela veut dire une rentabilité moyenne recherchée très inférieure à ce que demandent les banques privée. Elle sera de 3 à 4 %, c'est-à-dire un taux couvrant l'inflation et la croissance économique cumulées : nous avons pour mission de protéger les fonds propres que nous gérons. Nous assumons également des risques technologiques, par exemple sur le projet innovant de centrale à biomasse de Villers-sous-Montrond, et nous proposons des prêts plus longs. Les fonds d'épargne ont un coût pour l'emprunteur plus élevé que les sources de financement des banques, mais inférieur sur la longue durée.

La Banque des territoires n'est pas une banque de détail proprement dite, mais elle a une forte proximité avec la Poste dont la Caisse des dépôts détient 26 %. Elle interviendra en complémentarité avec la Banque postale, qui est une banque citoyenne et a vocation à soutenir les territoires. Nous développons ainsi avec la Poste les maisons de services au public pour maintenir la présence de ces services dans les territoires.

Madame Vullien, vous me demandez comment nous garantissons que nous n'octroierons pas de prêts toxiques comme Dexia. À l'époque de ce scandale, je travaillais dans une banque privée, et j'ai pris la décision de refuser des opérations qui ne me paraissaient pas conformes à l'intérêt des emprunteurs. Une banque doit aussi protéger ses clients ; tel n'a pas été le cas chez Dexia. La Caisse des dépôts étant un établissement public d'intérêt général, nous n'avons pas d'incitation à réaliser des opérations pour leur volume ou leur marge. Nous finançons les collectivités territoriales par des fonds d'épargne, de manière très cadrée. Nous ne mettrons pas en place de financements qui les exposeraient à un risque, car ce n'est pas notre mandat. La Banque des territoires reste une direction d'établissement public, elle appartient à la sphère publique, ce qui est une garantie en soi. Certes, la plupart des établissements financiers privés ont une grande éthique, mais il y a eu des dérives.

Madame Préville, votre question sur l'image de la France est compliquée. J'ai l'amour de mon pays et de ses territoires. Il y a beaucoup de raisons d'espérer pour notre pays : un dynamisme considérable, beaucoup plus d'innovation qu'avant, et un optimisme croissant des élus et des entreprises ; on le voit dans les chiffres de l'emploi. La fracture sociale et territoriale n'a pas disparu pour autant. Le bassin minier, par exemple, est un territoire compliqué, de même que les périphéries de nos grandes métropoles. Il faut s'adresser à ces populations qui souffrent. L'un des mandats de la Caisse des dépôts est d'ailleurs la lutte contre la grande pauvreté. Notre enjeu est de raccrocher au wagon du développement des territoires qui n'en profitent pas. Certaines métropoles s'attachent, plus que d'autres, à associer les territoires avoisinants à leur développement.

Monsieur Chevrollier, notre relation avec La Poste et la Banque postale est étroite et complémentaire, notamment dans le financement des collectivités locales. Depuis la crise de 2008, il n'y a plus de problème macroéconomique pour ce financement : les banques commerciales sont revenues dans ce secteur. La Caisse des dépôts s'en est donc quelque peu retirée. Nous finançons les collectivités territoriales de façon plus marginale : nous ne fournissons que les financements hors marché de très long terme, plus de 25 ans. La Banque postale, qui fournit des prêts moins longs, est un acteur très important dans ce domaine, avec une part de marché de 25 %. Cela dit, nous sommes prêts à soutenir les collectivités territoriales en cas de nouvelle crise.

Quant au compte personnel de formation, nous voulons le gérer de la façon la plus ouverte possible pour les citoyens. Le site internet doit être facile d'utilisation ; des plateformes téléphoniques de conseil doivent être mises en place. Surtout, il faut un outil de mesure de l'activité des formations. Beaucoup d'argent est dépensé pour la formation, mais l'efficacité des formations est mal mesurée. Leur gestion par un site unique aidera : suivant l'expression de Muriel Pénicaud, on peut faire un TripAdvisor de la formation professionnelle ! Ainsi, par les remontées des salariés et demandeurs d'emploi, on saura quelles sont les meilleures et celles qui ne sont pas au niveau.

Monsieur de Nicolaÿ, le financement des petites communes se fait surtout par les fonds d'épargne. Leur gestion nous en est déléguée par Bercy. Nous avons signé 33 conventions centre-bourgs et 100 contrats de ruralité. Nous sommes donc très engagés sur ces sujets.

Monsieur Boyer, vous m'interrogez sur la capacité d'emprunt des petites communes. Nous avons confiance dans la solidité financière des collectivités territoriales et dans le caractère raisonnable de leurs démarches. Nous sommes attentifs au surendettement ; nous ne voulons pas accroître les difficultés d'une collectivité. Cela dit, la plupart des collectivités territoriales ont tout à fait les moyens de leur développement.

Monsieur Fouché, je suis heureusement incapable de vous répondre quant au nombre de projets de tourisme que nous développons : ils sont en effet très nombreux. Je souhaite déconcentrer les décisions à ce sujet dans les délégations régionales afin de mieux traiter la floraison de projets de petite taille qu'on observe. La Compagnie des Alpes continue d'investir, certes, mais la Caisse des dépôts doit elle aussi pouvoir intervenir ; nous nous sommes engagés à investir 700 millions d'euros dans ce domaine.

Madame de Cidrac, monsieur Boyer, vous m'avez interrogé sur notre latitude et nos critères pour le financement des collectivités. Notre latitude est grande, nous sommes autonomes. Nous pouvons refuser un projet qui nous semble déraisonnable, mais nous préférons travailler avec les élus et les bailleurs pour améliorer le projet, car notre mandat est d'en faire le plus possible. Je souhaite que nos critères soient un peu plus souples que par le passé. Notre rentabilité dans les secteurs concurrentiels - participations, gestions d'actifs - nous permet d'être plus libres dans les activités d'intérêt général de la Banque des territoires. Celle-ci doit être utile et non pas rentable.

Madame Filleul, monsieur Mandelli, concernant les logements sociaux, ce sont les bailleurs qui décident de leur politique, c'est leur liberté. Nous les incitons à mettre en place des politiques de rénovation thermique et de construction. Nous allons assez loin pour les constructions neuves : 700 millions d'euros de capital les faciliteront par le biais de démembrements de propriété. La Caisse de dépôt financera la construction neuve en nue-propriété : pendant 15 ans, nous n'en tirerons aucun revenu, l'organisme de logement social en aura l'usufruit et recevra la totalité des loyers, ce qui lui permettra de maintenir le rythme de construction. De la sorte, 1 milliard d'euros supplémentaires pourront être consacrés à la construction de logements sociaux supplémentaires. S'y ajoutent des prêts bonifiés à hauteur de plus de 800 millions d'euros, sans intérêt ni remboursement pendant 20 ans. Le ciblage est le plus large possible : tous les bailleurs sociaux français sont concernés.

M. Benoît Huré. - Le mécanisme de démembrement est en effet assez porteur. Que se passe-t-il pour les loyers après 15 ans ?

M. Éric Lombard. - Après 15 ans, il y a remembrement : la Caisse des dépôts récupère la pleine propriété du bien.

M. Benoît Huré. - On reste donc sur le principe classique du démembrement remembrement.

M. Éric Lombard. - Plusieurs options peuvent être prévues : le bien peut être conventionné et devenir du logement intermédiaire, auquel cas les locataires éligibles doivent être relogés en logement social, ou encore l'organisme peut racheter le bien.

Monsieur Mandelli, nos équipes d'experts sont à la disposition des élus, notamment pour les questions de finances locales ou de fiscalité. Concernant les bailleurs, certains d'entre eux peuvent rencontrer des difficultés. Nous n'avons pas encore de réponse satisfaisante pour les zones dites « détendues », où les bailleurs ne disposent pas d'un nombre suffisant d'actifs à vendre pour obtenir des liquidités ; la vacance y est, par définition, importante.

Monsieur Dantec, pour la décarbonation de notre portefeuille, nous avons déjà dépassé notre objectif : nous voulions une baisse de 20  %, nous en sommes à 30  %. Aucune date n'est encore fixée pour l'objectif de neutralité carbone, mais il est de bonne gestion de se donner un challenge encore plus ambitieux. La neutralité carbone se joue aussi dans le logement : j'ai inauguré récemment, à Strasbourg, une tour à énergie positive, et je souhaite que d'autres projets le soient. Quant à Finance for Tomorrow, nous en sommes membres fondateurs ; nous sommes très engagés pour le développement de ces bonnes pratiques.

Monsieur Houllegatte, pour les infrastructures, nous essayons de trouver des financeurs privés, mais il arrive que ce soit difficile. La Caisse des dépôts pourrait prendre des risques accrus et prendre une part moins minoritaire que d'ordinaire sur certaines opérations, quitte à partager ces risques avec la collectivité locale sans acteur privé. L'important est que les projets se réalisent.

Monsieur Huré, pour l'analyse de l'endettement des collectivités locales, nous utilisons les outils classiques d'analyse financière. La Banque de France ne nous communique pas ses informations, ce qui est normal ; nous gardons également les informations confidentielles que nous détenons. En tant que prêteur, nous ne devons pas mettre en difficulté les collectivités. Nous traitons surtout les flux de trésorerie en fonction des ressources. Notre chance est de pouvoir prêter sur de très longues durées, jusqu'à 60 ans, pour l'adduction d'eau par exemple. Nous souhaitons, avec la Banque des territoires, remplacer Dexia dans sa présence et dans son soutien, pas dans ses excès. Ce sera aussi le rôle de deux opérateurs, CDC-Habitat et la Scet, qui a une vocation de conseil.

M. Hervé Maurey, président. - M. Gold a évoqué les distributeurs automatiques de billets. Leur présence dans une commune est importante pour l'attractivité de celle-ci. Les collectivités devraient pouvoir participer au déficit de ces DAB. Des difficultés juridiques se posent néanmoins. Je tenais à vous le signaler.

La rénovation thermique des bâtiments communaux est une source d'économies budgétaires et une arme de lutte contre le réchauffement climatique. Il faudrait trouver un système de financement innovant pour ces investissements parfois très lourds.

Je vous remercie, monsieur le directeur général, d'avoir répondu à nos questions ; leur diversité montre bien la nécessité de votre audition.

Projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace - Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis

M. Hervé Maurey, président. - Dans le cadre de la révision constitutionnelle en cours, la commission des lois de l'Assemblée nationale a proposé d'insérer à l'article 1er de la Constitution un volet relatif à la lutte contre le réchauffement climatique et à la préservation de la diversité biologique. La commission du développement durable de l'Assemblée ayant été saisie pour avis, il convient que nous le soyons aussi. Je vous propose de me désigner rapporteur pour avis.

Le calendrier est serré ; le rapport pour avis devra être présenté le 12 septembre. Nous organiserons une table ronde la semaine prochaine avec des juristes et des constitutionnalistes. Par ailleurs, une étude de législation comparée sur l'inscription dans les textes constitutionnels des enjeux environnementaux a été réalisée.

M. Benoît Huré. - On passe peut-être à côté d'une belle occasion. Notre préoccupation environnementale est assez bien exprimée dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Nous serions bien inspirés de nous référer à cette Charte.

M. Hervé Maurey, président. - Nous pourrons évoquer cette question au cours de notre table ronde.

La commission décide de se saisir pour avis sur le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace et désigne M. Hervé Maurey en qualité de rapporteur pour avis.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 40.