Mercredi 24 octobre 2018

- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, vice-présidente de la commission des affaires économiques et de M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Projet de programmation pluriannuelle de l'énergie - Table ronde

M. Hervé Maurey, président. - Nous réunissons ce matin les commissions des affaires économiques et de l'aménagement du territoire et du développement durable, toutes deux compétentes sur l'énergie, pour échanger sur un sujet majeur : la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), prévue par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte promulguée en 2015, qui a remplacé la programmation pluriannuelle des investissements.

La PPE est un document qui fixe les grandes orientations de la politique énergétique du Gouvernement pour les dix ans à venir. Elle définit la trajectoire d'évolution de l'offre d'énergie, et précise les objectifs en matière de maîtrise de la consommation d'énergie, d'évolution des réseaux et de sécurité de l'approvisionnement énergétique. C'est donc le principal outil de pilotage de la transition énergétique qui, articulé avec la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), doit permettre à la France de respecter ses engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La PPE prend la forme d'un décret, qui doit être compatible avec les objectifs fixés par le législateur ; certains d'entre nous auraient préféré une loi.

Ces objectifs, inscrits dans la loi d'août 2015 prévoyaient, entre autres, de réduire la consommation énergétique finale de 20 % en 2030, de porter la part des énergies renouvelables à 23 % en 2020, et de réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % en 2025.

J'emploie l'imparfait puisque certains objectifs sont déjà caducs. Le Gouvernement a annoncé, par la voix de son ancien ministre de l'environnement, que l'objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire serait repoussé à une date ultérieure - peut-être 2035. Il paraît très probable que l'objectif de 23 % d'énergies renouvelables en 2020 ne sera pas tenu, même si la croissance des capacités installées s'est accélérée en 2018.

La première PPE a été publiée en octobre 2016 pour une période transitoire allant jusqu'en 2018 et une seconde période de 2019 à 2023. Conformément à la loi, la nouvelle PPE devrait être adoptée d'ici à la fin de l'année et couvrir deux périodes de cinq ans : 2018-2023 et 2024-2029. Nous espérons que les objectifs d'évolution du mix énergétique seront crédibles et réalistes pour être tenus. Après un débat public qui s'est tenu du 19 mars au 30 juin sous l'égide de la Commission nationale du débat public (CNDP), le projet de PPE devrait être présenté d'ici la fin du mois.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Je vous prie d'excuser Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, retenue par d'autres engagements.

Les premiers chiffres dont nous disposons pour évaluer les effets de l'actuelle PPE et des choix faits en 2015 ne sont guère rassurants et attestent pour une bonne part de la justesse des positions défendues, à l'époque, par le Sénat : la consommation d'énergie repart à la hausse, alors que l'on cherche à la réduire ; le taux d'indépendance énergétique baisse, la facture énergétique rebondit et les émissions du secteur énergétique augmentent. Ces trois phénomènes sont liés à la moindre disponibilité de nos centrales nucléaires et nous donnent un avant-goût des effets d'une réduction trop brutale de la part du nucléaire ; le Gouvernement lui-même a fini par le reconnaître. Enfin, malgré des subventions et des investissements considérables, la progression des énergies renouvelables sera probablement insuffisante pour atteindre l'objectif des 23 % en 2020, comme l'a souligné le président Maurey.

Avant la présentation du projet de nouvelle PPE, nous avons souhaité entendre certains des principaux acteurs concernés et associés à son élaboration : M. Jacques Archimbaud, président de la commission particulière du débat public (CNDP) sur la PPE ; M. Fabrice Boissier, directeur général délégué de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) ; M. Marc Bussieras, directeur Stratégie du groupe EDF ; M. Jean-Baptiste Séjourné, directeur Régulation d'Engie ; M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Merci de votre présence.

M. Jacques Archimbaud, président de la commission particulière du débat public (CNDP) sur la PPE. - Le débat public s'est déroulé de mars à juin 2018, sous des formes traditionnelles ; il a connu un certain succès avec un débat en ligne réunissant 50 000 participants, 90 réunions publiques, 12 000 questionnaires remplis, 400 citoyens invités à l'Assemblée nationale pour débattre sur le sujet. Il a été question de la gouvernance et du fond de la politique énergétique.

En matière de gouvernance, un sentiment assez partagé s'est d'abord exprimé, celui que la France a pris du retard et qu'elle doit accélérer ses efforts. Selon les participants, les politiques publiques sont peu lisibles, et manquent de cohérence entre les ministères et entre les différents niveaux de décision ; une meilleure coordination et une meilleure visibilité des politiques européennes seraient souhaitables. Ces citoyens regrettent l'absence d'indicateurs consensuels, ou du moins partagés, sur l'évolution des scénarios de consommation, les niveaux d'exportation ou d'importation d'énergie, le coût des énergies et l'emploi.

Un attachement fort à deux principes de base de la politique énergétique s'est exprimé : l'indépendance énergétique et une énergie à coût maîtrisé. Les participants ont considéré que les efforts qui leur sont demandés sont inéquitablement répartis et pèsent davantage sur les catégories populaires, notamment sur les locataires, qui ont moins accès que d'autres aux aides en faveur de la transition énergétique. L'introduction de la concurrence n'a pas, à leurs yeux, produit les bénéfices attendus en matière de prix, de qualité de service et d'accélération de la transition énergétique. Ils estiment qu'il faudrait une meilleure information et une meilleure protection du consommateur et que, pour être efficace, la politique énergétique devrait associer davantage les citoyens et les territoires.

Sur le fond des politiques, le débat public fait ressortir un net progrès sur la priorité absolue que constitue la lutte contre le changement climatique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Selon la majorité des participants, la future PPE doit respecter l'équilibre global prévu par la loi de transition énergétique : la réduction des consommations d'énergie doit être prioritaire, notamment dans le bâtiment et les transports ; l'offre énergétique en matière de chauffage doit s'adapter aux ressources des territoires et à la diversité des usages - la biomasse et le biogaz devraient notamment y trouver leur place. Le public est très intéressé par l'innovation en matière de stockage et de production d'hydrogène. Le nécessaire report de l'usage d'énergies fossiles vers d'autres énergies est considéré comme positif et inévitable, mais il ne devrait pas aboutir à une explosion des consommations électriques. L'objectif d'augmentation de la part des énergies renouvelables est largement soutenu.

Le grand public paraît attaché à des dates plus rapprochées que ne l'indiquent, en général, les professionnels du secteur, pour réduire à 50 % la part du nucléaire. Une annonce sur un prolongement et a fortiori un renouvellement de tout ou partie du parc, sans annonce préalable d'ici à la fin du quinquennat de fermetures de réacteurs autres que ceux de Fessenheim, serait perçu comme déséquilibrant ce compromis.

Enfin, le développement des énergies renouvelables est globalement approuvé mais soumis à de fortes exigences quant à leurs impacts environnementaux, locaux et globaux, quant à la réduction de leur coût et du soutien public et quant aux conditions et à la transparence des décisions d'implantation locale.

M. Fabrice Boissier, directeur général délégué de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). - L'Ademe mène des travaux d'expertise et de prospective et bénéficie de retours d'expérience. Nous avons accompagné des collectivités et des entreprises sur l'innovation, et disposons ainsi d'une vision assez générale des enjeux de la transition énergétique.

On ne peut pas faire une transition énergétique qui respecte nos objectifs climatiques sans réduire drastiquement nos consommations d'énergie. Deux grands secteurs représentent la grande majorité de celles-ci : le résidentiel tertiaire pour près de la moitié, et les transports pour un gros tiers. Il faut rénover le parc d'habitation en ayant des normes bien plus progressistes sur les bâtiments neufs, afin de réduire d'au moins 30 % la consommation de ce secteur.

Jusqu'à présent, nous disposions de très peu de leviers pour agir sur les transports. De nouvelles perspectives s'ouvrent : télétravail, lutte contre l'étalement urbain, circuits courts, transports en commun, nouvelles motorisations comme les véhicules électriques ou au gaz. Grâce à ces leviers, on pourrait réduire de près de la moitié les consommations dans le secteur des transports. Dans l'état actuel des technologies, cela se traduirait par une baisse de l'ensemble des vecteurs énergétiques, que ce soit l'électricité ou le gaz. Nous ne voyons pas d'explosion de la demande d'électricité mais la part de l'électricité augmentera, passant de 25 % à 30 %, tandis que celle du gaz diminuera légèrement, s'orientant de plus en plus sur le secteur des transports.

Les énergies renouvelables constituent un formidable potentiel. Selon nos études, qui se projettent au-delà de la PPE, la France pourrait être presque totalement alimentée par des énergies renouvelables en 2050. Leur part dans le mix énergétique pourrait doubler pour passer de 16 % à 32 % à l'horizon 2030, notamment pour la fourniture de chaleur, qui représente la moitié de l'énergie consommée en France, par la biomasse bien entendu mais aussi par la géothermie, le solaire thermique et les pompes à chaleur. Pour la fourniture d'électricité, l'éolien et le solaire sont des filières matures en termes de coût, et dans le secteur du gaz, le biogaz peut prendre une place importante pour répondre à la demande alors qu'il est réduit à la portion congrue actuellement.

Cette transition, qui combine baisse des consommations et développement des énergies renouvelables, a des impacts socio-économiques extrêmement bénéfiques pour la France : cela développe des emplois non délocalisables, dans la rénovation énergétique et les énergies renouvelables. Nos études économiques évaluent ce potentiel à 350 000 emplois supplémentaires à l'horizon 2035, qui permettront de relocaliser ces activités dans les territoires, afin que ceux-ci reprennent la main sur leur stratégie de développement, que les citoyens s'impliquent dans la rénovation des logements ou participent à des projets d'énergies renouvelables. Nous aurons ainsi des énergies efficaces, plus confortables, dont le gaspillage est limité, avec un gain économique grâce à la réduction de la consommation, et une capacité industrielle capable de s'exporter.

M. Marc Bussieras, directeur Stratégie du groupe EDF. - EDF est un industriel engagé dans la transition énergétique - même si la programmation ne relève pas de notre responsabilité.

L'ambition de neutralité carbone du Plan climat 2050 est exigeante ; il faudra utiliser tous les leviers - électricité décarbonée, biogaz, biomasse, géothermie, récupération de l'énergie des déchets - tout en veillant à mesurer leur efficacité économique. Il en va du pouvoir d'achat des ménages et de la compétitivité des entreprises : la partie est donc serrée. Dans cette trajectoire économique, l'électricité - actuellement très minoritaire, car elle représente 25 % de la consommation - jouera un rôle de plus en plus important et focalise les débats. La réduction des énergies fossiles a pour corollaire un développement de l'électricité décarbonée et une réduction de la consommation d'énergie. Passer d'un véhicule thermique à un véhicule électrique ou bien d'une chaudière à une pompe à chaleur fait plonger la consommation d'énergie. Nous prévoyons une légère hausse des consommations d'électricité, entre 0 % et 1 % par an sur le long terme. Nous aurons des millions de véhicules électriques et de pompes à chaleur, sans avoir à redimensionner le système électrique ni à défoncer les trottoirs des villes pour multiplier les réseaux. Le système électrique sera globalement comparable à l'actuel.

L'électricité est déjà très fortement décarbonée, c'est un atout, et il y aura de plus en plus de renouvelable et moins de nucléaire dans le système électrique français. EDF prendra toute sa place dans ce paysage et développe un plan solaire, un plan stockage, l'éolien offshore...

Il n'y a pas, aux horizons de la PPE, d'effet d'éviction entre les énergies renouvelables et le nucléaire, dont les développements sont compatibles entre eux. Cette électricité décarbonée trouvera sa place sur le marché européen. Nous raisonnons donc en industriels : les perspectives de fermeture des centrales sont liées à leur potentiel d'exploitation et nous nous projetons, s'agissant du parc actuel sur des échéances à 50 ans et à 60 ans. C'est bien entendu une vision d'industriel, et non une programmation.

D'ici à 2050, je ne vois pas de viabilité, technique ou économique, d'un système entièrement renouvelable. Notre système électrique mêlera encore énergies renouvelables et nucléaire - c'est pourquoi nous envisageons de nouveaux projets de réacteurs.

M. Jean-Baptiste Séjourné, directeur Régulation d'Engie. - Engie est engagé, en tant qu'industriel, dans cette transition énergétique pour aller vers un monde décarboné, décentralisé et digitalisé. Nous voulons atteindre nos objectifs de production d'électricité bas carbone, notamment à partir des énergies renouvelables et en offrant des solutions performantes à l'ensemble de nos clients.

Nous croyons aussi à la complémentarité des énergies - électricité, gaz, chaleur - et voulons favoriser simultanément l'émergence de filières industrielles. La transformation actuelle est source de nombreuses innovations. Nous devons mieux articuler la politique industrielle et la politique énergétique, et progresser de manière pragmatique en étant ouverts aux progrès technologiques, parfois peu prévisibles, notamment pour faire des économies d'énergie et réduire les émissions de dioxyde de carbone. Nous prônons l'émergence de business models pour de nouvelles solutions.

La meilleure énergie est celle que l'on ne consomme pas. Les objectifs de la politique énergétique doivent être revisités - certificats d'économie d'énergie (CEE), contrats de performance énergétique... Nous devons avoir des objectifs clairs et ambitieux pour toutes les filières des énergies renouvelables, et déclinés en cohérence avec la loi de transition énergétique. En particulier, l'objectif de biométhane, pour le secteur gazier, doit être confirmé ; le Fonds chaleur doit être doublé, avec une planification sur les cinq ans. L'innovation doit avoir une place significative dans cette PPE, avec l'hydrogène, l'autoconsommation et le stockage. Quels seraient les objectifs à dix ans ?

La sécurité des approvisionnements, avec la décarbonation et la maîtrise du pouvoir d'achat, doit rester au centre de la PPE. Les infrastructures sont des actifs et des atouts indispensables, qu'il importe de conserver. Je pense ainsi au stockage du gaz ou aux centrales thermiques à cycle combiné gaz très utiles pour l'approvisionnement en cas de moindre disponibilité du parc nucléaire.

M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). - La PPE doit avoir des objectifs cohérents avec ceux de la loi de transition énergétique, afin d'atteindre 32 % d'énergies renouvelables en 2030. Ces objectifs sont déclinés dans les différents secteurs de l'énergie : chaleur, électricité, transport et gaz. La PPE doit apporter aux acteurs économiques la lisibilité nécessaire afin d'encourager les investissements. Elle doit aussi identifier les mesures d'accompagnement nécessaires pour un déploiement accru des énergies renouvelables dans les territoires, et identifier les outils de suivi du développement des capacités de production des énergies renouvelables. N'attendons pas 2028 pour signaler que nous ne sommes pas en phase avec les objectifs.

La production de chaleur, qui représente la moitié de la consommation d'énergie, est un grand émetteur de dioxyde de carbone et pèse sur notre balance commerciale. Nous avons des objectifs ambitieux, comme doubler le Fonds chaleur de l'Ademe. Nous attendons de la PPE qu'elle décline une trajectoire de ce fonds à l'horizon 2024, et qu'elle confirme la trajectoire de la contribution climat énergie, outil essentiel pour réduire le différentiel de compétitivité entre les énergies renouvelables et fossiles. Elle doit identifier les soutiens publics pour l'habitat individuel, dont le crédit d'impôt pour la transition énergétique.

Le secteur de l'électricité a connu une baisse spectaculaire des coûts, fruit de l'action conjointe des pouvoirs publics et des acteurs privés. Le solaire photovoltaïque, l'éolien terrestre et bientôt l'éolien en mer nous permettent d'atteindre des coûts d'environ 60 euros du mégawattheure, soit à peu près les coûts du marché de l'électricité.

Dans le secteur des transports, 8,5 % des besoins énergétiques sont couverts par les énergies renouvelables, et en particulier les biocarburants de première génération - essentiellement produits à partir de l'agriculture française. Pour augmenter cette part dans les transports, nous devrons compter sur d'autres vecteurs comme le gaz vert, la mobilité électrique et les carburants de seconde génération.

Dans le secteur du gaz, environ un térawattheure est produit à partir de gaz renouvelable et nous devons atteindre 10 % au moins de la consommation de gaz en 2030. Pour cela, la PPE doit confirmer l'objectif de la loi de transition énergétique.

Les énergies renouvelables rejoignent d'autres politiques, notamment la politique industrielle. Les six parcs éoliens offshore, renégociés durant le premier semestre, sont maintenant confirmés et vont générer 15 000 emplois supplémentaires. Nous avons ainsi l'opportunité de développer davantage une industrie exportatrice. Nous pouvons aussi créer une vraie filière industrielle sur la méthanisation. La PPE est l'occasion de mettre en place d'autres politiques publiques : soutien à l'agriculture avec les biocarburants et la méthanisation, aménagement du territoire, politique forestière grâce au bois-énergie, et une politique industrielle avec notamment l'éolien, la méthanisation et le solaire photovoltaïque.

M. Daniel Gremillet. - Vos propos confirment notre ambition ; le débat sur la PPE méritait mieux qu'un décret, à savoir un vote au Parlement. Le sujet a un impact financier énorme et un tel débat permettrait une meilleure acceptabilité sociétale des choix stratégiques de la France.

Dans la précédente PPE, 4 pages sur 598 étaient consacrées au nucléaire. Elle renvoyait toute décision autre que la fermeture de Fessenheim à l'après 2019 - soit dans quelques semaines... La nouvelle PPE devra-t-elle selon vous comporter un vrai volet nucléaire, avec des décisions à la fois en matière de fermeture, de prolongation et de renouvellement du parc, pour donner une visibilité aux investisseurs et aux exploitants ? Le ministre François de Rugy a récemment souhaité découpler la fermeture de Fessenheim de la mise en service de l'EPR de Flamanville. Or l'un et l'autre sont juridiquement liés par le plafonnement de la capacité de production prévue par la loi - même si aucune centrale n'est citée. Monsieur Bussieras, EDF est-elle prête à fermer Fessenheim avant la mise en service de l'EPR, sans que la loi ne l'y oblige ? Pour aboutir à un nucléaire durable, qui recyclerait tous ses déchets, la PPE ne devrait-elle pas comporter aussi des engagements forts en matière de recherche sur les réacteurs de quatrième génération ?

La demande d'autoconsommation de l'énergie produite par nos concitoyens ne remettra-t-elle pas en cause, à terme, la solidarité entre les territoires, qui s'exerce au travers du modèle français de distribution publique et de péréquation tarifaire ? La préservation d'un réseau national, au financement duquel chacun contribue, assure à la fois notre sécurité d'approvisionnement collective mais aussi l'optimisation de la production d'électricité verte, car le réseau permet de profiter du foisonnement des sources sur tout le territoire. Cette dérive individualiste nous inquiète.

La fiscalité dite « verte » n'est là, en réalité, que pour alimenter le budget de la Nation et n'apporte ni réponse ni soutien significatif aux investissements sur la mobilité. Elle est insoutenable pour les familles qui ont besoin d'un véhicule pour se déplacer, ou pour les entreprises. Certaines familles ne peuvent pas non plus faire face au coût d'une rénovation énergétique. Enfin, qu'en est-il de la recherche et de l'innovation ? Cette fiscalité ne devrait-elle pas être exclusivement dédiée au financement de ces enjeux ?

M. Christophe Priou. - Je relaie l'appel de quatre régions - Provence-Alpes-Côte d'Azur, Occitanie, Bretagne et Pays de la Loire - qui, dans un communiqué début octobre, ont demandé à l'État une PPE ambitieuse, à la hauteur des engagements pris pour la protection du climat et de l'enjeu industriel des énergies marines. Elle doit passer par le lancement d'un appel d'offres sur l'éolien offshore flottant, équilibré sur nos façades Atlantique et Méditerranée. Les régions sont prêtes, il ne faut pas manquer le rendez-vous, alors que nous avons un peu dansé la gavotte - un pas en avant, un pas en arrière - sur ce sujet : les premiers appels d'offres lancés en 2012 et 2014 sur l'éolien posé n'ont pas encore abouti, cela prendra une bonne dizaine d'année. Les prix ont été renégociés, pour une économie de plusieurs milliards d'euros.

Dans ma région de l'Ouest, nous produisons peu d'énergie et en importons d'autres régions, voire d'Allemagne. La semaine dernière, nous débattions avec le ministre d'État de l'avenir de la centrale thermique de Cordemais. À quelques mois des élections européennes, rappelons que l'Union européenne a été fondée sur l'énergie - le charbon et l'acier. Il est dommage que certains pays relancent les énergies fossiles, alors que nous allons vers une production plus vertueuse. Vous évoquiez 15 000 emplois créés sur l'éolien en mer, 350 000 sur les économies d'énergie... Il serait bon que vous puissiez rencontrer les 1 500 personnes qui travaillent autour de Cordemais. Ils ont un projet de reconversion baptisé « Ecocombust », très intéressant, pour utiliser les déchets verts, développé avec EDF et la direction.

Monsieur Boissier, nos concitoyens sont sensibles au pouvoir d'achat. Mais ont-ils les premiers euros pour investir dans un nouveau véhicule ? Pour bénéficier d'un crédit d'impôt afin de réaliser des travaux d'isolation ou changer sa chaudière, encore faut-il payer des impôts... En quelques décennies, la programmation est passée du tout nucléaire au tout photovoltaïque, avec un effet d'aubaine financier, et désormais au tout éolien, sans pragmatisme. Le bouquet énergétique actuel est plus un concept intellectuel qu'une réalité.

M. Roland Courteau. - Si j'ai applaudi la loi de transition énergétique, j'ai cependant un regret : elle confine la PPE à un décret, alors qu'elle devrait relever du Parlement. Je ne mentionnerai pas le nucléaire, déjà évoqué par Daniel Gremillet.

Monsieur Bal, dans l'hypothèse où une date serait enfin fixée pour ramener la part du nucléaire à 50 %, les énergies renouvelables pourront-elles prendre le relais, et à quelles conditions ? Quels en sont les freins et les verrous ? De nouveaux emplois sont liés à la transition énergétique, mais par voie de conséquence, d'autres filières vont s'éteindre. Prévoyons déjà un accompagnement et une transition qui minimisent la détresse humaine.

La fiscalité écologique et la taxe carbone constituent une partie de la réponse aux défis que nous avons à relever, à condition que des mesures de compensation soient fléchées sur les catégories modestes, pour lesquelles la voiture est indispensable pour aller travailler, ou sur les énergies fossiles pour se chauffer. Attention à l'aggravation de la précarité, notamment avec un baril de pétrole qui est passé de 35 à 80 euros. La transition énergétique doit être socialement inclusive pour réussir.

Les CEE constituent un pilier essentiel de l'efficacité énergétique. Dès maintenant, il faudrait que la loi inscrive une cinquième période d'obligation jusqu'en 2030, voire 2050, et ce dispositif doit être amélioré pour être totalement compatible avec les engagements climatiques et la Stratégie nationale bas carbone.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Je félicite M. Archimbaud et, à travers vous, Mme Jouanno pour la qualité du débat public, qui montre la motivation et la mobilisation de nos concitoyens sur ce sujet, qui aurait mérité un débat au Parlement.

Monsieur Bal, vous êtes optimiste. L'État pourrait être tenté, dans la PPE, de favoriser les filières d'énergies renouvelables déjà matures, au détriment des choix industriels. Il semblerait que l'appel d'offres pour Dunkerque abandonne l'obligation des industriels d'assurer un contenu local pour la production d'équipements. Qu'en est-il des énergies innovantes ? Un appel d'offres a été retiré sur l'hydrolien. Ce risque vous semble-t-il fondé ?

Le 11 décembre 2017, Jean-Bernard Lévy a lancé un plan de 30 gigawatts de photovoltaïque d'ici à 2035. Une étude d'impact sur la création d'une filière photovoltaïque française est-elle prévue, que ce soit au niveau de la conception, de la construction ou du recyclage des panneaux solaires ? EDF est-elle préoccupée par les emplois liés à la filière ?

EDF exploite les centrales thermiques de Cordemais et du Havre, qui pourraient être fermées. Une compensation financière de l'État est-elle prévue, comme à Fessenheim ? Cette dernière fera-t-elle jurisprudence pour la fermeture des autres tranches ? Certains évoquaient 300 millions d'euros pour Fessenheim ; cela ferait 150 millions d'euros par tranche.

M. Laurent Duplomb. - Il faut des politiques cohérentes, or les politiques de développement des énergies renouvelables ont été très incohérentes. Pour le photovoltaïque, le tarif de rachat initial, très intéressant, de 63 centimes, a chuté à 11 ou 12 centimes d'euro, tuant la filière française, alors qu'elle était un bon moyen pour améliorer le revenu de nombreux artisans, entreprises ou agriculteurs, et que la surface des toits en France aurait pu être un formidable élément de développement des énergies renouvelables.

Par dogmatisme écologique, on abandonne l'hydroélectricité en délaissant la quasi-totalité des seuils qui existent souvent depuis le XVIIe siècle. Actuellement, entre 40 000 et 60 000 seuils non utilisés permettraient d'avoir de petites centrales hydroélectriques par commune, et de répartir la production électrique sur la totalité du territoire, avec des investissements privés.

Porteur d'un projet de cogénération sur ma commune, j'ai vu la différence de politique entre le rat des villes et le rat des champs. La cogénération sur une commune rurale n'a pas les mêmes chances d'aboutir que sur une commune urbaine, car la chaleur doit être utilisée ; or elle l'est plus facilement pour du chauffage urbain pendant les six mois d'hiver qu'en milieu rural où l'habitat est dispersé et où la capacité d'utilisation de la chaleur est moindre. On ne peut pas utiliser le bois là où on le trouve, il faut le ramener aux portes des villes pour faire du dioxyde de carbone et pour produire l'électricité et de la chaleur. Le système pourrait être réorganisé.

De nombreux projets de méthanisation sont en cours. J'espère qu'ils ne finiront pas comme le photovoltaïque, car cela accentuerait encore le précipice qu'on est en train de creuser pour l'agriculture française.

Comment avoir une vraie politique d'énergies renouvelables cohérente avec l'exigence d'un aménagement équilibré du territoire, sans tout cumuler sur des bassins de vie excédentaires ?

M. Guillaume Chevrollier. - Le débat public sur la PPE mériterait que l'on y associe le Parlement, les citoyens et les collectivités locales pour défendre notre mix énergétique, qui est la complémentarité entre les énergies renouvelables et notre savoir-faire dans le nucléaire. Comment mieux impliquer les collectivités locales, déjà très investies pour la mise en oeuvre opérationnelle, tant pour la décision que pour le financement ?

Que pensez-vous de la proposition de résolution des députés visant à créer une commission d'enquête sur le coût économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, qui s'appuie sur un rapport de la Cour des comptes de mars 2018 ? Celle-ci rappelait que les investissements publics pour la production d'énergie éolienne et photovoltaïque atteignaient 121 milliards d'euros depuis 2007.

Quel regard portent les Européens et le reste du monde sur la PPE française ?

Mme Denise Saint-Pé. - Sans occulter les sujets stratégiques liés à la sécurité des approvisionnements, notre capacité de production, l'équilibrage des réseaux, le stockage de l'énergie ou l'obligation de maîtriser les coûts énergétiques pour nos entreprises et nos concitoyens, les énergies renouvelables et la maîtrise de la demande d'énergie sont des enjeux incontournables. Le logement et les transports, secteurs les plus énergivores, doivent faire l'objet de politiques publiques fortement incitatrices, car la rénovation envisagée de 500 000 logements par an ou la mise en place de programmes de transport en commun modernes et d'alternatives aux véhicules thermiques individuels impliquent des moyens financiers considérables.

Monsieur Boissier, quels sont les financements publics associés à ces politiques ?

Il ne faut pas perdre de vue les objectifs ambitieux fixés par la COP 21 et la loi de transition énergétique. Nos territoires, sous l'égide des régions, seront des acteurs majeurs d'une transition énergétique décentralisée réussie.

Alors que les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) sont en cours de construction, il est impératif que les schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnr) soient au niveau des ambitions annoncées. Pas d'énergies renouvelables sans réseau adapté pour véhiculer ces productions décentralisées !

Monsieur Bussieras, pourriez-vous expliciter la problématique de l'adaptation des réseaux à la production montante des énergies renouvelables ?

M. Claude Bérit-Débat. - Je soutiens une méthanisation adossée au monde agricole. Je ne souhaite pas que des industriels viennent préempter demain une énergie procurant aux agriculteurs des revenus complémentaires. Le biogaz, qui pourrait aussi être utilisé comme carburant, présente l'avantage d'un approvisionnement à proximité des sources de production. Monsieur Bal, quelle politique faut-il mettre en place pour développer cette source d'énergie ?

Mme Sylviane Noël. - Je n'ai pas beaucoup entendu parler d'hydroélectricité. Considérée comme une énergie propre et inépuisable, elle est pourtant la première filière d'énergie renouvelable en France, représentant 13 % de la production nationale et 60 % de la production renouvelable. Son principal atout tient à sa production presque instantanée : quelques minutes suffisent là où il faut 11 heures pour une centrale thermique et 48 heures pour un réacteur nucléaire.

En tant que sénatrice de Haute-Savoie, je sais que l'hydroélectricité est une composante essentielle de l'économie montagnarde. Outre l'apport à la production énergétique globale et à la fourniture d'eau potable et d'irrigation, elle crée de nombreux emplois locaux et joue un rôle important en termes de diversification des activités économiques, notamment touristiques, avec les sports en eaux vives. Elle joue aussi un rôle socle essentiel pour la gestion des crues et la conciliation des usages de l'eau. En zone de montagne, c'est souvent la seule source d'énergie propre.

L'hydroélectricité souffre cependant d'un manque de visibilité du fait d'un statu quo pénalisant pour son développement, d'un cadre réglementaire trop strict et d'un blocage à l'investissement. Le risque est qu'elle soit, avec ses 600 petites centrales, l'oubliée des énergies renouvelables. Des progrès importants ont pourtant été réalisés. Si l'on modernise les installations existantes pour améliorer la productivité des barrages existants, elle représente un gisement d'énergie verte très important.

M. Guillaume Gontard. - On aurait pu impliquer davantage les parlementaires dans le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie. Le niveau national est pertinent pour la mise en oeuvre de la transition énergétique, afin d'assurer l'équité entre les territoires et une bonne péréquation. Mais l'échelon local est important en termes de transports, de rénovation thermique, de développement des énergies renouvelables et d'urbanisme.

Il faut d'abord parvenir à la sobriété énergétique. Or la consommation augmente. Les récents programmes « territoire à énergie positive » (Tepos) et « territoire à énergie positive pour la croissance verte » (TEPCV) ont eu un impact sur la rénovation thermique et ont permis une sensibilisation des habitants. D'autres mécanismes, notamment financiers, ont-ils été imaginés - en dehors du Fonds chaleur - pour que les territoires prennent des initiatives et occupent une place centrale dans l'innovation ?

M. Fabrice Boissier. - Pour ce qui concerne la fiscalité, je rappelle que l'Ademe est un établissement public dépendant du ministère de la « transition écologique et solidaire » : il ne saurait en effet y avoir de transition écologique sans transition solidaire et équitable.

On ne parviendra pas à engager la transition écologique sans donner un signal prix à la pollution. Tel est le rôle de la taxe carbone, qui permet d'orienter le comportement des acteurs concernés, à condition d'en donner les moyens à tous les acteurs socio-économiques. Une politique incitative forte est donc nécessaire pour accompagner la hausse progressive de cette taxe.

Premier enjeu : il faut avoir une visibilité à long terme pour que les acteurs puissent anticiper et s'adapter, c'est-à-dire une trajectoire de l'évolution de la taxe carbone.

Deuxième enjeu : il faut disposer de mécanismes pour aider les acteurs qui ont le plus de mal à changer leurs comportements. Dans les entreprises, le signal prix est assez efficace, mais, du fait de la concurrence internationale, des solutions de rechange sont nécessaires. Ainsi, grâce au Fonds chaleur, une société peut se doter d'une énergie renouvelable plus compétitive que le gaz.

Pour les particuliers, la situation est plus compliquée. Le plan de rénovation de l'habitat lancé par le Gouvernement doit être doté de crédits suffisants. Le service public de la performance énergétique de l'habitat n'est aujourd'hui pas financé. Comment accompagner efficacement et informer nos concitoyens dans ces conditions ? Les collectivités ont un rôle clé, défini par la loi.

Pour ce qui concerne la mobilité, la forte hausse des carburants est dramatique pour les personnes qui sont obligées de prendre leur véhicule pour travailler. Il faut absolument leur proposer des solutions alternatives. Les politiques nationales sont nécessaires mais pas suffisantes, car elles n'atteignent pas nos concitoyens des territoires ruraux. L'Ademe considère qu'il faut donner aux collectivités les moyens d'intervenir de manière adaptée.

L'Ademe a lancé un appel à projets et accompagné 26 territoires ruraux qui souhaitaient développer de nouveaux modes de mobilité, via une subvention pour mettre en place des solutions innovantes adaptées à leur territoire : covoiturage, véhicules électriques vélos électriques...

L'éolien flottant a un potentiel industriel important, à condition de suivre le rythme de développement de cette technologie. Si nous nous laissons devancer par les autres pays et si nous ne partons pas dès maintenant, nous ne créerons pas les 20 000 emplois directs et indirects auxquels nous pouvons prétendre à l'horizon 2030.

La méthanisation connaît un fort engouement dans les territoires ruraux et parmi les agriculteurs. L'Ademe donne des aides, mais le niveau de ses budgets ne permet pas d'accompagner tous les projets. Le ministère de la transition écologique et solidaire a réuni l'année dernière un groupe de travail afin de trouver des solutions adaptées. Ses travaux devraient aboutir à une augmentation du nombre de projets et à un soutien des agriculteurs engagés dans cette voie.

L'hydroélectricité est un contributeur essentiel. Son potentiel étant largement utilisé, les marges de manoeuvre sont assez faibles, sauf dans le secteur de la petite hydroélectricité. Il est possible également d'ajouter quelques stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), qui permettent de stocker l'énergie. Enfin, les régimes hydrauliques des fleuves vont évoluer du fait du changement climatique ; nous devons gérer cette énergie en conséquence.

M. Hervé Maurey, président. - Le Sénat est très préoccupé par la répartition du produit de la taxe carbone. Le Gouvernement reste sourd à nos demandes, mais il n'est pas acceptable que l'État conserve entièrement cette ressource alors qu'il n'est pas le seul à lutter contre le dérèglement climatique. Car 15 milliards d'euros, c'est un « pognon de dingue » !

M. Jean-Louis Bal. - Le rôle des collectivités sera tout à fait essentiel pour mettre en oeuvre la transition énergétique, notamment les projets de développement des énergies renouvelables. Si les collectivités ne disposent pas des moyens correspondant aux responsabilités qui leur sont confiées par la loi TECV, on ne pourra pas avancer. La solution, monsieur Courteau, est de les impliquer davantage.

M. Houllegatte m'a trouvé optimiste. Je ne le suis pas ! Nous craignons que la programmation pluriannuelle de l'énergie ne débouche pas sur une politique industrielle de développement des filières renouvelables.

Pour ce qui concerne l'éolien flottant et l'éolien posé, les six premiers appels d'offres permettront le développement de cette filière, mais il faut des programmes ambitieux.

Nous avons organisé la semaine dernière un colloque sur l'hydroélectricité. Cette énergie est essentielle, entre autres pour l'équilibre du système électrique, car elle permet une flexibilité que n'apporte aucune autre source d'énergie. Pour citer M. Duplomb, il faut éviter le dogmatisme écologique.

La méthanisation doit être associée au monde agricole, mais pas uniquement, et il ne faut pas l'opposer au biogaz d'origine industrielle. Il faut éviter une diminution trop rapide des tarifs d'achat.

Je ne crois pas, monsieur Gremillet, que l'autoconsommation remettra en cause la péréquation tarifaire, car nous aurons toujours besoin d'utiliser le réseau électrique, même si son rôle est plus assurantiel et moins énergétique. La tarification du réseau devra s'adapter à l'évolution de l'autoconsommation et à la diminution des consommations d'électricité.

M. Hervé Maurey, président. - Lors d'un déplacement sur le site du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) de Marcoule, on nous a indiqué que 22 réacteurs utilisaient du combustible MOX. Le plan de fermeture de ces réacteurs remet-il cette pratique en question ? La nécessité d'anticiper les conséquences de celui-ci sur le cycle du combustible a été très récemment soulevée par l'Autorité de sûreté nucléaire.

M. Marc Bussieras. - Nous avons contribué à la visibilité en exposant notre plan industriel. Le rôle du politique consiste à articuler des incertitudes et des options ouvertes avec la nécessité d'anticiper. C'est vrai pour l'ensemble du système énergétique ; dans ce secteur, en effet, les constantes de temps sont très élevées.

Pour ce qui concerne la centrale de Fessenheim, la fermeture nous a été très clairement demandée. Nous n'avons donc pas engagé de travaux lourds sur cette centrale.

Sur le problème de l'indemnisation, il n'y a pas lieu de comparer une centrale à charbon et une centrale nucléaire. Ce qui compte pour indemniser, c'est la valeur économique de l'actif sur le marché.

S'agissant des réseaux, la question se pose de leur tarification, car leur utilisation est beaucoup plus ouverte que dans le passé et plus hétérogène. Il faut des structures tarifaires plus fines et mieux adaptées à ce nouveau paysage.

Sur le coût des filières, lorsque l'on se place dans une perspective de 20 ou 30 ans  - l'essentiel des actifs aura alors été reconstruit -, on doit prendre en compte le coût global du système électrique. Celui-ci dépendra du bon « dosage des ingrédients », par exemple le nombre de gigawatts de panneaux photovoltaïques installés. Dans cette vision à long terme, les réseaux ont un poids essentiel ; aujourd'hui, ils coûtent à peu près la même chose que la production. En Allemagne, où l'électricité est très chère, ils tirent les prix vers le haut.

Nous sommes fondamentalement des industriels, enracinés dans le pays, ce qui se voit y compris dans nos approches de service lorsqu'il s'agit par exemple de maintenir nos centres d'appel en France. Cela signifie que nous innovons et préparons le monde entièrement digital qui nous attend. La partie industrielle est exigeante, mais on se bagarre. Pour ce qui est du photovoltaïque, la situation est plus compliquée. L'Allemagne a ainsi perdu entre 50 000 et 60 000 emplois dans ce secteur, car elle a été laminée par la concurrence asiatique. Nos équipes de recherche et développement sont donc absolument fondamentales.

Quant à l'hydroélectricité, c'est une ressource extraordinaire.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - EDF aura-t-elle les moyens d'investir, à la fois, dans les énergies renouvelables et le renouvellement de son parc nucléaire ?

M. Hervé Maurey, président. - J'aimerais également que vous répondiez à ma question sur le MOX.

M. Marc Bussieras. - S'agissant du MOX, il nous faut anticiper. Nous envisageons de le développer sur des tranches de 1 300 mégawatts, dont la perspective d'exploitation est très longue.

M. Hervé Maurey, président. - Ce n'est donc pas encore fait...

M. Marc Bussieras. - Les travaux sont en cours.

M. Hervé Maurey, président. - Il y a quand même un vrai sujet s'agissant du stock de MOX...

M. Marc Bussieras. - Nos investissements pour le nucléaire existant s'élèvent à 4 milliards d'euros par an, pour un peu moins de 400 térawattheures de production annuelle, ce qui représente environ 10 euros par mégawattheure. Ce coût est plus que raisonnable. Notre compétitivité est imbattable en termes de production d'électricité décarbonée en grande quantité. Il n'y a pas mieux ; c'est vraiment extraordinaire ! Les solutions de substitution seraient sensiblement plus coûteuses. Cet investissement de grand carénage sera rapidement rentabilisé grâce aux ventes.

S'agissant des investissements dans l'ensemble des champs de la transition énergétique, l'équation financière est difficile. Nous regrettons que la régulation soit pénalisante et ne permette pas de rémunérer les actifs décarbonés que nous exploitons.

M. Hervé Maurey, président. - Je ne veux pas relancer le débat mais je n'ai pas vraiment obtenu de réponse sur le stock de MOX, et cela figurera au compte rendu.

M. Jean-Baptiste Séjourné. - Je confirme que l'hydroélectricité est une énergie renouvelable très prometteuse.

Pour ce qui concerne l'éolien flottant, nous sommes dans une période d'accélération. La France a le potentiel pour implanter des fermes pilotes et les prévisions à l'export sont considérables. La PPE doit aussi prévoir le développement de cette filière sur la période 2018-2023 via le lancement d'un appel d'offres. Il ne faut pas manquer cette opportunité.

Nous discutons de la méthanisation avec les agriculteurs et leurs représentants. Nous comptons multiplier la production actuelle de biogaz par huit d'ici à 2023. Cette ambition, tout à fait accessible, aura de nombreux effets positifs en termes d'emplois locaux décentralisés. L'activité créera aussi des revenus supplémentaires pour les agriculteurs, de 15 000 euros en moyenne. En substituant au gaz importé du gaz vert produit en France, on améliore l'impact sur la balance commerciale ; l'objectif est de réaliser 2 milliards d'euros d'économies en 2030.

Les autres effets positifs sont la diminution de la pollution, la valorisation des déchets, notamment agricoles, la réduction du recours aux engrais chimiques, l'amélioration de la sécurité d'approvisionnement et de la résistance du système énergétique, et une décarbonation à moindre coût car les infrastructures gazière existent déjà.

Les certificats d'économie d'énergie représentent un levier significatif, de l'ordre de 9 milliards d'euros pour les trois années à venir, qui favorisera la transition énergétique. Le nombre des obligations prévues ayant quasiment doublé, il faut réexaminer le dispositif.

J'ajoute que l'Europe fait un exercice analogue à la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Notre système énergétique étant interconnecté, nous devons prendre en compte l'approche européenne, pragmatique, qui privilégie la compétitivité des entreprises et le coût pour les consommateurs. Il s'agit de coupler les systèmes énergétiques de l'électricité et du gaz, et d'avoir une vision de synthèse des différents usages (agriculture, transport, chauffage).

M. Jacques Archimbaud. - Il existe dans notre pays des inquiétudes majeures liées aux injustices sociales, à l'accès des classes populaires et moyennes aux aides, au poids de la fiscalité... Nos concitoyens sont également sceptiques quant aux chiffres annoncés en termes d'emplois. Il s'agit donc de convaincre. Cette angoisse concerne aussi la répartition entre le service public national et le service public local. Il faut donc intégrer la politique énergétique à d'autres politiques, de façon cohérente.

J'en viens aux filières. Il y a une intelligence des territoires pour mobiliser de la ressource locale et mettre en place des ingénieries en matière d'hydroélectricité. Les régions sont très demandeuses. Il en va de même pour le biogaz, mais les paysans ne veulent pas travailler pour le roi de Prusse...

Il ressort du débat public que l'articulation entre la politique d'État et les politiques des territoires n'est pas satisfaisante. Entre la PPE, la SNBC, les Sraddet et les plans climat, on n'y comprend plus rien ! Les territoires ont l'impression que les politiques leur tombent dessus. L'appel des maires de toutes tendances pour qu'une partie de la taxe carbone revienne dans les territoires doit être entendu.

Il ne faut insulter ni le passé, en faisant table rase de notre patrimoine et de notre identité, ni le présent, ni l'avenir. On ne peut pas faire autrement que de tenir compte de l'inquiétude et de l'angoisse de nos concitoyens, à Fessenheim, à Cordemais. Les salariés ne comprennent pas : on les a mobilisés durant les Trente Glorieuses, et ce serait fini au nom d'une mode ? L'idée circule que la transition énergétique serait une affaire de « bobos » qui gaspillent l'argent public. Le sujet est politique !

Une politique qui serait menée avec une partie de la France contre une autre se trouverait rapidement compromise.

M. Hervé Maurey, président. - Le politiquement correct est largement apprécié dans cette enceinte !

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Merci de nous avoir ramenés à la réalité du terrain !

M. Pierre Louault. - On nous dit que le prix de revient de l'électricité est en baisse ; or les factures explosent. Par ailleurs, selon la Cour des comptes, 120 milliards d'euros ont été investis dans les énergies renouvelables jusqu'à présent sans beaucoup de résultats. Il faut donc contrôler ce prix de revient.

Pourquoi la production d'énergie éolienne est-elle plus chère en France qu'ailleurs, notamment en Angleterre ? Cela pose la question du bon usage des fonds publics. Doit-on continuer à faire de l'éolien là où le vent ne souffle pas ?

S'agissant de la biomasse et du bois utilisé comme combustible, il convient de préserver la qualité des sols. On veut une agriculture biologique, mais si l'on élimine toute la biomasse des sols, ceux-ci ne seront plus fertiles. Le bois serait mieux utilisé pour l'isolation des bâtiments. Il faut être pragmatique et pas seulement « bobo », et les milieux environnementaux doivent faire des choix.

Mme Angèle Préville. - Je déplore que la programmation pluriannuelle de l'énergie se fasse par décret. Il fallait un débat parlementaire, car nous devons être à la hauteur des enjeux de la transition énergétique et des crises climatiques, de plus en plus violentes.

Peut-être devrions-nous permettre à nos concitoyens de recourir à l'autoconsommation, pour charger de l'électricité ou recharger un téléphone, s'ils se retrouvent isolés à cause d'un phénomène climatique. La programmation pluriannuelle devrait prévoir l'articulation entre le développement de l'autoconsommation et celui des réseaux.

Pour ce qui concerne les prix des carburants, l'écologie punitive n'a pas lieu d'être ; nos concitoyens doivent pouvoir choisir entre différentes alternatives, ce qui n'est pas le cas. Comment auraient-ils une visibilité si les industriels n'en disposent pas ? Ils n'ont pas d'autre choix que les moteurs thermiques et subissent de plein fouet l'augmentation du prix des carburants, de 45 euros à plus de 70 euros pour le plein d'une petite voiture !

Quant au problème du nucléaire, on ne peut le détacher de celui de ses risques et de ses déchets.

L'hydroélectricité nous permettra de stocker de l'énergie, ce qui est très important. Il faut donc prévoir des installations hydroélectriques plus conséquentes.

On parle beaucoup de biogaz, mais bio ou pas, sa combustion produit le même volume de dioxyde de carbone. Il n'entre donc pas, selon moi, dans la stratégie bas carbone.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Existe-t-il des pays qui soient des modèles en matière de politique énergétique, et en particulier d'énergies renouvelables ?

M. Olivier Jacquin. - J'ai organisé à Nancy un débat sur la précarité énergétique dans l'habitat. La politique en la matière manque de lisibilité et de clarté et les acteurs sont multiples. Je note cependant que le dispositif « Habiter Mieux » de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) donne satisfaction.

Les dispositifs de crédits d'impôt ont une certaine efficacité, mais ils ne sont, par définition, pas accessibles aux personnes non imposables. Ne faudrait-il pas accélérer leur conversion en primes ? Quant aux aides à l'investissement pour le logement, elles ne fonctionnent pas en l'absence d'autofinancement. Si la fiscalité écologique n'est pas fléchée sur des actions de transition écologique, elle ne peut pas être acceptée. Qu'en pensez-vous, monsieur Boissier ?

Je salue la commission particulière du débat public, qui a organisé avec peu de moyens un débat d'une grande qualité. Monsieur Archimbaud, ne pensez-vous pas que les citoyens et les forces vives sont plus en avance que le monde politique sur ces questions ?

Il y a dans mon département deux entreprises qui tentent de passer du charbon aux énergies renouvelables, pour de très grosses puissances. Or ces industriels n'ont aucune visibilité et se débattent avec une complexité administrative et politique qu'ils ne maîtrisent pas. Ce n'est absolument pas satisfaisant.

M. Franck Montaugé. - Quel dispositif prévoit la loi pour suivre, de façon périodique et indépendamment des acteurs concernés, l'efficacité de la PPE ?

On parle beaucoup de création d'emplois, moins de ceux qui seront détruits et des reconversions qui seront nécessaires. Des sites industriels seront fermés, d'autres ouvriront. Comment organiser cela de manière opérationnelle ? Le Parlement sera-t-il saisi de ces questions ?

Quels que soient les modes de production d'énergie, nous avons une vision partielle des choses. On ne peut parler de bilan écologique sans évoquer le bilan économique, social et environnemental. L'impact climatique est majeur, mais il y en a d'autres. Par exemple, a-t-on examiné tous les aspects de la filière des véhicules électriques ?

Vous avez évoqué, monsieur Séjourné, la dimension stratégique des stockages de gaz souterrains. Comment garantir l'intérêt général national dans le cadre d'une entreprise, Engie, dont l'État s'est quasiment retiré ?

M. Ronan Dantec. - On oublie que lors du débat sur la loi TECV, il a été difficile d'obtenir une PPE sur dix ans : nous l'avons obtenue à la toute fin de l'examen du texte ... Une partie de la technostructure ne voulait pas d'une PPE « 5+5 », qui supposait un débat politique, alors que les grandes décisions se prenaient jusqu'alors en vase clos... J'ai tendance à penser qu'on y revient. La PPE qui se profile ne sera probablement pas décidée avec l'ensemble des forces vives de la nation ; elle sera surdéterminée par la survie d'une filière nucléaire en grand péril au niveau international. Je crains que de nombreuses forces économiques et sociétales s'opposent à cette PPE, et notamment à la hausse de la contribution carbone, en l'absence de narratif. Mais un miracle est toujours possible !

Hervé Maurey n'a pas eu de réponse sur le combustible MOX ; nous n'en avons pas eu non plus sur l'équilibre entre les investissements affichés d'EDF dans les énergies renouvelables et ceux dans la filière nucléaire. La France est pour la première fois dans une situation où les grands acteurs de l'énergie, qui sont de niveau mondial - EDF, Engie, Total et les acteurs du renouvelable - se trouvent dans une stratégie d'affrontement. C'est cela qui se profile avec l'absence d'arbitrage, et tous n'y survivront pas.

La PPE est-elle compatible avec les autres PPE européennes ? Par exemple, si nous prévoyons d'exporter massivement de l'électricité mais que les autres pays ont le même objectif, le mégawattheure sera à 10 euros, et il n'y aura pas beaucoup de survivants. J'ai le sentiment que la PPE est centrée sur la France et ne prend pas assez en compte les grandes évolutions mondiales - lisez le rapport de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), rendant compte du développement exceptionnel du photovoltaïque, qui ne coûte plus que 27 euros le mégawattheure en Chine, contre 105 euros pour l'EPR britannique !

M. Pierre Cuypers. - Les députés, suivant l'avis du Gouvernement, ont maintenu l'avantage fiscal à l'importation d'huile de palme au motif de la conservation des 350 emplois de la raffinerie de la Mède ; or, dans la filière agro-énergétique, ce sont des milliers d'emplois qui seront détruits à cause de cette décision. Des années d'efforts, d'investissements et de prises de risques tomberont à l'eau, des débouchés de l'agriculture disparaîtront. Monsieur Bal, comment évaluez-vous l'impact économique et climatique de cette filière ? EDF dit être enraciné dans le territoire. S'il y a une activité enracinée, c'est bien l'agriculture, et c'est elle qu'il faut protéger.

M. Alain Fouché. - Je connais un peu la question nucléaire, habitant près de la centrale de Civaux et ayant été l'interlocuteur d'EDF sur ce sujet pour le compte du département. Pour moi, c'est l'énergie la plus propre qui existe. Le précédent gouvernement n'a pas pu démanteler Fessenheim. Cette PPE prévoit plusieurs fermetures. EDF sera-t-il capable de les mener à bien ? Cela demande beaucoup d'argent et des reclassements de personnel.

Une chose qui me navre, c'est que tous les matériaux nécessaires au photovoltaïque viennent de Chine. Quant à l'éolien, il provoque une anarchie incroyable. J'ai confiance dans les grandes sociétés comme EDF ou Engie ; mais beaucoup de petites entreprises, souvent étrangères, viennent démarcher les maires et les propriétaires pour « faire du pognon », pour vous citer, et on saccage le paysage français. Dans la Vienne, la préfète refuse de faire un plan départemental. Le plan régional ne fonctionne pas. On en construit partout ; il faut arrêter cela ! Quelle solution proposez-vous pour arrêter ce saccage d'un des plus beaux pays du monde, qui attire tant de touristes ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Un point déterminant a été souligné par MM. Archimbaud et Courteau : l'impérieuse nécessité d'une transition énergétique qui soit socialement inclusive. Avez-vous des chiffres sur le volume de l'autoconsommation ? Les mesures d'il y a deux ans ont-elles porté leurs fruits ? Enfin, la filière forêt-bois a le double avantage de capter 30 % des émissions de CO2 et d'apporter des solutions en termes d'énergies renouvelables par la combustion de ses déchets. L'Ademe a-t-elle des dispositifs pour soutenir cette filière ? Y a-t-il des dispositions en vue pour faire bénéficier cette filière des crédits carbone ?

M. Benoît Huré. - Est-il envisageable à moyen ou long terme d'avoir une part prépondérante de biogaz circulant dans nos réseaux ? On a rarement connu une telle conjonction de facteurs nécessitant le développement de retenues collinaires, afin de traiter les excès de pluviométrie et de servir de chasse d'eau dans les fleuves ou pour l'irrigation.

M. Martial Bourquin. - Je souhaite alerter sur ce qui est en train de se mettre en place : une écologie punitive qui réduit considérablement la capacité de déplacement des Français, et en particulier les moins favorisés. La loi Pacte prévoit 20 milliards d'euros de privatisations. Le produit des hausses des taxes sur les carburants ne sont pas réinjectés dans une politique énergétique digne de ce nom. Les communes et les agglomérations font déjà du transport collectif en site propre, du tram, du transport à la demande dans les collectivités rurales ; elles ne pourront guère faire plus. Le produit des taxes doit être redistribué pour soutenir des carburants non polluants, mais aussi des stratégies de transports.

Concernant l'hydroélectricité, attention à bien prendre en compte les capacités en eau potable. Dans l'Est de la France, les agriculteurs connaissent un véritable drame, et de nombreux villages sont alimentés par des citernes.

Je me pose enfin beaucoup de questions sur les filières industrielles. Alstom, General Electric perdent beaucoup d'emplois. Le Gouvernement a-t-il une politique de soutien à l'innovation dans ces filières ?

M. Joël Bigot. - Les propriétaires d'une voiture diesel et d'une chaudière fioul sont soumis à la double peine, et le chèque énergie de quelques 200 euros pour les ménages modestes ne suffit pas. Avec cette version punitive de la fiscalité écologique, la population ne sera pas convaincue et la transition énergétique risque de n'être qu'un coup d'épée dans l'eau. Seuls 10 milliards sur 55 milliards d'euros de taxes y sont affectés : c'est insuffisant !

On parle de fin des énergies fossiles en 2040. Dispose-t-on d'une étude sur le remplacement par les énergies renouvelables ? Des aspects économiques, sociaux et environnementaux n'ont pas été pris en compte.

M. Marc Bussieras. - J'ai frémi en entendant que le prix de l'électricité explosait. Si le prix augmente un peu plus vite que l'inflation ces dernières années, ce n'est pas vrai sur une longue période. L'électricité est 40 % plus chère en Europe, 70 à 90 % plus chère chez notre grand voisin de l'Est. Le pouvoir d'achat des ménages et la compétitivité des entreprises demeurent un guide obsessionnel pour nous.

Quels pays prendre comme modèle ? En Europe, si l'on compare les émissions de gaz à effet de serre par habitant, elles étaient beaucoup moins importantes en France en 2000, et elles ont baissé plus vite que la moyenne européenne. Notre grand voisin de l'Est a eu la trajectoire inverse : il émettait beaucoup plus et il progresse bien moins vite. Parmi les belles trajectoires de ces dernières années, on peut citer le Royaume-Uni, grâce à un système de pilotage intéressant - nous en sommes aujourd'hui proches avec la Stratégie nationale bas carbone et la PPE -, et à un reporting annuel vers le Parlement. Peu de pays arrivent ainsi à combiner une vision de long terme et des étapes à 5 et à 10 ans. Or ce sont des mécaniques indispensables pour piloter une transition qui interpelle tous les acteurs de l'économie.

Les réacteurs à eau pressurisée sont plus faciles à déconstruire que ceux de première génération. Cela a déjà été fait aux États-Unis. Les actifs dédiés sont constitués - les politiques ont toujours été très vigilants sur ce point. Les dizaines de milliards d'euros sont mis de côté. Nos investissements dans les secteurs nucléaire et renouvelable sont comparables, avec environ 2 milliards d'euros chaque année.

M. Fabrice Boissier. - Le système d'accompagnement de la sortie de la précarité énergétique est effectivement peu lisible. Il faut mettre en place un réel service public de l'efficacité énergétique organisé par les collectivités, financé par celles-ci et l'Ademe. Nous avons lancé il y a quelques mois la grande campagne nationale « Faire », pour « Faciliter, accompagner et informer pour la rénovation énergétique ». Ce label sera utilisable par l'ensemble des acteurs, publics ou privés, pour afficher qu'il y a un grand plan national. L'Agence nationale de l'habitat (Anah) est chargée de lutter contre la précarité énergétique avec le programme Habiter Mieux, qui n'est certes pas encore assez visible. Mais j'ai confiance, cela devrait s'améliorer. Le frein est en général l'absence de disponibilité de financement ; il faut donc des dispositifs de tiers financement. Des expériences ont été tentées dans certaines régions, mais cela reste balbutiant. C'est l'un des chantiers à mener dans le plan de rénovation.

Il faut une vision globale des filières de biomasse, laquelle peut être utilisée pour se nourrir, pour le bois d'oeuvre, le bois énergie, le biogaz... Nous avons des marges de manoeuvre pour la forêt, qui est sous-exploitée, c'est vrai. Le parc privé est laissé à l'abandon. La captation du carbone ne se fait pas parce que les forêts ne sont pas entretenues. Avec une logique d'exploitation raisonnée, on peut augmenter la biodiversité, et développer une filière bois construction et bois d'oeuvre. Actuellement, le bois part avec ses déchets vers les pays de l'Est et on ne peut pas les valoriser.

Monsieur Jacquin, le Fonds chaleur de l'Ademe est là pour accompagner les projets de biomasse, mais - bizarrerie administrative - pas les projets de cogénération retenus par la Commission de régulation de l'énergie (CRE).

L'Ademe a fait une étude avec GRDF et GRTGaz sur la part de biogaz transportable : nous pourrions arriver à 100 % à horizon lointain, la consommation ayant réduit - mais cela aurait un coût important. Le biogaz représente actuellement 1 % de la consommation de gaz, nous pouvons atteindre 30 % en 2030. Il faudra cependant accompagner le développement d'une vraie filière industrielle pour baisser les coûts de la méthanisation.

Il y a une politique publique pour soutenir l'innovation dans ce domaine : les investissements d'avenir. Mais nous avons du mal à transformer les innovations françaises en succès commerciaux. Les premiers parcs pilotes pour les éoliennes flottantes doivent pouvoir être transformés en parcs commerciaux.

L'Ademe soutient une seconde période de CEE. Il y a des progrès à faire pour en améliorer la robustesse, mais ce dispositif permet, à moindre coût pour la puissance publique, d'aller chercher les meilleurs gisements d'efficacité énergétique.

M. Jean-Louis Bal. - Monsieur Chevrollier, nous sommes évidemment ouverts à une commission d'enquête sur le prix des énergies renouvelables. Le rapport de la Cour des comptes auquel vous faites référence souligne que les coûts élevés font partie du passé. Dans l'éolien terrestre, le photovoltaïque, et bientôt dans l'éolien en mer, nous atteignons désormais des prix de 60 euros le mégawattheure.

Monsieur Louault, nous ne faisons pas de l'éolien là où il n'y a pas de vent. La subvention est fonction de la production : sans vent, il n'y a pas de profit.

Parmi les pays étrangers à considérer comme modèles, je citerai le Danemark ou le Portugal, l'Allemagne pour sa politique de développement des énergies renouvelables, le Royaume-Uni pour certaines filières, comme l'éolien en mer. Nous avons donc beaucoup d'enseignements à tirer. Il y a environ 30 000 autoconsommateurs en France - apparus depuis deux ans -, principalement des individuels, sauf trois ou quatre cas d'autoconsommation collective : le cadre réglementaire n'y incite pas tellement... Il y a peu de technologies aussi encadrées que l'éolien, avec les autorisations et les concertations obligatoires ; aussi je ne crois pas à un développement anarchique. Dans l'étude sur l'hypothèse de 100 % de biogaz, ce dernier est composé pour le tiers de biométhane, et pour le reste de gaz issu de pyrogazéification, soit de biomasse solide convertie en gaz, ce qui concurrencera les autres utilisations du bois énergie, et du power to gas, soit la transformation d'électricité en hydrogène puis en méthane par méthanation.

M. Jean-Baptiste Séjourné. - Concernant le pilotage de la filière industrielle, un comité stratégique de filière a été mis en place au Conseil national de l'industrie, dénommé « Industrie des nouveaux systèmes énergétiques », dont la présidente est Isabelle Kocher et la vice-présidente Sylvie Jehanno, qui se focalise sur la maximisation des retombées économiques sur le territoire national. Il a identifié comme priorités le développement des énergies renouvelables, l'efficacité énergétique, le stockage d'énergie ou les microgrids... Cette nouvelle dimension est maintenant prise en compte.

La loi hydrocarbures a régulé le stockage du gaz, assuré par deux acteurs, dont une filiale d'Engie, Storengy, sous le contrôle de la CRE. La PPE a un rôle très important : le décret délimitera le périmètre des stockages de gaz pour dix ans. La position d'Engie, eu égard au rôle crucial de ce stockage pour la sécurité de l'approvisionnement - sur les 630 gigawatts nécessaires en période de pointe, le gaz en assure 130 - est de recommander le maintien du périmètre. La loi Pacte prévoira les dispositions devenues nécessaires avec l'évolution du capital d'Engie.

Le verdissement du gaz peut se faire via différentes technologies : la méthanisation, technologie mature dont les retombées industrielles peuvent être captées maintenant ; la pyrogazéification, qui en est au stade de démonstrateur mais sera exploitable d'ici trois à cinq ans ; le power to gas, exploitable à moyen ou long terme, qui transforme l'électricité superflue en hydrogène, puis en méthane.

Les 30 000 autoconsommateurs français doivent être comparés avec les 400 000 recensés en Belgique. Nous sommes très en retard sur l'autoconsommation individuelle et nous n'avons pas démarré l'autoconsommation collective. Or c'est une dynamique mondiale, avec des solutions exportables. Il est préoccupant de ne pas pouvoir tester des business models en France. La PPE peut permettre d'acquérir une dynamique sur ce sujet.

M. Jacques Archimbaud. - Concernant le suivi de la PPE, il faudrait mettre en place des dispositifs plus légers qu'actuellement, sur les coûts, l'emploi, la recherche et la cohérence des programmations - actuellement, on fait un plan sur ceci, un plan sur cela, bref « plan, plan et rantanplan... » Il n'est pas normal que les indicateurs ne soient pas partagés. Les coûts annoncés pour le nucléaire et le renouvelable, concernant l'intégration des coûts de réseaux dans les coûts globaux ou les effets de systèmes, vont du simple au double, au triple, au quadruple... Ce n'est pas le cas dans d'autres domaines, comme les déchets, où l'on dispose de fourchettes qui font consensus.

Le débat public a montré que nos concitoyens faisaient preuve de beaucoup de sagesse sur ces questions, avec le souhait d'un compromis énergétique qui « ne mette pas tous les oeufs dans le même panier » et tienne compte de la rationalité économique, de l'impact social, environnemental, mais aussi des effets démocratiques.

Pour paraphraser encore le général de Gaulle, qui se plaignait de la difficulté à gouverner un pays comptant plus de trois cents sortes de fromage, on ne fera pas une transition avec une moitié du pays contre l'autre. Il n'est pas possible de faire table rase du passé - un service public de l'énergie, des gens mobilisés pour une certaine production. Pour le présent, c'est pareil, il faut voir les drames humains que cela pourrait occasionner. Il faut non pas insulter l'avenir - cela ne fonctionnera pas comme avant -, mais s'adapter aux incertitudes. L'objectif est d'arriver à un compromis acceptable : les antinucléaires ne seront pas contents, les pro-nucléaires fanatiques non plus. Sans faire l'éloge du « en même temps », je conclurai sur la nécessité d'éviter des politiques qui divisent, déchirent et pratiquent le stop and go, car il faut un minimum de stabilité.

Dernier enseignement du débat public : il ne faut pas s'enfermer sur un seul scénario, la PPE doit laisser ouvertes plusieurs possibilités.

Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Merci à tous. C'était un débat de spécialistes, mais nous devons penser toujours à nos concitoyens et à l'acceptabilité des choix énergétiques.

M. Hervé Maurey, président. - Merci pour cette matinée très riche. Nous poursuivrons ces débats lors d'une nouvelle table ronde le 7 novembre sur le financement de la transition énergétique.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11h50.