Mercredi 30 janvier 2019

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Audition de M. Philippe Varin, président de France Industrie

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous accueillons M. Philippe Varin, président de France Industrie. Monsieur le président, il y a tout juste un an, notre mission commune d'information sur Alstom vous recevait alors que venait de voir le jour France Industrie, issue du rapprochement du Cercle de l'industrie et du Groupement des fédérations industrielles. Je vous remercie d'avoir à nouveau accepté notre invitation, qui offre l'occasion de tirer un bilan de la première année d'existence de la nouvelle organisation.

Votre parcours personnel reflète la diversité de l'industrie française : vous êtes familier aussi bien des secteurs de l'aluminium, de la sidérurgie, du nucléaire, que, bien sûr, du secteur automobile. France Industrie, dont vous êtes le premier président, se veut la représentation unifiée de cette industrie française. Elle rassemble plus de 20 fédérations sectorielles et de nombreuses entreprises.

Au cours de l'année 2018, le Sénat a mené de nombreux travaux sur les sujets industriels. Nos collègues Alain Chatillon et Martial Bourquin ont présenté les conclusions de leur mission d'information sur Alstom et la stratégie industrielle. Une délégation de la commission s'est déplacée au Mondial de l'automobile. Le projet de loi Pacte sur la compétitivité des entreprises et la simplification, est actuellement en cours d'examen en séance publique. Vous avez largement participé à la réflexion.

Plus généralement, le travail sur la structuration des filières se poursuit, sous l'impulsion notamment du Conseil national de l'industrie, dont vous êtes le vice-président. L'Alliance Industrie du futur et la « French Fab » défendent, en France et à l'étranger, l'image d'une industrie modernisée. Les sujets industriels ont marqué l'actualité, dans certains cas avec une issue positive, comme pour l'aciérie Ascoval, que nous suivons avec attention, dans certains cas encore en suspens, comme pour l'usine Ford de Blanquefort - les dernières nouvelles nous parvenant à son sujet sont peu rassurantes...

L'année dernière, vous nous aviez déclaré : « L'industrie, c'est la croissance. » Notre réunion de ce jour sera l'occasion de dresser l'état des lieux de l'industrie en France. Dans un environnement européen et mondial compétitif, quels sont les atouts de nos entreprises, quels gisements de performance identifiez-vous ? Nous avions abordé la question du coût du travail, mais aussi des impôts de production. Comment vos adhérents jugent-ils la fiscalité des entreprises ?

Les chefs d'entreprise déplorent souvent l'image dégradée de l'industrie, qui nuit au recrutement, alors que des emplois qualifiés ne sont pas pourvus. L'effort de transformation de l'outil industriel semble pourtant bien engagé, sous l'impulsion notamment de mesures fiscales encourageant l'investissement et l'« industrie du futur ». Quelles actions France Industrie mène-t-elle auprès des entreprises, auprès du Gouvernement, mais également auprès du grand public, afin de promouvoir l'image d'une industrie modernisée et attractive ?

Enfin, en lien avec nos travaux sur le projet de loi de finances et le projet de loi Pacte, quel regard vous portez-vous sur les évolutions actuelles du service public de soutien à l'export et sur la réorganisation du réseau consulaire - sujet inépuisable ?

M. Philippe Varin, président de France Industrie. - Le Sénat est un grand soutien à la stratégie de reconquête industrielle. Vous avez reconnu depuis 1980 la perte de cet acteur important de l'économie française et accompagné des évolutions telles que la digitalisation ou une transition énergétique non pénalisante, par l'adoption de dispositions légales et par vos rapports d'information.

Cette audition est une occasion de consolider les relations entre le Sénat et l'industrie et vous faire partager les points de vue de France Industrie et du Conseil national de l'industrie, dont je suis vice-président, et qui pilote à présent les relations entre l'État et les dix-huit filières industrielles créées ou recréées - dix contrats de filière sont signés à ce jour, ils visent à améliorer le fonctionnement de l'équipe de France de l'industrie.

En 2018, la croissance reste positive mais moindre qu'en 2017, et fragile. La compétitivité-coût et la montée en gamme doivent rester des priorités. La production manufacturière a augmenté de 2,5% en 2017, après un déclin de 10% en dix ans. En 2018, la performance est moins bonne, autour de 0,6% avec une croissance négative à la fin de l'année - et le début d'année 2019 ne sera guère fracassant...

Le solde des créations de sites industriels était de 16 en 2017 ; il sera encore (légèrement) positif en 2018 ; Mercedes localise en France une production de véhicules électriques, AstraZeneca installe à Dunkerque un nouveau site. L'attractivité, mesurée par exemple par Ernst & Young, montre une remontée en flèche de la France en 2017. On l'a vu lors de la nouvelle session de Choose France à Versailles. Il y a aussi un effet relatif d'attractivité de notre pays par rapport à nos voisins : souhaitons qu'il se vérifie aussi en 2018.

Pour des créations brutes d'emplois de 250 000 par an, le solde net a été de 150 000 en 2017, il sera compris entre 0 et 5 000 en 2018. Le déficit de la balance commerciale fin 2018 s'établit à un niveau voisin de 2017, 64 milliards d'euros, un chiffre extrêmement mauvais. Je crois néanmoins que nous aurons une bonne surprise sur la balance commerciale hors énergie, dont le solde va sans doute s'améliorer significativement.

La part des exportations françaises dans le total de l'Union européenne a baissé en dix ans de 17 % à 11,7 %, niveau de 2017, sans doute 11,6 % en 2018. Nous ne regagnons pas de terrain en valeur relative, la marge de nos entreprises industrielles est en décalage par rapport à celle de nos voisins. Si le déclin est enrayé, la situation reste donc fragile, la compétitivité demeurant prioritaire.

France Industrie, le Conseil national de l'industrie et l'État ont fixé cinq priorités : compétitivité-coût, compétitivité hors coûts (c'est-à-dire montée en gamme, innovation et numérique), compétences, attractivité de l'industrie auprès des Français (des jeunes en particulier) et l'Europe.

Il n'y a pas eu de changement majeur en 2018 sur la compétitivité-coût. Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) a été transformé en baisse de charges pérenne, comme nous le souhaitions, mais l'avantage est passé de 7 % à 6 % et il est désormais fiscalisé : les entreprises y perdent un peu mais le dispositif est ancré dans la durée. Cela ne représente pas, comme on l'a entendu dans certaines sphères gouvernementales, un « cadeau de 20 milliards d'euros » aux entreprises sur l'année, c'est un pur effet de trésorerie. La fiscalité de production représente en France 80 milliards d'euros, soit un écart de 70 milliards d'euros avec l'Allemagne - dont un écart de 17 milliards pour la seule industrie. Un boulet, qui nous empêche de courir aussi vite que nos concurrents ! Ce prélèvement avant résultat, appliqué quel que soit le bénéfice, est toxique pour l'industrie. Il pénalise ceux qui investissent. Ce point n'est pas traité actuellement. La baisse des charges sur les salaires les plus élevés, au-delà de 2,5 smic (le rapport Gallois préconisait d'aller à 3,5 smic) reste à traiter. On parle beaucoup de la fiscalité environnementale, et de la vitesse de la transition énergétique : nous n'avons pas de gilets jaunes dans l'industrie, mais le problème de la taxe carbone se pose aussi pour nous, car celle-ci contribue à dégrader une situation qui, déjà, n'est pas brillante. Nous défendons une certaine neutralité : si la fiscalité environnementale augmente, il faudra diminuer un autre prélèvement, sinon, cela ne se passera pas très bien. Depuis dix ans, la désertification industrielle se poursuit...

Conséquence de tout ce que je viens d'évoquer, les prélèvements obligatoires sur les entreprises ne diminueront pas en 2019, ils augmenteront de 1 à 2 milliards d'euros. Le Gouvernement a certes fait des efforts sur la fiscalité en général, sur l'IS, la transformation de l'ISF en IFII, mais il reste un angle mort... Le CNI partage, dans le rapport Dubief-Le Pape, le diagnostic de l'État. Nous comprenons la contrainte budgétaire, mais souhaiterions connaître la trajectoire de baisse prévue par l'État.

La compétitivité hors coût fait l'objet d'une action conjuguée de l'État et des dix-huit filières. L'industrie, avec le parrainage du CNI, s'est regroupée en filières, que nous imaginions initialement moins nombreuses... mais il y a eu des volontaires ! Aéronautique, navale, ferroviaire, automobile, nucléaire, chimique, santé, agroalimentaire, mode et luxe, nouveaux systèmes énergétiques, eau, valorisation des déchets, construction, mines et métaux, électronique, bois,... Les grandes entreprises, les ETI et les PME travaillent ensemble sur des projets collectifs, sur le numérique, la recherche développement, les compétences, le développement international ou l'accélération de l'industrie du futur. Une bonne dynamique est enclenchée, qui débouche sur des contrats stratégiques de filière avec l'État - documents qui ne sont pas des monuments de poésie, mais sont axés sur l'action, ils comprennent les engagements pris par les entreprises et l'État, et désignent les chefs de projets. Développer les véhicules électriques, par exemple, exige de multiplier les bornes de recharge : il faut des engagements croisés. Près de dix contrats ont été signés, je l'ai dit. Ce sont des outils de fonctionnement collectif efficaces, qui doivent dans certains cas être préférés à des règlementations, les deux ne sont du reste pas incompatibles.

L'innovation est une priorité. L'effort de la France en R&D, 2,2 % du PIB, est dans la moyenne européenne, mais n'est pas excellent. Une cinquantaine de projets collectifs sont inscrits dans les contrats de filière, batteries, voitures autonomes, avion du futur, nouveaux réacteurs nucléaires, chimie verte, l'isolation thermique des bâtiments, internet des objets,... : ce sont des projets concrets, qui nous aideront à articuler les choix des chaînes de valeur stratégiques au niveau européen. Les pôles de compétitivité sont en cours de réforme, 400 millions d'euros du Programme d'investissements d'avenir (PIA) y étant consacrés. Il importe qu'ils soient bien connectés avec les filières.

Quant à l'innovation de rupture, les projets en la matière ne sont pas suffisamment nombreux, en comparaison de ce qu'ils sont notamment aux États-Unis. Le soutien aux start-up est efficace. Le Fonds pour l'innovation consacre à l'innovation de rupture une partie de ses ressources - les 250 à 300 millions d'euros de rendement que produiront les 10 milliards d'euros d'actifs publics apportés en dotation. Une dynamique intéressante est lancée. Le nombre de projets collectifs qui atteindront une dimension européenne ou qui réaliseront des innovations de rupture augmente, mais il reste à mieux articuler recherches publique et privée.

La France recèle beaucoup de compétences dans beaucoup de start-up du numérique, mais elle se place encore au dix-huitième rang européen pour la pénétration du numérique dans l'industrie. Le taux est de 20 % dans les PME et les ETI : seulement une entreprise sur cinq a réellement commencé à modifier son business model. L'État mène une action conjuguée avec les dix-huit filières. En ce qui concerne les PME et ETI, Alliance Industrie du futur accompagne 5 000 entreprises, qui devraient être rejointes par 10 000 autres sur 2018 et 2019, sur un total de 25 000. Les centres techniques de l'industrie doivent être réorientés afin d'assurer l'accompagnement et le soutien aux entreprises dans le numérique ; il est important de veiller à une bonne articulation avec l'action des régions dans les territoires.

Autre objectif, il est important dans une filière de bien connaître son environnement numérique, son écosystème. L'aéronautique a choisi Dassault Systèmes pour sa plateforme numérique. Les dix-huit filières françaises correspondent à dix-huit environnements informatiques, numériques ; elles n'ont pas les mêmes besoins, bien sûr. Les filiales de transport, dans la supply chain, ont besoin d'échanger des informations, dans l'alimentaire c'est la traçabilité qui importe, la santé a besoin des data. Mais dans tous les cas, les problématiques d'échange des données sont importantes. Or ces environnements sont à concevoir, il n'y a pas de génération spontanée ! Les grandes entreprises jouent un rôle clé. Sur les dix-huit filières, la démarche est bien avancée dans quatre ou cinq. France Industrie veut avancer.

L'État, avec votre soutien actif, a pris une très bonne mesure de sur-amortissement, avec une déduction fiscale de 40 % sur les investissements numériques, pendant deux ans. C'est un signal très favorable !En matière d'infrastructures, l'État a un rôle important à jouer sur la 5G, sur la normalisation européenne. Nous avons créé le CNI numérique pour coordonner les actions entre l'État, les régions, les filières et Alliance Industrie du futur. La dynamique est renforcée.

Autre priorité, les compétences. La loi sur la formation professionnelle et l'apprentissage est bienvenue. Le paradoxe français n'est pas supportable : les capacités de production sont utilisées à 85 %, il y a 2,5 millions de chômeurs, et 40 % des chefs d'entreprise ont des difficultés pour recruter. Les compétences, mais aussi l'appétence, sont des causes évidentes.

La majorité des filières se sont lancées dans des « engagements de développement des emplois et des compétences » (EDEC), pour évaluer les besoins et les ressources par métier, et pour simplifier les métiers. Nous avons créé un opérateur de compétences (OPCO), pour piloter la formation. Un seul OPCO pour l'industrie, plutôt que douze, c'est une grande simplification ! Et avec le nouveau crédit formation, la Caisse des dépôts et consignations travaille à un outil digital à disposition de tout le monde ; nous voudrions y associer un « trip advisor des métiers » pour évaluer et répertorier les métiers.

Les jeunes semblent s'orienter de plus en plus volontiers vers les filières professionnelles, puisque l'on notait une progression de 6 % en juin 2018, par rapport à l'année précédente ; mais il reste un travail à faire sur l'ensemble des centres de formation des apprentis (CFA). Les entreprises membres de l'Union des industries des métiers de la métallurgie se sont engagées à embaucher 40 % d'apprentis en plus sur cinq ans.

Le baromètre de l'attractivité de la France sur la scène internationale montre une nette amélioration, nous en sommes satisfaits : nous serions heureux que les jeunes soient pareillement attirés par l'industrie ! L'Usine extraordinaire installée au Grand Palais en novembre dernier a reçu 15 000 jeunes par jour, qui ont pu avoir des échanges avec les opérateurs des équipements exposés ; ce fut une énorme réussite. Il est fondamental de prendre en main le marketing de l'industrie. Du 18 au 24 mars prochain aura lieu la Semaine de l'industrie, nous voulons passer de 300 000 visiteurs l'an dernier à 1 million cette année, car de telles opérations changent la vision qu'ils ont de nos secteurs. Je veux citer également le salon Global Industrie à Lyon, du 5 au 8 mars ; et le 15 janvier dernier a été lancé le French Fab Tour - la caravane circulera dans des territoires faiblement industrialisés, dans une démarche de proximité.

Les territoires ont un rôle de plus en plus clair et efficace dans le développement de l'industrie. C'est à l'État de mettre en place les fondations macroéconomiques de la réindustrialisation ; à l'industrie d'adopter un fonctionnement collectif ; aux territoires, de faire émerger des champions locaux, avec les outils que sont la numérisation, les compétences et les infrastructures. L'initiative de l'État pour créer 124 territoires d'industrie - elle peut encore évoluer, des ajustements restent possibles - vise à donner la priorité aux territoires sur les infrastructures - suivi, veille pour faire évoluer la réglementation, etc. C'est une bonne initiative ! Ce qui a été fait entre l'État, France Industrie et le CNI doit être reproduit au niveau des régions .

Notre industrie a besoin de plus d'Europe. L'Europe a besoin de plus d'industrie. Malgré ses 36 millions de salariés, la part de l'industrie dans le PIB européen a reculé de 23 % à 19 % en quinze ans (et 12,4 % en France). France Industrie et ses homologues allemand, italien, espagnol, polonais et autrichien ont élaboré un document avec des propositions concernant les chaînes de valeur européennes et le rôle de l'Europe dans la transition climatique et écologique. Il s'agit d'identifier les chaînes sur lesquelles les règles traditionnelles de fonctionnement de l'Europe doivent être revues : on connaît l'exemple des batteries, des panneaux solaires ; on discute actuellement de la microélectronique, l'hydrogène, les batteries, la mobilité autonome, la fabrication additive, les biomatériaux. Six chaînes seront retenues. Nous souhaitons que le budget européen de recherche et développement, le programme H2020, (que nous voudrions voir porté à 120 milliards d'euros au lieu de 100) soit réellement focalisé sur ces priorités.

Il faut également veiller à la réciprocité dans les échanges commerciaux internationaux. Des réformes sont déjà intervenues contre le dumping, c'est positif, on l'a vu sur l'acier après les mesures du président Trump. Un filtrage des investissements, comme il se pratique aux États-Unis, et un dispositif européen cohérent avec ces chaînes de valeur, doivent être mis en place. Les efforts doivent porter sur la politique du commerce, mais aussi sur la politique de la concurrence, sujet d'actualité. Cette politique industrielle explicite sur certaines chaînes de valeur est une nouveauté et il reviendra à la nouvelle Commission européenne de les mettre en place - mais elles ont été précisément définies. L'Europe a un rôle clé aussi pour le pilotage de la transition numérique et écologique, pour favoriser des standards communs et une R&D efficace.

M. Alain Chatillon. - Monsieur Varin, vous nous avez soutenus, M. Bourquin et moi-même, lorsque nous travaillions sur la réindustrialisation. Nous avons présenté 45 mesures, un certain nombre d'entre elles ont été retenues. Nous, élus, devons-nous mobiliser pour nos entreprises et contre le déficit commercial. L'industrie n'a jamais été au coeur des préoccupations du peuple français, qui la voit surtout comme le moyen, pour quelques-uns, de gagner beaucoup d'argent. Il revient à l'enseignement de montrer qu'elle est un élément déterminant pour la transformation des produits, pour la sécurité, notamment alimentaire ! Lorsque j'étais représentant des syndicats professionnels auprès des autorités européennes, j'ai été surpris de constater que les fonctionnaires français en charge du suivi des produits agroalimentaires au niveau européen ne fréquentaient les instances concernées que du mardi au jeudi, ils ne se rendaient donc pas aux réunions du lundi après-midi ou du vendredi matin, et il fallait compter sur les filiales allemandes, britanniques, italiennes de nos entreprises pour être informés de ce qui s'y décidait... Les représentants des autres pays membres avaient l'obligation, chez eux, de rendre compte aux industriels, mais cela ne se faisait pas en France : surtout ne pas mélanger les genres ! Des politiques politiciens sur les listes électorales, c'est très bien, mais il nous faut aussi des gens familiers du monde de l'industrie, capables d'être présents où il faut quand il faut, et compétents.

Aujourd'hui, dans l'industrie française du plastique, quatre groupes sont menacés de fermeture dans les six mois. Il faut accompagner les transformations, nous avons un leadership par exemple sur les couteaux et fourchettes utilisés dans les avions, mais il existe des concurrents efficaces en Allemagne... Nous demandons un délai de deux ans, nous en discuterons cet après-midi, dans le cadre de l'examen de la loi Pacte. Il s'agit d'entreprises qui comptent autour de 500 emplois. Si nous disposions de représentants plus solides auprès des autorités européennes, ils pourraient accompagner notre démarche, ce n'est hélas pas le cas, à la différence des Allemands. Nous adoptons toujours de nouvelles lois plus strictes que la règlementation européenne, mais nous ne nous mobilisons pas suffisamment pour défendre nos entreprises... Nous ne pouvons laisser pas l'industrie s'effondrer dans le Loiret ou dans les Vosges !

M. Franck Montaugé. - Je me réjouis que notre pays, de gouvernement en gouvernement, reconsidère sa stratégie à l'égard de l'industrie, car nous ne vivons pas dans un monde post-industriel.

La démarche des « territoires d'industrie » laisse de côté des départements dont l'économie est fondée sur l'agriculture et l'agroalimentaire, où se posent des problèmes de transition ; des pans entiers de territoires où existent des entreprises souvent de haut niveau, intégrées dans un écosystème de sous-traitance, sont ainsi négligés, je songe au Gers et ses entreprises de l'aéronautique. Vous dites que la liste pourrait être complétée ; le Premier ministre et la ministre Mme Gourault le disent aussi. En l'état de cette carte, on peut craindre que les aides aux entreprises des territoires retenus induisent des effets de concurrence néfastes aux autres. Il y a un vrai souci d'équité, de performance de nos filières industrielles. Est-il pertinent de retenir un périmètre géographique ? Pourquoi ne pas plutôt se focaliser sur les entreprises à même de contribuer à la compétitivité de leurs filières ? La liste, au moins, est à compléter !

M. Laurent Duplomb. - 65 % de la production d'agroéquipement française, qui génère un chiffre d'affaire total de 5 milliards d'euros, est exporté, ce qui fait de la France le premier exportateur européen, le cinquième mondial. Les entreprises concernées innovent, elles consacrent 4,2 % de leur chiffre d'affaires à la recherche-développement. Les normes et règlements se multiplient, aux dépens de ces acteurs... Pourtant ces entreprises emploient 60 000 salariés ! Elles contribuent à la transition écologique, grâce au développement du numérique. Pour réduire drastiquement le recours aux produits phytosanitaires, il faut disposer de matériel autorisant des traitements très ciblés - un minimum de produit sur un minimum de surface. Cela exige beaucoup de R&D ! Quel regard portez-vous sur cette filière ? Comment le CNI peut-il l'aider à conserver son rang européen et mondial ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Je m'interroge sur les subventions de soutien aux exportations reçues par les entreprises membres de France Industrie. Bpifrance consent des financements sans garantie, des assurances pour la prospection, la couverture de change. Business France soutient également les exportations. Mais les petites entreprises qui appartiennent à votre fédération, et qui constituent 90 % du tissu industriel, font-elles appel à ces outils ? En sont-elles satisfaites ? Y a-t-il des failles, avez-vous identifié des améliorations possibles ?

Mme Françoise Férat. - L'espionnage, le pillage de nos technologies ont été bien mis en évidence par Wikileaks en 2015. Toutes les négociations commerciales portant sur des contrats de plus de 200 millions de dollars ont été interceptées par la National Security Agency (NSA). Est-ce de l'intox ?

Les transferts de technologie lors de la conclusion de contrats contribuent à la fuite de nos savoir-faire, de nos technologies, de nos emplois : TGV, Rafale,... La politique chinoise, « Made in China 2025 », a défini sept priorités sectorielles, robotique, aéronautique, véhicules à nouvelle énergie, etc. Quelle stratégie appliquons-nous, au niveau national et européen, pour assurer notre place face au rouleau compresseur chinois, qui est un concurrent particulier ?

Mme Sylviane Noël. - Les entreprises de la filière décolletage ont créé un consortium, Stradec. Avec la moindre utilisation des véhicules diesel, l'essor des nouvelles technologies, l'industrie du décolletage est de plus en plus tournée vers l'international : elle se porte bien et devrait voir son chiffre d'affaires mondial augmenter dans l'automobile jusqu'en 2030, malgré une conjoncture moins favorable aux véhicules thermiques. Ce partenariat vise à aller chercher des marchés partout dans le monde.

Les performances de la vallée de l'Arve, ses savoir-faire et son écosystème favorable ne sont plus à démontrer. L'industrie fera face aux changements et améliorera son rang mondial. Comment France Industrie envisage-t-elle de soutenir nos entreprises dans cette transition ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Je salue l'initiative « territoires d'industrie », mais je m'interroge sur la méthode : vous parlez de mobiliser l'ensemble des Français et des territoires, mais nous n'avons guère été mobilisés, ni même informés ! Les territoires retenus ont-ils été identifiés parce qu'ils sont déjà leaders ? Et les territoires dont le potentiel est en devenir ? Je regrette qu'il n'y ait ni pôle ni territoire d'industrie sur la filière bois, alors que la France est un grand pays forestier - nous avons la première ressource de Douglas en Europe, utilisée dans la chimie verte, la cellulose, les matériaux d'avenir. Il serait bon de ne pas se centrer uniquement sur la localisation mais privilégier les enjeux des filières, et les articuler avec les territoires dans une logique d'innovation.

Vous avez beaucoup évoqué l'industrie « 4.0 », l'automatisation, etc. Comment concilier cet enjeu d'innovation de rupture, donc l'employabilité de demain, et ces « territoires d'industrie » ?

M. Daniel Gremillet. - On parle beaucoup du couple formation-entreprise, vous l'avez-vous-même évoqué ; mais la situation continue à se dégrader. Il faudrait au demeurant y ajouter un troisième terme : la dimension territoriale. Les événements de la fin de l'année ont montré que pour la plupart de ceux qui travaillent en entreprise, en ville comme en zone rurale, le véhicule est indispensable. Cela entraîne des difficultés de recrutement.

Je souhaiterais également vous interroger sur les enjeux relatifs à l'usage du numérique dans la sécurité alimentaire, qui ne peuvent être portés au niveau exclusivement national. Quelle est la dimension européenne du sujet ?

Enfin, quelles sont les conséquences du Brexit pour le monde industriel ?

M. Marc Daunis. - Pensez-vous que les autorités françaises aient, sur les cinq à dix dernières années qui ont vu l'émergence de la FrenchTech, le lancement de différents plans industriels et la création des pôles de compétitivité, défini des orientations suffisamment claires et lisibles pour nos partenaires européens ?

Le Sénat a récemment publié un rapport sur les pôles de compétitivité, soulignant l'importance d'un maillage territorial pour éviter l'assèchement et les pertes de savoir-faire locaux. Avez-vous inclus le travail avec les régions dans votre stratégie ?

La normalisation volontaire est souvent citée comme un facteur important de compétitivité ; en 2016, Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, en soulignait le caractère stratégique. Une mission d'information conduite par notre collègue Élisabeth Lamure en montrait l'impact sur le chiffre d'affaires global et à l'export des entreprises, ainsi que sur l'excédent brut d'exploitation. Or vous ne l'avez pas évoquée. Quelle place donnez-vous à la normalisation volontaire dans les missions de votre organisme ?

M. Serge Babary. - Merci de la clarté de votre exposé, qui nous fait apprécier votre réflexion stratégique sur l'industrie française.

Les pôles de compétitivité, auxquels les collectivités territoriales sont attachées parce qu'elles y sont souvent impliquées, souffrent d'un excès de diversité. Peut-on imaginer une réorganisation en profondeur, un recentrage ? Quels seraient les critères à retenir pour faire émerger des pôles assez importants pour avoir une visibilité sinon mondiale, du moins européenne ?

M. Daniel Dubois. - Je m'associe aux remerciements : votre exposé était clair et précis. Vous avez peu abordé l'intelligence artificielle qui fait l'objet, à mon sens, d'un engagement insuffisant dans notre pays. Un retard important a été pris au niveau européen, faute de synergies et d'engagements.

Ne pensez-vous pas que l'Europe fait preuve d'une certaine naïveté dans la protection de ses industries face à la capacité juridique des États-Unis, qui se sont dotés de lois leur permettant de condamner des entreprises pour des faits commis en dehors de leur territoire ?

M. Joël Labbé. - Nous avons entendu la voix d'un grand patron représentant les grands patrons, dans un contexte économique ultralibéral et mondialisé qui ne nous convient pas. Je souhaite avoir votre sentiment sur les délocalisations : vous connaissez bien le sujet, vous qui êtes passé par le groupe PSA. Le phénomène de délocalisation perdure, en partie du fait d'une recherche de compétitivité de la part d'entreprises en très bonne santé économique. Un exemple : la société Bic Écriture qui délocalise sa production de Vannes vers la Tunisie et ose demander aux futurs licenciés de former le futur personnel tunisien ! C'est difficilement acceptable.

Citons aussi le vaste plan de délocalisation des centres d'appel d'Engie. Vous dites : « Osons remettre l'usine au milieu du village ». Or ces centres d'appel sont justement disséminés sur notre territoire et emploient du personnel très largement féminin. Nous demandons au moins la transparence : que le consommateur sache dans quel pays sont délocalisés les centres.

Mme Valérie Létard. - Merci pour cette présentation très claire du contexte actuel et futur, des ambitions que notre industrie doit avoir, avec nos savoir-faire et notre potentiel. Jean-Louis Borloo a coutume de présenter la France comme « le pays des arts et métiers ». C'est une richesse que nous sous-estimons.

Je m'interroge sur le lien entre le rôle de l'État stratège au niveau national et les territoires. Jeudi 1er février, la région Hauts-de-France votera le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) ainsi que le schéma régional des formations. Ne croyez-vous pas que des échanges seraient nécessaires plus en amont pour traiter, certes, du présent - comme la reprise de l'aciérie d'Ascoval - mais aussi anticiper l'avenir, à travers la formation ? Comment calibrer et cibler nos efforts ? Ainsi dans ma région, une université est axée sur les transports, en particulier le ferroviaire, autour duquel notre écosystème régional est structuré, et les mobilités de demain. Qu'adviendra-t-il de cette formation si l'État stratège, au niveau national, fait d'autres choix pour les transports ? Nous définissons ainsi, au niveau régional, un schéma territorial à vingt ans, dans un contexte de réduction des investissements publics : dans les Hauts-de-France, la suppression de lignes TGV et la subvention pour le canal Seine-Nord, devenue un prêt dont le remboursement sera financé par les habitants. Comment hiérarchiser les priorités pour permettre aux industries de se développer à la fois dans un contexte d'urgence et dans la recherche d'innovation ?

Mme Anne-Marie Bertrand. - Les chambres de commerce et d'industrie sont des acteurs économiques importants. Travaillez-vous avec elles, dans le cas contraire pour quelles raisons, et comment améliorer les échanges ?

Bien que les salaires dans l'industrie soient 12 % plus élevés que dans les services, il est difficile de recruter. Vous avez déjà partiellement répondu à cette question, et Marc Daunis m'a devancé sur la question de la normalisation volontaire.

M. Yves Bouloux. - Merci de la qualité de vos propos. Dans mon département, la ville de Châtellerault est le deuxième bassin industriel de la Nouvelle-Aquitaine. Il héberge des pépites, comme une unité de Thalès, mais aussi des industries vieillissantes, notamment deux entreprises qui ont beaucoup souffert du diesel bashing. L'une d'entre elles employait encore récemment 900 personnes. Quelle est l'approche de France Industrie sur les reconversions industrielles ?

M. Henri Cabanel. - Il y a quelques années, la commission des affaires économiques s'est déplacée sur le site d'Areva à Châlons-sur-Saône, dont le responsable nous avait fait part de ses difficultés à recruter des chaudronniers. Vous avez souligné ce paradoxe qui voit les entreprises peiner à recruter dans un contexte de chômage élevé, et votre volonté de passer de 300 000 à 1 million de visiteurs au cours de la Semaine de l'industrie. Pour cela, vous souhaitez travailler avec les territoires et notamment les présidents de région ; mais ne faudrait-il pas se rapprocher également de l'éducation nationale, pour mieux mettre en avant les métiers de l'industrie ?

M. Bernard Buis. - Comment améliorer le lien entre formation et entreprises et mieux anticiper ? La fibre optique se développe à grande vitesse en France, mais quand les entreprises s'installent dans un territoire, elles ont du mal à recruter des câbleurs et soudeurs. La semaine passée, j'ai assisté à l'inauguration d'un forum à Valence. Des entreprises s'étaient regroupées pour créer une formation à ces métiers mais, au bout de six mois, leur appel à candidatures avait reçu douze réponses, pour cinquante places...

M. Pierre Cuypers. - La compétitivité peut être entravée par les coûts de production, notamment sociaux, et par la sur-normalisation. Quelles sont vos propositions sur ces deux sujets ? Avez-vous inclus l'agro-industrie dans les dix-huit filières que vous avez évoquées ? Enfin, quel est votre point de vue sur la possible fermeture du site d'Arjowiggins en Seine-et-Marne ? C'est le seul producteur de papiers spéciaux, en particulier pour les cartes grises, en France.

M. Fabien Gay. - Quelle que soit notre diversité d'opinion dans cette commission, nous sommes tous attachés à l'industrie, pourvoyeuse d'emplois. Les cessions massives d'actifs prévues dans le projet de loi Pacte devraient alimenter un fonds dédié à l'innovation de rupture et au rattrapage de notre retard en robotique, en numérique, ou encore en intelligence artificielle. Nous sommes tous d'accord sur cet objectif, mais les 200 à 250 millions d'euros dont ce fonds devrait être doté répondront-ils à l'ensemble des défis, notamment la concurrence chinoise et américaine ?

Mme Marie-Christine Chauvin. - Dans le cadre de la réforme des lycées, certaines sections sont fermées, faute d'élèves. Ainsi, dans le Jura, la décision de fermeture d'une section du lycée du bois de Mouchard, qui de plus est qualifié de « lycée de brousse » par le rectorat, privera la filière bois de professionnels à l'avenir. Quels partenariats peuvent être envisagés pour maintenir ces formations ?

Mme Sophie Primas, présidente- Je vous remercie, chers collègues, pour vos questions. Vous aurez compris, monsieur Varin, que les interrogations sur le lien territorial sont fortes...

M. Philippe Varin. - Monsieur Chatillon, je tire deux conclusions du mouvement des gilets jaunes. D'abord, ils expriment une souffrance, même si les violences sont inacceptables. Je suis toutefois surpris de la sous-évaluation de la fragilité de notre situation économique et de la perception générale de l'industrie Le grand débat sera donc l'occasion de faire oeuvre de pédagogie sur ce sujet. La dette de la France approche des 100 % du PIB, la dépense publique atteint un niveau record. Cette incohérence entre notre modèle économique et notre modèle social se traduit par la désertification industrielle. Il faut expliquer comment l'industrie représente l'accès à l'export, donc un levier de croissance ; un levier d'inclusion des territoires, à travers la formation digitale et les compétences ; et un levier de sens, surtout pour la jeunesse une réponse aux défis sociétaux.

Les inégalités ne sont pas toujours verticales. Entre les 20 % les plus riches et les 20 % les moins aisés, le rapport de richesse passe de 8 à 4 après redistribution : sur ce plan, nous sommes plus proches de la Finlande et du Danemark que des États-Unis. En revanche, il y a une inégalité flagrante entre métropoles et territoires ruraux. Or l'industrie est un moteur de réinclusion, et un trait d'union entre les jeunes et leurs aînés : il faut remettre l'usine au milieu du village, l'industrie peut être une solution.

Deuxième message à faire passer : les industriels, comme les citoyens, ont une perception forte de l'urgence climatique et des nécessités de l'économie circulaire. En revanche, il peut y avoir débat sur la mise en oeuvre. J'ai évoqué la nécessaire baisse des prélèvements obligatoires. Le candidat Macron promettait 60 milliards d'euros d'économies sur la dépense publique. Les mesures contre le changement climatique coûtent 32 milliards d'euros par an, 50 milliards en élargissant le périmètre à des mesures comme le remplacement de chaudières. Si l'on ajoute à l'incohérence entre notre modèle économique et modèle social les coûts de la transition écologique accélérée, nous faisons face à un vrai problème macro-économique. Il faut donc procéder à un rythme approprié.

Ne confondons pas émissions de CO2 et empreinte CO2. Entre 1995 et 2015, la France a réduit ses émissions de 20 % ; en revanche, son empreinte carbone a augmenté de 11 % sur la même période. En effet, l'empreinte carbone inclut le carbone exporté : si nous faisons fabriquer un produit en Chine, davantage d'émissions seront produites, auxquelles il faut ajouter le carbone émis pour le transport. C'est une aberration. Il faut donc des indicateurs clairs et que les coûts de la transition soient évalués. Enfin, il ne faut pas oublier que nous ne représentons aujourd'hui que 1 % du monde. Nous ne pouvons pas tout faire seuls.

Vous m'avez ensuite interrogé sur les plastiques. Il est clair que, si on ne fait rien, il y aura en 2050 plus de plastique dans les océans que de poissons. Comment régler ce problème ? Je rappelle que, en France, aujourd'hui, on ne collecte que 35 % des plastiques, sachant en outre que notre système est très onéreux. Pour ma part, je suis convaincu que la mise en place des filières permettra de travailler de manière constructive, grâce aux contrats stratégiques de filière entre les industriels et l'État. Ces contrats permettent en effet de fixer des objectifs, qui sont suivis, sans forcément passer par de multiples réglementations.

Dans le cadre de la feuille de route de l'économie circulaire, vous aurez à transcrire la réglementation européenne. Il a été dit qu'il ne fallait pas faire de surtransposition. Alors, n'en faisons pas ! Il n'y a pas de raison que nous bannissions certains plastiques tout de suite alors que l'Allemagne dispose d'un délai de deux ans. Par ailleurs, si un certain nombre de responsabilités élargies du producteur sont valides, d'autres requièrent un travail de fond entre les industriels et l'État. Un tel travail permettrait aux filières de prendre des engagements volontaires, d'atteindre des objectifs tout en créant une offre française compétitive à l'échelon mondial et en créant de la richesse. Une REP ne permettra pas forcément tout cela. Je pense que les filières sont une manière concrète de régler un certain nombre de questions impératives, au bon tempo et à un coût approprié.

Permettez-moi maintenant de revenir un instant sur le Centre national de l'industrie et sur son fonctionnement puisque vous m'avez interrogé sur le matériel agricole. Le travail réalisé par le secteur du matériel agricole est remarquable - je pense aux équipements autonomes connectés. Bruno Grandjean, le président de l'Alliance Industrie du futur, m'a demandé plusieurs fois s'il était possible de créer une filière « Matériel agricole ». Nous sommes prêts à y réfléchir, j'attends juste que le secteur me fournisse un projet collectif. Cela étant dit, faut-il créer une filière spécifique ou rattacher ce secteur aux industries agroalimentaires ?

Pour répondre à la question de Marc Daunis, nous n'allons pas créer une commission pour la santé du futur alors qu'il existe une filière « Santé ». Nous avons décidé de nous organiser en dix-huit filières, qui seront présidées, et c'est un gros changement, par des industriels, tous des patrons. Une dynamique est à l'oeuvre, des objectifs clairs sont fixés. Seront-ils tenus ? Le diable est dans l'exécution. Si chaque filière se fixe quatre ou cinq grands objectifs, si l'état d'avancement est ensuite évalué par les industriels eux-mêmes, les problèmes seront pris en charge dès qu'ils apparaîtront. Ainsi, en matière de mobilité, va-t-on développer les bornes de recharge au rythme de développement des véhicules électriques ? Ce sujet est sur la table et on en discute. Je suis optimiste sur la dynamique et les échanges dans certains domaines, mais pas dans tous, je le dis franchement. Tout dépendra de la qualité de l'exécution.

Un certain nombre de questions m'ont été posées sur les territoires d'industrie. L'objectif est clairement de placer sous les projecteurs des territoires qui ne bénéficient pas forcément aujourd'hui des mêmes faveurs que les métropoles, qui n'ont pas la 5G par exemple. Il s'agit d'éviter les inégalités. Si la liste de ces territoires doit être ajustée, elle le sera.

Vous avez évoqué le lien avec les filières. Selon moi, le territoire dans lequel est implantée une société ne change pas grand-chose pour elle, car elle est déjà dans l'écosystème numérique. L'objectif des territoires d'industrie est de permettre l'analyse des indicateurs utilisés : la localisation, les taux d'emplois industriels. Si ces taux sont à la baisse, il faut dynamiser le territoire, s'ils sont à la hausse, il faut le soutenir, car cela signifie que c'est un territoire de grands développements. C'est Olivier Lluansi, délégué aux territoires d'industrie, qui s'occupe de ces questions.

Dans la filière « Bois », où a été signé l'un des premiers contrats stratégiques de filière, un certain nombre d'objectifs importants ont été fixés pour la partie en aval, notamment. Il existe deux pôles de compétitivité, l'un dans l'est, l'autre au sud. Il reste un peu de travail pour que tout fonctionne, mais je suis prêt à discuter de points particuliers concernant un territoire d'industrie. L'Office national des forêts n'est pas dans la filière « Bois », qui est une filière plutôt aval, mais nous ne réglerons pas ce sujet aujourd'hui.

M. Daunis m'a posé une question sur les liens entre les pôles de compétitivité et les territoires d'industrie. Une réflexion est en cours sur ce sujet. On dénombre aujourd'hui 75 pôles de compétitivité, ce qui est beaucoup. Leurs performances ne sont pas toutes de même niveau. Nos voisins allemands ont, eux, moins de plateformes, mais elles sont plus larges. Une mission a été confiée à Bruno Grandjean sur une possible réduction de leur nombre, l'idée étant de les regrouper, d'en avoir deux ou trois par région, sur la base de thématiques. Il s'agit non pas de créer des structures supplémentaires, mais de mieux faire travailler celles qui existent, en lien avec les régions, car il leur faudra choisir deux ou trois thématiques prioritaires. Ce travail est en cours, les choses devraient avancer au cours du premier semestre. À cet égard, vos suggestions sont intéressantes.

Je ferai maintenant un point général sur l'exportation, de nombreuses questions m'ayant été posées sur ce sujet. Une grande réforme est en cours. Ayant été pendant cinq ans le représentant spécial pour la diplomatie économique dans les pays de l'ASEAN, l'Association des nations du Sud-Est asiatique, j'ai un point de vue sur l'efficacité de notre dispositif d'exportation. Il suffit de se pencher sur notre balance commerciale pour s'apercevoir que nous ne sommes pas au top !

Nous faisons face à des problèmes structurels, que nous ne pourrons pas régler du jour au lendemain. Si nos entreprises ne sont pas compétitives, cela se voit à l'exportation. Par ailleurs, la France ne compte pas assez d'entreprises de taille intermédiaire - deux à trois fois moins que l'Allemagne. Cela étant dit, le travail qui est en cours sur la numérisation, et avec Bpifrance afin d'accompagner les entreprises dans leur accélération et de permettre l'ouverture à l'international me paraît aller dans le bon sens.

Notre dispositif d'exportation s'appuie sur deux volets, le premier étant financier. Personnellement, je pense qu'une PME qui souhaite aujourd'hui conquérir des marchés à l'étranger trouve des conditions de prêt tout à fait intéressantes, notamment auprès de Bpifrance. Ce sujet n'est donc pas majeur. Il comprend ensuite un dispositif de soutien physique d'accompagnement à l'export. Chaque filière compte désormais un référent international et est en train de revoir son plan d'action et de développement collectif. Les grands exportateurs n'ont pas de problèmes - je pense à l'aéronautique - ; en revanche, nous sommes en dessous de notre potentiel dans des secteurs comme l'alimentaire ou la santé. Les référents de ces filières ont donc un rôle très important à jouer. Toutes les entreprises liées à une filière - c'est le cas de 60 % des entreprises - peuvent s'inscrire dans une démarche collective. Pour promouvoir la marque France à l'étranger, il est utile d'être sous une seule bannière. On le voit avec les Italiens, qui sont très forts dans l'industrie alimentaire. Le secteur français, lui, est trop morcelé.

Parallèlement au travail des filières, l'État met en place un guichet unique au départ et un guichet unique à l'arrivée. Quand vous arrivez à Singapour, il n'est pas facile de savoir s'il faut s'adresser à la chambre de commerce, à Business France, sans compter les autres guichets de la région. Cette réforme, qui est en cours pays par pays, est en bonne voie. Par ailleurs, un portail numérique unitaire, ajusté région par région, est en cours de mise en place. Il permettra à toutes les entreprises de disposer d'informations sur les dispositifs de formation ou de soutien, ainsi que sur les normes des pays dans lesquels elles souhaitent se rendre. Tout ceci va dans la bonne direction, et nous suivrons tous ces dispositifs de très près sur le terrain.

Sylviane Noël a évoqué Stradec et les solutions d'accompagnement du secteur du décolletage. Ce qui est fait est remarquable. Le décolletage est une activité transversale, qui concerne plusieurs filières. Pour l'export, ce secteur doit s'allier soit à la filière automobile, soit à la filière aéronautique, en fonction des pays, pour compléter le dispositif que vous avez évoqué et le rendre encore plus efficace.

Je reviens un instant sur l'articulation entre l'État et le travail dans les territoires, à la suite des commentaires de Valérie Létard. Cette question est extrêmement importante à moyen terme. Je l'ai dit, l'État et l'industrie, via le CNI, ont mis en place une plateforme de discussion permanente sur les filières et sur les conditions macro-économiques de la compétitivité. Comme vous le voyez, nous ne sommes pas d'accord sur tout, mais nous avons le même langage. Je pense qu'une dynamique s'est instaurée. Nous rencontrons les présidents de région afin de traiter les questions au sein d'une instance de discussion. Trois sujets sont fréquemment abordés, à commencer par le numérique. La question est de savoir combien de PME on peut accompagner, et d'élaborer une cartographie. Ensuite, nous discutons des compétences, à partir des EDEC - les engagements de développement de l'emploi et des compétences - qui sont faits par filières et qui permettent de tirer des conclusions par région. Enfin, il y a des questions qui se posent à moyen terme. Les problèmes d'une filière apparaissent à l'échelon national. Prenons le cas de l'automobile, puisqu'il a été cité. Le diesel se réduit plus vite que prévu. Il faut dire qu'on a mis le paquet ! Les véhicules diesel sont en déclin, les véhicules électriques prendront le relais, mais, si l'on va trop vite, le risque est d'avoir un trou entre les deux et de devoir traiter un sujet social. Des mécanismes d'anticipation sont possibles. Nous pouvons ainsi analyser les risques et les opportunités dans les instances régionales que j'évoquais, avec les responsables de filières. Il y a donc un travail à faire, et je suis tout à fait prêt à parler de ce sujet, qui sera l'une de nos priorités en 2019.

Anne-Marie Bertrand m'a interrogé sur les CCI. À l'échelon national, les CCI ne sont pas au coeur de l'industrie, mais elles y sont connectées. Elles participeront ainsi à la Semaine de l'industrie. Elles jouent également un rôle important sur le portail que j'évoquais tout à l'heure. Enfin, elles ont mis en place Statexio, un programme d'accompagnement des entreprises à l'international. Nous travaillons en cohérence.

D'autres questions ont porté sur les transferts de technologie et l'espionnage. L'espionnage ou la cybersécurité sont des sujets majeurs. À cet égard, l'État a un rôle extrêmement important à jouer, et la France a des atouts. La dix-huitième filière que nous avons créée est d'ailleurs celle des industries de sécurité. Les transferts de technologie forcés, notamment vis-à-vis de la Chine, sont un sujet majeur des discussions au sein de l'OMC. Le multilatéralisme ne pourra continuer à vivre que si cette question est traitée, comme un certain nombre d'autres, mais ce n'est techniquement pas facile, car les entreprises ne déclarent pas aisément qu'elles ont été forcées, surtout dans le cadre de relations contractuelles. La Chine sera mise sous pression sur ce thème, je pense.

Concernant le Brexit, je n'ai pas de boule de cristal. Je suis comme vous un peu effrayé par les conséquences d'un hard Brexit. Il est clair que, dans ce cas, l'industrie française serait touchée. L'État fait un travail important pour se préparer à cette éventualité, un certain nombre de questions sont en cours de règlement. Les filières y travaillent également. Néanmoins, je rappelle que les ailes des Airbus sont faites à Chester ! Quant aux pièces des voitures, elles proviennent aujourd'hui de partout. Certaines filières, comme l'automobile ou l'aéronautique, mais pas uniquement, et certaines régions seraient donc touchées.

Monsieur Dubois, vous m'avez interrogé sur l'intelligence artificielle. Dans ce domaine, la France est clairement très bien placée. On peut discuter du fonds qui a été mis en place, de son ampleur, mais ce qu'il faut avoir en tête, ce sont les moyens aux États-Unis de la DARPA - pour Defense Advanced Research Projects Agency. Les industries civiles et de défense bénéficient de 34 milliards d'euros. Il faudrait que l'Europe y consacre des moyens équivalents. Les Allemands y réfléchissent de leur côté, nous également. En pratique, le Conseil de l'innovation alloue des fonds significatifs à certains thèmes de recherche. Pour le moment, ont été retenus d'une part l'intelligence artificielle, en particulier la sécurisation de l'usage des logiciels, de l'autre son utilisation pour le diagnostic médical et l'utilisation des données. Il faudrait financer plus de thèmes. Nous avons en France très souvent une avance sur certains thèmes horizontaux en intelligence artificielle, comme les microprocesseurs. Ce qu'il faut désormais, avec les recherches publique et privée, c'est croiser les innovations avec les chaînes verticales des filières afin de créer des produits très innovants.

Vous m'avez ensuite interrogé sur l'extra-territorialité. Il est clair, on l'a vu concernant l'Iran, que l'Europe n'a pas aujourd'hui les outils lui permettant de proposer des solutions alternatives. Des réflexions sont en cours, mais elles dépassent le cadre de l'industrie. Cela étant dit, l'extra-territorialité n'est pas forcément condamnable en soi. L'Europe, via le règlement sur la protection des données, a imposé une vision à laquelle même les GAFA doivent se conformer. Ce qui est éminemment critiquable, c'est non pas le principe, mais la manière dont elle a été exécutée et le fait qu'il n'y ait pas de gouvernance sur ce sujet. Ce sujet devrait être abordé dans le cadre des réflexions générales sur le multilatéralisme.

Pour finir, je ferai un point sur l'éducation nationale. France Industrie a signé une convention avec le CNI et le ministre de l'éducation nationale visant à rapprocher l'industrie et l'éducation nationale, et dans laquelle sont identifiés un certain nombre de thèmes de travail concrets. Nous nous sommes ainsi engagés à ce que les élèves des classes de cinquième, quatrième et troisième effectuent des visites d'usines et de sites industriels, ces trois niveaux représentant environ 2 millions d'élèves. Par ailleurs, nous souhaitons mettre en place un compteur de stages afin que les stages effectués par les élèves de troisième soient de véritables stages. Enfin, nous devons proposer des parcours de formation à l'industrie, aux conseillers d'orientation et aux maîtres. Ce dispositif est en cours de mise en place.

Je n'ai pas parlé de la normalisation, mais j'adhère aux propos qui ont été tenus sur ce sujet, notamment relatifs à la présence auprès de l'Union européenne. Les industriels jusqu'à présent ne considéraient pas que c'était leur affaire. À titre anecdotique, j'ai pour ma part vécu de manière très douloureuse la question de la prise pour les véhicules électriques, qui a fini par être allemande ! J'ai la conviction que le fait de s'organiser en filières rend beaucoup plus efficace notre action en matière de normalisation, comme on le voit dans l'aéronautique. On rêve que cela se passe de la même manière dans les autres filières. On attend par exemple de l'industrie qu'elle fasse des propositions concernant le recyclage des matières premières secondaires.

Je vous remercie de votre accueil. Nous restons à votre disposition pour évoquer certains thèmes.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie, monsieur le président, de nous avoir fait part de votre vision de l'industrie en France, laquelle est très réaliste concernant les difficultés, mais aussi les perspectives. Une mission d'information va être mise en place sur la sidérurgie à la demande du groupe Union centriste. Nous aurons donc probablement l'occasion de nous revoir pour évoquer ce sujet particulier.

Désignation de rapporteurs

Mme Anne Chain-Larché est désignée rapporteure pour avis sur le projet de loi n° 274 (2018-2019) portant création de l'AFB-ONCFS, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement.

M. Daniel Gremillet est désigné rapporteur sur la proposition de loi n° 169 (2018-2019) pour la protection des activités agricoles et des cultures marines en zone littorale.

M. Pierre Louault est désigné rapporteur sur le projet de loi n° 248 (2018-2019) ratifiant l'ordonnance n° 2018-937 du 30 octobre 2018 visant à faciliter la réalisation de projets de construction et à favoriser l'innovation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11h35.