Mardi 12 février 2019

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Représentation et visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public - Audition de M. Emmanuel Kessler, président de Public Sénat

M. Michel Magras, président. - Notre étude sur la question de la représentation et de la visibilité des outre-mer sur les chaînes publiques nous conduit à accueillir aujourd'hui le président de Public Sénat, M. Emmanuel Kessler, que je tiens à remercier de sa diligence à répondre à notre sollicitation.

Comme vous le savez, notre délégation s'est emparée de cette question à la suite de l'annonce par le Président de la République au début de l'été 2018, puis par le Gouvernement, de la disparition de France Ô de la TNT à l'horizon 2020, au profit d'un renforcement de la présence des outre-mer sur les ondes publiques - ce ne serait effectivement pas du luxe ! - et également de la mise en place d'une plateforme numérique dédiée.

Nous avons décidé de procéder à un état des lieux de la situation, car les enjeux sont colossaux pour nos outre-mer et les contours flous des réformes envisagées suscitent beaucoup d'inquiétude, en particulier au siège de France Ô à Malakoff où nous nous sommes rendus par deux fois. La méthode employée, qui distille les évolutions sans vision globale ni feuille de route précise, crée une confusion dommageable et regrettable.

Notre démarche a donc pour ambition d'établir un bilan de la représentation et de la visibilité de nos territoires sur les ondes publiques, d'évaluer l'impact de la réforme annoncée, de clarifier les enjeux et de formuler des préconisations de nature à apporter les garanties nécessaires. Nous souhaiterions que l'état des lieux ainsi dressé vienne démentir notre sentiment selon lequel nos territoires restent largement invisibles pour le grand public ou sont regardés à travers les prismes déformants de clichés de cartes postales ou de visions apocalyptiques lors de la survenance de catastrophes naturelles.

C'est dans ce contexte qu'il nous a semblé important de vous entendre ainsi que votre homologue de LCP, car il incombe aux chaînes parlementaires une mission éminente d'information et de formation des citoyens à la vie publique.

Avant de vous céder la parole, je précise que notre délégation a investi de la responsabilité de cette étude, en les nommant rapporteurs, Mme Jocelyne Guidez, sénatrice de l'Essonne, et M. Maurice Antiste, sénateur de la Martinique.

M. Emmanuel Kessler, président de Public Sénat. - Merci pour votre accueil. Je suis très heureux d'être auditionné par votre délégation pour évoquer la représentation et la visibilité des territoires ultramarins sur notre chaîne Public Sénat, sujet qui me tient à coeur.

La chaîne des territoires - un ancrage d'ailleurs mis en exergue dans notre nouvelle signature « Public Sénat au coeur des territoires » - a toujours veillé à traiter équitablement l'ensemble des régions de France, qu'elles soient en métropole ou en outre-mer.

Cette considération, cette vigilance, n'est pas suivie en tant que telle par un indicateur du contrat d'objectifs et de moyens (COM) de la chaîne. Mais il s'agit d'une attention continue dont nous avons tenu à rendre compte dans les rapports d'exécution annuels du COM à travers une carte de France précisant les lieux de tournage de nos émissions, reportages ou documentaires. L'outre-mer est traitée comme les autres régions françaises pour mesurer notre présence territoriale.

Sur Public Sénat, l'outre-mer, comme tout autre sujet, est abordé dans nos tranches d'actualité, dans nos magazines et dans nos documentaires.

Ainsi, pour la saison 2017-2018, il y a eu une quarantaine de reportages consacrés aux territoires ultramarins dans nos différentes émissions d'actualité, notamment dans notre matinale « Territoires d'infos » où Luc Laventure, le président de Outremers 360 qui est portail numérique avec lequel nous avons passé un accord de partenariat, intervient régulièrement, et en particulier lorsqu'il y a une actualité liée aux territoires d'outre-mer. Nous travaillons également dans le cadre de notre JT des Territoires le matin avec différentes chaînes d'outre-mer, à l'instar d'ATV Martinique que nous avions en duplex dans notre émission spéciale du jeudi consacrée au grand débat national il y a quinze jours. Chaque jeudi, nous avons des duplex avec des télévisions locales qui interpellent nos invités en plateau. Il y a donc eu une intervention en provenance de la Martinique. Nous essayons de développer des partenariats avec des chaînes de télévision locales d'outre-mer.

Chaque année, lors du Congrès des Maires de France, nous réalisons des reportages dans le cadre de nos émissions d'actualité pour couvrir la journée d'ouverture, dédiée à l'outre-mer. Nous avons d'ailleurs retransmis en novembre dernier une grande partie des débats qui se sont tenus au Sénat, ce qui nous a facilité les choses puisque nous disposions de toutes les infrastructures.

Chaque année, le 10 mai, nous commémorons la journée de l'abolition de l'esclavage, avec un programme spécial que nous avons réalisé jusqu'à présent en partenariat avec France Ô.

Outre l'actualité quotidienne, nous élaborons une programmation plus spécifique dédiée aux territoires ultramarins, à l'instar d'un programme qui me tient à coeur et qui s'appelle « Positive Outre-mer » que nous avons lancé en décembre 2017. Il s'agit d'une série de quinze épisodes de programmes courts qui mettent en avant les atouts de l'outre-mer au travers de son environnement et de son patrimoine culturel. Nous sommes partis du constat suivant : en métropole, nous entendons seulement parler de l'outre-mer lorsqu'il y a une crise sociale ou des dégâts dus à une tempête. À Public Sénat, nous voulons mettre en avant les richesses économiques, patrimoniales, culturelles et touristiques des outre-mer dans l'émission « Positive Outre-mer ». Ces formats courts irriguent notre grille : nous nous sommes associés à un producteur lié au groupe de La voix du Nord. Des parrainages nous ont aidés à réaliser ce format. Ces programmes courts nous permettent d'exploiter au mieux les multi-diffusions et de parler des outre-mer tout au long de l'année. La première série de quinze épisodes a mis en avant les atouts de l'outre-mer. Nous avons lancé une deuxième saison de quinze épisodes que vous pouvez regarder sur le canal 13 de la TNT ainsi que sur notre site internet publicsenat.fr. Nous avons diffusé le premier épisode de la saison 2 cette semaine.

L'outre-mer est également traité dans notre collection « Sénat en action » : il s'agit d'un documentaire de 26 minutes à partir d'une actualité portée par des sénatrices et des sénateurs. Il s'agit de projets de loi ou de dossiers sur lesquels ces sénateurs sont intervenus. Ainsi, nous avons couvert le référendum en Nouvelle-Calédonie en novembre 2018. Jérôme Rabier, journaliste reporter d'images (JRI) de la rédaction de Public Sénat, a fait un déplacement d'une dizaine de jours pour ce tournage. Son reportage a été diffusé bien après le résultat du référendum, car il s'agissait de montrer le contexte en Nouvelle-Calédonie.

Toujours dans cette série documentaire « Sénat en action », nous nous sommes également déplacés en septembre 2017 à Saint-Martin et en Guadeloupe, pour suivre les défis de la reconstruction aux côtés de deux sénateurs : nous avons montré les difficultés mais aussi la volonté des habitants de reconstruire leurs territoires touchés par les cyclones. Nous avons également montré le rôle des sénateurs en tant que relais entre les citoyens et l'administration locale.

S'agissant des documentaires, qui sont une des lignes de force de la chaîne, avec des formats de 52 minutes, nous avons notamment diffusé « Césaire, le prix de la liberté » qui revenait sur le parcours de Césaire, ou encore « Les enfants de La Réunion, un scandale d'État oublié » qui traite de ces 2 000 enfants réunionnais qui ont été transférés en métropole, entre 1963 et 1981, dans des départements dépeuplés et qui cherchent aujourd'hui à redécouvrir leur histoire. Nous abordons avec recul des sujets de société ou des sujets historiques liés aux outre-mer. Dans notre annualité documentaire, nous traitons toujours un ou deux sujets liés à l'outre-mer.

Enfin, le 22 février à 23 heures sera programmé un épisode de 26 minutes de notre collection « C'est vous la France », qui sera consacré à Tony Mango, un enseignant de créole en métropole. La diffusion de la culture des outre-mer en métropole est un enjeu important à destination de l'ensemble de la communauté nationale au-delà des communautés ultramarines présentes dans l'hexagone.

Par ailleurs, nous nous efforçons de donner la parole à chacun des sénateurs. Il s'agit d'un indicateur de notre COM et nous nous félicitons qu'en 2017, 300 des 348 sénateurs soient intervenus sur notre antenne. S'agissant des élus ultramarins, nous essayons d'être incitatifs, même si ces élus ont parfois des difficultés de calendrier. Sur les 21 sénateurs et sénatrices d'outre-mer, 15 sont intervenus sur l'antenne de Public Sénat en 2017, représentant 9 des 11 territoires d'outre-mer ; seuls les représentants des îles Wallis et Futuna et de la Polynésie française ne sont pas intervenus sur l'antenne. Nous nous efforçons de progresser encore.

Comme vous le constatez, Public Sénat veut couvrir les territoires d'outre-mer dans leur diversité. Je reste modeste : comparativement à France Télévisions et à d'autres chaînes de télévision, nous n'avons pas les mêmes moyens ni les mêmes possibilités. Nous faisons un « Sénat en action » par an outre-mer sur une série de neuf ou dix épisodes. Le problème de coût budgétaire se pose ainsi que celui de la diffusion sur la TNT outre-mer. Compte tenu de l'éloignement géographique, nous sommes confrontés à une question de moyens, mais nous nous sommes fixés pour règle d'être présents. Plus qu'une sorte de quantum, c'est bien grâce à la qualité que nous remplissons notre mission.

M. Michel Magras, président. - Vous avez parlé de modestie. À titre personnel, je trouve que Public Sénat remplit bien son rôle en parlant de nos territoires.

M. Maurice Antiste, rapporteur. - Nous sommes très heureux de vous recevoir.

Combien de personnes employez-vous ? Y a-t-il des agents contractuels ? Combien de journalistes sont-ils spécialisés sur l'outre-mer ?

M. Emmanuel Kessler. - Nous comptons 63 collaborateurs en équivalent temps plein, dont une bonne trentaine de journalistes. La majorité est titulaire, mais nous avons un petit volant de pigistes. Notre budget s'élève à un peu plus de 17 millions d'euros et il vient d'être fixé à la même hauteur pour les trois prochaines années par le COM. Ce contrat a été négocié par la délégation pour les relations avec la chaîne Public Sénat, présidée par Mme Troendlé, vice-présidente du Sénat, et signé par le président du Sénat. Nous partageons le canal 13 de la TNT avec LCP, douze heures chacun, sur une grille qui est bien établie : ainsi, LCP dispose du créneau de 19 h 30 à 22 heures et nous reprenons l'antenne ensuite jusqu'à 23 h 30. Nous avons en particulier le créneau de 7 h 30 à 9 heures, qui nous semble très important pour la visibilité des territoires. Nous n'avons pas d'équipe dédiée pour couvrir les outre-mer. Notre équipe parlementaire interroge les sénateurs d'outre-mer sur les projets de loi ou sur des dossiers d'actualité. Pour les reportages de terrain, je pense en particulier à « Sénat en action », c'est un journaliste reporter d'images (JRI) de l'équipe qui se déplace : comme il s'agit de reportages attractifs, chacun y va à son tour. Pour les documentaires ou la série « Positive outre-mer », nous travaillons avec des producteurs extérieurs à la chaîne avec qui nous contractualisons pour qu'ils produisent un certain nombre d'épisodes, mais bien entendu sous le contrôle éditorial de notre chaîne.

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Travaillez-vous aussi en partenariat avec les chaînes La 1ère ?

M. Emmanuel Kessler. - Pas pour l'instant, mais c'est une piste que l'on pourrait suivre. Lorsque nous avons lancé notre programme matinal « Territoires d'info », pour des raisons d'agilité, nous avons plutôt développé des partenariats avec une cinquantaine de télévisions locales de France et d'outre-mer. Nous avons poursuivi dans cette voie plutôt qu'avec les chaînes La 1ère. Mais avec la disparition de France Ô sur la TNT, avec laquelle nous avons réalisé quelques documentaires en co-production, peut-être pourrions-nous signer des partenariats pour des documentaires.

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Après la disparition de France Ô, comment travaillerez-vous avec d'autres partenaires ?

M. Emmanuel Kessler. - France Ô disparaît de la TNT, mais les équipes dédiées à l'outre-mer vont être sans doute réintégrées dans France Télévisions. Nous avions des interlocuteurs avec France Ô à l'occasion, par exemple, du direct du 10 mai. Cela devrait fonctionner cette année puisque cette chaîne n'aura pas encore quitté la TNT. Nous allons voir comment ces équipes pourront continuer à être nos interlocuteurs pour ce type d'opération. Peut-être le réseau des chaînes La 1ère sera-t-il intéressé par la diffusion outre-mer de ce programme. Mais nous n'avons pas entamé de discussions précises pour savoir qui seront nos futurs interlocuteurs, alors que la porte d'entrée de France Ô était commode pour nous. Nous ne savons pas non plus quelle sera la couverture ultramarine de France Télévisions. De manière générale, j'ai des contacts assez fréquents avec France Télévisions et je m'entends très bien avec Delphine Ernotte ; d'ailleurs, nous co-produisons des documentaires avec certaines chaînes de France Télévisions, notamment avec France 3. Il n'y a aucune raison qu'on ne puisse pas continuer.

M. Maurice Antiste, rapporteur. - Les autres chaînes s'adressent-elles à vous ? Êtes-vous sollicités ?

M. Emmanuel Kessler. - Pour être sincère, c'est plutôt l'inverse. Dans la mesure où notre identité spécifique est reconnue, les chaînes du service public sont ouvertes pour travailler avec nous. Nous travaillons ainsi sur des documentaires avec France 3 régions. Avec France 3 Nouvelle-Aquitaine, nous allons ainsi essayer de nouer un partenariat au long court sur divers projets. Des synergies sont possibles mais c'est plutôt nous qui sommes demandeurs. Nous avons discuté avec la chaîne France info pour apporter notre savoir-faire lors de la couverture parlementaire pour certains textes. Nous le faisons d'ailleurs déjà lors des questions d'actualité au Gouvernement, diffusées sur France info et son site Internet. Sauf événement ponctuel ou élections sénatoriales où nos partenaires sollicitent l'expertise de Public Sénat, les télévisions publiques ne manifestent pas d'attentes particulières à notre égard. En revanche, elles souhaitent que nous intervenions en complément de leurs initiatives.

M. Maurice Antiste, rapporteur. - Votre budget de 17 millions d'euros est relativement modeste. Comment vous en sortez-vous ?

M. Emmanuel Kessler. - Ce budget est gelé depuis trois ans et il va l'être pour les trois prochaines années. L'ensemble du canal dispose d'un budget de 35 à 36 millions d'euros. C'est moins que les chaînes d'informations qui bénéficient, outre leur budget facial, de beaucoup de synergies avec les groupes auxquels elles appartiennent, que ce soit Canal Plus, TF1 ou BFM qui appartient au groupe SFR-Médias.

Notre budget est donc serré. Néanmoins, nous prouvons chaque jour l'efficience de la dépense publique sur Public Sénat car nous gérons de façon rigoureuse. Sur les documentaires que nous co-produsions avec France 3, France Télévisions met beaucoup plus d'argent que nous. Notre ticket d'entrée étant plus modeste, nous parvenons tout de même à donner une exposition à ces programmes en les diffusant sur la TNT. Nous essayons de nouer des partenariats gagnant-gagnant. Sur notre matinale, nous avons noué des alliances avec des télévisions locales qui nous permettent de diffuser leurs sujets sans contrepartie financière et nous leur donnons en échange la possibilité de diffuser sur leurs propres antennes l'ensemble de notre matinale. Elles disposent ainsi d'un programme clé en main, qu'elles peuvent diffuser en tout ou en partie. Ces échanges nous donnent un effet de levier qui nous permettent de réaliser nos ambitions avec des moyens raisonnables.

Mme Muriel Signouret, secrétaire générale de Public Sénat. - Outre le budget que nous verse le Sénat, nous essayons de développer nos ressources propres grâce au parrainage, mais ce dernier représente moins de 5 % de notre budget global.

M. Emmanuel Kessler. - Pour « Positive outre-mer », des groupes comme Enedis nous ont parrainés avec un écran avant et un après le programme, puisque nous n'avons pas droit à la publicité. Cela nous permet de boucler le financement de ces programmes qui coûtent cher.

M. Maurice Antiste, rapporteur. - Quel est le budget global de public Sénat ?

Mme Muriel Signouret. - À peu près 18 millions, soit 17,5 millions alloués par le Sénat et 500 000 euros de parrainage.

M. Maurice Antiste, rapporteur. - Votre chaîne ne s'est jamais trouvée en difficulté financière ?

M. Emmanuel Kessler. - Nous l'évitons pour ne pas effrayer notre actionnaire ! Notre nouveau COM impose à la chaîne de respecter les équilibres budgétaires. Plus que d'autres chaînes, nous sommes obligés de faire des choix et de renoncer à des émissions ou à des déplacements. Il existe aussi des aléas liés à l'actualité : cette année, il y a eu le déplacement en Nouvelle-Calédonie pour couvrir la consultation référendaire et cela a coûté cher. En 2017, nous avons connu une série d'élections présidentielles, législatives et sénatoriales. Nous avions tenu compte de ces échéances dans notre budget mais si un autre aléa était survenu, avec la nécessité de reportages supplémentaires, nous aurions été en difficulté.

Un des grands changements que nous avons connu et qui a été assez coûteux a été le passage à la haute définition. En 2016, nous avons hésité à passer à la HD et nous nous en étions ouverts à Mme Isabelle Debré qui, à l'époque, était notre interlocutrice pour le Sénat. Le coût d'investissement technique pour renouveler les matériels en régie était important et nous l'avons réparti sur plusieurs exercices. Grâce au soutien des présidents des deux assemblées, nous avons également bénéficié d'une baisse des coûts de diffusion. Dans notre budget, 20 % part d'emblée en frais de diffusion pour le transport du signal de la TNT, sachant que le coût de diffusion est le même pour Public Sénat que pour TF1 ! Il n'est donc pas du tout proportionnel au budget de la chaîne. Nous payons ainsi 3,2 millions d'euros par an de coût de diffusion, soit 6,5 millions d'euros pour l'ensemble du canal.

Notre gestion consiste en un pilotage budgétaire fin mais nous ne sommes pas à l'abri d'un déséquilibre ponctuel.

Victorin Lurel nous avait demandé pour quelle raison le canal 13 n'était pas diffusé sur la TNT en outre-mer. Cela nous coûterait un million d'euros supplémentaire, d'où une diffusion limitée aux boxes, au câble et au satellite. C'est évidemment dommageable mais nos moyens ne nous permettent pas cette diffusion sur la TNT ; cependant, nous voyons en métropole et sans doute aussi outre-mer que les Français sont de plus en plus nombreux à regarder la télévision via d'autres modes que la TNT. Outre-mer, le satellite est d'ailleurs très développé.

M. Maurice Antiste, rapporteur. - Nouez-vous des relations avec LCP pour donner plus de visibilité à l'outre-mer ?

M. Emmanuel Kessler. - Le COM nous enjoint d'accroître les synergies avec LCP, dans le respect de l'indépendance éditoriale de chacune des chaînes, bien sûr. Le Sénat est très attaché à l'autonomie de sa chaîne d'information et il a toujours refusé les perspectives de fusion parfois envisagées. Mais nous devons coopérer pour des raisons d'efficacité budgétaire. Depuis l'arrivée de Bertrand Delais à LCP, nous avons rajouté l'émission « Europe Hebdo », l'émission d'actualité parlementaire « Parlement Hebdo » qui est un journal de l'actualité parlementaire avec un invité, alternativement un député et un sénateur, diffusé chaque vendredi sur la chaîne et sur France 3 le dimanche. Enfin, nous avons créé à la rentrée 2018 une troisième émission « Audition publique » qui est notre grand rendez-vous politique commun, comme il en existe sur d'autres chaînes. L'invité politique - ministre, chef de parti, chef de groupe parlementaire, président d'assemblée - répond aux questions des journalistes mais aussi aux interpellations d'un député et d'un sénateur qui viennent chaque semaine sur le plateau. Cette émission est réalisée en partenariat avec l'AFP et le Figaro sur le plateau Figaro Live. Et puis, nous coopérons régulièrement avec LCP sur diverses opérations comme les journées parlementaires, les congrès des partis politiques... Nous allons probablement lancer un documentaire produit par les deux chaînes sur des thématiques parlementaires.

Sur les outre-mer, nous n'avons pas encore lancé de programme en commun. Alors que LCP est plus axée sur le magazine d'actualité lié au débat politique général, notre identification de chaîne des territoires fera naturellement de l'outre-mer un axe privilégié.

Nous nous entendons très bien avec nos homologues de LCP-Assemblée nationale. Des synergies ne sont donc pas exclues, même si nous n'en avons pas fait une priorité.

Mme Sylvie Robert. - Au-delà de la visibilité des outre-mer, se pose la question de France Ô et de son devenir. Le rapport listera toutes les hypothèses, mais serait-il envisageable de coproduire, si cette chaîne est supprimée, des documentaires avec les chaînes La 1ère, qui sont bien « outillées » en termes d'équipes ?

M. Emmanuel Kessler. - Il peut être intéressant que l'outre-mer fasse l'objet de davantage de diffusions sur les chaînes du groupe France Télévisions que sur une chaîne qui, en réalité, faisait ses meilleures audiences quand elle ne traitait pas de l'outre-mer...

Si France Ô, avec laquelle nous avions noué des relations, disparaît, je suis favorable à votre suggestion. Nous allons nous rapprocher de France Télévisions pour leur faire part de notre disponibilité. Nous le faisons déjà avec France 3, avec laquelle nous avons eu, hier, un comité de pilotage sur nos prochains documentaires, souvent décidés six mois ou un an à l'avance. Quelques documentaires seront produits avec les chaînes régionales de France 3 ; il s'agit vraiment d'un partenariat gagnant-gagnant.

J'indiquais que, du fait de notre taille critique, nous étions plus intéressés par les autres que les autres par nous, mais ce n'est pas tout à fait vrai avec les chaînes régionales de France 3, qui recherchent une complémentarité de diffusion. Ainsi, le documentaire « Les racines du pouvoir », portant sur la carrière locale des politiques - Jacques Chirac, François Hollande, Ségolène Royal, Jacques Chaban-Delmas -, a été coproduit avec France 3 Nouvelle-Aquitaine. Il montrait comment l'ancrage local avait servi la carrière nationale de ces personnalités ; le débat qui a suivi portait sur la possibilité d'avoir un président de la République coupé de tout ancrage local. L'histoire a montré que cela pouvait effectivement poser problème ! France 3 Nouvelle-Aquitaine a diffusé ce documentaire en septembre-octobre, avec une fenêtre d'exposition locale, et Public Sénat début novembre, avec une exposition nationale, ce qui était tout à fait pertinent.

Nous avons quelques projets dans les tuyaux avec des chaînes locales de France 3. C'est une bonne idée de se rapprocher des chaînes La 1ère, qui sont des chaînes dynamiques, au plus près du terrain. Nous pouvons leur offrir une exposition majeure sur la TNT nationale, puisque nous diffusons les documentaires le samedi soir, qui est l'une des meilleures heures de la semaine pour ce type de programme, et les rediffusons le dimanche matin.

Cette piste est donc vraiment intéressante et peut même nous permettre d'aller plus loin que nous ne le faisons actuellement.

M. Michel Magras, président. - C'est une belle proposition !

M. Guillaume Arnell. - Un journaliste de Public Sénat, Quentin Calmet, m'a suivi lors de mes déplacements post-Irma. Je peux en témoigner, cette visibilité du territoire était essentielle pour montrer qu'il n'est pas toujours évident pour les élus de mettre en place des politiques de mise en sécurité du littoral, en raison de l'exiguïté du territoire, des habitudes culturelles, etc. Il y avait également urgence à faire de la pédagogie pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. J'ai encouragé M. Calmet à enregistrer d'autres images qui pourraient servir dans d'autres documentaires, en montrant par exemple la mer déchaînée pendant le phénomène cyclonique et d'une splendeur absolue quelques semaines après...

En complément des programmes que vous produisez, ne serait-il pas possible de faire aussi participer l'outre-mer à de grands débats nationaux, tels que la réforme de la santé ou celle de la justice, et de ne pas le cantonner uniquement à des sujets ultramarins ?

On pourrait par exemple se demander quelles seront les répercussions de la loi Pacte sur notre tissu économique local. Cela permettrait d'avoir un aperçu différencié de la problématique, et peut-être d'affinr le regard que la Nation peut avoir sur les outre-mer.

M. Emmanuel Kessler. - Le reportage montrait bien le rôle que vous avez joué entre des populations souvent très pressées de reconstruire et une administration qui imposait des règles pour éviter qu'une telle situation ne se reproduise. Il illustrait la grande utilité des parlementaires dans des situations difficiles pour apaiser les tensions.

Je suis d'accord avec vous : ce serait une erreur de cantonner l'expression des ultramarins aux questions spécifiques à l'outre-mer. Il faut aussi recueillir leurs points de vue sur les débats nationaux ; nous le faisons de temps en temps, peut-être pas suffisamment - je vous l'accorde.

S'agissant du grand débat national, Emmanuel Macron a reçu, il y a une dizaine de jours, les élus d'outre-mer à l'Élysée. Nous avons diffusé une interview d'une élue d'outre-mer en amont, et organisé un débat le lundi suivant. Nous avons ainsi pu relayer le regard des outre-mer. Vous avez raison, les élus ultramarins doivent aussi être présents dans les débats généraux : nous devons être vigilants et sans doute avons-nous encore quelques progrès à faire.

Il faut aussi que les sénateurs invités en plateau dans nos émissions soient disponibles, ce qui, pour des raisons tout à fait objectives, est moins souvent le cas pour les élus ultramarins. Nous devons être attentifs à vous solliciter, car il est intéressant, sur un projet lié à l'économie, à la société ou à la santé, d'avoir un regard sur ce qui se passe non seulement à Dunkerque, mais aussi en Guadeloupe, en Martinique ou ailleurs. Nous le faisons un peu dans la matinale et notre journal des territoires inclut les outre-mer. Mais nous pouvons encore progresser.

M. Michel Magras, président. - Lorsque la délégation sénatoriale aux outre-mer organise, avec la délégation aux droits des femmes, un colloque sur la place de la femme dans les économies des outre-mer, que faut-il faire pour être visible sur votre chaîne ?

M. Emmanuel Kessler. - Vous m'apprenez l'existence de ce colloque ! Compte tenu de nos créneaux d'antenne, nous ne pouvons pas forcément tout couvrir, et nous privilégions parfois le travail législatif. Mais nous sommes intéressés par les colloques dès lors qu'ils couvrent un sujet large, ce qui est le cas en l'espèce.

Je vais m'enquérir auprès de l'équipe parlementaire de la façon dont nous pouvons couvrir votre colloque. Fait-il l'objet d'une captation ?

M. Michel Magras, président. - Oui !

M. Emmanuel Kessler. - Nous pourrons le diffuser, notamment dans notre émission « Les matins du Sénat ». Tous les matins, du lundi au vendredi, nous diffusons des séances dans leur intégralité, des auditions de commission d'enquête ou de missions d'information, et des débats - nous présentons alors aux téléspectateurs l'objet et les enjeux de ces colloques.

M. Michel Magras, président. - Nous essayons d'avoir le plus possible de captations de nos travaux.

M. Emmanuel Kessler. - De plus en plus de travaux de commissions sont dorénavant captés, ce qui nous oblige à faire des choix. Nous incitons les commissions, les missions d'information et les commissions d'enquête à capter au maximum leurs travaux pour les relayer, en particulier dans « Les matins du Sénat ». Nous sommes tout à fait preneurs !

Auparavant, un certain nombre de sénateurs étaient frileux à l'idée de filmer les travaux des commissions ou les auditions. Aujourd'hui, c'est plutôt l'inverse ! Les auditions d'Alexandre Benalla ont été un réel succès d'audience... La captation est une médiatisation intelligente qui se développe depuis une dizaine d'années. Nous ne pouvons pas forcément tout diffuser mais, même si nous ne retransmettons pas en direct, cela peut se faire dans les jours qui suivent.

M. Michel Magras, président. - Que deviennent les documentaires ou les émissions que vous réalisez ? Ont-ils une seconde vie, sur d'autres chaînes par exemple ?

Mme Muriel Signouret. - Sur les coproductions que nous concluons avec des sociétés de production, nos droits sont souvent assez larges. Pour les documentaires que nous coproduisons, nous avons le droit de les rediffuser pendant 36 mois sur notre antenne, ainsi que sur notre site internet et sur les espaces de replay que nous avons développés, notamment sur la box Orange.

J'insiste sur le replay, qui nous apporte une nouvelle source d'audience et offre une nouvelle visibilité à nos productions. La seconde vie existe donc, pour l'essentiel, dans notre grille de multidiffusion et sur internet.

M. Emmanuel Kessler. - Pour les coproductions avec d'autres chaînes de télévision, nous avons ce qu'on appelle des « couloirs » : nous pouvons diffuser le documentaire entre telle date et telle date sur deux ou trois mois, puis sur internet ; quelques mois après, un autre couloir sera ouvert pour France 3 ou France 5. En général, les documentaires ont une durée de vie assez longue.

M. Michel Magras, président. - Dans la Caraïbe, nous recevons, via Canalsat, les émissions Public Sénat alors que le bandeau indiquant la chaîne affiche « LCP ».

D'après ce qui a été annoncé, France Ô ne sera, dans le futur, diffusée que sur une chaîne numérique. Cela représente un coût pour le consommateur, celui de l'abonnement à Canal Satellite. Votre présence sur les boxes a-t-elle également un coût pour vous ?

M. Emmanuel Kessler. - La loi prévoit l'obligation, pour l'ensemble des opérateurs - satellites, box ADSL, internet, etc. -, de transporter le signal des chaînes publiques, dont les chaînes parlementaires, à titre gratuit. Les opérateurs ne peuvent donc pas nous demander de contrepartie financière.

En revanche, vous avez raison de souligner que le partage du canal 13 n'est pas toujours compréhensible pour le téléspectateur sur les boxes... SFR a joué le jeu, et indique sur le bandeau du canal 13 « LCP-Public Sénat » : le téléspectateur sait que les deux chaînes existent. Mais certains opérateurs n'indiquent que le nom générique « LCP », alors que ce canal diffuse pendant 12 heures LCP-Assemblée nationale et pendant 12 heures Public Sénat.

Dans la loi de 1999, le nom légal du canal est La Chaîne Parlementaire, « LCP », avec deux sociétés de programme : LCP Assemblée nationale et LCP Sénat. Laurent Fabius et Ivan Levaï étaient satisfaits du nom LCP-AN pour la chaîne de l'Assemblée nationale, qui est progressivement devenue LCP : ils ont, en quelque sorte, fait une OPA sur le nom !

Le président Poncelet et Jean-Pierre Elkabbach ont choisi le nom Public Sénat pour illustrer le lien entre l'institution et le grand public. C'est une belle marque ! Nous nous sommes éloignés du nom légal, et certains opérateurs en restent au nom figurant dans la loi, LCP, ce qui nous pénalise quelque peu. Nous avons aussi un canal 100 % Sénat, le même que celui existant sur internet, mais avec un numéro qui est plus difficile à trouver sur les boxes.

M. Michel Magras, président. - Les parlementaires pourront peut-être corriger ce point dans la loi !

M. Emmanuel Kessler. - C'est une bonne idée d'amendement pour la prochaine loi sur l'audiovisuel !

Mme Gisèle Jourda. - Pour les béotiens, le canal 13 est associé à l'Assemblée nationale, alors qu'au départ il y avait LCP-Sénat et LCP-Assemblée nationale. L'acronyme LCP est réducteur, alors que si l'on se réfère à la qualité des programmes, il n'y a pas photo !

M. Emmanuel Kessler. - Merci !

M. Michel Magras, président. - L'audience est un critère d'évaluation. Êtes-vous évalué sur vos taux d'audience ?

M. Emmanuel Kessler. - Nous n'avons pas de recettes publicitaires ; nous sommes financés essentiellement par la dotation qui nous est versée par le Sénat. Dans notre mission, il n'y a pas d'objectif d'audience. Notre objectif, c'est la mission, c'est-à-dire une information parlementaire et politique pédagogique pour rapprocher les citoyens de la compréhension de la vie politique, au sens de l'intérêt pour la vie de la cité.

On s'aperçoit aujourd'hui que cette mission est vraiment essentielle. Nos chaînes ont un rôle à jouer dans ce nécessaire rapprochement. L'intérêt d'une chaîne ancrée dans les territoires, c'est de montrer que, sur le terrain, les élus se battent pour faire vivre leurs territoires dans l'intérêt des populations.

Néanmoins, vous avez tout à fait raison, cette mission ne peut être réussie que si nous atteignons le plus grand public possible : il faut mesurer l'audience, non pas comme un critère qui déterminera ce que nous allons faire, mais comme un signe du succès ou pas de ce que nous faisons, pour ajuster à la marge. Nous n'allons pas tout changer, mais nous pouvons travailler la forme de nos émissions, le caractère vivant des dialogues, pour répondre à l'attente de téléspectateurs.

Nous avons des indicateurs d'audience qui ne sont pas les mêmes que les grandes chaînes ; financièrement, nous ne pouvons pas nous offrir le Médiamétrie quotidien qui tombe à 9 heures du matin avec l'audience minute par minute, car cela coûterait plus de 1 million d'euros pour la chaîne. Nous avons conclu avec Médiamétrie un contrat qui porte sur une mesure d'audience intéressante, mensuelle, qui mesure l'audience sur les boxes et les satellites, hors TNT. Il faut donc un peu la corriger.

Le taux d'audience était de 0,4 % en décembre 2018, en légère progression (0,3 % en 2017), ce qui nous situe au niveau des chaînes d'information hors BFM ; 25 millions de téléspectateurs regardent au moins une fois par mois la chaîne Public Sénat. Nous avons aussi des mesures qui nous permettent d'apprécier le succès de certains programmes : les documentaires sont de grands succès. Nous avons diffusé à Noël 2018 un documentaire de Yann Arthus-Bertrand qui a recueilli 1,2 % de parts d'audience. C'est un bon résultat pour nous, d'autant que nous ne sommes pas, comme les chaînes d'information, seulement une chaîne de flux où un programme chasse l'autre. Notre chaîne se situe entre les chaînes d'actualité et les chaînes thématiques, avec des rediffusions de documentaires ou de magazines, comme « Sénat en action », qui capitalisent de l'audience.

Depuis trois ans, nous sommes donc en progression continue, mais certes pas exponentielle - cela serait difficile dans un contexte où la « consommation » de télévision est en baisse et où de nouvelles chaînes apparaissent.

L'audience ne se mesure plus seulement par la diffusion sur l'écran télé, mais aussi sur tous les écrans : smartphone, tablette, écran d'ordinateur... Depuis que nous avons modifié notre site internet fin 2016 pour l'adapter à tous les écrans, nous avons plus que doublé notre audience sur internet, et nous l'avons rajeunie et féminisée : un tiers de notre audience sur internet est constituée de personnes de moins de 35 ans, ce qui n'est pas le cas pour la télévision, où l'audience est davantage composée de seniors.

Mme Victoire Jasmin. - M. le président vient de dire ce que je m'apprêtais à déclarer : Public Sénat contribue à une meilleure connaissance des sénateurs et du Sénat. Quand je suis en Guadeloupe, je regarde sur mon smartphone ce qui se passe au Sénat.

M. Emmanuel Kessler. - La chaîne Public Sénat a connu une audience record fin 2018 et début 2019 avec les deux auditions d'Alexandre Benalla, conduites par la commission des lois transformée en commission d'enquête. BFM est arrivée en tête, mais nous avons réalisé 4 % d'audience et les chaînes d'information arrivaient assez loin derrière nous. Il y a donc eu un réflexe Public Sénat ce qui est encourageant : au-delà de l'audition à proprement parler, notre accompagnement a été identifié comme spécifique grâce à nos experts et aux interviews de vos collègues qui ont commenté cette commission d'enquête.

M. Michel Magras, président. - Grâce à votre passage en HD, vos reportages sont d'excellente qualité visuelle. Certains d'entre nous ont eu la chance de visiter les studios de Malakoff. De quels moyens disposez-vous pour parvenir à un tel résultat ?

M. Emmanuel Kessler. - Je vous invite à venir visiter notre plateau et nos installations.

Mme Muriel Signouret. - En 2016, lorsque nous sommes passés à la HD, nous avons renouvelé nos équipements mais aussi les éclairages sur le plateau, le décor, les écrans plasma. Nous sommes désormais équipés de caméras robot ce qui donne une qualité d'images digne des plus grandes chaînes de télévision. Nous avons relevé ce défi alors que notre budget a été gelé pour six ans.

M. Emmanuel Kessler. - Puisque vous nous invitez à faire du patriotisme de chaîne, nous avons la chance de disposer du bel espace que nous a alloué le Sénat, bien meilleur que celui de LCP qui est contraint par une hauteur sous plafond très basse. Nos installations n'ont pas grand-chose à envier à celles dont disposent d'autres chaînes.

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie pour la qualité de votre exposé. Nous allons continuer à travailler pour présenter nos recommandations.

Mercredi 14 février 2019

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Risques naturels majeurs dans les outre-mer (volet 2) - Audition de MM. Laurent Montador, directeur général adjoint, Antoine Quantin, directeur des réassurances et des fonds publics, et Thierry Cohignac, directeur adjoint des réassurances et des fonds publics, de la Caisse centrale de réassurance (CCR)

M. Michel Magras, président. - Bonjour à tous. Après l'adoption au mois de juillet dernier d'un premier rapport d'information sur la situation de nos outre-mer face aux risques naturels majeurs, centré sur les problématiques de la prévention et de l'anticipation des risques mais aussi de l'alerte et de la gestion de l'urgence lors de la survenance d'une catastrophe, nous avons repris nos travaux pour enchaîner sur un second volet consacré aux questions de la reconstruction et de l'organisation de la résilience des territoires sur le plus long terme. Nous avons ainsi ouvert un nouveau cycle d'auditions le 14 novembre dernier en échangeant en visioconférence avec le préfet Philippe Gustin, qui cumule les responsabilités de délégué interministériel à la reconstruction des îles du Nord et de préfet de la région Guadeloupe.

La question assurantielle est au coeur de l'après catastrophe naturelle, raison pour laquelle nous poursuivons aujourd'hui avec l'audition des représentants de la Caisse centrale de réassurance, que nous sommes heureux d'accueillir. La Caisse centrale de réassurance est en effet un acteur incontournable de la prise en charge financière des risques, et particulièrement des catastrophes naturelles. La séquence d'aujourd'hui nous permettra de commencer à aborder la question du coût des catastrophes naturelles en outre-mer. À ce titre, des exemples de différents aléas connus par nos territoires seront les bienvenus, comme des précisions sur les suites de l'ouragan Irma. Au-delà de la nécessaire estimation des dégâts causés, nous évoquerons aussi et surtout la problématique de l'indemnisation des dommages causés par les catastrophes naturelles dans nos territoires, pour les particuliers comme pour les entreprises ou les collectivités. Le processus d'indemnisation est une étape fondamentale pour mener à bien une reconstruction durable, et votre regard sur le paysage assurantiel de nos territoires et sa capacité à faire face aux risques nous éclairera. Enfin, si nos travaux ont vocation à nourrir les débats parlementaires en rendant compte des situations passées, ils ont aussi pour but de proposer des solutions aux problèmes identifiés ou anticipés. Nous sommes ouverts à vos recommandations sur ce sujet que le changement climatique rendra malheureusement vraisemblablement plus fréquent encore demain.

Je vous rappelle que le sujet, dans sa globalité, est coordonné par Guillaume Arnell, sénateur de Saint-Martin. Les deux rapporteurs sur ce second volet sont Abdallah Hassani, sénateur de Mayotte, et Jean-François Rapin, sénateur du Pas-de-Calais, également président de l'Association nationale des élus du littoral (ANEL).

Je vous laisse la parole pour votre exposé liminaire sur la base de la trame qui vous a été transmise par le secrétariat de la délégation, avant que les rapporteurs et, éventuellement, les autres collègues puissent vous interroger.

M. Laurent Montador, directeur général adjoint des réassurances et des fonds publics de la Caisse centrale de réassurance (CCR). - Merci de nous accueillir sur ce sujet de la couverture des catastrophes naturelles dans les territoires ultramarins, qui constitue un sujet de préoccupation pour la Caisse centrale de réassurance. Je vous propose de rappeler d'abord le rôle de la CCR et les principes de son intervention. La CCR est une entreprise de réassurance, société anonyme détenue à 100 % par l'État français ; elle remplit des missions d'intérêt général pour le compte de l'État. Notre coeur de métier consiste à proposer des couvertures de réassurance publique pour des risques exceptionnels quand un mécanisme de marché ne suffirait pas à couvrir de façon satisfaisante ces risques. En 2019, il s'agit essentiellement des risques de catastrophe naturelle, plus de 90 % de notre activité, et des risques de terrorisme. Par le passé, nous sommes intervenus sur d'autres types de risques, comme l'assurance-crédit ou l'assurance aviation. Nous avons également une mission de gestion de fonds publics, avec le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPANM, dit « fonds Barnier ») et le fonds des calamités agricoles (FNGRA) qui ne fonctionne pas outre-mer. Enfin, l'État nous a demandé de conduire des travaux sur la connaissance des risques et leur modélisation, afin d'en connaître la sinistralité passée mais aussi les impacts potentiels à climat actuel et en tenant compte du changement climatique.

Le régime des catastrophes naturelles, créé en 1982, avait vocation à pallier une carence de marché, pour couvrir les territoires métropolitains. Il a par la suite été étendu aux territoires d'outre-mer en 1990. Les dommages causés par les vents extrêmes y ont été intégrés en 2000.

Ce régime n'est pas un régime assurantiel mais un régime d'indemnisation qui repose sur le secteur assurantiel. L'État a fait le choix de s'appuyer sur son expertise, notamment pour diffuser la garantie catastrophes naturelles et expertiser les sinistres, en fixant de nombreuses caractéristiques du dispositif, notamment le tarif (le taux de surprime), qui est aujourd'hui unique pour l'ensemble des assurés sur le territoire français, avec un taux de surprime de 12 % pour les biens autres que les automobiles et de 6 % pour les automobiles. L'État décide des éléments couverts par ce régime, ce qui est contraire aux principes de l'assurance où l'assureur décide du tarif, des éléments couverts et des franchises. De plus, l'État apporte sa garantie au dispositif via la réassurance publique proposée par CCR.

Nous sommes habilités à réassurer le portefeuille contre les catastrophes naturelles des assureurs agréés exerçant en France, avec la garantie de l'État. Notre schéma de réassurance est standard et commun pour l'ensemble des assureurs. Il se décompose en deux volets : un volet quote-part, avec une réassurance proportionnelle - chaque assureur cédant 50 % de ses primes catastrophes naturelles, la CCR prenant en contrepartie en charge 50 % des sinistres -, et un mécanisme d'excédent de pertes annuelles permettant, au-delà d'un certain montant, de prendre en charge 100 % de la sinistralité. Dans le cadre des inondations survenues dans l'Aude, où le seuil de ce deuxième niveau d'intervention n'a pas été atteint, nous avons pris en charge 50 % du sinistre. En revanche, pour l'ouragan Irma, nous estimons aujourd'hui notre prise en charge à environ 85 %.

La réassurance de CCR n'est pas obligatoire, nous n'avons pas de monopole et sommes en concurrence avec les réassureurs privés. Nous sommes en revanche les seuls à bénéficier de la garantie de l'État et donc à pouvoir proposer une couverture illimitée de ces risques. Notre part de marché est aujourd'hui d'environ 90 %.

M. Thierry Cohignac, directeur adjoint des réassurances et des fonds publics de la Caisse centrale de réassurance (CCR) - Le fait que la CCR soit soumise à la concurrence du marché de la réassurance a un impact sur la façon dont nous abordons les risques : nous devons en effet tenir compte de contraintes de marché. Si nos conditions de réassurance sont inférieures à celle d'un réassureur privé, nous risquons de perdre des parts de marché voire de mettre en péril le régime des catastrophes naturelles.

M. Michel Magras, président. - Concernant les outre-mer, pouvez-vous préciser le champ géographique de votre compétence ainsi que les spécificités dans l'exercice des missions de la CCR dans ces territoires ?

M. Laurent Montador. - En ce qui concerne le champ géographique du régime, nous intervenons dans un cadre légal, notre mission est fixée par l'État. Le régime catastrophes naturelles couvrant initialement la seule métropole avant son extension aux outre-mer en 1990 puis aux effets du vent extrême en 2000. Nous couvrons les départements et régions d'outre-mer : la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte et La Réunion, et les collectivités d'outre-mer que sont Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Wallis-et-Futuna. En revanche, nous ne couvrons ni la Polynésie française, ni la Nouvelle-Calédonie, ni les terres australes et antarctiques françaises, ni l'île Clipperton. Cette situation résulte du code des assurances ; notre activité est régie par l'article L.125-1, qui fait allusion à l'article L.100-1, qui définit la composition du territoire français.

En termes de spécificités, le schéma de réassurance que nous proposons est commun à l'ensemble des acteurs, il n'est pas différencié sur l'outre-mer. Via la réassurance proportionnelle, nous opérons une mutualisation large des risques. Des assureurs disposent en France de portefeuilles peu exposés et nous cèdent ainsi des résultats positifs quand d'autres acteurs disposent de portefeuilles très exposés. Globalement, le régime est équilibré en raison de la péréquation et de la mutualisation, et l'État n'a presque jamais eu à intervenir depuis la création du régime si ce n'est, de façon anecdotique, en 2000.

M. Thierry Cohignac. - Nous ne bénéficions pas d'un monopole mais, à l'inverse, nous réassurons tout assureur qui s'adresse à nous. Nous ne choisissons pas d'écarter un assureur extrêmement exposé, par exemple en outre-mer.

M. Laurent Montador. - Nous devons en outre agir en utilisant les usages et méthodes de la réassurance, et appréhendons chaque portefeuille et le risque sous-jacent. Pour la partie proportionnelle qui représente environ 90 % de nos primes, nous n'appliquons pas de levier tarifaire. Les assureurs de base peuvent éventuellement moduler la prime de base, mais cette possibilité reste limitée. En revanche, sur le second volet, nous tenons compte de l'historique de sinistres et de l'exposition des portefeuilles, en conservant une logique de large mutualisation. Nous n'avons à ce jour jamais rencontré de situation dans laquelle le montage proposé n'était pas supportable pour l'assureur.

M. Thierry Cohignac. - La métropole est principalement exposée aux inondations, à la sécheresse et de façon moindre aux tremblements de terre. Les territoires d'outre-mer font quant à eux face à un risque de tremblements de terre accrus, à un risque cyclonique - regroupant plusieurs périls : le vent, les inondations et les submersions marines - ou encore à un risque de tsunami - engendré principalement par un tremblement de terre sous-marin -. Les territoires ultramarins sont plus ou moins exposés à ces aléas ; La Réunion est par exemple peu exposée aux tremblements de terre.

Les assureurs cèdent aux réassureurs des risques volatiles. L'assurance automobile, par exemple, est peu volatile, avec des pertes relativement prédictibles d'une année sur l'autre. À l'inverse, la sinistralité catastrophique est très volatile, en métropole et a fortiori en outre-mer. En 2017, marquée par Irma et Maria, les chiffres ont dépassé 2 milliards d'euros en termes de coûts assurés. Il est cependant difficile d'estimer les pertes économiques dans ce type d'événements. L'année 2007 était également marquée par une forte sinistralité, avec le cyclone Dean et un tremblement de terre à la Martinique. Cette volatilité distingue l'outre-mer de la métropole, où nous connaissons de façon régulière des inondations. En 2016, la crue de la Seine a engendré des pertes d'un milliard d'euros.

Sur la période 2000-2017, le coût cumulé des catastrophes naturelles en outre-mer s'établissait à 2,7 milliards d'euros - dont 2 milliards d'euros correspondant à Irma -. Sur la même période, le coût cumulé de la sinistralité assurée en métropole s'établissait à 19 milliards d'euros. Le taux de pénétration de l'assurance est plus faible en outre-mer, avec environ 50 % de personnes et d'entreprises assurées, qu'en métropole où il atteint quasiment 100 %. En Martinique et Guadeloupe, ce taux est supérieur à 50 %, et à La Réunion, il est de 62 %. Le coût assuré est inférieur au coût économique, mais de façon générale, la France est plutôt bien positionnée par rapport à d'autres pays, comme l'Allemagne, où l'assurance contre les catastrophes naturelles n'est pas obligatoire. En France, il s'agit d'un ajout obligatoire au contrat dommages aux biens, qui pour sa part n'est pas obligatoire.

M. Laurent Montador. - Concernant le paysage assurantiel, en France, la prime catastrophes naturelles s'établit à 1,6 milliard d'euros et dans les outre-mer à 25 millions d'euros, soit 1,5 % des primes. Le secteur assurantiel outre-mer est beaucoup plus concentré qu'en métropole, où une centaine d'assureurs exercent leur activité contre une vingtaine, dont quatre à cinq acteurs majeurs, en outre-mer. Nous aurions intérêt à ce que les acteurs se développent en outre-mer.

M. Thierry Cohignac. - La prime moyenne catastrophes naturelles en métropole, tous secteurs confondus, assurances personnelles et professionnelles, s'établit à 30 euros, et en outre-mer à 32 euros.

M. Michel Magras, président. - La surprime ne correspond-elle pas à 12 % ?

M. Laurent Montador. - Si. En revanche, la tarification de base pour le contrat dommages aux biens est libre. Jusqu'à présent, nous n'avons observé de différences notables sur le montant en valeur absolue entre les outre-mer et la métropole.

Les risques de particuliers affichent par ailleurs le même écart que la prime moyenne catastrophes naturelles : en métropole, un particulier paie en moyenne 19 euros pour assurer son habitation, et en outre-mer 22 euros. C'est un prix abordable, par rapport à des pays comme l'Allemagne, du fait de la péréquation.

M. Michel Magras, président. - Les nouveaux phénomènes, comme l'évolution du trait de côte ou les sargasses, ne relèvent pas aujourd'hui du régime des catastrophes naturelles.

M. Laurent Montador. - Effectivement. Sur le sujet de l'érosion côtière, une mission d'inspection est en cours. Il y a le cas emblématique de l'immeuble Le Signal en métropole, mais potentiellement des dizaines de milliers de bâtiments pourraient être concernées à l'avenir, qui présentent toutefois la difficulté de ne pas souffrir de dommages matériels. Dans certaines zones, le phénomène est quasi certain, et ne peut ainsi relever d'un système assurantiel. S'agissant des sargasses, aucun dommage matériel n'est directement lié à l'échouage. Il y a quelques phénomènes du fait du pourrissement des algues sur les moteurs de voitures ou de petits équipements.

M. Michel Magras, président. - Il me semblait que la possibilité d'en faire une catastrophe naturelle était liée au fait que le phénomène n'était pas exceptionnel mais récurrent.

M. Laurent Montador. - Nous couvrons les dommages résultant de l'intensité anormale d'un agent naturel. En l'espèce, la nature des conséquences ne relève pas du régime des catastrophes naturelles. Par exemple, les pertes d'exploitation causées par une impossibilité d'accès ou des pertes d'attrait, ne relèvent pas du régime catnat.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - La question assurantielle est évidemment centrale, révélatrice d'un certain nombre d'habitudes culturelles ou de dysfonctionnements, amplifiés par le phénomène Irma. Nous en avions déjà pris connaissance lors de l'ouragan Luis, après lequel un certain nombre d'assureurs avaient choisi de quitter certains territoires ; Groupama a ainsi quitté le territoire de Saint-Martin, et laissé les individus dans un état de désespérance. Les personnes estiment, à tort, que l'assurance répond à un risque calculé et qu'il est plus rentable de ne pas s'assurer, compte tenu de la faible survenance des sinistres. Nous constatons cependant un phénomène de récurrence qui impose d'y porter un autre regard.

Quelle peut être votre implication dans la prise de conscience du besoin d'un plus grand nombre d'opérateurs sur le territoire et dans la proposition de primes à la hauteur des possibilités de la population ? Par ailleurs, pouvez-vous nous expliquer le mécanisme à l'oeuvre entre la caisse de réassurance et les assureurs, qui amplifient leur prime en cas de sinistre ? Les gens ont besoin de comprendre et d'être beaucoup mieux couverts y compris pour les nouveaux risques.

M. Laurent Montador. - J'ai évoqué plus tôt la problématique de la concentration du secteur de l'assurance outre-mer, qui constitue un véritable sujet de préoccupation. Nous ne pouvons totalement nous comparer à un mécanisme de marché, en l'absence d'un véritable marché de la réassurance outre-mer. En revanche, les éléments dont nous disposons sur d'autres territoires de la région nous conduisent à estimer que les conditions que nous proposons sont particulièrement favorables aux assureurs.

Après Irma, nous avons procédé à des ajustements, qui restent limités et raisonnables. Notre actionnaire qu'est l'État nous demande quoi qu'il en soit d'appliquer les usages et les méthodes de la réassurance. Nous avons fait preuve de souplesse pour accompagner les acteurs, en étalant au besoin dans le temps les ajustements effectués. Nous n'avons demandé à aucun acteur de se retirer.

M. Michel Magras, président. - Pourriez-vous êtes plus précis au sujet de ces ajustements ? Envisagez-vous une évolution des taux ?

M. Laurent Montador. - Le taux de surprime est fixé par l'État à 12 %, par la voie d'un décret. À ma connaissance, il n'a pas prévu de faire évoluer ce taux à court terme. La question peut se poser du fait des travaux que nous menons sur l'impact du changement climatique. Ce taux est-il tenable à moyen et long termes ?

En ce qui concerne les ajustements, nous n'avons pas demandé l'augmentation de la franchise, mais ajusté notre tarif, de l'ordre de 20 à 30 %. Nous n'avons en revanche pas de lien direct avec les assurés, ce qui peut entraîner certaines difficultés. En effet, nous n'avons pas de vision précise des hausses tarifaires appliquées sur le terrain. Nous avons parfois pu entendre que les tarifs avaient doublé, alors que le taux de surprime au titre de la CCR demeure inchangé, à 12 %.

M. Thierry Cohignac. - La partie « stop loss » non proportionnelle des traités de réassurance commercialisés auprès des assureurs représente 10 % des primes de catastrophes naturelles. Si nous augmentions de 30 % nos tarifs, cette évolution représenterait pour l'assureur 3 % d'augmentation, ce qui est tout à fait supportable.

M. Antoine Quantin, directeur des réassurances et des fonds publics de la Caisse centrale de réassurance (CCR). - Selon nos calculs, un assureur qui augmenterait ses tarifs de 10 % outre-mer pourrait largement faire face aux augmentations que nous avons appliquées. Si sur place, il y a des hausses plus importantes, cela ne peut être du fait de la couverture CCR. Il y a peut-être eu des mécanismes de rattrapage. Au niveau des sièges, on a peut-être voulu recadrer les choses.

M. Abdallah Hassani, rapporteur. - À Mayotte, les assureurs sont très peu nombreux. Quel est le taux de pénétration de la couverture assurantielle sur ce territoire ? Il est peu commun d'assurer sa maison à Mayotte. Quelle est dès lors l'intervention de l'État ou de la réassurance en cas de sinistre ?

M. Antoine Quantin. - Nous ne disposons pas de statistiques précises concernant le taux de pénétration de l'assurance à Mayotte, mais il avoisine 10 %. Les assureurs qui opèrent à Mayotte sont vraisemblablement réassurés par la CCR. Notre part de marché s'établit à 90 % au national, mais nous estimons qu'elle est plus importante en outre-mer, à raison de 95-98 %. Quelques biens sont couverts par des assureurs internationaux non réassurés par la CCR.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Je vous remercie pour votre exposé très complet ; j'ai bien compris que vous étiez un opérateur de solidarité nationale. Dans le montant de 2 milliards d'euros évoqué, combinant Irma et Maria, intégrez-vous les éléments publics détruits ?

M. Antoine Quantin. - Cette somme recouvre les dommages assurés, et inclut les biens des particuliers, des entreprises et des collectivités locales assurés. Les biens de l'État ne sont, en revanche, pas assurés.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Nous devrons donc également expertiser le montant chiffré des structures propres à l'État.

Dans le cadre de votre mission de réassureur, avez-vous un devoir de conseil auprès des assureurs, au regard des éléments assurés ? Pouvez-vous refuser, en tant que caisse de réassurance, d'assurer un assureur qui a trop étendu sa démarche d'assurance dans les zones exposées ?

M. Antoine Quantin. - Nous sommes tenus de couvrir l'ensemble des portefeuilles et nous devons respecter une extension de garantie obligatoire. Les assureurs ne peuvent refuser le risque catastrophes naturelles. En contrepartie, la CCR est habilitée à réassurer avec une garantie illimitée, et nous avons l'obligation de réassurer tous les portefeuilles. Nous pouvons cependant, si un acteur limité prend des engagements démesurés, en particulier en outre-mer, sans détenir les capitaux ou les compétences requis pour couvrir les grands risques, le mettre en garde du risque pris. Nous ne pouvons cependant l'empêcher d'assurer ; nous pouvons seulement les éclairer sur leur exposition.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Disposez-vous d'une cellule d'expertise au sein de vos services, dédiée à la question du risque, de la résilience et de la reconstruction ?

M. Antoine Quantin. - Nous avons développé depuis une quinzaine d'années un pôle consacré à la connaissance des risques, via la collecte de données et des travaux de modélisation. Des experts - climatologues, sismologues - travaillent ainsi sur la quantification des risques, y compris en termes de changements climatiques. Nous avons conduit une étude en métropole et sommes en train d'en mener une outre-mer ; nous disposerons de premiers résultats fin juin. En France, nous sommes les seuls à disposer de cette expertise, permettant de traduire des aléas en montants de dommages assurés.

Nous avons donc un pilier indemnisation, un pilier connaissance des risques, et nous développons actuellement une cellule sur la prévention. Nous développons cette expertise depuis un an, en lien avec notre activité de gestionnaire du fonds Barnier. Du point de vue de la mesure de prévention collective, nous pouvons en effet apporter un éclairage. L'objectif est également, en termes de mesures de prévention individuelles, de savoir comment mieux reconstruire après un événement. Nous ne pouvons qu'être plus favorables à une construction plus résiliente.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Vos expertises seront-elles publiques ?

M. Antoine Quantin. - Nous avons publié sur notre site l'étude relative à la métropole. Nous publierons les mêmes conclusions sur l'outre-mer.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Il serait également pertinent d'étudier les relations entre le volet assurantiel et le volet reconstruction et ingénierie, par exemple avec l'Agence française de développement (AFD), qui assure aujourd'hui des missions outre-mer. Il est surprenant qu'il n'existe pour le moment pas de lien entre leur démarche, la vôtre et la reconstruction locale.

Le sujet de l'érosion côtière est un sujet d'une forte actualité et préoccupe les élus du littoral, en raison de son caractère actuel. Vous avez évoqué des éléments qui ne peuvent plus être assurés parce que l'aléa n'est plus valable. Je pense à la Guadeloupe, où 8 000 logements sont concernés par ces problèmes d'érosion côtière, de réchauffement climatique et de montée des eaux. Ce sujet est extrêmement délicat à saisir et nous conduira à des chiffrages nécessairement considérables. Il nous appartient de sensibiliser tous les acteurs qui participent à ce débat. L'érosion côtière d'aujourd'hui est la submersion de demain. Où s'arrêtent les notions de l'aléa et de l'assurance ? Nous n'avons pas la réponse mais il faut porter la question de manière urgente.

S'agissant des algues sargasses, l'ANEL a été le premier opérateur à interpeller le ministère en 2010 sur cette problématique. Les élus des territoires ultramarins n'étaient alors pas écoutés. Aujourd'hui, en 2019, on considère que ce phénomène est naturel et que tout va bien ! Or les dégâts intervenus en 10 ans sont considérables, au niveau matériel, sur les habitations ou les réseaux électriques par exemple. Je connais très bien Petit-Bourg et Marie-Galante. Mme Miraculeux-Bourgeois, la maire de Capesterre de Marie-Galante, est venue à l'ANEL en montrant sa nouvelle écharpe de maire, somptueuse, et celle de l'an passé, brûlée par l'acide sulfurique ! Il s'agit d'un sujet à mon sens catastrophique, au plan matériel, économique mais aussi sanitaire ! L'ARS commence seulement à le reconnaître aujourd'hui. J'ai assisté, il y a quelques années, à des discussions au cours desquelles celle-ci réfutait toute augmentation du phénomène, via l'asthme notamment.

Aux États-Unis, à Miami, les sargasses sont collectées en mer, sans attendre qu'elles s'échouent et pourrissent. Un dernier risque n'a pas été évalué, c'est celui qui porte sur le biotope marin. 80 centimètres de couches d'algues ne laissent en effet plus passer la lumière et détruisent celui-ci. Et cela bien sûr, on ne sait pas l'assurer.

M. Michel Magras, président. - Vous avez évoqué l'existence d'un pôle et d'une cellule de réflexion. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les travaux prospectifs que vous conduisez et sur leur déclinaison outre-mer ?

M. Antoine Quantin. - Cette cellule de modélisation et d'experts, sous la responsabilité de Thierry Cohignac et moi-même, est composée d'une équipe de scientifiques dont le but est de modéliser principalement les risques naturels en métropole et en outre-mer. Nous modélisons aujourd'hui les principaux périls qui relèvent du régime des catastrophes naturelles, à savoir les inondations, la sécheresse, les tremblements de terre et les cyclones. Nous avons conduit quelques travaux, plus exploratoires, sur les risques de tsunami et de volcanisme. Ces travaux sont au coeur de notre activité, afin de nous permettre de bien appréhender les risques que nous couvrons.

Cette équipe a mené l'an dernier, en partenariat avec Météo France, une étude sur l'impact du changement climatique à horizon 2050, uniquement en métropole. Les conclusions que nous avons apportées sont les suivantes : selon le scénario le plus pessimiste du GIEC - poursuite des gaz à effet de serre -, nous aboutirions en 2050 à une augmentation du ratio entre les sinistres et les primes de 50 %. Autrement dit, la surprime devrait évoluer de 12 à 18 % pour maintenir l'équilibre financier du régime. Les conclusions de cette étude sont publiques, et accessibles sur notre site internet. Nous réalisons actuellement la même étude sur les territoires ultramarins, en intégrant cette fois le risque de cyclone. Ces études assez lourdes nécessitent des temps de calcul très importants, notamment de la part de Météo France. L'objectif est de simuler des scénarii possibles à la date d'aujourd'hui, mais également à horizon 2050, en tenant compte des hypothèses d'évolution des émissions de gaz à effet de serre. Les premiers résultats seront disponibles en juin ; nous en assurerons également la publication complète.

M. Michel Magras, président. - Le BRGM n'a-t-il pas été associé à ces travaux ?

M. Antoine Quantin. - Pour cette étude, nous avons uniquement travaillé avec Météo France, qui génère les scénarii de projection climatique. Sur les risques de tremblements de terre, en revanche, nous travaillons en étroite collaboration avec le BRGM.

Mme Viviane Malet. -Vous avez indiqué que les risques couverts outre-mer étaient les mêmes que dans l'hexagone : catastrophes naturelles dues au vent, aux inondations, risques de boue... À La Réunion, nous avons sur notre territoire un volcan, qui peut également présenter un risque. En 1978, ses coulées avaient traversé la route et causé de nombreux dégâts. Les coulées de lave sont-elles prises en charge ? Lors d'une éruption volcanique, des cheveux de Pélé, ces filaments qui se disséminent sous l'action du vent, peuvent par ailleurs éradiquer des troupeaux. Comment votre caisse peut-elle agir à ces égards ?

M. Antoine Quantin. - Le volcanisme fait partie des périls couverts par le régime des catastrophes naturelles. Il me semble qu'une reconnaissance a eu lieu par le passé, à La Réunion. En général, les événements qui se sont produits à La Réunion n'entraînent pas de dommages matériels, puisqu'ils se sont produits dans l'enclos et qu'aucun bien n'a été touché. Le régime concerné date de 1982. Nous nous inquiétons davantage des événements susceptibles d'intervenir aux Antilles, en termes d'enjeux financiers.

Pour vous répondre concernant les troupeaux : la couverture des récoltes non engrangées et du cheptel relèvent d'autres dispositifs, et non du régime des catastrophes naturelles. Le fonds des calamités agricoles couvre les récoltes. Du fait de son caractère non obligatoire, l'assurance peine à se développer. Son succès est donc mitigé, puisque nous ne parvenons pas à obtenir une large mutualisation des risques.

M. Michel Magras, président. - Les assurances de bateaux sont, elles aussi, hors du champ de la CCR ? Pouvez-vous nous apporter des précisions sur le principe de cette couverture ? Vous couvrez par ailleurs l'assurance pertes d'exploitation. Quel est le principe de cette couverture ?

M. Antoine Quantin. - L'assurance des bateaux fait partie des exclusions du régime. Sont ainsi exclus : les dommages causés aux récoltes non engrangées, aux cultures, aux sols et aux cheptels vifs hors bâtiment, les dommages subis par les corps de véhicules aériens, maritimes, lacustres et fluviaux, ainsi que les installations d'énergies renouvelables en mer et les marchandises transportées - qui relèvent de l'assurance transport - et non de l'assurance dommages.

Ce sujet des bateaux s'est effectivement posé au moment d'Irma. Des garanties peuvent être proposées, mais elles relèvent d'un mécanisme classique.

Le régime catnat couvre les pertes d'exploitation lorsqu'elles sont consécutives à un dommage direct, à condition que cette garantie ait été souscrite et dans la limite de la franchise. En revanche, des pertes d'exploitation par impossibilité d'accès sont, par exemple, exclues du dispositif.

M. Michel Magras, président. - Concernant l'assurance perte d'exploitation, il ne semble pas que celle-ci n'intervient que lorsque l'outil de travail est hors d'usage, que le bénéficiaire s'engage à reprendre la même activité ?, et sur la base du chiffre d'affaires de l'année précédente ?

M. Antoine Quantin. - Les assureurs raisonnent en termes de marge brute plutôt qu'en termes de chiffre d'affaires. En cas de dommage matériel direct, si l'assuré a souscrit cette garantie, il est effectivement couvert.

M. Michel Magras, président. - Pouvez-vous revenir sur vos missions dans le cadre de l'utilisation du fonds Barnier ?

M. Antoine Quantin. - Nous assurons la gestion comptable et financière du fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit « fonds Barnier ». La décision de délégation est quant à elle du ressort du ministère de l'écologie, et dans une moindre mesure du ministère de l'économie et des finances.

Ce fonds, créé en 1995, avait initialement pour but de financer les expropriations de biens trop exposés, notamment en montagne. Progressivement, ses missions se sont élargies, d'abord à des cas d'acquisition amiable, dans une logique de délocalisation de ces biens. Lorsqu'un bien est sinistré à hauteur de plus de 50 %, le différentiel peut être pris en charge par le fonds Barnier, s'il s'agit d'un bien trop exposé, afin de le raser et de reconstruire ailleurs.

Ce dispositif a également été élargi au financement des mesures de prévention pour les collectivités locales - études sur les PPR, travaux de confortement ou de construction de digues -. Il est alimenté par un prélèvement sur les primes catastrophes naturelles, à raison de 12 %, soit un peu plus de 200 millions d'euros par an. L'État a décidé l'an dernier de plafonner l'alimentation de ce fonds à hauteur de 137 millions d'euros. En outre-mer, il est fortement mobilisé pour le financement du plan séisme Antilles.

M. Michel Magras, président. - Quel est l'état actuel du traitement et des remboursements des dossiers Irma ?

M. Antoine Quantin. - À ce jour, sur une estimation de 2 milliards d'euros, 75 % des sommes ont été payées. Le reliquat concerne les indemnités différées.

Les assurés ont intérêt à souscrire la garantie valeur à neuf, qui prévoit le paiement d'une indemnité différée une fois que le bien a été reconstruit. Le reliquat sera payé sur justificatif de la reconstruction effective.

La Fédération française de l'assurance reconnaît un retard au démarrage des démarches, du fait de la particularité de cet événement et de l'accès aux deux îles du Nord. Aujourd'hui, les éléments à indemniser l'ont été. L'essentiel à verser concerne ce différé, sur la base de justificatifs.

M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Qu'en est-il de la situation des copropriétés qui nous a été signalée comme plus difficile à gérer aujourd'hui et, surtout, comme un risque de mauvaise reconstruction sur le long terme.

M. Antoine Quantin. - Je n'ai pas d'éléments de réponse précis à ce sujet. Un problème a été rencontré au niveau de la réunion des assemblées des copropriétaires, notamment lorsque les appartements constituaient des investissements en défiscalisation. Certains propriétaires ne s'étaient alors pas manifestés, posant le problème du quorum nécessaire au vote des décisions. Globalement, le processus a bien avancé. Il demeure des problématiques de sous-assurance, concernant des personnes qui auraient choisi des contrats à bas coût, avec des limites de garanties insuffisantes. Le travail de répartition de la charge entre l'assurance des propriétaires et de la copropriété reste à effectuer.

M. Michel Magras, président. - Le Pacifique n'est pas dans le champ d'intervention de la CCR. Avez-vous conclu des conventions avec les opérateurs ou les collectivités de ces territoires ?

M. Antoine Quantin. - Non. Le régime catastrophes naturelles est régi par les textes du code des assurances, qui définit la territorialité. Les situations de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française sont différentes ; ces territoires ont un degré d'autonomie plus important. De ce fait, ces territoires ne sont pas couverts. Il faudrait que des textes soient adoptés localement.

M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Je souhaite revenir sur la question de la tarification et de sa mise à jour en fonction de l'exposition aux risques, notamment outre-mer. L'augmentation des tarifs s'est-elle opérée de façon globale, sur tous les acteurs assureurs, ou a-t-elle été ciblée sur les outre-mer ? C'est fonction des risques outre-mer.

M. Thierry Cohignac. - Les assureurs utilisent généralement les catastrophes naturelles pour justifier une augmentation de tarif de façon indépendante en métropole et en outre-mer. Les contrats multirisques habitation (MRH), subissent en effet des hausses régulières, supérieures à l'inflation. Les assureurs les justifient par l'augmentation des catastrophes naturelles, en métropole comme en outre-mer. Les tarifs augmentés sont les tarifs d'assurance. Des ajustements ont été opérés par certains assureurs, avec des politiques de tarification prenant mieux en compte le risque, et variant d'un assureur à l'autre. Nous constatons ces augmentations, mais n'avons pas de marge de manoeuvre sur les tarifs pratiqués par les assureurs. Sur Saint-Martin et Saint-Barthélemy, nous avons observé des hausses plus ou moins importantes chez certains assureurs, en fonction du prix de départ. Plus celui-ci est bas et plus l'augmentation est importante.

M. Michel Magras, président. - Ces augmentations sont en effet constatées par de nombreux acteurs que nous rencontrons dans nos territoires. À part les ajustements tarifaires évoqués, il n'y a pas eu à votre niveau, pour le moment, de décision sur le montant de la prime. Cependant, à partir du moment où l'assurance augmente, la prime augmente mécaniquement.

M. Antoine Quantin. - Nous bénéficions de la hausse de la prime de base, mais seuls 12 % de la hausse sont appliqués.

M. Thierry Cohignac. - En valeur relative, si le tarif de base est multiplié par deux, la prime qui alimente le régime catastrophes naturelles est multipliée par deux. En valeur absolue, en revanche, l'augmentation n'est pas la même. Le tarif moyen de la surprime catastrophes naturelles verra des fluctuations bien moindres que la prime de base.

Le taux de 12 % demeure inchangé en métropole ou dans les départements d'outre-mer, que vous soyez ou non exposés aux catastrophes naturelles.

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie. Nous sommes intéressés par tous les documents chiffrés que vous voudrez bien nous transmettre par écrit, qui figureront dans le rapport final.