Mardi 18 février 2020

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Table ronde sur les retraites des agricultrices

Mme Annick Billon, présidente. - Nous poursuivons ce soir nos travaux sur les retraites des femmes.

Afin d'inscrire notre délégation dans les réflexions en cours sur la réforme des retraites, qui nous concerne compte tenu de ses conséquences controversées sur la situation des femmes, nous avons désigné une équipe de quatre rapporteures représentative de la diversité politique de notre assemblée : Laurence Cohen, Laure Darcos, Françoise Laborde et Michelle Meunier.

Notre délégation attache une importance particulière à la question des retraites des agricultrices. En juillet 2017, nous avons publié un rapport sur les agricultrices intitulé Femmes et agriculture : pour l'égalité dans les territoires, qui continue à vivre, près de trois ans après sa publication. Il avait été porté à l'époque par une équipe de six rapporteurs représentant toutes les familles politiques du Sénat, dont je faisais partie, de même que mes collègues Françoise Laborde et Marie-Pierre Monier.

Ce rapport s'était, entre autres sujets, intéressé à la question de la retraite des agricultrices, dont le montant particulièrement modeste nous avait interpellés. Lors de son audition, Christiane Lambert, qui venait tout juste d'être élue présidente de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), avait ainsi qualifié les retraites des agricultrices les plus âgées de « scandaleusement basses ».

Le 4 avril 2017, nous avons reçu ici même, pour une table ronde sur les questions sociales, un panel d'interlocuteurs, dont beaucoup sont présents aujourd'hui pour nous éclairer sur la situation des agricultrices et les effets de la réforme des retraites.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie de vous être rendus disponibles pour venir nous aider à actualiser les constats réalisés en 2017 et nous éclairer sur la situation des agricultrices trois ans après notre travail. Nous avons besoin de vous aussi pour essayer d'y voir plus clair sur les résultats prévisibles de la réforme en cours d'examen à l'Assemblée nationale. Je vais, si vous le voulez bien, vous présenter dans l'ordre envisagé pour votre prise de parole.

M. Olivier Cunin, sous-directeur du travail et de la protection sociale au ministère de l'agriculture, est accompagné de Mme Rose-Marie Nicolas, cheffe du bureau des prestations sociales agricoles. Mme Anne Gautier est agricultrice en Maine-et-Loire, vice-présidente de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (MSA) et présidente de la MSA Maine-et-Loire ; elle est accompagnée de M. Christophe Simon, responsable des relations avec le Parlement et de Mme Christine Dupuy, directrice de la réglementation, à la Caisse centrale de la MSA. Mme Jacqueline Cottier est agricultrice dans le Maine-et-Loire et présidente de la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA ; elle est accompagnée de Mme Catherine Guerrauld, agricultrice dans la Manche. Mme Catherine Laillé est éleveuse dans la Loire-Atlantique et présidente de la section Agricultrices de la Coordination rurale nationale ; elle est accompagnée de Mme Yvette Lainé, éleveuse dans l'Orne et vice-présidente de la Coordination rurale nationale, chargée des questions sociales. Enfin, Mme Véronique Marchesseau est paysanne dans le Morbihan et secrétaire générale de laConfédération paysanne, chargée du pôle social ; elle est accompagnée de Mme Aurélie Bouton.

Mme Françoise Laborde, rapporteure. - On sait que les retraites des agriculteurs sont parmi les plus basses de notre pays, puisqu'elles sont 2,5 fois plus faibles que la moyenne. On sait aussi que celles des agricultrices sont encore plus basses : les personnes auditionnées il y a trois ans les estimaient à 550 euros par mois en moyenne. L'une de nos recommandations visait justement à faire en sorte qu'aucune retraite agricole ne soit inférieure au minimum vieillesse.

Les causes de cette situation sont multiples et connues : la question des agricultrices sans statut ; la surreprésentation, parmi les agricultrices retraitées, des conjointes collaboratrices, qui ne cotisent à la retraite proportionnelle que depuis 1999, et sur une assiette de cotisations limitée ; le fait que les conjointes collaboratrices ne cotisent à la retraite complémentaire obligatoire (RCO) que depuis 2011 ; l'accès plus tardif pour les femmes que pour les hommes au statut de chef d'exploitation. Quels sont aujourd'hui les principaux constats statistiques concernant la retraite des agricultrices ? Des évolutions ont-elles été constatées depuis 2017 ?

Nous avions également noté, à l'époque de l'élaboration de ce rapport, une certaine réticence du monde agricole à l'égard des cotisations : on sait combien il est difficile de cotiser quand on n'a que de tout petits revenus. L'une de nos recommandations visait donc à rendre obligatoire l'information des conjointes collaboratrices sur les cotisations de retraite effectivement payées par le chef d'exploitation, qui est souvent leur mari. Il s'agissait d'éviter toute mauvaise surprise au moment de la liquidation des droits, d'une éventuelle séparation ou d'un décès prématuré. La situation est-elle sur ce point en voie d'amélioration ?

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Selon les informations transmises par la MSA lors de l'élaboration de notre rapport de 2017, la loi du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, dite loi Touraine, avait revalorisé la situation des agricultrices en faisant accéder 256 000 femmes au régime complémentaire ou RCO. Le gain annuel pour ces retraitées avait été évalué, en 2017, à 377 euros.

L'attribution de points gratuits de RCO avait par ailleurs principalement bénéficié à des femmes, qui représentaient 72 % des bénéficiaires : 340 300 femmes, dont 149 300 veuves.

De même, on avait évalué à 59 000 le nombre de femmes bénéficiaires de l'attribution d'un complément différentiel permettant d'atteindre progressivement une retraite égale à 75 % du SMIC pour une carrière complète de chef d'exploitation. L'augmentation annuelle permise par cette mesure était estimée à 491 euros.

Quel bilan peut-on tirer aujourd'hui de ces améliorations ? Que vont devenir ces mesures avec la réforme ? Comment se règlera la période de transition ?

Par ailleurs, quelles sont les conséquences pour les agricultrices de la mise en place du congé maternité unique ? La proportion d'agricultrices en bénéficiant a-t-elle augmenté, sachant que le pourcentage était de 58 % en 2017 ? Des progrès ont-ils été constatés en matière d'adéquation de l'offre aux besoins de remplacement - c'était le principal frein constaté en 2017 ? La proportion de prestations de remplacement liées à la maternité n'était que de 20 % en 2017, contre 35 % pour la maladie et l'accident : cette proportion a-t-elle augmenté depuis ?

Enfin, quid de l'amélioration de l'information des agricultrices sur leurs droits ? Ce point faisait partie des recommandations de la délégation en 2017.

Mme Laure Darcos, rapporteure. - Quelles seront les conséquences du futur système universel à points et de l'exigence de carrières complètes pour les agricultrices, dont on sait qu'elles rejoignent souvent ce métier plus tard que les hommes ?

De manière générale, selon les informations transmises il y a trois ans à notre délégation par le ministère, seulement 31 % des agriculteurs et agricultrices totalisaient une durée d'assurance d'au moins 150 trimestres, soit 37,5 ans. L'exigence de carrière complète, qui va de pair avec la réforme, ne va-t-elle pas aggraver encore la faiblesse des retraites agricoles ?

Les solutions d'accueil des jeunes enfants en milieu rural ont-elles connu des évolutions récentes ? Le rapport de nos collègues fait état d'expérimentations conduites par la MSA concernant les micro-crèches, les maisons d'assistantes maternelles et les structures à horaires atypiques, qui peuvent être particulièrement adaptées aux contraintes du monde agricole. Ce point est important compte tenu des contraintes des métiers de l'agriculture.

Lors de la publication du rapport de notre délégation sur les agricultrices, en juillet 2017, la réforme de la liquidation unique des retraites des régimes alignés (LURA) venait d'entrer en vigueur. Il s'agissait, à des fins de simplification, de calculer la pension de retraite des polypensionnés comme si l'assuré avait cotisé à un seul régime, le calcul de ses droits à pension étant effectué par la dernière caisse à laquelle il ou elle avait été affilié. Dans ce rapport, la délégation avait exprimé la crainte que cette réforme ne se traduise par une baisse des retraites pour certaines agricultrices, relativement nombreuses parmi les polypensionnés. En effet, la retraite totale est soumise dans le nouveau système au plafond de la sécurité sociale - alors 39 228 euros annuels -, ce qui n'était pas le cas précédemment. Un article du Figaro avait même évalué à l'époque la proportion des perdants à environ deux tiers des polypensionnés. Qu'en est-il aujourd'hui ? Les conséquences de cette mesure sont-elles mieux connues ? Que deviendra cette liquidation unique avec le système des points ?

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Vous le voyez, nous nourrissons notre travail d'aujourd'hui du rapport d'il y a trois ans, dans lequel nous avions constaté les énormes difficultés des agricultrices. Il est particulièrement important pour nous d'établir un nouveau bilan de la situation des agricultrices et des effets qu'aura la réforme sur leurs retraites. Parmi les pistes évoquées il y a trois ans avec nos interlocutrices et interlocuteurs pour améliorer les retraites des agricultrices, plusieurs points avaient émergé.

Il avait ainsi été question d'éliminer les plus mauvaises années et de ne retenir que les vingt-cinq meilleures années, ce qui serait plus cohérent avec les aléas propres au monde agricole. Le ministère avait évoqué cette orientation en 2017 ; or la réforme actuelle suppose des carrières complètes. Qu'en pensez-vous ?

L'idée d'une bonification forfaitaire pour enfant, pour les parents de trois enfants, avait été portée ici même, il y a trois ans, par la représentante de la MSA. Elle reposait sur le constat que le montant des retraites agricoles était trop faible pour qu'une méthode de calcul proportionnelle soit avantageuse, a fortiori avec une bonification fiscalisée. Or, avec la réforme, on s'oriente vers une bonification de 5 % dès le premier enfant. Il me semble que les réserves exprimées il y a trois ans sont encore plus fondées avec 5 % dès le premier enfant qu'avec 10 % à la troisième naissance. Qu'en pensez-vous ?

S'agissant de la réversion, nos interlocuteurs de l'époque avaient déploré les conséquences de plafonds de revenu extrêmement bas, privant de réversion les conjoints survivants disposant d'une retraite complémentaire même modeste. Ces conditions restrictives étaient considérées comme une injustice de plus. Nous avions donc recommandé la mise à l'étude d'un alignement des conditions d'accès à la réversion sur celles du droit commun. Les choses ont-elles évolué depuis ? Quelles perspectives la réforme ouvre-t-elle en ce domaine ?

M. Olivier Cunin, sous-directeur du travail et de la protection sociale au ministère de l'agriculture. - Notre présentation permettra d'actualiser le constat sur la situation des agricultrices retraitées que nous avions réalisé en 2017, sur la base des chiffres connus au 31 décembre 2018. Nous vous présenterons également un bilan de la situation des agricultrices actuellement en activité.

Le régime de base agricole compte aujourd'hui 1,3 million de retraités agricoles, dont 760 000 femmes. Elles sont plus nombreuses que les hommes en raison de la réversion - les titulaires d'un droit de réversion sont à 90 % des femmes. Leur âge moyen est de 80 ans ; 54 % d'entre elles ont plus de 80 ans. Sur ces 760 000 retraitées du régime agricole, 360 000 sont également titulaires de la RCO, soit 47 % - alors que 55 % des hommes sont dans cette situation.

Le nombre de polypensionnés est particulièrement important en agriculture : 75 % des retraités hommes sont polypensionnés. La situation des femmes est un peu différente : sur les 760 000 femmes retraitées, 15 % sont monopensionnées, 8 % sont pensionnées du régime agricole avec une réversion en provenance d'un autre régime, 66 % sont polypensionnées - soit 500 000 femmes - et 10 % n'ont pas travaillé dans l'agriculture, mais touchent une pension de réversion du régime agricole.

S'agissant des montants de pension, qui intègrent les revalorisations issues de la loi Touraine sur la RCO, on observe que les pensions des hommes sont supérieures aux pensions des femmes, sauf en ce qui concerne les pensions de réversion. La pension moyenne d'une femme polypensionnée serait de 1 115 euros par mois ; si son activité était principalement agricole, la pension moyenne serait de 1 027 euros par mois ; si son activité était principalement non agricole, elle s'établirait à 1 225 euros par mois.

Dans le cas d'une carrière complète pour une femme monopensionnée - elles sont 90 000 dans ce cas -, le montant moyen de la retraite est de 684 euros par mois, contre 922 euros pour un homme. En cas de carrière incomplète - les femmes sont 20 000 dans ce cas -, la pension moyenne est de 368 euros par mois pour une femme et de 579 euros par mois pour un homme.

Les dispositions de la loi Touraine ont concerné 300 000 femmes, pour un gain moyen annuel de 363 euros. Quant au complément différentiel, il a concerné 54 000 femmes pour un gain moyen de 498 euros.

Les explications sont connues et vous les avez rappelées : les statuts sont arrivés tardivement, l'entrée dans la profession est plus tardive, les agricultrices sont souvent sous le statut de conjoint collaborateur, et il existe un effet lié au niveau de revenu.

Venons-en à la situation des agricultrices en activité. Souvenons-nous que les femmes ont toujours été présentes sur les exploitations agricoles, mais que la reconnaissance de leur travail a été tardive. Elle est passée par l'évolution des statuts, avec la création en 1980 du statut de co-exploitant et en 1999 de celui de conjoint collaborateur. Elle est passée aussi par l'évolution des entreprises, avec la création de l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) en 1985 et la possibilité de faire un groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) entre époux à partir de 2010.

On compte aujourd'hui 450 000 chefs d'exploitation agricole, dont 110 000 femmes. Ce pourcentage d'un quart de femmes est resté relativement stable sur les dix dernières années. Ces femmes dirigent ou codirigent 30 % des exploitations et entreprises agricoles, alors que ce pourcentage n'était que de 8 % en 1970.

En 2018, 16 000 nouveaux chefs d'exploitation se sont installés, dont 35 % de femmes. Parmi ces 5 800 nouvelles installées, une majorité a moins de 40 ans, 34 % a plus de 40 ans et 14 % accèdent au statut par transfert de l'époux, le plus souvent au moment de la retraite de ce dernier.

L'immense majorité des conjoints collaborateurs sont des femmes : elles sont 21 200 sur 26 000. Cela représente 15 % du total des conjointes de chefs d'exploitation hommes. Depuis dix ans, on constate une érosion de ce statut.

Globalement, on constate une érosion démographique des chefs d'exploitation - hommes et femmes confondus -, qui sont passés de 520 000 à 450 000 en dix ans. Quant aux membres de famille - conjoints collaborateurs et aides familiaux -, ils sont passés de 56 000 à 30 000. Cela pose la question de l'évolution du statut de conjoint collaborateur.

Concernant les femmes, les proportions demeurent stables : elles représentent un quart des chefs d'exploitation et 80 % des conjoints collaborateurs.

L'âge moyen des femmes chefs d'exploitation est de 52 ans, contre 48 ans pour les hommes, et 20 % d'entre elles ont plus de 60 ans. Elles sont présentes dans la plupart des secteurs d'activité : 16 % dans l'élevage de bovins et le lait, 17 % dans les cultures céréalières et industrielles, 13 % dans les cultures et élevages non spécialisés et 12 % dans la viticulture. Elles sont également très implantées dans la filière cheval, mais pas du tout dans d'autres secteurs tels que l'exploitation de bois, les entreprises paysagistes, la sylviculture et les entreprises de travaux agricoles, qui restent très masculins.

S'agissant des structures juridiques, 62 % des femmes exercent leur activité dans une entreprise sociétaire - alors que ce n'est le cas que de 57 % des hommes - et 38 % sous forme individuelle. Les revenus professionnels des femmes, calculés sur l'assiette sociale, sont en moyenne inférieurs de 30 % à ceux des hommes.

Mme Anne Gautier, agricultrice dans le Maine-et-Loire, vice-présidente de la Caisse centrale de la MSA et présidente de la MSA Maine-et-Loire. - On constate depuis quelques années une réelle prise de conscience de la nécessité d'un effort contributif pour la constitution de droits à la retraite. Il est essentiel de faire passer ce message : pour pouvoir recevoir, il faut avoir contribué. Le système universel de retraite, avec des points consultables sur le compte personnel de l'assuré, devrait améliorer la visibilité de leur futur niveau de pension, quel que soit leur statut.

Il est cependant dommage que le projet de loi ne traite pas des collaborateurs d'exploitation ou d'entreprise agricole, ni des aides familiales, ni des cotisants de solidarité. Afin d'améliorer à terme la retraite des conjoints d'exploitants, la MSA est favorable à une limitation dans le temps du statut de conjoint collaborateur d'exploitation ou d'entreprise agricole, qui n'offre que des droits limités à la retraite, non représentatifs de l'activité professionnelle exercée.

Nous avons réalisé le bilan des mesures prises dans le cadre de la loi relative aux retraites de janvier 2014 : 193 000 personnes ont accédé à la RCO, pour un gain moyen annuel de 380 euros, ce qui n'est pas négligeable compte tenu du niveau des retraites agricoles. L'attribution des points gratuits a principalement bénéficié aux femmes, puisqu'elles ont constitué 67 % des bénéficiaires. Par ailleurs, un quart des bénéficiaires du complément différentiel de RCO sont des femmes et l'attribution de cette prestation a représenté un gain annuel moyen de 500 euros.

Que vont devenir ces mesures dans le cadre de la nouvelle réforme ? Le projet dont nous avons été saisis prévoit une application à partir de la génération de 1975, avec une montée en charge progressive pour les liquidations à partir de 2037 ; de plus, les carrières constituées antérieurement à 2025 seraient calculées dans le cadre des règles actuelles : il y a donc tout lieu de penser que ces mesures s'appliqueront encore quelques années. Quant à la période de transition, le projet de loi renvoie à des ordonnances dont nous ignorons le contenu. Cela rend délicate l'évaluation des effets de la réforme, tant sur les droits des futurs retraités que sur son financement et sa gouvernance. C'est pourquoi la MSA a rendu avis défavorable à ce projet de loi.

Le recours au remplacement était de 56 % en 2018, avant la mise en place du congé de maternité unique. Au cours du premier semestre de 2019, 729 dossiers de congé maternité ont été déposés par les agricultrices auprès des caisses de MSA : 68 % ont bénéficié d'une allocation de remplacement maternité et 1 % de la nouvelle indemnité journalière forfaitaire. Cette très faible proportion s'explique notamment par la publication tardive du décret qui a fixé le montant de l'indemnité journalière à 55,51 euros, le 14 juin 2019. En outre, il s'agit de proposer prioritairement un remplacement, avant l'indemnité journalière. Il est apparu que 31 % des assurées n'ont pas été indemnisées : 6 % des femmes concernées ont refusé de déposer une demande de remplacement et 25 % d'entre elles ne remplissaient pas les conditions d'ouverture de droits. Mais au final, ce nouveau dispositif a permis à davantage d'agricultrices d'être indemnisées, puisque 69 % d'entre elles en ont bénéficié.

En ce qui concerne le recours au remplacement, nous n'avons pas de données actualisées.

S'agissant de l'amélioration de l'information des agricultrices sur leurs droits, la MSA a mis en place une procédure d'accompagnement des assurées dès la déclaration de grossesse, afin de les inciter à faire une demande d'allocation de remplacement maternité.

Le futur régime universel à points exige des carrières complètes, or les agricultrices rejoignent plus tard le métier. Certaines dispositions, notamment relatives à la période de transition, sont renvoyées à des ordonnances dont nous ignorons le contenu. Ce manque de précision complique l'évaluation de l'impact de la réforme sur les droits des futurs retraités, le financement du dispositif et sa gouvernance.

Comme le statut de collaborateur entraîne de la précarité pour les conjoints au moment de la liquidation de la retraite, la MSA souhaite limiter sa durée à cinq ans, à l'instar des personnes sous statut d'aide familial, conformément à la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006. En cas de poursuite de l'activité professionnelle du conjoint, le chef d'exploitation inviterait, au terme de cinq années, à choisir entre le statut d'exploitant et celui de salarié, plus protecteurs. À défaut de déclaration, le conjoint serait réputé être salarié d'exploitant ou d'entreprise agricole, en conformité avec les dispositions de l'article 9 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (loi Pacte).

De nombreuses règles seront fixées par ordonnances, mais le système universel s'appliquera à partir de 2025 aux générations nées après 1975. Les droits acquis jusqu'en 2025 seront garantis à 100 %. Les personnes nées avant 1975 ne sont pas concernées par la réforme, et leur retraite sera liquidée selon les règles antérieures.

Pour l'accueil des jeunes enfants en milieu rural, la MSA a dépassé la phase expérimentale depuis 2010 et soutient des micro-crèches, des maisons d'assistantes maternelles (MAM) et des structures à horaires atypiques, conformément au dispositif « Accueil du jeune enfant » prévu par notre convention d'objectif et de gestion 2016-2020. Nous soutenons une centaine de projets : 60 micro-crèches, 52 MAM et 10 innovations. Nous vous enverrons ultérieurement le détail de ces projets.

Les assurés cotisent et se créent des droits dans la limite d'un plafond de Sécurité sociale ; le maximum des pensions est fixé à 50 % de ce plafond. La LURA ne fait pas perdre de droits aux assurées non salariées agricoles, car c'est une liquidation unique entre les régimes salariés et indépendants non agricoles. Seules les exploitantes agricoles ayant exercé des activités auprès d'au moins deux des régimes de salariés ou d'indépendants sont concernées par la LURA pour ces activités. Mais leurs droits à la retraite comme agricultrices ne sont pas modifiés.

Selon les travaux du Conseil d'orientation sur les retraites (COR), les règles d'assurance avantagent parfois les polypensionnés, qui peuvent cotiser plus de quatre trimestres par an, ou dont le coefficient de proratisation est supérieur à un, tous régimes confondus. Cela peut aussi les désavantager en raison de la validation d'années incomplètes du fait des effets de seuil, et selon les appréciations régime par régime. Cela concerne la période antérieure à la LURA, qui a bien amélioré le dispositif.

Dans le nouveau système de retraites universel, il faudra garantir le montant des droits, les règles de valorisation des périodes cotisées ou assimilées, la bonification pour enfants, prévoir la période de transition...

La LURA avait comme avantage de simplifier les démarches de liquidation et de calculer plus équitablement les périodes cotisées dans les différents régimes pour ne pas faire perdre de droits. Elle prenait comme base unique les salaires et les revenus, prémices du répertoire de gestion des carrières uniques en cours de construction.

Le projet de loi renforce ces objectifs de simplification et d'équité. Le compte personnel de carrière retracera l'intégralité des droits de chaque assuré. Les règles de gestion de la retraite du nouveau système seront précisées par ordonnances, décrets et conventions entre la Caisse nationale de retraite universelle et les régimes obligatoires y contribuant. Les règles antérieures continueront de s'appliquer pour les générations nées avant 1975. À partir de 1975, les droits acquis jusqu'en 2025 seront garantis à 100 % selon les anciennes règles ; ce sera un peu complexe...

Il y a quelques années, la Cour des comptes avait analysé les conséquences éventuelles d'un calcul de la retraite sur les vingt-cinq meilleures années, mais n'arrivait pas à se prononcer sur l'opportunité d'un tel changement, car de multiples scénarios étaient envisageables. Le nouveau système se fondant sur l'intégralité de la carrière, une telle hypothèse de calcul sur vingt-cinq ans n'est donc plus d'actualité.

Le montant des retraites agricoles étant très faible, une majoration unique de 5 % par enfant, dès le premier enfant, sur un tel montant, ne donnera pas grand-chose. Cette bonification serait accordée par défaut à la mère, qui peut la partager avec le père ; une majoration supplémentaire de 1 % serait accordée à chacun à partir du troisième enfant. Pour améliorer les retraites des femmes qui ont de faibles pensions, le projet de loi devrait plutôt prévoir un forfait de points identique, quel que soit le montant de la pension. Ce système serait plus redistributif, et donnerait les mêmes droits à tous, quels que soient les revenus de l'assuré et son parcours professionnel. Souvent, ces femmes ont touché de faibles revenus et ont eu plus de difficultés à élever leurs enfants - ce ne serait donc que justice.

Les conditions d'attribution de la pension de réversion sont identiques entre le régime général et celui des agriculteurs. Mais en 2014, la réforme des retraites prévoyait un rapport sur les ressources en matière de réversion, qui n'a jamais été présenté. Or les régimes prennent en compte les avantages viagers et des éléments patrimoniaux, qui peuvent exclure certains assurés. La réforme maintient le principe d'une réversion. Celle-ci sera attribuée au conjoint survivant à partir de 55 ans, à hauteur de 70 % des points acquis par le couple, sans condition de ressources. C'est plus lisible que le système actuel. Le futur dispositif ne s'appliquera qu'aux conjoints survivants des personnes décédées ayant basculé dans le nouveau système de retraite, et donc nées après 1975, soit à partir de 2037. Pour les conjoints de personnes décédées nées avant 1975, les règles actuelles de réversion s'appliqueront.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour ce tour d'horizon complet.

Mme Jacqueline Cottier, agricultrice dans le Maine-et-Loire, présidente de la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA, membre du Conseil économique, social et environnemental de 2015 à 2020. - Le nombre d'agricultrices concernées par le statut de conjoint collaborateur a diminué de moitié en dix ans. Les agricultrices relèvent donc aujourd'hui d'un statut plus protecteur. Nous plaidons également pour que ce statut soit limité dans le temps - en début de carrière surtout - à cinq ans. Sinon, la carrière en sera pénalisée, mais également la retraite, qui est un héritage du parcours professionnel. Ce statut, transitoire, permettra aux intéressées de s'assurer que leur projet professionnel prend forme et est viable. Nous attendons beaucoup de la loi Pacte. Les agricultrices travaillent pour le développement de leur exploitation, mais elles n'ont pas de statut social. Qu'on leur attribue le statut soit de salariée, soit d'exploitante agricole ! Ce serait plutôt positif, malgré les obligations qui en résultent. Les aléas de la vie, comme un veuvage ou une séparation, ont des conséquences dramatiques pour les agricultrices. Cela leur assurerait une forme de protection.

Le congé maternité est une avancée pour les agricultrices, avec un reste à charge nul. Auparavant, cet aspect financier était un frein pour certaines. La MSA, qui réalise un bon travail de communication, a analysé les refus qui ont dû être opposés à certaines demandes. Des agricultrices se sont vu refuser une indemnisation, car elles n'avaient pas de statut et ne pouvaient donc entrer dans le dispositif ; c'est la règle, mais c'est désolant que ces femmes travaillent sans statut.

La bonification pour enfant devrait selon nous être forfaitaire, même si l'attribuer dès le premier enfant est une avancée.

Les pensions de réversion suscitent de nombreuses attentes : certaines veuves sont dans une situation délicate. La réforme pourrait améliorer leur sort, avec un taux de 70 % au lieu de 50 % actuellement. Mais il va falloir du temps avant que les intéressées puissent en bénéficier.

Avant toute chose, l'agricultrice doit avoir un statut pour bien démarrer dans sa vie professionnelle, même si elles sont encore une certaine proportion à entrer plus tard que les hommes dans cette profession. Mais aujourd'hui, les agricultrices ont en général choisi ce métier en connaissance de cause, et l'installation de ces jeunes femmes est en bonne voie. Je suis rassurée lorsque je vois les chiffres. Ces agricultrices doivent percevoir des revenus dignes de ce nom, dans la durée.

Mme Catherine Laillé, éleveuse dans la Loire-Atlantique, présidente la section Agricultrices de la Coordination rurale. - Venue à plusieurs reprises au Sénat depuis 2017, j'ai beaucoup apprécié le travail de votre délégation. Il est important d'évoquer les retraites des agricultrices. Que la moyenne des retraites pour elles soit de 570 euros est indécent, et je parle autant des retraitées actuelles que de celles à venir...

Si nous devons changer quelque chose, c'est maintenant ! Le constat est connu. Nous avons émis des propositions et effectué le bilan des quarante recommandations du rapport que vous avez publié en 2017. Sur les retraites, il ne s'est malheureusement rien passé.

Avec la loi Pacte, le mari agriculteur est obligé de déclarer sa femme comme collaboratrice. La MSA dispose-t-elle de chiffres précis ? On évoquait 5 000 agricultrices sans statut : sont-elles moins nombreuses désormais ?

Mme Anne Gautier. - Il en reste toujours...

Mme Catherine Laillé. - C'était une demande importante il y a trois ans : nous voulions que ce statut soit temporaire. Cinq ans, c'est la durée maximale du statut d'aide familial. Au bout de cinq ans, un vrai statut est choisi. Nous améliorerons les conditions de retraite par l'amélioration des statuts. Nous ne sommes pas « conjointes de », nous sommes agricultrices. Valorisons-nous ! Actuellement, les jeunes agricultrices qui s'installent choisissent plus facilement le statut de chef d'exploitation. Il y a eu des avancées depuis trois ans, par rapport à l'époque de la publication de votre rapport.

Notre priorité, c'est que les agricultrices déjà retraitées touchent 85 % du SMIC, soit 1 040 euros - l'équivalent du seuil de pauvreté. Le fait que les revenus agricoles soient faibles n'est pas la faute des agriculteurs, qui travaillent beaucoup, mais qui subissent les conséquences des crises agricoles ! La loi de 2003 devait en principe porter progressivement ce seuil de 75 % à 85 % du SMIC, mais elle n'est toujours pas appliquée, alors qu'elle a été votée par le Parlement ! C'est ahurissant et insupportable. Les agricultrices prenant demain leur retraite devraient pouvoir toucher 100 % du SMIC pour une carrière entière, elles ont travaillé tous les jours, même parfois sans revenu en cas de crise agricole... Elles méritent leurs 1 200 euros. Nous ne pouvons demander moins ! Les syndicats de salariés n'accepteraient pas ces chiffres au rabais.

Il faut par ailleurs conserver les 10 % de majoration pour le troisième enfant, même si la bonification de 5 % dès le premier enfant est une bonne chose.

S'agissant du partage des 5 % de bonification entre les parents, il y a des arbitrages à faire entre l'homme et la femme. Cette réforme pourrait être l'occasion de réduire les inégalités entre hommes et femmes. Car même si les jeunes générations évoluent, les femmes s'occupent toujours davantage des enfants que les hommes.

Quant aux pensions de réversion, il ne faudrait surtout pas les supprimer. Il faut séparer les revenus du travail et les autres et rehausser le plafond.

Il faudrait revoir la fiscalité. J'ai entendu dire que les agriculteurs ont une grande réticence à l'égard des cotisations sociales : ce n'est pas complètement faux. Mais il faut savoir ce qu'on veut et trouver le curseur d'équilibre entre investissements et cotisations... Les arbitrages peuvent être difficiles.

Reste la question de savoir comment financer tout cela. Enfin, ces changements ne doivent pas avoir lieu en 2025 ou en 2022, mais bien en 2020. C'est maintenant que tout se joue ! Le président de la République a fait de l'égalité entre femmes et hommes une priorité, il faut donc avoir le courage d'agir vite, d'autant plus qu'il ne s'agit finalement que d'un rattrapage !

Les médias avaient malheureusement très mal expliqué le fonctionnement de la TVA sociale : ce serait pourtant une bonne solution. Une hausse de TVA équivaut à une baisse des charges et permettrait de conserver le prix des produits agricoles français inchangés au plan national, mais de rendre leur prix à l'export plus compétitif, tout en taxant les importations, qui aujourd'hui ne financent en rien la protection sociale.

Mme Yvette Lainé, éleveuse dans l'Orne, vice-présidente de la Coordination rurale, en charge des questions sociales. - Nous notons une nette amélioration concernant le congé maternité. Ce qui nous cause du souci, ce sont les femmes qui, faute d'un revenu correct, préfèrent les 55 euros d'indemnité journalière au remplacement. De ce fait elles doivent travailler pendant leur congé, alors que le but est bien le repos de la mère, pour son bien et celui de l'enfant. Le problème est aussi que les services de remplacement ne montent qu'à 35 heures, alors que dans les faits, les agricultrices travaillent plutôt 50 à 70 heures par semaine. Point positif : en Savoie, une femme a obtenu de la MSA deux remplaçants à temps plein, en cohérence avec un temps de travail déclaré de 70 heures : c'est un progrès. Dans des situations comparables, nous avions obtenu le remplacement de femmes par trois salariés se relayant entre les jours de semaine et les week-ends. Il serait bon de faire monter le remplacement à 70 heures.

La pénibilité doit aussi être prise en compte, en particulier dans l'élevage. Un éleveur ne prend pas cinq semaines de congés. Avec les samedis, dimanches et jours fériés, il travaille déjà quinze semaines de plus par an. Comme il travaille 50 heures - et je suis modeste, c'est plus en réalité - il faut rajouter au minimum sept semaines supplémentaires : il finit par totaliser 22 semaines de déficit de repos par an. Au bout de 32 ans, il aura travaillé 13 ans de plus qu'un salarié ! Nous demandons un départ anticipé, comme les marins-pêcheurs.

Mme Véronique Marchesseau, paysanne dans le Morbihan, secrétaire générale de la Confédération paysanne en charge du Pôle social. - Premier principe : il faut d'abord des prix rémunérateurs, pour que les agriculteurs puissent payer les cotisations sociales. S'ils ont des difficultés pour payer la MSA, c'est qu'il y a des problèmes de revenu dans les fermes.

Il faut aussi réformer les outils fiscaux qui réduisent artificiellement l'assiette des cotisations sociales, comme l'exonération des plus-values professionnelles et les amortissements dégressifs. Tant qu'ils existeront, les paysans ne contribueront pas suffisamment. Il faut des cotisations justes, adaptées au revenu, pour financer des prestations de qualité.

Nous déplorons que la revalorisation des pensions actuelles ne soit pas à l'ordre du jour. La faiblesse des pensions s'explique par différents facteurs : des carrières incomplètes à cause de périodes non cotisées ; des « sous-statuts » qui concernent tout particulièrement les femmes ; des revenus dont on connaît la faiblesse ; des cotisants solidaires qui n'ont pas cotisé ; des exonérations de cotisation pour les paysans et paysannes d'outre-mer qui n'ont pas été compensées par l'État, ce qui abaisse encore plus leur niveau de pensions.

Actuellement les personnes aux carrières incomplètes qui partent avant l'âge de retraite à taux plein - 67 ans - sont très pénalisées : elles n'ont pas droit aux points gratuits de retraite complémentaire obligatoire et de complément différentiel de RCO (CDRCO) qui permettent d'atteindre 75 % du Smic, et n'ont pas accès à la pension majorée de référence (PMR), dont les conditions d'accès sont complexes, ce qui explique que la MSA fasse régulièrement des erreurs de calcul.

Pour améliorer ces retraites, il faudrait augmenter les points de retraites proportionnels pour tous, y compris pour les femmes et les personnes à la carrière incomplète. C'est une mesure d'urgence. Cela ne permettra pas d'atteindre 75 % du Smic, mais les retraites seront un peu moins indécentes.

Nous demandons aussi l'alignement des conditions d'accès à la pension minimale de référence sur le minimum contributif (MICO) qui existe pour les salariés et la suppression des distinctions de statuts. Nous demandons enfin la revalorisation de la pension des anciens chefs d'exploitation à 85 % du SMIC.

Le système actuel a de nombreux défauts, mais il a une qualité : il est redistributif pour le bas du barème. Le projet de réforme, avec son principe des droits identiques pour un euro cotisé, serait moins équitable : il reproduirait les inégalités de la vie active dans les retraites.

La promesse d'une retraite de carrière compète à 85 % du SMIC est un leurre : elle incitera les paysans à réduire leurs revenus pour payer moins de cotisations. Dans ce cas, s'ils n'atteignent pas une carrière complète, ils auront des droits acquis très faibles.

La bonification proportionnelle pour les enfants ne nous satisfait pas du tout. Elle favorisera les hauts revenus et a toutes les chances d'être attribuée aux hommes, dont les revenus sont le plus souvent plus élevés.

Sur la réversion, la réforme nous surprend : elle maintient un système patriarcal et matrimonial qui ne correspond plus du tout à la société actuelle en excluant les couples non mariés.

Quant au statut de conjoint, c'est est un « sous-statut » qui doit être supprimé ou, au moins, limité dans le temps, comme celui d'aide familial. Le statut de cotisant solidaire doit être réservé aux situations d'installation progressive ou de pluriactivité.

Enfin, l'accès au congé maternité n'est pas assez connu. Nous avons rédigé et distribué un livret pour remédier à ce défaut d'information. C'est un droit, il faut faire en sorte que davantage de femmes puissent en bénéficier. À cet effet, un accompagnement au service de remplacement est indispensable. Il est difficile de trouver un remplaçant qui puisse assurer la totalité des tâches qui incombent aux femmes. Par exemple, il y a encore des tâches féminisées, comme la comptabilité, pour lesquelles il est plus difficile de trouver des remplaçants.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci à tous pour ces interventions dans lesquelles nous retrouvons l'engagement et la détermination qui nous avaient marqués il y a trois ans. Le débat actuel sur les retraites met en exergue les inégalités entre hommes et femmes dans leurs parcours professionnels. Les femmes sont trop souvent contraintes d'exercer des activités en plus de l'exploitation pour garantir des revenus suffisants à la famille. À cela s'ajoute la pénibilité, le temps de travail, les difficultés à prendre un congé maternité. Nous retrouvons des thématiques qui nous avaient alarmés en 2017.

À titre d'information, je rappelle que la proposition 16 du rapport de la délégation en 2017 était de limiter à cinq ans le statut de conjoint collaborateur, ce qui rejoint une demande que plusieurs d'entre vous ont exprimée aujourd'hui...

Nous ne pouvons effectivement imaginer des retraites à 550 euros pour les femmes alors que l'égalité a été consacrée « grande cause du quinquennat ».

Les inquiétudes qui ont été exprimées rejoignent celles des parlementaires, qu'il s'agisse des insuffisances de l'étude d'impact, qui ne permet pas d'appréhender tous les effets de la réforme, plus particulièrement pour les femmes, ou des nombreux renvois à des ordonnances.

Vous avez tous apporté un regard différent - parfois militant. Nous retrouvons l'engagement des agricultrices bretonnes, qui nous avaient beaucoup impressionnés il y a trois ans. Mais d'autres régions ne sont pas en reste - je m'adresse à notre collègue Loïc Hervé - puisque la Savoie a ainsi été citée en exemple au sujet du remplacement des agricultrices en congé maternité !

Mme Maryvonne Blondin. - C'est un plaisir de vous retrouver quelques années après nos travaux. Depuis, dans nos départements du Finistère et du Morbihan, nous avons continué à travailler localement sur ces sujets. Je remercie la délégation d'assurer ainsi le suivi de notre rapport.

Lorsqu'on connaît le métier d'agriculteur, on s'étonne que la prise en compte de la pénibilité n'apparaisse pas dans la réforme. Par ailleurs, en ce qui concerne la réversion, je suis d'accord avec ce qui a été dit : la société évolue et il faut intégrer les conjoints non mariés.

La bonification de 5 % par enfant devrait être destinée à la mère, mais comme sa retraite sera le plus souvent bien moindre, la tentation sera grande de la porter sur l'homme.

Mme Catherine Laillé. - Oui, il y aura un intérêt à placer la bonification de 5 % sur les hommes, mais quelles en seront les conséquences en cas de divorce ? Il faut une retraite de base et une majoration. Il n'y aura plus d'inquiétude sur ce point si nous sanctuarisons une retraite de base.

Mme Anne Gautier. - Un forfait de points par enfant nous semblerait plus équitable qu'une majoration.

M. Olivier Cunin. - Lors des concertations avec les syndicats agricoles, nous avons évoqué tous ces points, notamment la revalorisation des pensions actuelles.

Il est utile d'avoir des chiffres précis. Certes les pensions des femmes sont plus faibles que celles des hommes, et celles des agriculteurs plus basses que celles des autres professions. Mais lorsqu'on évoque 550 euros pour les femmes par exemple, il s'agit de la moyenne versée par le régime agricole, indépendamment de la durée d'assurance dans le régime agricole, donc en intégrant des personnes qui ont cotisé toute leur carrière dans ce régime comme celles qui ont eu une durée d'affiliation très courte, parce qu'elles ont eu d'autres expériences professionnelles. Mais la problématique des faibles pensions est bien évidemment très réelle.

Le statut de conjoint collaborateur est une des causes de la faiblesse des retraites des agricultrices. Ce sujet sera forcément débattu à l'occasion de la discussion du projet de loi, même s'il n'est pas évoqué dans le texte initial. La diminution du nombre de personnes concernées montre bien qu'il n'est plus attractif. D'autres statuts comme les GAEC entre époux pourraient s'avérer préférables pour reconnaître le travail des femmes.

En ce qui concerne le congé de maternité, il est compréhensible que les personnes confrontées à des difficultés financières préfèrent l'indemnité journalière au remplacement. Conscient de ce risque, le ministère de l'agriculture a oeuvré pour que la prestation sociale reste en première instance la prise en charge du remplacement et que l'indemnité journalière ne soit versée qu'en absence de solution de remplacement.

Dans les outre-mer, les modalités de prélèvement sont spécifiques : les cotisations ne sont pas assises sur le revenu réel comme c'est le cas en métropole. Elles conduisent en outre à construire un revenu fictif très bas, et donc des prélèvements contributifs très bas, ce qui explique les pensions très faibles. Nous sommes en train d'expertiser cette problématique pour voir si une évolution des modalités de prélèvements, tendant à ce que les cotisations soient assises sur le revenu, comme en métropole, serait envisageable. Il y a bel et bien un dispositif de compensation des exonérations qui se traduit par une prise en charge pour 98 % des actifs.

Sans entrer dans le débat sur la lisibilité du projet de loi et sur le renvoi aux ordonnances, vous avez évoqué les cotisations des membres de famille. Il est vrai que le texte est complexe, mais une assiette minimale est bien prévue pour les conjoints collaborateurs et les aides de famille. Pour finir, le projet de loi prévoit bien un « filet de sécurité » à 85 % du SMIC pour les carrières complètes, quel que soit le régime.

Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Pour les carrières complètes, ce n'est pas un détail ! C'est tout le problème...

M. Olivier Cunin. - Les assiettes minimales seront associées à ce minimum de pension de 85 %. Cela permettra de créer des droits en cas d'absence de revenu.

Mme Rose-Marie Nicolas, cheffe de bureau des prestations sociales agricoles. - En matière de bonification pour enfant, le système universel prévoit 5 % par enfant dès le premier enfant. Ce dispositif prend le relais des deux dispositifs actuels que sont la majoration de durée d'assurance et la bonification de 10 % pour les familles d'au moins trois enfants. De plus, 2 % seront répartis entre les parents à partir de trois enfants. À défaut d'un accord entre le père et la mère, la majoration bénéficiera à la mère. Des aménagements ont été proposés vendredi dernier par la secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. La moitié de la majoration de 5 % (soit 2,5 %) irait automatiquement à la mère au titre de la maternité et l'autre moitié pourrait être répartie entre les parents et attribuée à la mère par défaut.

Par ailleurs, les femmes ayant des faibles revenus pourront bénéficier d'une garantie minimale. La majoration de 2,5 % ne pourrait pas être inférieure à un forfait plancher, accordé sous condition d'une durée minimale travaillée.

Mme Martine Filleul. - Je souhaite revenir sur la question de la pénibilité. Mme Lainé demande qu'un départ anticipé soit possible pour les agriculteurs, à l'instar de ce qui existe pour les marins-pêcheurs. Avez-vous fait part de cette revendication dans les négociations actuelles ? Quels retours avez-vous eus ?

Mme Catherine Laillé. - Ce point a été fortement revendiqué par notre syndicat. La pénibilité est prise en compte pour les salariés, pourquoi ne le serait-elle pas pour les exploitants agricoles ? En cas de forte pénibilité, il devrait être possible d'arrêter de travailler à cinquante-cinq ans, comme cela se pratiquait il y a quinze ou vingt ans ! De plus, où met-on le curseur de l'invalidité par rapport à la pénibilité ? Ce sont des sujets transversaux qui demeurent flous et sans réponse. Nous avons pourtant interrogé M. Macron il y a quinze jours !

M. Olivier Cunin. - Sur la pénibilité, qui ne concerne pas que le monde agricole, une concertation est menée par la ministre du travail, dont nous connaîtrons les résultats fin avril. Dans le cadre des discussions avec les syndicats agricoles, le sujet a été mis sur la table à la fois pour les salariés et pour les non-salariés. Aucune décision n'a été prise, mais nous en discutons.

Mme Anne Gautier. - La pension d'invalidité a été revalorisée au 1er janvier. Il s'agissait d'une revendication de très longue date, car elle était très faible.

M. Olivier Cunin. - Cette revalorisation a été décidée dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Elle n'atteint pas le niveau de l'indemnisation des travailleurs indépendants. C'est un premier pas. Par ailleurs, elle n'est plus uniquement forfaitaire : elle est également proportionnelle aux revenus, ce qui permet d'en faire un revenu de remplacement.

Mme Françoise Laborde, rapporteure. - Nous verrons bien quelles seront les nouvelles règles pour la génération de 1975. Mais quid des agricultrices relevant du système antérieur, et dont le revenu est inférieur au minimum vieillesse ? Comment faire pour avancer ?

Mme Anne Gautier. - Nous ne pouvons que vous conforter dans cette idée ! Il paraît impossible d'appliquer le dispositif uniquement pour la génération de 1975. Le président de la République n'a-t-il pas annoncé qu'à partir 2022, il n'y aurait plus de retraite en dessous du SMIC ?

Mme Jacqueline Cottier. - Beaucoup d'agricultrices sont dans l'attente : 1 000 euros, c'est presque le double de ce qu'elles perçoivent ! Ces annonces ont suscité beaucoup d'espoir... Le minimum vieillesse n'est pas assez utilisé : il faudrait retravailler la communication. Nous avons d'ailleurs demandé une étude en cas de veuvage et lorsque les revenus sont très faibles, car de trop nombreuses personnes n'accomplissent pas les démarches par méconnaissance.

Mme Catherine Laillé. - Je suis plus revendicative : pour moi, l'objectif ce n'est pas 2022, mais 2020 ! C'est une question de justice sociale. Je pense à nos mères et à nos grand-mères qui ont nourri la population pendant la guerre et ont été considérées comme « sans profession » ! Il est urgent d'agir. La revalorisation des retraites des agriculteurs favorisera l'installation et la transmission. N'oublions pas que 50 % des agriculteurs partiront à la retraite d'ici à dix ans : le chantier est phénoménal.

Mme Véronique Marchesseau. - On se réfère souvent à des carrières complètes, mais la plupart des femmes dans l'agriculture ont travaillé sans être déclarées. Leur travail a permis de maintenir des prix agricoles bas. Elles ont donc participé à la production de richesse de la société. Pourquoi devraient-elles vivre maintenant comme des misérables dans leur campagne ? Il importe de reconnaître le travail des femmes en agriculture, mais pas via le minimum vieillesse, qui est un mécanisme de solidarité ! Le travail des femmes doit être reconnu par la retraite.

Mme Catherine Guerrauld, agricultrice (FNSEA). - J'ai commencé à travailler à dix-sept ans, j'ai eu une carrière longue, j'ai cotisé au même titre que mon mari et je perçois aujourd'hui une retraite de 750 euros...

Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour cet exemple concret et, hélas, éclairant.

Il me reste à vous remercier pour cet échange qui, j'en suis certaine, marquera les travaux de la délégation, comme cela a été le cas en 2017. Je pense que tout le monde a apprécié le bel esprit qui a régné sur cette table ronde.

Jeudi 20 février 2020

- Présidence de Mme Annick Billon -

Audition de M. Bertrand Fragonard, président du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA)

Mme Annick Billon. - Chers collègues, nous poursuivons ce matin nos travaux sur les retraites des femmes, un sujet qui illustre de manière emblématique des inégalités persistantes entre femmes et hommes, et qui se trouve tout naturellement au coeur des préoccupations de notre délégation.

Nous entendons aujourd'hui, sur les droits familiaux et la réversion, Bertrand Fragonard, président du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA).

Monsieur le président, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation et de venir nous éclairer sur ces sujets particulièrement complexes.

Les modifications annoncées par le Gouvernement vendredi dernier n'ont pas nécessairement apporté toutes les réponses aux questions que nous nous posons à propos du nouveau système.

Je rappelle que Bertrand Fragonard a été chargé, avec Anne-Marie Leroyer, professeure de droit à l'Université de Paris 1, d'un rapport sur la situation des personnes divorcées au regard de la réversion. Ce travail a été rendu public le jeudi 13 février.

Je précise à l'attention de M. Fragonard que la délégation a désigné, pour suivre la réforme des retraites, une équipe de quatre rapporteures qui reflète la diversité politique de notre assemblée :

- Laurence Cohen (groupe CRCE) ;

- Laure Darcos (groupe LR) ;

- Françoise Laborde (groupe RDSE) ;

- et Michelle Meunier (groupe Socialiste et républicain).

Je vais donner la parole aux rapporteures.

Mme Michelle Meunier, co-rapporteure. - La réforme prévoit une majoration de points de 5 % versée dès le premier enfant. L'un de nos interlocuteurs, le Laboratoire de l'égalité, estime que ce choix favorise les plus hauts revenus et qu'un montant forfaitaire serait plus égalitaire. Qu'en pensez-vous ?

Par ailleurs, d'après les mesures annoncées le vendredi 14 février par le Gouvernement, la moitié de cette majoration, soit 2,5 %, ira à la mère. En outre, pour les femmes aux faibles revenus, cette majoration de 2,5 % ne pourra être inférieure à un montant défini par décret. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

Mme Laure Darcos, co-rapporteure. - Je voudrais revenir sur la décision relative au partage des points entre les parents, que le projet de réforme fait intervenir avant les quatre ans et demi de l'enfant. Pourquoi cet âge ? Sur quelles motivations techniques repose ce choix ? Pour ma part, je trouve qu'il intervient très tôt par rapport à la date de la liquidation des droits. Quelles seraient les conséquences d'un report de cet âge, par exemple vers l'adolescence de l'enfant ?

Je vais également vous poser les questions que souhaitait vous adresser notre collègue Laurence Cohen, qui va nous rejoindre. Parmi les modifications annoncées le 14 février, nous avons constaté avec intérêt l'intention d'attribuer des points supplémentaires aux familles monoparentales, qui sont en grande majorité des femmes. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Par ailleurs, notre délégation ne peut que saluer le fait que le partage des points entre les deux parents ne soit pas possible en cas de condamnation pour violence conjugale.

Mme Françoise Laborde, co-rapporteure. - Il est prévu pour les familles nombreuses un supplément de points de 2 % à partir du troisième enfant, que les parents pourraient décider d'attribuer au père pour des raisons évidentes d'optimisation. Si l'on attribue 5 % pour chacun des deux premiers enfants, comment fonctionne le supplément de 2 % à partir du troisième enfant ? Ces 2 % sont-ils attribués pour chaque enfant à partir de la troisième naissance ? Lors du débat au Sénat, le 18 février dernier, sur la politique familiale, Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, a estimé qu'avec quatre enfants, le supplément serait de 22 % : cela signifie que les 2 % ne sont pas appliqués à chaque enfant. J'aimerais avoir des éclaircissements sur ce point.

Par ailleurs, si ce supplément est partagé entre les deux parents, ne peut-on craindre que cet avantage ne soit pas à la hauteur des besoins des familles de trois enfants et plus, a fortiori pour les familles à revenus modestes ? Enfin, peut-on faire le bilan comparatif des dispositions concernant la retraite des mères de trois enfants dans l'ancien et le nouveau système ? Je m'interroge sur l'avenir de la politique familiale.

Mme Annick Billon, présidente. - Il est convenu que nous procédions en deux temps, M. Fragonard nous présentant d'abord la question des droits familiaux, puis dans un second temps la problématique de la réversion. Nous aurons ensuite un temps d'échanges.

Monsieur le président, nous vous écoutons avec beaucoup d'intérêt.

M. Bertrand Fragonard, président du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA). - J'aimerais commencer par deux remarques liminaires. Tout d'abord, je souhaite souligner un effort louable de clarté dans le projet de réforme des retraites qui nous occupe aujourd'hui. En effet, les droits familiaux sont actuellement difficiles à anticiper en matière de retraite. Le Gouvernement a raison de soutenir qu'il existe une grande obscurité sur les bonifications en annuités. La majoration pour familles nombreuses, qui est de 10 %, est claire alors que les annuités sont difficiles à comprendre. À ce titre, un système fonctionnant par points constitue une meilleure base méthodologique. Cela ne règle pas les problèmes de fond, mais il s'agit d'un élément positif.

En outre, si j'ai bien compris l'étude d'impact, le Gouvernement a cherché à respecter l'équilibre existant des droits familiaux. Il s'agit davantage d'une restructuration. Le Gouvernement a écarté à la fois une forte pression sur les droits familiaux et un très fort développement de ces derniers. Il reste néanmoins impossible de savoir si le système proposé sera à l'équilibre. En effet, il faudrait au préalable définir à quelle date nous devrons atteindre l'équilibre, car tout aura évolué d'ici une vingtaine d'années : les droits propres des mères de famille auront changé, ainsi que la natalité et la montée en charge du dispositif actuel. Il n'est donc pas possible de tirer un quelconque bilan avant que ces éléments ne soient précisés. Mon sentiment est que nous serons à peu près à l'équilibre, selon l'horizon de temps et les hypothèses choisies sur la natalité et l'évolution des droits propres.

Pour revenir à vos questions sur les droits familiaux, la majoration est l'élément le plus important en volume. Le choix initial du Gouvernement est la proportionnalité, qui se comprend d'une double manière : par rapport à la taille de la famille et par rapport aux revenus. La proportionnalité par rapport aux revenus est habituelle dans le système de retraite, même s'il est possible d'envisager des dispositifs qui s'en écartent.

L'option du Gouvernement aboutit à favoriser les familles courtes plutôt que les familles nombreuses. Les familles courtes sont bénéficiaires de la majoration par rapport à la situation actuelle. En effet, les mécanismes de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) et de la majoration de durée d'assurance (MDA), actuellement en vigueur, n'ont pas un effet considérable sur les familles courtes dont les mères ont plus de probabilités de valider leurs trimestres grâce à leur activité professionnelle. Le Gouvernement opère donc un choix de clarté. Cela soulève cependant la question suivante : est-il sain et raisonnable d'exercer un choix qui bascule le profil des familles bénéficiaires ?

Je suis personnellement réticent à cette perspective, comme j'ai eu l'occasion de le dire depuis plusieurs années. Je constate avec regret que la thèse proportionnaliste l'emporte parce qu'elle est simple. Il en va de même pour les allocations familiales. Je suis réticent à la proportionnalité, car cela revient à désorganiser la protection de familles dont le niveau de vie est plus bas.

Le Gouvernement a corrigé son choix à la marge après la démarche de l'Union nationale des associations familiales (UNAF), en ajoutant deux points à partir du troisième enfant. Je confirme d'ailleurs que le système établit des seuils de 5 % au premier enfant, 10 % au deuxième enfant, 17 % au troisième enfant, puis 22 %, 27 %, etc. On ne rajoute pas deux points par enfant. Il s'agit d'un seul bonus de deux points, qui est acquis à partir du troisième enfant. Il faudra ensuite définir qui portera les majorations, mais ce choix exercera une pression en défaveur des familles nombreuses et en faveur des familles courtes. Mes propos ne concernent pas le bonus des parents isolés, qui est d'une nature différente.

Il reviendra donc au Parlement de consolider ou de s'écarter de ce choix. J'estime personnellement qu'à enveloppe constante, un barème progressif aurait été préférable. Cela signifierait toutefois que l'on perdrait la symbolique et la simplicité de la proportionnalité, à laquelle le bonus de points fait déjà une entorse.

La pénalisation relative de la famille nombreuse résulte également de l'article 45, qui porte sur les points accordés pour les parents dont le profil d'activité est atypique. Nous savons bien qu'il s'agira en majorité des mères. Le dispositif envisagé par le Gouvernement resserre la protection des familles nombreuses, notamment les familles modestes et durablement inactives. Le Gouvernement a en effet modifié le dispositif initial de l'AVPF, qui portait jusqu'au sixième anniversaire de l'enfant. Certaines mères de famille qui ont un profil d'inactivité plus long auront moins de points le moment venu.

Le problème central des majorations est de savoir qui les porte. Ce choix a un impact en matière de politique familiale, de condition féminine et de dépenses publiques. Quels sont les objectifs ? Souhaitons-nous améliorer la retraite d'une famille de trois enfants ou d'une mère de trois enfants ? Ce n'est pas la même chose.

En effet, si le père porte les majorations, le couple retraité vit mieux, puisque la majoration est assise sur le revenu le plus élevé. La veuve vit mieux également, car les droits familiaux portés par le père lui sont reversés. Au contraire, si la majoration est portée par la mère, le revenu du couple retraité est plus faible et la réversion est marginale, étant donné que les femmes - du moins actuellement - survivent aux hommes le plus souvent. L'écart financier entre les deux options est donc considérable.

Ces facteurs expliquent qu'il soit si difficile d'établir un bilan, car cela nécessite de savoir qui portera la majoration. Dans l'étude d'impact, le Gouvernement a estimé que la majoration serait portée à 80 % par la mère et partagée à raison de 20 % entre la mère et le père. Cela équivaudrait donc à ce que 90 % des majorations soient concrètement portées par la mère, et 10 % par le père. Cette hypothèse me laisse perplexe, comme je l'ai indiqué dès le début des discussions à M. Delevoye. Ce dernier a estimé que l'hypothèse correspondait à ce qui était constaté actuellement pour la majoration de durée d'assurance (MDA), dont la répartition est laissée au choix du couple depuis deux ans. Toutefois, les chiffres sur la MDA ne sont pas publiés. Le rapport du Haut Conseil de la famille sur les droits familiaux, publié en février 2015, constatait en effet que les femmes portaient majoritairement la deuxième année de MDA, sachant que la première année leur revient substantiellement. Pour rappel, la MDA représente deux annuités par enfant. Ce sont généralement les mères qui prennent la deuxième année.

En réalité, peu d'hommes revendiquent le bénéfice de la MDA, parce qu'ils ne savent pas toujours qu'ils ont la possibilité de le faire ou parce qu'ils adoptent spontanément l'idée que la mère porte l'annuité. Pourquoi semble-t-il normal que les mères bénéficient de ces annuités ? Parce que les pères disposent des annuités nécessaires ! Une annuité n'est intéressante pour le couple que si elle est destinée à la mère. Au vu des seules considérations financières, ce choix est logique et rationnel.

La donne change avec le nouveau régime. Tout d'abord, il ne s'agit plus d'annuités, mais de points, c'est-à-dire de moyens supplémentaires. La communication sera rapide et compréhensible grâce aux simulateurs, qui indiqueront la différence induite par le choix des personnes - père ou mère. Nous retrouverons ici l'ambivalence des objectifs que l'on souhaite atteindre. Si le couple est rationnel et s'il a le sentiment qu'il va durer, il positionnera la majoration sur le revenu le plus élevé, c'est à dire celui de l'homme. D'une manière paradoxale, une réforme dont l'un des objectifs est d'améliorer la retraite des femmes améliorera donc celle des hommes. On l'oublie parfois, mais les gens vivent souvent en couple ! Or un avantage porté par le père peut profiter aux deux conjoints. Pourtant, si l'on aborde les retraites sous l'angle des droits des femmes, il faut améliorer leur retraite et leur donner une sécurité en cas de séparation.

Il y a donc une grande incertitude sur le choix que les couples feront et sur le partage des droits familiaux. La vraie question est de savoir ce que l'on souhaite privilégier. Doit-on améliorer en priorité le revenu du couple, ce qui signifie que l'homme portera la majoration dans la plupart des cas ? Doit-on flécher la majoration vers les mères de famille, à la fois pour des raisons de doctrine et pour améliorer leur sécurité en cas de séparation avec un meilleur niveau de droits propres ?

Le Gouvernement s'est rapidement aperçu de cette ambiguïté. Il est possible d'en sortir en supprimant l'option, ce qui implique d'opter pour la forfaitisation. Chaque famille aura dans ce cas un certain nombre de points et non un pourcentage. Cela est neutre pour le couple et pour la mère en cas de séparation.

La forfaitisation diminue l'incertitude liée au choix du pourcentage. En outre, elle donne aux droits familiaux une allure plus redistributrice en fonction du revenu. Il s'agit donc d'un choix politique. Considère-t-on que les familles aisées ont droit au même pourcentage que les familles modestes ? La forfaitisation recouvre un objectif de redistribution qui n'était pas présent dans le projet initial, qui visait avant tout à résoudre le problème de l'attribution de la majoration.

L'option choisie par le Gouvernement consiste à contraindre le système tout en respectant les limites juridiques nationales et internationales qui avaient conduit à diviser la MDA en deux, au grand regret du gouvernement de l'époque, parce qu'il n'était pas possible d'attribuer intégralement la majoration à la mère. Par conséquent, la mère reçoit automatiquement la moitié de la MDA la première année, la seconde étant optionnelle. Cette formule permettait l'attribution d'une grande partie de la MDA à la mère.

Le Gouvernement peut diviser en deux le bonus de 2 %. Il convient toutefois de savoir si cette option est souhaitable et crédible d'un point de vue juridique.

Il est évident que si la retraite de la mère de famille est la priorité, le fléchage automatique d'une partie de la majoration devra lui accorder plus de droits. Cette option est également un bon choix budgétaire. Toutefois, si la majoration est portée par la mère, la pression s'exercera pour redistribuer les économies potentielles, qui pourraient atteindre plusieurs milliards d'euros.

Il y a donc là une question de choix : faut-il privilégier le couple, la mère ou les deux ? Ce sujet est central.

Une question particulière se pose également : à quel moment faut-il exercer son droit ? Actuellement, les options pour la MDA se décident aux trois ans de l'enfant. Si l'on retarde cette échéance, cela crée davantage d'incertitude, car il existe une plus grande variation de statuts familiaux entre le troisième anniversaire de l'enfant, son adolescence et sa majorité. L'arbitrage des parents sera donc différent et tiendra compte d'autres éléments, comme la séparation du couple. Selon moi, il n'est pas pertinent de multiplier des zones d'incertitude dans les choix de vie des personnes.

On peut penser qu'une décision prise aux trois ans de l'enfant bénéficierait plutôt aux hommes, pour des raisons financières. Toutefois, on introduit une zone d'incertitude si on décale le moment de ce choix. Cela ne me paraît pas très sain, a fortiori parce que le régime par points est supposé améliorer la lisibilité du système.

Voilà ce que l'on peut dire sur la majoration.

Un deuxième sujet a été peu abordé, alors qu'il est très important. Il s'agit de l'article 45, qui crée une majoration de points dits de solidarité nationale, accordés aux parents dont les revenus d'activité sont faibles. Cela correspond à l'AVPF actuelle. Nous savons que le choix d'activité, notamment celui des mères, est influencé par le nombre d'enfants. Le taux d'inactivité ou d'activité partielle diminue considérablement avec la taille de la famille et l'AVPF corrige ce mécanisme.

Dans l'AVPF, la CNAF est l'employeur fictif des parents au foyer. Elle cotise sur la base du SMIC. Les parents - bien souvent les mères - ont le droit de diminuer leur activité professionnelle dans certaines situations : la CNAF compense par un complément monétaire. Il s'agit d'un complément en annuités qui peut se convertir en points. L'article 45 prévoit ainsi que des points sont accordés au parent inactif ou faiblement actif, soit fréquemment la mère, jusqu'aux trois ans de l'enfant.

Les mères recevront donc le nombre de points correspondant à 60 % du SMIC. Ce seuil est écrêté pour les femmes partiellement actives afin que les droits totaux de l'année ne dépassent pas le SMIC. En cas d'activité partielle, le montant sera donc plafonné au SMIC.

Le bilan comparé entre le système actuel et le système futur n'a pas de sens s'il est envisagé individuellement. Les simulations de retraite doivent intégrer tout le cheminement de la réforme pour évaluer l'impact des points versés au moment de la liquidation. Le Gouvernement consolide un principe acté depuis cinquante ans, à savoir que le système accepte que des parents soient moins actifs lorsque leurs enfants sont petits. Toutefois, la technique issue de la réforme sera différente ; elle exercera des effets différents.

Dans l'article 45, le Gouvernement a également supprimé le deuxième processus par lequel le parent inactif cumule des points. L'AVPF accorde actuellement à une mère inactive d'au moins trois enfants des droits jusqu'au vingt-et-unième anniversaire de l'aîné, soit une longue durée. L'idée que l'on doit compenser une très longue inactivité pourrait être mal perçue, y compris des milieux féministes. Le Gouvernement l'a donc supprimé dans le texte initial. Passé le troisième anniversaire de l'enfant, l'avenir des mères est l'activité. Les minima permettent de protéger les femmes inactives, mais il a été considéré que le système de retraite ne devrait pas favoriser ou compenser une longue inactivité.

Il convient cependant de savoir qui sont ces femmes inactives. Il s'agit soit de personnes aisées, issues de modèles familiaux traditionnels, soit de personnes modestes, souvent issues de l'immigration. On constate ici toute l'ambiguïté d'un dispositif qui protège, car il peut consolider certaines situations. Le fait d'aider des personnes inactives peut renforcer l'idée que l'on peut ne pas être actif.

Cela n'est pas un enjeu financier majeur, mais il s'agit d'un réel choix social. Le Gouvernement a d'ailleurs fait évoluer sa position à la demande de l'UNAF en reportant le dispositif pour les familles nombreuses jusqu'au sixième anniversaire de l'enfant. J'avais suggéré le seuil de neuf ans dans le rapport de 2015 que j'ai évoqué tout à l'heure. La réflexion est d'ordre politique : comment concilier la protection de la famille et la promotion des droits des femmes ? Certes, l'enjeu financier n'est pas significatif, mais il faut aussi penser que le financement de la grande dépendance, par exemple, exige des moyens importants.

Le troisième élément du nouveau dispositif concerne les droits du parent isolé. Pourquoi donner des points à un parent sous prétexte qu'il est isolé ? On peut se poser cette question, car un parent isolé travaille dans la plupart des cas, et acquiert ainsi des droits personnels. Les parents isolés ayant un ou deux enfants auront la majoration de 5 ou 10 % dont nous avons parlé précédemment, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Le Gouvernement a fait valoir cet argument lors de la présentation du projet en soulignant que les familles courtes, et notamment les familles monoparentales, seraient mieux aidées avec le nouveau système. Il est évident que pour certaines femmes, ces points seront bien utiles pour compléter leur retraite. Pour celles qui perçoivent des revenus plus élevés, cela représentera peut être un effet d'aubaine, dont on peut penser que la portée sera limitée.

Il existe deux méthodes pour définir un parent isolé, qui est d'ailleurs souvent une mère isolée. On peut d'une part lui attribuer des points tant qu'elle touche l'ASF (Allocation de soutien familial), qui est servie au parent isolé jusqu'aux 21 ans de l'enfant. L'ASF concerne les enfants abandonnés ou non reconnus par leur père. Cette prestation existe. On peut d'autre part se référer au concept de la demi-part des veufs, qui concerne les personnes veuves ayant élevé seules un ou plusieurs enfants pendant au moins cinq ans. Le Gouvernement a choisi la première méthode, à savoir l'ASF, ce qui représente 800 000 personnes par an.

Il restera à définir par décret combien de points sont accordés dans ce cas. À nouveau, il faudra choisir entre un mode de calcul forfaitaire ou proportionnel et déterminer si le calcul se fait par enfant ou par parent. L'impact financier n'est pas significatif. Certains plaident en effet pour la forfaitisation de la majoration ordinaire et pour la proportionnalité de la majoration de parent isolé. Cette discussion sera importante pour vous, d'autant plus que le Gouvernement devrait annoncer le contenu des décrets.

Mme Michelle Meunier, co-rapporteure. - Quel est le montant de l'ASF ?

M. Bertrand Fragonard. - L'ASF est de 115 euros par mois et par enfant jusqu'à 21 ans.

En outre, si l'on veut aider un parent isolé, faut-il le faire lors de la retraite ou avant ? J'avais proposé de continuer ce qui avait été fait par le gouvernement de M. Ayrault, à savoir augmenter l'ASF de 25 % sur les cinq ans, mais cette idée n'a pas été retenue. Il faut pourtant compléter les retraites souvent basses des parents isolés, qui ont eu des vies difficiles.

S'agissant de la réversion, je rappelle que ce sujet pèse financièrement deux fois plus que les droits familiaux et qu'il est beaucoup plus complexe.

Le premier principe retenu par le Gouvernement est de conserver et de consolider la réversion, alors que certains pays s'orientent vers une extinction de la réversion. La réversion est consolidée dans le cadre du mariage. Elle n'existe pas pour les couples pacsés ou vivant en concubinage, et ce alors même que la nuptialité recule dans notre pays. Initialement, la réversion concernait uniquement les femmes - dans la logique de l'époque, le mari mourait le premier. D'autres formes d'union ont émergé par la suite. Certains pays ont ainsi amorcé un virage consistant à couvrir les partenariats enregistrés. La question peut se poser aussi pour les concubins. Certains trouvent d'ailleurs curieux qu'il soit possible d'ouvrir une pension de réversion pour une personne qui se serait mariée deux ans avant la retraite, par exemple, et de ne rien prévoir pour un couple non marié dont l'union aurait duré quarante ans...

Nous avons traité cette question dans un avis1(*) adopté en mars 2019 sur les femmes seniors, qui sont très concernées par la réversion. Dans le contexte de la réversion, la question centrale à poser est la valeur que l'on accorde au mariage et son statut. Mais cette interrogation ne concerne pas uniquement la réversion. Si on banalise les statuts familiaux, comme on l'a fait pour le PACS avec l'impôt sur le revenu, on touche également au quotient conjugal, soit 12 milliards d'euros, ou au problème considérable des droits de succession. La quotité disponible que l'on peut se céder entre concubins est taxée à 60 %, alors qu'elle ne l'est pas entre époux. Dans le cas des retraites, le Gouvernement a consolidé le lien intrinsèque entre mariage et réversion.

Il convenait ensuite d'arbitrer plusieurs points. À partir de quel moment est-on en droit d'avoir une réversion ? Faut-il instituer un critère de durée minimale du mariage ? À cet égard, la situation est aujourd'hui très ouverte : il n'existe pas de conditions dans le régime général ; dans la fonction publique, il faut une durée de quatre ans de mariage, sauf si le couple a eu un enfant. Le Gouvernement a donc fixé pour la réforme en cours un minimum de deux ans, destiné à éviter un certain opportunisme.

Toutefois, si l'on consolide le lien entre réversion et mariage, il ne faut pas empêcher les couples de se marier, même lorsqu'ils sont âgés. On voit aujourd'hui des couples pacsés qui se marient sur le tard, dans la perspective de la réversion et de la succession.

Dans la contribution du HCFEA au rapport du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle (CSEP) sur « les femmes seniors dans l'emploi », que j'évoquais tout à l'heure, nous avons estimé, en réponse à la question « Pourquoi n'ouvrez-vous pas la réversion aux couples non mariés ? » que les couples pouvaient se marier. La vraie question est de savoir pourquoi les gens ne se marient pas, malgré les avantages attachés au mariage. Une pension de réversion moyenne équivaut à 120 000 euros sur la période : cela signifie qu'une personne qui se marie acquiert un droit potentiel de 120 000 euros. En outre, le mariage donne accès au quotient conjugal et à une législation favorable. Chacun est libre de vivre comme il le souhaite, mais le mariage est favorable financièrement. Le fait que les couples ne se marient pas malgré ces avantages mériterait une étude.

Il est frappant de constater que les personnes de 40 ou 45 ans interrogées sur le mariage ont une réponse plus que nuancée, peut être en lien avec une séparation ou un divorce récent. En revanche, les gens plus âgés se montrent plus ouverts à la réflexion quand on leur expose les avantages du mariage.

Par ailleurs, le Gouvernement a renoncé à une option du rapport Delevoye qui consistait à porter l'âge de la réversion à 62 ans. En effet, M. Delevoye considérait que la réversion était un avantage vieillesse qui devait donc être accordé aux personnes retraitées. Pourtant, de nombreuses femmes ne sont pas retraitées à 62 ans. Selon M. Delevoye, le veuvage précoce devait être réglé par d'autres mécanismes, et notamment par la prévoyance. Toutefois, le Gouvernement a décidé de maintenir le seuil de 55 ans, ce qui à mon avis était sage. Le problème du veuvage précoce reste intact, mais j'estime que la réponse pertinente est réellement la prévoyance. Cette dernière permet d'ailleurs de couvrir les couples pacsés ou vivant en concubinage. Dans le capital-décès d'une convention collective, la clause de désignation est ouverte. De plus, la prévoyance concerne par définition les actifs. Cela permet donc de toucher une population dont la protection n'est pas assurée systématiquement par la réversion.

Le HCFEA a identifié plusieurs voies de progrès.

Il convient ainsi de généraliser la prévoyance, qui varie fortement selon la taille des entreprises. Les cadres ont obligatoirement une prévoyance depuis 1945, mais cela n'est pas généralisé aux non cadres. Plus l'entreprise est petite, moins les salariés en bénéficient. La mutualisation d'un accord national interprofessionnel (ANI) serait donc positive. Le Gouvernement a d'ailleurs demandé à l'IGAS un rapport sur le veuvage précoce. À titre personnel, j'estime que les pistes d'amélioration relevant de la prévoyance devraient être envisagées.

Il faudra également faire le point sur les « contrats Madelin », créés en 1994 à l'attention des travailleurs non-salariés, qui sont trop souvent oubliés. En outre, les syndicats de fonctionnaires demandent des droits en matière de prévoyance, et notamment d'assurance complémentaire santé, mais cela n'avance que lentement. Or il convient de savoir s'il est nécessaire de repenser à moyen terme la prévoyance des fonctionnaires, qui sont concernés par les questions de retraite et de réversion. Ils ne sont pas concernés par un âge limite pour les réversions et leurs enfants sont protégés par la pension temporaire d'orphelin. Je pense donc qu'il faut revoir le capital décès pour les fonctionnaires. Une étape a été franchie puisque le capital décès est désormais nettement plus élevé lorsque le défunt était un fonctionnaire en activité. Il est d'environ 14 000 euros au lieu des 3 000 euros de base. Cette somme est forfaitaire, alors que les capitaux décès du secteur privé sont généralement indexés sur le salaire.

Au vu de ces éléments, on peut comprendre que le Gouvernement n'ait pas choisi de repousser l'âge de la réversion. L'âge de 55 ans est une bonne solution. Là encore, l'enjeu financier n'est pas significatif. Mais le développement de la prévoyance est également une piste à creuser.

Ces éléments ayant été précisés, il reste à savoir comment calculer la pension de réversion. Le Gouvernement a opté pour un changement radical que je trouve positif en définissant une règle simple : toutes les personnes veuves verront leur niveau de vie garanti.

L'idée est que la pension de réversion complète les ressources du veuf ou de la veuve pour qu'il ou elle perçoive 70 % du budget initial du couple. Cette option est simple. En effet, personne ne comprend le mode de calcul actuel. Les règles sont diverses selon les régimes. Par conséquent, le fait d'avoir une règle simple, uniforme et valable pour toutes les personnes veuves est une bonne chose. Le niveau choisi est bon, d'autant plus qu'à la réversion peuvent s'ajouter les revenus du patrimoine hérité du conjoint, par exemple, qui ne sont pas comptabilisés. Étant donné le patrimoine moyen au décès, cela n'est pas négligeable. La règle des 70 % paraît donc bien dimensionnée.

Cela a amené le Gouvernement à prendre une décision qui pourra faire débat. Si un homme s'est marié deux fois, il laisse après son décès une femme divorcée et une femme veuve. Jusqu'à présent, la pension de réversion était partagée. Désormais, toutes les veuves auront une pension calculée selon la règle des 70 %, ce qui n'est pas le cas actuellement. Je reviendrai tout à l'heure sur la situation de la femme divorcée lors du décès de son ex-conjoint.

Certes, la grande majorité des veuvages concerne des cas avec un seul mariage. En outre, les gens se remarient peu souvent. Le nombre de situations avec une veuve et une ou plusieurs divorcées reste faible. Il est relativement rare qu'un homme divorcé se remarie. Le Gouvernement a estimé que ces situations troublaient les règles de la réversion. Actuellement, une divorcée ou une veuve peut renoncer à sa part. Il y a aussi des difficultés quand l'une des deux femmes décède et qu'il faut recalculer la part de celle qui reste en vie. Par conséquent, la règle des 70 % qui est proposée par le Gouvernement semble opportune.

Certes, des personnes y gagneront et d'autres y perdront. Ces éléments techniques figurent dans le rapport que nous rendrons public la semaine prochaine. Les hommes veufs ne sont pas bénéficiaires dans cette formule, car le seuil de 70 % écrêtera leur pension de réversion. En effet, le conjoint survivant ne touche aucune réversion si sa retraite est 2,3 fois supérieure à celle du conjoint décédé. Le taux varie en réalité entre 0 et 70 %. Il faut donc également étudier ces cas et comprendre l'incidence du nouveau dispositif selon le genre et le type de régime. De plus, l'incidence varie fortement entre la fonction publique et le régime général.

Notre rapport propose des analyses en fonction de l'écart de revenus entre hommes et femmes. C'est cet élément qui impacte le plus le bilan redistributif. Toutefois, il y a forcément des gagnants et des perdants dans un système qui vise un redéploiement important. Je considère personnellement que la règle choisie est globalement bonne.

Concernant les pensions de réversion des divorcés, on compte actuellement environ 250 000 personnes sur 4 400 000 titulaires de droits dérivés. Depuis 1978, une femme divorcée non remariée a vocation à toucher la pension de réversion. À cette époque, le droit civil venait de se moderniser avec la loi de 1975 sur le divorce. Il convenait donc d'attribuer des droits de réversion à la femme divorcée, qui était alors considérée comme une victime du divorce. Cela explique le vote de la loi de 1978, qui s'applique toujours aujourd'hui.

M. Delevoye a estimé qu'il n'était pas pertinent de verser une réversion aux divorcés vingt ou vingt-cinq ans après le divorce et qu'il fallait, au contraire, solder les intérêts de chacun au moment du divorce. Il a donc proposé d'améliorer la prestation compensatoire, considérant qu'il était plus intéressant de recevoir cet argent à 40 ans qu'après le décès de l'ex-conjoint, qui peut survenir très longtemps après le divorce... Cette proposition figurait dans le texte initial du projet de loi. Toutefois, la suppression de la réversion pour les divorcés a suscité de vives réactions. Mme Leroyer et moi-même avons donc été sollicités pour savoir s'il était crédible de compenser l'abandon de la réversion avec l'amélioration de la prestation compensatoire.

Dans notre rapport, nous avons élargi le débat en essayant d'améliorer à la fois la prestation compensatoire et le partage des droits. L'interrogation est la suivante : peut-on donner une protection cohérente aux divorcés au moment du divorce par l'un ou l'autre de ces dispositifs, ce qui permettrait de supprimer la réversion ? Le Gouvernement n'a pas été convaincu par les propositions qui ont été faites pour améliorer la prestation compensatoire et le partage des points. Notre rapport fournit une partie des éléments vous permettant de vous faire une idée sur ce point. Une inconnue significative demeure sur le partage des points. Juridiquement, est-il possible de considérer que les droits à retraite sont un acquêt du mariage alors que la pension est un droit propre ?

La piste concernant la prestation compensatoire ne pourra pas réellement aboutir, car cette prestation ne repose pas sur des bases solides : il n'y a ni définition opposable, ni barème. Toutefois, selon moi, il ne faut pas abandonner l'idée que la prestation compensatoire pourrait être améliorée, y compris fiscalement.

Une deuxième limite forte existe. Au moment de verser la prestation compensatoire, dans deux tiers des cas, le débiteur a des enfants et leur verse une pension alimentaire. Le taux d'effort qui lui sera demandé risque d'être élevé s'il doit verser à la fois la prestation compensatoire et la pension alimentaire. Le Gouvernement a rejeté ces pistes, mais nous continuons à travailler sur des manières d'améliorer la prestation compensatoire, en la séparant des questions de réversion.

Une option alternative plus radicale consisterait à partager les points au moment du divorce. Chacun ayant cotisé pendant la durée du mariage, il est possible de faire état des points accumulés par les deux époux et de les partager en deux. Globalement, les femmes y gagneraient et les hommes y perdraient. Un tel partage n'aurait toutefois pas d'impact significatif, sauf pour un mariage de longue durée avec un écart important entre les revenus des deux conjoints. Dans ce cas, la retraite de l'homme se verrait diminuée dans des proportions considérables.

Notre rapport propose quelques simulations. Si l'épouse n'a que 40 % des droits de son mari et qu'elle a été mariée trente-cinq ans, la retraite de l'homme diminuerait d'un quart et celle de la femme augmenterait des deux tiers. Si le mariage a duré huit ans et que la femme a un revenu équivalent à 80 % du revenu de son mari, soit une situation relativement répandue, la retraite de l'époux baisserait de 2 points et celle de l'épouse augmenterait de 2,5 points. Par conséquent, la question du partage des droits doit se fonder sur ce que l'on juge admissible politiquement et socialement. Le Gouvernement a décidé de ne pas opter pour le partage des droits.

En matière de réversion, l'option arrêtée la semaine dernière a consisté à la maintenir pour la femme divorcée non remariée. Toutefois, le régime changera. Actuellement, la réversion varie selon les régimes (privé ou public, notamment). Le droit de réversion sera donc proratisé selon la durée de vie du mariage et la durée de cotisation du défunt. Dans les régimes complémentaires, la pension de réversion de la personne veuve est calculée de cette manière.

La durée du mariage et la durée de cotisation du défunt donnent un prorata. Ensuite, le taux du régime général est appliqué. Le Gouvernement a choisi de retenir la clause de proratisation pour le régime universel. Dans ce cas, la question du maintien du niveau de vie ne se pose pas puisque les conjoints sont séparés depuis longtemps. Il faut trouver une règle autonome de calcul. Le taux de réversion actuel, qui est de 55 %, est appliqué à la pension proratisée. Cela constitue le nouveau droit des divorcés.

Par rapport à la situation actuelle, une femme divorcée avec une petite durée de mariage y perd alors qu'une divorcée avec une durée de mariage plus longue y gagne puisque la réversion est proratisée. Le taux de 55 % correspond au niveau actuel moyen. La pension de réversion n'a donc pas été supprimée pour les conjoints divorcés d'un précédent mariage. Cela n'empêche pas de réfléchir à la prestation compensatoire et au partage des droits. Le Gouvernement a décidé d'aligner la pension de réversion sur les principes existants à l'Agirc-Arrco.

En termes de gestion des pensions, cela signifie que la situation des veuves reste stable et qu'elles ne doivent plus partager la réversion avec les divorcées. Deux pensions de réversion seront versées, avec des logiques indépendantes. La veuve (ou le veuf) aura sa pension calculée sur la base d'un taux de 70 %, et la personne divorcée aura une pension proratisée, avec un taux de 55 %. Il pourra arriver dans certains cas que la somme des deux pensions de réversion dépasse la pension du défunt.

De plus, la condition de ressources est supprimée dans le régime général, ce qui clarifie le système. À nouveau, les enjeux budgétaires ne sont pas considérables puisque, dans de nombreuses situations, l'équilibre est atteint. Je pense que le Gouvernement a eu raison d'afficher les options choisies sans attendre une ordonnance. Les parlementaires auront ainsi tous les éléments en main.

Mme Annick Billon, présidente. - Vos propos sont très éclairants. Ces questions relèvent de choix politiques et de société. Notre préoccupation est de savoir si les retraites des femmes seront à la hauteur de la grande cause du quinquennat.

En outre, la réforme des retraites soulève des questions sur la manière de favoriser le retour des femmes à l'emploi après une naissance. Cela implique d'agir sur l'accueil des jeunes enfants et le temps partiel, par exemple.

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - Vous nous avez apporté de nombreux éléments de réflexion.

Je trouve qu'il y a une contradiction dans les options portées par le Gouvernement. Votre explication sur la réversion montre que dans certains cas, les pensions de réversion de 70 et 55 % pourraient excéder la pension du défunt. Alors que le Gouvernement cherche à faire des économies, comment finance-t-on ce dispositif ?

D'une manière plus générale, comme la présidente de la délégation l'a souligné, nous constatons dans les mesures qui sont proposées pour les femmes une absence de prise en compte réelle de l'évolution de la société et des mentalités. Si nous observons aujourd'hui de telles inégalités et difficultés pour les pensions que perçoivent les femmes retraitées, cela provient d'une situation héritée depuis des décennies. Les femmes ne sont pas à égalité avec les hommes, car notre société demeure patriarcale. Les mesures que vous avez détaillées s'inscrivent dans cette logique. Elles corrigent à la marge le fait que les femmes ne sont pas les égales des hommes. Ces mesures ne sont qu'un élément d'un système qui leur accorde quelques petites compensations pour afficher un semblant d'équité, et non l'égalité.

Vous avez évoqué les périodes d'inactivité des femmes, qui ont des causes diverses, mais qui arrangent bien la société. En effet, ces périodes pallient le manque de solutions d'accueil des jeunes enfants. Elles compensent également le fait que les salaires des femmes sont inférieurs à ceux des hommes et qu'elles travaillent plus souvent à temps partiel. C'est un bénéfice pour la société au sens large, aussi bien du point de vue du Gouvernement que des employeurs.

Par ailleurs, vous avez proposé de généraliser et de repenser la prévoyance. Il me semble pourtant que vous avez oublié un élément fondamental qui touche les femmes, mais aussi les hommes. En effet, le Gouvernement encourage la capitalisation, ce qui s'adresse à une certaine catégorie d'individus. Nous avons organisé avant-hier une table ronde sur les agricultrices, qui sont dans l'incapacité durable d'avoir une prévoyance quelconque étant donné le niveau bas de leurs revenus.

J'estime que les femmes restent les grandes perdantes de cette réforme, ce que de nombreuses associations féministes soulignent également.

M. Bertrand Fragonard - Nul n'est en mesure de hasarder un chiffrage du futur système de réversion à ce jour. Nous savons néanmoins que les réversions connaissent une baisse tendancielle au vu de la baisse de la nuptialité : s'il n'y a pas de mariage, il n'y a pas de réversion ! Toutefois, je ne pense pas que le Gouvernement cherche à faire des économies caractérisées.

Vous dites que les évolutions sociétales ne sont pas prises en compte et que nous restons dans un système patriarcal. Le régime de retraite est là pour compenser en effet un phénomène qui est largement antérieur à la liquidation des droits, à savoir les inégalités entre les hommes et les femmes dans le travail. Il est évidemment indispensable de travailler sur ces questions en amont de la retraite. Cela ne rend toutefois pas inutile le fait de chercher un régime de retraite cohérent.

S'agissant de l'accueil des jeunes enfants, j'aimerais souligner que j'ai signé le premier « contrat crèches » en 1982. La prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE) a été modifiée afin de ne pas encourager l'inactivité partielle des femmes. Or cette réforme n'a pas été accompagnée d'une amélioration des prises en charge des modes de garde. Je n'ai aucune divergence avec vous sur ce point. En effet, il semble plus important de résoudre le problème de l'accueil des jeunes enfants que de corriger a posteriori l'inégalité via la retraite. Toutefois, ces deux aspects ne doivent pas s'opposer, d'autant plus qu'il ne s'agit pas des mêmes enveloppes budgétaires.

De la même façon, je constate que l'un des facteurs d'inégalité est lié au positionnement des femmes sur des métiers qui sont moins valorisés que ceux des hommes. Ces constats rejoignent vos observations.

La vraie question est de savoir à quel moment on atteindra l'égalité des retraites des femmes et des hommes - je parle des droits propres.

En revanche, on peut se demander s'il faut faire moins pour les retraites et plus dans d'autres domaines : c'est un débat politique. La question qui vous est posée est la suivante : faut-il renoncer à des droits familiaux et conjugaux, qui équivalent à plus de 50 milliards d'euros, et qui protègent actuellement les femmes ? Les prévisions de moyen terme du ratio entre les pensions de droit propre des hommes et femmes évoluent lentement. Je me féliciterais que ce mouvement s'accélère. Cependant, on ne peut écarter le maintien d'une armature correcte des droits familiaux et conjugaux.

Par ailleurs, la prévoyance n'est pas un dispositif de capitalisation. Un capital-décès est une prestation analogue à une prestation de sécurité sociale. Il est financé de manière collective par une cotisation de l'entreprise. Ce dispositif est intégralement financé par l'entreprise pour les cadres et partiellement pour les non cadres. Le statut social et fiscal est celui de la prévoyance, qui est similaire à celui de la complémentaire maladie.

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - Je ne dis pas qu'il ne faut pas corriger les inégalités, je constate simplement que les propositions sur la réforme des retraites émanent du système patriarcal. Selon moi, il existe des propositions alternatives qui n'auraient pas les inconvénients de celles que vous présentez. Je pense que ce qui est proposé ne va pas dans le bon sens, mais je ne dis pas qu'il faut supprimer les mécanismes de compensation.

Mme Françoise Laborde, co-rapporteure. - J'aimerais que nous revenions sur l'article 45 et sur la situation des femmes divorcées ou veuves. Si une personne est mariée, qu'elle divorce et qu'elle se remarie, que prévoit la réforme dans ce cas ?

M. Bertrand Fragonard. - Le problème du remariage est compliqué. Cependant, on ne sait pas précisément comment il évolue ni à quel âge le remariage intervient.

La personne divorcée a droit à une pension de réversion calculée au taux de 55 %, sans que cela n'interfère sur la situation de la veuve. Ce phénomène est néanmoins difficile à évaluer dans le régime général puisqu'il existe une condition de ressources du couple et de la personne isolée.

Par conséquent, la première des questions est la suivante : les gens se remarieront-ils ? Si une femme divorcée se remarie, elle perd tout droit à pension de réversion. Cela est déjà le cas actuellement. Il en va de même pour les personnes veuves, qui perdent leur réversion si elles se remarient. Dans des situations de veuvage précoce, il est fort possible que la veuve se remarie avant la liquidation de sa pension. Le remariage annule donc la réversion. Le fondement de cette règle est que la personne a trouvé un nouvel équilibre dans un nouveau couple. La réversion interviendra dans le cadre de ce nouveau couple : on ne peut percevoir qu'une seule pension de réversion.

Si l'homme se remarie et qu'il décède, il laisse une veuve et une divorcée. Jusqu'à présent, la réversion était partagée entre les deux femmes. Dans le nouveau dispositif, chacune des deux a ses propres droits. Cela me semble préférable, même si l'on peut aboutir à une situation limite dans laquelle la somme des deux réversions pourrait excéder le total de la pension. Il devrait toutefois s'agir de cas marginaux.

Par ailleurs, la situation est problématique en cas de concubinage après un divorce. Dans la fonction publique, cela entraîne la perte totale de la réversion. Dans le régime général, la réversion est alors conditionnée aux ressources du couple. Ce point sera traité par voie réglementaire.

J'ai travaillé sur ce dossier avec Simone Veil en 1978 - avant la loi du 17 juillet 1978, qui a étendu la réversion aux précédents conjoints divorcés non remariés. En tant que ministre, elle recevait de nombreux courriers de femmes se plaignant de ne pas avoir droit à la réversion après leur divorce. Ces femmes expliquaient qu'après avoir élevé les enfants et sacrifié leurs ambitions professionnelles, elles considéraient comme une injustice de ne pas percevoir de réversion. Mais le partage de la réversion peut aussi être perçu comme une injustice par la seconde épouse... Certes, il est possible de critiquer le fait que la réversion soit conditionnée au mariage ou de discuter sur la durée des mariages. Je crois cependant que l'option consistant à séparer les deux pensions est positive, car le partage crée des situations complexes.

Mme Chantal Deseyne. - Je souhaite relayer les inquiétudes des veufs et des veuves, en particulier pour les couples ayant des retraites basses ou moyennes. La veuve dispose actuellement d'une réversion qui lui permet de maintenir à 78 % les revenus du couple. Or le nouveau dispositif plafonne ce seuil à 70 %. Les veuves issues de couples retraités à revenus moyens seraient pénalisées d'environ 150 euros par mois, selon les études que j'ai pu consulter. Cela me paraît particulièrement injuste, car ces femmes ont souvent arrêté leur carrière à un moment pour élever les enfants. Elles ne reçoivent aucune reconnaissance et elles se voient pénalisées dans leurs droits.

M. Bertrand Fragonard. - Il est difficile d'ouvrir une discussion technique sur les gagnants et les perdants de la réforme. En effet, certaines personnes gagneront avec le nouveau calcul et d'autres perdront. Dans notre rapport, nous examinons trois critères. Le premier concerne le type de régime (fonction publique ou régime général). Nos études laissent malheureusement souvent de côté la question des indépendants. Le second critère porte sur le genre. Notre troisième critère est le niveau de revenus.

Ce dernier est d'une extrême complexité. Il faut tenir compte des écarts de revenus entre les droits propres de l'homme et de la femme. En outre, des taux différents sont appliqués. Un couple ayant des revenus modestes a un taux de réversion d'environ 60 % dans le régime général. S'il existe un écart important entre les revenus des deux personnes, des variations apparaîtront. Or la distribution des écarts de revenu entre l'homme et la femme varie beaucoup. Deux options sont possibles pour progresser. On peut tout d'abord obtenir une simulation qui couvre un nombre élevé de familles en les classant selon nos critères : je doute toutefois que l'on puisse faire cela rapidement en l'état actuel de notre outil économétrique.

Une autre option se base sur les écarts types et consiste à observer les configurations dans lesquelles le système est meilleur ou moins bon. Nous avons fait de nombreuses analyses. Je peux vous donner des exemples, mais je ne connais pas leur représentativité.

Ainsi, si nous considérons le cas d'un couple inégalitaire dont le total des pensions est de 2 500 euros - 500 pour la femme et 2 000 pour l'homme, le taux de réversion actuel est de 65 %. Après la réforme, il est de 70 %. Si le couple inégalitaire est plus aisé, avec par exemple 4 000 euros de revenus, il gagne cinq points. Enfin, un couple strictement égalitaire perdra des points pour des revenus de 2 000 et 2 500 euros, mais il en gagnera avec un revenu de 4 000 euros. Ces simulations concernent le régime des salariés de droit privé.

La question est donc de savoir quel barème, du barème actuel ou du barème futur, est le plus logique. Le système actuel est-il juste ou non ? Les taux de réversion actuels ne sont pas très rationnels. Certes, il est douloureux de réaliser qu'il y aura forcément des gagnants et des perdants. Si vous voulez corriger la règle des 70 % pour les veuves, vous serez obligés de réintroduire la condition de ressources, que tout le monde souhaite supprimer.

Mme Maryvonne Blondin. - Merci pour vos réponses, qui soulignent les difficultés du système actuel et de la réforme envisagée. Je pense pour ma part que le système universel visée par celle-ci est une manière de réaliser des économies.

J'aimerais revenir sur l'article 45 et les carrières atypiques. Nous avons parlé cette semaine des agricultrices. Il y a un autre secteur sur lequel je travaille depuis longtemps : le régime de l'intermittence et des artistes. Nous avons réussi à mettre en place des « matermittentes », à savoir des congés maternité pour les intermittentes. En effet, il s'agit de carrières atypiques par nature, avec des parcours difficiles. Que leur restera-t-il dans ce nouveau système ?

En outre, j'aimerais vous interroger sur l'année de la mise en oeuvre du nouveau dispositif. Les règles ne changeront pas tout de suite pour la pension de réversion, notamment. Par ailleurs, on parle beaucoup des points et de leur redistribution, mais un sujet essentiel est la fixation du taux du point. Ce sujet préoccupe de nombreux concitoyens.

Mme Michelle Meunier, co-rapporteure. - Au sein de la délégation, par-delà nos différences politiques, nous sommes à peu près unanimes pour dire que nous n'avons jamais vu un texte aussi peu préparé et aussi peu prévisible. De plus, la question du financement demeure dans un flou total.

Vous n'en savez sans doute pas plus que nous, mais pensez-vous que le texte peut encore évoluer après la publication de votre rapport ? Si tel était le cas, sur quels points ces évolutions porteraient-elles ? Il a été dit que les femmes seraient les gagnantes du projet de réforme des retraites, mais nous voyons bien que cela ne sera pas le cas. Par ailleurs, nul ne semble informé des modalités de financement du nouveau régime. L'ensemble de nos collègues partage ces questionnements.

Mme Victoire Jasmin. - Compte tenu des données démographiques et de la baisse du taux de natalité, j'aimerais savoir quelles mesures incitatives vous envisagez pour pérenniser le système, car il faut qu'il y ait des cotisants à moyen et à long terme. Le mode de calcul inquiète les jeunes pour leur avenir. Quand j'ai commencé à travailler, je ne pensais pas à la retraite. Or les jeunes s'intéressent de plus en plus à cette question et cela pourrait influencer, dans une certaine mesure, leurs choix de vie.

M. Bertrand Fragonard. - Je n'ai évidemment pas toutes les réponses sur ces questions.

L'article 45 vise, pour toutes les familles avec un enfant de moins de trois ans et où le revenu d'activité de l'un des parents n'atteint pas le SMIC, à mettre en place un complément. Cela couvre diverses situations. Les couples dans lesquels l'un des parents est inactif auront l'équivalent de 60 % du SMIC. Les personnes qui travaillent à temps partiel recevront une partie des 60 % du SMIC. En outre, le total des points accumulés ne devra pas dépasser la valeur des points d'un salarié au SMIC. Ce système a l'avantage d'être universel. Il comporte toutefois une limite qui n'est pas négligeable, puisqu'il faut bénéficier d'une prestation familiale pour percevoir ces points. Il s'agit donc d'un remodelage du système actuel.

Une personne qui travaille à temps partiel à 8  % ne recevra sans doute pas de points supplémentaires, car elle atteindra son seuil grâce à son revenu d'activité. Il y a donc un effet de concentration de l'article 45 sur les ménages modestes. En effet, une personne ayant un métier à temps partiel correctement valorisé obtiendra un revenu d'activité qui dépasse le SMIC.

Nous ne connaîtrons donc les effets réels de l'article 45 que lorsque tous les éléments auront été considérés. Concernant l'indexation et la valeur du point, je n'en sais effectivement pas plus que vous. J'ai lu l'étude d'impact, mais de nombreux points demandent à être débattus. De plus, on ignore comment la natalité évoluera.

Par ailleurs, je ne connais pas suffisamment la situation des intermittents. Il convient d'interroger le Gouvernement à ce propos. Si une femme intermittente perçoit un faible revenu, qu'elle a un enfant de moins de trois ans ou qu'elle est parent isolé, elle percevra des points. Les mesures d'application préciseront le nombre de points en tenant compte des spécificités du système des intermittents. Le ministère de la culture est susceptible de s'en préoccuper.

Enfin, la valeur du point reste inconnue en effet. S'agissant du financement, j'ai compris que les points et les majorations seraient intégrés dans le fonds de solidarité universelle, mais cela demande à être vérifié. En revanche, les réversions demeureront à l'intérieur du régime.

Comment équilibrer le financement des retraites ? Je l'ignore. Si l'on considère que 50 milliards d'euros représentent 17 % du total des retraites, notre appréhension du système est par définition circonscrite. Or la réversion des fonctionnaires, par exemple, est de 50 % d'une assiette qui évoluera fortement avec la migration progressive vers le système universel. Si l'on veut se faire une idée de l'évolution de la situation des fonctionnaires en matière de réversion, il faut comparer le système actuel fondé sur une réversion à 50 % sans conditions de ressources et la règle de 70 % garantis, sachant que le salaire et les droits propres auront augmenté entre temps.

Il faut donc attendre, car le nouveau système n'empêchera pas que se produisent des variations liées à l'activité et aux droits propres. La comparaison entre les dispositifs actuel et futur est déjà discutable intellectuellement compte tenu de la date à laquelle le régime universel s'appliquera. D'ici là, tout aura changé. Quant à la valeur du point, il est impossible de prévoir toute indexation sur les prix en 2040.

Mme Françoise Laborde, co-rapporteure. - Cela signifie que nous donnons un blanc-seing pour un dispositif qui n'est pas finalisé.

M. Bertrand Fragonard. - Non, car on peut discerner des tendances. De plus, la situation était comparable pour le législateur en 1945. L'originalité de la présente réforme est qu'elle consiste en une refonte globale du système. Dans la période passée, les règles initiales définies en 1945 ont été affinées au fur et à mesure. Ces évolutions ont été décidées de manière intelligente selon moi, ce qui fait que nous avons abouti à un système de retraites ayant le meilleur niveau relatif par rapport au revenu de la population.

Toutefois, si on considère le système actuel bloc par bloc, il est difficilement lisible. En matière de réversion, les droits diffèrent selon les situations familiales. Les orphelins d'un fonctionnaire, par exemple, perçoivent une pension temporaire d'orphelin à hauteur de 10 % de la pension du parent décédé, qui s'ajoute à la réversion perçue par la personne veuve.

On pourrait décider d'étendre le régime des prestations temporaires d'orphelin à l'ensemble du régime universel, ou de les supprimer dans la fonction publique. Cela ne bouleverserait pas les équilibres budgétaires, puisqu'il y a rarement des enfants à charge au moment du décès des parents, fort heureusement. Les évolutions de notre système de retraite ont souvent été faites régime par régime. Dans le régime général, la MDA donne droit à deux annuités par naissance, alors que dans la fonction publique, il n'y en a qu'une. Le système actuel est puissant, réaliste, mais il n'est pas cohérent !

Le nouveau régime sera plus simple si on va au bout des principes d'universalité et de simplicité, ce qui n'est pas évident, semble-t-il. Il revient au législateur de faire des choix.

Mme Claudine Lepage. - Est-il prévu d'encadrer l'évolution du point dans le texte de loi ? En Allemagne, une loi a été votée en 1992 pour indexer les pensions sur l'évolution des salaires nets de l'année précédente. Dans les faits, le point augmente donc chaque année.

M. Bertrand Fragonard. - Je ne sais pas ce que le Parlement décidera. Aujourd'hui, l'indexation se fait sur les prix. J'ai compris que cette question restait en débat.

Mme Annick Billon, présidente. - Nous vous remercions pour cette matinée d'échanges sur les retraites. Le Gouvernement nous parle de simplification, mais depuis que nous avons commencé nos auditions, le projet de réforme nous semble au contraire très complexe ! Le nouveau système paraît d'autant plus compliqué qu'il est difficile d'identifier les gagnants et les perdants.

Nous avons apprécié votre disponibilité et nous lirons votre rapport avec attention dès qu'il sera disponible.


* 1 Rapport du conseil de l'âge sur les femmes seniors. Note 1 : Les dissolutions de couples (par rupture ou décès) qui affectent les femmes seniors.