Mardi 18 février 2020

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 17 h 35.

Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) - Audition de Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, pour échanger sur plusieurs projets actuellement soumis à consultation : la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC).

C'est l'occasion pour notre commission d'apprécier les premières mesures d'application concrète de la loi Énergie-Climat, récemment adoptée, sur laquelle nous avons beaucoup travaillé.

Madame la ministre, avant de donner la parole à mes collègues, qui vous poseront leurs questions, assurément nombreuses, je souhaiterais vous faire part de mon sentiment sur notre stratégie énergétique et climatique.

Avant d'en venir précisément aux dispositions des projets précités, je voudrais faire une réflexion de nature plus institutionnelle.

Sous la Ve République, le Parlement fixe, à travers la loi, les principes et objectifs de la politique énergétique française. L'exécutif décline et précise ces objectifs dans différents documents programmatiques.

Or, lors de l'examen de la loi Énergie-climat, nous avons eu le sentiment d'une inversion de la hiérarchie des normes, le Gouvernement nous ayant proposé de décliner dans la loi les objectifs préalablement déterminés dans le projet de PPE.

Le nouveau projet que vous nous présentez prend en compte les dispositions de la loi, sous réserve de quelques points que nous examinerons, mais reste le sentiment, à sa lecture, que l'essentiel des objectifs stratégiques figure encore dans le décret, alors même qu'il devrait logiquement relever de la loi.

Je vous dis cela, non pour ressasser le passé - nous avons déjà eu l'occasion d'échanger autour de ce sentiment -, mais dans la perspective de la « loi quinquennale ». Il faut réfléchir, ensemble, aux éléments qui relèvent du débat démocratique devant la représentation nationale, donc de la loi, et à ceux qui relèvent de l'exécutif, donc du décret. Cela sera sans doute l'un des objectifs du suivi de l'application de la loi Énergie-Climat que nous effectuerons.

Mais venons-en aux projets de PPE et de SNBC.

S'agissant de la PPE, qui fixera de 2019 à 2028 les modalités d'action permettant d'atteindre nos objectifs énergétiques, je suis frappée par trois séries d'imprécisions sur des sujets pourtant cruciaux.

En premier lieu, le projet est muet sur la reprise éventuelle de la hausse de la composante carbone des taxes intérieures de consommation, hausse suspendue par la loi de finances pour 2019 face à l'ampleur de la contestation sociale qu'elle avait suscitée.

Le projet de PPE se contente d'évoquer des « mesures supplémentaires » nécessaires pour « obtenir des effets similaires à ceux de la composante carbone », qui s'appuieront notamment sur « les propositions de la Convention citoyenne pour le climat ».

Quelle est l'intention du Gouvernement sur ce point ?

Pourriez-vous nous éclairer sur la façon dont les propositions de la Convention citoyenne - je comprends qu'elles relèveront tantôt de la loi, tantôt du décret, voire du référendum - s'articuleront avec la loi que nous venons d'adopter et le décret que vous venez nous présenter ? Peut-on imaginer que, dans deux mois, ces propositions viennent chambouler ces deux textes, dont l'encre est à peine sèche ?

En second lieu, le projet de PPE est flou sur le devenir de la filière nucléaire.

Alors que l'atteinte de l'objectif de 50 % de production d'électricité nucléaire en 2035 correspond à la fermeture de 14 réacteurs, selon l'étude d'impact et l'avis du Conseil d'État annexés à la loi Énergie-climat, la PPE évoque davantage de fermetures.

Il est indiqué, sous certaines hypothèses, que « la fermeture de deux réacteurs additionnels pourra intervenir à l'horizon 2025-2026, sur la base d'une décision à prendre en 2023 ».

Pouvez-vous nous éclairer sur cette hypothèse ? Quels seraient les réacteurs concernés ?

Plus largement, des questions importantes ne sont pas tranchées.

L'opportunité de lancer un programme de renouvellement du parc nucléaire est renvoyée à plus tard, la PPE se contentant d'évoquer la conduite par le Gouvernement et la filière d'un « programme de travail d'ici mi-2021 » et le lancement en parallèle d'une étude sur « la faisabilité technique d'un scénario 100 % renouvelable ».

Quel est l'état de votre réflexion sur ce sujet ? Quand le Gouvernement entend-il prendre une décision ?

S'agissant de la réforme de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), aucun élément tangible ne figure dans la PPE, laquelle prévoit simplement que « le Gouvernement proposera les modalités d'une nouvelle régulation ».

Où en sont les négociations sur la réforme de l'Arenh, en particulier avec la Commission européenne ?

On lit dans la presse que le nouveau mécanisme contraindrait EDF à vendre la totalité de sa production - contre un quart aujourd'hui - à ses concurrents, avec un prix variant dans un « corridor », contre 42 euros aujourd'hui. Confirmez-vous ce schéma ?

Dans l'intervalle, doit-on s'attendre à un relèvement du plafonnement à 150 TWh du mécanisme de l'Arenh ou de son prix en fonction notamment de l'inflation, ainsi que vous y autorise la loi Énergie-Climat ?

En matière de recherche nucléaire, seules sont prévues des études sur le potentiel des petits réacteurs modulaires, dont le coût est plus faible que les réacteurs classiques, et un programme de R&D concourant à la fermeture du cycle, c'est-à-dire au remploi des déchets nucléaires comme combustibles.

Pourriez-vous nous apporter des précisions sur les objectifs, le calendrier et le financement de ces programmes ?

Je relève en revanche que la PPE prévoit explicitement le maintien « d'un éventuel déploiement industriel de parcs nucléaires à neutrons rapides ». La vigilance de notre commission quant au devenir du projet Astrid n'est peut-être pas étrangère à la modification sur ce point du projet de PPE - c'est en tous cas ce que nous nous plaisons à croire...

Enfin, pour ce qui concerne l'effort de formation, je relève que la filière nucléaire n'est pas même évoquée.

C'est regrettable, dans la mesure où le PDG d'EDF a identifié devant notre commission un déficit de compétences, notamment de soudeurs, comme l'une des causes des difficultés du chantier de l'EPR de Flamanville.

Ne pourrait-on pas valoriser davantage la filière nucléaire, notamment dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences ?

En troisième et dernier lieu, le projet de PPE ne comporte que des éléments très parcellaires sur son financement.

Dès lors, comment atteindre les objectifs affichés ?

Je pense, en particulier, à la rénovation énergétique de 2,5 millions de logements d'ici à 2023, au doublement des énergies renouvelables électriques d'ici à 2028 ou à l'acquisition de 1,2 million de véhicules électriques d'ici à 2023.

S'agissant de la SNBC, qui plafonne nos émissions de gaz à effet de serre dans des « budgets carbone » de 2019 à 2033, deux questions se posent.

D'une part, l'ambition affichée est-elle suffisante pour atteindre la « neutralité carbone » à l'horizon  2050 ?

Sur ce point, je rappelle que le Haut Conseil pour le climat (HCC) s'est ému de la faiblesse de la SNBC dans la mesure où les budgets carbone prévus jusqu'en 2028 sont supérieurs aux budgets actuels.

D'autre part, comment les professionnels peuvent-ils être accompagnés ? En effet, la SNBC s'appuie sur une baisse des émissions de gaz à effet de serre de moitié pour le secteur du bâtiment et d'un tiers pour celui du transport. Or le budget carbone actuel a été dépassé de 6 %, du fait de résultats moins bons que prévu dans ces secteurs particuliers.

Je vous remercie de nous apporter des éléments de réponse aussi précis que possible sur ces différents points, qui conditionnent la réussite de notre transition énergétique pour les prochaines années.

Avant de vous entendre, je passe la parole à M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis sur les crédits « Énergie ».

M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ». - Je ne reviendrai pas sur les propos de notre présidente quant au sort réservé par la PPE à l'énergie nucléaire : je les partage totalement.

Je voudrais évoquer les énergies renouvelables et alternatives, car le projet me paraît présenter cinq faiblesses dans ce domaine.

Pire, sur un certain nombre de points, il ne respecte pas l'intention du législateur, telle que nous l'avons collectivement exprimée à l'occasion de l'examen de la loi Énergie-Climat.

Mon premier motif d'inquiétude concerne la filière biogaz, dont je rappelle, d'ailleurs, que le soutien fiscal n'a été prorogé par la dernière loi de finances que grâce à l'action de notre commission !

La loi que nous avons votée fixe un objectif d'au moins 10 % de consommation de gaz renouvelable en 2030.

Or le projet de PPE prévoit un objectif de 7 % en cas de baisse de coûts permettant d'atteindre 75 euros par MWh en 2023 et 60 en 2030, l'objectif de 10 % n'étant retenu qu'en cas de baisses supérieures.

Par ailleurs, le niveau de biogaz injecté dans les réseaux est de 6 TWh en 2023 dans le projet de décret, contre 8 TWh dans celui qui est en vigueur !

Il s'agit de signaux tout à fait négatifs pour cette filière particulièrement dynamique, de surcroît porteuse d'externalités positives pour le secteur agricole.

Envisagez-vous de réviser à la hausse les cibles précitées ?

Mon deuxième sujet de préoccupation porte sur l'hydrogène.

Dans le cadre de la loi Énergie-Climat, notre commission a adopté l'objectif de porter en 2028 la part d'hydrogène décarboné entre 20 % et 40 % de la consommation totale d'hydrogène.

Or, dans le projet de décret, il n'est plus question que de la consommation d'hydrogène industrielle.

C'est donc une orientation moins ambitieuse, alors que l'hydrogène est un vecteur énergétique prometteur, notamment pour décarboner le secteur des transports.

Entendez-vous corriger l'objectif, étant rappelé que la Chine est très en pointe dans ce domaine et que, sans stratégie suffisamment offensive, nous risquons d'être dépassés ?

Le troisième enjeu que j'ai identifié porte sur l'éolien en mer.

Là encore, il est regrettable que la cible d'attribution de 1 GW par an de capacités installées de production d'ici à 2024, telle qu'adoptée par notre commission, soit doublement restreinte par le projet de décret : d'une part, l'échéance est décalée à après 2024 ; d'autre part, l'objectif est assorti de conditions, puisqu'il ne sera atteint que « selon les prix et le gisement, avec des tarifs cibles convergeant vers les prix de marché sur le posé ».

Pensez-vous supprimer ces contraintes réglementaires, qui affaiblissent l'ambition fixée par le législateur et nuisent à la lisibilité attendue par les professionnels ?

Je voudrais également vous alerter - et c'est mon quatrième point - sur la fin du soutien public à deux filières : la cogénération et la géothermie électrique.

Il est dommage de cesser de promouvoir la cogénération, qui se caractérise par des bénéfices environnementaux.

Dans la mesure où elle permet la production simultanée d'électricité et de chaleur, elle présente effectivement un rendement énergétique supérieur et des émissions de gaz à effet de serre moindres que dans le cas d'une production séparée.

Par ailleurs, la cogénération offre un débouché intéressant pour la filière bois, dont, tout comme vous, Madame la Ministre, je connais bien les difficultés !

S'agissant de la géothermie électrique, il est malvenu d'abandonner ce procédé intéressant, dont le bilan carbone est proche de la neutralité.

De plus, il permet l'extraction en parallèle de lithium, métal rare indispensable à la production des batteries.

Dès lors, pourquoi exclure ces énergies alternatives du projet de PPE ?

Enfin, cinquième et dernier sujet de préoccupation, je souhaiterais attirer votre attention sur un secteur oublié de la PPE : les biocarburants.

Certes, le projet de décret fixe des objectifs d'incorporation pour les biocarburants avancés dans les filières essence et gazole.

Le projet de PPE comporte par ailleurs quelques orientations sur les biocarburants, notamment sur leur utilisation dans les transports routier et aérien. Pour autant, ces recommandations sont rédigées de manière trop générale pour présenter une applicabilité immédiate.

Les indications portant sur les biocarburants de première génération sont de surcroît essentiellement négatives : cela se comprend s'agissant des biocarburants présentant un risque élevé en termes de changement d'affectation des sols, mais non pour tous les autres.

Dans ce contexte, un rapport d'information récemment publié par notre commission plaide pour inscrire dans la PPE un véritable cadre stratégique relatif aux biocarburants, qui pourrait comprendre des objectifs de déploiement, d'une part, de véhicules ou de technologies de conversion - comme c'est le cas pour les véhicules électriques ou hydrides - et, d'autre part, d'infrastructures de recharge - comme c'est prévu pour l'électricité, l'hydrogène, le GPL, le GNV ou le GNL.

Envisagez-vous de reprendre à votre compte cette proposition formulée par notre commission, en modifiant sur ce point le projet de PPE ?

Un volet de notre rapport concerne les biocarburants aériens.

Votre ministère a récemment publié une « feuille de route » sur ce sujet, qui prévoit une cible de substitution de 2 % en 2025 et 5 % en 2030, et lancé un appel à manifestation d'intérêt.

Ces mesures vont dans le sens de nos préconisations, visant à favoriser l'émergence d'une filière française des biocarburants, de même que l'effort de recherche dans ce domaine.

Pour autant, je voudrais vous faire part d'un point de vigilance : il est nécessaire d'accompagner au mieux les compagnies aériennes dans ce changement.

Notre rapport préconise ainsi de fixer un objectif indicatif, plutôt qu'obligatoire, pour ce qui concerne le recours à ces biocarburants, dans un souci de souplesse : confirmez-vous que cela est bien le cas ?

Par ailleurs, il recommande de compenser aux compagnies aériennes le coût induit par leur utilisation, dans la mesure où ils sont 2 à 4 fois plus onéreux que le kérozène classique : entendez-vous agir dans cette direction ?

Au-delà des cinq faiblesses que je viens d'exposer, je voudrais compléter les propos de notre présidente sur la modestie des moyens prévus pour l'application de la PPE.

Le projet présente comme autant d'outils au service de la transition énergétique l'institution de la prime Ma prime Rénov', la revalorisation du fonds chaleur, le recours à la prime à la conversion ou encore l'alourdissement de la fiscalité sur le gazole professionnel.

Je veux nuancer cette présentation bien trop positive en rappelant les difficultés que j'ai identifiées lors de l'examen de la dernière loi de finances : la création de Ma prime Rénov' s'accompagne de la réduction aux deux tiers des bénéficiaires et du montant du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) ; la révision des critères d'éligibilité à la prime à la conversion conduit à la baisse d'un tiers des véhicules concernés ; la hausse du Fonds chaleur a, pour l'heure, été financée par un recyclage d'anciens crédits de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ; l'alourdissement de la fiscalité sur le gazole représente une charge pérenne de 1 milliard d'euros pour les professionnels.

Par ailleurs, dans la mesure où le coût du soutien aux énergies renouvelables d'ici à 2028 est évalué entre 122 et 173 milliards d'euros dans le projet de PPE, comment le Gouvernement entend-il garantir le financement de ce soutien ?

J'espère que le projet de PPE sera infléchi dans le sens que la présidente de la commission et moi-même avons indiqué, à commencer par le biogaz, l'hydrogène, l'éolien en mer et les biocarburants.

Vous pouvez compter sur la commission des affaires économiques du Sénat pour vous y aider.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Avec la promulgation de la loi Énergie-Climat, le 8 novembre dernier, notre pays s'est doté d'un objectif à la hauteur de l'urgence climatique : atteindre la neutralité carbone au milieu du siècle. En trois mois, nous avons déjà bien avancé sur cette trajectoire.

Depuis trois semaines et jusqu'à demain, les projets de PPE et de SNBC sont soumis à consultation du public. Pour la première fois, nous présentons une stratégie nationale bas-carbone visant la neutralité, soit une ambition rehaussée, puisque cela revient à diviser nos émissions par 6 ou 8, au lieu de 4. Pour la première fois, aussi, nous avançons une PPE cohérente, notamment avec un objectif de 50 % d'énergie nucléaire à l'échéance de 2035, et non 2025, comme précédemment. Nous pouvons donc nous féliciter de ces deux projets.

Ces documents ont vocation à être enrichis à partir des propositions formulées par la Convention citoyenne pour le climat, dont les 150 citoyens membres doivent définir les mesures permettant de réduire d'au moins 40 % nos émissions de gaz à effet de serre à la fin de la décennie. C'est pourquoi nous n'avons intégré aucune mesure de réintroduction d'une composante carbone, et je l'assume parfaitement : il importe que nous n'influions pas sur les travaux de la Convention.

Effectivement, ses propositions pourront être de nature réglementaire ou législative - dans ce dernier cas, le Parlement en débattra -, et le Président de la République a avancé l'hypothèse d'un référendum notamment sur des questions multiples. Parce que, pour atteindre les objectifs de neutralité carbone, nous devons viser des comportements au coeur du quotidien de nos concitoyens, les travaux de cette Convention sont de première importance et, si des propositions fortes en sortent, il serait bon d'ouvrir le débat à tous les Français.

Nous avons bien sûr l'objectif de tenir nos ambitions - à l'échelle nationale, européenne et internationale - en matière de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre.

Des premiers résultats ont déjà été obtenus. Le décret concernant la fermeture des dernières centrales à charbon d'ici à 2022 est publié depuis la fin du mois de décembre. Nous engageons également la trajectoire définie pour le nucléaire, avec l'arrêt d'un premier réacteur à Fessenheim dès la fin de cette semaine et l'arrêt complet de la centrale à la fin de juin - je reviendrai sur notre stratégie nucléaire. Le lancement de Ma prime Rénov', qui apporte un soutien renforcé aux gestes les plus efficaces et un meilleur accompagnement aux Français les plus modestes, doit par ailleurs nous permettre d'en finir avec les passoires thermiques d'ici à 2028.

Autre de nos objectifs, l'atteinte de 33 % d'énergies renouvelables à l'horizon de 2030.

Durant les débats parlementaires, vous aviez demandé que nos ambitions en matière d'éolien off-shore et de biogaz soient rehaussées ; nous y avons travaillé. Ainsi, l'enveloppe de soutien à la filière biogaz a été accrue de 2 milliards d'euros pour atteindre 10 milliards d'euros. Nous avons un objectif minimal de 6 TWh de biogaz en 2023 - c'est déjà beaucoup car cela représente un volume six fois plus élevé que celui injecté ces six derniers mois. Cet objectif pourra être revu à la hausse en fonction des prix sur le marché. Chacun a en tête que le prix du gaz est particulièrement bas, ce qui signifie que le soutien est d'autant plus important par rapport au prix encore élevé du biogaz. Nous devons en tenir compte et personne ne comprendrait que nous ne réfléchissions pas à l'affectation optimale de nos ressources. La PPE prévoit une refonte des mécanismes de soutien au biogaz : nous sommes en train d'y travailler pour définir de nouvelles modalités, entre des appels d'offres et des tarifs de rachat. Pour lever l'ensemble des freins, j'ai lancé récemment un fonds, abondé à hauteur de 15 millions d'euros par l'État, pour financer plus de 75  projets investissant dans le domaine sous 5 ans.

Sur l'hydrogène, vous avez souhaité inscrire dans la loi l'objectif de verdissement de ce vecteur énergétique. Il est effectivement essentiel que la France se positionne sur cette technologie d'avenir. Notre ambition est large dans le domaine de l'hydrogène vert, que ce soit pour l'industrie ou pour les mobilités, mais nous réfléchissons aussi aux utilisations de ce gaz en matière de stockage, et ce afin d'accroître la part d'énergies intermittentes.

Nous travaillons donc sur l'ensemble de ces champs : 50 millions d'euros par an sont prévus pour soutenir des projets de développement de l'hydrogène vert et nous avons engagé des concertations avec les acteurs pour trouver les modalités adéquates de soutien à l'utilisation de l'hydrogène sur la base de l'habilitation qui est prévue dans la loi Énergie-Climat.

En ce qui concerne l'éolien terrestre, l'objectif est de doubler la puissance installée d'ici à 2028. La puissance a déjà doublé entre 2014 et 2019. En 2019, en particulier, nous avons produit 21 % d'électricité d'origine éolienne de plus qu'en 2018. Nous avons donc doublé un objectif en cinq ans et prévoyons de le doubler à nouveau en dix ans. Nous avons certainement, mais j'y reviendrai, des enjeux de répartition et d'acceptabilité.

Sept parcs d'éolien en mer ont été attribués. La PPE prévoit une hausse de nos objectifs par rapport à ceux de la première PPE adoptée début 2019. On tire parti de la hausse des prix observée sur le dernier parc à Dunkerque. Nous avons répondu aux attentes de la filière de lancer la production d'1 GWh par an d'ici à 2024, grâce à l'ajout d'un parc flottant en 2022 et d'un parc posé avant 2023. Un débat public est déjà en cours en Normandie et un autre s'ouvrira prochainement en Bretagne.

S'agissant de l'éolien, j'ai bien en tête les enjeux d'acceptabilité. Une réunion a eu lieu cet après-midi avec les élus à mon ministère. La réflexion se poursuit sur ce sujet, dans le prolongement des mesures que j'avais déjà annoncées en décembre. Nous réfléchissons en particulier aux mécanismes permettant de parvenir à une meilleure intégration paysagère et aussi à une meilleure répartition géographique, car deux régions concentrent à elles seules plus de la moitié de la capacité installée, avec évidemment une saturation.

J'en viens à la consommation d'énergie. Notre priorité est la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le recul de la mer de Glace, que chacun a pu constater, témoigne de l'urgence à agir pour le climat. Notre premier levier d'action concerne le secteur des transports, qui représente un tiers de nos émissions. On vise 4,8 millions de véhicules électriques et hybrides rechargeables en 2028. Pour accélérer la transition et le renouvellement du parc, nous avons garanti pendant trois ans le bonus pour les véhicules électriques. Ces bonus sont en baisse et il est important que la filière donne des signes de sa capacité à baisser les prix, car il ne faudrait pas que la mise en place de bonus se traduise par une moindre baisse des prix. Nous attendons que le développement de la production des véhicules électriques en masse se traduise par des baisses de prix. La prime à la conversion a déjà permis de changer 600 000 véhicules. Nous sommes en train d'évaluer l'effet des mesures de recentrage prises l'été dernier. Il faut effectivement être attentif à ce que ce recentrage, qui correspondait à une exigence plus forte sur les émissions et la pollution des véhicules éligibles, continue bien à accompagner nos concitoyens. Nous visons 1 million de véhicules, voire 1,2 million, durant le quinquennat. Pour convaincre nos concitoyens, nous devons aussi déployer des infrastructures de recharge adaptées à ces nouveaux véhicules. La loi d'orientation des mobilités (LOM) a prévu une prise en charge significative des coûts de raccordement afin de tenir l'objectif de 100 000 bornes de recharge d'ici à la fin du quinquennat. J'ai aussi désigné récemment les nouveaux lauréats des appels à projets destinés à soutenir les mobilités partagées, propres et actives, dans le cadre du dispositif des certificats d'économie d'énergie (CEE).

Notre deuxième levier d'action concerne le développement de la production de chaleur décarbonée. La production de chaleur représente en effet un cinquième de nos émissions. C'est un enjeu majeur pour la transition écologique de notre appareil productif. Le Fonds chaleur a été doté de 350 millions d'euros dès cette année. Nous avons étendu la possibilité d'utiliser les certificats d'énergie dans les secteurs soumis au système d'échange de quotas d'émissions (ETS). Il sera possible de cumuler les deux dispositifs du Fonds chaleur et des CEE. Nous voulons ainsi donner tous les outils à nos industriels pour décarboner leurs processus de production. Avec Bruno Le Maire, nous réfléchissons à d'éventuels mécanismes fiscaux supplémentaires dans le cadre de la préparation du pacte productif. La production de chaleur décarbonée est cruciale aussi dans le bâtiment. Nous avons l'objectif d'abandonner le recours au charbon dans les réseaux de chaleur d'ici à cinq ans, de supprimer trois millions de chaudières individuelles au fioul d'ici à 2028. Nous avançons selon la trajectoire voulue sur les chaudières individuelles grâce notamment aux « Coups de pouce ». Nous avons aussi soumis au Conseil supérieur de l'énergie (CSE) un dispositif pour accompagner le changement des chaudières collectives.

L'atteinte des objectifs de la loi Énergie-Climat et de la PPE pose nécessairement la question de nos capacités industrielles. L'objectif est que disposions des capacités de concevoir et de fabriquer sur notre territoire les vecteurs de notre transition énergétique. S'agissant de l'éolien en mer, une filière française est en train de monter en puissance. Je souhaite qu'il en aille de même pour l'ensemble des filières liées à la transition énergétique. Nous portons ainsi au niveau européen, notamment avec les Allemands, une initiative pour bâtir une filière européenne des batteries. C'est aussi ce que nous faisons pour structurer une filière hydrogène : des appels à manifestations d'intérêt ont été lancés, afin de faire émerger des projets à une échelle compétitive. Nous souhaitons aussi attirer de nouvelles usines de panneaux photovoltaïques en France. Il importe de montrer que la transition énergétique s'accompagne de créations d'emplois sur notre territoire.

En ce qui concerne la composante carbone, nous attendons les propositions de la conférence citoyenne.

Un mot enfin sur les réacteurs nucléaires. Notre objectif est de ramener la part du nucléaire à 50 % en 2035, cela suppose la fermeture de 14 réacteurs, en incluant les deux réacteurs de Fessenheim. Les diverses hypothèses envisagées dans la PPE ne concernent pas le nombre de réacteurs, mais le calendrier des fermetures. Si la rédaction n'est pas claire, nous sommes prêts à l'améliorer. Le principe est l'arrêt des réacteurs à l'échéance de leur cinquième visite décennale ; au moins deux réacteurs seront arrêtés par anticipation en 2027 et 2028, et, éventuellement, parmi les 14 réacteurs concernés, deux pourraient être arrêtés par anticipation en 2025 et 2026. Quant au calendrier, nous voulons avoir rassemblé à la mi-2021 tous les éléments permettant de choisir entre une stratégie incluant le renouvellement d'une partie du parc nucléaire et une stratégie 100 % renouvelable, en vue d'une décision sur la stratégie qui interviendrait après la mise en service de la centrale de Flamanville. Nous travaillons à la fois sur les petits réacteurs modulaires (SMR) et sur le projet de réacteur à neutrons rapides (RNR). Nous veillons à ce que la recherche ne se focalise pas sur le réacteur, mais concerne aussi l'ensemble du cycle. Dans les projets précédents, la recherche sur le réacteur avait pris de l'avance sur celle relative au cycle. Il est indispensable que les deux avancent au même rythme.

Je partage comme vous le souci de conserver les compétences dans le nucléaire. Le grand carénage représente un programme d'investissement très important. Je constate avec satisfaction qu'EDF et les acteurs de la filière se mobilisent pour transmettre les compétences. Je salue ainsi les efforts de formation déployés par les industriels, pour les soudures par exemple.

La trajectoire financière doit évidemment intégrer les besoins de soutien prévus dans la PPE. La SNBC permettra d'atteindre la neutralité carbone et nous intégrerons les propositions qui pourront être issues de la convention citoyenne.

M. Roland Courteau. - Merci pour vos précisions, madame la ministre. J'avais la même interrogation que notre présidente sur l'articulation entre les propositions de la convention citoyenne ainsi que la loi et la PPE.

Pour réussir la transition énergétique, nous disposons de trois leviers : l'efficacité énergétique et la maîtrise de nos consommations ; la décarbonation des énergies et le développement des énergies renouvelables ; et le remplacement des énergies fossiles par le biogaz ou l'hydrogène vert. Il faut privilégier la complémentarité entre toutes les énergies décarbonées. La PPE semble donner plus de visibilité au développement de l'éolien, du photovoltaïque et, dans une moindre mesure, de l'hydroélectricité. Toutefois, le cadre économique des énergies renouvelables reste incertain. Ainsi, s'agissant de la chaleur renouvelable, il n'est plus question d'une baisse de financement en 2022, mais de stabilisation : le confirmez-vous ?

Autre point de satisfaction, la reconnaissance de l'éolien en mer. Nous avons l'opportunité de structurer une filière industrielle majeure. Il serait souhaitable d'obtenir le statut de projet important d'intérêt européen pour cette filière. Pourriez-vous aussi nous indiquer quand le projet prévu au large des côtes d'Occitanie entrera dans sa phase commerciale ?

Notre bouquet énergétique doit être varié. Le gaz doit avoir toute sa place. Il permet de compenser la pointe de consommation en hiver. Il faut aussi encourager le biogaz et l'hydrogène vert. Le soutien à l'hydrogène vert et au biométhane sera-t-il, à cet égard, suffisant pour permettre l'émergence de filières produisant à des coûts compétitifs ? La trajectoire des prix pour le biométhane ne doit pas pénaliser cette filière. Comment aussi favoriser l'incorporation de biocarburants avancés dans le kérosène ?

Enfin, si l'on veut développer les énergies renouvelables, il importe de simplifier les réglementations administratives et faire en sorte que les administrations préfectorales ne freinent pas des quatre fers dans les territoires...

M. Daniel Laurent. - Le Gouvernement a annoncé en juin le lancement d'un appel d'offres pour le projet d'éolien en mer au large de l'île d'Oléron. Pourriez-vous nous préciser le calendrier ?

Dans le cadre de l'examen du projet de loi Énergie-Climat, nous avons porté une proposition pour faciliter l'implantation de centrales photovoltaïques au sol dans les sites dégradés en zone littorale, avec l'unique objectif de dénouer des situations sans détricoter la loi Littoral ni urbaniser des terres agricoles. Des dossiers sont bloqués dans de nombreuses régions, en Nouvelle-Aquitaine, en Vendée, dans le Morbihan et à La Réunion. La disposition que nous avions adoptée au Sénat a été supprimée. Je remercie mon collègue Daniel Gremillet, rapporteur de ce projet de loi pour notre commission, pour son action et ses propositions afin de pouvoir faire évoluer le droit en vigueur dans ce sujet. L'Ademe, dans son rapport sur l'évaluation du gisement relatif aux zones délaissées et artificialisées propices à l'implantation de centrales photovoltaïques, classe les contraintes liées à la loi Littoral parmi les handicaps moyens : elles ne sont donc pas insurmontables ! Qu'en pensez-vous ? J'ai déjà posé cette question à M. Hulot et à M. de Rugy...

Par ailleurs, je souhaiterais revenir sur l'article 42 de la loi Énergie-Climat. Il est nécessaire d'autoriser les avances en compte courant d'associé que les collectivités territoriales peuvent consentir aux sociétés locales de production d'énergie renouvelable dont elles sont actionnaires. Si on les exclut de la gouvernance de ces sociétés, le nouveau dispositif risque de freiner l'implication des collectivités territoriales dans les sociétés locales de production d'énergie renouvelable, alors qu'elles doivent jouer un rôle central dans la transition énergétique. Or, celle-ci ne peut se faire sans les territoires, notamment ruraux. Les risques économiques et financiers sont limités dans la mesure où ces projets sont éligibles aux mécanismes de soutien aux énergies renouvelables, notamment l'obligation d'achat de l'électricité par un tarif garanti pendant quinze ou vingt ans. Quelles sont les propositions du Gouvernement en la matière ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - En France, l'hydroélectricité est la troisième source de production d'électricité, et la première pour les énergies renouvelables. Mais elle semble atteindre un plafond. Reste-t-il un potentiel de croissance ? Comment lever les obstacles à la construction de nouveaux ouvrages pour atteindre les objectifs fixés par la PPE en la matière ?

M. Fabien Gay. - C'est bien de parler de la PPE, mais quel sera l'avenir de l'entreprise publique EDF ? Où en est le projet Hercule ? L'entreprise sera-t-elle scindée en deux entités : un « EDF bleu », public, qui porterait la dette nucléaire, d'un côté, et un « EDF vert », consacré aux renouvelables, privatisé et coté en bourse, de l'autre ? Le Parlement sera-t-il consulté ?

Lorsque l'on évoque la transition énergétique, il faut poser la question du coût de production de l'électricité, évidemment, mais aussi celle de son prix pour les usagers. Or les tarifs réglementés viennent d'augmenter de 2,4 % en février, après une hausse de 6 % l'an passé. Quel sera donc le prix de l'électricité et de l'énergie pour les usagers dans les dix prochaines années ? Il y a deux sujets d'avenir : la transition énergétique et le prix payé par les usagers. Je redis mon opposition totale au principe de l'Arenh. La hausse des tarifs réglementés ne sert pas à financer la production d'énergie, mais la Commission de régulation de l'énergie (CRE) répond à une injonction des opérateurs privés, pour qu'ils puissent proposer un tarif libre au même prix qu'EDF ! C'est le prix de l'Europe libérale !

Enfin, on parle beaucoup de la réforme du code minier ? Pourriez-vous nous dire à quelle échéance ? Oserai-je vous demander si vous comptez organiser un référendum sur le sujet, ou alors poser une seconde question sur ce point lors du référendum à choix multiples...

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Ce n'est pas à l'ordre du jour !

M. Henri Cabanel. - Un maire héraultais vous a présenté le grand projet d'ombrières sur le bassin de Thau : entendez-vous autoriser une expérimentation ? Les acteurs souhaiteraient aussi assurer son suivi au niveau local, sous le contrôle de l'État.

Ma seconde question concerne l'action des directions départementales des territoires et de la mer (DDTM). De nombreux maires ruraux essaient, pour développer les énergies renouvelables, d'obtenir des financements nouveaux pour installer des panneaux photovoltaïques au sol avec des opérateurs : ainsi, à Creissan, le maire a le projet d'installer une petite centrale de panneaux photovoltaïques sur une ancienne décharge, mais il se heurte à l'opposition de la DDTM, alors qu'il ne s'agit que d'un petit projet de cinq hectares... Si le Gouvernement veut atteindre ses objectifs, il devra demander à ses administrations d'être plus conciliantes et d'aider davantage les territoires.

M. Alain Duran. - Le stockage de l'électricité est une question centrale. Les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), que nous connaissons bien dans les territoires de montagne, permettent de produire 5 GWh en moins de dix minutes. Plusieurs projets existent en Ariège, en Corrèze et dans l'Aveyron qui restent dans les cartons depuis vingt ans et qui permettraient de produire autant que quatre réacteurs nucléaires de première génération. Or la PPE affiche seulement un objectif de 1,5 GWh pour les STEP. Pourquoi si peu d'ambitions ? Cette technologie a fait ses preuves et permet de répondre au caractère intermittent des énergies renouvelables. De plus, ces STEP permettent de créer des emplois et ont un intérêt économique. Envisagez-vous de revoir à la hausse les objectifs ?

M. Jean-Claude Tissot. - Dans la Loire, quatorze moulins produisent l'électricité de 2 800 foyers. Pourtant, l'administration reste peu favorable aux nouveaux projets, au motif que les seuils des moulins détruiraient la continuité écologique, en bloquant la circulation des poissons ou des sédiments. C'est faux : les retenues des moulins permettent de retenir l'eau en période de sécheresse et de préserver la vie aquatique même en période d'étiage. Les gaz à effet de serre sont responsables de l'assèchement des cours d'eau et empêcher le développement des moulins revient à se priver d'une source de production d'énergie renouvelable. Prévoyez-vous de faire une place à ces microcentrales ?

Mme Dominique Estrosi Sassone. - L'énergie solaire réclame du foncier, mais il est aussi possible de déployer des panneaux solaires sur les toitures. Or, les installations de ces panneaux sur ces toitures sont soumises à la procédure d'appels d'offres quand leur puissance dépasse les 100 kW. Ces procédures ne sont pas adaptées pour les petits projets. Ne serait-il pas souhaitable de relever ces seuils ?

Mme Denise Saint-Pé. - La PPE fixe un objectif de biogaz injecté dans les réseaux de 6 TWh en 2023. Cette trajectoire est bien inférieure au potentiel des projets déjà constitués, en file d'attente, qui s'élève, en 2019, à 22 TWh, avec une perspective, en 2023, de plus de 24 TWh. La PPE imposera donc des arbitrages entre les projets pour ne pas dépasser le niveau de 6 TWh en 2023 et constituera un coup d'arrêt majeur à l'essor de la filière. Compte tenu de l'urgence climatique, n'y a-t-il pas lieu de revoir cette trajectoire peu ambitieuse, comme le souhaitent l'ensemble des acteurs et notamment les agriculteurs, acteurs incontournables de la transition énergétique ?

Mme Élisabeth Lamure. - Lors de la visite du Président de la République dans les Alpes, il a été question du transport de marchandises par la route, et on a évoqué les couloirs de camions qui asphyxient les vallées. Cela concerne au premier chef la vallée du Rhône puisqu'entre Marseille et Lyon une voie de l'autoroute est complètement préemptée par les files de camions. Pourtant, il y a deux alternatives, ferroviaire et fluviale, toutes deux sous-utilisées. Lorsque vous êtes venue visiter le port de Lyon, vous avez évoqué cette question avec la présidente de la Compagnie nationale du Rhône (CNR). Le Rhône est utilisé à un tiers de sa capacité. Or une barge sur le Rhône qui transporte des containers, c'est l'équivalent de 400 camions ! Il y a donc vraiment une marge de progression. Le Président de la République a indiqué que l'État allait investir dans le ferroviaire. Y a-t-il un plan à cet égard ? Que pensez-vous du développement du transport fluvial ? Comment faire avancer ce dossier ? Voilà la troisième fois que je pose la question : je l'ai posée à votre prédécesseur et au prédécesseur de votre prédécesseur ! Il me semble que, si le constat est fait, il n'y pas d'avancée.

M. Bernard Buis. - Dans le cadre de la loi sur la programmation pluriannuelle de l'énergie, l'engagement est pris d'arriver à un mix énergétique comportant 50 % d'énergie renouvelable et 50 % d'énergie nucléaire en 2035. Nous sommes actuellement à 70 % de nucléaire et 30 % d'énergie renouvelable. Nos centrales nucléaires sont vieillissantes. Après la fermeture de Fessenheim, il est prévu de fermer quatorze tranches dans diverses centrales. Dans la Drôme, sur le site du Tricastin, deux tranches sur les quatre existantes seront fermées d'ici à 2035. Pourtant, depuis plus de cinquante ans, l'histoire de la région s'écrit avec celle de l'énergie nucléaire, un domaine de haute technologie qui fait vivre 6 500 personnes en Drôme et génère 18 000 emplois directs et indirects sur le bassin étendu de Tricastin à Marcoule. Le site du Tricastin est emblématique de notre production d'énergie électrique décarbonée, symbole de notre indépendance énergétique. Pouvez-vous nous indiquer quand des décisions seront prises sur la fermeture éventuelle de deux tranches sur ce site et nous rassurer en ce qui concerne ses perspectives de reconversion ? Quand seront prises les décisions éventuelles d'implantation d'un EPR de nouvelle génération ? Je tiens à réaffirmer l'engagement des élus locaux, dont je fais partie, qui seraient prêts à accompagner l'implantation de deux réacteurs EPR de seconde génération, sur des terrains déjà disponibles. Il conviendrait de s'appuyer sur l'existence de compétences élevées et le fait qu'un très grand nombre d'acteurs majeurs sont déjà présents sur le territoire, et notamment EDF, Orano, Framatome, et diverses PME spécialisées.

M. Laurent Duplomb. - Sur les éoliennes, vous avez récemment parlé d'un problème d'acceptabilité sociétale. Dans mon département, à Ally-Mercoeur, il y a 27 éoliennes depuis 2005, exploitées par la société Boralex en partenariat avec la communauté de communes du Haut-Allier, qui est l'une des plus pauvres du département de la Haute-Loire. Il a été envisagé d'installer onze éoliennes supplémentaires, mais la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) n'a cessé de poser des questions et de mettre des bâtons dans les roues. Pourtant, l'acceptabilité sociétale était là, et aucune remarque n'a été faite par le commissaire enquêteur, qui a donné un avis favorable. La Dreal a demandé que dix-huit communes soient consultées : dix-sept ont donné un avis favorable, et la seule qui a donné un avis défavorable est la commune la plus éloignée du parc éolien ! La Dreal a demandé à ce que le raccordement soit pris intégralement à la charge de Boralex, ce que Boralex a accepté : 36 kilomètres de réseau, sur du terrain public, et toutes les communes ont accepté le passage du câble ! Alors que la Dreal était prête à donner un avis favorable, un changement du personnel a fait que, comme par enchantement, l'avis favorable devient défavorable. Pourquoi ? Pour le milan royal, auquel, pourtant, les 27 éoliennes fonctionnant depuis 2005 n'ont posé aucun problème. Madame la Ministre, les fonctionnaires ne sont pas neutres, ce sont des intégristes, dont les dogmes environnementaux transpirent chaque jour dans les décisions qu'ils prennent !

Vous avez, aussi, parlé du photovoltaïque sur les bâtiments et annoncé que vous alliez intervenir sur les bâtiments agricoles. Pourriez-vous nous donner des précisions ? Après l'échec de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim), ceux qui ont fait tant de mal à l'agriculture sont peut-être ceux qui, demain, pourraient lui faire du bien.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Il faudrait que vous veilliez à ce que le développement du photovoltaïque sur les bâtiments agricoles ne se passe pas de manière trop anarchique. On voit fleurir les réflexions des professionnels et, en parallèle, se construire des projets de parcs éoliens. Sur la saturation des postes sources, où en est-on ? Nous avons besoin d'une ingénierie au niveau local pour organiser l'ensemble de ces projets, de manière à ce que les agriculteurs des exploitations isolées, qui sont en recherche de diversification, puissent s'engager dans des projets consolidés.

Où en sont les discussions sur la réglementation environnementale 2020, qui doit remplacer la réglementation thermique 2012 ? Celle-ci pourrait privilégier l'usage de matériaux biosourcés, et donc de bois, dans la construction, ce qui est une disposition très attendue par la filière, et qui servirait notre volonté publique de meilleure captation du carbone. Beaucoup d'entreprises de transformation de bois souhaiteraient mettre en place des dispositifs de cogénération, évoqués par mon collègue Daniel Gremillet, dans le cadre de leur circuit fermé. Fabriquant de la chaleur, ce circuit pourrait fabriquer l'électricité nécessaire pour faire fonctionner leur entreprise. De tels projets reçoivent un accueil favorable des Ademe régionales, mais sont aujourd'hui bloqués. Cela mériterait que vous vous penchiez sur la question.

Mme Noëlle Rauscent. - Le développement de l'éolien terrestre est aujourd'hui très décrié. Nombre d'associations luttent contre les éoliennes, et la population est souvent remontée contre leur implantation. La capacité de développement de l'éolien terrestre est donc très limitée, alors que les objectifs de la PPE sont très ambitieux. Compte tenu de ces éléments, ceux-ci sont-ils atteignables ? Vous êtes favorable au relèvement du seuil à partir duquel les projets de photovoltaïque en toiture devront se soumettre à la procédure d'appel d'offres de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Ces appels d'offres nationaux obéissent à une procédure centralisée, lourde et décourageante pour les petites structures. Le relèvement permettrait notamment l'émergence de projets photovoltaïques sur les bâtiments agricoles. Quel sera le nouveau seuil et quand comptez-vous le relever ?

Mme Sylviane Noël. - Notre pays vise un objectif de 23 % d'électricité renouvelable dans sa consommation finale d'électricité. À cet égard, l'hydroélectricité est une source d'approvisionnement cruciale. L'application du principe de concurrence imposé par l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne concerne directement la quasi-totalité de nos concessions, majoritairement gérées par l'opérateur EDF, et qui arrivent prochainement à échéance. Dans un rapport de 2013, des parlementaires avaient déjà alerté sur le danger pour la sécurité des usagers et pour celle des approvisionnements du pays. Face à cette ouverture à la concurrence par l'eau, le paysage risque de s'affaiblir et de se morceler, ce qui conduira à une multiplication des acteurs tournés vers la seule recherche de rentabilité, au détriment de notre potentiel hydroélectrique. Au-delà de l'aspect énergétique, ces équipements jouent un rôle majeur pour les territoires et leur développement à plusieurs titres : soutien d'étiage à l'irrigation, à la pêche, au tourisme, au refroidissement des réacteurs nucléaires et à la prévention des risques d'inondation. Les 400 barrages exploités à 80 % par EDF ont une fonction dépassant largement le cadre énergétique - d'où l'inquiétude bien légitime des élus et des populations. Le 3 octobre dernier, je vous ai interrogée sur ce sujet lors d'un débat sur le réchauffement climatique. Vous m'aviez alors répondu que ces éléments étaient au coeur des discussions actuellement menées avec la Commission européenne. Où en sont ces discussions ? Avez-vous pu progresser vers un traitement dérogatoire ?

M. Franck Montaugé. - Je souhaite attirer votre attention sur la coexistence d'activités de production d'énergie renouvelable de source photovoltaïque avec les cultures. Dans le Gers, un ingénieur, avec des élus locaux et des agriculteurs, développe un projet de cultures de plantes aromatiques et médicinales qui pourraient coexister avec la présence, sur les sols concernés, de panneaux photovoltaïques, l'ombre étant utilisée pour favoriser les cultures. Mais la réglementation de la politique agricole commune (PAC) ne permet pas de faire coexister des aides avec les revenus correspondant aux productions d'électricité de source photovoltaïque. Votre ministère et celui de l'agriculture peuvent-ils envisager la coexistence de ces activités ? Ces dispositions pourraient ne s'appliquer qu'à certaines productions agricoles.

M. Michel Raison. - Monsieur Duplomb a raison : un certain nombre d'administrations liées à l'environnement ou à la police de l'eau sont parfois un peu plus militantes que fonctionnaires - et c'est grave.

L'art du politique, c'est de prévoir, ce qui n'est pas toujours facile, en particulier dans le domaine du remplacement des énergies. Pour les véhicules à moteur, l'orientation électrique semble intéressante, surtout en ville. Je ne la conteste donc pas. Je souhaiterais toutefois savoir si nous disposons d'études techniques précises comparant l'hydrogène et l'électricité - je parle d'hydrogène décarboné. Il semblerait que des bilans prévisionnels puissent être faits. Dans le futur, l'hydrogène sera sans doute une solution, en particulier pour les parcours plus longs.

M. Yves Bouloux. - L'éolien terrestre a maintes qualités, mais son acceptabilité n'est pas toujours acquise. Il est vrai qu'en Nouvelle-Aquitaine, les parcs éoliens sont presque tous situés dans l'ancien Poitou-Charentes, ce qui est un peu gênant. Si des parcs éoliens sont bienvenus, des forêts d'éoliennes le sont moins. Si certaines zones sont pauvres, elles sont tout de même riches de paysages et de patrimoines. On voit parfois dans des villages un début de guerre civile. Quelqu'un a même sorti un fusil ! Le repowering est certainement une bonne chose, surtout s'il s'agit de retravailler sur des sites existants. Dans le sud-est de la Vienne, que vous connaissez bien, madame la ministre, il y a peu de vent, ce qui pousse à construire de très hautes éoliennes - jusqu'à 180 mètres. Mais il faut des éoliennes, et le repowering est bienvenu. La suppression de quatorze réacteurs nucléaires m'inquiète, cela dit. Il faudra bien de l'électricité pour alimenter les véhicules électriques. Vous avez prévu un mix énergétique varié, c'est vrai... Quid de l'EPR ? C'est un dossier douloureux. Où va-t-on ?

M. Jean-Pierre Moga. - Les centrales à charbon seront fermées en 2022. Qu'en est-il du reclassement du personnel et de la reconversion des sous-traitants et de leurs salariés ? Souvent, les sous-traitants sont beaucoup plus nombreux que les employés titulaires de la centrale. Or, si EDF a à coeur de reclasser son personnel, c'est souvent beaucoup plus difficile pour les sous-traitants. Ces centrales à charbon, qui étaient très polluantes et que vous avez raison de fermer, avaient un grand avantage, leur souplesse, qui permettait de répondre rapidement aux pics de consommation. Quelles solutions avez-vous envisagées pour répondre à ces pics ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Nous avons bien prévu de maintenir 350 millions d'euros sur le fonds chaleur au-delà de 2020. Nous n'allons certes pas développer des biocarburants en concurrence avec les productions alimentaires, ni en générant de la déforestation dans d'autres pays. Notre objectif à dix ans est d'atteindre 3,2 % en biocarburant avancé sur le gazole et 3,8 % sur l'essence. Les filières ne sont pas encore finalisées. Lors d'une récente visite à Toulouse, j'ai vu que tous les acteurs de l'aéronautique, les opérateurs des hydrocarbures comme Total, mais également ceux qui gèrent des déchets, se sont mis autour de la table à l'occasion de l'appel à manifestation d'intérêt que j'avais lancé sur les biocarburants aériens. Mais pour l'instant, nous avons plus des pistes que des solutions. Pour atteindre notre objectif de 50 % d'incorporation de carburant alternatif en 2050 pour l'aérien, nous ne devrons pas exclure des carburants de synthèse, produits par exemple à partir de la captation du CO2 dans l'atmosphère, en complément de ce que pourront produire les filières de biocarburant avancé.

Pour le projet d'éolien au large de l'Occitanie, l'appel d'offres devrait être lancé en 2021, pour une attribution fin 2022.

Peut-on ou non implanter du photovoltaïque sur les terrains dégradés malgré la loi Littoral ? Le débat a eu lieu, notamment en CMP. En principe, il serait utile de faire cette ouverture. Cela suppose qu'on arrive à rassurer tous ceux qui s'inquiètent dès qu'on parle de toucher à cette loi.

M. Daniel Laurent. - Sur des terrains déjà dégradés...

Mme Élisabeth Borne, ministre. - J'y serais favorable. Il y aura certainement d'autres points d'adaptation de ce type-là. En conseil de défense écologique, nous avons évoqué les décisions à prendre pour mieux accompagner les territoires victimes d'un recul du littoral. Nous pourrions être amenés à relocaliser des activités, ce qui supposera que, pour des projets très encadrés, il puisse y avoir des souplesses dans la loi, puisqu'on ne va pas réinstaller des constructions menacées par des submersions et l'érosion du trait de côte en continuité de l'urbanisation existante. Ces sujets devront donc être débattus, avec toutes les précautions nécessaires quand on parle de la loi Littoral.

Sur le projet d'éolien au large de l'île d'Oléron, nous allons relancer des concertations et des travaux préparatoires cette année et saisir la Commission nationale du débat public (CNDP) l'an prochain. Un appel d'offres devrait être lancé en 2022, pour une attribution en 2023. Cela fait partie des projets qui sont dans la perspective de la programmation pluriannuelle de l'énergie.

Nous n'avons pas un potentiel très important de petit hydraulique.

M. Jean-Claude Tissot. - Il existe tout de même.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - J'ai pu constater, quand j'étais préfète, que cette question d'arasement des seuils, y compris de ceux qui existent depuis quelques centaines d'années, peut laisser perplexe. Il faut du pragmatisme. Je suis ouverte à ce que l'on regarde des projets particuliers.

M. Laurent Duplomb. - En effet !

M. Jean-Claude Tissot. - Certains seuils existent depuis Louis XIV...

Mme Élisabeth Borne, ministre. - En effet, je partage la perplexité que l'on peut avoir lorsque l'on parle de restaurer des continuités écologiques qui n'existent plus depuis quelques siècles... Cela méritera que l'on regarde avec pragmatisme un certain nombre de cas. En tout cas, je vous confirme que nous avons bien pour projet de réaliser des stations de transfert d'énergie par pompage pour 1 à 2 gigawatts : c'est un mode de stockage ancien qui présente de l'intérêt.

Nous devrions lancer des appels d'offres de petite hydroélectricité à hauteur de 25 à 50 mégawatts par an. Par ailleurs, il est certainement possible d'améliorer des installations existantes pour augmenter la puissance produite.

Monsieur le Sénateur Fabien Gay, nous avons déjà eu un débat sur le projet Hercule, mais je le redis volontiers : d'abord, je dis clairement que tout projet devra maintenir une entreprise publique et intégrée.

M. Fabien Gay. - Comme France Télécom et Engie...

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Quel est le sens des réflexions qui ont été lancées ? Il est dans l'intérêt de tous de conserver une régulation du nucléaire. Il nous faut protéger à la fois les consommateurs et EDF : les consommateurs d'une flambée des prix liée à tel ou tel facteur - prix du carbone, situation dans le Golfe persique... - par un plafond; EDF d'une insuffisance de rémunération par un plancher, ce qui lui assurerait une garantie et permettrait de financer les nombreux projets comme la maintenance du parc nucléaire. C'est le sens du dispositif envisagé qui mettrait en place un plancher et un plafond - une forme de « bande passante ». Des consultations de tous les acteurs sont en cours à ce sujet ; en attendant, nous ne modifierons ni le plafond de 100 TWh ni le prix de l'Arenh. En effet, on ne peut pas engager des discussions avec la Commission européenne sur un système pérenne de régulation et en même temps lui demander d'accepter une modification des paramètres du dispositif actuel.

En tout cas, les débats vont se poursuivre et nous pourrions travailler ensemble, monsieur le Sénateur Fabien Gay, sur le mécanisme que vous avez en tête.

M. Fabien Gay. - Quand vous voulez !

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Je crois comprendre que vous proposez un double mouvement : augmenter le prix payé à EDF et baisser le prix payé par le consommateur. Cela me paraît relever d'une certaine magie...

M. Fabien Gay. - Vous caricaturez mes propos !

Pouvez-vous vraiment affirmer que l'augmentation du tarif réglementé de 2,4 %
- pour 28 millions de ménages - correspond à la progression du coût de l'énergie ? Ne correspond-elle pas plutôt à ce que les opérateurs alternatifs privés ont demandé à la CRE pour pouvoir gagner des clients ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Non ! Ce ne sont pas les acteurs privés qui décident du prix de l'électricité. Cette augmentation correspond à l'évolution du bouquet moyen d'énergie consommé en France.

M. Fabien Gay. - C'est l'évolution du coût de l'énergie qui a conduit à cette augmentation de 2,4 % au 1er février et de 6 % l'an dernier ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Absolument ! Plusieurs facteurs comme le transport interviennent dans le coût de l'énergie.

Monsieur le Sénateur Henri Cabanel, je suis favorable au photovoltaïque flottant qui constitue une solution très intéressante que je souhaite encourager - d'ailleurs, j'ai récemment inauguré un tel parc dans le Vaucluse -, mais je ne peux pas vous répondre précisément sur l'étang de Thau. Pour autant, nous ne souhaitons pas développer le photovoltaïque flottant au détriment des terres agricoles, mais plutôt sur des friches ou des toitures. J'en profite pour répondre à Mme la Sénatrice Dominique Estrosi Sassone et Mme le Sénateur Noëlle Rauscent : nous allons relever le plafond au-delà duquel il est nécessaire de faire un appel d'offres - je pense que des annonces pourront être faites à ce sujet à l'occasion du prochain salon de l'agriculture.

Madame la Sénatrice Denise Saint-Pé, je suis également favorable au développement du biométhane, qui présente de nombreux avantages - il peut notamment constituer un revenu complémentaire pour les agriculteurs - et je peux vous assurer que multiplier la production par six n'est pas une petite ambition ! Nous pouvons avoir des projets en file d'attente, qui n'aboutissent pas automatiquement. Si nous allons au-delà, c'est une bonne nouvelle, même si je ne suis pas certaine que mes collègues de Bercy seront aussi contents que moi... L'objectif fixé est déjà ambitieux et je suis motivée pour aller au-delà le cas échéant.

Madame le Sénateur Élisabeth Lamure, réduire le trafic de poids lourds est évidemment un objectif du Gouvernement, notamment dans la vallée du Rhône. Le Président de la République a évoqué ce sujet la semaine passée pour la vallée de l'Arve, avec des mesures pour réhausser les exigences environnementales sur les camions qui empruntent le tunnel du Mont Blanc.

Nous constatons un frémissement sur le transport fluvial, mais il n'est certainement pas à la hauteur des ambitions que je partage avec la directrice de la CNR. Pour la vallée du Rhône, les modalités de développement du port de Marseille constituent une difficulté, puisque le nombre de places pour les barges destinées au trafic fluvial diminue. Je compte sur la direction du port pour nous proposer des évolutions satisfaisantes à ce sujet. En tout cas, nous devons absolument encourager le trafic fluvial, qu'il soit sur le Rhône ou sur la Seine car nos grands ports en ont besoin. Des investissements sont prévus au Havre et à Marseille.

En ce qui concerne le fret ferroviaire, je suis évidemment perplexe : la répétition des grèves - M. le Sénateur Fabien Gay va encore m'interpeller... - n'aide pas vraiment.

M. Fabien Gay. - Je ne suis pas responsable de toutes les grèves en France.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Ces différentes grèves, dans les ports et à la SNCF, ont entraîné un recul de la confiance des industriels. La confiance se construit lentement, mais se perd très vite. Les opérateurs de fret ferroviaire sont aujourd'hui en grande difficulté et nous souhaitons relancer le secteur avec Jean-Baptiste Djebarri. C'est un enjeu très important en termes de pollution et de gaz à effet de serre.

Monsieur le Sénateur Laurent Duplomb, les agents des Dreal ont évidemment des convictions écologiques fortes, qui devraient les conduire à soutenir le développement des énergies renouvelables.

M. Laurent Duplomb. - Ce n'est pas le cas !

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Je ne peux pas vous répondre sur le cas que vous citez. Il est vrai que certains territoires connaissent une saturation et, aujourd'hui, il y a une forme de rejet sur le développement de l'éolien terrestre, donc si un porteur de projet et volontaire, nous allons étudier sa demande.

Monsieur le Sénateur Bernard Buis, il ne faut pas brûler les étapes sur les décisions relatives au nucléaire. Nous arrêtons cette semaine le premier réacteur de Fessenheim et la centrale d'ici au mois de juin. Pour l'avenir, nous souhaitons fermer des réacteurs sur des sites qui en comportent au moins quatre. Les prochaines fermetures devraient intervenir en 2025. Ensuite, la production d'électricité reposera éventuellement sur de nouveaux réacteurs, des études sont en cours à ce sujet et des arbitrages devront être faits en temps voulu. Les sites existants sont certainement les mieux à même d'accueillir ces nouveaux réacteurs, si la décision d'en créer est prise. L'ensemble des éléments doivent être rassemblés pour la mi-2021 et les décisions interviendront après la mise en service de Flamanville.

Madame la Sénatrice Anne-Catherine Loisier, je partage vos propos sur le développement anarchique de l'éolien terrestre. C'est vraiment un énorme sujet et je l'ai dit aux acteurs de la filière. Malheureusement, nous avons laissé s'implanter certains projets de parcs éoliens qui sont en covisibilité de monuments historiques ou dispersés au sein de petits parcs, de taille et de forme variables, ce qui crée une saturation visuelle et un sentiment d'encerclement autour de certains bourgs parfois insupportable. Nous travaillons avec les élus concernés sur ces sujets, au premier rang desquels le président de la région des Hauts-de-France - cette région a un fort potentiel d'éolien - pour changer les règles : identifier les zones propices ou non, instituer un guichet unique par département. Je souhaite que les futurs mécanismes permettent une répartition plus équilibrée sur le territoire : par exemple, il est vrai, Monsieur le Sénateur Yves Bouloux, qu'il n'y a pas d'éolien dans l'ancienne région Aquitaine, alors que dans les Deux-Sèvres ou dans la Vienne il est développé.

M. Yves Bouloux. - Et beaucoup de projets sont encore sur la table.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Les porteurs de projets ne doivent pas aller systématiquement sur les mêmes territoires, là où il y a déjà beaucoup d'éoliennes

Le repowering fera l'objet de nouvelles autorisations ; améliorer la performance des installations sans implanter de nouveaux mats est dans certains cas pertinent mais tout cela doit s'effectuer avec une autorisation.

J'en viens à la question de Madame la Sénatrice Anne-Catherine Loisier sur les matériaux biosourcés. La réglementation environnementale des bâtiments neufs (RE 2020) prend en compte la phase de construction des bâtiments, pas seulement celle de leur utilisation, à travers notamment le chauffage, ce qui soutiendra le développement des matériaux biosourcés. Pour autant, je ne suis pas rassurée à 100 % sur les équilibres globaux : je ne voudrais pas que nous en arrivions de ce fait à importer du bois - c'est d'ailleurs le sens de la mission confiée à la députée Anne-Laure Cattelot. Aujourd'hui, nous sous-exploitons nos forêts et nous importons du bois. Pour que les forêts jouent bien leur rôle de puits de carbone, leur exploitation est nécessaire. Dans le même temps, lorsque l'on produit du bois énergie ou du bois construction, on se retrouve bien souvent à importer du bois. Je n'évoque même pas le fait que le bois coupé en France est transformé en Chine.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Madame la ministre, c'est exactement l'argument utilisé par les partisans du béton... Nous avons du bois dans notre pays, mais il faut utiliser et valoriser le feuillu, pas seulement le résineux.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Je suis bien d'accord avec vous et ce n'est pas parce qu'il existe une difficulté que nous devons en rester au béton. Nous allons continuer à avancer dans la RE 2020. La filière doit cependant être plus performante et nous devons faire des efforts en matière de recherche et de développement, car les procédés qui sont aujourd'hui utilisés ont été développés dans des pays où les conifères sont beaucoup plus importants que les feuillus. Vous pouvez en tout cas compter sur ma détermination.

M. Daniel Gremillet. - Vous verrez jeudi dans les Vosges !

Mme Élisabeth Borne, ministre. - C'est sûrement l'un des rares départements, où les choses fonctionnent bien.

Mme Anne-Catherine Loisier. - C'est le cas ailleurs aussi !

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Madame la Sénatrice Noëlle Rauscent, votre question renvoie à celle de l'acceptabilité qui est essentielle si nous voulons respecter nos objectifs qui sont ambitieux. Nous pouvons peut-être agir en développant davantage l'éolien en mer et moins sur terre. Je rappelle d'ailleurs que la production issue d'une éolienne en mer est huit fois supérieure à celle issue d'une éolienne terrestre.

Madame le Sénateur Sylviane Noël, nous menons des discussions globales avec la Commission européenne sur l'hydroélectricité. En tout état de cause, les règles de sécurité sont appliquées. L'exemple de CNR est intéressant, parce que c'est l'une des concessions dont le cahier des charges intègre le plus d'objectifs liés à l'aménagement du territoire.

Monsieur le Sénateur Franck Montaugé, je ne vois pas ce qui empêche de conjuguer des ressources issues du photovoltaïque et des aides de la politique agricole commune. La transition écologique est une chance pour l'agriculture, à condition de trouver un modèle respectueux de la biodiversité et prenant en compte les enjeux du dérèglement climatique. Il est évidemment intéressant de favoriser le développement de revenus complémentaires pour les agriculteurs : nous avons par exemple parlé du photovoltaïque sur les toitures pour lequel nous allons relever le seuil de la procédure d'appels d'offres ; il peut également exister des expériences très intéressantes d'ombrières qui permettent d'éviter, en période de forte chaleur, que les plantes n'en souffrent J'espère avoir un retour rapide de la Commission européenne sur les paiements pour services environnementaux. Lors du salon de l'agriculture, je présenterai les labels « bas carbone » qui correspondent à des pratiques permettant d'absorber davantage de carbone.

Monsieur le Sénateur Michel Raison, il me semble aujourd'hui préférable d'utiliser la technologie des batteries pour des véhicules légers. Les constructeurs français rencontrent en ce moment des difficultés, mais j'espère qu'ils seront tout de même stimulés par la concurrence internationale qui existe sur ces modèles. L'hydrogène est une réponse pour des transports plus lourds - cars, poids-lourds, tracteurs, trains...

Monsieur le Sénateur Yves Bouloux, pour ce qui concerne le délai de mise en service de l'EPR de Flamanville, EDF doit encore faire certifier par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) les procédés envisagés pour corriger les défauts constatés dans les soudures. Nous espérons que ce sera le cas. EDF pourra alors charger le combustible à la fin de 2022. Nous n'avons pas encore de validation de l'ASN.

Monsieur le Sénateur Jean-Pierre Moga, l'accompagnement des salariés des centrales à charbon comme de ceux des autres centrales doit absolument être à la hauteur. La loi Énergie-Climat a habilité le Gouvernement à instituer des dispositifs d'accompagnement performants en ce sens. La situation est évidemment plus simple dans les centrales qui dépendent d'EDF. À Saint-Avold, nous pouvons être confiants, des projets sont en vue. À Gardanne, c'est nettement plus compliqué : le site est arrêté depuis plusieurs mois et il faut d'abord retrouver les conditions du dialogue social entre l'opérateur et ses salariés.

Mme Sophie Primas, présidente. - Qu'en est-il de l'Arenh ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. - J'ai évoqué le mécanisme envisagé qui repose sur un plafond afin de protéger les consommateurs et sur un plancher afin de protéger EDF. La Commission européenne pourrait alors nous demander de séparer la commercialisation et la production nucléaire qui serait considérée comme un service économique d'intérêt général. Nous devons aussi faire en sorte qu'EDF dispose, dans le cadre d'une société publique intégrée, de suffisamment de capacités d'investissement pour réaliser de front l'ensemble de ses chantiers, que ce soit le grand carénage, la modernisation des réseaux pour accompagner la transition énergétique ou le développement des énergies renouvelables. Le projet Hercule devra répondre à ces questions.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie, madame la ministre. Il est évidemment important pour notre commission de suivre la mise en place de la loi Énergie-climat.

Par ailleurs, je vous informe, mes chers collègues, que je vais demander une étude de législation comparée sur les opérateurs nationaux d'électricité dans les pays européens. Nous mènerons aussi un cycle d'auditions sur l'organisation du marché de l'électricité.

Enfin, madame la ministre, nous souhaitons être associés en amont aux travaux de réforme du code minier pour pouvoir préparer les débats parlementaires dans de bonnes conditions.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Très volontiers, je crois que nous sommes en train de stabiliser un texte dont nous pourrons parler avec votre commission !

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis

Mme Sophie Primas, présidente. - Le Gouvernement a déposé au Sénat le 12 février dernier un projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière. Ce projet de loi, qui comporte 21 articles, dont plusieurs habilitations à légiférer par ordonnance, vise à adapter le droit français à des directives ou des règlements européens. Son examen a été renvoyé au fond à la commission des finances. Pour autant, la commission des affaires économiques est concernée par plusieurs dispositions du texte - protection des consommateurs avec la transposition de la directive Omnibus, surveillance des marchés et conformité des produits, pratiques commerciales déloyales, génétique animale, modification de la définition du terme « stocks stratégiques » dans le code de l'énergie -, ce qui justifie la demande de saisine pour avis de notre commission, ainsi que la délégation au fond de dix articles du projet de loi : les articles 1er à 7, ainsi que les articles 18 à 20.

Je vous propose, si vous en êtes d'accord, de nommer notre collègue M. Laurent Duplomb rapporteur pour avis sur ce projet de loi.

La commission désigne M. Laurent Duplomb rapporteur pour avis sur le projet de loi n° 314 (2019-2020) portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous indique d'ores et déjà que, sous réserve des conclusions de la Conférence des présidents qui se réunira mercredi de la semaine prochaine, ce texte sera examiné dans des délais à nouveau très contraints, le passage en commission étant prévu le mardi 24 mars. La séance publique devrait quant à elle intervenir la semaine du 6 avril.

La réunion est close à 19 h 30.

Mercredi 19 février 2020

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace - Examen des amendements de séance au texte de la commission

EXAMEN DES AMENDEMENTS DES RAPPORTEURS

Les amendements de coordination AFFECO.1 et AFFECO.2 sont adoptés.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Article 1er

M. Franck Montaugé, rapporteur. - L'amendement n°  13 supprime la justification de l'atteinte au libre choix du consommateur reposant sur le bon fonctionnement du terminal. Cela nous semble disproportionné, et de nature à fragiliser le dispositif. Si trop de liberté est laissée à l'utilisateur du terminal, cela rendra celui-ci non opérationnel. Il y a trois critères : la sécurité, le bon fonctionnement de l'appareil, et le respect de la loi. Pour être neutre, encore faut-il que le terminal fonctionne ! Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 13.

Article 2

Mme Sylviane Noël, rapporteur. - L'amendement n°  12 rectifié renforce la transparence des algorithmes utilisés par les plateformes lors du classement des informations transmises aux consommateurs. Il nous paraît satisfait car l'article L. 111-7 du code de la consommation prévoit déjà l'obligation, pour les plateformes, d'informer les consommateurs sur « les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des contenus, des biens ou des services auxquels le service permet d'accéder ». Retrait, ou avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 12 rectifié.

Articles additionnels après l'article 3 

M. Franck Montaugé, rapporteur. - L'amendement n°  10 permettrait aux entreprises d'agir contre les atteintes à la neutralité des terminaux et à l'interopérabilité des plateformes. Il est satisfait : retrait, ou avis défavorable. En effet, le nouvel article L. 108 permettrait à tout utilisateur professionnel de saisir l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (Arcep) en cas d'atteinte à la neutralité des terminaux, et les nouveaux articles L. 109 et L. 113 permettraient à toute personne physique ou morale concernée de solliciter une sanction de la part de l'Arcep.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10.

Mme Sylviane Noël, rapporteur. - L'amendement n°  4 a pour but de s'assurer que le principe de loyauté des plateformes, inséré par la loi de 2016 pour une République numérique, s'applique bien aux magasins d'application. Un magasin d'application est bien une plateforme en ligne au sens de l'article L. 111-7 du code de la consommation. Cet amendement est donc satisfait. Retrait, ou avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4.

Article 4

M. Franck Montaugé, rapporteur. - L'amendement n°  3 introduit une définition générale de l'interopérabilité, qui s'inspire du référentiel général d'interopérabilité applicable aux systèmes d'information de l'État. Cela nous semble intéressant. Avis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 3.

Articles additionnels après l'article 6

Mme Sylviane Noël, rapporteur. - L'amendement n°  11 rectifié permet de qualifier de pratique restrictive de concurrence le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher l'interopérabilité des plateformes. Même avis que sur l'amendement n° 10, dont il constitue le pendant.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je vérifierai sur le plan juridique, et le retirerai peut-être.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 11 rectifié.

M. Franck Montaugé, rapporteur. - L'amendement n°  8 rectifié permet les actions de groupe pour manquement aux dispositions de la proposition de loi par une entreprise systémique. Il nous apparaît satisfait. L'Arcep peut déjà être très largement saisie, et les articles 3 et 6 de la proposition de loi prévoient que « l'Arcep peut, soit d'office, soit à la demande du ministre chargé du numérique, d'une association agréée d'utilisateurs ou d'une personne physique ou morale concernée, sanctionner » les atteintes au libre choix et à l'interopérabilité des plateformes. Retrait, ou avis défavorable.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - L'objectif de cet amendement est de ne pas obligatoirement passer par l'Arcep. Il ne s'agit d'être suspicieux, mais on peut ne peut totalement exclure que les rapports de force internationaux puissent un jour influencer le traitement d'une affaire par le régulateur - fût-il indépendant ! Il faut élargir le champ des capacités à poursuivre par des personnes qui s'estimeraient lésées, entreprises ou citoyens.

M. Franck Montaugé, rapporteur. - Je précise que, à notre sens, le dispositif serait couvert par le code de la consommation, qui concerne tout manquement d'un professionnel à ses obligations légales, relevant ou non du code de la consommation à l'occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Vraiment ? Il s'agit de services ou de biens. Là, c'est l'organisation d'un système qui est en cause en ce qu'elle rend difficile l'accès à des services. La formulation du droit en vigueur est ambiguë.

M. Franck Montaugé, rapporteur. - Nous aurons le débat en séance, mais la notion de service couvre les services numériques, donc il me semble que l'action de groupe du code de la consommation serait applicable.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Il faut rendre explicite la possibilité d'avoir recours à une action de groupe.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 8 rectifié.

Article 7

Mme Sylviane Noël, rapporteur. - L'amendement n°  6 clarifie qu'il faudra bien que l'Autorité de la concurrence ait recours à un faisceau d'indices pour qualifier une entreprise de « structurante ». Un seul critère ne saurait être suffisant pour bien cibler le dispositif sur les géants du numérique. Avis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 6.

M. Franck Montaugé, rapporteur. - L'amendement n°  1 rectifié permet l'accès des agents habilités de l'Autorité de la concurrence aux principes et méthodes de conception des algorithmes ainsi qu'aux données utilisées par ceux-ci. Avis favorable. Un amendement de même nature avait été intégré à la proposition de loi sur la lutte contre les propos haineux en ligne.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 1 rectifié.

Article 8 A

M. Franck Montaugé, rapporteur. - Même avis sur l'amendement n°  2 rectifié, qui concerne la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 2 rectifié.

Mme Sylviane Noël, rapporteur. - L'amendement n°  14 étend l'interdiction des dark patterns à l'ensemble des plateformes, et non seulement aux plateformes structurantes. C'est un amendement intéressant : il faut que l'ensemble des acteurs du numérique soient soumis à ces dispositions.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 14.

Article additionnel après l'article 8

M. Franck Montaugé, rapporteur. - L'amendement n°  5 demande un rapport sur les effets de la loi pour un République numérique : avis défavorable, selon la jurisprudence constante du Sénat - quitte à interpeller le ministre en séance. La commission d'enquête sur la souveraineté numérique avait émis le souhait de procéder à une évaluation des dispositions relatives au numérique.

Mme Sophie Primas, présidente. - C'est au Parlement de se saisir de ce contrôle.

M. Franck Montaugé, rapporteur. - En effet : il s'agit d'évaluer une politique publique.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5.

Article 9

Mme Sylviane Noël, rapporteur. - L'amendement n°  15 rectifié exige du Gouvernement qu'il fasse bien connaître au public les dispositions de la proposition de loi. Une telle disposition ne relève pas du domaine de la loi. Je vous propose de saisir le Président du Sénat afin que soit constatée l'irrecevabilité de cet amendement en application de l'article 41 de la Constitution. Cependant, dans l'hypothèse où cette proposition de loi deviendrait une loi, une telle campagne de communication serait bienvenue. Nous invitons l'auteur de l'amendement à évoquer ce sujet en séance.

La commission demande au Président du Sénat de se prononcer sur l'irrecevabilité de l'amendement n° 15 rectifié au titre de l'article 41 de la Constitution.

Article additionnel après l'article 19

M. Franck Montaugé, rapporteur. - L'amendement n°  7 modifie le régime de l'asile. Notre commission a arrêté que le périmètre de la proposition de loi se limite aux « mesures tendant à modifier le droit de la concurrence, de la consommation et de la régulation de nature économique en vue de favoriser le libre choix du consommateur en ligne ». En conséquence, et même si cet amendement aborde un sujet important, je vous propose de constater que cet amendement ne comporte pas de lien, même indirect, avec les dispositions restant en discussion et, en conséquence, de le déclarer irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je souhaite que nous puissions en débattre. En effet, ces systèmes sont si opaques que, le temps qu'on perçoive un dysfonctionnement, le préjudice est considérable. Au-delà de l'affaire Snowden, aujourd'hui, en Californie, certains salariés sont écartés des Gafam pour avoir manifesté des exigences éthiques. Les lanceurs d'alerte doivent être protégés. Dès 2013, le Conseil national du numérique a préconisé de voter des lois sur ce sujet.

Mme Sophie Primas, présidente. - Rien ne vous empêche d'évoquer le sujet lors du débat sur ce texte.

La commission demande au Président du Sénat de se prononcer sur l'irrecevabilité de l'amendement n° 7 au titre de l'article 45 de la Constitution.

Les avis de la commission sur les amendements de séance sont repris dans le tableau ci-après :

Article 1er

Auteur

Avis de la commission

M. MALHURET

13

Défavorable

Article 2

Auteur

Avis de la commission

Mme LIENEMANN

12 rect.

Défavorable

Article additionnel après article 3

Auteur

Avis de la commission

Mme LIENEMANN

10

Défavorable

M. TEMAL

4

Défavorable

Article 4

Auteur

Avis de la commission

Mme ARTIGALAS

3

Favorable

Article additionnel après article 6

Auteur

Avis de la commission

Mme LIENEMANN

11 rect.

Défavorable

Mme LIENEMANN

8 rect.

Défavorable

Article 7

Auteur

Avis de la commission

M. DAUNIS

6

Favorable

Mme ARTIGALAS

1 rect.

Favorable

Article 8 A

Auteur

Avis de la commission

Mme ARTIGALAS

2 rect.

Favorable

M. MALHURET

14

Favorable

Article additionnel avant article 8

Auteur

Avis de la commission

M. TEMAL

5

Défavorable

Article 9

Auteur

Avis de la commission

M. REQUIER

15 rect. bis

Irrecevabilité soulevée art.41

Article additionnel après article 9

Auteur

Avis de la commission

Mme LIENEMANN

7

Irrecevable art. 45

Audition de M. Enrique Martinez, directeur général du groupe Fnac Darty

Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Enrique Martinez, directeur général du groupe Fnac Darty. Près de quatre ans après le rachat de Darty par la Fnac, le groupe est au croisement de plusieurs sujets d'actualité qui concernent notre commission, en particulier les nouvelles formes du commerce et les multiples enjeux du numérique.

Les différents travaux que conduit la commission convergent en effet vers le constat qu'il est au mieux inefficace, au pire contre-productif d'opposer frontalement le commerce en ligne et le commerce physique. Chacun peut et doit se nourrir des opportunités apportées par l'autre, à l'heure où les exigences des consommateurs évoluent rapidement. Alors que près de 20 % des ventes du groupe Fnac Darty sont réalisées en ligne, nous pouvons, je le crois, dire que vous partagez le même constat que nous !

Le plan stratégique intitulé « Confiance + », lancé à l'automne 2017, vise à créer la « plateforme omnicanale de référence en Europe ». Le groupe Fnac Darty a en effet développé une stratégie multipliant les canaux de vente, dans l'électroménager, l'électronique et les produits culturels, ce qui en fait le leader européen en la matière. Cette stratégie repose en France sur près de 570 magasins dits « numérisés », sur le développement d'offres de livraison et de collecte en magasin et sur le site internet, qui enregistre 20 millions de visiteurs uniques cumulés par mois.

Monsieur le directeur général, vous êtes ainsi particulièrement bien placé pour nous indiquer ce que vous pensez de la complémentarité entre commerce physique et commerce en ligne et sur les obstacles et enjeux de la transformation numérique. Vous pourrez également nous faire part de votre vision prospective de l'avenir du commerce. En bref, comment voyez-vous votre métier dans dix ans ?

Le groupe a fait le choix de diversifier son activité, notamment afin de répondre aux nouvelles attentes des consommateurs. Au-delà du rachat de Darty, dont les produits sont complémentaires de ceux de la Fnac, on pense à l'acquisition de Nature & Découverte en 2019, afin d'intégrer le marché du bien-être. Pourrez-vous nous expliquer quelles sont les évolutions de ces exigences des consommateurs que vous considérez comme les plus structurantes, les plus incontournables ? En matière d'usage de produits culturels ou de bien électroniques, quelles sont les évolutions que vous constatez ?

Enfin, les enjeux de régulation propres au numérique vous concernent au premier chef. On pense aux sujets d'équité fiscale et règlementaire avec certains acteurs pure players du numérique, mais aussi à la nécessité d'accroître la transparence et la loyauté dans les relations entre places de marché en ligne et vendeurs professionnels. Vous avez devant vous la commission chargée de l'élaboration des lois concernant le commerce et la consommation. Quels sont aujourd'hui les freins législatifs à votre développement ?

Vous pourrez également nous dire comment votre groupe a appliqué la charte e-commerce signée sous l'égide du Gouvernement et expliquer l'impact de l'entrée en vigueur à venir du règlement platform to business.

Vous pourrez enfin nous dire comment votre groupe compte résister à long terme à la déferlante des géants du commerce en ligne que sont l'américain Amazon et le chinois Alibaba.

Je vous cède immédiatement la parole pour un propos liminaire, puis des questions vous seront posées par mes collègues, à commencer par M. Babary, rapporteur du groupe de travail sur les nouvelles formes du commerce.

M. Enrique Martinez, directeur général du groupe Fnac Darty. - Membre du groupe depuis vingt et un ans, j'en suis le principal dirigeant depuis 2017. Les défis sont énormes. En France, le commerce a été affecté, notamment ces deux dernières années, par certains mouvements dans des périodes critiques, dont les fêtes de fin d'année. Mais les difficultés tiennent principalement à l'énorme pression des acteurs mondiaux du digital, qui ont profondément modifié les règles du jeu dans le secteur de la distribution. Les pure players ont des moyens illimités leur permettant d'avoir des pertes importantes sur leur activité commerciale, ce qui n'est pas à la portée des acteurs du commerce traditionnel. Ils ont ainsi pu faire progresser très significativement la vente en ligne.

Nous avons en France et en Europe des champions de la distribution qui se battent pour rester présents sur les marchés. Ailleurs dans le monde, les acteurs du commerce traditionnel qui étaient un peu faibles ont disparu. Mais nous sommes confrontés à des fermetures de commerces physiques, et le phénomène risque de s'aggraver dans le futur.

Voilà quatre ans que la Fnac et Darty font partie du même groupe. C'était une chance inouïe pour créer un vrai champion de la distribution des produits électroniques, électroménagers et culturels. Cela nous a donné une taille suffisante pour pouvoir investir davantage sur l'expérience client et rester leader sur toutes nos catégories des produits en France. Le modèle que nous développons est complètement différent de celui des pure players. Notre réseau de magasins est extraordinaire. Nous continuons à le développer partout en France. Nous avons bâti un modèle complémentaire entre le physique et le digital.

Les clients veulent la simplicité et la facilité d'accès du digital. Mais l'expérience du magasin vient en complément. L'avantage concerne aussi l'économie et la responsabilité sociale des entreprises (RSE), car le coût des livraisons dans les centres-villes est élevé.

Le groupe est un acteur engagé de l'économie française et européenne. Nous prenons des initiatives pour qu'il puisse jouer un rôle de leader et de référent dans une économie de plus en plus circulaire. Nous avons 26 000 collaborateurs, dont 19 000 en France, et 600 magasins. Nous continuons à faire des ouvertures, grâce à une politique de développement de la franchise. Il a été décidé voilà quelques années de permettre à des entrepreneurs indépendants ayant souvent d'énormes problèmes économiques de s'associer à notre réseau. Cela a été un axe majeur de développement de notre activité.

Pour compléter notre offre, nous avons acquis Nature & Découverte, marque exemplaire, dont plus de 60 % des produits sont fabriqués en France, permettant de renforcer l'activité dans les magasins et sur internet. Nous développons l'enseigne dans d'autres pays.

Nous avons bâti des partenariats avec des groupes français, ayant constaté que, malgré notre taille, nos moyens étaient limités pour développer des activités ou des services. Les accords concernent des groupes comme Deezer, Orange ou Kobo.

Aujourd'hui, 20 % du chiffre d'affaires est généré en digital. Plus de la moitié de la volumétrie revient au magasin, permettant d'avoir un flux très significatif.

Nous avons un souci de qualité de l'expérience. Il y a plus de 5 millions de transactions par an, d'où un énorme besoin de formation et d'accompagnement.

Le groupe a une politique forte de recrutement de jeunes, avec plus de 1 000 contrats en alternance en France. Les possibilités de développement de carrière offertes à des jeunes à faible formation jouent un rôle d'ascenseur social. En outre, la politique de promotion interne est très affirmée, surtout dans les magasins.

Nous sommes, je pense, les mieux placés de notre secteur s'agissant de l'égalité entre les hommes et les femmes, qui représentent 38 % de nos effectifs. Le conseil d'administration est à parité, et il y a 40 % de femmes au sein du comité exécutif. De même, nous avons l'un des taux les plus élevés d'emploi de personnes handicapées, 5 %.

Les consommateurs sont de plus en plus sensibles aux effets de l'activité sur la planète. Historiquement, Darty a été un des groupes les plus mobilisés au monde en la matière, réparant plus de 1,2 million de produits chaque année. Plus de 2 000 personnes sont exclusivement dédiées à cette tâche, soit à domicile, soit en atelier.

Nous avons intégré les nouveaux outils offerts par le big data. Le baromètre du service après-vente (SAV) permet d'informer les consommateurs sur la qualité attendue des produits. Nous avons introduit un label « choix durable » pour les produits dont la durée de vie sera la plus longue possible. Cela combine capacité à réparer et durabilité, y compris des pièces disponibles. Nous sommes ravis d'avoir amené certains industriels à prolonger, parfois à doubler la durée de vie des pièces détachées.

Des acteurs de taille bien plus importante peuvent avoir une politique de paiement des impôts complètement différente de la nôtre. Ils continuent ainsi à ouvrir des entrepôts en Europe ou en France avec des sommes que notre groupe dédie à ses obligations fiscales.

Ce n'est pas la seule distorsion. Les règles en matière d'utilisation des données des cartes bancaires des clients, selon que l'hébergement est en France ou ailleurs, par exemple au Luxembourg, procurent à d'autres des avantages d'utilisation et de simplicité sur les modes de paiement, alors que les mêmes pratiques sont interdites aux e-commerçants français. Ce n'est peut-être pas très visible au quotidien, mais les écarts sur les taux de transformation et la perte de bases clients sont énormes. Il sera de plus en plus difficile de se battre dans ces conditions. Les consommateurs, qui considèrent la simplicité des paiements comme un énorme avantage, ne comprennent pas que des acteurs comme la Fnac ou d'autres groupes ne proposent pas de tels services. C'est bien un problème de réglementation.

Face à la pression à laquelle ils sont soumis, les commerces physiques doivent se transformer. Certaines lois françaises n'intègrent pas encore complètement l'effet de l'e-commerce au regard de la concurrence.

Cela limite énormément la capacité de transformation intelligente du commerce physique, et les conséquences peuvent être désastreuses.

Sur certains sujets, le diagnostic est fait : la distorsion de concurrence est importante. La question est : comment le législateur est-il capable de soumettre tous les acteurs à des règles qui fassent que chacun, avec ses armes, puisse satisfaire ses clients ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci.

M. Serge Babary. - Merci de vos propos liminaires qui ont largement balayé les différents sujets.

Au fil des auditions de notre groupe de travail sur les nouvelles formes de commerce, il apparaît que les consommateurs se retrouveront demain autour d'une communauté de valeurs. L'acte d'achat constitue de plus en plus un acte citoyen qui a un sens. Les marques ne prospéreront que si elles réussissent à se différencier non seulement sur le prix et l'apparence du produit mais aussi, plus fondamentalement, sur le message que l'achat du produit véhicule. Qu'en pensez-vous ? Sentez-vous poindre cette tendance ? Comment en tiendrez-vous compte ?

La part du commerce en ligne dans le chiffre d'affaires est de 20 %. Est-ce un plafond ou au contraire, cette part pourra-t-elle croître massivement ? On constate que ce taux de 20 % se retrouve ailleurs.

Quels sont les avantages spécifiques du commerce physique, que vous conservez largement, qui le rendent non interchangeable avec le commerce en ligne dans l'esprit du consommateur ?

La livraison dite du dernier kilomètre sera-t-elle à la charge du consommateur, comme c'est le cas lorsqu'il va chercher son colis en point relais ou en magasin, ou à celle de l'entreprise, qui devra supporter le coût significatif de la livraison à domicile ?

Enfin, concernant la place de marché, quelle est la transparence de vos pratiques de classement des offres et de vos procédures de sanction d'entreprises cocontractantes : déréférencement, gel des fonds, etc. ?

M. Enrique Martinez. - Le commerce de demain portera, comme cela a toujours été le cas, sur les valeurs. Les clients cherchent du sens, de la confiance, face à un hyper-choix qui les perd parfois. Il est fondamental de proposer des marques de confiance. Toutefois, nous constatons que les clients ont parfois des comportements contradictoires : ils déclarent être sensibles aux valeurs, mais ce n'est pas toujours décisif lors du choix final, hypersensible au prix. Le phénomène de prix n'a jamais été aussi présent qu'aujourd'hui, quand la comparaison est immédiate, à portée de téléphone. Oui, il faut donner du sens, mais des marques qui ne sont pas aussi éthiques ou bienveillantes que d'autres peuvent quand même l'emporter par le prix.

Nous avons lancé nos sites internet en 1999. Ces derniers temps, la pénétration du commerce en ligne a progressé de 1 point par an. Dans les secteurs où la différence de prix entre commerces physique et en ligne n'est pas si importante, la pénétration de ce dernier est moins grande. Il y a une corrélation directe entre pénétration du commerce en ligne et prix plus bas. C'est ainsi que le e-commerce s'est imposé dans beaucoup de pays.

Deux facteurs sont à considérer pour modéliser l'évolution de la pénétration du commerce en ligne : la limite du modèle de vente à perte qui impose une pression trop forte sur les prix de certains secteurs d'activités, et la capacité de résistance des acteurs du commerce physique. Le commerce en ligne a aussi progressé là où le commerce physique a disparu, entraînant une perte de choix. Un consommateur qui ne dispose plus de librairie mais veut continuer à lire est obligé de passer par une plateforme.

La livraison constitue un sujet majeur. La loi Lang sur le livre a autorisé la facturation des frais de livraison à un centime, la gratuité étant interdite. Si l'on applique cette offre à l'ensemble du secteur, pour les commerçants en ligne, il est très difficile d'absorber des frais de livraison de plus en plus chers, si ce ne sont pas les magasins qui assurent le rôle de point de retrait. Nous avons cet avantage sur les commerçants uniquement en ligne. C'est une distorsion de concurrence.

Nous sommes très attentifs au phénomène de place de marché. Beaucoup d'acteurs hébergent des commerçants installés hors de l'Union européenne, en Chine ou ailleurs en Asie, qui vendent des produits à des tarifs impossibles, parfois plus bas que ceux auxquels mon groupe les achète. Ce n'est pas normal. Il existe probablement un manquement de déclaration de la TVA. Nous avons signé l'an dernier la charte de déontologie du Gouvernement sur le sujet. Nous soutenons sa mise en exécution.

Le point de vigilance concerne les plateformes de place de marché qui ne sont pas hébergées en France : que faire avec une plateforme italienne qui vend en France des produits chinois ou thaïlandais ? Le commerce en ligne provoque des distorsions de concurrence très significatives. À nous de trouver les bonnes règles du jeu pour rétablir la concurrence.

Mme Sophie Primas, présidente. - Peut-être par plus d'Europe ?

M. Fabien Gay. - Merci pour vos propos introductifs. Je suis très heureux de cette audition car Fnac-Darty est un très beau groupe, dont les résultats sont exceptionnels. Disons-nous tout : selon une étude interne, lors des dix dernières années, vous avez perdu 40 % de salariés. La transformation du métier a des conséquences sur l'emploi. Vous vous êtes séparés d'un certain nombre de secteurs, notamment des disquaires, et vous vous réorganisez.

Avec les grands capitaines d'industrie, nous débattons souvent de la fiscalité. Pour ma part, je pense que les cotisations sociales qui financent notre modèle social font de la France l'un des pays les plus compétitifs. Une fois de plus, disons-nous tout : combien de crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) le groupe Fnac-Darty a-t-il reçu en cinq ans ? Le montant doit s'élever à des dizaines de millions d'euros. À quoi ont-ils servi ?

Je sais que vous tenez à votre réseau de magasins. Les salariés disent que ces derniers sont de plus en plus des showrooms pour des clients qui achètent finalement sur Internet, et qu'ils ont perdu des compétences. Aujourd'hui, les vendeurs sont polyvalents, ils sont équipés de tablettes et vendent plus d'assurances que de livres - vous avez d'ailleurs été épinglé sur les assurances par 60 Millions de Consommateurs. Le passage au modèle Internet s'accompagne-t-il forcément d'une perte de savoir-faire et de conseils aux clients ?

Mme Élisabeth Lamure. - Monsieur le président-directeur général, vous avez indiqué être un acteur engagé. À la délégation sénatoriale aux entreprises, nous menons une mission sur les entreprises responsables et engagées, allant bien au-delà de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), dans les domaines du bien-être des salariés, de l'éthique financière, de l'environnement et des droits humains dans toute la chaîne de fournisseurs. Quelle est la politique de votre groupe en la matière ?

M. Henri Cabanel. - Il y a quatre mois, vous avez annoncé le lancement de Darty Max, un service inédit d'abonnement à la réparation pour tout le gros électroménager. C'est une étape importante dans la mutation du modèle économique du groupe, qui prévoit l'embauche de 300 techniciens réparateurs dans les trois prochaines années. Vous faites le pari d'une consommation plus responsable, pour faire de la réparation un business d'avenir. Vous vous engagez vers l'économie circulaire. Quel est le bilan de Darty Max depuis son lancement ? Quel est, par exemple, le taux de produits réparés ?

M. Martial Bourquin. - Ma question porte sur l'obsolescence programmée, grave problème. Certaines personnes que je connais ont acheté un superbe téléviseur, qui, au bout de six ans, n'est pas réparable alors qu'il est presque neuf. Avant, les téléviseurs duraient vingt ans. Heureusement que l'économie sociale et solidaire existe pour réparer ce qui n'est qu'un problème de carte mémoire. Dans certains endroits, ces téléviseurs sont broyés. Quel gâchis écologique ! Quel coût pour les familles ! J'espère que la réparabilité sera un argument de vente. Les nouvelles générations ne veulent plus de l'obsolescence programmée. Il faut faire comprendre qu'il vaut mieux acheter un appareil ménager réparable, qui coûtera moins cher à la famille et sera meilleur pour la planète.

La course à l'e-commerce aura-t-elle des conséquences sur les centres villes ? La Fnac sert parfois de locomotive, dans les coeurs de ville. Elle est un lieu de rencontres, d'activités culturelles. Avez-vous un projet pour réinvestir les centres villes, dans les grandes villes mais aussi les villes moyennes ? Elles ont besoin de votre présence.

M. Laurent Duplomb. - Aujourd'hui, on estime que la consommation énergétique du numérique représente à elle seule l'équivalent de la moitié de la consommation d'énergie du secteur du transport aérien. Dans quelques années, celle-ci devrait même dépasser l'énergie consommée par l'ensemble du secteur des transports.

C'est pourquoi je me demande s'il n'est pas risqué de tout miser sur le numérique : après tout, l'acceptabilité sociale dont il bénéficie pourrait tout à fait s'inverser, notamment si les effets du dérèglement climatique s'accentuaient.

Prenons l'exemple du développement des magasins de vente en vrac. Ce modèle est l'exact inverse de celui du numérique : il ne repose sur aucune commande ni aucune livraison. En fait, le consommateur fait le choix de se déplacer pour acheter un produit dans son contenant. On trouve derrière ce modèle l'acte militant et citoyen de certains consommateurs qui luttent contre les effets nocifs du numérique et des emballages.

Selon vous, le « tout numérique » et ses immenses plateformes logistiques continueront-ils à se développer de façon irrémédiable, ou les évolutions sociétales pourraient-elles favoriser l'émergence d'un modèle alternatif ?

M. Joël Labbé. - Monsieur Martinez, vous êtes un patron conquérant, ce qu'il faut saluer. Cela étant, je fais partie de ces personnes qui défendent les libraires et les disquaires indépendants de centre-ville, lesquels souffrent aujourd'hui. Ma question est simple : quel avenir voyez-vous pour les commerces indépendants de centre-ville ?

M. Jean-François Mayet. - Vous n'avez pas évoqué l'implantation du groupe Fnac-Darty dans l'enceinte des magasins Carrefour. S'agit-il d'opérations purement conjoncturelles ou est-ce le début d'un rapprochement structurel, voire financier ?

M. Yves Bouloux. - Dans votre rapport de responsabilité sociale d'entreprise (RSE) de 2018, vous vous définissez comme un acteur économique, social et culturel dans les territoires, et même un acteur important du tissu local. Ce propos sonne bien à nos oreilles, mais qu'est-ce qui vous distingue vraiment de vos concurrents en termes d'ancrage local ?

Autre question : comment pourrez-vous maintenir, voire développer l'attention très vertueuse que vous portez au tissu local, sachant que le secteur du numérique est en progression constante ? Quelles actions envisagez-vous pour préserver le commerce traditionnel et les centres-villes ?

M. Daniel Gremillet. - Pour m'être rendu dans l'un de vos magasins dernièrement, monsieur le directeur général, j'ai pu constater une évolution de la relation que les employés de votre groupe entretiennent avec les clients : aujourd'hui, vos équipes passent plus de temps à tenter de vendre un produit assuranciel qu'à conseiller les clients sur leur achat. J'aimerais connaître la part que représente ce type de produit d'assurance dans le chiffre d'affaires du groupe.

J'ai deux autres questions. Tout d'abord, la France est-elle de taille à résoudre les problèmes de distorsion de concurrence auxquels elle fait face, ou une réponse européenne est-elle indispensable ? Par ailleurs, ne pensez-vous pas que le développement du commerce en ligne aura des conséquences encore plus brutales pour le secteur, notamment parce que celui-ci promeut une expérience sans visage ? Cet essor du numérique ne fragilise-t-il pas le secteur productif et industriel dans des proportions encore inconnues ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Pour finir, je souhaite vous interroger sur votre politique d'assortiment. Vous travaillez dans des secteurs d'activité où évoluent de grosses entreprises, mais il en existe aussi de plus petites, des entreprises locales et des PME : développez-vous des actions spécifiques vis-à-vis de ces entreprises et comment les mettez-vous en valeur dans votre offre, qu'elle soit physique ou numérique ?

Comment se répartit la valeur au sein de votre entreprise entre le numérique, le physique et les services ? À défaut de réponse, disposeriez-vous de chiffres globaux sur la répartition de la valeur dans votre secteur d'activité ?

Autre point : les règles d'urbanisme en vigueur en France posent-elles des difficultés pour l'implantation de vos magasins en centre-ville ? Les règles actuelles ne vous semblent-elles pas trop rigides ?

Dernière question plus à la marge : vous avez parlé tout à l'heure d'un label de réparabilité et de durabilité des produits que vous vendez. Comment comptez-vous en garantir l'indépendance ? Envisagez-vous, par exemple, de partager ce label avec des concurrents ? Comment le déconnectez-vous de vos considérations en termes de marge, de rentabilité et de création de valeur ?

M. Enrique Martinez. - Monsieur le Sénateur Gay, je vous le confirme, mon groupe affiche de bons résultats, malgré une activité qui a été perturbée en France ces deux dernières années. Les grèves ont en effet coûté au groupe 45 millions d'euros en 2018 et 70 millions d'euros en 2019. Ce constat objectif est regrettable. En 2019, les marges de l'entreprise n'ont très légèrement augmenté que grâce à l'intégration des activités des magasins de l'enseigne Nature & Découvertes.

Le groupe Fnac-Darty compte aujourd'hui 26 000 collaborateurs. Beaucoup des métiers exercés ont évolué. Je pense en particulier aux disquaires et libraires que nos magasins continuent d'employer, malgré la profonde transformation du secteur. Au total, le groupe présente un solde net positif d'emplois, notamment grâce à l'intégration des franchisés.

L'entreprise a pu investir grâce aux dispositifs d'allégement des charges sociales que vous avez évoqués. Elle a ainsi investi près de 140 millions d'euros pour la transformation de ses points de vente, de ses outils digitaux, et l'ouverture de nouveaux espaces logistiques.

Les acteurs du secteur, tout comme Fnac-Darty, sont contraints à des efforts très significatifs pour rester dans la course à l'innovation que les clients nous réclament, face à des grands groupes capables d'investir des milliards d'euros dans les mêmes territoires et pour les mêmes produits. Nous n'avons d'autre choix que d'investir, sinon nous disparaîtrons.

Le nombre de nos magasins continue d'augmenter : entre 70 et 90 magasins de petite ou moyenne taille ont été créés ces cinq dernières années, y compris de petits magasins de centre-ville, car les clients veulent des services et de la proximité. Nous cherchons à adapter notre modèle au plus près des besoins.

La politique RSE du groupe est très volontariste. Nous nous sommes engagés à réduire d'au moins 30 % notre empreinte carbone à l'horizon 2030, avec une politique très ciblée sur le transport. Par ailleurs, nous devons investir pour prolonger la vie des produits autant que possible et construire un modèle économique de la réparation incluant les fabricants, les réparateurs et les clients. Le groupe Fnac-Darty est capable de porter ce mécanisme complexe.

Le programme Darty MAX propose aux clients la réparation illimitée de tous nos produits. C'est un moyen d'encourager la consommation responsable.

Pour qu'une telle démarche soit économiquement viable, il nous faut former nos équipes et entretenir un dialogue permanent avec les fabricants pour qu'eux-mêmes investissent dans la durée de vie des pièces. Nous stockons plus de 40 000 pièces différentes pour la réparation des produits qui nous avons vendus.

À rebours des discours sur l'obsolescence programmée, nous constatons que les produits sont de plus en plus réparables, et parfois par les consommateurs eux-mêmes ! Nous recevons 2 millions de contacts clients par an concernant un problème avec un produit. Plus de la moitié de ces problèmes sont résolus par téléphone, car il s'agit souvent non pas d'un dysfonctionnement mais d'un mauvais usage.

La Fnac est un acteur historique de centre-ville, et les difficultés que rencontrent les commerces de centre-ville nous inquiètent beaucoup. Il y a quelques années, le groupe avait porté une initiative forte en faveur de la libéralisation du commerce le dimanche. Or la situation n'a malheureusement pas évolué, ce qui crée une distorsion de concurrence. La revitalisation des commerces de centre-ville passera par l'ouverture des commerces le dimanche, plébiscitée par les consommateurs. Elle devra se faire sur la base du volontariat, et en proposant un paiement juste de nos collaborateurs pour qui le travail le dimanche constitue un effort.

Dans beaucoup de secteurs de notre activité, nous sommes face à des acteurs mondiaux. S'il est très difficile d'avoir une politique de diversité dans les secteurs de l'électronique ou de la téléphonie où les acteurs asiatiques ou américains sont dominants, nos équipes travaillent pour que les productions françaises soient protégées et favorisées dans les domaines de l'édition, de la vidéo, du cinéma ou de la littérature. Par ailleurs, nous menons également des actions visant à promouvoir les produits et services proposés par des start-up sur nos plateformes de vente.

S'agissant de notre label, la méthode que nous employons est transparente et nous l'avons mise à la disposition des différents ministères. Elle servira peut-être un jour à la création d'un label national. De même, depuis plus de trente ans, le laboratoire Fnac note la qualité des produits en toute indépendance.

Nous avons ouvert un espace Darty dans deux magasins Carrefour pilote. Si l'Autorité de la concurrence nous donne son accord, nous étendrons ce dispositif dans une trentaine de supermarchés Carrefour. L'enjeu est de proposer une offre qualitative et compétitive dans des secteurs d'activité que les hypermarchés ont du mal à développer de manière satisfaisante et économiquement soutenable. En revanche, nous n'avons pas de projet d'intégration financière avec ce groupe.

S'agissant des vendeurs indépendants, l'activité de livres de la Fnac date de 1974 et elle n'a jamais mis les libraires indépendants en difficulté. En revanche, le digital a changé les règles du jeu. En cinq ans, Amazon a fait plus de mal aux libraires indépendants que la Fnac en quarante ans. C'est un peu différent pour les disquaires, qui ont souffert de la numérisation de la musique. Le format disque a vu ses parts de marché fortement réduites, mais l'activité de vinyles se développe. Il y aura toujours de la place pour quelques bons disquaires. Notre activité ne tue pas les vendeurs indépendants, mais elle vient en complément.

Aujourd'hui, tout produit doit être accompagné d'une offre de services et d'accessoires. Notre offre de services inclut à la fois la vente de billets de spectacles, d'assurances, d'extensions de garantie, de packs multimédia, de contenus digitaux, etc. C'est une activité importante dans notre modèle économique, mais elle ne représente que 10 % de notre activité.

J'en viens à la question de la distorsion de concurrence. Lorsque nous avons appliqué le règlement général sur la protection des données (RGPD), la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) nous a assurés que tous les acteurs, y compris ceux qui n'étaient pas hébergés en France, seraient soumis à la même règle.

Plus d'un an et demi après, ce n'est toujours pas le cas. Or une telle distorsion de concurrence peut entraîner le développement de paradis réglementaires et la disparition du secteur en France. Il nous faut donc passer à l'action : si nous sommes incapables d'imposer les mêmes règles à nos voisins, il faudra en libérer les acteurs français.

Le tout digital n'est pas un bon modèle, et d'ailleurs, pour l'heure, ce n'est pas un modèle économique soutenable. Nous pensons qu'il faut trouver une combinaison harmonieuse entre le digital et le physique. La croissance de l'e-commerce entraîne une croissance exponentielle des emballages et suremballages, et donc de déchets. Il faut encadrer les acteurs de l'e-commerce pour que les règles du jeu soient équitables et il faut que les commerçants proposent à leur client une belle expérience dans leur magasin afin de rester au centre de la relation.

Mme Sophie Primas, présidente. - Peut-être pourriez-vous communiquer davantage sur votre préoccupation environnementale. Nous ne sommes pas dans une logique de confrontation mais d'équilibre où le numérique aura sa place. Dans certains de nos territoires, les Français n'ont pas accès à la Fnac et à Darty autrement que par le numérique.

Je vous remercie pour la franchise de vos réponses.

La réunion est close à 11h10.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Jeudi 20 février 2020

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires - Procédure de législation en commission - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous sommes saisis aujourd'hui de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale le jeudi 5 décembre 2019, relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires de M. Gilles le Gendre et des membres du groupe La République en Marche et apparentés. Je salue la présence parmi nous de Mme Barbara Bessot Ballot, qui est rapporteure de ce texte à l'Assemblée nationale.

Cette proposition de loi reprend un grand nombre de mesures dont nous avons déjà débattu en séance publique à de nombreuses reprises. Il s'agit d'être efficace et d'aller à l'essentiel sur des sujets qui ont déjà fait l'objet d'une convergence de vues entre nos deux chambres et d'avancer vite, comme l'espèrent de nombreuses filières agricoles.

C'est pourquoi, à ma demande et avec l'accord de l'ensemble des présidents de groupe et du Gouvernement, la Conférence des présidents a décidé de mettre en oeuvre la procédure de législation en commission qui figure aux articles 47 ter à 47 quinquies de notre Règlement. Le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement sur les articles concernés s'exerce alors uniquement en commission, tandis que la séance plénière est réservée aux explications de vote et au vote. La proposition de loi comporte douze articles et fait entièrement l'objet d'une législation en commission.

J'espère que nos travaux conduiront à aboutir à un texte consensuel qui, au terme d'une procédure efficace, permettra de faire - enfin ! - entrer en vigueur des dispositions déjà connues par nos deux chambres. Nos travaux sur l'étiquetage se poursuivent en parallèle au sein de notre commission, notamment au sein des groupes d'études Agriculture et alimentation et Élevage. Ils seront l'occasion d'aller plus loin sur de nombreuses questions d'étiquetage au moyen d'un véhicule législatif adéquat.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Comme vient de l'indiquer notre présidente, cette proposition de loi traite de sujets que nous connaissons bien, puisque nous les avons déjà examinés à plusieurs reprises.

Lors des débats sur le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable (Egalim), tout d'abord, neuf des douze articles qui nous sont soumis ce matin ont été examinés par les deux assemblées. Ces éléments n'avaient pas leur place, malgré leur intérêt majeur pour les filières, dans cette loi - nous l'avions dit - et la censure de ces articles par le Conseil constitutionnel faute d'un lien même indirect avec le texte l'a confirmé. Depuis cette censure en octobre dernier, plusieurs propositions de loi entendent reprendre, en totalité ou en partie, ces articles consensuels.

C'était le cas de la proposition de loi de notre collègue Gilbert Bouchet sur la Clairette de Die ou de la proposition de loi que j'ai déposée, avec nombre d'entre vous, sur la déclaration de récolte obligatoire et l'autorisation de certaines cessions à titre onéreux de semences non inscrites au catalogue.

C'était surtout le cas de la proposition de loi de Mme Marie-Pierre Monier et de l'ensemble des membres du groupe socialiste et républicain qui avait permis au Sénat, dès le mois de mars 2019, soit un trimestre après la censure du Conseil constitutionnel, de proposer de reprendre les articles les plus importants. Cette démarche nous avait permis d'avoir un débat nourri sur des rédactions de compromis que nous avions travaillées dans un esprit de consensus. C'était une démarche essentielle et il faut saluer l'initiative proposée par Mme Monier et ses collègues.

Enfin, le groupe La République en Marche a déposé, à l'Assemblée nationale, cette proposition de loi reprenant huit articles censurés. Elle est aujourd'hui constituée de douze articles, parmi lesquels neuf ont déjà fait l'objet d'un examen en séance publique au Sénat.

On le voit, les positions des deux assemblées et de l'ensemble des groupes politiques parlementaires convergent, et il faut s'en féliciter. C'est d'ailleurs cette convergence qui a motivé le Gouvernement à inscrire la proposition de loi sur son ordre du jour. Permettez-moi, monsieur le ministre, de saluer cette démarche.

Il découle de cette situation particulière que notre mission aujourd'hui n'est pas de refaire des débats que nous avons déjà eus, mais de nous concentrer sur l'essentiel, à savoir travailler à la rédaction d'une loi de qualité, entrant en vigueur le plus rapidement possible. Nous devons conserver le souci de l'efficacité.

Avec Henri Cabanel, notre travail a été guidé par trois exigences : l'amélioration du texte pour corriger les éléments les plus problématiques sans ajouter de nouveaux sujets ; la recherche de solutions consensuelles sur les sujets afin d'éviter d'ajouter au débat des points durs qui bloqueraient l'adoption de la proposition de loi ; la quête d'un équilibre entre un raffinement juridique, toujours utile, et la nécessaire réponse aux demandes urgentes de nos filières agricoles qui demandent une entrée en vigueur de la loi le plus rapidement possible. En effet, ces articles sont très attendus par ces filières. Dans les faits, ils les attendent depuis octobre 2018. Certes, le Parlement doit prendre son temps, mais il doit aussi savoir accélérer le rythme, quand cela est nécessaire et quand un consensus est susceptible de se dégager. Il sera donc nécessaire, si vous me permettez l'expression, de « prioriser » nos combats sur les sujets qui nous paraissent les plus importants pour l'intérêt général.

J'attire effectivement votre attention sur le risque majeur de cette proposition de loi, à savoir se retrouver coincée dans une navette parlementaire. Si notre texte n'est pas conforme, il sera renvoyé à l'Assemblée nationale. S'il n'est pas adopté conforme, il reviendra de nouveau au Sénat pour ensuite, éventuellement, faire l'objet d'une commission mixte paritaire et, en cas de désaccord, d'une nouvelle lecture dans chacune des chambres. Autant dire que cette proposition de loi n'entrera jamais en vigueur compte tenu de l'ordre du jour parlementaire, avec le projet de loi sur les retraites !

C'est pour conjurer ce risque que nous avons souhaité travailler en amont avec la rapporteure de l'Assemblée nationale, Mme Barbara Bessot Ballot, dont je tiens à saluer la présence parmi nous ce matin, pour faire converger le plus possible nos rédactions. Cette initiative a permis, me semble-t-il, d'expliquer à nos collègues députés nos interrogations et nos éléments de réflexion. Grâce à l'écoute de la rapporteure, nous sommes sans doute parvenus à véritablement progresser sur de nombreux points.

Au total, sur les douze articles de la proposition de loi, sept ont été adoptés en des termes conformes ou quasi conformes, sous réserve de quelques divergences rédactionnelles.

Parmi eux, certains articles sont très attendus.

À l'article 1er, les députés ont retenu la solution dégagée au Sénat dès 2018 de l'affichage par ordre décroissant de tous les pays d'origine des miels présents dans un mélange. C'est la solution allant le plus loin en toute conformité avec le droit européen. Il faut se féliciter de la reprise de cette rédaction.

À l'article 2 ter est interdit le recours à des dénominations animales pour des produits végétaux.

L'article 3 ouvre de nouveau la possibilité pour nos producteurs de fromages fermiers d'affiner leurs fromages à l'extérieur de leur ferme, tout en continuant à bénéficier de l'appellation « fermier » - nous y reviendrons.

Enfin, l'article 8 rétablit le caractère obligatoire de la déclaration de récolte, amendement que nous avions ajouté dans la loi Egalim et que nous avions proposé de nouveau dans une proposition de loi au mois de mars dernier.

Demeurent quelques sujets presque nouveaux que nous avons à étudier.

Certains d'entre eux constituent des avancées significatives. L'article 2 bis établit un affichage obligatoire des viandes porcines et ovines, des viandes de volaille et de la viande hachée en restauration hors foyer. C'était le cas pour la seule viande bovine ; désormais, ce sera le cas pour toutes les viandes. Il faut vraiment se réjouir d'un tel article à l'heure où 75 % de la viande consommée dans les restaurants est importée, sans que le consommateur en soit informé - c'est ce qu'indiquait le rapport de notre collègue Laurent Duplomb.

Certes, il demeure quelques sujets de désaccord technique. Je pense par exemple au sujet des semences potagères vendues à des jardiniers amateurs, qui est traité à l'article 8. Depuis la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages subsiste un contentieux que l'on connaît bien sur la compatibilité entre la solution proposée, à savoir sortir du catalogue des semences vendues à des jardiniers amateurs qui ne suivent pas des fins commerciales, et le droit européen. Cela fait quatre ans que ce contentieux dure sans qu'il n'ait jamais été tranché formellement ; seule la Commission européenne peut y répondre. C'est pourquoi je vous proposerai d'adopter l'article tel quel et, comme cela est prévu dans le droit européen, de le notifier pour que la Commission tranche enfin ce débat.

Bien sûr, il demeure des sujets problématiques. Henri Cabanel exposera le problème posé par l'étiquetage des bières. Je pense, pour ma part, à un ajout effectué par l'Assemblée nationale à l'article 1er sur le cacao, qui pourrait, tout comme les semences, être contraire au droit européen et pourrait ne pas être applicable.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Je tiens également à m'associer au discours de ma collègue rapporteure : les sujets sont attendus depuis suffisamment longtemps par les professionnels pour que nous prenions ensemble notre responsabilité de législateur, en réalisant les arbitrages les plus intelligents. Je sais combien tous ces sujets nous passionnent, mais il importe de garder à l'esprit une volonté d'avancer, main dans la main avec l'Assemblée nationale, sur ces articles qui doivent être transpartisans.

Il y va de la légitimité du Parlement. Nous avons, avec cette proposition de loi, une occasion de démontrer que nous, législateurs, députés comme sénateurs, sommes capables de nous saisir d'un sujet et de lui donner une traduction législative en quelques mois seulement. Cela serait un pied de nez à nos détracteurs - ils sont nombreux, nous le savons ! Cette exigence ne doit pas nous empêcher de faire notre travail correctement.

Anne-Catherine Loisier a mentionné plusieurs articles consensuels et quelques divergences. Sur la partie qui m'incombe, qui sera, sans vous surprendre, la partie viticole et brassicole, la constatation est la même : il existe de très nombreux points de convergence, ainsi qu'une difficulté majeure.

Sur les considérations numériques, le texte propose d'acter des principes très attendus par les consommateurs.

Sur l'article 1er A, qui entend garantir la mise à disposition en ligne des données figurant sur les emballages aux utilisateurs, si le principe est louable, la rédaction retenue est très large et doit être précisée par décret. Je vous propose d'obtenir du Gouvernement des clarifications avant d'examiner l'article en question.

Sur l'article 2, qui prévoit que les informations lors d'une vente en ligne soient lisibles et compréhensibles, l'article transpose simplement le droit européen dans le droit national.

Passons au vin. L'article 4 reprend, mot pour mot, la rédaction dégagée au Sénat afin de prévoir très clairement dans le code de la consommation qu'il est interdit de laisser penser qu'un vin a une origine différente de son origine réelle. Je salue, une nouvelle fois, ce travail de convergence réalisé par la rapporteure de l'Assemblée nationale.

L'article 5 acte le principe d'un affichage de l'origine des vins vendus en restauration et dans les débits de boissons, quel que soit le support de vente - en bouteille, en pichet ou au verre. Cet article a été adopté à plusieurs reprises depuis la loi Égalim et il faut se féliciter qu'il entre enfin en vigueur.

Encore un sujet que nous connaissons bien et qui tient à coeur de nos collègues Marie-Pierre Monier, Gilbert Bouchet et bien sûr Bernard Buis, à savoir l'abrogation de la loi de 1957 sur la Clairette de Die. Cette loi interdit aux producteurs du Diois d'élaborer un autre vin mousseux que la Clairette de Die. Or, selon le cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée (AOC), à ce stade, la Clairette de Die ne peut pas être rosée, ce qui prive les producteurs d'une diversification de leur production attendue par le marché. Cet article permet donc de produire un vin mousseux rosé, mais, j'y insiste, qui ne sera pas de la Clairette de Die, puisqu'un tel vin ne respectera pas le cahier des charges de l'AOC.

Enfin, et j'en redis un mot, il convient de se féliciter de l'unanimité des parlementaires en faveur du maintien du caractère obligatoire de la déclaration de récolte. L'article 8 est de nature à considérablement rassurer nos producteurs viticoles et son adoption doit être rapide, puisque le risque est qu'en décembre de cette année cet outil précieux disparaisse. Si nous n'adoptions par rapidement la proposition de loi, nous condamnerons ce dispositif faute d'un autre véhicule législatif. Ce qui plaide, une nouvelle fois, pour une adoption rapide de la proposition de loi.

Tous ces points de convergence sont à saluer.

Il ne reste, à mon sens, qu'une difficulté sur l'étiquetage des bières. En séance publique, nos collègues députés ont adopté un amendement visant à prévoir une double obligation sur l'étiquetage des bières. Il est vrai que les bières qui laissent entendre, par leur étiquetage, qu'elles ont un ancrage local, alors qu'elles sont fabriquées ailleurs, voire à l'étranger, se multiplient. Ces pratiques sont des tromperies manifestes pour le consommateur.

L'amendement adopté propose une double évolution législative. D'une part, il sera obligatoire de mentionner, sur toutes les étiquettes de bière, le nom et l'adresse du producteur de manière à ne pas induire le consommateur en erreur sur l'origine de la bière en raison de la présentation générale de l'étiquette. D'autre part, l'article précise que les mentions de l'étiquetage, surtout le nom commercial, ne peuvent laisser apparaître un lieu différent du lieu de production.

Cet alinéa pose des difficultés. Il signifierait d'une part qu'une bière qui s'appellerait la Vézelay ne pourrait plus s'appeler la Vézelay, car elle est aujourd'hui produite dans la commune de Saint-Père, à 1,5 kilomètre de Vézelay. La brasserie Saint-Omer, bien connue de notre collègue Jean-Pierre Decool, devrait produire l'intégralité de ses bières dans la commune même de Saint-Omer, si elle veut garder son nom. Il serait également impossible d'appeler Kronenbourg une bière qui n'est pas produite exclusivement dans le quartier de Strasbourg portant ce nom. Outre une atteinte au droit des marques, vous comprenez les problèmes auxquels cet article expose les producteurs concernés.

Cela poserait en outre d'immenses difficultés pour les brasseurs nomades ou les pratiques collectives de mise en commun des brasseries. Ces solutions trouvées par les professionnels pour favoriser l'amorçage des jeunes entreprises permettent de faire émerger une filière brassicole française dynamique et connaissent une croissance forte ces dernières années.

En résumé, cet alinéa, qui entend répondre à un vrai problème, exercera une contrainte forte sur la filière brassicole française qui a créé, gardons-le en mémoire, 3 000 emplois ces quatre dernières années.

Dans le même temps, des actions sont menées pour lutter contre les étiquetages trompeurs. D'une part, une disposition fiscale devrait être clarifiée très prochainement afin de prévoir une fiscalité plus lourde sur les négociants de la bière que sur les brasseurs en propre. D'autre part, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) peut déjà, avec l'arsenal juridique que nous connaissons, sanctionner lourdement les pratiques trompeuses - c'est déjà possible ! Cela nous renvoie toujours au débat concernant le manque de moyens de la DGCCRF.

Pour toutes ces raisons, je vous proposerai de supprimer l'alinéa 3 de l'article 5 bis. J'en ai discuté directement avec la rapporteure de l'Assemblée nationale et je crois qu'elle partage nos préoccupations.

Pour conclure, à l'heure où nous nous apprêtons à légiférer, je veux simplement vous rappeler une information importante : toute adoption d'un amendement non consensuel entre nos deux chambres aboutira à une réduction des chances d'adopter rapidement cette proposition de loi. Cela concerne les amendements sur des sujets nouveaux que nous n'avons pas travaillés aussi longtemps que les sujets que nous venons d'évoquer. Cela concerne également les amendements créant des points durs entre nos deux chambres. En quelque sorte, si nous ne faisons pas de compromis, alors que nous avons déjà obtenu une convergence grâce aux travaux déjà réalisés à l'Assemblée nationale, nous n'obtiendrons d'avancée ni sur les fromagers fermiers, ni sur le miel, ni sur l'étiquetage du vin et des viandes dans la restauration, ni sur la déclaration de récolte obligatoire.

Ce sont des sujets qui, je le sais, vous tiennent tous à coeur et qui méritent d'entrer en vigueur de manière urgente. Pour ce faire, nous devons savoir raison garder et entrer dans une logique un peu différente par rapport à d'habitude : faire des compromis au profit de nos filières. Je ne doute pas que nous garderons cet état d'esprit tout au long de notre séance.

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. - Je souhaite tout d'abord saluer à mon tour la présence de Barbara Bessot Ballot, rapporteure de ce texte à l'Assemblée nationale, et je vous remercie, Madame la Présidente, d'avoir demandé à utiliser la procédure de législation en commission.

Cela a été dit, cette proposition de loi est attendue et hautement stratégique, et je suis heureux de constater que les deux chambres ont pu travailler en bonne intelligence et qu'elles ont réussi à trouver des compromis. Nous le savons tous, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, l'étiquetage est un élément essentiel tant pour les agriculteurs que pour nos concitoyens. Les consommateurs doivent savoir d'où viennent les produits qu'ils achètent et comment ils sont fabriqués.

Le Gouvernement a lancé de manière résolue d'importants travaux sur ces questions d'étiquetage et de traçabilité, car il nous semble essentiel de promouvoir le patriotisme agricole. Cette proposition de loi s'inscrit parfaitement dans le cadre de ces travaux. D'ailleurs, nous sommes en train de préparer deux décrets sur l'étiquetage obligatoire et nous discutons de ces questions au niveau européen, que ce soit au Parlement européen ou à la Commission européenne.

En ce qui concerne l'étiquetage du miel, j'avais envisagé de déposer un amendement, parce que le passage par le décret que nous venons de finaliser - il est prêt et aurait pu entrer en vigueur en juillet - aurait permis de gagner quelques mois par rapport à la solution contenue dans ce texte. Cependant, après m'en être entretenu avec les présidents des commissions des affaires économiques de l'Assemblée nationale, Roland Lescure, et du Sénat, vous-même, Madame la Présidente, j'y ai renoncé afin de ne pas rouvrir une discussion sur l'ensemble de l'article 1er de la proposition de loi. Comme le disait Henri Cabanel, nous devons tous faire des compromis et le Gouvernement accepte de décaler de six mois l'entrée en vigueur des dispositions sur l'étiquetage du miel, qui sont pourtant très attendues par la filière apicole et par nos concitoyens. L'urgence est à l'entrée en vigueur rapide de l'ensemble de la proposition de loi !

Par ailleurs, je vous confirme que le Gouvernement publiera, dès lors que la proposition de loi sera adoptée et après discussion avec les acteurs concernés, les décrets d'application qui sont nécessaires. Pour l'article 1er A, il s'agit des conditions de mise à disposition en ligne des données figurant sur les emballages des produits alimentaires pour les utilisateurs. Pour l'article 3, un autre décret viendra préciser les conditions d'information du consommateur lors de l'affinage des produits fermiers sur les signes d'identification de la qualité et de l'origine (SIQO). Vous le voyez, nous anticipons sur le vote de Parlement !

Je voudrais insister sur un point très important : aujourd'hui, les liens sont malheureusement distendus entre les agriculteurs et les consommateurs et nous devons lutter contre ce phénomène. Nous ne pouvons pas rester dans cette situation d'opposition malsaine et dans une société divisée, où les agriculteurs se font accuser de tous les maux. L'étiquetage des produits participe de notre objectif de resserrer ces liens.

Pour autant, nous ne devons pas multiplier à l'infini les informations sur les étiquettes : celles-ci doivent être simples, transparentes et lisibles pour le consommateur qui ne doit pas passer des heures à les lire et à tenter de les comprendre... Nous devons être responsables ! De ce point de vue, les applications qui se développent sur les smartphones sont intéressantes, mais elles ne peuvent pas remplacer la lecture de l'étiquette par le consommateur lui-même. Si nous devons privilégier une information, c'est celle sur l'origine des produits afin d'identifier clairement ceux qui proviennent de France.

Encore une fois, les consommateurs doivent être en capacité d'identifier les produits français. Certains veulent nous faire croire que ces produits poseraient des problèmes du fait de l'utilisation de tel ou tel intrant ou qu'ils ne seraient pas de haute valeur nutritionnelle ou gustative. Je m'inscris totalement en faux à l'égard de ces assertions et je dis même aux consommateurs : « Achetez français ! » Notre agriculture et nos entreprises agroalimentaires produisent une alimentation saine et d'excellence.

Il est vrai que nous sommes sur une ligne de crête, mais cela ne doit pas nous empêcher d'avancer résolument. Nous sommes souvent à l'avant-garde par rapport au droit européen et aux autres pays ; restons-le ! Je prône le patriotisme alimentaire. Cette proposition de loi relative à l'étiquetage est finalement un hymne à l'agriculture française ; elle permettra de montrer aux consommateurs que nos agriculteurs produisent avec une grande qualité. L'année 2020 est un tournant et j'espère que cette proposition de loi sera adoptée définitivement dans des délais rapides.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous sommes nombreux à partager cette position, monsieur le ministre. Pour ma part, j'estime que l'amélioration de l'étiquetage permet de responsabiliser individuellement les consommateurs. Ce processus est créateur de valeur ajoutée pour nos agriculteurs.

Je vous remercie, monsieur le ministre, de ne pas avoir déposé d'amendement sur la question de l'étiquetage du miel. Les discussions ont démarré depuis plusieurs années maintenant, nous devons donc aller vite et rouvrir les débats sur l'article 1er aurait pu avoir pour conséquence un retard inattendu. Cette solution me semble être, au final, la plus raisonnable et la plus efficace.

Mme Sylviane Noël. - Je souhaite tout d'abord féliciter les rapporteurs pour leur travail.

Je tiens à attirer plus spécifiquement votre attention, mes chers collègues, sur l'article 3 de ce texte, article relatif à l'usage du terme « fermier » lors d'un affinage extérieur à la ferme. Le reblochon, comme les autres fromages savoyards, est directement concerné par cette disposition. La notion d'affinage hors de la ferme par des affineurs est un point fondamental de la culture fromagère savoyarde. Cet affinage extérieur est une pratique prédominante, notamment pour le reblochon, pour des raisons liées essentiellement aux moyens de production, à la charge de travail des producteurs qui transforment deux fois par jour et aux infrastructures rarement suffisantes pour mener l'intégralité de l'affinage traditionnel de ces fromages.

Les reblochons fermiers représentent plus de 2 600 tonnes en 2018, ils font vivre plus de cent-vingt producteurs fermiers et onze affineurs exclusifs sur nos départements. L'enjeu est donc de taille. Aujourd'hui, cet affinage extérieur représente quasiment 80 % de la production et est réalisé dans le respect des conditions traditionnelles décrites dans le cahier des charges. C'est donc un point extrêmement important et je vous invite à conserver la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, qui convient pleinement à nos producteurs.

M. Daniel Laurent. - J'évoquerai trois sujets, madame la présidente.

Premier point, l'étiquetage de la provenance du vin. Nous avons déjà largement discuté de cette question. J'avais déposé un amendement contre cette disposition, mais je l'avais retiré par la suite dans le souci d'obtenir l'unanimité, objectif que nous continuons de poursuivre. Je crois que nous avons toutes et tous intérêt à aboutir rapidement sur ces sujets. Je tiens surtout à insister sur le rôle essentiel de l'État pour contrôler les produits et l'étiquetage. Nous devrons aussi veiller aux conditions de mise en oeuvre de cette mesure afin qu'elle ne crée pas d'insécurité juridique, notamment pour apprécier si une marque est française ou pas, et afin que son application ne se fasse pas au détriment de la compétitivité des opérateurs français. En effet, cette mesure ne s'appliquera pas aux vins étrangers commercialisés en France. On le voit, les contrôles opérés par l'État seront extrêmement importants.

Deuxième point, le maintien du caractère obligatoire de la déclaration de récolte. Il me semble que nous serons unanimes sur cette question, ce qui est heureux. Cela n'a pas toujours été le cas : il y a quelque temps, la Confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à appellations d'origine contrôlées (Cnaoc), Henri Cabanel et moi avons rencontré le secrétaire d'État, Olivier Dussopt, et nous n'avions pas la même approche que lui sur cette question. Or chacun se rend aujourd'hui compte du caractère universel de ce sujet et de son importance pour la traçabilité des produits, pour le bon fonctionnement des coopératives, pour l'assurance récolte ou encore pour les demandes de prêts bancaires par les agriculteurs. Le secrétaire d'État nous avait proposé de travailler avec les douanes avant de prendre une position, mais je crois que nous sommes aujourd'hui parvenus à une disposition qui est conforme aux souhaits des professionnels de la filière viticole. C'est pourquoi je suis favorable à une adoption de cette mesure sans modification.

Troisième point, l'étiquetage des huîtres. C'est également un sujet important. L'huître est un mollusque ; ce n'est pas un bovin ou un poulet, mais elle est élevée en milieu naturel et sa production est soumise aux aléas climatiques et demande une attention toute particulière. J'ai rencontré le comité départemental des conchyliculteurs de Charente-Maritime et je rencontrerai lundi le président du comité national lors du salon de l'agriculture. Les professionnels sont en train de préparer un rapport et je crois que nous devons attendre ce rapport avant de prendre position. C'est pour cette raison que je ne peux pas être favorable à l'amendement qui a été déposé par Joël Labbé et que nous examinerons tout à l'heure, même si la mesure qu'il propose peut être intéressante à l'horizon de 2023. C'est aux professionnels de nous donner le cadre ; nous devons donc attendre leur rapport.

M. Bernard Buis. - Je suis très heureux que nous soyons réunis aujourd'hui pour étudier cette proposition de loi, qui réintroduit des dispositions de la loi Egalim censurées par le Conseil constitutionnel. Qui plus est, nous le faisons dans un calendrier resserré, puisque la promulgation de cette loi date d'il y a moins d'un an. Je tiens donc à saluer le travail exceptionnel réalisé conjointement par les deux chambres et à remercier les rapporteurs, Henri Cabanel et Anne-Catherine Loisier, ainsi que notre présidente, Sophie Primas, pour leur implication et pour avoir participé à cette réussite commune.

Nous sommes tous d'accord : il est essentiel de fournir aux consommateurs une information claire et juste sur les produits alimentaires. Au-delà des dispositions visant à renforcer cette information, je me réjouis également que cette proposition de loi simplifie des règles qui sont obsolètes ou qui constituent des freins pour certaines filières agricoles - je pense notamment, cela ne vous surprendra pas, à l'abrogation de la loi protégeant l'appellation Clairette de Die.

Notre objectif est de faire en sorte que la navette parlementaire se termine rapidement. Pour cela, nous appelons de nos voeux un vote conforme sur la grande majorité des dispositions de cette proposition de loi. Rappelons-nous que ces dispositions ont déjà fait l'objet de débats dans les deux chambres et ont déjà été adoptées.

J'émets néanmoins un petit bémol en ce qui concerne l'article 5 bis introduit en séance publique à l'Assemblée nationale. Ma collègue Patricia Schillinger a déposé un amendement pour supprimer l'alinéa 3 de cet article, mais je crois qu'il existe également un consensus sur ce point.

Pour toutes ces raisons, nous voterons des deux mains cette proposition de loi !

M. Joël Labbé. - J'entends les arguments sur l'urgence à adopter cette proposition de loi, je les comprends, mais j'ai tout de même déposé des amendements et je les déposerai à nouveau, s'il le faut !

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous serions déçus, si ce n'était pas le cas...

M. Joël Labbé. - Vous savez, Madame la Présidente, j'ai récemment rencontré votre prédécesseur, Jean-Claude Lenoir. Il me disait que je l'avais bien ennuyé à déposer ce type d'amendements, mais qu'il en souriait maintenant, en voyant l'évolution des choses... Vous comprendrez donc que je continue à les défendre !

En ce qui concerne les fromages fermiers, il est vrai que des professionnels estiment urgent de prendre une décision, mais d'autres, souvent minoritaires - je pense notamment à ceux qui défendent les fromages fermiers historiques -, ne sont pas satisfaits de la mesure prévue dans ce texte et ils pointent du doigt le risque de standardisation et de massification. Le fromage fermier risque ainsi de perdre de sa valeur commerciale. L'expression « fermier » devrait rester aux fromages qui le sont véritablement ! Et il me semble que l'Assemblée nationale et le Sénat peuvent tout à fait trouver un consensus qui ne nous fasse pas perdre de temps.

En ce qui concerne les huîtres, je suis heureux que le comité national des conchyliculteurs se soit mis au travail - mon premier amendement sur ce sujet date de 2012...

M. Franck Montaugé. - Je rappelle, au nom de mon groupe, que Mme Marie-Pierre Monier avait déposé une proposition de loi, adoptée par le Sénat à l'unanimité le 3 avril dernier, qui concerne plusieurs points repris dans le texte dont nous discutons aujourd'hui. Nous partageons les orientations des rapporteurs, dont je salue le travail. Nous approuvons également le choix de la procédure de législation en commission. Sur les dispositions qui ne figuraient pas dans le texte de Marie-Pierre Monier, nous nous déterminerons au fil de la discussion.

M. Roland Courteau. - Le problème de l'origine des vins commercialisés en France est-il traité dans ce texte ? Pour certains vins espagnols, le manque de précision des étiquettes laisse croire aux consommateurs qu'ils sont français. J'ai évoqué ce sujet à plusieurs reprises par le passé, et j'avais même déposé plusieurs amendements, qui ont tous été retoqués. Je me réjouis des dispositions rendant la déclaration de récolte en viticulture obligatoire.

Mme Marie-Christine Chauvin. - Merci aux deux rapporteurs pour leur travail. Je me réjouis de la belle unanimité que nous constatons pour défendre la bonne qualité du travail de nos agriculteurs français et pour la mettre en valeur. Ce texte doit avancer rapidement, sans préjudice du travail sur l'étiquetage, qui continuera, car il y a encore beaucoup à faire pour aboutir à un étiquetage très clair, mais très valorisant pour notre agriculture française. Je souligne également l'utilité de la déclaration de récolte des raisins. Nous sommes unanimes à vouloir la rendre obligatoire. C'est en effet un outil indispensable pour vérifier la traçabilité des vins. Sans cette déclaration de récolte des raisins, il est impossible de réaliser des contrôles de rendement fiable entre les volumes livrés par les viticulteurs à différents vinificateurs et les volumes disponibles après vinification : c'est le seul document qui fait le lien, pour chaque exploitation, entre la surface en production et le volume de récolte.

M. Laurent Duplomb. - Nous pouvons nous féliciter de cette proposition de loi. Mais pourquoi en avons-nous besoin, au fond ? Si le débat sur la loi Egalim avait été plus posé et moins passionnel, s'il n'avait mis ainsi en opposition les différents types d'agriculture, s'il nous avait rassemblées autour d'un avis éclairé au lieu de nous disperser entre une multitude de points de vue, cela nous aurait évité beaucoup d'erreurs. Et cela nous aurait épargné l'obligation de corriger, à grand-peine, certaines logiques qui frisent la démagogie et l'obscurantisme.

Les fromages fermiers sont un exemple typique : pensez à ce qui se passe avec le Saint-Nectaire dans le département du Puy-de-Dôme. Cela devrait nous servir de leçon : à l'avenir, quand nous parlerons d'agriculture, il faudra le faire avec un peu moins de passion et un peu plus de raison - et en pensant davantage à la réalité du terrain et à l'histoire des produits, qui sont le fruit du travail des hommes pendant des décennies, voire des siècles, qui sont aussi le fruit d'une évolution liée à des pratiques, mais aussi à des demandes sociétales. Servons-nous de la force des agriculteurs ! Arrêtons d'opposer les modèles et les agriculteurs ! Servons-nous de la capacité qu'ils ont eue pendant des siècles à évoluer pour répondre à la demande, ce qui est l'intérêt général de notre société et de notre pays.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - En ce qui concerne l'application de l'article 41 de la Constitution, nous vous proposons de considérer qu'entrent dans le champ des dispositions présentant un lien direct ou indirect avec le texte les mesures tendant à modifier le droit relatif à l'étiquetage des produits alimentaires, ainsi que la transparence des informations relatives à celles-ci ; les règles relatives aux mentions valorisantes ; les modifications des règles relatives aux semences ; et les modifications de la réglementation en vigueur régissant les activités viticoles.

Mme Sophie Primas, présidente. - Personne ne s'y oppose ; le périmètre du texte est ainsi arrêté. Je vous propose que pour, chaque article, les rapporteurs présentent brièvement les enjeux et demandent éventuellement au ministre des précisions, voire des engagements ! Nous passerons ensuite à l'examen des amendements et au vote sur les articles. Je vous signale que dix délégations de vote ont été déposées : neuf par le groupe Les Républicains et une par le groupe La République en Marche.

EXAMEN DES ARTICLES SELON LA PROCÉDURE DE LÉGISLATION PARTIELLE EN COMMISSION

Article 1er A (nouveau)

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Cet article prévoit qu'un décret précisera les modalités de mise à disposition des données figurant sur les denrées alimentaires préemballées sous la responsabilité de la première mise sur le marché. C'est un sujet attendu pour les consommateurs. Toutefois, monsieur le ministre, il me semble que le décret ne devra pas s'opposer aux initiatives déjà mises en oeuvre, et opérationnelles grâce à l'action des professionnels, notamment par la base de données CodeOnline Food. Pouvez-vous nous confirmer que ce ne sera pas le cas ?

L'intention du législateur doit être non de prévoir une obligation de moyens, à savoir l'obligation pour l'État de recueillir, traiter et mettre à disposition des données, mais une obligation de résultat, à savoir la mise à disposition des données aux utilisateurs, que cette mise à disposition soit ou non pilotée par l'État. Si les professionnels permettent déjà une telle mise à disposition, il serait inefficace de prévoir un dispositif public.

Enfin, il convient de ne pas surtransposer : cette nouvelle exigence de mise à disposition des données ne saurait exiger, sauf accord des professionnels, d'aller plus loin que les indications requise dans le décret concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires (INCO).

Sur ces trois points, monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que le Gouvernement a les mêmes interprétations que les parlementaires ?

M. Didier Guillaume, ministre. - Comme nous travaillons en bonne intelligence, vous m'aviez communiqué vos questions, et j'ai pu me préparer à y répondre précisément ! Je souhaite vous rassurer sur les trois points.

Cet article a été introduit par le député Éric Bothorel. Les membres de mon cabinet se sont entretenus avec lui pour qu'il n'y ait pas de malentendus. Nous partageons tous la volonté de renforcer la transparence sur les produits alimentaires. Il faut également faciliter l'accès aux informations pour le consommateur, capitaliser sur les innovations existantes et soutenir celles à venir. Il ne s'agit absolument pas d'imposer un outil plutôt qu'un autre. CodeOnline Food est une très bonne initiative des professionnels. Il en existe d'autres, comme Open Food Facts. Ces initiatives doivent être encouragées et valorisées. L'État n'a, en aucun cas, vocation à gérer une base de données centralisant les informations figurant sur les étiquetages de produits alimentaires. Le décret évoqué dans cet article 1er A devra donc bien prévoir une obligation de résultat, à savoir la mise à disposition de ces données aux utilisateurs. Il n'y aura pas, sauf accord des professionnels, d'exigence d'aller plus loin que les indications reprises dans le décret INCO. Il n'y aura pas de surtransposition, et l'ensemble des acteurs concernés seront consultés dans l'élaboration de ce décret.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - L'amendement COM-13 rectifié bis prévoit la fixation par décret des conditions d'alimentation par les responsables de la première mise sur le marché de la base de données CodeOnline Food. Il réécrit l'article 1er A afin de prévoir que la base de données de référence sera celle qui sera réalisée par les professionnels de CodeOnline Food. Le ministre vient de s'engager à respecter trois principes dans la rédaction du décret. Ces garanties sont importantes, et nous permettent de ne pas mentionner dans la loi une base de données spécifique issue de l'initiative privée. Retrait ou avis défavorable.

M. Didier Guillaume, ministre. - Même avis.

L'amendement COM-13 rectifié bis n'est pas adopté.

L'article 1er A est adopté sans modification.

Article 1er

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Cet article traite principalement de l'étiquetage du miel, en prévoyant un affichage de tous les pays par ordre pondéral décroissant d'importance dans le mélange. Il aborde un nouveau sujet, le cacao, mais nous avons évoqué nos doutes sur la conformité de l'alinéa en question avec le droit européen.

Mme Sophie Primas, présidente. - Sur cet article, nous avons été saisis par un grand nombre de nos collègues. En particulier, Dominique Kennel m'a parlé d'Haguenau et d'une grande entreprise de chocolat, qui s'inquiète beaucoup de cette rédaction. Sur mon territoire, j'ai également deux grands producteurs qui sont très préoccupés. Les producteurs ne sont pas en France, mais les transformateurs le sont, et ils s'inquiètent beaucoup de ne pas avoir été consultés et redoutent les conséquences à court terme de cette décision. Nous pensons qu'elle n'est pas conforme au droit européen. Comme elle pose un problème juridique, il faudrait la retirer de l'article. Mais nous ne souhaitons pas repartir dans des discussions sans fin avec l'Assemblée nationale.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - L'amendement COM-1 rend obligatoire l'indication du pays d'origine de l'ingrédient primaire, si celui-ci est différent du pays d'origine indiquée sur l'étiquette. Cet amendement est presque satisfait par un règlement européen de 2018 qui renforce les règles relatives à l'étiquetage volontaire de l'origine. Si l'industriel entend mettre en valeur l'origine de son produit, souvent parce qu'il est fabriqué en France, il devra également indiquer clairement l'origine de l'ingrédient primaire ou, à tout le moins, indiquer clairement et dans la même taille de caractères que le produit primaire ne provient pas du pays vanté sur l'étiquetage. C'est une avancée considérable qui détermine le niveau maximum accepté par l'Union européenne sur les étiquetages d'origine des denrées alimentaires, sauf dispositions spécifiques. Dès lors, cet amendement est en grande partie satisfait. De plus, comme il va plus loin que le droit européen, il lui est contraire. Retrait ou avis défavorable.

M. Didier Guillaume, ministre. - Même avis.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

M. Joël Labbé. - Cet article concerne aussi les huiles essentielles alimentaires. Il y a une demande, mais 80 % des produits à base de plantes sont importés, alors que nous sommes un pays traditionnel de production de plantes médicinales. L'amendement COM-17 rectifié demande donc que le pays d'origine figure sur l'étiquette.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Demande de retrait pour les raisons évoquées précédemment par la présidente.

Mme Sophie Primas, présidente. - C'est un sujet nouveau...

M. Didier Guillaume, ministre. - Sur le fond, je suis très favorable à l'amendement de Joël Labbé. Nous sommes l'un des plus beaux et des plus grands pays en termes de plantes à parfum et médicinales. La filière est en train de se restructurer, et il faut aller de l'avant, et revendiquer notre savoir-faire, alors que des huiles de perlimpinpin arrivent en permanence chez nous. De plus, il faut absolument que les Français sachent, lorsqu'ils achètent leurs huiles essentielles, d'où celles-ci proviennent. Sur la forme, pour faire avancer ce texte, il vaudrait mieux que cet amendement soit retiré.

M. Joël Labbé. - Je pourrais le retirer, mais il faut toujours un acte I ! Même si j'étais seul à le voter, je le maintiens. Et nous serons de plus en plus nombreux à le soutenir.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Les règles relatives aux huiles essentielles sont complexes et dépendent de plusieurs réglementations européennes selon les usages : cosmétique, aliments, biocides, médicaments... Cela n'est pas optimal, et ajoute à la complexité pour le secteur, comme le relevait d'ailleurs votre rapport d'information pour la mission que le Sénat a consacrée à l'herboristerie en 2018. Plutôt que d'imposer dans la réglementation européenne une indication de l'origine, ce qui serait contraire au droit européen, une solution serait de reprendre la proposition 14 de votre rapport et de créer un label « Plantes de France » pour renforcer l'information du consommateur tout en valorisant la production française sur des critères de qualité face à la concurrence internationale. Cette disposition relèverait des professionnels et non pas de la loi. Demande de retrait réitérée.

M. Franck Montaugé. - Le groupe socialiste et républicain s'abstiendra sur cet amendement.

M. Didier Guillaume, ministre. - Chaque parlementaire est souverain, le droit d'amendement n'est pas discutable. Toutefois, je rappelle à Monsieur Labbé que le Sénat a souhaité faire avancer ce véhicule législatif. Pour cela, il faut que chacun accepte de remettre dans sa poche un peu de ses convictions, pour trouver un consensus. Retirez votre amendement, pour ne pas obliger vos collègues et le Gouvernement à voter contre, alors que nous sommes pour ! Ce débat n'est pas le lieu pour déposer un acte militant. Il y aura d'autres occasions.

Mme Sophie Primas, présidente. - Vous dites ce que je ne pouvais pas dire, Monsieur le ministre !

M. Joël Labbé. - Je comprends. Je ne souhaite pas mettre des collègues en difficulté. Mais il n'en sera pas de même pour les fromages fermiers !

L'amendement COM-17 rectifié est retiré.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Les amendements COM-12 rectifié bis et COM-15 rectifié prévoient que soient indiqués tous les pays d'origine, par ordre décroissant, ainsi que le pourcentage que chacun représente dans le mélange. Nous partageons cet objectif mais, outre les problématiques industrielles d'étiquetage, il y a des difficultés de compatibilité avec le droit européen. L'Espagne a notifié un décret proposant une telle idée à la Commission : celle-ci a refusé, car cela ne correspondait pas à la directive européenne. La seule solution acceptable à ce stade au niveau européen est bel et bien l'ordre pondéral décroissant de tous les pays d'origine, ce que le Sénat prône depuis 2018. L'idée a été votée et adoptée ici, ce qui a permis de faire bouger les lignes. La Commission européenne s'est prononcée sur sa compatibilité avec le droit européen, et elle a clairement dit qu'elle était compatible avec la directive. Seul l'ordre pondéral décroissant est de nature à ne pas tromper le consommateur, en effet. C'est donc une avancée considérable qui est aujourd'hui partagée avec l'Assemblée nationale. Mais si nous tentons d'aller plus loin, rien ne sera plus applicable. La Commission européenne ne changera pas sur cette position concernant les pourcentages, qu'elle vient officiellement de refuser à d'autres pays. Ainsi, à vouloir aller trop loin sur l'affichage à ce stade, nous risquons de ne rien avoir du tout ! Retrait.

Mme Sophie Primas, présidente. - Même avis sur l'amendement COM-16 rectifié ?

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Oui.

M. Didier Guillaume, ministre. - Mêmes avis.

M. Joël Labbé. - Nous demanderons le pourcentage parce qu'à terme il faudra bien y arriver ! On sait bien que l'opposition vient des industriels importateurs de miel. Les producteurs professionnels français, eux, le demandent avec force. Mon amendement de repli proposait qu'au moins, lorsqu'un pays représente plus de 20 %, il figure en caractères gras.

Mme Sophie Primas, présidente. - Le remède serait pire que le mal puisque la Commission européenne a déjà refusé ces deux propositions...

L'amendement COM-12 rectifié bis n'est pas adopté. Les amendements COM-15 rectifié et COM-16 rectifié sont retirés.

L'article 1er est adopté sans modification.

Article 2

L'article 2 est adopté sans modification.

Articles additionnels après l'article 2 

M. Henri Cabanel, rapporteur. - L'amendement COM-9 rectifié ter prévoit l'obligation d'indiquer le pays d'origine des produits alimentaires issus de l'agriculture biologique. C'est un sujet très important pour les produits bio. L'article 32 du règlement européen de 2011 sur l'agriculture biologique prévoit que, si le logo « bio » figure sur l'étiquetage, l'origine des produits est indiquée selon les termes « agriculture de l'Union européenne » ou « agriculture Union européenne / non Union européenne ». Le règlement ajoute que le nom du pays peut remplacer cette mention si toutes les matières agricoles qui le composent ont été produites dans ce pays. Il est donc déjà prévu que le nom du pays puisse être indiqué. Aller plus loin serait non conforme au droit européen. Retrait ou avis défavorable.

M. Didier Guillaume, ministre. - Même avis.

Mme Sophie Primas, présidente. - C'est un vrai sujet sur lequel nous travaillerons !

L'amendement COM-9 rectifié ter n'est pas adopté.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - L'amendement COM-10 rectifié bis demande un rapport faisant un état des lieux des volumes et de l'origine des produits issus de l'agriculture biologique provenant des pays tiers hors Union européenne, et sur leur conformité aux règles applicables à l'agriculture biologique de l'Union européenne. Il s'agit de préparer la rédaction de la nouvelle réglementation européenne sur le bio. Mais celle-ci a déjà été publiée le 14 juin 2018 et elle entrera en vigueur le 31 décembre 2020 ! Retrait ou avis défavorable.

M. Didier Guillaume, ministre. - Même avis.

L'amendement COM-10 rectifié bis n'est pas adopté.

Article 2 bis (nouveau)

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Cet article rend obligatoire l'affichage de l'origine des viandes porcines, ovines, des viandes de volaille et de la viande bovine dans la restauration hors domicile. Il convient de se féliciter de ce nouvel article à l'heure où les viandes, dans la restauration, sont très majoritairement importées, sans que le consommateur en soit clairement informé.

L'article 2 bis est adopté sans modification.

Article 2 ter (nouveau)

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Cet article interdit l'utilisation de dénominations commerciales usuellement associées à des produits d'origine animale pour des produits qui ne comportent pas ou comportent peu de substance animale. Nous connaissons bien la problématique et nous sommes favorables à l'idée. Nous vous proposons donc une adoption conforme.

L'amendement COM-11 rectifié bis garantit une information aux consommateurs concernant les produits semblables à des produits animaux conventionnels, comme les viandes de laboratoire. Aujourd'hui, un steak hamburger de 140 grammes de ce type coûterait environ 500 euros. Il ne nous semble donc pas urgent de réfléchir à une réglementation plus précise sur ce genre de produits, qui englobera le principe de leur étiquetage mais qui ne peut se restreindre à ce seul point. Il nous semble plus opportun d'acter notre accord sur le principe de l'encadrement des dénominations utilisées normalement pour de la viande, car nous avons enfin trouvé une rédaction consensuelle, plutôt que d'ouvrir de nouveau un sujet susceptible d'ouvrir des débats qui n'aboutiront à rien. 

M. Didier Guillaume, ministre. - Même avis. Un steak, c'est de la viande. S'il n'y a pas de viande, la dénomination de steak ou d'entrecôte ne peut pas être retenue. Il faudra que la France le dise clairement : s'il n'y a pas de viande, il n'y a pas de steak.

M. Franck Montaugé. - Je trouve cet amendement utile, mais nous nous abstiendrons, pour simplifier le processus.

L'amendement COM-11 rectifié bis n'est pas adopté.

L'article 2 ter est adopté sans modification.

Article 3

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Cet article reprend la position défendue au Sénat et adoptée dans la loi Égalim et lors de l'examen de la proposition de loi Monier en avril dernier. Il s'agit de ne pas restreindre aux seuls fromages sous signes d'identification de la qualité et de l'origine (SIQO) la possibilité d'affiner les fromages à l'extérieur de la ferme. Un décret précisera les modalités d'information du consommateur. Je sais que des amendements tendant à restreindre au fromage sous SIQO ont été déposés. Deux mesures seraient susceptibles, monsieur le ministre, de nous rassurer sur l'ambiguïté éventuelle de cet article. Lors de la rédaction du décret requis par l'article, le Gouvernement envisagerait-il, après concertation avec l'ensemble des acteurs, de proposer une définition plus précise des usages traditionnels, afin d'encadrer les techniques d'affinage à l'extérieur, et d'étudier un affichage, adapté à chaque fromage, du nom de l'affineur et du producteur sur les fromages? Cette position, défendue au Sénat lors de la proposition de la loi Monier, correspond à notre sens à un bon équilibre.

M. Didier Guillaume, ministre. - Ma position est bien connue, puisque j'étais sénateur lors du débat sur la loi Égalim et que je défends la même position comme ministre, ce qui m'évite la schizophrénie intellectuelle ! Nous sommes dans le compromis, comme nous l'avons été à l'Assemblée nationale, où la rapporteure a fait des pas vers nous aussi. Vous avez trouvé un accord sur ce point. Il serait regrettable de rouvrir le débat. Un décret est prévu par l'article 3. Je vais en préciser les contours. Il s'agira de définir plus précisément la notion d'usage traditionnel. Un second décret permettra, après concertation, aux producteurs fermiers d'indiquer leurs noms sur les fromages fermiers affinés.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Avec ces précisions, avis défavorable aux amendements COM-7, COM-8, COM-14 rectifié et COM-4 rectifié quater.

M. Joël Labbé. - Un décret autorisera donc les producteurs à afficher leur nom. Nous souhaitons que ce soit obligatoire. Contre nous, l'industrie globale. Or l'association nationale des producteurs laitiers fermiers a le droit d'avoir la parole. Et elle demande avec force le maintien de la traçabilité pour les fromages fermiers, où figure obligatoirement le nom du producteur. Sinon, c'est la porte ouverte à l'industrialisation et à la standardisation de ces produits, qui sont fermiers par essence et qui sont défendus avec force, y compris par les consommateurs.

Mme Patricia Schillinger. - Chaque parlementaire défend son territoire... Pour moi, le Munster a toutes ces spécificités, et je soutiens fortement les producteurs. Je fais confiance au ministre, et j'attends le décret avec impatience. Je retire mes deux amendements.

Les amendements COM-7 et COM-8 sont retirés.

M. Michel Raison. - J'approuve votre position, qui est nationale. Veillons à ce que chaque sénatrice et chaque sénateur ne défende pas spécifiquement sa propre zone ! En effet, celui qui fabrique des fromages dans l'est de la France ne connaît rien à la fabrication dans le sud-ouest. Nous avons la chance d'avoir plusieurs fromages par département. Notre position doit donc être rassembleuse et nationale, pour que le texte qui va être voté et les décrets qui vont suivre correspondent à la moyenne et à l'ensemble des producteurs fermiers de France. Soyez donc prudents sur la défense de telle petite association ou de telle production locale.

Sur les huiles essentielles, je soutiens très fortement M. Labbé, car le développement de ces plantes pourrait fournir des revenus complémentaires importants aux agriculteurs de notre pays. Sur le miel, enfin, nous pourrions arriver à faire changer le règlement européen. Il n'est pas normal qu'on achète un pot de miel et que, s'il y a 60 % de miel chinois dedans - qui peut d'ailleurs être lui-même composé de 50 % de sucre -, on ne le sache pas.

M. Laurent Duplomb. - Nous avons besoin d'une vision générale et objective sans oublier l'évolution des choses. Ainsi, le Velay, fromage fermier aux artisons, des petits acariens - j'en profite pour faire un peu de promotion...

Mme Sophie Primas, présidente. - Après le reblochon, le munster, le saint-nectaire...

M. Laurent Duplomb. - Des exploitants producteurs fermiers affinent ce fromage traditionnel chez eux et le vendent sur les marchés, mais il risque de disparaître en raison de ses petits volumes. Si demain on avait la possibilité, via les chambres d'agriculture ou d'autres organismes, de mutualiser l'affinage, cette loi l'interdirait et la production disparaîtrait. Laissons faire l'esprit entrepreneur, sans trop industrialiser. On voudrait changer le modèle français, qui n'est pas un modèle industriel : la plupart des exploitations sont familiales.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Avis défavorable à l'amendement COM-14 rectifié. Je remercie l'engagement du ministre sur les deux points de clarification. Il est essentiel de préciser ce que l'on met derrière la mention « usages traditionnels », parfois très vague.

M. Didier Guillaume, ministre. - Avis défavorable.

M. Joël Labbé. - L'amendement prévoit que la mention « fermier » est apposée si le fromage est affiné à la ferme ou à l'extérieur de la ferme dans un secteur sous appellation d'origine. Nous demandons avec force que le nom du producteur soit affiché sur le produit.

M. Didier Guillaume, ministre. - La mention « fromage fermier » est encadrée !

M. Franck Montaugé. - Le groupe socialiste et républicain s'abstiendra.

Les amendements COM-14 rectifié et COM-4 rectifié quater ne sont pas adoptés.

L'article 3 est adopté sans modification.

Article 4

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Cet article vise à lutter contre certains affichages des produits viticoles qui peuvent laisser penser que le vin a une origine différente de son origine réelle. L'Assemblée nationale ayant repris la version proposée par le Sénat sur ce sujet, je vous propose d'adopter l'article sans modification.

Monsieur Courteau, nous créons aussi une obligation d'afficher l'origine du vin quel que soit son support : bouteilles, mais aussi pichets et verres. Il faut respecter la réglementation mais ne changeons pas trop les étiquettes pour éviter qu'elles soient illisibles, sinon ce sera contreproductif.

La DGCCRF utilise toute une panoplie judiciaire pour ses contrôles. Notamment, elle a contrôlé et verbalisé les bags in box espagnols qui ne respectaient pas la réglementation.

Nous pourrons amender par le biais des travaux de notre commission sur l'étiquetage.

M. Roland Courteau. - Certes, nous réglons le problème sur les cartes des restaurants, mais pas celui, massif dans la grande distribution. Vous parlez du droit européen, mais si le droit européen permettait de régler le problème, il serait déjà résolu ! Nous tournons en rond....

L'article 4 est adopté sans modification.

Article 5

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Cet article vise à afficher l'origine et les appellations des vins dans les restaurants, quel que soit leur support : bouteille, pichet ou verre. Nous avons adopté cet article à plusieurs reprises, je vous propose de l'adopter une nouvelle fois - j'espère que ce sera la dernière...

L'article 5 est adopté sans modification.

Articles additionnels après l'article 5

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. -L'amendement COM-18 rectifié bis propose un étiquetage du mode d'élevage pour les ovoproduits à titre expérimental. Les industriels ont déjà le droit de valoriser, par un étiquetage volontaire, leurs modes d'élevage. Certains le font déjà pour les ovoproduits d'oeufs de plein air. L'amendement pénalise donc ceux qui ne le font pas, et revient à imposer de nouvelles règles qui ne s'appliqueront qu'aux producteurs français ; cela les pénalisera encore par rapport à leurs concurrents européens qui n'auraient aucune obligation.

Une telle obligation serait contre-productive, car elle fragiliserait des expérimentations en cours, obtenues de haute lutte à Bruxelles, ou à venir : une expérimentation issue de la loi Sapin 2 sur l'indication de l'origine géographique est déjà en cours sur le lait et la viande utilisés en tant qu'ingrédients dans les produits transformés.

Les filières avancent déjà sur ce sujet ! Grâce aux actions menées par la filière, l'évolution des modes d'élevage concerne également le segment des ovoproduits. En 2019, 36 % des oeufs utilisés dans la fabrication d'ovoproduits sont issus de systèmes alternatifs, contre 10 % en 2011. Faisons leur confiance, sans amputer leur compétitivité. Retrait, à défaut avis défavorable.

L'amendement COM-19 rectifié bis prévoit un étiquetage obligatoire des denrées alimentaires issues d'animaux nourris avec des aliments génétiquement modifiés, selon des modalités définies par décret. Nous en avons déjà débattu : cet étiquetage ne s'appliquera qu'en France ; il est contraire au droit européen. Retrait, à défaut avis défavorable.

L'amendement COM-20 rectifié prévoit un étiquetage distinguant huîtres triploïdes et diploïdes. Il reprend un débat scientifique, sur lequel il ne nous appartient pas de trancher. L'étiquetage des huîtres comporte déjà de nombreuses mentions obligatoires : taille des huîtres, étiquette de salubrité... Les professionnels sont engagés dans une démarche ambitieuse pour afficher cet étiquetage sur la nature des huîtres, mais c'est très complexe, car les huîtres sont souvent mélangées. Un groupe de travail sur l'étiquetage a été mis en place en juin 2019. Un rapport avec des propositions claires et applicables devrait être remis au ministre de l'agriculture en mars. Faisons-leur confiance plutôt que d'ajouter une contrainte. Retrait, à défaut avis défavorable.

L'amendement COM-21 rectifié bis vise, à titre expérimental, à rendre obligatoire l'étiquetage du mode d'élevage pour les produits animaux.

L'amendement avait déjà été rejeté, sous une forme légèrement différente, lors de la loi Égalim pour plusieurs raisons : les règles d'étiquetage des denrées alimentaires sont fixées au niveau européen ; une telle obligation serait contre-productive, car elle viendrait fragiliser les expérimentations en cours et obtenues auprès de Bruxelles.

Certains signes d'identification de la qualité et de l'origine renseignent déjà sur le mode d'élevage. En matière d'indication des modes d'élevage, une réflexion figure dans la feuille de route des États généraux de l'alimentation et du Conseil national de l'alimentation qui a été saisi sur cette question. Une réflexion est en cours au niveau européen. Il faut un véritable travail en amont et de fond, car nous connaissons les conséquences d'un affichage « bien-être animal » et nous savons qu'elles sont souvent plus larges que ce qu'on pourrait imaginer. Retrait, à défaut avis défavorable.

M. Didier Guillaume, ministre. - Ces amendements vont dans le bon sens, nous reprendrons la jurisprudence de l'accord Assemblée-Sénat.

Concernant l'amendement COM-19 rectifié bis, nous allons mettre en place un grand plan Protéines pour nourrir nos animaux avec des protéines végétales françaises ; mais ne rajoutons pas de boulets aux pieds des agriculteurs : ils n'en ont pas besoin.

Il en est de même pour l'amendement COM-18 rectifié bis sur les ovoproduits ; lorsqu'on achète une madeleine en grande surface, si on affiche des ovoproduits espagnols, en voulant bien faire, on handicape la production française. Oui, il faut avancer. La filière ostréicole sait qu'elle doit avancer, ne rajoutons pas de handicaps.

Retrait, ou, à défaut, avis défavorable à ces quatre amendements.

M. Joël Labbé. - Pour respecter l'esprit qui anime notre commission, je retirerai ces quatre amendements. Mais il faudra bien que l'Europe bouge. La France a un rôle à jouer pour la tirer vers le haut. Il faudra arriver à une traçabilité pour les ovoproduits et les animaux nourris aux OGM, car c'est une demande forte des consommateurs. Je partage l'idée d'un plan national sur les protéines, après le premier plan qui avait été lancé en 2009, mais qui n'a pas beaucoup avancé. Vous souhaitez allez vite. L'étiquetage ferait avancer la situation.

Le Comité national de la conchyliculture travaille sur le sujet, mais les ostréiculteurs traditionnels n'ont pas encore été associés, jusqu'ici, à l'élaboration de ce rapport. L'ensemble de la profession doit être représenté. Il faut aussi prévoir un étiquetage du mode d'élevage.

M. Laurent Duplomb. - Et le bien-être des éleveurs, vous y pensez ?

Les amendements COM-18 rectifié bis, COM-19 rectifié bis, COM-20 rectifié et COM-21 rectifié bis sont retirés.

Article 5 bis (nouveau)

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Ne soyons pas naïfs : certaines bières ont un affichage manifestement trompeur pour le consommateur. L'alinéa 2 peut résoudre le problème en prévoyant un affichage du nom et de l'adresse du producteur, mais l'alinéa 3 pose question. Les contrôles permettent déjà de sanctionner ces pratiques. Monsieur le ministre, quels contrôles la DGCCRF a-t-elle effectués sur l'étiquetage des bières ces dernières années, avec quels résultats ? Quelles actions le Gouvernement entend-il mener pour renforcer les contrôles et mieux sanctionner les pratiques trompeuses ?

M. Didier Guillaume, ministre. - Cet article a été adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale, de bonne foi, avec l'expertise de tout le monde ; il faut y revenir, et cela montre l'utilité de la navette parlementaire. Mon cabinet a rencontré Mathias Fekl, président des Brasseurs de France. Il faut avancer. Nous suivrons l'accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat.

Le dispositif réglementaire actuel permet déjà d'empêcher une information déloyale sur l'origine réelle d'un produit. Le premier alinéa du nouvel article L. 412-10 du code de la consommation renforce les moyens des services de la DGCCRF pour qualifier et poursuivre les éventuelles tromperies. La DGCCRF réalise régulièrement des contrôles dans le secteur brassicole ; lors de la dernière campagne de contrôle entre juillet 2017 et mars 2018, 324 établissements ont été visités et contrôlés, avec un taux d'anomalie de 24 %, toutes réglementations confondues. Mes services et ceux de la DGCCRF travaillent main dans la main. La DGCCRF maintiendra sa pression de contrôle en 2020, notamment en portant une attention particulière aux appellations d'origine. Cela va donc dans votre sens.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - L'amendement COM-22 supprime l'alinéa 3 précisant que les mentions de l'étiquetage, surtout le nom commercial, ne peuvent laisser apparaître un lieu différent du lieu de production.

Outre une non-conformité au droit des marques, en remettant potentiellement en cause des noms dûment déclarés depuis plusieurs années, l'alinéa pourrait aboutir à certaines absurdités.

Certaines activités brassicoles appréciées des consommateurs, intégrant notamment des fruits sous indication géographique contrôlée (IGP), qu'ils valorisent comme tels sur l'étiquetage, sans toutefois que la bière ne soit brassée dans la région où sont produits ces fruits, ne seront plus autorisées dans la mesure où l'indication géographique portant sur les fruits serait de nature à induire un doute sur l'origine de la bière.

Mon amendement supprime donc l'alinéa 3, tout en rappelant que la lutte contre les étiquetages trompeurs sur les bières doit se poursuivre par les services de la DGGCRF. Avis favorable aux amendements COM-3, COM-2 rectifié et COM-5 rectifié qui lui sont identiques.

M. Didier Guillaume, ministre. - Avis favorable.

Les amendements identiques COM-22, COM-3, COM-2 rectifié et COM-5 rectifié sont adoptés.

L'article 5 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 6

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Cet article permet à des semences potagères, vendues à des jardiniers amateurs qui ne visent pas une exploitation commerciale, de ne pas être inscrites au catalogue officiel. Je vous propose de ne pas modifier cet article - malgré une divergence du Sénat sur ce sujet - par une sorte d'accord de sagesse sur cette question bloquée depuis plusieurs années en raison d'absence de véhicule législatif adéquat.

Depuis 2016, nous discutons de ce point, mais il faut d'abord trancher si cela est conforme au droit européen. Nous avons un doute sur la conventionalité de la disposition proposée que seule la Commission européenne peut trancher. Plutôt que d'en débattre durant des mois, et de bloquer l'avancée de la proposition de loi, adoptons cette disposition pour la soumettre à l'avis de la Commission européenne en lui notifiant l'article. Le ministre partage-t-il cet avis?

M. Didier Guillaume, ministre. - Sagesse. La France a été attaquée par le virus de la tomate. Une exploitation est touchée par le virus, qui provient notamment de semences originaires des Pays-Bas, et plantées au Royaume-Uni. Nous devons être prudents. Trois exploitations françaises, qui se sont approvisionnées au même endroit, sont également suivies.

L'article 6 prévoit de supprimer toute exigence sur les semences destinées aux amateurs, que ce soit en matière de qualité des graines, mais aussi d'étiquetage et d'information sur la variété. Je regrette que l'Assemblée nationale l'ait adopté. Une telle disposition supprimant tout encadrement sur les conditions de vente des semences apparaît dans une proposition de loi qui vise justement à renforcer la protection des consommateurs et garantir la loyauté des transactions... Mais c'est ainsi, et le Gouvernement notifiera cet article auprès de la Commission européenne afin qu'elle puisse donner son avis sur sa compatibilité avec la réglementation européenne. Sagesse.

M. Laurent Duplomb. - Je regrette que l'Assemblée nationale ait profité de cette proposition de loi pour introduire un point que nous rejetons, en créant une sorte de chantage. Puisque nous ne voulons pas retarder l'adoption de cette proposition de loi, nous sommes obligés de l'accepter. Monsieur le Ministre, je vous remercie de vos propos.

Dans une relation commerciale, il est important que le produit acheté corresponde à ce que le consommateur souhaite acheter. Dans les marchés, certains trafiquaient le poids des balances, il n'y a pas si longtemps, pour vendre un peu moins d'un kilo au même prix. Cet article est un retour en arrière et peut provoquer un risque sanitaire.

Je ne ferai pas obstruction à cette proposition de loi, mais je me désole de cette prise d'otage. Cet article sert de véhicule pour le virus. À l'avenir, nous nous rappellerons que cet article était un défaut et nous légiférerons de nouveau. Avec plus de sagesse, cela ne serait jamais arrivé.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Madame la rapporteure de l'Assemblée nationale, ce sujet est un point difficile pour le Sénat, qui s'était largement prononcé pour une inscription allégée au registre, comme le prévoit l'amendement COM-6 rectifié. Mais pour faire aboutir cette proposition de loi, soyons sages. Compte tenu des risques évoqués, la notification doit être faite au niveau européen pour permettre, le cas échéant, une régularisation la plus rapide possible. Retrait, à défaut avis défavorable.

M. Laurent Duplomb. - Je retire l'amendement, tout en n'étant pas très content.

M. Daniel Laurent. - Nous l'avions compris !

L'amendement COM-6 est retiré.

L'article 6 est adopté sans modification.

Article 7

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Cet article porte sur l'abrogation de la loi de 1957 sur la Clairette de Die, sujet bien connu...

L'article 7 est adopté sans modification.

Article 8

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Cet article rétablit le caractère obligatoire de la déclaration de récolte. Il y a consensus.

L'article 8 est adopté sans modification.

M. Laurent Duplomb. - L'article 44 de la loi d'accélération et de simplification de l'action publique (Asap) me laisse très dubitatif. Monsieur le Ministre, dans l'hémicycle, vous vouliez une évaluation de la loi Egalim, pour plus de transparence. Il nous faut un calendrier de retour de ces évaluations. Or l'article 44 de la loi Asap fait exactement l'inverse, comme si vous étiez persuadé de l'échec de la loi Egalim. La seule petite civilité que vous auriez pu trouver, c'est de repousser cette évaluation aux calendes grecques !

Mme Sophie Primas, présidente. - Vos propos n'ont pas de lien avec l'intitulé de la proposition de loi !

M. Laurent Duplomb. - Si, sur la transparence...

Mme Sophie Primas, présidente. - Ce n'est pas la transparence relative à l'étiquetage !

M. Laurent Duplomb. - Mais il s'agit de la réalité du monde agricole.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Mme Sophie Primas, présidente. - Les explications de vote et le vote de cette proposition de loi auront lieu mercredi 4 mars. La balle est désormais dans le camp de l'Assemblée nationale pour trouver un trou de souris afin d'examiner cette proposition de loi. Un article reste à débattre.

M. Didier Guillaume, ministre. - J'ai interpellé le président de l'Assemblée nationale et celui de la commission des affaires économiques afin de trouver ce trou de souris, pour un vote avant l'été.

Mme Sophie Primas, présidente. - Surtout avant les vendanges !

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Je remercie mes collègues ayant accepté nos propositions, prouvant votre sens de l'intérêt général.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je rebondis sur les propos de M. Laurent Duplomb. Nous sommes assez surpris par l'article 44 de la loi Asap, qui prévoit qu'une ordonnance prolonge de 30 mois l'expérimentation sur l'encadrement des promotions et le seuil de revente à perte, contrairement à vos propos en séance publique le mois dernier monsieur le ministre. La commission spéciale se réunira le 26 février ; cela nous donne très peu de temps pour réagir à cet article sur lequel nous sommes extrêmement mitigés.

Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :

Article 1er A (nouveau)

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme MÉLOT

13 rect. bis

Fixation par décret des conditions d'alimentation par les responsables de la première mise sur le marché, de la base de données CodeOnline Food

Rejeté

Article 1er

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. LUCHE

1

Obligation d'indiquer le pays d'origine de l'ingrédient primaire si le pays d'origine de l'ingrédient primaire est différent du pays d'origine indiqué sur l'étiquette

Rejeté

M. LABBÉ

17 rect.

Indication du pays d'origine des plantes utilisées dans les huiles essentielles 

Retiré

Mme MÉLOT

12 rect. bis

Affichage en toutes lettres de tous les pays d'origine des miels  présents dans un mélange par ordre pondéral décroissant, avec l'indication des pourcentages qu'ils représentent dans la composition

Rejeté

M. LABBÉ

15 rect.

Affichage de tous les pays d'origine des miels  présents dans un mélange par ordre pondéral décroissant, avec l'indication des pourcentages qu'ils représentent dans la composition

Retiré

M. LABBÉ

16 rect.

Mise en évidence des pays d'origine des miels représentant plus de 20 % du poids du produit

Retiré

Article(s) additionnel(s) après article 2

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme MÉLOT

9 rect. ter

Obligation d'indiquer le pays d'origine des produits alimentaires issus de l'agriculture biologique

Rejeté

Mme MÉLOT

10 rect. bis

Rapport faisant un état des lieux des volumes et de l'origine des produits issus de l'agriculture biologique provenant de pays tiers, hors Union européenne, et sur leurs conformités aux règles applicables à l'agriculture biologique dans l'Union européenne

Rejeté

Article 2 ter (nouveau)

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme MÉLOT

11 rect. bis

Interdiction des dénominations associées aux produits d'origine animale pour décrire des produits issus de denrées végétales ou de synthèse

Rejeté

Article 3

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme SCHILLINGER

7

Réserver aux seuls fromages sous SIQO la possibilité de bénéficier de la mention "fromage fermier" pour les fromages affinés à l'extérieur de la ferme 

Retiré

Mme SCHILLINGER

8

Réserver aux seuls fromages sous SIQO la possibilité de bénéficier de la mention "fromage fermier" pour les fromages affinés à l'extérieur de la ferme 

Retiré

M. LABBÉ

14 rect.

Réserver aux seuls fromages sous SIQO la possibilité de bénéficier de la mention "fromage fermier" pour les fromages affinés à l'extérieur de la ferme 

Rejeté

M. SAVIN

4 rect. quater

Réserver aux seuls fromages sous SIQO la possibilité de bénéficier de la mention "fromage fermier" pour les fromages affinés à l'extérieur de la ferme 

Rejeté

Article(s) additionnel(s) après article 5

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. LABBÉ

18 rect. bis

Étiquetage des mentions du mode d'élevage pour l'ensemble des ovoproduits utilisés en tant qu'ingrédients dans les produits transformés à titre expérimental 

Retiré

M. LABBÉ

19 rect. bis

Etiquetage obligatoire des denrées alimentaires issues d'animaux nourris avec des aliments génétiquement modifiés à compter de 2023

Retiré

M. LABBÉ

20 rect.

Mention de la provenance du naissain d'huîtres selon qu'il provient d'écloseries ou d'huîtres nées en mer

Retiré

M. LABBÉ

21 rect. bis

Étiquetage du mode d'élevage sont rendues obligatoires pour l'ensemble des produits animaux à titre expérimental

Retiré

Article 5 bis (nouveau)

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. CABANEL et Mme LOISIER, rapporteurs

22

Suppression de l'interdiction que toute mention de l'étiquetage, y compris le nom commercial, relative à un lieu diffère du lieu de production réel de la bière

Adopté

Mme SCHILLINGER

3

Suppression de l'interdiction que toute mention de l'étiquetage, y compris le nom commercial, relative à un lieu diffère du lieu de production réel de la bière

Adopté

Mme DESEYNE

2 rect.

Suppression de l'interdiction que toute mention de l'étiquetage, y compris le nom commercial, relative à un lieu diffère du lieu de production réel de la bière

Adopté

Mme VERMEILLET

5 rect.

Suppression de l'interdiction que toute mention de l'étiquetage, y compris le nom commercial, relative à un lieu diffère du lieu de production réel de la bière

Adopté

Article 6

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. BIZET

6 rect.

Inscription simplifiée par une déclaration des variétés cédées à titre onéreux à des utilisateurs non professionnels ne visant pas une exploitation commerciale de la semence 

Retiré

La réunion est close à 12 h 25.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.