Mercredi 14 avril 2020

- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente de la Délégation aux entreprises -

La réunion est ouverte à 17 heures.

Audition de M. Thomas Courbe, directeur général des entreprises au ministère de l'économie et des finances, afin de faire le point sur la mise en oeuvre des dispositifs pour les ETI-PME-TPE, sur les perspectives d'organisation de sortie de crise et sur la numérisation des PME-TPE

Mme Élisabeth Lamure, Présidente de la Délégation aux entreprises du Sénat, a posé d'emblée trois questions à M. Thomas Courbe :

- Tel que vous pouvez l'évaluer aujourd'hui, quel sera l'impact de la crise actuelle sur l'activité des entreprises, leur solidité financière, leur compétitivité et l'emploi en France ? Pouvez-vous préciser cet impact par taille d'entreprises ?

- Si les entreprises ne discutent pas l'ampleur des mesures macro-économiques de soutien annoncées par l'État, elles regrettent de ne pas y avoir toujours accès, ni de manière simple et rapide. Quels enseignements tirez-vous des difficultés de mise en oeuvre des premières mesures ?

- Le Président Macron a annoncé hier soir « une simplification et une augmentation des aides aux entreprises et aux indépendants ». Comment comptez-vous y parvenir ?

- La comparaison entre les efforts budgétaires respectifs annoncés par la France et l'Allemagne montre un écart considérable. Comment notre pays pourra-t-il maintenir son tissu économique et permettre son rebond avec un soutien financier environ trois fois inférieur à son voisin ?

Pour le Directeur général des entreprises, les mesures de soutien de l'État visent à permettre aux entreprises d'affronter cette crise : accès au chômage partiel, report de charges sociales (pour 5 milliards d'euros) et fiscales (pour 3,3 milliards), un tiers étant dû au 15 mars, prêts garantis par l'État (PGE). Ces dispositifs mobilisent 300 milliards d'euros, dont 9 milliards ont d'ores et déjà été débloqués au profit de 70 000 entreprises, pour une moyenne de 64 000 euros par entreprise. L'État a également activé les dispositifs d'assurance-crédit et créé un fonds de solidarité au profit des TPE de moins de 10 salariés les plus en difficulté.

L'outil industriel français a été mobilisé pour produire les équipements sanitaires dont le système de santé et les entreprises ont besoin. Des lignes de production de masques grand public ont été constituées au sein de la filière textile française. La capacité de production de masques pour le secteur de la santé a été portée de 15 à 40 millions. 10 000 respirateurs seront produits. Du gel hydro-alcoolique a été massivement fabriqué. Ces produits sont mis à la disposition des entreprises sur une market place, une plateforme électronique créée spécifiquement pour répondre à la demande des entreprises et des administrations.

Enfin, l'accès des entreprises au numérique a été facilité notamment pour les commerces fermés au public mais qui peuvent continuer à produire et livrer, et pour le télétravail, dans un contexte de cybersécurité renforcée.

Les entreprises demandent beaucoup d'informations sur ces dispositifs qui évoluent, via les DIRECCTE et les réseaux consulaires des CCI et des CMA, qui se sont mobilisés pour répondre quotidiennement aux entreprises. Plus de 90 000 questions ont été posées la semaine dernière. Un document de 150 pages permet d'alimenter une FAQ (foire aux questions).

Les entreprises organisent leur production pour répondre à la sécurité sanitaire dans la perspective de la reprise d'activité. Des mesures de relance économique sont en train d'être élaborées. À moyen terme, notre modèle de souveraineté économique et de résilience de nos chaînes de valeur devra être repensé pour diminuer notre dépendance à l'étranger, et singulièrement la Chine, et pour renforcer durablement l'autonomie de notre système sanitaire.

La crise provoque une contraction de notre croissance du PIB évaluée à 8 %. Son impact est hétérogène. Les secteurs fermés sur décision administrative sont naturellement les plus impactés. Certaines industries comme l'automobile et l'aéronautique fonctionnent à 10 % de leurs capacités. Le secteur de l'énergie fonctionne en revanche à 70 %.

L'aide publique a pour objectif la préservation de l'emploi et des entreprises en préservant leur capacité financière afin de les mettre en situation de redémarrer économiquement à l'issue de la période de confinement. Les entreprises sont fragilisées. Il faut consolider leur haut de bilan même si le PGE peut être apporté sur six ans. Il faudra consolider financièrement certaines entreprises en sortie de crise. Des entreprises auront besoin d'un soutien de moyen terme.

L'accès aux dispositifs d'aide montre une capacité de décaissement rapide des prêts après un démarrage un peu lent. Le fonds de solidarité, ouvert le 31 mars, est simple d'accès. Il est quasi automatique. Les paiements prennent quelques jours. L'éligibilité des entreprises à ces dispositifs a été progressivement élargie et la réflexion continue, en lien avec les régions. Le ministre a clairement indiqué qu'il pourrait encore évoluer notamment pour les entreprises moins bien notées par le FIBEN (cotation Banque de France). Le fonds de solidarité prend en compte des situations particulières qui n'avaient pas été bien vues au début. Les aides sont donc mobilisées facilement. Nous sommes ouverts aux propositions d'amélioration.

S'agissant de la double homologation des masques, par la Direction générale de l'armement et par la DGE, évoquée par Mme Élisabeth Lamure, le DGE a indiqué que 80 types de masques avaient été homologués. Les spécifications ayant été rendues publiques, une entreprise peut trouver les coordonnées du producteur sur la plateforme STOPCOVID19.fr. Le délai d'attente a été réduit, 4 millions de masques ayant été produits.

Mme Martine Berthet ayant évoqué les innovations technologiques, comme les scanners corporels, M. Thomas Courbe a indiqué que le perfectionnement était constant, notamment pour les masques de protection.

Les entreprises qui assurent une mission de service public ont développé une solidarité avec leur filière, leurs sous-traitants et fournisseurs. Les bonnes pratiques des acteurs en matière de paiement ou de visibilité de leur plan de charge sont identifiées et les mauvais comportements font l'objet d'un rappel, en privé, de la part du ministre. Les grandes entreprises doivent donner l'exemple. Leur reprise d'activité devra être aussi rapide que la sécurité sanitaire de leurs salariés sera possible, pour entraîner les PME sous-traitantes. Une des conditions de la reprise est l'existence de guides d'activité sectorielle, adaptés à chaque filière, discutés avec les partenaires sociaux. L'amélioration des process est constante, par exemple dans le secteur sidérurgique.

Les nouveaux critères du Fonds de solidarité permettront d'élargir son accès afin que des commerçants associés, par exemple des couples de commerçants, puissent en bénéficier : le critère de 60 000 euros sera décompté par associé et non par commerce.

Mme Anne Chain-Larché demandant comment rebâtir une indépendance industrielle et technologique tout en respectant la liberté du commerce et de l'industrie, le DGE a évoqué des filières d'avenir comme les batteries électroniques. Il faut avancer plus vite, comme l'évolution du droit européen le permet, pour réindustrialiser l'Europe. Pour les filières classiques, l'enjeu sera la relocalisation en identifiant les segments critiques des chaînes de valeur. Tout en respectant les règles européennes et de l'OMC sur les aides d'État, lesquelles pourraient évoluer, il faudra valoriser la résilience des chaînes de valeur en sécurisant les approvisionnements.

Rappelant que l'activité économique repose sur la confiance, M. Michel Forissier a noté que toute la population était supposée pouvoir se fournir en masques le 11 mai. Le port du masque sera-t-il prérequis pour ouvrir les commerces aux consommateurs et la responsabilité chef d'entreprise sera-t-elle dégagée ? Pour le DGE, les importations s'ajoutant à la production nationale, les masques de protection seront en nombre suffisant. Il appartiendra aux autorités sanitaires d'indiquer si une activité économique peut reprendre. En tout état de cause, le port du masque, même le plus filtrant (de catégorie 1), représente un complément aux mesures barrières. Une organisation globale de l'entreprise est nécessaire, avec notamment le respect des distances de sécurité. La médecine du travail pourra contribuer à identifier les actes et salariés à risques.

M. Fabien Gay a souhaité savoir, au-delà d'Air France, quelles entreprises et quels secteurs vont bénéficier d'une intervention de l'État dans leur capital, connaître ses modalités et sa finalité : soit une étatisation des pertes, soit la sortie de filières du secteur marchand. M. Thomas Courbe a indiqué ne pouvoir énumérer individuellement les entreprises stratégiques. L'intention de l'État est de mettre en place une démarche de prévention pour éviter que des entreprises françaises ne soient rachetées à bas prix par des acteurs ou des fonds étrangers.

Mme Annick Billon s'interrogeant sur les secteurs économiques visés par le déconfinement progressif, il a été rappelé que le Président de la République avait fixé un cap global sur lequel le Gouvernement travaillait pour préciser ses contours et pour accompagner une organisation économique conciliant reprise d'activité et sécurité sanitaire.

M. Michel Vaspart ayant fait part des inquiétudes du secteur touristique compte tenu de la durée du confinement jusqu'au 15 juillet, avec un risque d'hécatombe des entreprises de ce secteur, le DGE a indiqué qu'une réunion de ministres aura lieu en fin de semaine avec les représentants des filières du tourisme, de l'évènementiel, de l'hôtellerie-restauration. Pour aider ces filières, Bpifrance et la Caisse des dépôts seront mobilisées. Les dispositifs de soutien à l'activité, quand cette dernière est possible, seront renforcés. Des mesures spécifiques seront prises pour les activités qui ne pourront reprendre. Le report de charges pourra être transformé en exonération lorsque cela est justifié, conformément à l'orientation fixée par le Président de la République.

Pour faire face à l'afflux de demandes de chômage partiel, entraînant un allongement des délais, les systèmes informatiques ont dû être renforcés. Les difficultés initiales se sont estompées et des mesures spéciales ont été prises pour accélérer l'instruction des demandes. L'État se mobilise pour fluidifier ses systèmes de décision et d'action afin d'aider au mieux les entreprises. Mme Élisabeth Lamure ayant rappelé que des entreprises attendaient toujours des codes d'accès pour activer leurs demandes de chômage partiel, le DGE a admis que des dossiers pouvaient encore être bloqués mais que la situation se résorbait.

Comme l'a souligné M. Sébastien Meurant, la crise frappe de manière hétérogène mais les dispositifs de soutien sont les plus homogènes possibles. L'aide complémentaire apportée par les régions aux TPE les plus en difficulté est ainsi répartie de manière équitable et homogène. Toutefois, les reports de charge ne sont pas suffisants pour les secteurs les plus frappés. Sur l'éventuelle augmentation de la quantité de travail après la reprise de l'activité, le ministre de l'Économie et des finances a rappelé que la règlementation du temps de travail avait été assouplie pour répondre à la demande des secteurs stratégiques ou de la santé, et a indiqué qu'il « fallait faire des efforts de solidarité entre les entreprises ».

M. Michel Vaspart a souligné par ailleurs l'importance stratégique des ports maritimes et des armateurs.

M. Olivier Cadic a souligné la nécessité de renforcer la cybersécurité, le hameçonnage, les ventes en ligne de produits sanitaires fictifs et les rançongiciels étant en forte augmentation et la plateforme publique de cybersécurité n'ayant pas les moyens suffisants pour combattre la cybermalveillance. M. Thomas Courbe a convenu qu'il s'agissait d'un sujet très prégnant, avec celui de la protection des consommateurs. L'État a soutenu la présence d'une offre de cybersécurité sur la plateforme mettant en relation des PME et des entreprises spécialisées qui ont fait en leur direction des efforts particuliers d'accessibilité, y compris un accès gratuit. Cette crise illustre la nécessité d'une meilleure protection numérique des entreprises. Il faudra développer une offre française accessible aux entreprises.

Mme Jacky Deromedi a évoqué la fermeture des frontières Schengen annoncées par le Président de la République. Elle s'est inquiétée de la portée de cette mesure et du fait de savoir si les Français de l'étranger seraient autorisés à rentrer, s'ils seraient placés en quarantaine dans ce cas, et dans quels lieux.

Soulignant la proximité de la rentrée scolaire le 11 mai, M. Jacques Le Nay a rappelé que les maires se demandaient comment équiper les acteurs du système scolaire avec des protections homologuées. Ils pourront trouver ces équipements sur la plateforme STOPCOVID19. Évoquant par ailleurs les travaux de la Délégation aux entreprises sur les entreprises responsables et engagées, il lui a été répondu que la crise sanitaire avait démontré la nécessité d'encourager la relocalisation et les entreprises circulaires. Les aides publiques ne sont pas conditionnées par la politique de RSE de l'entreprise, mais cette dimension sera essentielle lors de la sortie de crise notamment pour la décarbonation de l'économie.

M. Michel Forissier a noté que le directeur général d'AXA proposait de créer un mécanisme de mutualisation s'inspirant de celui des catastrophes naturelles, les pertes d'exploitation n'étant pas actuellement couvertes en règle générale. Le ministre de l'Économie et des Finances veut aboutir rapidement, comme il l'a déclaré devant la commission des affaires économiques du Sénat le 6 avril dernier, il a souhaité savoir quelles étaient les pistes de réflexion du Gouvernement. Le DGE a rappelé qu'un nombre limité d'entreprises avait assuré ses pertes d'exploitation, ceux qui sont assurés le sont pour des pertes physiques. Le ministre a demandé aux assureurs de réfléchir à un nouveau dispositif permettant d'identifier et d'assurer ce risque pour l'avenir.

Il a été par ailleurs précisé que les entreprises ont une obligation de moyens en matière de sécurité sanitaire. Les guides sectoriels ont pour objet de faciliter le retour à l'activité des entreprises et en particulier des PME. Le coût d'équipement incombe aux entreprises, lesquelles se voient néanmoins offrir des conditions tarifaires privilégiées. CDiscount, filiale du groupe Casino, a fait des offres en équipement sanitaire à très bas prix pour les PME-TPE prioritaires.

M. Gilbert Bouchet ayant évoqué les entreprises moyennement cotées en termes de risques, M. Thomas Courbe a indiqué que l'État réfléchissait à une amélioration de l'aide en direction des entreprises cotées 5 et 6. Sur la question des réservations dans le secteur du tourisme, notamment pour l'organisation de grands évènements sportifs ou culturels, ce point sera intégré aux discussions avec les représentants de la profession afin de préciser la visibilité des conditions de la reprise d'activité.

Mme Anne-Catherine Loisier ayant évoqué une contribution des plateformes au fonds de solidarité, M. Thomas Courbe a précisé que la plateforme n'associait pas les géants du numérique mais qu'il s'agissait d'une initiative française offrant des conditions d'accès préférentielles aux commerçants. Il a confirmé la réactivation du dispositif d'aide à l'assurance-crédit CAP+, l'État pouvant se substituer, le cas échéant, à l'entreprise n'ayant pas les moyens d'en bénéficier.

Mme Élisabeth Lamure a relevé que des commerçants reprenant leurs ventes de produits non alimentaires à distance via des drive et corners, ils demandent d'ajouter une nouvelle dérogation à l'attestation de déplacement afin d'englober le click and collect. Afin de répondre favorablement à cette demande, le ministre de l'Intérieur a précisé ce matin aux forces de sécurité que la catégorie des achats de première nécessité englobait toutes les formes de livraison et d'approvisionnement.

Alors que la crise montre la nécessité d'une accélération de la numérisation des PME et TPE, et que la Délégation aux entreprises dénonce le manque de concurrence sur le marché des télécoms d'entreprises, Mme Élisabeth Lamure a rappelé que les pouvoirs publics et les régulateurs avaient manqué de constance pour soutenir le modèle « Whole-sale only » incarné par l'entreprise Kosc. La reprise de cette dernière étant aujourd'hui suspendue, avec à nouveau le risque de voir disparaître ce modèle, elle a demandé si la position du Gouvernement avait évolué, s'il comptait combler les lacunes du cadre légal et réglementaire ou s'il avait renoncé à promouvoir ce modèle d'opérateur national de gros non intégré. Si tel n'était pas le cas, ne faudrait-il pas prévoir un soutien financier dans le cadre du plan d'urgence, en vue de pérenniser ce modèle qui conditionne plus que jamais la dynamique économique ?

En réponse, M. Thomas Courbe a réaffirmé le soutien du Gouvernement en faveur de l'intensification de la concurrence sur ce marché. Le tribunal de commerce ne s'est pas encore prononcé sur le dossier mais existe la perspective d'un acheteur connu s'étant engagé pour un investissement significatif. Ce dossier est suivi par la DGE ainsi que par l'Autorité de la concurrence et l'ARCEP. Il ne nécessite a priori pas la mobilisation des mesures d'urgence mais il sera veillé au renforcement de la concurrence sur ce marché et au fait qu'un acteur comme Kosc puisse continuer à y développer ses activités.

La réunion est close à 18 h 45.