Mercredi 27 mai 2020

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La téléconférence est ouverte à 9 heures 40.

Innovations numériques dans la lutte contre l'épidémie de Covid-19 - Audition conjointe de M. Pierre-Jean Benghozi, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), et de Mme Anne Canteaut, directrice de recherche à l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) (en téléconférence)

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je tiens à remercier M. Pierre-Jean Benghozi et Mme Anne Canteaut d'avoir accepté de venir devant notre commission. Il s'agit d'un jour important, puisqu'aura lieu ce soir un débat sur l'application StopCovid en présence du ministre. Plusieurs commissions du Sénat s'intéressent à cette question, à commencer par la commission des affaires sociales. L'application est en effet présentée comme une aide dans la lutte contre l'épidémie. La commission des lois s'est également saisie de ce sujet, à travers l'angle du droit et des libertés fondamentales. Enfin, notre commission étant celle de la recherche et de la communication, elle s'intéresse aux nouveaux usages numériques. Nous auditionnons ainsi régulièrement des chercheurs. Mme Laure Darcos est notre rapporteure des crédits pour la recherche. Comme M. Pierre Ouzoulias, elle est membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Cette instance travaille également sur ce sujet.

M. Pierre-Jean Benghozi, vous êtes directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Vous avez rédigé une note sur les enjeux autour de StopCovid, qui a été remontée au Gouvernement.

Mme Anne Canteaut, vous êtes quant à vous directrice de recherche à l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA). Vous travaillez également sur les enjeux de cette application.

Nous observons que le milieu de la recherche est divisé sur cette question. Nous avons ainsi été destinataires d'une pétition d'un certain nombre de chercheurs spécialisés en cryptologie et en sécurité informatique. Ils nous mettent en garde sur les risques d'une telle application, ainsi que les failles du système s'il était utilisé par des personnes malveillantes. Nous avons donc besoin de davantage de précisions, notamment techniques.

M. Pierre-Jean Benghozi, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). - Je vous remercie de votre invitation.

Je suis directeur de recherche au CNRS, et professeur à l'école Polytechnique et à l'université de Genève. J'ai été membre du collège de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Je préside par ailleurs la mission d'évaluation du plan France Très Haut Débit. Nous avons été parmi les premiers, avec un groupe d'experts et de partenaires, à promouvoir dès le début du mois de mars une application qui concilie impératifs sanitaires et respect des données publiques et personnelles. Nous avons démontré assez tôt la faisabilité d'une telle application, en partenariat avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et des responsables d'établissements sanitaires.

C'est la première fois que les autorités cherchent à faire appel à des solutions s'appuyant sur le numérique à une échelle aussi massive. Les débats qui en découlent apparaissent donc naturels. La note que vous évoquez soulignait l'efficacité de ce type d'application. Néanmoins, je serais aujourd'hui plus réservé sur ce point. Il est néanmoins difficile de parler de StopCovid, car nous ne disposons pas des codes sources. Or, les choix techniques ne sont pas de simples points de détails, mais relèvent bien au contraire de choix de politique sanitaire.

Par ailleurs, les incertitudes qui entourent actuellement StopCovid ne concernent pas seulement l'application française. Tous les pays y font face. Singapour a retiré son application, qui avait été développée dès le début du mois de mars. L'Australie arrive à des constats similaires. Ces difficultés générales tiennent au fait que les enjeux techniques de ces applications sont non négligeables, et que les délais pour les développer sont très courts. Les calendriers de la plupart des pays européens sont du reste assez voisins, quelle que soit l'approche qu'ils aient choisie. Elles sortiront au mieux début juin, y compris aux États-Unis.

Dans toute innovation, la difficulté ne réside pas tant dans la conception que dans le déploiement. La Réunion a ainsi développé son application très tôt. Néanmoins, le passage à une échelle massive exige du temps. La sortie de l'application a donc été plus tardive que l'évolution de l'épidémie, rendant cette solution moins cruciale.

De même, un certain nombre de problèmes limitent son efficacité, par exemple les difficultés d'échange avec les iPhone, en raison du refus de partenariat d'Apple et de Google. Nous avons par le passé pu prendre des positions assez fermes sur la nécessité de la régulation de Google, Facebook, Amazon et Microsoft (GAFAM). Néanmoins, en la circonstance, ceux-ci ont plutôt été garants d'un souci d'anonymisation. Les citoyens suisses se réjouissent du reste que l'application ait fait l'objet d'un partenariat avec Apple et Google. Enfin, l'absence d'interopérabilité entre les applications européennes pose également problème.

J'émets aussi quelques réserves sur la question de l'acceptabilité. En effet, celle-ci est rendue difficile par le peu de transparence du développement. Le débat a été mal engagé, et mal anticipé. De même que pour les médicaments et les vaccins, les positions qui se sont exprimées sont largement idéologiques. Ainsi, ce matin à la radio, StopCovid était évoqué en même temps que l'application très intrusive développée par le Qatar. Ce type d'amalgame entraîne un risque de confusion pour les citoyens, d'autant que le débat est nécessairement technique, et exige donc une certaine pédagogie.

Enfin, l'application arrive trop tard, et les citoyens n'en perçoivent plus la nécessité. Ils risquent ainsi de ne pas beaucoup la télécharger. Par ailleurs, l'application poursuit plusieurs objectifs à la fois. Elle cherche à tirer parti de l'agrégation et de la centralisation des données dans une perspective épidémiologique, tout en souhaitant responsabiliser les citoyens, par un traçage massif, mais sans utilisation des données personnelles. Il existe par ailleurs des difficultés d'articulation entre les différents services de l'État (Santé Publique France, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris [AP-HP]) qui ont tous développé des applications.

L'utilité de StopCovid est aléatoire du fait de ce retard. Le succès des pays à endiguer l'épidémie est en effet lié à la précocité de la mise en place d'un confinement. La Grèce, en raison des faiblesses de son système de santé, a confiné sa population très tôt, et présente aujourd'hui de faibles taux de mortalité. La Suède, qui n'a pas confiné sa population, présente un taux de 400 décès par million d'habitants, alors que celui du Danemark est quatre fois moindre. Il aurait donc fallu disposer de l'application dès le début du confinement, comme a tenté de le faire La Réunion. Comme la seconde vague de la pandémie semble moins importante que prévue, l'application arrive après la bataille.

Il existe des leçons à tirer pour le futur, notamment en cas d'une reprise de l'épidémie à l'automne. Il est en effet possible que la Covid-19 devienne un phénomène saisonnier, à l'instar de la grippe. En cas de nouvelle attaque, il sera important d'utiliser les outils numériques, et plus largement, de penser l'utilisation de ces outils face à des risques systémiques. Cela suppose cependant de repenser la conception de telles applications, en assurant la transparence du processus, et l'articulation du travail des experts techniques, politiques et sanitaires. Il convient également de lancer des projets parallèles, plutôt que de développer un seul outil prétendant traiter de toutes les dimensions de la question.

Il faut aussi se confronter au problème technique. Tout le monde ne possède pas un smartphone. La fabrication de jetons connectés apparaît ainsi essentielle pour éviter de laisser de côté une part de la population. Enfin, une application numérique exige des infrastructures, ce qui soulève la question de la couverture numérique.

M. Anne Canteaut, directrice de recherche à l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA). - Je vous remercie de votre invitation.

Je suis directrice de recherche à l'INRIA, notamment en sécurité informatique. Je m'intéresse donc avant tout aux risques de l'application StopCovid. Il n'est pas concevable de mettre sur le marché un médicament sans en avoir étudié les effets secondaires, et il en va de même pour les applications. Deux types d'effets secondaires indésirables peuvent être distingués. Le premier est évident, et est lié à la protection des données personnelles. Le deuxième, moins évoqué, est celui de leur utilisation éventuelle par des acteurs malveillants.

Pour éviter que des données personnelles soient divulguées, il convient de se poser deux questions. Tout d'abord, que peuvent apprendre sur les utilisateurs les autorités de santé, ou leurs sous-traitants ? Avec le protocole choisi pour StopCovid, ces acteurs pourront établir une liste de personnes qui auront été en contact avec un malade au cours des quatorze derniers jours. Cette liste n'est pas nominative, mais n'est pas non plus anonyme. Les informations sont pseudonymisées. Cette distinction est importante d'un point de vue technique comme juridique. Le règlement général sur la protection des données (RGPD) souligne que des données pseudonymisées doivent être considérées comme des informations concernant une personne identifiable, avec des informations supplémentaires.

Dans le cas de StopCovid, les utilisateurs devront se connecter régulièrement au serveur central, pour savoir s'ils ont été en contact avec un malade. S'ils se connectent en utilisant la 4G ou le Wi-Fi, ils révéleront leur adresse Internet Protocol (IP), qui permet de les identifier. En pratique, ce serveur central disposera donc de toutes les informations nécessaires pour établir l'identité de ses utilisateurs. De même, il pourra reconstituer des informations sur leurs interactions, et notamment savoir que deux personnes se rencontrent régulièrement. C'est la raison pour laquelle dans un pays non démocratique, il s'agirait d'un outil très puissant de surveillance de masse, comme l'expriment du reste clairement les auteurs du protocole.

Nous sommes dans un pays démocratique et nous pouvons donc imaginer être à l'abri de ce genre de risques. Néanmoins, ce problème est beaucoup plus général, car avec une application de traçage numérique, chaque utilisateur peut savoir si une personne de son entourage tombe malade. La communauté de la sécurité informatique utilise le terme « d'attaque des paparazzis » pour désigner ce phénomène. En effet, ces outils leur permettraient de savoir si telle ou telle vedette tombe malade. Il est donc à la portée de tous de savoir que son voisin a été contaminé. Cela peut sembler anecdotique, mais peut accentuer des phénomènes de stigmatisation. Mais surtout, si de nombreux paparazzis amateurs unissent leurs forces, ils peuvent constituer des fichiers de malades. Ceux-ci pourront être utilisés de manière illicite, par exemple en les revendant à des compagnies d'assurance.

Néanmoins, il est également possible de nuire à quelqu'un sans savoir s'il est malade. Quelqu'un de mal intentionné pourra forcer un concurrent à se mettre en quarantaine quelques jours, en lui faisant croire qu'il a été en contact avec un malade. Il est en effet aisé de déclencher de fausses alertes. De même, il est possible de faire fermer une entreprise quelques jours, en relayant des pseudonymes de malade à proximité de ses locaux. La plupart de ses employés recevront alors une notification leur indiquant qu'ils ont été en contact avec un malade, et devront être placés en isolement. Ces scénarios sont plausibles, et relativement faciles à mettre en oeuvre.

Avec des moyens de plus grande ampleur, par exemple ceux du crime organisé ou d'un État hostile, des alertes pourraient être envoyées à une grande partie des Français, et paralyser le pays, ou semer la confusion pendant quelques jours.

Ces potentielles utilisations malveillantes du système sont souvent oubliées lorsque sont envisagés les effets secondaires de l'application. Je ne dis pas que le travail des concepteurs de son protocole est de mauvaise qualité. Néanmoins, le modèle dans lequel ils s'inscrivent est désigné en sécurité informatique par les termes « honnête, mais curieux ». Le protocole aura donc une résistance raisonnable lorsque les utilisateurs sont honnêtes. Mais sa sécurité va se dégrader considérablement si les acteurs sont malveillants. Il n'a en effet pas été conçu pour faire face à ces risques.

L'utilisation de StopCovid peut donc avoir des effets secondaires importants. La question est donc de savoir si son bénéfice sanitaire est suffisant pour justifier ces risques. Nous n'avons pas eu accès à l'intégralité des données, puisqu'une grande partie du code n'a été disponible qu'hier après-midi. L'analyse de risque n'est donc pas complète, mais nous disposons de suffisamment d'éléments pour en avoir une bonne compréhension.

La partie difficile réside dans l'évaluation du bénéfice sanitaire. La pertinence des contacts enregistrés par la technologie Bluetooth n'est pas évidente d'un point de vue épidémiologique. Cette technologie ne permet en effet pas de savoir si les utilisateurs étaient séparés par un mur, s'ils se tournaient le dos, ou s'ils portaient un masque. Les contacts pertinents vont donc être mêlés à de nombreuses fausses alertes. Il n'existe du reste pas de consensus quant à la pertinence des contacts qui seront enregistrés. Les autorités sanitaires britanniques envisagent ainsi une application qui devra être désactivée lorsque les utilisateurs portent un masque. Or, le cas d'usage principal évoqué en France est celui des transports en commun, où le port du masque est obligatoire.

Un grand flou demeure donc en ce qui concerne le bénéfice sanitaire de l'application. J'espère que l'éclairage de collègues épidémiologistes, ainsi que les tests qui seront réalisés vous permettront de mettre en balance ses bénéfices avec ses effets secondaires indésirables.

Mme Laure Darcos. - Beaucoup d'entre nous sont encore partagés vis-à-vis de cette application. Je crois que les clivages transcenderont les groupes politiques. Les membres de l'OPECST sont également divisés sur cette question.

Je vous remercie pour les réserves que vous avez exprimées, qui sont notamment liées au problème de la souveraineté numérique. Nous avons été mis au pied du mur par cette crise sanitaire, mais il y a urgence pour que nous trouvions des systèmes où nous ne soyons pas obligés de faire appel aux GAFAM.

Je veux bien croire la CNIL, qui a donné un deuxième avis positif. Néanmoins, je suis gênée par le fait que l'utilisation de cette application repose sur le volontariat. Puisqu'ils sont volontaires, les utilisateurs seront sans doute plus prudents que ceux qui ne l'utilisent pas. Je ne comprends par ailleurs pas pourquoi il n'existe pas de connexion avec les brigades sanitaires, ni pourquoi cette application ne serait pas utilisée pour modéliser l'épidémie, récupérer des données, et localiser de nouveaux foyers. Je trouve frustrant que nous puissions ainsi disposer de l'information, sans pouvoir la traiter.

Il existe également des problèmes de gouvernance considérables entre les différentes expertises (Conseil scientifique, Académie de médecine, Haut conseil de la santé publique, Haute autorité de santé, etc.). Chacun a ses propres repères et alarmes par rapport au virus. L'idée à l'origine de cette application était donc bonne en soi, mais je comprends très bien les réticences de l'INRIA.

Partagez-vous cette même frustration ? Par ailleurs, si la crise perdurait, ne serait-il pas souhaitable d'essayer de relier les données collectées par l'application à celles des organismes de santé ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je précise que la CNIL a donné son accord, sous réserve qu'un certain nombre de conditions soient remplies.

M. Pierre Ouzoulias. - Je suis chercheur au CNRS, et historien. Dans ce cadre, j'ai travaillé sur certaines épidémies de l'Antiquité et du Moyen Age. Les sociétés de cette époque se servaient d'une application très utile, la crécelle, notamment pour les lépreux et les pestiférés.

Je vous remercie pour la clarté de vos propos, qui nous permettent de comprendre que nous sommes encore dans une phase de tâtonnement, tant d'un point de vue déontologique que technique. Je partage totalement les propos de ma collègue Laure Darcos. La CNIL a donné son accord, sous réserve de la mise en place d'un certain nombre de dispositions techniques lourdes, dont je doute qu'elles puissent être intégrées à l'application avant son lancement le 2 juin 2020.

L'avis de la CNIL souligne notamment que l'utilisation de la technologie Bluetooth rend l'application probabiliste. Le Bluetooth ne permet pas de définir précisément la distance entre deux téléphones. L'application utilise alors un algorithme probabiliste pour établir qui pourrait être à moins d'un mètre, et l'environnement du téléphone n'est pas du tout pris en compte. L'application pourra ainsi considérer que j'ai été en contact avec un malade derrière un mur.

Par ailleurs, M. Cédric O a précisé à l'OPECST que les négociations avec Google et Apple avaient échoué. L'application ne peut donc utiliser le protocole Bluetooth, comme le font celles qui sont validées par ces deux entreprises. La CNIL a également souligné que, pour être efficace, l'application doit être activée en permanence. Or cela est fortement déconseillé par les constructeurs des appareils, en raison d'un important risque de piratage. Des cas de réception d'images non désirées ont ainsi été constatés au Japon. L'incapacité d'obtenir d'Apple et de Google des précisions techniques a obligé à soumettre cette application à des risques de piratage très élevés. La confiance de l'utilisateur est indispensable, il est donc essentiel de lui garantir que l'application ne puisse être piratée. J'aimerais votre avis sur ce point.

M. Pierre-Jean Benghozi. - Je partage le diagnostic de Mme Laure Darcos sur la conduite du projet. Néanmoins, il est préférable de disposer d'outils spécifiques, plutôt que des outils universels, mais moyens en tout. L'une des difficultés dans le développement de StopCovid tient à ce que l'application est destinée à jouer à la fois un rôle épidémiologique et de responsabilisation des utilisateurs. C'est la raison pour laquelle le choix d'architecture de StopCovid se démarque de celui des autres pays européens, ce qui a provoqué une première fracture. Il est très naturel de vouloir se servir des données collectées dans une perspective épidémiologique. Néanmoins, cet objectif entre en contradiction avec la protection des données, et avec celui de responsabilisation des utilisateurs.

Par ailleurs, une coordination minimale entre les acteurs est indispensable. Ce type d'application suppose une articulation constante entre les choix techniques, sanitaires, et politiques. La question du Bluetooth n'est ainsi pas seulement technique. L'application doit-elle se déclencher après un contact d'une minute ou de dix minutes avec un malade ? Le masque doit-il être pris en compte ? Ce sont des questions qui supposent une articulation étroite du sanitaire et du politique.

Enfin, il n'est pas possible de penser StopCovid indépendamment des autres initiatives prises. Or toutes l'ont été indépendamment les unes des autres. Cela pose des problèmes quant à la légitimité et à l'efficacité de l'application.

Mme Anne Canteaut. - La question de l'articulation avec les brigades sanitaires est importante, mais je ne suis pas en mesure d'y apporter une réponse. Il faut évidemment que les données de StopCovid soient articulées avec le reste du dispositif sanitaire. La manière dont elles le seront avec les fichiers Contact Covid et Service intégré de dépistage et de prévention (SIDEP) demeure néanmoins obscure. Dans l'architecture globale du système, une flèche part de l'application vers le fichier SIDEP, qui n'est pas anonyme. Cela pose question quant aux possibilités d'identification des malades. Je ne comprends pas ce que signifie cette flèche, le code ne disant rien de cette articulation. Il est délicat d'articuler un dispositif comme StopCovid, qui est censé ne pas révéler d'informations sur l'identité des malades, avec le fichier SIDEP, qui contient des informations nominatives.

Je partage pleinement ce qu'a dit M. Pierre-Jean Benghozi. Avec la technologie choisie, il n'est pas possible d'utiliser cette application dans une perspective épidémiologique. En effet, elle ne collecte pas d'informations de géolocalisation. Sauf à croiser des fichiers, et à se livrer à des utilisations qui ne sont pas prévues pour l'heure, StopCovid ne permettra pas d'obtenir des informations statistiques sur la progression de l'épidémie. Le discours autour de l'application souffre ainsi d'ambiguïté. Les médecins souhaitent obtenir ces données, mais l'application, si elle est conforme à ce qui a été annoncé, ne pourra pas les leur donner.

Il existe par ailleurs des risques de piratage importants, notamment parce que l'application oblige à conserver son Bluetooth ouvert en permanence. Il en aurait du reste été de même si son protocole avait été compatible avec Google et Apple. Or le Bluetooth constitue une faille de sécurité très importante, inhérent à l'utilisation de cette technologie.

Enfin, le questionnement autour de la souveraineté numérique est légitime. Ce dispositif sanitaire utilise nos téléphones, dont les systèmes d'exploitation sont conçus par Apple et Google. Nous sommes donc d'une certaine manière aux mains de ceux-ci, car ils peuvent choisir le meilleur protocole pour ces applications. Il serait positif que ce débat permette de traiter la question de la souveraineté numérique de manière plus générale.

Dans les textes récemment votés, il est prévu que les fichiers SIDEP et Contact Covid enrichissent le Health Data Hub, dont les données sont hébergées par un prestataire non européen. La CNIL s'en est du reste inquiétée dernièrement. La question de la souveraineté numérique se pose sans doute de façon plus importante en la matière que pour StopCovid.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je rappelle que le Health Data Hub a été confié à Microsoft.

M. Stéphane Piednoir. - Je suis également membre de l'OPECST. Nous avons eu l'occasion d'examiner la mise en place de cette application. Bien que professeur de mathématiques, je ne vais en la circonstance pas faire l'éloge de la perfection, mais de l'utilité. Nous savons que cette application ne résoudra pas l'épidémie, notamment en raison du décalage dans le temps que vous évoquiez. Mais si elle peut permettre d'identifier quelques cas, et d'éviter quelques hospitalisations et quelques décès, nous devons accepter un certain nombre de défauts.

Vos deux notes présentent différents scénarios, dont certains me semblent invalidés. Tout d'abord, la durée de contact entre deux personnes a été fixée à un quart d'heure, à une distance d'un mètre. Cela met fin au fantasme du voisin passant devant une boîte aux lettres avec un faux traceur. Par ailleurs, une durée de stockage des données a été définie, selon les recommandations de la CNIL. Elle sera très limitée, de l'ordre d'une semaine, ou de quinze jours au maximum. Ces deux paramètres doivent être pris en compte dans le jugement porté sur cette application. Celle-ci ne nous trace pas davantage que les utilisations quotidiennes de Google et d'Apple.

De même, nos attentes vis-à-vis des fichiers peuvent être contradictoires. Il est ainsi demandé que certains soient davantage déployés, tels que le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles et violentes (FIJAIS). Cela a fait récemment l'objet d'un débat au Parlement. Or dans le même temps, le développement d'autres fichiers est réprouvé.

Je vous invite par ailleurs à consulter les conclusions de la mission d'enquête sur la souveraineté numérique menée par M. Gérard Longuet l'année dernière. Elle a fait la lumière sur un certain nombre de questions, et en partie sur le secret défense.

M. Jean-Pierre Leleux. - Je reste circonspect devant ce projet d'application. Madame Anne Canteaut, vous avez évoqué deux types de risques, dont celui, peu traité, des utilisations malveillantes. Vous avez notamment abordé la notion de modèle « honnête, mais curieux ». N'y a-t-il pas un risque à sous-estimer ces risques d'utilisations malveillantes ? Le premier type de risque devrait être mieux encadré par la CNIL, mais ce deuxième type devrait être davantage pris en compte.

Une application totalement étanche est-elle envisageable en théorie ? De plus, quel est le taux de téléchargement qui pourrait assurer l'efficacité du dispositif ? Enfin, ce dispositif n'est-il pas un test pour le Gouvernement, pour préparer des projets futurs ?

M. Claude Malhuret- J'ai lu vos deux notes, qui me semblent beaucoup plus critiques que vos interventions du jour. Sur la question de l'absence de transparence du développement de l'application, le Gouvernement a annoncé que son code serait en open source. Je n'imagine par ailleurs pas que la CNIL ait pu donner son avis sans en disposer. Qu'en est-il ?

Par ailleurs, j'ai cru comprendre qu'il n'était pas possible de notifier soi-même sa contamination sur l'application, mais que la participation d'un médecin était nécessaire. Cela devrait constituer un verrou contre les utilisations malveillantes.

De plus, votre critique de l'application est-elle liée à l'utilisation du système Robust and privacy-preserving proximity tracing (ROBERT), ou vise-t-elle tous les systèmes ? J'ai souligné auprès de M. Cédric O que le système centralisé posait problème. Il a néanmoins répondu qu'il serait géré par une institution indépendante du Gouvernement. Je ne savais cependant pas que les données étaient opérées par Microsoft, ce qui est un problème. Par ailleurs, M. Cédric O a précisé que le système Decentralized privacy-preserving proximity Tracing (DP-3T) conservait les données sur chacun des smartphones, ce qui pose des questions de sécurité bien supérieures à celles d'un serveur centralisé.

Nous devons prendre une décision ce soir. Quelle est votre recommandation ? Devons-nous utiliser le système ROBERT, en considérant que la version sera améliorée par la suite ? Faut-il admettre que la France s'est trompée, et que le système DP-3T est préférable ? Ne faut-il utiliser que des moyens traditionnels, tels que les brigades sanitaires ?

M. André Gattolin. - Je retiens les deux types de risques que vous avez évoqués, à commencer par les attaques réputationnelles. Il s'agit d'un sujet grave, mais qui ne concerne pas uniquement cette application. J'échangeais récemment avec mon opticien, qui a fait l'objet d'une attaque réputationnelle, vraisemblablement initiée par ses concurrents, et qui a failli lui faire fermer boutique. Certains usages de l'expérience utilisateur sur les sites soulèvent ces mêmes problèmes. Nous aurions peut-être matière à renforcer les recours juridiques réels. Les grands acteurs ont les moyens de se défendre, mais les particuliers ou les petits commerçants sont très peu protégés.

Vous avez également évoqué la possibilité d'un vol massif de données. Ce risque n'est pas nouveau. Lors d'une réunion informelle avec les responsables de la sécurité extérieure française en matière de numérique, ceux-ci déploraient que soient insuffisamment pris en compte les innombrables données aspirées par la Chine. Ce risque est réel. Au-delà du renseignement, celle-ci a besoin de données sur le plus gros marché mondial, qui est le marché européen, pour alimenter son deep learning.

Il apparaît nécessaire de déterminer l'apport d'une telle application, par rapport à l'ensemble des outils dont nous disposons par ailleurs. Se pose aussi la question du bénéfice social. En démocratie, la confiance est importante, tout comme la demande populaire, en ces temps de peurs généralisées. Les sondages peuvent apparaître contradictoires. Une majorité de Français est contre une application obligatoire, mais une forte majorité est favorable à une application sur la base du volontariat. Nous sommes dans une expérimentation, limitée dans le temps, et dans le volume d'utilisateurs. Ne sera-t-il pas utile d'analyser a posteriori ses effets ? Nous faisons déjà face à de nombreux risques réputationnels, que nous n'étudions que très peu. Il existe aujourd'hui une demande sociale très forte pour lutter contre la pandémie. Est-ce que le jeu en vaut la chandelle, ou le nombre peu élevé d'utilisateurs condamnera-t-il l'application ?

Mme Mireille Jouve. - Si ce type d'application peut permettre, avec une opérabilité variable, de prévenir une potentielle chaîne d'infection, la question de sa pertinence se pose tout de même, dans la mesure où elle repose sur un support qui n'est pas familier pour les populations les plus à risque face au Covid-19, à savoir nos aînés. Comment éviter cet écueil ?

Par ailleurs, le Bluetooth communique efficacement dans un rayon de près de dix mètres. Vous indiquez, monsieur Pierre-Jean Benghozi, que le fait d'isoler des personnes situées à seulement deux ou trois mètres peut provoquer un certain nombre d'incertitudes, liées aux différents usages. Auditionné hier par la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Cédric O a estimé que 75 % à 90 % des utilisateurs situés à plus ou moins un mètre du malade seront repérés par l'application. Estimez-vous cet ordre de grandeur pertinent ?

Mme Sylvie Robert. - La presse a fait quelques raccourcis en affirmant que la CNIL avait donné son feu vert. L'avis qu'elle a rendu témoigne en effet d'un certain nombre de réserves. Singulièrement, sur le droit d'opposition à l'effacement des données, elle demande que le décret soit modifié en conséquence. Entre les deux avis, un certain nombre de réserves ont été levées. Je songe notamment à la notion de responsabilité du traitement pour le ministère de la santé. Néanmoins, au-delà de l'utilité de l'application, de son acceptabilité, ou de son décalage temporel, se pose la question des mineurs. Je souhaiterais connaître votre point de vue en la matière. L'usage de cette application par les mineurs exige-t-il le consentement des parents ? Les réactions des mineurs s'ils reçoivent une notification peuvent grandement varier. Seront-ils responsables de leur propre attitude, et se signaleront-ils à leurs parents ? Ces questions ne doivent pas être écartées.

Par ailleurs, l'avis de la CNIL a demandé que l'intégralité du code source soit indiquée dans le décret. Il s'agit d'un véritable enjeu en termes de transparence.

M. Laurent Lafon. - Au-delà de StopCovid, je souhaiterais vous demander quelles seraient les conditions nécessaires pour qu'une application de ce type fonctionne. Les deux types de risques que vous avez identifiés pourraient-ils être largement limités avec davantage de temps ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je rappelle que les données de StopCovid seront amenées à rejoindre celles du Health Data Hub. L'article 6 de la loi d'urgence sanitaire que nous avons votée il y a quelques jours rendra possible une collecte généralisée des données liées à l'épidémie.

M. Pierre-Jean Benghozi. - Le nombre de 60 % d'utilisateurs dont faisait état l'étude d'Oxford ne correspond pas à grand-chose. Nous avons refait les modélisations, et nous nous sommes aperçus que l'utilisation de cette application produisait un effet significatif même avec un nombre limité de téléchargements. La fiabilité est liée au carré du nombre d'utilisateurs, et il n'est donc pas nécessaire d'atteindre 60 % pour qu'elle soit satisfaisante.

Je souscris par ailleurs entièrement à l'idée qu'une expérimentation peut être précieuse. Dans le domaine de l'innovation, le produit n'est jamais parfait à la première tentative. Les développeurs lancent souvent des produits imparfaits, car ils n'ont pas le temps d'attendre la perfection. Cela suppose naturellement de limiter les risques. Si nous attendons le produit parfait, nous risquons de verser dans le syndrome de la ligne Maginot, et de répondre aux questions de la guerre précédente. L'efficacité de l'application est effectivement moindre aujourd'hui que si elle avait été lancée plus tôt, mais elle n'est pas nulle.

Certains risques sont liés au numérique, et d'autres à des stratégies de malveillance, comme pour l'attaque des paparazzis. La question du risque est verrouillée par l'articulation avec le système de santé. L'utilisation se fait en trois étapes : le téléchargement et le paramétrage ; le fonctionnement en continu ; l'interface avec le système de santé pour réaliser un test en cas de risque de contamination et pour faire remonter les informations. L'utilisation d'un code QR, ou la déclaration réalisée par un professionnel de santé produit ainsi un effet de verrouillage.

Sur les aspects d'attaque numérique, le risque supplémentaire qu'apporte StopCovid est relativement faible au regard de ceux auxquels nous faisons déjà face. Les opérateurs de télécommunication disposent aujourd'hui déjà de l'intégralité de nos informations. La police est du reste parfaitement capable de les utiliser pour localiser des individus. De même, les banques disposent de nombreuses informations. L'arbitrage entre les coûts et les bénéfices relève donc de choix politiques et individuels. Si je souhaite que le moteur de recherche que j'utilise soit efficace, je suis obligé de lui donner des informations sur mes centres d'intérêt. De même, si je souhaite acheter un livre sur Amazon, des suggestions me seront faites en fonction de mes recherches précédentes. Nous sommes donc constamment contraints d'opérer cet arbitrage entre l'ampleur des informations que nous acceptons de divulguer et l'efficacité.

À un autre niveau, ce type d'application numérique soulève la question de la limitation des risques. Le développement de StopCovid a souffert d'une certaine absence de transparence, liée au besoin de rapidité. Travailler au grand jour aurait sans doute été plus efficace en matière d'acceptabilité, mais également en ce qui concerne la capacité de définir collectivement des objectifs. Nous ferons vraisemblablement face à d'autres risques systémiques dans le futur et il serait absurde de nous couper des potentialités du numérique pour ce type de raison.

Je ne pense pas qu'il existe des applications parfaitement étanches. Nous ferons toujours face à cet arbitrage entre l'ampleur des informations que nous souhaitons divulguer et l'efficacité. Des choix devaient être faits, et c'est tout l'honneur de la France que d'avoir dès le début refusé les solutions de géolocalisation. En effet, celles-ci auraient sans doute été plus précises, mais les risques en termes de libertés publiques auraient été dramatiquement plus importants, même si tout un chacun utilise quotidiennement des applications de géolocalisation.

J'ignore si la CNIL disposait de l'intégralité du code au moment de rendre son avis. Bien que je sois membre du comité de prospective de la CNIL, nous ne nous sommes pas réunis sur cette question. Je pense spontanément que la CNIL a travaillé sur des éléments partiels d'architecture. Mais je crois que le code n'est pas complètement finalisé, aussi l'avis n'a pu être donné sur une version définitive. Néanmoins, la CNIL a sans doute pu évaluer les grandes orientations.

Dans le cadre du modèle DP-3T, je n'ai accès qu'aux éléments partiels contenus par chacun des smartphones, mais je n'ai pas accès depuis le mien à l'ensemble des données des personnes que j'ai rencontrées. J'enverrai ces éléments partiels à un système central qui sera en mesure de me dire s'ils témoignent de contacts présentant un risque. Je n'ai donc sur mon téléphone que les traces des échanges que j'ai eus.

La solution DP-3T me semblerait quoi qu'il en soit préférable. Je pense que l'architecture ROBERT présente des limites, en particulier sur l'interopérabilité européenne. Il n'est pas possible de porter un discours très favorable à l'intégration européenne et choisir un protocole différent dès qu'une décision un peu concrète doit être prise. Les seuls à avoir fait le même choix que nous sont les Anglais, qui viennent de quitter l'Union européenne. Il sera ainsi difficile de demander à l'ensemble des citoyens européens qui arriveront sur notre territoire de télécharger une application spécifique.

Je pense qu'en termes de bénéfice social, il existe un effet de valeur d'option du volontariat. Il vaut mieux démarrer doucement, en étant conscient des limites de l'application. Si les citoyens ne la téléchargent pas, nous devrons en tirer des leçons pour le futur. Il ne s'agit pas d'un simple problème individuel, la question posée est également celle de la protection des autres. Il existe certaines populations à risque, pour lesquelles cette qualité de suivi du risque sanitaire sera particulièrement importante, y compris à l'intérieur des établissements. Un malade arrivant à l'hôpital sera conduit en différents lieux (scanners, examens biologiques, radio, etc.). L'identification des risques que peuvent présenter ces déplacements est d'une grande utilité.

Le choix du Bluetooth ne peut être une décision purement technique, mais doit être réalisé en partenariat avec les acteurs sanitaires. C'est ainsi que pourra être établi que le critère pertinent est un contact de dix minutes à moins de cinq mètres, ou une minute à moins d'un mètre, par exemple. La détection du Bluetooth est fiable à quelques dizaines de centimètres, mais peut également aller bien plus loin en l'absence de murs.

La question des mineurs est très importante, surtout pour ceux qui ont des téléphones. Elle soulève des problèmes de prescription et d'alerte. Je ne l'ai cependant jamais vue évoquée dans la presse. De même, se pose le problème miroir des personnes âgées ou fragiles, ou qui n'ont pas de téléphone. Il existe des solutions techniques, par exemple des jetons connectés. Elles ne disposent pas nécessairement de capacités de stockage, mais dans le cadre d'une solution centralisée, l'identification permet de remonter au niveau central, et d'intégrer les possesseurs des jetons dans le système. Il n'est cependant pas certain qu'il serait possible de produire massivement ces équipements s'ils devaient être déployés. J'en doute fortement, car leurs constructeurs ont signalé qu'il était possible d'en produire plusieurs dizaines de milliers, mais pas nécessairement davantage.

Mme Anne Canteaut. - Deux de vos questions faisaient valoir que les risques n'étaient pas si graves, puisque nos données sont déjà divulguées et disponibles. Je suis heureuse que ce débat permette de mettre en lumière la question de la protection des données personnelles. Mais mon travail est d'identifier les risques, et de déterminer s'il est possible de les éviter, à l'instar de ceux qui rédigent les notices des médicaments. Le risque présenté par le fait que Google connaisse mon profil à partir de mes recherches n'est pas comparable au fait que mon voisin ou mon futur employeur puisse déterminer si je suis malade. Il n'est pas possible de balayer ces problèmes. L'usage de cette application se fera sur la base du volontariat. Pour qu'existe un réel consentement, les utilisateurs doivent être informés des risques.

Une application totalement étanche n'est évidemment pas envisageable. Mais la plupart des risques évoqués ne sont pas propres à StopCovid, ou liés au protocole ROBERT. Ils sont inhérents au concept même de traçage de contact numérique. Il existe des protocoles pour lesquels les risques sont plus importants que d'autres, mais il s'agit de nuances de second ordre. Il convient donc d'identifier précisément ce qu'il ne sera jamais possible d'éviter, et de se demander si l'on est prêt à assumer ce risque. Par ailleurs, StopCovid n'est pas une application idéale. Elle peut souffrir de bugs, et c'est la raison pour laquelle il est important que le code source puisse être consulté et soumis à des tests.

En outre, il convient de déterminer dans quelle mesure l'application se rapproche de cet idéal. Les circonstances de déploiement de cette application sont particulièrement difficiles. Dans mon domaine, avant de définir un nouveau standard en cryptographie, les solutions sont analysées par la communauté. Ce processus dure en général cinq ans. Pour StopCovid, il aura duré un mois et demi. Des bugs et des trous de sécurité subsisteront donc nécessairement, en raison des circonstances du développement et indépendamment de la qualité des développeurs.

J'ignore si la CNIL a eu accès au code source. J'ai pour ma part pu consulter le code source public, dont une grande partie n'est arrivée qu'hier à 16 heures. Il est donc difficile de se prononcer en si peu de temps. Certaines parties importantes du point de vue de la sécurité sont néanmoins notées comme étant encore à faire. Le point 41 de l'avis de la CNIL indique ainsi que la transmission des cas contacts d'une personne infectée se fera sans qu'il soit possible de relier l'historique des contacts transmis à la personne infectée. Pour ce faire, un mix network est nécessaire. Il s'agit d'un canal anonyme, qui empêche de relier le téléphone de l'utilisateur qui envoie ces cas contacts avec ceux-ci. Ce mix network, à 9 heures ce matin, était encore à faire. Or d'un point de vue informatique, cette opération n'est pas du tout aisée, et peut avoir des conséquences sur la sécurité.

Par ailleurs, sur la question des fausses alarmes, M. Claude Malhuret a précisé qu'un utilisateur ne pourra pas lui-même se déclarer malade dans l'application. Le protocole prévoit qu'un professionnel de santé puisse attester de la contamination. Néanmoins, il n'existe pas de lien entre les cas contacts transmis et l'identité de la personne malade. Le protocole prévoit que le professionnel de santé génère un code, qu'il donnera au malade. Celui-ci le rentrera alors dans ce téléphone. Mais ce code n'est pas lié à l'identité du malade. Dès lors, il n'est pas certain que ce soit effectivement celui-ci qui s'en servira. Un malade pourra donner son code, ou le vendre à quelqu'un qui aura envie de nuire. Un marché noir de ces codes pourrait alors émerger. La façon dont cette application s'articulera avec le reste du système sanitaire est donc essentielle. Elle est cependant difficile à saisir, car le code rendu public n'en témoigne pas réellement. De nombreuses failles de sécurité viendront de cela et seront difficiles à détecter.

Enfin, la question du taux de téléchargement à partir duquel l'application est utile a été évoquée à plusieurs reprises. Je n'ai pas de connaissances en épidémiologie pour y répondre. Mais le taux de téléchargement n'a pas de sens. Ce qui importe, c'est le taux d'utilisation. À Singapour, l'application a été largement téléchargée, mais peu l'ont utilisée. Ce taux d'utilisation sera par ailleurs difficile à obtenir.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous remercie. Nous aurons un débat ce soir sur ces questions, aussi était-il important que la commission soit bien renseignée. Nous vous présentons tous nos encouragements pour vos travaux.

Conséquences de l'épidémie de Covid-19 - Travaux des groupes de travail sur les secteurs « Jeunesse et vie associative » et « Action culturelle extérieure » - Communications (en téléconférence)

1) Jeunesse et vie associative

M. Jacques-Bernard Magner. - Le groupe de travail « jeunesse et vie associative » est composé de Mme Céline Boulay-Espéronnier, M. Olivier Paccaud, Mme Dominique Vérien, et moi-même. Nous avons procédé à une série d'auditions autour de trois thématiques : la situation sociale et économique du milieu associatif ; les conséquences du Covid-19 sur le service civique ; la mise en place de colonies de vacances studieuses annoncées par le Gouvernement, afin d'accompagner les enfants à la suite du confinement.

Le milieu associatif est un secteur social et économique de premier rang : les associations participent pleinement à l'animation de nos territoires et au développement du lien social. Il s'est pleinement mobilisé pour faire face à la crise, contribuant ainsi à la résilience des territoires.

Mais, et c'est une dimension trop souvent oubliée, le secteur associatif représente un acteur économique non négligeable. Près de 1,8 million de personnes travaillent ainsi dans les associations, soit un salarié du secteur privé sur dix, pour des emplois non délocalisables. À titre de comparaison, le secteur du tourisme, pour lequel le Gouvernement vient d'annoncer un plan de relance de 1,3 milliard d'euros, représente environ 2 millions d'emplois directs et indirects. Nous sommes donc sur des ordres de grandeur proches.

Or, comme dans de très nombreux autres domaines, les conséquences économiques sont importantes. Près de 70 % des associations ont déposé une demande de chômage partiel, près de 30 % des associations employeuses disposaient début avril de moins de trois mois de trésorerie, 81 % des associations ont été contraintes d'annuler des évènements importants, et les deux tiers d'entre elles ont même mis l'intégralité de leurs activités en sommeil.

Toutefois, le groupe de travail a pu constater que la spécificité du secteur associatif n'était pas toujours bien prise en compte dans les mesures de soutien de l'économie. Je prendrai l'exemple de l'accès au fonds de solidarité. Il permet normalement à toute entreprise, dont les associations, de disposer d'une aide financière si elle a fait l'objet d'une interdiction d'accueil au public, ou a subi une perte de 50 % de son chiffre d'affaires en mars 2020 par rapport à mars 2019. Mais en fonction des interprétations faites par les services régionaux des finances publiques, certaines associations se voient refuser l'accès à ce dispositif, au motif qu'elles ne payent pas d'impôts commerciaux. Dans d'autres cas, il leur est demandé leur identifiant fiscal, alors qu'une association à but non lucratif n'en possède pas. Or ce refus ferme l'accès à ce fonds de solidarité, mais également à des fonds régionaux, qui s'appuient sur le fonds national en termes de critère d'éligibilité. Il faut être éligible au fonds national pour pouvoir disposer d'une aide supplémentaire de la part des régions.

Au moment où la crise sanitaire a éclaté, quelque 60 000 jeunes étaient en train d'effectuer une mission de service civique. Afin de ne pas ajouter de la précarité pour ces jeunes en plus de l'incertitude, l'agence du service civique a demandé aux structures de maintenir les contrats. Pour sa part, elle a maintenu le versement des indemnités. Cette démarche a contribué à la grande créativité et à l'innovation dont ont fait preuve tant les jeunes que les structures pour continuer les missions. Outre la poursuite de certaines missions sous d'autres formes, quelque 26 000 jeunes ont été redéployés sur des missions de terrain.

En outre, le service civique a été un acteur essentiel de la réserve civique, puisque sur les 350 000 inscrits de cette dernière, 50 000 étaient des jeunes en service civique. Bénéficier d'une formation civique et citoyenne, avoir été formé par ses tuteurs à la notion d'intérêt général favorisent l'engagement. Enfin, cette crise a révélé un certain nombre de freins juridiques sur lesquels il convient d'agir.

En ce qui concerne le secteur du tourisme associatif et l'organisation des colonies de vacances « studieuses », le constat économique est également grave. 95 % des activités de classes vertes, et 85 % des accueils collectifs de mineurs sont à l'arrêt depuis mars. Les taux de chômage partiel atteignent 70 % des effectifs de grandes fédérations organisatrices de séjours pour enfants. De nombreux acteurs s'interrogent sur leur capacité de survie. En effet, le modèle économique de nombreux acteurs est construit autour d'une complémentarité entre classes vertes et accueils d'enfants pendant les vacances, ce qui leur permet de passer les mois de novembre à février.

Le taux d'inscription en colonies de vacances est en chute libre, en baisse de 40 % à 50 % par rapport à la même époque l'année dernière. Or les mois de mars à mai correspondent précisément à la période d'inscription. Je mentionnerai également un point qui peut avoir un effet négatif à moyen terme. Les formations de brevets d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA), les stages pratiques, ainsi que les jurys de diplôme n'ont pas pu avoir lieu ce printemps. Nous courrons donc le risque d'une pénurie d'encadrants à moyen terme.

Nous avons tous noté la volonté du Gouvernement de mettre en place des colonies de vacances studieuses. Or aujourd'hui, de très nombreuses questions demeurent. Les conditions sanitaires, la prise en charge du surcoût, les taux d'encadrement nécessaires, et le contenu de ces colonies de vacances studieuses. Il est plus qu'urgent de donner des indications claires sur l'ensemble de ces points. Cela contribuera d'ailleurs à rassurer et à convaincre les familles. Un certain nombre d'entre elles ont déjà dû mal à remettre leurs enfants à l'école, qui est pourtant un environnement familier. Qu'en sera-t-il des colonies ?

En outre, un travail partenarial, en lien avec les animateurs, les travailleurs sociaux et les associations est nécessaire pour convaincre les enfants et leurs familles de découvrir les colonies de vacances. La question budgétaire est loin d'être le seul frein. Les obstacles sont aussi culturels, cultuels, psychologiques, pour des questions d'encadrement ou de sécurité.

J'en viens maintenant aux quatorze préconisations du groupe de travail, regroupées autour de quatre axes. Les quatre préconisations du premier axe visent à prendre en compte la spécificité du secteur associatif :

- permettre aux associations non employeuses de bénéficier du report de charge et de l'accès aux fonds d'aide régionaux ;

- encourager les associations représentant les collectivités locales à signer une charte, afin d'inciter l'ensemble des collectivités à maintenir le versement des subventions promises si l'activité ne peut pas avoir lieu du fait de la crise sanitaire de Covid-19 ;

- réévaluer le Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA) dont les montants versés aux associations restent inférieurs à ceux précédemment alloués à travers la réserve parlementaire ;

- mettre en place un fonds de soutien interministériel pour les associations en grande difficulté financière.

Les préconisations du deuxième axe visent à garantir les moyens de redynamiser les colonies de vacances :

- inclure dans le plan de soutien au tourisme le secteur du tourisme associatif et prendre en compte ses caractéristiques ;

- indiquer rapidement aux professionnels du secteur les conditions sanitaires à respecter pour l'organisation des séjours de mineurs cet été.

Les préconisations du troisième axe visent à préparer l'immédiate après-crise :

- donner la possibilité juridique et les moyens budgétaires d'étendre de plusieurs semaines les contrats des jeunes en service civique qui le demandent, afin de permettre aux structures, en l'absence d'autres alternatives, de disposer de jeunes déjà formés, pour répondre aux besoins immédiats à la sortie du confinement ;

- reporter, en raison des difficultés d'organisation nées de la crise sanitaire, l'élargissement à l'ensemble des départements de l'expérimentation du service national universel (SNU) à 2021, et réallouer tout ou partie du budget dédié au service civique ;

- augmenter les moyens budgétaires du service civique en 2021, afin de pouvoir proposer un plus grand nombre de missions pour redonner confiance aux jeunes décrocheurs du système scolaire ou en difficulté d'insertion professionnelle en raison de la crise sanitaire. En effet, celle-ci aura des conséquences économiques et sociales importantes. Or le service civique a démontré son excellente capacité pour réinsérer professionnellement les jeunes. Une étude de mars 2020 de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP), sur les parcours de formation et d'insertion des jeunes en service civique, montre que 57 % des volontaires au chômage de longue durée et sans expérience professionnelle avant le début de leur mission n'étaient plus en recherche d'emploi six mois après sa fin ;

- récréer pour une période transitoire des emplois aidés, réservés au secteur associatif. Notre commission l'avait déjà proposé en 2017, dans le cadre d'un rapport intitulé « Réduction des emplois aidés : offrir une alternative crédible au secteur associatif ».

Enfin, le dernier axe de préconisations vise à tirer tous les enseignements de la crise :

- intégrer dans les contrats des jeunes en service civique la possibilité de les transférer, avec leurs accords, sur une mission urgente, en cas de besoin ;

- renforcer l'accompagnement des associations dans l'accueil de nouveaux bénévoles. En effet, il n'y a pas en France un problème de volontariat, mais d'offres, de la part des associations. Animer une association, accueillir de nouveaux bénévoles, penser de nouvelles missions nécessite du temps et des compétences, que n'ont pas toujours les associations, notamment les plus petites ;

- encourager le développement du service civique en zone rurale, en tirant pleinement profit des outils numériques pour le suivi et l'encadrement du jeune ;

- renforcer la reconnaissance de la Nation envers l'engagement citoyen. Je regrette à ce titre que ni le Premier ministre, ni le Président de la République n'aient salué, voire évoqué, le rôle des bénévoles dans leurs discours. Ceux-ci ont en effet joué un rôle essentiel pour soutenir « la première ligne » pendant la crise sanitaire.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Nous avons mené des auditions passionnantes et variées, avec des acteurs très engagés. Le but du groupe était de tirer les enseignements de la crise, et de préparer l'immédiate après-crise. Nous avons rencontré des problématiques très différentes selon les associations, leur taille, et leur secteur d'activité.

Les appels au bénévolat se sont multipliés pendant cette crise, avec un fort écho dans la population. De nombreuses associations s'appuyant sur des forces vives gratuites, se retrouvent par ailleurs dans une situation précaire, alors même que bon nombre d'entre elles alimentent une économie dynamique, au service du lien social, et de l'animation du territoire. Elles représentent 4 % du produit intérieur brut (PIB), soit 113 milliards d'euros. Le Parisien faisait état d'un chiffre de 1 milliard d'euros de pertes. Il ne pourrait cependant s'agir que d'un montant provisoire, puisqu'il tient compte du manque à gagner sur les recettes d'activités, mais non des possibles baisses de subventions ou de mécénat des entreprises. Je songe notamment aux associations sportives, par exemple de rugby, qui dépendent largement du mécénat.

La crise a également révélé l'utilité et l'importance du service civique, et la nécessité de le développer en milieu rural, notamment grâce au numérique. Il existe un enjeu autour des décrocheurs scolaires et de l'insertion professionnelle. La volonté de s'engager est forte chez les jeunes, comme nous avons pu le constater lors de la crise.

La réserve citoyenne a 300 000 inscrits - dont 50 000 jeunes en service civique - pour 30 000 missions. Je m'en suis émue auprès du ministre, en soulignant que le nombre de missions était très insuffisant. De nombreux jeunes qui souhaitaient s'engager ont ainsi été laissés un peu de côté. L'un des enjeux de la sortie de crise est de parvenir à maintenir le capital d'engagement d'un grand nombre d'actifs. Enfin, le monde associatif a le sentiment d'être mal compris par les autorités politiques et administratives.

Je reviendrais maintenant sur quelques préconisations du rapport. La première d'entre elles est le fonds de soutien interministériel pour les associations en grande difficulté financière. À la différence des entreprises, il n'existe pas pour les associations de procédure judiciaire de sauvegarde. La crise a violemment percuté leur modèle de financement. Pour les toutes petites structures notamment, l'argent est essentiel. Elles disposent de peu de trésorerie, mais n'ont droit à aucune aide de l'État, car ce ne sont pas des entreprises à part entière. De même, elles ne disposent pas de fonds de solidarité, car elles ne disposent pas de plus de 60 000 euros de recettes par mois. Il s'agit d'un véritable problème. Une association sur cinq dispose de moins de trois mois de trésorerie, et la moitié d'entre elles de moins de six mois.

Par ailleurs, le rapport fait état de la nécessité de réévaluer le FDVA. Celui-ci s'est vu confier par la loi de finances 2018 une nouvelle mission : attribuer aux associations sur le territoire des fonds anciennement versés au titre de la réserve parlementaire. Or les sommes allouées apparaissent très en-deçà de ce que cette dernière pouvait allouer aux associations. C'est l'occasion de rappeler à quel point cette réserve parlementaire manque dans les territoires.

Une autre préconisation vise à renforcer la reconnaissance de la nation envers l'engagement citoyen. La reconnaissance des pouvoirs publics encourage en effet ce dernier. La crise a offert de nombreux exemples. Je citerai notamment la distribution alimentaire, ou encore l'écoute et la lutte contre les violences intrafamiliales. Cela pose la question de l'engagement bénévole et du civisme.

J'ai été interpellée par un article dans le Journal de Dimanche du 24 mai 2020 de M. Marcel Gauchet, qui souligne que les associations sont allées contre les deux injonctions du confinement, qui pourront avoir un impact durable dans la vie de nos sociétés : « méfiez-vous les uns des autres » ; « restez chez vous ». En cela, elles méritent la reconnaissance des pouvoirs publics.

Enfin, il a été largement question au sein du groupe des colonies de vacances, et de leur enjeu social et sociétal pour les familles fragilisées par la crise. J'ai également évoqué avec le ministre la question du scoutisme, qui l'avait beaucoup intéressé. Cette question est largement liée à celle des seuils des allocations familiales. M. Gabriel Attal a annoncé un plan global avant l'été pour l'emploi des jeunes, notamment pour éviter leur décrochage en lycées professionnels. Il vise également à renforcer leur comptage, et faciliter leur entrée sur le marché. Cela fera également l'objet d'un grand plan de relance européen. Il faudra y être attentif, car la proportion de jeunes en voie professionnelle en décrochage pendant le confinement est estimée à 15 %.

Il existe de nombreux sujets connexes, que nous n'aborderons pas ce matin. Je citerai néanmoins les emplois d'été, ou encore les jeunes créateurs en danger immédiat, qui devront être suivis par notre commission.

Mme Dominique Vérien. - Les associations ont été particulièrement utiles pendant cette crise. Je salue notamment dans notre département La Croix-Rouge, qui a réalisé un travail formidable pour lutter contre la précarité mais surtout contre l'isolement des habitants. Néanmoins, il existe un véritable besoin de renouvellement des générations. Pour ce faire, la formation et l'accompagnement sont indispensables. C'est la raison pour laquelle nous les avons intégrés dans nos préconisations.

Le fait que 50 000 jeunes sur 60 000 en service civique se soient engagés dans la réserve civique témoigne de son rôle important. Je salue donc l'annonce de M. Gabriel Attal, qui souhaite créer 10 000 missions en secteur rural. Nous avons constaté qu'y compris dans ces zones, il était possible de télétravailler. Or l'une des raisons pour lesquelles le service civique est peu développé en zones rurales tient aux difficultés d'encadrement. Il serait ainsi possible de régler ce problème grâce au numérique.

Enfin, l'annonce du plan général sur le tourisme social a finalement été décalée, à mon sens en raison des vacances apprenantes. Elles sont en effet difficiles à mettre en oeuvre. L'annonce devrait intervenir le 15 juin. Or, les vacances commencent début juillet, et les mettre en place en quinze jours risque de constituer un casse-tête pour toutes les associations et les professionnels. Par ailleurs, ceux-ci enregistrent tous une baisse des inscriptions. Comment sera-t-il possible d'envoyer davantage d'enfants dans ces colonies, en particulier ceux qui sont ciblés par le Gouvernement ? Cette date du 15 juin me semble trop tardive. Les professeurs participeront-ils à ces « colonies apprenantes » ? Il s'agit à mes yeux de la plus importante interrogation qui subsiste après les auditions.

M. Pierre Ouzoulias. - Je remercie les membres de ce groupe de travail, dont les recommandations sont fondamentales. D'un point de vue général, ces deux mois de confinement ont touché très cruellement le tissu social, et notamment la jeunesse. Sa fin, et peut-être celle de l'épidémie, nous oblige à retisser la trame indispensable de notre société. Depuis quelque temps, nous entendons tous les jours des annonces de plans d'urgences pour divers secteurs. Nous avons maintenant besoin d'une annonce forte, et d'un plan budgétaire détaillé, pour nous expliquer quels moyens seront mis en place pour sauver ce réseau, qui nous permet, au quotidien, de faire société. Il est essentiel de retisser ce lien. Je suis l'élu d'une ville populaire, et l'été va être très tendu d'un point de vue social. Si nous ne donnons pas aujourd'hui aux associations les moyens d'encadrer les jeunes, nous risquons de rencontrer d'importants problèmes dans les quartiers populaires.

M. Stéphane Piednoir. - Nous risquons une pénurie de titulaires de BAFA, en raison de la baisse du nombre de candidats. J'ai adressé un courrier au ministre de l'éducation nationale sur les taux réglementaires d'encadrement, pour les associations en lien avec la jeunesse, mais également périscolaires. Envisagez-vous une modification de ces taux pour faire face à cette pénurie ? Le nombre de titulaires du BAFA va être en baisse à la rentrée, car les personnes n'ont pas pu se former.

L'engouement des jeunes pour le service civique semble significatif. Le ministre a annoncé un effort supplémentaire pour augmenter le nombre d'offres. Je suis cependant moins favorable aux contrats aidés. Nous devons mener une action concertée sur l'insertion professionnelle des jeunes. Des annonces sont faites régulièrement, et un plan devrait être prochainement dévoilé. 700 000 jeunes arrivent sur le marché du travail dans un contexte extrêmement dégradé. Cela mérite un plan d'urgence.

Mme Annick Billon. - Cette crise sanitaire ne met-elle pas en relief un déficit de formation à l'intégration de gestion de crise ? Il serait à ce titre intéressant de réfléchir à des modules nouveaux dans l'encadrement, pour que les jeunes qui souhaitent s'engager soient en capacité de mettre des processus immédiatement en application, dans l'éventualité d'une nouvelle crise sanitaire.

Ma deuxième question porte sur l'allégement des conditions d'encadrement. La saison touristique sera extrêmement difficile, puisqu'elle commence deux mois plus tard qu'en temps normal. Ne serait-il pas imaginable, par exemple pour la surveillance de plages, de faire appel à ces jeunes qui ne pourront occuper des emplois saisonniers, et feront face à des conditions très difficiles à la rentrée universitaire ?

Mme Sonia de la Provôté. - Je vous remercie pour ce rapport, qui traite des sujets importants que sont le service civique et les colonies apprenantes. Le contenu de ces dernières reste à déterminer. L'impact de la crise sanitaire sur le monde associatif est évident, et sévère. Est-il possible de l'évaluer plus précisément, secteur par secteur ? Je songe aux petites associations de quartiers, ou aux associations communales, chargées de la vie citoyenne et du lien social. Elles vont particulièrement souffrir, car elles n'ont pas réussi à trouver leur place pendant le confinement. À partir d'aujourd'hui, elles seront néanmoins un élément majeur de la vie collective, dans des territoires où il nécessaire que des bénévoles s'emparent de ces sujets. Je pense notamment aux quartiers de la politique de la ville où leur rôle est essentiel, notamment en matière de repérage pour les familles et les enfants, qui aurait dû, mais n'ont pas réintégré l'école. Nous devrons nous appuyer sur elles, et elles devraient être prioritaires dans l'accompagnement.

Le FDVA a été mis en place depuis deux ans. Je n'arrive toujours pas à comprendre les critères qui gouvernent les choix de répartition financière d'une région ou d'un département à l'autre. Or nous avons besoin de critères. Nous devons également pouvoir comparer la somme allouée à celle qui était versée au titre de la réserve parlementaire. Cela nous permettra d'être plus précis dans l'accompagnement. Par ailleurs, je m'interroge sur les grands axes de répartition du FDVA. Certaines associations ne sont pas accompagnées quand d'autres le sont. Nous avons peut-être l'occasion d'exiger que des priorités soient définies.

M. Jacques-Bernard Magner. - Nos préconisations doivent être examinées sérieusement par le Gouvernement, car ces derniers mois ont mis en lumière les failles de notre système, et peuvent éclairer les mesures qui doivent être mises en place à l'avenir. Comme le disait M. Pierre Ouzoulias, les associations sont des amortisseurs sociaux dans les quartiers. Elles le sont également dans les zones rurales, où beaucoup prennent en charge des actions importantes. Lorsqu'existent un secteur associatif, et des bénévoles présents, de tous âges, les actions des pouvoirs publics ont pu être améliorées, et complétées.

Le secteur qui couvre les colonies de vacances est également en charge du périscolaire. Aujourd'hui existent des interrogations sur les possibilités d'animation, compte tenu du faible nombre de BAFA. Il est certes possible d'être formé en ligne sur la partie théorique, mais il est absolument nécessaire de recevoir une formation de terrain. Ces questions devront être pensées pour la sortie de crise. Un débat aura lieu au Sénat la semaine prochaine. La question des taux d'encadrement pourra alors être posée.

Les contrats aidés sont un recours pour les associations autre que financier. La mise à disposition quelques heures pendant une semaine de quelqu'un les aides à remplir leurs missions. Les contrats aidés représentent ainsi un avantage tant pour l'association que pour le jeune, qui peut ainsi obtenir une rémunération, et acquérir une expérience professionnelle. Nous avions d'ailleurs adopté cette recommandation à l'unanimité dans notre commission il y a deux ans.

Mme Annick Billon évoquait les nouveaux modules de formation à mettre en place. Je partage cet avis. Le BAFA en est un important. Il sera peut-être nécessaire d'élaborer des moyens de former plus rapidement, avec les techniques plus modernes que nous avons éprouvées au cours de ces derniers mois. Néanmoins, cette nécessité est également soumise à des problèmes de financement. L'argent dépensé dans certains secteurs peut donner envie au milieu associatif, qui n'est pas toujours doté à la hauteur des missions qu'il assure.

J'ai participé hier à une audioconférence avec la préfecture de mon département pour le financement de projets FDVA. Les critères ne sont en effet pas les mêmes dans tous les départements. Certes, les professionnels de la préfecture qui en sont en charge essaient de faire pour le mieux. Néanmoins, les associations sont insuffisamment informées de l'existence de ces dispositifs. La députée de ma circonscription a fait valoir que les moyens alloués étaient totalement inégaux selon les circonscriptions. Les associations de certains secteurs, qui ont l'habitude de monter des dossiers, peuvent disposer de moyens importants. D'autres secteurs en ont très peu, car les associations sont insuffisamment accompagnées pour constituer leurs dossiers. Il conviendrait ainsi d'accentuer les choix des critères des commissions qui s'occupent de répartir le FDVA. Ces dispositifs doivent également être mieux connus, même s'ils ne sont pas les seuls à pouvoir être sollicités. Nous proposons donc qu'une charte assure que les associations touchent leurs subventions, malgré l'annulation des activités en raison de la crise de Covid-19.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je remercie le groupe de travail au nom de toute la commission. Leur travail fera l'objet d'un communiqué de presse. Nous rebondirons sur l'ensemble de ces sujets dans les semaines qui viennent, à mesure que les colonies de vacances s'organisent, ainsi que les centres de loisirs. La reprise de la vie associative est un sujet important.

2) Action culturelle extérieure

M. Claude Kern. - Le groupe de travail consacré à l'action culturelle extérieure de l'État, que j'ai eu l'honneur d'animer, est composé de Claudine Lepage et Damien Regnard. Je les remercie tous deux chaleureusement pour leur très grande implication et la qualité de nos échanges.

Nous avons choisi de concentrer nos premiers travaux sur la situation de l'enseignement français à l'étranger car la crise a révélé l'urgence à agir dans ce secteur. Nous avons d'ailleurs souhaité vous présenter nos conclusions avant l'audition de M. Jean-Baptiste Lemoyne cet après-midi, afin que notre commission puisse l'interroger en ayant à l'esprit nos constats et nos préconisations.

Le réseau est confronté à ce qui semble bien être la plus grave crise de son histoire, comme nous l'a indiqué le directeur de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) lui-même.

Les établissements d'enseignement français d'Asie ont été les premiers, dès février, à devoir fermer à cause de l'épidémie. Au pic de la crise sanitaire, courant avril, 99 % des 522 établissements que compte le réseau dans 139 pays avaient fermé leurs portes.

L'AEFE s'est immédiatement attaché à mettre en place un dispositif de continuité pédagogique pour permettre aux élèves de suivre leur scolarité à distance. Tous les personnels de l'Agence (inspecteurs, conseillers pédagogiques, enseignants formateurs) ont été mobilisés pour aider les équipes de direction et les équipes pédagogiques.

Alors que 350 000 élèves parmi les 365 000 que compte le réseau ont bénéficié ou bénéficient encore d'une continuité pédagogique, la qualité de celle-ci est diversement appréciée par les parents. Globalement, les efforts déployés sur place par les personnels, ainsi que la qualité de l'offre sont reconnus. Mais les appréciations sont très différentes d'une zone géographique et d'un établissement à l'autre.

Ce n'est pas tant le contenu de la nouvelle offre pédagogique qui est contesté, que le retour sur investissement. Certains parents considèrent en effet qu'ils n'en ont pas pour leur argent avec l'enseignement distanciel par rapport à l'enseignement présentiel. Cela est très perceptible chez les parents d'enfants de maternelle, et chez les familles allophones. Localement, les tensions ont parfois été vives entre les parents, ou les associations de parents, et les personnels des établissements.

C'est dans ce contexte tendu, aggravé par les conséquences économiques de la crise sur certaines familles, que s'est développé un mouvement de contestation des frais de scolarité, très actif dans certaines zones.

Face à cette contestation, certains établissements ont décidé, lorsque leur trésorerie le leur permettait, de mettre en place des mesures pour aider les familles les plus en difficulté (échelonnement des paiements, remise sur les frais de scolarité du troisième trimestre, attribution de bourses exceptionnelles, mobilisation de fonds de solidarité, etc.).

De son côté, l'AEFE a adopté une position très ferme à l'égard des velléités de non-paiement ou de réduction des frais de scolarité. Comme nous l'a expliqué son directeur, la multiplication des réductions de frais provoquerait un effet boule de neige d'un établissement à l'autre, et entraînerait le réseau sur une voie dangereuse. À terme, c'est l'ensemble de son fonctionnement qui s'en trouverait menacé, celui-ci reposant de 60 % à 70 % sur les droits d'écolage.

Nous comprenons la position de principe de l'Agence, mais nous appelons toutefois à une certaine souplesse dans l'étude des situations individuelles qui peuvent justifier l'octroi de facilités particulières.

Si les familles sont les premières victimes de la crise, les établissements sont à terme également menacés, en particulier les petites structures, qui ne disposent pas d'une trésorerie suffisante. Le directeur de l'AEFE a eu beau nous garantir qu'à ce jour, aucun établissement n'était dans un état critique, nous ne sommes pas aussi optimistes. Nous avons en effet eu écho de situations déjà très difficiles pour certains établissements.

Un autre effet collatéral de la crise est le risque d'une diminution des inscriptions à la rentrée prochaine. Les familles en difficultés, qu'elles soient françaises, issues du pays d'accueil ou de pays tiers, pourraient en effet se tourner vers des solutions moins coûteuses que l'enseignement français, comme le système public local ou le centre national d'enseignement à distance (CNED).

Si cette prévision se concrétisait, elle aurait évidemment des conséquences financières très graves sur les établissements. Certains pourraient être contraints de fermer. Les premières estimations de l'AEFE font état, sur l'année 2020, d'une baisse des ressources propres de 48 millions d'euros pour les établissements en gestion directe (EGD), d'environ 80 millions d'euros pour les établissements conventionnés, et de 100 à 120 millions d'euros pour les établissements partenaires.

Le 30 avril, M. Jean-Yves Le Drian, M. Gérald Darmanin, et M. Jean-Baptiste Lemoyne ont annoncé, par communiqué de presse, deux mesures de soutien aux familles et aux établissements du réseau :

- un aménagement, estimé à 50 millions d'euros, du dispositif des bourses scolaires permettant de tenir compte de la situation financière des parents d'élèves français en 2020 ;

- une avance, d'un ordre de grandeur estimé à 100 millions d'euros, de l'Agence France Trésor à l'AEFE, pour soutenir financièrement les établissements du réseau, quel que soit leur statut, afin qu'eux-mêmes puissent venir en aide aux familles, de toute nationalité, confrontées à des difficultés financières.

Les sommes débloquées seront, selon les termes mêmes du communiqué de presse des ministres, « réévaluées plus précisément en juin ».

Notre groupe s'étonne de cette méthode qui consiste à annoncer des mesures, sans avoir au préalable bâti un plan d'action dressant le constat exhaustif de la situation et apportant des solutions précises et chiffrées. Il est clair que ces annonces ont eu pour objectif de calmer les familles dont le mécontentement va grandissant.

Dans le même temps, un plan de sauvegarde du réseau a été annoncé et est en cours de préparation au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. Cette initiative est certes nécessaire, mais nous estimons qu'il aurait été préférable de travailler préalablement à l'élaboration de ce plan d'ensemble, plutôt que de recourir à des effets d'annonce.

L'aménagement du dispositif des bourses scolaires repose sur un élargissement de son accès et un assouplissement de ses critères. Il s'agit d'une bonne mesure, qui fait d'ailleurs consensus parmi les acteurs du secteur. Nous sommes cependant plus circonspects sur sa budgétisation (50 millions d'euros annoncés) qui pourrait s'avérer sous-calibrée par rapport aux besoins de court terme et de moyen terme. Nous demandons également que cet abondement se concrétise rapidement dans un prochain projet de loi de finances rectificative.

L'avance de France Trésor à l'AEFE a, quant à elle, provoqué des réactions beaucoup plus vives. Le dispositif choisi laisse en effet penser que l'opérateur sera obligé de rembourser les sommes avancées par l'Agence France Trésor. Or pour l'ensemble des acteurs du réseau, comme pour notre groupe de travail, ce système de solidarité à crédit est inconcevable, surtout en regard de la crise qu'a vécue l'AEFE en 2017 à la suite d'une coupe budgétaire drastique de 33 millions d'euros.

Pour désamorcer la polémique naissante, le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères a annoncé aux parlementaires représentant les Français de l'étranger que l'avance de l'Agence France Trésor pourrait être transformée en subvention à l'AEFE lors d'un prochain projet de loi de finances rectificative. Cette information a été confirmée par son secrétaire d'État lors d'échanges bilatéraux, et lors du récent débat en séance publique au Sénat sur la proposition de projet de loi concernant les Français de l'étranger.

Cependant, à ce jour, nous n'avons, en dehors de ces promesses orales, aucune garantie sur l'effectivité de cette transformation. L'AEFE nous a confirmé qu'elle devra rembourser à l'Agence France Trésor les sommes avancées, selon des modalités fixées dans une convention entre les deux institutions.

Or, demander à l'AEFE de rembourser les sommes prêtées pourrait l'entraîner dans une spirale financière ingérable, dont elle pourrait ne pas se remettre. C'est pourquoi nous estimons que le soutien financier à l'opérateur de l'État doit impérativement se traduire par un abondement du montant de sa subvention pour charges de service public.

Nous souhaitons en outre que le dispositif de soutien aux établissements soit strictement conditionné à des critères d'attribution très précis, et à une gestion transparente des fonds reçus.

Nous sommes tous convaincus, au sein de cette commission, que le réseau de l'enseignement français à l'étranger constitue un atout exceptionnel pour le rayonnement de la langue, de la culture et de la diplomatie d'influence françaises.

Face à l'ampleur de la crise qu'il traverse, il y a urgence à agir, en apportant une réponse d'ensemble, coordonnée, ambitieuse et dotée de moyens adaptés.

Mes collègues et moi-même formulons plusieurs recommandations en ce sens :

- réguler le niveau des frais de scolarité qui n'ont cessé de croître depuis une dizaine d'années, et qui ont atteint un seuil limite d'acceptabilité ;

- décider d'un moratoire sur le plan de développement du réseau, voulu par le Président de la République, qui prévoit le doublement de ses effectifs d'ici 2030. Alors que la survie de certains établissements est en jeu, il est totalement incohérent de continuer à homologuer de nouvelles structures. L'heure doit être à une totale mobilisation pour sauver et pérenniser le réseau existant ;

- mettre un frein au mouvement d'assouplissement des critères d'homologation, qui nuit à l'équité entre les établissements de statuts différents, et qui risque de porter atteinte à la qualité de notre enseignement reconnu de par le monde ;

- renouveler la confiance dans l'AEFE, qui joue le rôle de colonne vertébrale du réseau, tout en l'encourageant à une gestion transparente et rigoureuse ;

- mettre en place une procédure de suivi et d'évaluation des mesures contenues dans le futur plan.

Mme Claudine Lepage. - Nous avons travaillé dans le consensus, aussi je partage les conclusions présentées. M. Jean-Yves Le Drian et M. Jean-Baptiste Lemoyne ont annoncé que tous les établissements, quel que soit leur statut, seraient soutenus. J'émets cependant une réserve : certains d'entre eux sont des établissements privés à but lucratif, dont la gestion n'est pas toujours transparente. Il est cependant difficile d'obtenir des informations chiffrées. L'agence doit ainsi exiger des justificatifs, et avoir un droit de regard sur leur gestion.

J'ai également une réticence à l'égard de l'assouplissement des critères d'homologation qui ont été mis en place pour développer le réseau. Il faut revenir à des fondamentaux. En effet, dans une même ville, de nouveaux établissements peuvent faire concurrence à ceux du réseau, ce qui n'est pas souhaitable. Récemment, une réunion de la commission d'homologation a débouché sur l'autorisation de 179 nouveaux établissements. Deux nouvelles réunions se tiendront en juillet et en octobre, ce qui donne une idée de cette marche forcenée en avant.

Enfin, il est actuellement demandé à l'AEFE de ventiler des prêts entre des établissements fragilisés par la crise. Il est clair que certains d'entre eux seront dans l'impossibilité de rembourser les prêts dans les délais impartis, sauf à augmenter les frais de scolarité, qu'il leur est par ailleurs demandé de maîtriser, afin de ne pas provoquer le départ des familles. Cette situation est ingérable, et ne pourra in fine qu'exacerber la colère des familles. Elle fragilisera encore l'AEFE, tenue responsable du flou sur la nature des 100 millions d'euros d'aide promis par les ministres. Il me semble qu'il est temps de clarifier la situation. Cette aide sera-t-elle une avance ou une subvention ?

M. Damien Regnard. - J'insisterai sur ce dernier point. Le message du Gouvernement n'est toujours pas clair. Pour l'heure, il s'agit d'une avance de l'Agence France Trésor à l'AEFE. Cette dernière souhaiterait la récupérer auprès des établissements. Ce seraient donc les parents d'élèves français, étrangers, de pays tiers ou de pays d'accueil, qui financeront cette avance. Nous souhaiterions des précisions supplémentaires, et nous les demanderons à M. Jean-Baptiste Lemoyne, car les réponses que nous obtenons diffèrent selon les interlocuteurs.

Face à ces inquiétudes, les parlementaires des Français établis hors de France ont été très sollicités depuis plusieurs semaines par les comités de gestion et les associations de parents d'élèves. Les taux de recouvrement pour le troisième trimestre sont très faibles. Les perspectives de réinscription pour la rentrée prochaine sont floues. L'inquiétude persiste. Les moyens mis à disposition permettraient de faire face à la crise qu'évoquait notre rapporteur sur les frais d'écolage du troisième trimestre, mais ne constitueraient en aucun cas une mesure sur l'année scolaire à venir. Notre groupe de travail devra donc exercer un suivi, à partir des remontées des ambassades et des services culturels dans chaque pays, qui permettront un état des lieux des établissements. Nous devrons également suivre l'utilisation de ces fonds, qui pour l'heure, d'après les informations dont nous disposons,demeurent assez vagues.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous remercie. Nous aurons l'occasion cet après-midi de poser directement ces questions à M. Jean-Baptiste Lemoyne. Nous traiterons de la partie sur l'action culturelle et les alliances françaises dans un autre temps. Nous mettrons l'accent sur la situation du réseau de l'enseignement français à l'étranger, dont nous entendons beaucoup parler. Je préside le groupe d'amitié France-Egypte, et les conseillers consulaires sur place ne cessent de m'alerter sur cette problématique. Une réponse appropriée revêt donc une certaine urgence.

M. Max Brisson. - Je souhaiterais saluer ce rapport, qui présente les dangers que court ce modèle sur le plan de sa pérennité économique. Je souhaiterais interroger le ministre plus particulièrement sur l'impact de la crise pour les élèves eux-mêmes. Nous devons nous interroger sur l'attractivité de ce modèle, pour l'avenir de notre système, et analyser la réalité de la pérennité des apprentissages pour des élèves qui ont fait confiance au système français, mais qui risquent de se trouver en grande difficulté.

La commission a autorisé la mise en ligne des notes de synthèse des groupes de travail sur la page Internet de la commission.

La téléconférence est close à 12 h 30.

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La téléconférence est ouverte à 16 heures 40.

Conséquences de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 sur le réseau culturel et éducatif français à l'étranger - Audition de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - J'ouvre notre réunion de cet après-midi avec une certaine émotion car c'est la première fois, depuis deux mois et demi, que nous nous retrouvons en présentiel au Sénat. Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que les outils de travail à distance sont, certes très utiles, mais qu'ils ne remplaceront jamais les échanges humains.

Nous auditionnons à cette occasion M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, que je remercie chaleureusement, en votre nom à tous, d'avoir honoré notre invitation en venant jusqu'à nous.

Monsieur le secrétaire d'État, nous souhaitons vous entendre sur les conséquences de la crise sanitaire pour le réseau éducatif et culturel français à l'étranger, auquel, vous le savez, notre commission est très attachée.

Nous avons eu depuis quelques semaines des échanges avec le ministre de l'éducation nationale, M. Jean-Michel Blanquer, avec qui nous n'avons pas manqué d'aborder cette question. Il était cependant important que nous vous entendions.

Compte tenu de la situation, qui est préoccupante, nous avons souhaité mettre en place, mi-avril, un groupe de travail pour suivre la gestion de la crise dans ce secteur. Il est animé par notre rapporteur des crédits de l'action culturelle extérieure, M. Claude Kern, et composé de Mme Claudine Lepage et M. Damien Regnard. Ce groupe nous a ce matin présenté ses constats et recommandations concernant le réseau de l'enseignement français à l'étranger. Le panorama qu'il nous a dressé est, je dois dire, particulièrement sombre.

Le réseau traverse en effet l'une des plus graves crises de son histoire. Les familles sont touchées de plein fouet par les conséquences économiques de la crise sanitaire, et certaines d'entre elles considèrent que la continuité pédagogique n'est pas à la hauteur des frais de scolarité dont elles s'acquittent. Les établissements, en particulier ceux dotés d'une faible trésorerie, font face à de grandes difficultés financières, et courent le risque d'une probable perte d'effectifs à la rentrée prochaine. L'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), qui fête cette année son trentième anniversaire, est très impliquée dans la gestion de cette crise, pour venir en aide aux établissements. Néanmoins, elle ne dispose sans doute pas de marges de manoeuvre budgétaires suffisantes.

Face à cette situation particulièrement dégradée, vous avez annoncé, le 30 avril dernier, deux mesures de soutien aux familles et aux établissements. Nous sommes impatients d'avoir des précisions à leur sujet car elles nous paraissent encore floues, surtout s'agissant de leurs modalités financières.

Un plan global de soutien au réseau est également en préparation au ministère. Pourriez-vous nous dire sur quelles pistes vous travaillez, et à quelle échéance ce plan sera présenté ?

Nous aimerions ensuite vous entendre sur la situation de notre réseau culturel car les instituts français et les alliances françaises sont eux aussi fortement ébranlés par cette crise, qui risque de s'inscrire dans la durée.

Je préside par ailleurs le groupe interparlementaire d'amitié France-Égypte, et je peux témoigner que le lycée du Caire fait également face à un certain nombre de problématiques. Tous ceux qui participent à ces groupes d'amitiés, en lien avec les pays du monde entier, font état de remontées comparables.

Après votre propos liminaire, notre rapporteur et ses collègues du groupe de travail vous interrogeront, puis je donnerai la parole aux intervenants de chaque groupe.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Madame la Présidente, je vous remercie pour cette audition.

Le réseau de l'enseignement français à l'étranger est très clairement un joyau national. Il s'agit d'un outil éducatif puisque ses établissements, aux quatre coins du monde, permettent aux Français établis hors de France de bénéficier de la promesse républicaine. J'ai moi-même été scolarisé dans ce réseau pendant plusieurs années.

Il s'agit par ailleurs d'un outil d'influence, en tant que premier lien entre les citoyens du monde et notre pays. Nous leur donnons là ce que nous avons de meilleur en nous, c'est-à-dire notre éducation. Tout cela milite pour faire du sauvetage de l'enseignement français à l'étranger une priorité.

La crise sanitaire constitue un choc sans précédent pour notre nation, dans tous les secteurs. Il faudra encore de longs mois pour que nous retrouvions notre vie d'avant, qui sera nécessairement quelque peu différente. Il ne faut pas oublier que les premiers touchés furent nos compatriotes établis en Asie, dès le mois de janvier 2020. Ils ont dû eux aussi affronter les craintes liées à la pandémie, et certains continueront à être exposés à ce virus, dans des pays dont le système de santé n'est parfois pas suffisant pour couvrir les besoins. Nous avons-nous-mêmes constaté à quel point cette lutte est impitoyable.

Le 30 avril dernier, avec MM. Jean-Yves Le Drian et Gérald Darmanin, nous avons présenté un plan de soutien massif à nos compatriotes établis hors de France, d'un montant de 220 millions d'euros. Il comprend tout d'abord un dispositif sanitaire, qui repose sur des capacités d'évacuation à chaque instant, grâce à trois aéronefs prépositionnés, et des capacités d'emport individuelles ou en petit groupe. Nous avons d'ores et déjà procédé à un certain nombre d'évacuations sanitaires. J'en profite pour saluer l'action de M. Damien Regnard, qui a été très investi pour traiter le cas d'un de nos compatriotes au Kenya touché par la Covid-19, et qui a dû être évacué vers La Réunion.

Le plan comporte ensuite un dispositif de soutien social, consistant en une aide sociale d'urgence. Nous avons calibré 50 millions d'euros pour apporter des aides ponctuelles à des Français qui rencontreraient des difficultés. Néanmoins, la part prépondérante de ce plan de soutien porte sur le réseau des établissements d'enseignement français à l'étranger. Elle comprend un volet « bourses », permettant de traiter la question des frais de scolarité pour cette année et l'année suivante. Un autre volet prévoit une avance de trésorerie à l'AEFE, pour que celle-ci puisse mettre à disposition des établissements des moyens leur permettant d'agir vis-à-vis des familles.

Il apparaît en effet nécessaire d'agir à trois niveaux, celui des établissements, des familles, et de l'agence elle-même. L'enseignement français à l'étranger comprend 522 établissements, qui se décomposent en trois grands types : 71 établissements en gestion directe (EGD) ; 66 établissements conventionnés ; 295 établissements partenaires. 375 000 élèves y sont scolarisés, dont les deux tiers sont étrangers, et un tiers constitué de nationaux. Ces communautés éducatives sont autant de « morceaux » de France, et les élèves étrangers y apprennent avec leurs camarades bien plus que la langue française, l'histoire ou les mathématiques. Un certain vivre-ensemble, au coeur de nos valeurs républicaines, y est en effet partagé. Cette question des valeurs est du reste très présente dans notre conception de l'homologation des établissements.

Le Président de la République avait souhaité donner un nouvel élan à cet enseignement français à l'étranger. Nous avons ainsi présenté à l'automne dernier avec MM. Jean-Michel Blanquer et Jean-Yves Le Drian un plan de développement, qui avait pour ambition de doubler le nombre d'élèves d'ici 2030. Il s'agissait de conforter et d'agrandir ce réseau. Aujourd'hui, il convient en premier lieu de sauver l'existant, sans néanmoins renoncer à nos objectifs de développement. Nous devons manier le microscope pour le court terme, et la longue-vue pour atteindre cet horizon ambitieux.

La campagne d'homologation 2019-2020 a connu une forte augmentation du nombre de premières demandes, et d'extension d'homologation, puisque 99 dossiers ont été présentés. Cela représente une hausse de 20 % par rapport à l'année passée, et de près de 60 % sur les trois dernières années. La dynamique était donc enclenchée. La procédure d'homologation avait été simplifiée, en abaissant le nombre de pièces demandées, ou en offrant la possibilité de postuler dès la première année d'ouverture. Cet élan n'avait cependant pas amoindri les hauts standards de qualité posés par le ministère de l'éducation nationale et de la Jeunesse.

Cette campagne a naturellement été affectée par la crise sanitaire. Des missions d'inspection sont dépêchées pour instruire les demandes. Sur les 99 dossiers, 42 missions n'ont pu être menées. Un dispositif alternatif a été mis en place, en portant le nombre de commissions interministérielles d'homologation d'une à trois. Une première s'est réunie le 19 mai 2020, et sera suivie par une deuxième en juillet, et une troisième en octobre. Nous espérons pouvoir reprendre, au fur et à mesure que l'épidémie se résorbe, ces missions d'inspection.

Notre ambition est à la fois d'apporter des réponses aux familles et aux établissements. La crise a entraîné la fermeture de leur presque totalité. Jusqu'à 520 écoles ont dû être fermées sur 522. Des perspectives d'amélioration se dessinent aujourd'hui, puisque 92 établissements ont rouvert, parfois partiellement. En particulier, 50 % des établissements situés en Europe ont pu le faire.

Il a fallu relever un défi sans précédent pour assurer la continuité pédagogique. Les ressources du Centre national d'enseignement à distance (CNED) ont été très précieuses pour ce faire. Elles ont été mises à disposition du réseau. L'AEFE a joué un rôle d'ensemblier du dispositif de continuité pédagogique, avec l'élaboration d'un vade-mecum très régulièrement actualisé. Cet outil s'est avéré très utile pour les chefs d'établissements. Je salue également la Mission laïque française (MLF), qui s'est appuyée sur sa plateforme de formation, le forum pédagogique, pour accompagner les enseignants dans la mise en oeuvre de l'accompagnement à distance. La MLF a un vrai savoir-faire en matière numérique, avec un certain nombre de pratiques pédagogiques très stimulantes.

La fermeture massive des établissements a eu des conséquences sur l'organisation des examens nationaux, tels que le baccalauréat, ou le diplôme national du brevet. Le baccalauréat de français doit faire l'objet d'annonces par le ministre de l'éducation nationale dans les prochains jours. Tous les candidats scolarisés dans les établissements français à l'étranger, homologués ou en cours d'homologation, seront évalués en contrôle continu, sur la base du livret scolaire, des notes obtenues au cours de l'année, jusqu'à la date du début du confinement en France.

Un bon dialogue interministériel et les échanges avec les acteurs du réseau ont permis de prendre en compte un certain nombre de spécificités locales. Les établissements d'Asie, qui ont fermé dès la mi-janvier, ont été autorisés à comptabiliser les notes entre cette date et la mi-mars. Nous avons également intégré dans ce système de contrôle continu des candidats individuels issus d'établissements ayant entrepris la démarche d'homologation, même si celle-ci n'était pas encore effective. Cette mesure était nécessaire pour témoigner de l'importance que nous accordons à l'homologation, et de la qualité des personnels engagés dans ce processus.

En revanche, les candidats issus d'établissements étrangers, n'ayant pas engagé de procédure d'homologation, devront passer les épreuves programmées au début de l'année scolaire 2020-2021, tout comme les candidats individuels. C'est sans doute regrettable pour certains jeunes, qui n'auront pas les résultats du baccalauréat avant l'été. Néanmoins, il était nécessaire de faire preuve de cohérence en ce qui concerne l'importance de l'homologation.

La crise sanitaire a affecté de très nombreuses familles françaises et étrangères. La baisse subite de leurs revenus les a parfois conduites à n'être plus en mesure de payer les frais de scolarité, notamment pour le troisième trimestre. Les établissements ont parfois octroyé aux familles les plus en difficulté des facilités de paiement, sous la forme d'échéanciers, ou en remboursant des frais annexes (restauration, transport).

Il existe également une incertitude sur les effectifs de la prochaine rentrée scolaire même si, à ce jour, il est difficile de faire une évaluation précise.

La trésorerie de certains établissements, notamment celle des plus petits, est par ailleurs soumise à certaines tensions, qui ne sont pas sans impact sur les recettes de l'AEFE. Cette dernière intègre en effet dans son budget les droits d'écolage perçu pour l'ensemble des EGD, la participation des résidents, et la participation financière complémentaire due par les EGD et les établissements conventionnés. A ces recettes s'ajoute également la contribution des 295 établissements partenaires au fonctionnement du réseau. La situation actuelle met donc en péril l'équilibre budgétaire de l'AEFE, qui a déjà consenti un certain nombre d'économies ces dernières années.

Dans ce contexte, nous avons souhaité mettre en oeuvre un certain nombre de mesures. Elles sont le fruit d'un travail avec les parties prenantes de l'enseignement français à l'étranger, et d'un dialogue avec des parlementaires et le président de l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE). Les partenaires sociaux ont également été consultés par mon cabinet. Parmi les souhaits souvent exprimés figuraient des demandes fortes en ce qui concerne les frais de scolarité. Le montant d'un trimestre d'écolage dans le réseau représente environ 650 millions d'euros. Une mesure de réduction de frais de scolarité, même symbolique, mais généralisée à tous les niveaux, et inconditionnelle, pèserait donc sur les établissements et l'agence. Aussi, nous avons décidé de mettre en place des dispositifs pour venir en aide aux familles qui rencontraient le plus de difficultés, tant françaises qu'étrangères. Il s'agit d'une condition sine qua non pour permettre à ces familles de maintenir leurs enfants dans notre réseau.

Ce plan d'urgence a pour principe de ne pas exclure des enfants en raison des difficultés économiques de leurs familles. Il convient également de ne pas écarter certains établissements du périmètre de ces aides. Quels que soient leurs statuts, nous souhaitions qu'ils puissent être accompagnés. Le programme 151 se voit ainsi abondé à hauteur de 50 millions d'euros sur l'aide à la scolarité. Les familles peuvent dès à présent déposer des recours gracieux, auprès de l'AEFE, pour obtenir une bourse. Ce recours est ouvert à la fois aux familles qui bénéficiaient déjà d'une bourse, et qui peuvent demander une révision de leur barème, mais également à celles qui n'en bénéficiaient pas, et qui peuvent à titre exceptionnel déposer une demande.

Nous avons pour l'heure reçu 3 800 recours. Pour qu'ils soient étudiés, les commissions locales des bourses ont été invitées à prendre en compte la situation économique des familles en 2020. D'habitude, elles se prononcent à partir des éléments de l'année précédente. Or la perte de revenus pouvant être subite, l'appréciation au regard des revenus actuels était importante. Un certain nombre d'assouplissements ont par ailleurs été apportés en ce qui concerne la prise en compte du patrimoine. Au Maroc, par exemple, 40 000 élèves sont scolarisés ; nous y avons reçu 500 demandes supplémentaires.

Pour soutenir la trésorerie des établissements, et que ceux-ci puissent eux-mêmes consentir des dispositifs d'aides aux familles étrangères que nous ne pouvons aider directement, nous avons acté, en accord avec le ministère de l'Action et des Comptes publics, le déblocage d'une avance de l'Agence France Trésor, à hauteur de 100 millions d'euros. Cette mesure est actuellement discutée par le conseil d'administration de l'AEFE, qui se déroule par voie électronique. Il doit se clore demain.

Afin de garantir que ces aides soient adaptées aux besoins des établissements, l'étude des dossiers fera l'objet d'une concertation, qui associe tous les acteurs de la communauté éducative, et nos ambassades. Le plan de développement de l'AEFE d'octobre 2019 faisait de l'ambassadeur un élément central. Nous tenons à ce que les ambassades jouent également ce rôle dans la mise en oeuvre de ces mesures d'urgence, même si l'AEFE, en qualité d'opérateur, instruit les demandes.

Notre préoccupation est de permettre aux EGD et aux établissements conventionnés de mettre en place un étalement des frais de scolarité, voire parfois de déposer des dossiers de remise gratuite. Les établissements partenaires ont par ailleurs été exemptés des frais de participation au fonctionnement du réseau, pour leur redonner des marges de manoeuvre. Le lien de ces derniers avec le réseau est d'une nature particulière. Pour pouvoir les aider directement, nous leur avons proposé la possibilité de solliciter un conventionnement temporaire. En effet, à la différence des EGD et des établissements conventionnés, ils n'ont pas une mission de service public. À travers ce conventionnement temporaire, nous souhaitons leur ouvrir la possibilité de solliciter des aides. Là aussi, il ne s'agit pas de nationalisation, mais de pragmatisme.

Les EGD et les établissements conventionnés pourront par ailleurs envisager de réduire les frais de scolarité du troisième trimestre pour les classes de maternelles, par exemple, dans une limite de 30 %. Ils pourront également limiter l'augmentation des frais de scolarité de l'année prochaine.

L'AEFE pourra soutenir ces mesures par cette avance de trésorerie délivrée par l'Agence France Trésor. M. Jean-Yves Le Drian et moi-même l'avons indiqué lorsque nous discutions de la proposition de loi relative aux Français de l'étranger, cette avance a vocation à être transformée en crédits budgétaires. Nous savons pouvoir compter sur le soutien des parlementaires en la matière.

Grâce à ce plan de soutien, nous sommes ainsi en mesure d'apporter une réponse globale car elle s'adresse à tous les établissements du réseau et à toutes les familles, françaises comme étrangères. Elle est également ciblée, dans la mesure où l'aide se fondera sur une analyse précise des besoins.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous remercie pour cet état des lieux très important sur l'enseignement français à l'étranger et l'AEFE. Par la suite, nous pourrons évoquer les instituts et les alliances françaises.

M. Claude Kern, rapporteur. - Nous avons constitué un groupe de travail, qui a consacré une première partie de ses travaux à la situation de l'enseignement français à l'étranger. Nous avons prévu de nous intéresser au secteur culturel dans une deuxième phase. L'objectif du groupe était de dresser des constats, mais également de formuler des propositions. Nous vous les soumettrons prochainement.

Dans cette commission, nous sommes tous convaincus de l'importance de ce réseau, et du fait qu'il constitue un atout exceptionnel pour le rayonnement de la langue, de la culture, et de la diplomatie d'influence françaises. Face à l'ampleur de la crise, il y a urgence à agir, en apportant une réponse d'ensemble, coordonnée, ambitieuse, et dotée de moyens adaptés.

Nous partageons votre constat, mais je vous soumettrai pour commencer deux questions. Notre groupe de travail s'étonne que les deux mesures de soutien aux familles et aux établissements aient été annoncées le 30 avril, dans des termes relativement flous, sans qu'un plan d'action dressant le constat exhaustif de la situation, et apportant des solutions précises et chiffrées, n'ait été bâti préalablement. Pourquoi cette méthode ?

Vous avez évoqué l'avance de l'Agence France Trésor à l'AEFE. Les 100 millions d'euros seront bienvenus. Mais le dispositif choisi laisse penser que l'opérateur sera obligé de rembourser les sommes avancées. Or pour l'ensemble des acteurs du réseau, comme pour notre groupe de travail, ce système de solidarité à crédit est inconcevable. M. Jean-Yves Le Drian et vous-même avez annoncé aux parlementaires représentant les Français établis hors de France que l'avance pourrait être transformée en subvention lors d'un prochain projet de loi de finances rectificative (PLFR). Vous avez confirmé cette information la semaine dernière au Sénat. Néanmoins, l'AEFE continue à considérer qu'il lui faudra rembourser les sommes avancées, selon des modalités fixées dans une convention entre les deux institutions. Demeurer sur cette position reporterait cette charge sur les parents, qui feront face à une augmentation des frais d'écolage. Quelle garantie autre qu'orale pouvez-vous apporter sur l'effectivité de cette transformation de l'avance en subvention ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - L'absence d'un constat exhaustif lors de nos annonces, que je qualifierais plutôt de génériques que de floues, s'explique par le caractère d'urgence de la situation. Nous avons alloué immédiatement 50 millions d'euros de crédits d'aide sociale, auxquels s'ajoutent les 100 millions d'euros de l'avance de l'Agence France Trésor. Ces sommes ne seront peut-être pas intégralement utilisées, ou au contraire, peut-être sera-t-il nécessaire de les accroître. Il était important en tous les cas de pouvoir doter le réseau de ces moyens immédiatement.

Le PLFR-2 avait déjà été voté, aussi aucun train budgétaire ne permettait de prendre des mesures additionnelles. L'avance a permis d'apporter une réponse immédiate aux problèmes de trésorerie de l'AEFE, et par répercussion, à ceux d'un certain nombre d'établissements demandeurs. Je réaffirme notre total engagement pour obtenir la conversion de cette avance en crédits budgétaires. Cette solution est partagée par notre hiérarchie, au-delà de M. Jean-Yves Le Drian et moi-même. Des réponses seront apportées dans les prochains textes budgétaires, mais l'AEFE doit naturellement tenir compte de la situation qui prévaut juridiquement. Dès lors qu'elle contracte une avance, elle ne peut anticiper le vote d'une mesure législative, aussi s'accommode-t-elle de ce premier outil. Je précise que son taux est particulièrement bas, à 0,1 %.

M. Claude Kern, rapporteur. - Cet argent est annoncé, mais pouvez-vous nous dire quand il sera débloqué ? L'AEFE et les familles l'attendent en effet. Par ailleurs, le ministère de l'économie et des finances partage-t-il votre position ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Le conseil d'administration de l'AEFE qui se tient actuellement doit valider ce dispositif, et l'usage de ces avances. Il prendra fin demain à 10 heures. Cela ne nous a pas empêchés de communiquer auprès des établissements et des familles, comme en attestent les 4 000 recours déjà déposés. Si j'en crois les communications d'un certain nombre de parlementaires à l'issu de la réunion du 30 avril avec MM. Gérald Darmanin et Jean-Yves Le Drian, ces mesures étaient attendues, et ont été saluées. Il existe une convention entre l'AEFE et l'Agence France Trésor pour la mise à disposition de cette avance. Il n'y a donc pas d'ambiguïté juridique. Le ministre des Comptes publics assistait par ailleurs à cette réunion, et approuve cette mesure.

Mme Claudine Lepage. - Je souhaiterais commencer par vous remercier pour le rapatriement des 180 000 Français qui étaient bloqués un peu partout dans le monde. Cela mérite d'être salué.

Il me semble que le vote du conseil d'administration de l'AEFE qui se tient actuellement est délicat. Je ne fais pas partie de ceux qui souhaitent la mort de l'AEFE, bien au contraire. Néanmoins, il lui est demandé de ventiler des prêts entre des établissements fragilisés par la crise. Certains seront dans l'incapacité de les rembourser dans les délais impartis, sauf à augmenter les frais de scolarité, qu'on leur demande par ailleurs de maîtriser, afin de ne pas provoquer le départ des familles. Cette situation est difficilement gérable. Elle ne peut qu'exacerber la colère de ces dernières, et fragiliser l'AEFE, tenue pour responsable du flou sur la nature des 100 millions d'euros d'aides promise par les ministres. Il est donc difficile de voter la mise en oeuvre de ces avances.

Je suis en outre gênée que ce plan de sauvetage prévoie d'aider tous les établissements. Parmi les établissements partenaires figurent en effet un certain nombre d'établissements privés, dont la gestion est opaque. Il me semble problématique que l'État avance de l'argent sans bien savoir comment il sera utilisé. Il est souhaitable de les aider, à condition que leur gestion soit transparente.

Par ailleurs, vous avez évoqué la convention temporaire qu'ils pourraient être amenés à signer avec l'AEFE, au cas où ils ne pourraient pas rembourser. Nous avons entendu hier que les parents d'élèves étaient farouchement opposés à ce conventionnement temporaire. Les établissements le sont aussi. En effet, s'ils sont d'accord pour recevoir de l'argent de l'État français, il se refuse à signer quoi que ce soit avec lui. Cela me gêne.

Dans le cadre de la préparation du plan de soutien, notre groupe de travail demande que la question du niveau des frais de scolarité soit traitée. Ils n'ont en effet cessé de croître depuis des années, et atteignent aujourd'hui un seuil limite d'acceptabilité. La population susceptible de s'inscrire dans les écoles françaises n'est ainsi plus la même qu'auparavant. Peut-être faudrait-il réfléchir à un mécanisme de régulation, sans porter atteinte à la structure de financement du réseau. J'ai rédigé un rapport il y a quelques années sur cette question. Certaines propositions ont été regardées avec bienveillance à l'époque, d'autres non. Nous étions alors dans un ancien monde. Mais je crois que certaines d'entre elles restent d'actualité.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Près de 190 000 Français bloqués hors de France ont pu revenir depuis la mi-mars. Nous nous souvenons tous au début de la crise, du nombre important d'appels en provenance du Maroc. Un certain nombre de dispositions avaient en effet été prises par les autorités marocaines, et beaucoup de Français souhaitaient pouvoir rentrer sur le territoire. Plus de 120 vols ont permis de faciliter le retour de 20 000 Français. Nous en sommes aujourd'hui à 200 vols depuis le Maroc.

Des situations similaires se sont aussi présentées dans la ville d'Iquitos, en Amazonie, aux Philippines, ou encore aux Fidji. Les parlementaires des Français établis hors de France ont été associés à ce travail, et ont signalé un certain nombre de cas. Nous poursuivons notre travail puisque nous avons obtenu le doublement des capacités pour le Maroc. Nous sommes ainsi passés de quatre vols hebdomadaires à huit. Une nouvelle compagnie, ASL Airlines, met également en place des vols depuis l'Algérie. Cela permettra d'apporter une réponse aux quelques milliers de Français qui en ont encore besoin. Un trafic maritime a également été mis en place pour rapatrier des détenteurs de camping-cars depuis Agadir, notamment. Un bateau a relié hier Tanger à la France.

La différence entre un établissement conventionné et un établissement partenaire tient précisément à ce que nous ne disposons pas de tous les éléments de gestion de ce dernier. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé à ce que nos ambassadeurs apprécient la situation. Ils connaissent en effet le tissu social et éducatif. Cette appréciation nous permettra de déclencher des dispositifs de suivi et de soutien. Nous devons adopter une philosophie similaire à celle des prêts garantis par l'État (PGE). Le ministère de l'Économie et des Finances a notamment recommandé à un certain nombre de grandes entreprises de ne pas verser de dividendes. Nous pouvons considérer que le soutien est conditionné à la preuve que devront apporter les établissements d'avoir pris un certain nombre de mesures.

Même si le conventionnement temporaire a pu susciter des débats, il n'existe pas d'autre solution juridique. L'État ne peut aider une structure privée à l'étranger sans cette garantie. Il convient d'être pragmatique. Nous offrons cette possibilité, libre aux établissements de la solliciter.

Les parents prennent aujourd'hui en charge deux tiers des frais de scolarité. La subvention d'État se monte à 400 millions d'euros, auxquels s'ajoutent les 100 millions d'euros de bourses. C'est pourquoi, dans le plan de développement de l'enseignement français à l'étranger, je me suis battu pour accroître la participation des parents d'élèves au conseil d'administration de l'AEFE. L'idée est qu'ils passent de deux à quatre. Par ailleurs, j'ai demandé à ce que les conseils d'établissements où ils siègent puissent être saisis en amont des projets de budgets. Ces mesures seront appliquées à l'automne prochain. Qui paie a le droit d'être associé et informé des décisions. Je serai du reste intéressé par des mesures permettant de réguler ces frais de scolarité, tout en préservant les capacités d'action du réseau.

M. Damien Regnard. - Je tiens à vous remercier pour les échanges que nous avons eus au cours de ces dernières semaines sur les Français établis hors de France, et l'enseignement français à l'étranger. Je vous signale que notre compatriote rapatrié depuis le Kenya, après plusieurs semaines entre la vie et la mort, a pu revenir en métropole la semaine dernière, pour trois mois de rééducation.

Notre groupe a travaillé sur les nombreux défis auxquels notre réseau fait face. Parmi nos recommandations, je souhaiterais revenir sur deux points. Alors que la survie de nombreux établissements est en jeu, il nous semble aujourd'hui incohérent de poursuivre l'objectif de doublement du nombre des élèves d'ici 2030. L'heure doit être à une totale mobilisation pour sauver et pérenniser coûte que coûte le réseau existant. Cet outil de soft power diplomatique et de rayonnement doit être considéré comme un investissement, et non comme une charge.

De plus, nous savons que 35 demandes d'homologation seront examinées lors de la prochaine commission interministérielle du mois de juillet. Au-delà de la baisse d'exigence des critères qualitatifs d'homologation que nous regrettons, l'extension du réseau serait une charge financière supplémentaire, puisque ces établissements nouvellement homologués entreraient alors dans le plan de soutien financier décidé à la suite de la crise sanitaire et économique. C'est pourquoi nous souhaitons demander un moratoire sur le plan de développement du réseau. Cette possibilité fait-elle partie de vos scénarii de travail ? À défaut, envisagez-vous de reconsidérer l'assouplissement des critères d'homologation, qui nous semble à terme préjudiciable à la qualité de l'enseignement ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - J'ai évoqué dans mon propos liminaire le fait qu'il ne fallait pas abandonner l'ambition d'accroître le nombre d'élèves scolarisés dans le réseau, à la fois dans les établissements existants, et parfois, dans des établissements que nous y intégrerons s'ils remplissent un certain nombre de critères. Il existe une croissance démographique dans certaines zones géographiques, où des pays se développent à grande vitesse. L'éducation est souvent un investissement pour les parents. Il serait dommage que nous laissions s'échapper cette opportunité d'offrir un accès à l'éducation à la française, et la capacité à accueillir plus tard ces élèves dans le supérieur. Naturellement, la priorité actuelle est le sauvetage du réseau. Néanmoins, nous devons avoir une vision large de la France. Ces deux objectifs sont conciliables, dans des temporalités différentes.

Par ailleurs, je souhaite redire que nous ne transigeons pas sur le contenu des critères d'homologation. Nous assouplissons un certain nombre de procédures administratives. Le ministère de l'éducation nationale est du reste très vigilant en la matière. Je souhaite concilier sauvetage et ambition. Il s'agit d'être conquérant.

M. Jacques Grosperrin. - Je souhaiterais revenir sur la question du baccalauréat. Il est indispensable que des réponses soient apportées aux familles. Des cellules pourraient-elles être chargées de répondre à leurs questions ?

Je voudrais revenir sur l'avenir du plan de développement de l'AEFE. L'agence fête cette année ses trente ans et avait, à cette occasion, proposé le thème du pari de l'éducation humaniste pour le programme Ambassadeurs en herbe. Certains projets devaient être récompensés au cours d'une rencontre internationale en mai 2020. Il s'agissait de faire de nos établissements des outils de diplomatie et d'influence. Les dossiers ont été rendus le 15 février, et une sélection est intervenue en mars. Qu'en est-il de ce projet ? 40 millions d'euros l'appuyaient.

M. Claude Malhuret. - Nous avons parlé des aides aux établissements d'enseignement français à l'étranger. Mais qu'en est-il des 250 établissements d'enseignement du français langue étrangère ? Ils sont extrêmement importants du point de vue économique, touristique, et pour la défense de la langue française et de la francophonie. Or ces établissements sont significativement pénalisés par la chute du nombre de voyages d'étrangers en France. Ils estiment ainsi à 90 % la chute de leurs enseignements et de leurs recettes. Des mesures d'aides sont-elles envisagées ? Bénéficieront-ils du dispositif de prolongation de l'activité partielle, comme le secteur du tourisme, et du report ou de l'annulation des charges patronales ? Un certain nombre d'entre eux risque en effet la faillite.

M. Max Brisson. - Je salue également votre travail pour rapatrier nos compatriotes, que j'ai pu constater pour certains habitants de mon département. Il en reste par ailleurs quatre au Maroc. Je salue également le travail du groupe sur les difficultés structurelles du réseau, auquel je suis attaché pour y avoir enseigné, avant même que l'AEFE n'existe.

Je souhaiterais vous interroger sur la situation des élèves du réseau, qui sont loin de ces considérations macroéconomiques, par ailleurs essentielles. Il existe, au niveau national, 4 % à 5 % de décrocheurs, et 20 % d'élèves qui se désengagent. Dans le réseau, quelle est l'ampleur de cette rupture vis-à-vis des apprentissages, par établissement ou secteur ? Je mesure à quel point les situations peuvent différer selon les pays, les établissements, et les populations qu'ils accueillent.

Par ailleurs, le ministre de l'éducation nationale essaie de mettre en place en France toutes les remédiations nécessaires pour la rentrée. L'AEFE s'y prépare-t-elle aussi, avec un calendrier décalé selon les zones géographiques ?

Enfin, malgré la crise du système, qui est antérieure à la crise sanitaire, la qualité pédagogique est un atout pour nos établissements. Vous avez évoqué les innovations qui pouvaient être mises en oeuvre, notamment à propos de la MLF. Ne sont-ce pas là des sources d'inspiration pour rénover notre système, et lui redonner l'attractivité qui assurait sa force par le passé ?

Mme Céline Brulin. - Quand les crédits que vous avez évoqués seront-ils formalisés ? Vous nous avez rassurés sur le fait que l'avance de l'Agence France Trésor serait transformée en ligne budgétaire. Un certain nombre d'autres mesures seront intégrées au projet de loi de finances (PLF) 2021, et non dans un PLFR. Or avec la part de plus en plus importante du financement des familles pour le réseau, et avec la crainte d'une diminution du nombre d'élèves, il me semble que ces mesures devraient être inscrites dans un PLFR.

Par ailleurs, les établissements rouvrent lorsque les pays où ils sont implantés rendent cela possible. Comment concevoir les remédiations nécessaires, avec des rythmes potentiellement très différents d'un établissement à l'autre ?

Mme Laure Darcos. - La crise va-t-elle compromettre certains financements des années croisées à venir des instituts français à l'étranger ? Remettra-t-elle en cause la politique culturelle extérieure ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Face à cette crise, un certain nombre de personnels d'éducation dits en postes à risque dans des lycées français ont regagné la métropole. Je souhaiterais savoir dans quelle proportion et avec quelles difficultés organisationnelles ? Je sais notamment que le proviseur du lycée du Caire a été contraint de rentrer en France.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Notre choix, plutôt que de mettre en place une cellule d'information centralisée, a été de faire en sorte que les établissements soient des centres ressources et qu'ils informent les familles. Le principe de subsidiarité permet une agilité bien supérieure.

Le programme des Ambassadeurs en herbe est un concours de joute oratoire pour les élèves du réseau. Il était impossible de le mettre en place cette année. La plupart des événements prévus pour fêter les trente ans de l'AEFE ont dû être ajournés. Lorsque nous reviendrons à une situation plus normale, il pourra être souhaitable d'en reprogrammer certains. Nous sommes très attachés à ce type d'événements.

En ce qui concerne les alliances françaises sur le territoire national, les propos du Président de la République étaient très volontaristes pour le monde de la culture. Dans son allocution du 13 avril, il a précisé que le secteur du tourisme, de la culture, des sports et de l'événementiel devait bénéficier d'un traitement particulier. Par exemple, les différents domaines de la culture sont intégrés dans les exonérations de charges de mars à juin. Ce tableau sera soumis au Parlement, dans le PLFR-3, d'ici quelques jours. Ces secteurs continueront à bénéficier d'une activité partielle plus favorable que d'autres, et ce jusqu'à la fin de l'année.

En ce qui concerne les 800 alliances françaises dans le monde, 650 ont dû être fermées, à l'instar des 117 instituts culturels locaux. Quelques-uns de ces établissements commencent à rouvrir. Un certain nombre d'entre eux ont par ailleurs mis en place des mesures de continuité, grâce au numérique. De fait, les activités générant des recettes ont connu une certaine baisse (cours de langue, organisation d'examens et de certification).

Nous avons identifié une trentaine de postes en situation fragile, y compris au sein de certains établissements dans de grands pays (États-Unis, Chine, Japon, Turquie). Nous sommes très vigilants les concernant. Une dizaine d'autres fait l'objet d'une surveillance accrue, en Argentine, au Mexique, en Indonésie et au Vietnam. A l'inverse, quelques établissements ont fait preuve d'une belle résilience budgétaire, notamment en Afrique et dans certains pays européens. Nous avons commencé un recensement de leurs besoins. Tout sera fait pour que ces établissements passent le cap. Nous finalisons un certain nombre de mesures, dont nous pourrons rediscuter dans le courant du mois de juin.

Le directeur de l'AEFE serait plus en mesure de fournir des données sur le décrochage par établissement et par pays. Je collecterai cependant ces données, et vous les transmettrai dans une réponse écrite.

Nous sommes placés en concurrence avec d'autres systèmes d'enseignement. Des établissements anglophones se développent. Nous avons beaucoup d'atouts, mais nous ne devons pas renoncer, pour rester attractifs, à favoriser l'apprentissage d'autres langues. Le Président de la République, lorsqu'il avait évoqué son plan pour le développement de la francophonie, avait souligné l'importance du plurilinguisme. La France porte l'apprentissage de la deuxième langue dans un certain nombre d'enceintes, telles que l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO). Le français est en effet bien placé pour être la deuxième langue choisie. Le plurilinguisme est un élément d'attractivité pour le réseau, comme le numérique, dont nous devons nous emparer pleinement.

L'AEFE dispose déjà d'une trésorerie, qui lui permet d'avancer des sommes aux établissements qui en ont besoin. Nous avons prévu l'avance pour pouvoir compléter ces montants. Ces avances seront disponibles au mois d'août, mais l'AEFE n'attend pas. Avec M. Jean-Yves Le Drian, nous portons cette position de la transformation en crédits budgétaires dans toutes les discussions interministérielles dédiées, notamment celle sur le PLFR-3. Une ventilation est possible entre celui-ci et d'autres mesures budgétaires pour 2021, mais l'idée est de sanctuariser cette somme le plus vite possible.

Les années croisées sont des moments très importants d'un point de vue culturel, mais également diplomatique. Il faut continuer au même rythme, tout en s'adaptant aux contraintes. L'année 2020 prévoyait une saison Africa. Je crois qu'il faut demeurer volontariste car en matière d'influence, nous avons pu constater que la crise était l'occasion pour un certain nombre de puissances émergentes de déployer davantage leur soft power.

Le nombre de professeurs ayant dû regagner la métropole est de l'ordre de quelques dizaines. La plupart du temps, ils ont contribué à la continuité pédagogique de là où ils se trouvaient. S'agissant des Français établis hors de France de façon pérenne, M. Jean-Yves Le Drian a indiqué qu'il leur fallait dans la mesure du possible demeurer à leur domicile. C'est pourquoi nous avons mis en place les dispositifs de soutien sanitaire et social, afin que ceux-ci puissent avoir accès à des soins appropriés en cas de problème, d'où le mécanisme d'évacuation fonctionnant en continu. L'idée est que les professeurs puissent dans la mesure du possible rester là où ils sont affectés. Je sais que le dialogue s'est enclenché naturellement entre ceux qui sont revenus, l'AEFE et leurs établissements. Mais leur nombre est relativement réduit.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Pouvez-vous approfondir la question des alliances françaises ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Il s'agit d'un travail en cours. Nous ne sommes pas au même degré d'avancement que pour l'enseignement français. Nous recensons les difficultés, avant de pouvoir élaborer les mesures d'accompagnement. Il serait à ce titre utile que la direction en charge de ce secteur au ministère puisse échanger avec votre commission.

Mme Catherine Dumas. - Qu'en est-il des étudiants qui ont l'habitude de suivre des stages à l'étranger ? Beaucoup en avaient prévu, y compris dans des lycées professionnels.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Aujourd'hui, la mobilité vers l'extérieur est très entravée. Près de 180 pays ont encore mis des mesures restrictives à l'accès des Français sur leur sol. Le travail intra-européen avance. Des initiatives quelque peu unilatérales ont été prises ces derniers jours, mais l'appel à la coordination commence à être entendu. Le 15 juin constitue à ce titre une date pivot. Au sein de l'espace Schengen, la liberté de circulation reprendra un cours plus normal.

Un certain nombre de ces stages pouvaient avoir lieu hors d'Europe. La situation risque de demeurer complexe plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Le principe qui prévaut aujourd'hui en Europe est celui du non-accès de ressortissants d'États tiers à l'espace Schengen. Il est valable jusqu'au 15 juin. Les discussions sont en cours, mais les ministres de l'Intérieur se réuniront le 5 juin. Il semblerait que les États européens souhaitent prolonger cette disposition pour quelques semaines. Cela a remis en cause un certain nombre de programmes, et nous devons parfois faciliter le retour d'étudiants français. Je songe par exemple à des étudiants en médecine en Roumanie, qui ont pu revenir la semaine dernière. Il est aujourd'hui important de temporiser sur ces déplacements lointains.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Vraisemblablement les musées, les bibliothèques et les médiathèques seront les premiers lieux de culture à rouvrir. La distanciation sociale et la régulation des flux des publics y sont en effet assez aisées. Certaines expositions sont cependant bloquées par les difficultés d'acheminement des oeuvres. Vos services travaillent-ils sur cette question ? Je songe notamment à l'exposition sur les Olmèques. Ces expositions seront-elles différées dans le temps ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Le sujet des musées concerne prioritairement M. Franck Riester. Néanmoins, vous avez raison de souligner qu'un certain nombre de musées a pu rouvrir. Naturellement, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères reste à leur disposition pour faciliter le transfert des oeuvres. Le flux des personnes a été entravé, mais celui des biens a pu continuer de manière assez soutenue. Je songe également à une exposition qui doit présenter des objets provenant du Tadjikistan au musée Guimet. Cela participe de cette logique d'influence, et j'ai bon espoir que nous puissions maintenir un programme dense.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le Festival Normandie impressionniste doit accueillir des oeuvres notamment d'outre-Atlantique, et cela pose question. Ces manifestations sont censées reprendre, et nous comptons sur les services de votre ministère pour accompagner les transits sur place. Cela participera de la relance.

Par ailleurs, nous avons des contacts réguliers avec le délégué à la francophonie, M. Paul de Sinety, qui déplorait récemment que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères ait lancé une opération nommée Marque France, dont la déclinaison était en anglais. Je m'en suis ouvert auprès de M. Jean-Yves Le Drian. Il est fâcheux que l'anglais soit choisi même dans des pays tels que le Brésil, l'Argentine et le Mexique, où la langue française est assez familière. Êtes-vous au courant de ce fait ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Ce sujet ne relève pas exclusivement du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, mais était interministériel. Les différentes marques concernent l'attractivité économique et le tourisme. Il est important qu'il puisse y avoir une déclinaison selon les supports. Je suis très attaché à ce que puisse exister, outre ces déclinaisons en anglais, un équivalent en français. Le Président de la République a souhaité qu'un événement soit organisé à Paris pour valoriser le rôle de la France en matière de gastronomie. Dans ce domaine également, la concurrence fait rage. À l'initiative du chef, M. Alain Ducasse, et de l'ambassadeur, M. Philippe Faure, un Paris food forum a pu avoir lieu. Je me suis battu pour que cet événement puisse avoir comme nom officiel celui de Forum de Paris pour la gastronomie et l'alimentation durable. Nous nous adressons cependant au monde entier, et des déclinaisons sont nécessaires. J'ai néanmoins veillé à ce que ces deux dimensions puissent coexister sur les documents, et que le français ne soit pas relégué. Sans intervention politique, l'anglais aurait peut-être été privilégié.

Nous fêtons le cinquantenaire de la francophonie institutionnelle. À Niamey en 1970, un certain nombre de chefs d'État et de gouvernement ont signé ce pacte, qui a créé l'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT). Celle-ci s'est par la suite transformée en Agence de la Francophonie, et en Organisation internationale de la Francophonie. La francophonie a cependant précédé sa version institutionnelle. Elle a commencé par de jeunes étudiants dans les années 1920, et s'est poursuivie avec des intellectuels et des écrivains. De ce point de vue, Mme Leïla Slimani est très engagée pour que nous puissions porter haut cette ambition, qui dans les jeunes générations, peut apparaître dépassée, ce qu'elle n'est naturellement pas. Elle est au contraire d'une grande modernité car le français est une langue qui permet de se retrouver.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous parlais en l'occurrence d'événements organisés dans des pays de langues latines, très proches du français, pour lesquelles la déclinaison de la Marque France se fait en anglais. Je trouve cela dommage.

M. Claude Kern, rapporteur. - Je partage votre position sur le plurilinguisme, mais pourquoi se battre pour que le français devienne la deuxième langue dans un certain nombre d'institutions, et non la première langue ? Je crois qu'il faut faire progresser la francophonie. Étant membre de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je me bats systématiquement contre les Français qui présentent leurs rapports en anglais.

Je ne reprendrai pas tous les éléments que vous avez présentés sur l'avenir du réseau, mais je constate qu'il reste beaucoup de travail. L'objectif de doublement des effectifs d'élèves d'ici 2030, voulu par le Président de la République et fixé dans le plan de développement du réseau, me semble très difficile à atteindre. Je partage votre position : il faut avant tout sauver le réseau existant. J'avais déjà émis des doutes sur ce plan de développement lorsqu'il avait été annoncé, notamment sur la date fixée. Avant d'annoncer une autre date, il conviendra de faire un nouveau point. Comme nous pouvons craindre de nombreuses défections, cet objectif devra être sans doute revu.

Nous sommes dans l'attente du déblocage de l'avance, et nous souhaiterions disposer d'une date, même approximative, de présentation du PLFR-3.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Un conseil des ministres doit se tenir le 10 juin, et traitera du PLFR-3.

J'adopte par ailleurs la même attitude que M. Claude Kern dans les conseils des ministres de l'Union européenne auxquels j'assiste. Je prends la parole en français. Notre représentant permanent auprès de l'Union européenne, il y a de cela quelques mois, avait du reste quitté une réunion, parce que les documents n'étaient pas disponibles en français. L'anglais n'est plus la langue officielle que d'un ou deux États de l'Union européenne après le Brexit. Nous travaillons à un plan avec Mme Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de la Francophonie, afin de former un certain nombre de fonctionnaires européens et internationaux à l'usage du français. Sur la durée, depuis vingt ou trente ans, le français a en effet reculé avec les élargissements successifs.

Mme Laure Darcos. - Je pense que les organismes internationaux, et notamment la Commission européenne, accueillent de moins en moins de jeunes Français. Nous sommes donc confrontés à des anglo-saxons et des jeunes d'Europe de l'Est qui s'expriment tous en anglais.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Je pense que la francophonie a de l'avenir. Je constate sur le territoire l'engagement associatif, par exemple la maison de la francophonie. Pour revenir sur le développement de l'enseignement français à l'étranger, et l'élan que le Président de la République avait impulsé pour 2030, l'idée était à la fois de renforcer les établissements existants et de favoriser l'émergence de nouveaux. Il ne s'agissait pas, lorsqu'un établissement nouveau ouvrait dans une ville où en existait déjà un autre, de prendre à l'un pour donner à l'autre. Nous avons donc demandé aux ambassadeurs de coordonner le développement du réseau. M. Olivier Poivre d'Arvor l'a fort bien fait en Tunisie. Il est important que puisse exister une certaine régulation, et nous assurer que la concurrence ne nuise pas au projet. Il s'agit de rester bien positionné dans un monde où de plus en plus de parents de jeunes de pays émergents sont prêts à investir dans l'éducation. Si nous conservons un effectif de même taille, arithmétiquement, nous perdons en influence.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le rapport de Mme Claudine Lepage et de M. Louis Duvernois sur la francophonie avait formulé la recommandation que notre commission ne s'exprime qu'en français lorsqu'elle reçoit des délégations étrangères. Nous suivons cette règle, et nous faisons traduire, y compris quand nous nous déplaçons à l'étranger. Nous essayons d'être exemplaires en la matière.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Le plurilinguisme doit s'exprimer à tous les niveaux. Si nous défendons le français sur la scène internationale, celui-ci doit également faire la place aux langues qui ont cours sur le sol français. Qui défend la francophonie doit également défendre les langues régionales. Il faut être cohérent, et nous ne devons pas faire preuve d'un impérialisme linguistique.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Notre commission défend la diversité culturelle, et l'exception culturelle. Pour nous, défendre le français, c'est défendre toutes les langues.

M. Max Brisson. - Je pense que si nous voulons que le français soit appris à l'étranger, nous devons également donner toute leur place aux autres langues sur notre territoire. Ce plurilinguisme vaut pour le système français à l'étranger, mais également en France, et est le seul moyen de sauver la place du français dans le monde.

Mme Catherine Dumas. - Les écoles françaises à l'étranger sont pionnières en la matière, puisque si l'enseignement y est en français, la langue du pays y est également enseignée, ainsi que l'anglais, et d'autres langues. Beaucoup d'élèves sortent de ces écoles en étant trilingues.

M. Max Brisson. - Le recul de l'espagnol comme première langue vivante est considérable dans mon département. L'anglais est appris à Bayonne, mais non l'espagnol. Il ne faut alors pas s'étonner que le français ne soit plus appris de l'autre côté de la frontière.

M. Claude Kern, rapporteur. - La situation est similaire en Alsace, où l'allemand est en net recul. Or les maisons-mères des grandes entreprises qui y sont installées sont allemandes. Elles demandent donc à ce que les jeunes recrutés sachent parler l'allemand. De même, de nombreux emplois ont du mal à être pourvus en Allemagne, faute d'un nombre suffisant de jeunes parlant la langue.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous allons conclure cette audition pour laquelle je vous remercie, M. le secrétaire d'État. Nous serons très vigilants dans la perspective du PLFR-3, sur la déclinaison de ce plan d'urgence. Nous continuerons avec notre groupe de travail à approfondir ces sujets. Aussi serons-nous sans doute amenés à vous entendre à nouveau, notamment sur le volet culturel.

La téléconférence est close à 18 h 20.