Mercredi 1er juillet 2020

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 16 h 45.

Audition de Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire

M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons aujourd'hui nos travaux par l'audition de Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.

Nous avons entamé nos travaux il y a plusieurs semaines et auditionné de nombreux intervenants.

Notre commission attend de votre audition, madame la ministre, qu'elle puisse l'éclairer sur les intentions du Gouvernement pour renforcer la surveillance des risques de pollution des sols liés à des activités industrielles ou minières. La réglementation a certes connu des évolutions positives et le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique prévoit de compléter les obligations en termes de mise en sécurité et de réhabilitation pour les exploitants de certains types d'installations classées.

Néanmoins, nos auditions ont mis en lumière plusieurs insuffisances dans notre arsenal juridique. Les professionnels de la dépollution des sols s'expriment assez fortement en faveur d'une véritable loi sur la pollution, comme nous en disposons sur l'air ou encore l'eau, qui permette de mieux définir la notion de pollution des sols. En effet, la gestion des pollutions industrielles ou minières des sols est traitée différemment au regard de la loi selon qu'il s'agit de déversements actifs de polluants, de déchets, de sources concentrées ou de pollutions déplacées hors site, sans véritable cohérence d'ensemble.

Par ailleurs, sont ressorties de nos auditions plusieurs asymétries entre le code minier et le code de l'environnement dans la prévention des risques sanitaires et écologiques. Dans quelle mesure pensez-vous que la réforme à venir du code minier peut permettre de combler certaines lacunes dans ce domaine ? Des évolutions sont-elles envisagées pour les exploitants miniers en termes de renforcement de leurs obligations de constitution de garanties financières qui pourraient être mobilisées par l'État en cas de défaillance, ainsi qu'en termes de délai de prescription après la cessation d'activité pour rechercher leur responsabilité en cas de pollution ?

Avant de vous laisser la parole, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Je vous invite, madame la ministre, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, lever la main droite et dites : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Élisabeth Borne prête serment.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Je souhaite d'abord vous remercier de me donner l'occasion d'échanger avec vous sur les questions de pollution des sols issues d'activités industrielles ou minières et sur les moyens qui sont mis en oeuvre par les services de mon ministère pour prévenir ces pollutions, faciliter le recyclage des friches industrielles et traiter des situations présentant des risques pour les populations.

Je souhaite tout d'abord rappeler que le meilleur moyen de lutter contre les pollutions des sols consiste à adopter les bonnes mesures de prévention en phase d'exploitation d'un site industriel ou minier.

Ainsi, dans le cadre du contrôle des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) ou des installations minières, l'État dispose d'un pouvoir de police pour prévenir les infiltrations de polluants dans les sols ou dans les eaux souterraines. Ainsi, les inspecteurs de l'environnement vérifient que les cuvettes de rétention sont conformes à la réglementation, que les conditions de stockage des produits chimiques sont respectées et que les valeurs limites de rejet dans les milieux sont tenues.

Ce sont ainsi plus de 18 000 contrôles qui sont réalisés chaque année. Je me suis engagée à augmenter ce nombre de contrôle de 50 % d'ici la fin du quinquennat : 50 nouveaux postes seront créés en 2021.

Lorsque les mesures de prévention n'ont pas été suffisantes, l'État se retourne vers les exploitants en application du principe pollueur-payeur.

Les exploitants d'ICPE sont soumis à des obligations de remise en état de leurs terrains après la cessation de leur activité. Il arrive néanmoins que l'activité s'arrête en raison d'une défaillance financière de l'exploitant. C'est pourquoi, depuis 2012, des garanties financières ont été rendues obligatoires pour la mise en sécurité d'ICPE susceptibles d'être à l'origine de pollutions importantes. Elles représentent un montant conséquent de 650 millions d'euros pour un total de plus de 800 sites. Afin d'être directement mobilisables, ces garanties sont confiées à la caisse des dépôts et consignations ou sont cautionnées par un organisme de crédit.

Par ailleurs, dans le cadre du projet de réforme du code minier, j'ai tenu à ce que les obligations en fin d'exploitation soient alignées sur celles prévues par la réglementation ICPE : en renforçant la prise en compte des enjeux sanitaires dans les objectifs de remise en état des mines, en créant des garanties financières nouvelles pour couvrir la remise en état, et en étendant la responsabilité de l'exploitant jusqu'à trente ans après l'arrêt des travaux miniers.

Par ailleurs, mon ministère s'est engagé à faire preuve de la transparence la plus absolue concernant le recensement des pollutions historiques.

Plusieurs recensements sont mis à disposition du public pour avoir connaissance des sites pollués ou des sites potentiellement pollués par des activités industrielles.

Le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a constitué une liste de tous les sites ayant pu héberger une activité industrielle. Cette liste, dénommée Basias (base nationale des anciens sites industriels et activités de service), recense aujourd'hui plus de 300 000 terrains.

Par ailleurs, dès lors qu'un inspecteur des installations classées a connaissance d'une pollution ou d'une suspicion de pollution, une fiche de recensement est créée avec l'ensemble des informations disponibles sur les polluants résiduels et les actions de dépollution en cours. La base Basol (base de données sur les sites et sols pollués) compte ainsi plus de 7 000 sites.

Au regard du nombre de friches industrielles, le recyclage urbain constitue un enjeu majeur pour répondre aux objectifs de maîtrise de l'étalement urbain et de dépollution des sols.

C'est pourquoi il est nécessaire de faciliter les opérations de dépollution qui ne trouvent pas naturellement d'équilibre économique compte tenu de la faible valeur foncière.

Plusieurs dispositifs sont à l'étude dans le cadre du groupe de travail sur la reconversion des friches industrielles et sur la lutte contre l'artificialisation des sols. Un dispositif national de réhabilitation des friches abondé par une taxe sur l'artificialisation des sols pourrait être une piste. Il en est de même de la mise en oeuvre d'obligations de compensation en cas d'artificialisation et de la possibilité de déroger à certaines règles d'urbanisme pour faciliter le recyclage urbain.

Si le recyclage urbain est un enjeu primordial pour le ministère de l'environnement, il est néanmoins important de veiller à ce que de nouvelles habitations, de nouvelles crèches ou de nouvelles écoles ne s'implantent pas sur d'anciennes friches industrielles sans que les travaux de dépollution adéquats ne soient menés.

Ainsi, depuis 2014 et dans le cadre de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi Alur, des secteurs d'information sur les sols (SIS) ont été créés. Lorsque la pollution résiduelle des sols est importante, un aménageur qui souhaite modifier l'usage du site doit préalablement faire attester par un bureau d'études que le niveau de dépollution sera suffisant.

Néanmoins, lorsqu'un site pollué présente des risques sanitaires pour les populations, le ministère est en mesure d'intervenir à travers ses opérateurs.

Des crédits dédiés de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), à hauteur d'environ 20 millions d'euros par an, permettent de mettre en sécurité les sites qui présentent des risques sanitaires pour les populations, lorsque toutes les procédures pour rechercher la responsabilité du pollueur ont échoué. L'Ademe traite ainsi environ 20 nouveaux sites par an. Ces crédits sont utilisés pour réaliser les opérations les plus urgentes de mise en sécurité afin de protéger les personnes et de circonscrire une pollution environnementale qui menace de s'étendre.

Au total, à travers l'intervention de ses différents opérateurs l'Ademe, le BRGM, l'institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) et le groupement d'intérêt public Geoderis, plus de 290 millions d'euros ont été mobilisés sur les crédits du ministère entre 2010 et 2019 pour traiter des situations d'urgence, apporter de l'expertise et soutenir des projets de reconversion des friches industrielles.

L'État est engagé depuis plus de vingt ans pour renforcer la réglementation en matière de lutte contre les pollutions d'origine industrielle et minière.

Néanmoins, de nombreuses pollutions historiques sont antérieures à cette réglementation et nécessitent que l'État intervienne ponctuellement pour assurer la sécurité des populations et la préservation de l'environnement et qu'il assure systématiquement la conservation de la mémoire afin d'assurer une dépollution suffisante des terrains avant l'implantation de nouveaux aménagements.

Vous pouvez compter sur ma plus grande vigilance pour atteindre ces deux objectifs.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Je souhaite rebondir sur votre conclusion qui pose le problème de la résurgence des pollutions historiques qui sont prégnantes pour les populations sur site. Cette commission d'enquête a été créée à partir de ce constat. Quand un incident arrive, on a des populations et des élus démunis et des dispositifs qui manquent de réactivité. Au cours des auditions, nous avons bien vu que, suivant les secteurs géographiques, les élus et les collectivités ont compensé ces difficultés avec l'aide de l'État via la création d'établissements publics fonciers. On ressent un manque de cadre législatif. Il ne s'agit pas de faire un procès d'intention. L'accumulation des structures ne gagne pas en clarté. Concernant les sites à pollution historique, il faut revoir l'information et le suivi des travaux parce qu'il y a un changement permanent d'interlocuteurs. Nous nous retrouvons donc confrontés à la pollution et à une interface avec plusieurs ministères : l'écologie et la santé. Cela manque de cohérence et de réactivité. Nous sommes comme vous très attachés à l'intérêt général. Cette commission d'enquête a pour but d'améliorer le cadre législatif et non de mettre en cause qui que ce soit. C'est une question d'environnement et de santé. Nous vous avions envoyé un questionnaire très fouillé sur lequel votre ministère nous a répondu et je vous en remercie.

Je souhaiterais revenir sur la périodicité des contrôles et des inspections des installations classées mais aussi des installations minières.

Il semble que la question de la pollution des sols ne soit traitée que de manière ponctuelle pour un grand nombre d'installations : elle n'est vraiment abordée qu'au moment de la demande d'autorisation environnementale, pour établir un état initial des sols et des eaux souterraines, puis au moment de la fermeture du site, souvent plusieurs décennies après.

Entretemps, l'exploitant ne s'intéresse qu'à la pollution atmosphérique ou encore aux déchets et la question de la pollution des sols semble-t-elle, ne se poser dans cet intervalle qu'en cas d'accident impliquant un déversement de polluants. Seules les installations les plus polluantes, comme les installations relevant de la directive sur les émissions industrielles (IED), font l'objet d'un suivi du milieu souterrain plus prégnant.

Dans ces conditions, ne pensez-vous qu'il faille s'orienter vers la mise en oeuvre de diagnostics des sols plus fréquents afin d'éviter à se retrouver, à la fin de l'exploitation, face à des pollutions des sols qui nécessiteront des travaux coûteux ?

Par ailleurs, certains ont pointé les difficultés à rechercher la responsabilité de certaines entités en cas de dommages écologiques liés à une exploitation industrielle, notamment la responsabilité des propriétaires et celle des sociétés mères.

Pourriez-vous notamment revenir sur la notion de « propriétaire négligent » et ce qu'elle implique en termes de répartition des responsabilités entre les responsables de premier rang (c'est-à-dire, l'exploitant ou le tiers demandeur) et les responsables de second rang comme le propriétaire : dans quelles conditions le propriétaire peut-il être contraint de procéder à la mise en sécurité ou à la dépollution ? L'absence d'usage futur du site peut-elle, par exemple, dispenser le propriétaire de procéder à la dépollution, notamment lorsque les responsables de premier rang sont défaillants ?

S'agissant des sociétés mères, il demeure difficile de prouver leur responsabilité puisqu'il faut que la société mère détienne plus de la moitié du capital social de la société liquidée ou en cours de liquidation judiciaire et qu'il faut également démontrer que la faillite de la filiale exploitante résulte d'une faute caractérisée de la société mère. Ne pensez-vous pas que la loi doive être changée à cet égard afin de mettre un terme aux montages consistant pour les sociétés mères à organiser la mise en liquidation de leurs filiales ayant exploité des sites industriels et ensuite se défausser de leurs responsabilités en matière de dépollution ?

Enfin, le Gouvernement a mis en place un groupe de travail sur la réhabilitation des friches industrielles. Pourriez-vous nous préciser les pistes que votre ministère pourrait retenir pour favoriser la reconversion de ces friches ? Dans quelle mesure pensez-vous que l'État puisse peser sur l'équilibre entre l'usage futur du site et l'ampleur des travaux de dépollution ? En effet, la dépollution est fonction de l'usage du site : si on compte installer une nouvelle usine sur le site, sa dépollution sera minimale. Trouvez-vous cela satisfaisant d'un point de vue écologique ?

Ce sujet est au coeur de la vie de nos concitoyens. Il faut un suivi réel et rigoureux des politiques de dépollution mises en place.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - C'est un vaste sujet. La législation et la réglementation ont été mises en place au fil des années afin d'éviter que les exploitants en activité ne viennent polluer les sols et s'assurer qu'ils ont bien les ressources financières en cas de pollution accidentelle ou après la cessation de leur activité. Ces dispositifs sont relativement protecteurs en tout cas pour les ICPE. L'enjeu de la réforme du code minier est d'aligner les obligations pour les sites miniers sur celles des ICPE. Dans le cas des ICPE, on a la possibilité de rechercher la société mère en cas de défaillance de l'exploitant. C'est indispensable. Il faut un interlocuteur capable d'assumer les responsabilités. Dans le même esprit, on a prévu d'appliquer le principe des garanties financières. Ce n'est pas au contribuable de financer les travaux de dépollution d'un site.

La grande difficulté à laquelle nous sommes confrontés, c'est l'existence d'un stock massif, 300 000 terrains. On découvre des choses incroyables. C'est le cas, par exemple, de la vallée de l'Orbiel, d'anciennes régions industrielles et minières de notre pays...

Le principe de l'intervention est un principe de gestion des risques. C'est également le cas en Belgique et en Grande-Bretagne. On vise à obtenir un niveau de réhabilitation compatible avec l'usage qui pourrait être fait du terrain. En cas de risque, comme une inondation par exemple, mon ministère intervient pour s'assurer que l'on maîtrise les risques pour les populations. C'est différent de mener les opérations de dépollution de terrains. J'ai conscience que ce n'est pas extrêmement satisfaisant. Mais les ordres de grandeur sont colossaux. Il existe aujourd'hui des garanties de 650 millions d'euros qui visent à couvrir le coût des interventions d'urgence pour confiner la pollution. Si on doit chiffrer le coût de la dépollution, on est sur des milliards. Les inspecteurs des installations classées ont pour objectif de vérifier la non re-pollution des sites avec la surveillance du redimensionnement des bassins de rétention, avec un contrôle des rejets sur les milieux et avec un contrôle des conditions de stockage.

On pourrait imaginer des dispositifs permettant la réutilisation des friches plutôt que d'aller artificialiser des terres agricoles ou des espaces naturels.

Je pense qu'il existe aujourd'hui des dispositions pour contrôler les sites en exploitation afin qu'ils ne produisent pas de pollution des sols, pour s'assurer que les exploitants assument leur responsabilité de « pollueur-payeur » en cas d'accident ou remettent en état le site en cas d'arrêt d'exploitation. Cela dit nous devons vivre avec un stock très important.

M. Jean-François Husson. - Je voudrais apporter un regard différent. Dans mon département, je connais des friches industrielles qui sont confrontées à des enjeux de pollution. Les entreprises ont fait faillite et il est difficile de démêler les titres de propriété. Les sols sont dégradés et, encore aujourd'hui, il y a une pollution des cours d'eau qui alimentent la Moselle. Cela pose la question de la succession des réglementations dans le temps qui étaient certainement moins exigeantes à l'époque et qui négligeaient la question de « l'après ». La dépollution a un coût élevé et si la problématique de la responsabilité est établie, le propriétaire est quelquefois difficilement identifiable.

J'ai bien compris qu'il existait des dispositifs mais il faut beaucoup de temps pour que les choses se mettent en place. Le maire devient le responsable aux yeux de la population. Il a des obligations auxquelles il doit faire face sur son territoire.

Quel point de vue portez-vous sur le sujet ? Comment faire évoluer notre droit et la pratique afin d'avoir des circuits de décision permettant d'aller plus vite et de ne pas laisser au maire toute la responsabilité de réunir les personnes et organismes concernés. C'est un sujet d'une grande complexité.

Je souhaite aborder également le sujet de la pollution des éoliennes. Je vous parle des blocs de béton qui ont un démantèlement obligatoire sur la profondeur d'un mètre. Pourquoi ne pas envisager un démantèlement complet du socle de béton au moment de l'installation ?

Enfin, la responsabilité élargie du producteur issue de la loi sur l'économie circulaire permet de faire participer les entreprises à l'effort commun de préservation de l'environnement : prévoyez-vous de reprendre ce dispositif pour l'étendre aux entreprises et industries dont l'activité présente un risque de pollution des sols ?

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - La logique générale c'est que, quand on a un risque de pollution, le risque doit être confiné. Le circuit normal c'est le préfet qui doit pouvoir s'appuyer sur sa direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) qui doit mobiliser l'Ademe. Le confinement des pollutions doit être transparent pour le maire. Le chemin doit permettre de remonter jusqu'à la direction générale de la prévention des risques. Je pense comme vous que le nombre de dossiers traités par l'Ademe chaque année est insuffisant. C'est une question d'organisation au sein de mes services et de mobilisation des moyens. Je vais regarder attentivement les moyens d'intervenir plus efficacement et dans des délais plus courts.

S'agissant des éoliennes, un nouvel arrêté ministériel prévoit un démantèlement des fondations au-dessus d'un mètre, en accord avec les exploitants, afin de recycler le béton et les mâts.

Enfin, sur le principe « pollueur-payeur », la responsabilité élargie des producteurs permet de payer la gestion des déchets des filières concernées et de favoriser l'éco-conception des produits. C'est un autre sujet que celui de la pollution liée au site industriel lui-même. Aujourd'hui, le principe « pollueur-payeur » s'applique aux industriels qui peuvent polluer soit accidentellement, soit au fil du temps. Des contrôles sont prévus et lorsque l'exploitation cesse, l'industriel a l'obligation de remettre le site en l'état, en vue en général de pouvoir accueillir un nouveau site industriel ce qui est différent d'un site accueillant du public sensible.

M. Alain Duran. - Je suis d'accord avec vous sur la prévention comme moyen de lutter contre la pollution. Mais certaines pollutions sont anciennes et nous avons environ 300 000 friches aujourd'hui. Notre objectif de « Zéro artificialisation » ne nous permet pas de laisser ces friches sans rien faire. Cela a un coût. Nous avons un problème pour financer ces réhabilitations. Au cours des auditions, nous avons pu constater l'existence d'un frein juridique et le coût de cette dépollution. La création d'un fonds est revenue à plusieurs reprises. Mais qui seraient les contributeurs ? Je considère que ce n'est pas au contribuable d'assurer cette participation. Pourriez-vous précisez quelles sont vos pistes et le calendrier pour la mise en place d'une telle structure ?

Ma seconde question porte sur la convention citoyenne pour le climat : quelle est votre avis sur la création du crime d'écocide en droit pénal ?

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - On voit bien que le coût de dépollution peut être très important, selon les zones où l'on peut accepter un coût foncier important mais parfois le prix de revient de la mise à disposition du foncier est décalé par rapport à l'opération envisagée. C'est l'objet d'un travail notamment animé par Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État à la transition écologique. Cet enjeu de la réutilisation des friches est très lié à l'arrêt de l'artificialisation des terres agricoles et zones naturelles. On voit bien aujourd'hui l'existence d'un écart de prix de revient entre une opération de lotissement sur un terrain agricole ou une opération de reconstruction sur un site industriel, qui est colossal. L'une des pistes est la création d'une taxe sur l'artificialisation qui pourrait être alimentée par ceux qui utilisent des terres agricoles. Une autre solution passerait par l'obligation de compensation. Nous pourrions également mobiliser les établissements publics fonciers (EPF), qui couvrent à peu près la totalité du territoire et qui ont le mérite d'avoir des équipes mutualisées en ingénierie, prêtes à les accompagner dans les opérations de dépollution. Comment booster les ressources des EPF par une taxe spécifique ou sur le budget pour permettre d'effacer tout ou partie des surcoûts liés à la dépollution ? Ce n'est pas simple.

Les entreprises ont une obligation dont il ne s'agit pas de les dispenser. Le montant des garanties de 650 millions d'euros n'est pas à mettre en face des 300 000 sites recensés dont on imagine qu'ils peuvent potentiellement être pollués. Dans la base Basol, nous avons 7 000 friches identifiées comme polluées. Les 650 millions d'euros sont à mettre en regard des seuls 870 sites exploités. On peut appeler ces garanties si l'exploitant d'un de ces sites ne remplissait pas ses obligations de dépollution à l'arrêt de l'exploitation.

Concernant l'écocide, j'en pense la même chose que le Président de la République. Ce sujet relève du niveau international. Mais nous devons aussi prendre en compte les propositions faites par la convention citoyenne dans notre droit national, notamment la création d'un parquet européen et aller vers un délit d'atteinte à l'environnement.

M. Laurent Lafon, président. - Pourriez-vous nous donner des éléments de calendrier du groupe de travail ? L'arbitrage ne peut-il avoir lieu lors du débat de la loi de finances pour 2021 ou 2022 ?

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Beaucoup d'activités ont pris du retard du fait de la crise sanitaire. Il y a deux échéances à tenir : le projet de loi de relance avec les premiers éléments de financement pour accélérer la remise en l'état des sols et le projet de loi spécifique dans lequel on devra intégrer les propositions sur l'arrêt de l'artificialisation, à la rentrée.

M. Joël Bigot. - Beaucoup de collectivités territoriales se retrouvent en grande difficulté face à ces terrains pollués. Je note que la prescription trentenaire est un obstacle à une remobilisation rapide, notamment des friches industrielles. Or la reconquête des friches industrielles est un enjeu majeur pour l'urbanisation de nos collectivités.

Est-ce que votre ministère réfléchit à un nouveau cadre pour proposer aux collectivités des solutions efficaces pour reconvertir ce type de terrain ?

J'ai également une question sur la réforme du code minier qui est un véritable serpent de mer législatif. Seules les carrières sont soumises à une législation sur la protection de l'environnement depuis 1964. En revanche, les exploitations minières, pétrolières et gazières échappent toujours à cette législation. Les dispositions du code minier leur sont très favorables. Votre ministère avait entamé des consultations à l'automne dernier, avez-vous des informations sur un éventuel projet de loi, quelles sont les mesures envisagées en matière de pollution et de responsabilité environnementale ? Quel avis portez-vous sur la chaîne de responsabilité dans la prévention et la gestion des risques sanitaires et écologiques ? Y a-t-il des améliorations en vue de la réglementation actuelle, la prescription trentenaire étant un frein important ? Si le tiers demandeur a produit incontestablement une avancée, on garde un sentiment d'impuissance à remobiliser des sols faute de cadre législatif et de moyens financiers. Les collectivités territoriales sont en attente d'outils leur permettant d'avancer sur ce terrain.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. -L'idée est d'aligner la législation aux exploitants miniers. La difficulté à laquelle nous sommes confrontés c'est le manque de créneau pour examiner un tel texte d'ici la fin du quinquennat. Mais nous avons la volonté de faire aboutir ce travail.

Je partage vos remarques sur les friches. C'est le sens du travail que l'on mène. Comment faciliter la réutilisation des friches industrielles plutôt que d'aller urbaniser des terres agricoles ou des espaces naturels ?

J'ai conscience que dans de nombreux cas la recherche de responsabilité n'est pas simple. Cela appelle un mécanisme complémentaire afin d'éviter la rétention foncière sachant que les établissements publics fonciers doivent pouvoir avoir un droit de préemption. Je pense qu'il est utile d'avoir, dans les territoires, des structures réunissant des professionnels aguerris de ces sujets et de mutualiser les compétences à l'échelle régionale.

Mme Sonia de la Provôté. - Je m'interroge sur plusieurs sujets. Le premier a été évoqué par la rapportrice sur le manque de recollement des données en matière de santé, les risques liés à la pollution et la zone géographique concernée. Nous avons des difficultés à mettre en place un suivi de cohortes qui permettrait de prendre en compte l'évolution dans le temps du risque de pollution et le suivi sanitaire de la population, notamment au niveau épidémiologique. Il faut des cohortes conséquentes. Ce serait également intéressant à suivre au niveau européen. Mais je comprends bien que c'est compliqué à mettre en oeuvre. La multiplicité des interlocuteurs a mis en évidence cette difficulté. Il faudrait avoir une réflexion plus efficace sur le sujet.

Ma deuxième question porte sur le recensement des pollutions. J'ai eu sur mon territoire de mauvaises surprises liées à des usages industriels. Faute d'évaluation et de surveillance, nous avons une méconnaissance du risque lié à l'usage que l'on voudrait faire du bien foncier. Nous avons un problème de compétence, d'expertise et d'ingénierie dans ce domaine. La pollution est une question techniquement très complexe, il faut un bon diagnostic pour savoir comment on dépollue, notamment lorsque c'est pour un logement. Nous avons déjà eu ce débat. L'État doit pouvoir vraiment nous accompagner sur le terrain.

Enfin, ma dernière remarque concerne le financement. Nous avons besoin d'argent public. Le surcoût de financement lié à la mise en oeuvre d'un projet d'aménagement peut aller jusqu'à 30 %. L'équilibre économique est très difficile à trouver. L'accompagnement de l'État, à travers par exemple les contrats de plan État-région (CPER), pourrait se faire à partir de fléchage de projets incluant les modes de financement.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Je pense que l'on a intérêt à stimuler les recherches sur les méthodes de dépollution des sols, comme la phytoremédiation. L'Ademe lance chaque année un appel à projets pour faire émerger des méthodes de dépollution. Une centaine de projets ont été ainsi soutenu sur dix ans pour un montant de 42 millions d'euros. Nous avons intérêt à faire émerger des démarches innovantes. C'est au coeur des compétences du BRGM.

Les EPF ont des compétences sur le sujet, l'agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) peut être le point d'entrée. Avoir un guichet unique permettrait de lutter contre le grand nombre d'interlocuteurs.

Mon ministère a mis en place une méthodologie sur les normes de dépollution des sols. Nous avons 62 bureaux d'études qui sont certifiés pour faire ces diagnostics et proposer des méthodes de dépollution des sols. Dans le cadre du troisième projet de loi de finances rectificatif, il est prévu un milliard supplémentaire pour la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) pour accompagner les collectivités dans leur projet de transition écologique.

Concernant le suivi des cohortes, qui n'est pas dans le champ de mon ministère, je peux toutefois préciser qu'il n'y a pas de seuil de dépollution qui soit prédéfini. Il existe 450 valeurs toxicologiques de référence, qui guident les démarches de dépollution.

Sur la comparaison avec d'autres pays, je souhaite mentionner un travail réalisé au niveau européen, HBM4EU (European Human Biomonitoring Initiative) qui vise à avoir un état moyen de l'imprégnation des populations à divers polluants.

M. Pascal Savoldelli. - Nous sommes d'accord sur le diagnostic. Il y a des échelles nouvelles. Les coûts de dépollution étant si importants, certaines collectivités territoriales sont disqualifiées. Ce coût va aussi jouer sur la nature de l'activité.

Je rappelle que nous ne sommes pas dans l'investigation.

Sur la gestion des risques en fonction de l'usage, est ce que l'on hiérarchise le financement ? C'est un choix de société et un choix politique.

Quel est le chef de file au niveau interministériel ? Selon la nature des sujets, est-ce qu'il y a un ministère pilote ?

Sur la question du financement, est-on dans un fonds franco-français ou bien européen, est-on dans un emprunt spécifique dédié ? Je serai attentif à votre réponse.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - La surveillance sanitaire relève du ministère de la santé. Le ministère de la transition écologique est concerné à la fois par la prévention de la pollution, la vérification que les sites en exploitation respectent leurs obligations de ne pas porter atteinte à l'environnement et la vigilance, donc la police administrative, à l'égard des anciens exploitants. L'Ademe est active sur les interventions en urgence. Nous partageons avec le ministère de la cohésion territoriale la préoccupation de pouvoir réutiliser les terrains en question.

Je pense effectivement que l'ampleur de la pollution contraint les usages.

M. Pascal Savoldelli. - Est ce qu'on hiérarchise les usages ?

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Quand vous êtes la ville de Paris avec des gens prêts à acheter un terrain très cher pour construire des bureaux ou des logements, vous y arrivez, mais la charge foncière n'est pas à la portée de toutes les collectivités. Aussi est-il utile de réfléchir à des outils de mutualisation qui peuvent être soit des fonds, soit des opérateurs, soit à travers des contrats de plan État-région. Il pourrait y avoir des subventions dans le cadre d'un plan de relance européen, fléché sur des opérations de transition écologique et d'aménagement. Dans un certain nombre de cas, nous pourrions devoir passer par des utilisations transitoires. Mais nous aurons besoin d'argent public pour équilibrer ces opérations d'aménagement.

M. Laurent Lafon, président. - Il semble que la campagne de diagnostic des sols des établissements scolaires bâtis sur des sites potentiellement pollués ait été interrompue pour des motifs essentiellement budgétaires en 2016. Pourriez-vous nous indiquer dans quelles conditions cette campagne pourra reprendre afin d'identifier l'ensemble des établissements ? Deux départements n'avaient pas été recensés : le Rhône et Paris.

La situation des stations-service dont l'activité s'est arrêtée a laissé des traces dans les sols. Se pose également la question du traitement et du financement. Votre ministère a-t-il une action spécifique engagée sur ces sites anciennement occupés par des stations essence, l'exploitant étant souvent plus facile à identifier, émanant de grands groupes ?

Les chantiers du Grand Paris Express pourraient conduire à l'excavation de près de 45 millions de tonnes de terre. Selon les estimations, 10 % des gravats collectés pourraient être pollués : comment aborde-t-on, notamment au niveau de la société du Grand Paris, la problématique de la dépollution des terres excavées du Grand Paris ?

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Il est très important de ne pas construire des établissements sensibles sur des sites pollués par d'anciens sites industriels. En 2010, le ministère de l'environnement avait lancé un diagnostic national sur la pollution des établissements sensibles situés sur d'anciens sites industriels. Un peu moins de la moitié ont bénéficié d'un diagnostic, soit 1 400 diagnostics. C'est une démarche qui ne peut se faire indépendamment des collectivités. À l'époque, un certain nombre de collectivités trouvaient curieux que le ministère de l'environnement vienne pointer un établissement scolaire dans une commune présentant un risque de pollution. Je suis favorable à aller au bout de cette démarche. Sur le financement, la méthodologie est acquise dans les grandes collectivités comme Paris. Pour les autres, le ministère doit pouvoir les épauler en termes de méthodologie et d'accompagnement financier.

S'agissant des stations-service, en cas de cessation d'activité, elles ont l'obligation de remettre le site en état. Le ministère peut être amené à intervenir, en contactant l'Ademe, pour confiner la pollution.

Sur le Grand Paris Express, la société du Grand Paris est chargée de la surveillance des terres excavées. Elles doivent être valorisées, et si elles sont trop polluées, elles doivent être traitées ou bien envoyées à la décharge.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Je reviens sur la question de la volonté politique. Je constate que nous manquons d'éléments législatifs pour le traitement de la dépollution des sols et de définitions. Nous n'avons pas défini de typologie de pollution des sols. Il faut que chacun sache ce qu'il a à faire et à quel moment il doit le faire. L'État ne doit pas se défausser de sa responsabilité en matière de gestion de la dépollution des sols. Il faut une cartographie beaucoup plus fine et plus cohérente. Je souhaite une volonté de l'État en la matière. Il faut une clarification des tâches de chacun lorsqu'il y a mise en danger de la population. Je pense également que la population dispose d'une mauvaise information, due à l'utilisation d'un langage peu accessible. À un moment donné, il faut avancer. Nous avons des problèmes de pollution historique pour lesquels on manque de suivi. Tout cela manque de contrôle, de suivi et de cohérence. Il faut que les collectivités et l'État soient au rendez-vous.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie madame la ministre, pour les réponses que vous nous avez apportées. Nous allons poursuivre nos travaux avec quelques visites sur le terrain et nous prévoyons de rendre notre rapport début septembre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 30.

Jeudi 2 juillet 2020

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La téléconférence est ouverte à 16 h 45.

Table ronde sur les démarches innovantes en gestion des sites et sols pollués (en téléconférence)

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par une table ronde sur les démarches innovantes en gestion des sites et sols pollués. La réflexion et les méthodes doivent progresser sur l'innovation.

Dans ce cadre-là, nous interrogerons plusieurs acteurs :

- M. Bernard Plisson, directeur de la stratégie et du développement durable du port atlantique de La Rochelle ;

- Mme Florence Jasmin, directrice générale du réseau Pexe - Les éco-entreprises de France, M. Christian Traisnel, directeur du pôle de compétitivité TEAM2, et Mme Laure Hugonet, directrice « Innovation » du pôle de compétitivité AXELERA, membres du réseau Pexe.

Votre audition devrait être l'occasion pour nous de prendre connaissance des solutions mises en oeuvre, chacun dans vos secteurs d'activité, pour prendre en charge la problématique des sites pollués. Il est intéressant de comprendre où vous en êtes de ces procédés innovants, quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontés, et quelles perspectives cela ouvre-t-il.

Pour le port atlantique de La Rochelle, il serait intéressant que vous nous présentiez votre démarche pour la gestion des terres polluées non immergées et immergées par des activités industrielles historiques.

Pour le réseau PEXE, nous serions curieux de connaître les solutions innovantes mises en oeuvre par des éco-entreprises engagées dans la thématique des sols pollués.

Avant de vous laisser chacun la parole pour une intervention liminaire, pour laquelle je vous demanderai d'être assez brefs, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Vous êtes, chacun, appelé à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, lever la main droite et dites : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bernard Plisson, Mme Florence Jasmin, M. Christian Traisnel et Mme Laure Hugonet prêtent serment.

M. Bernard Plisson, directeur de la stratégie et du développement durable du Port Atlantique de La Rochelle. - Je suis directeur stratégie et développement durable du grand port maritime de La Rochelle. Nous sommes un site historique, qui a 130 ans d'existence sur le site actuel, même si évidemment le port de La Rochelle est bien plus ancien.

Ce port a vécu des activités industrialo-portuaires durant toute cette période. Il a, par exemple, été occupé pendant la Seconde Guerre mondiale, subi des bombardements, connu des chantiers navals. Nous avons eu des activités industrielles, mais un peu moins depuis quelques décennies, même si nous continuons à avoir des dépôts d'hydrocarbures.

Par conséquent, lorsque nous réalisons des travaux sur des parties anciennes du port, nous faisons face à une problématique « sites et sols pollués ». Quelques années plus tôt, nous nous en tenions à la démarche réglementaire : nous réalisions des diagnostics dès lors que nous avions des occupants, exploitants d'installations classées pour la protection de l'environnement. À la suite d'une déconvenue en particulier qui date d'une petite dizaine d'années, nous avons décidé de revoir notre stratégie.

Ainsi, aujourd'hui, nous réalisons un diagnostic systématique de sol pollué dès lors que nous effectuons des travaux d'aménagement, au-delà des obligations réglementaires. Nous avons mis en place des solutions de traitement, pour la plupart en régie, en particulier pour les sédiments non immergeables. Les sédiments se situent au fond des plans d'eaux portuaires et notamment d'un plan d'eau du port. Nous avons également mis en place des solutions de traitement des terres polluées.

Cela nous permet de réduire les coûts et d'anticiper. Nous avons développé une démarche territoriale autour de ces thématiques, en particulier en lien avec l'économie circulaire.

Mme Laure Hugonet, directrice « Innovation » du pôle de compétitivité AXELERA, membre du réseau PEXE. - Bonjour à tous. Le pôle de compétitivité AXELERA est une association loi 1901, soutenue anciennement par l'État et aujourd'hui par les régions. Nous avons donc actuellement le soutien de la région Rhône-Alpes et de ses trois grandes métropoles.

AXELERA rassemble 370 adhérents. Ces acteurs travaillent dans les domaines de la chimie et de l'environnement. Si nous nous focalisons sur la thématique des sites et sols pollués, nous animons une communauté d'environ soixante acteurs : des entreprises de travaux, des bureaux d'études de l'environnement et des laboratoires qui travaillent sur les thématiques des sites et sols, notamment le bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) ou encore les Mines de Saint-Étienne.

L'objectif du pôle AXELERA, comme celui de tous les pôles de compétitivité, est d'accompagner le développement de nos adhérents par l'innovation. Au quotidien, nous épaulons nos adhérents dans leur démarche d'innovation et nous les aidons à structurer leurs projets de recherche et développement (R&D), à capter les financements publics qui leur permettront de réaliser leurs initiatives.

J'aimerais mentionner une spécificité de la région Rhône-Alpes : nous comptons plus de 200 sites pollués au niveau régional. L'exécutif a donc décidé de travailler avec plus d'intensité sur ces thématiques en lançant le programme « IDfriches » en 2015. Ce dernier regroupe l'ensemble des acteurs de la requalification des friches.

AXELERA est partenaire et représente des acteurs « sites et sols pollués ». Nous travaillons en collaboration avec le cluster des infrastructures durables (INDURA) rassemblant la communauté des entreprises des travaux publics, et le centre d'études et de ressources foncières (CERF) travaillant avec les maîtres d'ouvrage. Ce projet collaboratif a bien identifié que l'innovation était un levier essentiel à la requalification des friches. Nous travaillons sur une innovation d'abord technologique, notre métier, mais nous devons aussi travailler sur des innovations au niveau organisationnel et économique.

M. Christian Traisnel, directeur du pôle de compétitivité TEAM2, membre du réseau PEXE. - Je travaille au pôle de compétitivité TEAM2, basé dans les Hauts-de-France. Ce pôle travaille sur cinq grands domaines pour développer l'économie circulaire, notamment l'innovation dans le recyclage. Nous sommes l'un des pôles totalement dédié à ce sujet.

Nous travaillons d'abord sur le recyclage des métaux stratégiques et rares, qui viennent des déchets d'équipements électriques et électroniques (D3E) comme les batteries. Nous commençons à travailler, dans le cadre de projets européens, sur la récupération des métaux dans les friches et dans les sols, dont un avec des partenaires hollandais et belges.

Le second grand domaine s'attache au recyclage des plastiques et composites.

Le troisième est le recyclage des minéraux : les déchets du BTP, les coproduits de process industriels et les sédiments. Nous travaillons sur les problématiques de recyclage des sites et sols pollués dans ce cadre-là. La région Hauts-de-France recense un peu plus de 400 sites pollués. Nous y trouvons également des friches liées à son histoire de bassin minier, à la sidérurgie, à l'industrie textile, celle de la verrerie, soit un certain nombre d'activités disparues. Du fait de la proximité de la Belgique et de la Hollande, nous traitons ces sujets de manière partenariale.

Ensuite, nous nous intéressons à l'équipementier français sur le recyclage, depuis la caractérisation jusqu'à l'équipement pour le revaloriser.

Le tout dernier domaine est en partie dû au développement des outils du numérique : le développement de certaines formes d'écologie industrielles et territoriales. Les outils de type système d'information géographique (SIG) nous aident à caractériser les lieux où des éléments doivent être traités. Cela doit nous permettre d'aller vers des massifications de volume de matière à traiter, mais aussi de mieux organiser les flux de traitements, de sédiments ou autres.

Les projets d'innovation suivis par le pôle de compétitivité sont basés sur certains critères, notamment une grille analyse en cycle de vie pour vérifier que les technologies apportées améliorent bien l'efficacité globale dans le traitement des produits par rapport à d'autres technologies antérieures.

Nous avons 200 adhérents, nous travaillons avec quelques laboratoires sur ces thématiques « sites et sols pollués ». Dans les Hauts-de-France, nous avions le centre national de recherche sur les sites et sols Pollués (CNRSPP), mais il a fermé il y a huit ans. Sa fermeture est due au fait que la majorité des travaux étaient des travaux de recherche fondamentale, et pas assez appliquée. Cela a poussé une partie des financeurs à redéployer des acteurs sur les centres de recherche traditionnels. Nous avons également eu un pôle de compétence « sites et sols pollués » avec l'établissement public foncier (EPF) du Nord-Pas-de-Calais. Nous reprenons une partie de ses activités en tant que pôle de compétitivité et nous collaborons beaucoup avec l'EPF de la région des Hauts-de-France.

Mme Florence JASMIN, directrice générale du réseau PEXE - Les éco-entreprises de France. - Le PEXE est un réseau de réseaux. Nos membres sont des fédérations, des syndicats, des pôles de compétitivité de l'environnement et de l'énergie : nous fédérons les éco-entreprises en France. Une éco-entreprise est une entreprise qui produit des biens et des services permettant de mesurer, limiter, réduire au minimum les atteintes sur l'environnement. Ces entreprises travaillent donc sur la qualité de l'air, la pollution des sols, la gestion de l'eau, la biodiversité, les énergies renouvelables, l'efficacité énergétique.

Nos membres sont des pôles de compétitivité, comme AXELERA ou TEAM2, ou d'autres acteurs comme la fédération interprofessionnelle des métiers de l'environnement atmosphérique (FIMEA), l'union professionnelle du génie écologique (UPGE) ou l'union des professionnels de la dépollution des sites (UPDS), que vous avez déjà auditionnés.

Le PEXE représente 6 000 entreprises, en très grande majorité des TPE/PME (90 % environ). Notre rôle est d'accompagner le développement de ces entreprises et accélérer la transition écologique et énergétique des territoires et secteurs en mutation.

Au quotidien, nous effectuons un travail d'animation, de mise en relation et de valorisation des solutions de la filière. Pour citer quelques exemples, nous organisons aujourd'hui en Île-de-France, une rencontre avec le soutien de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) : « Territoire francilien et éco-entreprises ». L'objectif est la mise en relation des territoires franciliens et des PME de l'environnement, de l'énergie et de l'économie circulaire pour répondre aux enjeux des territoires. Notre savoir-faire est de réunir l'écosystème qui pourra financer et accompagner cette transition écologique : l'agence de l'eau, l'Ademe, BPI France...

Un autre exemple : nous publierons prochainement, dans le cadre du salon Pollutech, l'annuaire des solutions environnement/énergie pour les ports durables.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Au cours de nos précédentes auditions, les représentants des entreprises du secteur de la dépollution nous ont indiqué que la croissance du marché de la dépollution en France restait relativement limitée, à 4 % par an, en comparaison d'un dynamisme plus important dans d'autres pays européens. Comment expliquez-vous ce moindre dynamisme en France ? Existe-t-il des contraintes, des obstacles à un développement plus dynamique du marché de la dépollution en France ?

Il semble que la dépollution passe encore très largement par l'excavation de terres. Pensez-vous que cette technique de dépollution a vocation à encore dominer longtemps le marché de la dépollution ? Dans quelle mesure pensez-vous qu'on puisse transformer l'excavation de terres polluées pour en faire une technique pleinement inscrite dans une logique de développement durable ? Faut-il à cet égard envisager une modification des critères de sortie du statut de déchets pour ces terres afin de favoriser leur valorisation ?

Enfin, M. Plisson, pourquoi, aujourd'hui, vous dirigez-vous systématiquement vers un diagnostic de pollution des sites pour lesquels vous avez des projets ? Pourquoi les processus mis auparavant en oeuvre ne convenaient-ils plus ? À quelles problématiques avez-vous été confronté ?

M. Christian Traisnel. - Pourquoi n'observons-nous pas un développement au rythme souhaité ? La région Hauts-de-France connaît deux types de problématiques spécifiques. D'abord, le délai d'urgence pour traiter la friche à réhabiliter, avec une pression foncière extrêmement forte. C'est le cas par exemple à Roubaix avec des délais de six à neuf mois. Parfois, les technologies les plus modernes sur site ne permettent pas de répondre à ces délais, des excavations sont alors réalisées puis envoyées pour des traitements externes.

Un deuxième point spécifique est lié à la concurrence transfrontalière, à cause des différences d'interprétation des réglementations européennes et des transcriptions dans le droit français. Ce qui est possible en Angleterre, Belgique et aux Pays-Bas n'est pas possible en France pour des raisons d'interprétation de niveaux de seuil. Ainsi, ces différences d'interprétation rendent plus intéressant l'envoi en Belgique pour le traitement : en France, les délais de diagnostic sont beaucoup plus longs... Ainsi, les sédiments sont envoyés chez nos voisins par péniche pour se faire traiter avant de revenir chez nous sous forme de matière valorisée. Cela se fait dans des conditions normatives légèrement différentes de celles acceptées en France. C'est pourquoi les volumes traités en Belgique ou en Hollande sont beaucoup plus importants et permettent de rentabiliser ces nouvelles technologies.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Pouvez-vous développer les problématiques transfrontalières que vous rencontrez, notamment par rapport aux traitements en Belgique ? Je suis membre de la commission des affaires européennes, où nous essayons en permanence d'harmoniser les réglementations, il me semble y avoir là une faille. D'ailleurs, j'ai cru voir une légère négation de ce problème de la part de certains organismes au cours d'auditions antérieures. Comment évaluez-vous ce phénomène, en termes de volume et fréquence ?

M. Christian Traisnel. - De nouvelles entreprises se sont créées sur le développement de sites et sols pollués, je pense en particulier à une société passée en quatre ans de 500 000 euros de chiffre d'affaires à sept millions d'euros aujourd'hui. Sa technologie est l'excavation, la mise en barge et le traitement en Belgique, car la différence de prix de revient est relativement significative. La proximité entre nos deux pays et les communications par bateau le permettent.

Nous n'avons pas eu le temps de mettre en place des technologies qui permettraient aux acteurs d'éviter les surstocks afin d'intégrer des solutions techniques à des coûts plus élevés, mais plus intéressantes sur le plan de l'impact environnemental.

Pour les sites et sols pollués, nous avons centré nos efforts sur des expérimentations innovantes dans le domaine des méthodes douces. Nous avons également travaillé sur des friches dont nous savons qu'elles ne seront pas réutilisées dans un délai très court. Par exemple, les friches autour de Metaleurop dans la région de Douai ont pollué plusieurs milliers d'hectares avec des poussières de plomb et d'autres types de métaux. Nous avons assisté à beaucoup de tentatives de phytoremédiation, mais nous n'avons pas eu de forte demande de réemploi de ces terres.

Nous devons nous pencher sur ces questions de seuils, je pense qu'il y a un principe de précaution excessif. Les normes européennes sont les mêmes, mais nous rencontrons beaucoup de différences d'interprétations. Ainsi, en France, un matériau excavé est d'abord vu comme un déchet alors qu'en Belgique, il est d'abord vu comme un produit à valoriser. Cette interprétation facilite le traitement chez eux et la voie de valorisation.

Nous pourrions vous communiquer les éléments de cette étude afin d'illustrer les variations de niveaux de seuils, les différentes interprétations des mêmes normes européennes en Belgique, Angleterre, Pays-Bas et France quant au traitement des sédiments.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Je reviens sur l'envoi des sédiments à l'étranger ; nous avons dans l'hexagone des entreprises pouvant réaliser ce type de traitement. N'existe-t-il pas en France une entente dans certaines entreprises pour avoir des prix supérieurs à ce qui se pratique dans d'autres pays d'Europe ?

M. Christian Traisnel. - Je ne crois pas. Chez nous, les prix s'expliquent au regard du volume que nous sommes en capacité de traiter, compte tenu des exigences de stockage de ces matériaux, avant et pendant le traitement. Nos capacités en sols et terrains pour le stockage devraient être relativement significatives pour atteindre cet effet d'échelle ; nos collègues belges et hollandais les ont déjà acquises depuis longtemps. Ce n'est pas encore possible chez nous.

Dans la notion de coût, nous ne prenons pas en compte le coût total : non seulement le coût de l'excavation, mais aussi celui des impacts environnementaux à éviter. Nous commençons à avoir des études pour calculer les avantages d'un surcoût et en quoi un effet environnemental négatif a une certaine valeur. Cette prise en considération permettrait à ce type d'activité de rester chez nous.

Mme Laure Hugonet. - Si je peux me permettre, votre question m'inspire plusieurs réponses. D'abord, le manque d'anticipation dont Christian Traisnel a déjà parlé : nous n'anticipons pas le phénomène de création de friches. Ainsi, nous laissons un foncier inactif et potentiellement ouvert à plus de dégradation, donc à des surcoûts. Pour autant, comme l'a mentionné mon collègue, nous pourrions mettre en place des techniques de remédiation douces qui, à défaut de supprimer la pollution, permettraient du moins de l'atténuer. Simplement, occuper ce foncier empêcherait des surdégradations pouvant entraîner des surcoûts.

Ensuite, trop peu d'efforts sont portés sur les diagnostics et études de sols. M. Plisson expliquait qu'il avait bien identifié ce sujet. Aujourd'hui, les études, qui sont pourtant la première étape des projets de requalification, sont malheureusement vues comme des coûts d'entrée trop importants. Pourtant, un mauvais diagnostic peut par exemple entraîner un surdimensionnement du projet de requalification, et bloquer une solution d'investissement sur le projet en question ; ou encore un sous-dimensionnement des terres et des volumes, donc des dérapages de projet par la suite.

Encore trop d'acteurs fonctionnent site par site. Adopter des démarches et des stratégies d'analyses plus territorialisées permettrait d'éviter de forcer un projet sur un site en bloquant les paramètres. Peut-être que sur le territoire, dans le voisinage, un site serait plus adapté à accueillir le projet en question.

Enfin, quant aux techniques de traitement elles-mêmes, vous avez beaucoup interrogé l'excavation. Elle est largement répandue. Pourtant, des technologies innovantes pourraient s'y substituer sur certains projets. Cependant, ces alternatives font face à un obstacle d'importance : les marchés publics sont écrits pour ne favoriser qu'un type de technique.

Dans le cadre du projet IDfriches, nous avons identifié ce sujet des marchés publics comme un verrou au sujet de la requalification. Beaucoup d'acteurs qui travaillent avec les collectivités nous expliquaient que sur un marché donné, ils auraient pu proposer une technique in situ, moins chère, mais le marché était fermé de fait. Les marchés devraient prévoir systématiquement une variante, que nous pourrions être en capacité d'analyser. Cela nécessite de renforcer l'accompagnement au niveau de la collectivité, et peut donc être perçu comme un surcoût.

M. Christian Traisnel. - De plus, il existe une grande variété de pollutions ; nous devons avoir des technologies adaptées à cette variété. Sur lamelle, nous observons parfois dix ou quinze types de pollutions différentes selon l'antériorité des industries présentes sur le territoire en question.

En région Hauts-de-France, les pollutions diffèrent en fonction des types d'industries implantées antérieurement. Beaucoup d'outils de diagnostic se sont développés pour s'adapter à cette variation. Nous faisons en une journée ce que nous faisons en un mois de manière traditionnelle. Cependant, nous n'avons pas encore accepté que les analyses réalisées avec des outils portatifs ont la même valeur que les sondages faits à la barque et tous les « x-mètre », alors que la fiabilité est supérieure à 95 % ou 98 % entre les deux méthodes. Nous devons faire un effort sur la reconnaissance d'équivalence de ces outils ; et comme l'a souligné Mme Hugonet, ces technologies plus récentes, validées scientifiquement, ne sont pas forcément bien intégrées dans les appels d'offres faute de maîtrise et de connaissance.

M. Bernard Plisson. - En tant que port, nous connaissons bien la question des sédiments portuaires et non immergeables. Je souscris à ce qui a été dit, concernant la Belgique en particulier. Le port d'Anvers a su industrialiser très tôt le traitement des sédiments et il est connecté par voie d'eau au système français. Pour ses propres besoins, il a industrialisé et créé un centre de traitement de sédiments, capable de traiter d'importants volumes. Il s'est positionné avant d'autres acteurs et a donc pris des parts très importantes sur ce marché. Il est ainsi capable d'être tout à fait compétitif, y compris lorsqu'un coût de transport significatif pour les sédiments est ajouté.

En France, pendant longtemps, les ports ont été rétifs à traiter à terre leurs sédiments à cause d'une réglementation très contraignante. Un sédiment à terre est un déchet, et traiter un déchet est une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE). La réglementation liée à ce traitement a mis du temps à évoluer. Elle a évolué ; mais son retard a permis à d'autres acteurs de se positionner plus tôt et plus vite avec des capacités importantes.

Nous-mêmes, à la Rochelle, avons un centre de valorisation des sédiments depuis dix-huit mois. Il est évidemment sans commune mesure avec celui d'Anvers, mais en France, un certain nombre de sites capables de traiter des sédiments existent, notamment dans les grands ports maritimes. Cela reste une ICPE. Nous avons monté un dossier d'autorisation, cela a été long, mais nous avons eu une approche territoriale. Le centre a été monté pour nos propres besoins, mais aussi pour les besoins locaux d'un certain nombre d'acteurs du territoire : la communauté d'agglomération de La Rochelle et le port de plaisance.

Nous pensions qu'un projet de territoire nous rendrait plus compétitifs dans le traitement des sédiments, même avec un centre de taille moyenne, en réduisant les coûts de transports. Cette réduction du transport est également judicieuse d'un point de vue environnemental. Nous devons continuer à développer ce traitement, en trouvant des exutoires pour les sédiments valorisés. Il doit être associé à des propriétaires fonciers importants comme les grands ports maritimes ou les aménageurs avec de forts besoins en développement.

Comment faciliter les expérimentations et développer les actions de territoire autour de l'économie circulaire des matériaux en France ? Certains parmi vous maîtrisent mieux ce sujet, mais je pense qu'une approche territoriale, un droit à l'expérimentation et l'implication des grands ports maritimes sont autant de pistes à envisager. C'est un domaine sur lequel, à mon sens, la France peut maintenir un certain niveau de compétitivité.

Pourquoi avons-nous identifié cette problématique de diagnostic au port de La Rochelle ? Lors du processus d'acquisition d'un terrain, nous avons découvert une pollution lorsque nous réalisions les travaux, ce qui est très désagréable. En retour d'expérience, nous avons décidé de systématiser les diagnostics. Notre objectif était de limiter les risques de dépassement de délais et diminuer les aléas économiques et juridiques.

Cette systématisation présente un certain nombre de désavantages : des coûts de départ significatifs, des délais pour le diagnostic, une forte anticipation pour intégrer en amont cette problématique de sols pollués comme composante des projets, y compris si un projet n'est pas totalement défini sur une zone.

Ainsi, nous recherchons des solutions de proximité, en régie ou en associant des professionnels du traitement, pour réduire les coûts de transport dans une logique d'économie circulaire, même si elles ne sont pas nécessairement innovantes techniquement.

M. Christian Traisnel. - Je rejoins ce que vous dîtes, des expérimentations sont faites sur les sédiments et commencent à être faites sur les terres et sites et sols pollués. Lorsque nous travaillons avec les ports maritimes, la logique actuelle veut que nous ne draguions et valorisions les matières qu'une fois qu'un débouché potentiel est trouvé. On tente une interaction entre des gisements potentiels de matière pouvant être valorisés dans un délai de six mois à deux ans et un usage qu'on aurait identifié.

De nouvelles techniques se mettent en place avec des outils de type SIG ou des bases de données. Nous travaillons actuellement avec l'EPF du Nord-Pas-de-Calais pour faire le diagnostic des matériaux potentiellement réutilisables en fin de vie issus des déchets du bâtiment. Cela revient à trouver, avant l'acquisition de friches, des débouchés pour les terres ou les matériaux potentiellement revalorisés. Ensuite, nous entamons les travaux pour fournir ces besoins en matériaux.

Nous avons échangé avec Mme Hugonet sur les dimensions technologiques. De nombreuses techniques sont développées par des TPE et PME. Dans tous les diagnostics en amont ou même dans certaines interventions de traitement de pollution, nous avons un potentiel d'activité qui pourrait être exportable.

Sur les sédiments, les Hollandais ont une très grande avance, mais nous sommes capables d'un certain nombre de réalisations, notamment sur les sédiments des canaux, mais aussi peut-être sur les voies de valorisation de sédiments...

Sur les terres, sites et sols pollués, les compétences que nous avons en France ne sont pas neuves, même si elles doivent se développer. Si ce secteur se développe, il aura également des potentialités en export : au Maghreb, dans certains pays européens comme la Pologne...

Il s'agit d'un potentiel d'activité qui n'est pas neutre, les problématiques de préservation de l'environnement sont de plus en plus une préoccupation.

Mme Florence Jasmin. - Je voudrais revenir sur la problématique internationale. Je me suis rapprochée du « club Ademe international », qui fédère plus de 140 entreprises françaises voulant se développer hors de nos frontières. Le secteur de la pollution y est peu représenté, lorsqu'il l'est, ce sont surtout des bureaux d'études, mais finalement très peu de solutions technologiques. Nous devons vraiment travailler sur ces marchés à l'export.

Mme Laure Hugonet. - Je voudrais relativiser le propos de M. Plisson sur le coût et le délai du diagnostic : des innovations existent pour qu'il prenne moins de temps. M. Traisnel a mentionné toutes les techniques développées pour faire de l'analyse directement in situ : PID (détecteurs à photo-ionisation), spectromètre à fluorescence fixe...

Des acteurs développent des approches pour optimiser un plan d'échantillonnage. Un certain nombre d'entreprises travaillent sur ces questions : ENVISOL par exemple, que vous avez auditionnée, travaille avec des approches de géostatistique.

Nous devons également renforcer la valorisation des innovations et des compétences auprès des maîtres d'ouvrage. Nous menons ce chantier avec IDfriches pour sensibiliser les maîtres d'ouvrage en amont.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Je souhaiterais insister sur les pratiques territoriales, une approche au niveau des régions me semble extrêmement intéressante.

Lorsque nous examinons toutes les expérimentations, nous voyons que les élus ont tenté d'apporter une solution, chacun à leur échelle, sur leurs territoires pour les problématiques auxquelles ils ont été confrontés. Lorsqu'un accident industriel ou un risque naturel se produisent, réveillant des pollutions de sols, des élus et des entreprises se mobilisent pour inventer des solutions. Toutefois, ils n'ont pas accès aux solutions pensées ailleurs faute de mise en commun des données, regrouper ces expériences serait bénéfique.

Vous disiez fort justement que beaucoup de bureaux d'étude existent, contrairement aux entreprises sur les sites et sols pollués. Nous pourrions faire évoluer les pratiques en créant une chaîne d'information à l'échelle des territoires pour permettre une synergie. Des économies pourraient être possibles, par-delà les frontières des régions. La mise en réseau de ces synergies est une piste fondamentale pour nos discussions. Nos territoires sont riches, aussi bien dans le monde de l'entreprise que du côté des collectivités territoriales, nous observons une véritable volonté de dépasser les clivages.

Les obstacles pour mettre en oeuvre la cohérence entre les pratiques et la chaîne des responsabilités sont nombreux, n'oublions pas le volet santé, l'autre versant de cette question. La santé de nos concitoyens est primordiale et nous sommes témoins de leur sensibilité grandissante sur les questions environnementales. Nous n'avons jamais autant parlé d'économie circulaire, de biodiversité, de qualité de l'air... Mon expérience m'a amenée sur cette voie de mise en synergie des expériences.

Mme Florence Jasmin. - Au PEXE, il s'agit de notre travail quotidien : consolider les expériences et donner de la visibilité à des solutions sur des thématiques spécifiques. Nous l'avons fait sur la métrologie environnementale, nous le ferons sur le secteur des ports. Ces actions sont possibles, car nous nous appuyons sur l'ensemble de nos réseaux : chacun des pôles de compétitivité, chacune des associations.

Nous essayons également d'avoir une indication sur la qualité de l'innovation : en nous assurant que l'entreprise dispose d'un soutien du programme d'investissements d'avenir PIA ou qu'elle est membre d'un pôle de compétitivité. Ainsi le territoire peut juger de la pertinence de la solution présentée grâce à un certain nombre de références. Ces démarches sont finalement assez simples à mettre en oeuvre.

M. Christian Traisnel. - Les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) n'ont pas toujours les mêmes manières d'interpréter les réglementations d'un territoire à un autre, la même façon d'analyser la problématique de sédiments... Nous aurions besoins d'une homogénéisation au niveau des structures qui ont une influence sur la normalisation des réglementations, d'une facilitation des échanges. Des structures comme le BRGM ou le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) le font déjà, mais il faudrait amplifier ces pratiques. Nous essayons de travailler avec certains acteurs d'une région à une autre, certains sont relativement intéressés pour être partie prenante à des projets que nous réalisons, sur le traitement des friches par exemple, mais nous devons y travailler.

Mme Laure Hugonet. - Effectivement, nous regrettons un défaut de visibilité en tant que communauté d'innovation. Le matériau au sol est hétérogène, complexe, et ces entreprises doivent innover en continu : une technique adaptée à un foncier donné ne sera pas forcément reproductible sur un autre foncier semblant pourtant similaire en terme de pollution. La capacité d'innovation de ces acteurs pour répondre aux différents sujets de pollution chimique, de géologie, n'est pas valorisée.

Cela se vérifie au niveau des guichets de financements. Au niveau national, le guichet de financement GESIPOL (gestion intégrée des sites pollués), opéré par l'Ademe, accompagne la dynamique « sites et sols pollués ». Il est ouvert tous les deux ans et finance un budget à hauteur d'un million d'euros. Certes, il permet de financer un certain nombre de projets, mais il est loin d'être suffisant pour financer toutes les actions nécessaires.

Jusqu'à présent, au niveau européen, cette thématique n'était pas identifiée comme digne d'intérêt. De premiers guichets en lien avec des sujets de biodiversité et des services écosystémiques apparaissent. Aujourd'hui, la thématique du sol comme ressource, en lien avec l'économie circulaire, est encore trop mal identifiée.

M. Laurent Lafon, président. - Je pense également que nous devons sensibiliser les bureaux d'études. Sur un site pollué, souvent le bureau d'études présente la situation en expliquant que la technique innovante est plus longue et moins fiable au niveau du résultat. Évidemment, cela ne convainc pas le maître d'ouvrage. Nous devons travailler aux côtés de la Dreal et des bureaux d'études.

Mme Sonia de la Provôté. - Je suis élue à Caen, et j'étais en charge de l'urbanisme. Plusieurs de nos projets d'aménagement correspondent à la situation que vous décrivez, notamment le projet d'une presqu'île aéroportuaire de 300 hectares à urbaniser avec des pollutions multiples.

Pour 300 hectares de ce type, nous devons compter trente ans au minimum afin que le plan d'aménagement aboutisse. Même si nous nous entourons de compétences expérimentales, nous disposons de peu de marge de manoeuvre.

Dans les faits, lorsque nous utilisons un système de zone d'aménagement concerté (ZAC), l'acquisition des terres polluées est considérée comme une question de déchets. Ainsi les solutions les plus simples et reproductibles seront privilégiées, soit l'excavation, pour schématiser. Il s'agit du moyen le plus simple pour réaliser le montage économique et financier sur plusieurs années, afin d'avoir une évaluation claire des coûts.

Je vous entends sur l'innovation et l'économie circulaire, je suis absolument convaincue, mais nous sommes démunis sur le terrain pour mettre en oeuvre ces solutions alternatives. Nous avons réservé un foncier pour mettre une partie des terres polluées en dépollution, mais nous ne pouvons pas non plus préempter du foncier de façon importante sur ces projets d'aménagement. Pour vous exposer les problèmes très simplement, nous avons un problème de pression de la part de l'encadrement.

Lorsqu'il s'agit du logement et des structures de la petite enfance, comme les écoles et crèches, les contraintes deviennent réellement problématiques. À ce moment-là, nous n'avons pas d'alternative à l'excavation et l'envoi au loin des terres à traiter. Le lien avec les services de l'État est très compliqué : lorsque nous évoquons l'innovation, nous ne parlons pas sécurité. Pour l'instant, cela ne s'est pas vraiment diffusé dans les services ad hoc et auprès de ceux qui nous accompagnent au sein de l'État. Ce n'est donc pas sécurisant pour le porteur de projet, et nous sommes bien obligés auprès des acteurs, des promoteurs, de sécuriser le problème économique. Quelques-uns pensent qu'il existe une alternative, mais ce n'est pas le cas de la majorité.

Nous devons progresser, et j'entends votre difficulté à partager les compétences, les techniques, les solutions... Mais je dois vous dire que sur le terrain il est très compliqué de faire passer le message qu'une alternative est possible, car nos interlocuteurs, notamment ceux qui viabilisent financièrement le projet, ne sont pas réceptifs à ces propositions.

M. Laurent Lafon, président. - Je voudrais vous interroger sur la recherche, notamment la recherche publique, car innovation et recherche sont indissociables. Observez-vous au quotidien une implication de la recherche publique sur ce secteur ? Existe-t-il une aide en termes de financement public, via l'agence nationale de recherche (ANR) par exemple, pour les laboratoires impliqués sur ces sujets ?

Mme Laure Hugonet. - Oui, la recherche académique est active sur ce sujet. La semaine dernière, je me suis entretenue avec un bureau d'études qui vient de créer un laboratoire commun entre une PME et un laboratoire, sur un guichet de financement ANR.

Les entreprises m'expliquent que malgré les nombreuses méthodes développées en laboratoire, peu de dispositifs d'accompagnement existent pour favoriser le transfert de technologie aux entreprises. Le laboratoire peut développer sa recherche jusqu'à un certain niveau, mais les entreprises doivent être en capacité de lui expliquer les contraintes de leurs métiers pour favoriser l'arrivée de cette technologie dans le monde réel. Nous regrettons un défaut d'accompagnement entre le laboratoire et l'entreprise pour industrialiser la technologie. Malheureusement, il existe encore trop de déconnexions entre le laboratoire et les entreprises. Quelques guichets de financements et des programmes collaboratifs sont présents, mais nous devons progresser sur cette question afin de favoriser la collaboration et les dispositifs de co-construction laboratoire/entreprise.

M. Christian Traisnel. - Dans les Hauts-de-France, de nombreux acteurs de la recherche travaillent sur ce sujet : l'école des mines de Douai, l'ISA, des laboratoires de l'institut national de la recherche agronomique (INRA).

Actuellement, le développement des chaires industrielles prend de l'ampleur, sur les sédiments et les friches notamment. EPF est partie prenante de ce genre de chaires avec des industriels, comme Suez, qui alimentent les sujets de recherche. La région Hauts-de-France, de par sa densité de sites et sols pollués, a suscité des fonds du fonds européen de développement régional (Feder) pour financer des expérimentations, avec des chantiers expérimentaux de quatre ou cinq millions d'euros d'aides, pour financer de l'expérimentation à hauteur de 50 ou 60 %. Ces sujets se développent.

Mme Florence Jasmin. - En 2013, au PEXE, nous avons organisé un certain nombre de réunions, appelées « Rencontres Ecotech innovation ». L'objectif était de mettre en relation les laboratoires de recherche avec les PME sur des thématiques spécifiques : l'air, l'eau, les sols pollués.

À l'époque, six instituts Carnot avaient participé. Ils nous avaient présenté leurs nouveaux plateaux techniques, leurs outils de métrologie, les logiciels utilisés pour travailler avec les PME, réaliser des transferts de technologies ou développer des solutions communes. Nous avons l'habitude d'organiser des événements sur des sujets spécifiques de mise en relation avec des laboratoires de recherches, des PME, des grands groupes, des territoires pour développer des projets innovants. Il est vrai que sur la thématique des sols nous ne l'avons pas fait depuis 2013, faute de demande et de financement.

M. Laurent Lafon, président. - Merci de nous avoir apporté votre connaissance du sujet et votre expérience dans le cadre de cette table ronde.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La téléconférence est close à 18 h 10.

Vendredi 3 juillet 2020

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Audition de M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé

M. Laurent Lafon, président. - Les circonstances ont quelque peu affecté l'organisation de la présente audition. Aussi, je remercie Jérôme Salomon, directeur général de la santé, de sa présence. Notre commission d'enquête souhaite mieux comprendre l'approche du ministère de la santé dans la prévention et la gestion des risques sanitaires consécutifs à une pollution industrielle ou minière des sols.

L'exposition à des polluants, notamment par l'alimentation en raison de la contamination des sols agricoles, des ressources en eau potable ou des jardins, préoccupe de plus en plus nos concitoyens. Les pollutions au plomb, au cadmium et à l'arsenic résultant de l'exploitation minière de sites dans le Gard, notamment à Saint-Félix-de-Pallières, et dans l'Aude, à Salsigne, inquiètent les riverains, d'autant que la migration des polluants peut être aggravée par des phénomènes climatiques tels que des inondations ou des vents forts.

Les populations comme les élus locaux s'interrogent sur le système de surveillance sanitaire et épidémiologique mis en place par les autorités face à de tels risques, notamment par les agences régionales de santé (ARS), Santé publique France et ses cellules d'intervention en région. En outre, l'évaluation des risques sanitaires sur la base de valeurs de toxicité de référence menée par l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), Geoderis et l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS) est parfois critiquée par ses biais : il semble que le suivi sanitaire ne soit déclenché que lorsque les études de sols révèlent des teneurs supérieures à ces valeurs et uniquement pour des polluants dont les effets sur la santé sont connus.

Or de nombreuses associations de riverains insistent sur la nécessité de mettre en oeuvre un principe de précaution face à des pollutions mal cernées dans leur diffusion et leurs effets sur la santé et réclament un suivi sanitaire plus réactif. Il serait utile que vous reveniez sur la politique mise en oeuvre par votre direction à cet égard et que vous nous précisiez comment est garanti un traitement homogène de ces situations sur l'ensemble du territoire.

Enfin, notre commission d'enquête s'interroge sur les modalités d'indemnisation des victimes des pollutions industrielles ou minières, qui constituent une voie contentieuse lourde et complexe pour que les victimes parviennent à faire reconnaître la responsabilité de l'exploitant. Toutefois, certains sites pollués sont orphelins lorsque l'exploitant a disparu, qu'il est insolvable ou que sa responsabilité est éteinte. Face à ces situations, quelle est la réponse de l'État pour indemniser des victimes atteintes de maladies graves dont le lien avec la pollution est établi ?

Je vous invite à prêter serment et vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jérôme Salomon prête serment.

M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé. - Les enjeux de l'impact, quotidien parfois, de l'environnement sur la santé sont au coeur des préoccupations de bon nombre de nos concitoyens. Vos interrogations sur l'impact spécifique des sites et des sols pollués apparaissent donc essentielles, d'autant que la pression s'accroît, compte tenu de la densification des zones urbaines et du souhait légitime des Français de vivre non loin de leur lieu de travail, pour habiter à proximité de sites qui peuvent s'avérer dangereux, avec des risques d'incendie, d'explosion ou de pollution. L'exposition de la population existe près des anciens sites miniers ou industriels, des zones d'épandage d'eaux usées, parfois sur de très grandes superficies à l'instar de la plaine d'Achères, ou de produits phytosanitaires qui ont conduit à des pollutions chroniques. Nous suivons, à cet égard, avec attention l'impact de l'utilisation ancienne de chlordécone aux Antilles : un comité de pilotage se réunit régulièrement et associe la population, les médias, les élus et les scientifiques. Par ailleurs, des phénomènes naturels ou météorologiques sont susceptibles de générer des expositions itératives - je pense notamment aux inondations qui ont touché le site de Salsigne.

La perte de mémoire des populations vis-à-vis d'activités industrielles ou minières anciennes apparaît, dès lors, fort préoccupante. La loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite ALUR, a, pour y remédier, rendu obligatoire l'inscription d'informations relatives à l'historique des sites dans les documents d'urbanisme.

La population peut être exposée à trois types de polluants principaux : les métaux présents dans les sols, les solvants volatils comme le toluène ou le triéthylène, et les produits phytosanitaires à l'instar du chlordécone aux Antilles. Il s'agit, pour les autorités sanitaires, de gérer des situations d'exposition multiples, avec souvent plusieurs polluants, généralement à de faibles niveaux de concentration, mais avec des effets chroniques ou différés dans le temps. Compte tenu de la complexité des situations rencontrées, il apparaît indispensable de renforcer les connaissances scientifiques et techniques sur les conséquences sanitaires de ce type de pollutions, notamment s'agissant des doses nocives, de l'impact physiopathologique des expositions, des effets dits cocktail et des enjeux de biodisponibilité des polluants. Apparaît également nécessaire la coordination interministérielle et, sur les territoires, entre services concernés pour user au mieux des moyens d'action disponibles. Cela relève d'un enjeu de santé environnementale majeur pour nos concitoyens, pris à ce titre en compte dans les différents plans nationaux santé environnement (PNSE), dont le troisième est en application. Il comprend un volet relatif à la prévention de l'exposition aux contaminations environnementales des sols, notamment aux métaux lourds - plomb, mercure, cadmium - et une stratégie de réduction de cette exposition. Ces dispositifs, dont le Gouvernement a fait une priorité, seront encore renforcés dans le cadre du quatrième PNSE, en cours d'élaboration. Les travaux ont pris du retard en raison de la crise sanitaire, mais il devrait être prochainement présenté. Parallèlement, nous nous trouvons dans une phase d'élaboration de la loi de programmation pluriannuelle pour la recherche. Le ministère de la santé défend, dans ce cadre, l'idée qu'une part importante de la recherche porte sur l'impact de l'environnement sur la santé.

Les expositions liées aux sites et aux sols pollués participent à l'exposome, concept inscrit dans la stratégie nationale de santé pour la période 2018 à 2022 consistant à prendre en compte l'effet, sur la santé d'un individu, de son exposition à des facteurs environnementaux tout au long de sa vie. Ainsi, la stratégie nationale de santé prévoit de développer les connaissances en matière de santé environnementale en prenant en compte, par exemple, les perturbateurs endocriniens, les nanomatériaux, les poly-expositions, les effets cumulés des combinaisons de facteurs de stress ou effets cocktail.

La gestion des sites et des sols pollués, notamment des sites industriels et des anciennes mines, relève du ministère de la transition écologique et solidaire. Les actions de la direction générale de la santé (DGS) s'inscrivent donc dans le cadre de la méthodologie nationale de gestion de ces sites, portée par la direction générale de la prévention des risques (DGPR) de ce ministère, ce qui implique une collaboration étroite et permanente entre les deux ministères, mais également avec celui chargé de l'agriculture, du fait de la possible contamination des denrées végétales et animales par la pollution des sols, ainsi qu'avec celui de l'éducation nationale, puisque certains établissements scolaires sont construits sur d'anciens sites industriels. La gestion des sites pollués requiert ainsi une coordination permanente des échanges, un travail d'harmonisation des positions des différents services et des saisines communes des agences sanitaires nationales, des financements d'études complexes sur le terrain et l'élaboration d'instructions interservices.

Le rôle du ministère de la santé, et celui de la DGS en particulier, est défini par le code de la santé publique ; il concerne la mise en oeuvre d'actions de prévention, de surveillance et de gestion des risques sanitaires liés à l'environnement, au milieu professionnel, aux accidents de la vie courante, à l'eau et à l'alimentation. S'agissant des sites et des sols pollués, il s'agit de contribuer, sur le plan sanitaire, à la politique publique de gestion desdits sites pilotée par le ministère de la transition écologique et solidaire. Nous sollicitons, à cet effet, les agences sanitaires en fonction de leurs compétences. L'ANSéS produit ainsi les valeurs toxicologiques de référence (VTR) utiles à la réalisation des études d'interprétation de l'état des milieux et des évaluations quantitatives des risques sanitaires. Santé publique France et ses cellules en région favorisent une approche populationnelle de surveillance en santé, afin d'estimer les conséquences sanitaires éventuelles d'une exposition environnementale à des contaminants. La Haute Autorité de santé (HAS) est aussi sollicitée, avec une approche plus médicale, sur des protocoles de prise en charge par les professionnels de santé. Enfin, le Haut Conseil de santé publique, dans une approche d'aide à la décision, définit des mesures de prévention. Nous avons organisé, en 2017, deux séances du comité d'animation des agences sanitaires dédiées aux sites et aux sols pollués, qui nous ont permis de valider une feuille de route et de coordonner les saisines.

Nous finançons, avec le ministère de la transition écologique et solidaire, le programme national de biosurveillance, créé par la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement et destiné à évaluer la valeur moyenne d'imprégnation de la population française à certains polluants pour disposer d'une échelle de comparaison avec les résultats des dosages biologiques effectués autour des sites et des sols pollués. Ce travail, dont la réalisation est confiée à Santé publique France, est piloté par les ARS. Il présente déjà plusieurs études majeures, dont un volet périnatal ; leurs conclusions seront publiées dans les prochains jours et permettront aux ARS d'adapter au mieux à ces risques la politique de prévention, la prise en charge des cas et l'information des populations.

Nous intervenons également en appui des ARS pour la définition du cadre d'intervention au travers d'instructions, d'un appui financier à des études et d'un soutien technique ponctuel sur des dossiers particulièrement sensibles. Nous menons enfin une politique de recherche en toxicologie, au niveau national, européen et international. Nous participons, à ce titre, à des études européennes et internationales de biosurveillance.

Le sujet des conséquences sanitaires de la pollution des sites et des sols est complexe et constitue une priorité de santé publique pour le Gouvernement. Nous avons, à cet égard, cinq messages clés à faire passer. D'abord, il nous faut mieux évaluer, à l'échelon national, l'impact sur la santé des sites et des sols pollués. Ensuite, nous devons renforcer les travaux engagés par les agences sanitaires pour consolider les outils à disposition des ARS. Par ailleurs, doivent être développées les études de biosurveillance indispensables pour mieux identifier l'imprégnation de la population aux polluants. En outre, il convient de faire financer des études de santé par l'exploitant ou par de grands programmes de recherche. Enfin, certains sites ont un impact sur l'environnement, mais ne relèvent pas du régime des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) ou du code minier, et il s'agira de définir les moyens permettant d'assurer un suivi sanitaire des populations exposées. L'enjeu est majeur ; il emporte des relations de qualité avec les élus locaux, car l'échelon territorial apparaît essentiel pour le traitement de ces dossiers. Il nous faut également nous rapprocher de la communauté scientifique et de nos collègues de l'Union européenne, car l'approche ne peut être que multidisciplinaire. Enfin, des efforts apparaissent indispensables en matière de pédagogie et de communication, en associant, comme ce fut le cas lors du colloque international sur le chlordécone, les scientifiques, la population, les journalistes et les élus locaux. De fait, c'est ensemble que nous pouvons améliorer l'information du public sur les données disponibles sur l'état d'imprégnation des sols et renforcer l'effet mémoire.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. -Je vous remercie d'avoir évoqué, dans votre exposé liminaire, la situation des outre-mer. Il fallait effectivement agir dans le dossier du chlordécone, dont les incidences sont fort néfastes pour la population.

Au-delà des actions menées par la DGS, il y a la détermination politique, que la présente audition visait à évaluer. Je ne remets bien entendu nullement en cause les motivations d'intérêt général qui guident les ARS, Santé publique France ou la HAS, laquelle, d'ailleurs, a émis un avis différent de celui de Santé publique France s'agissant du lancement d'une enquête épidémiologique dans mon département : le principe de précaution a prévalu sur les analyses de terrain.

Les Français placent désormais l'écologie et la santé au coeur de leurs préoccupations et réclament des informations. Certes, des données relatives à la pollution des sites, qu'elle soit récente ou historique, sont disponibles sur les sites des préfectures, mais elles ne sont pas intelligibles pour la majorité de nos concitoyens car exprimées en langage scientifique. Il s'agit d'informations techniques fournies par le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ou de normes difficiles à évaluer. Il convient donc d'améliorer la transparence et la vulgarisation pour renforcer l'information légitimement souhaitée par les Français sur leur environnement immédiat. Lorsque de nouveaux habitants s'installent dans un territoire - je pense à la vallée de l'Orbiel par exemple - ils n'en connaissent pas forcément le passé minier ni les modalités de gestion qui ont prévalu.

Par ailleurs, une clarification du rôle et des responsabilités des différents acteurs apparaît indispensable, comme la définition d'une politique nationale s'agissant de la dépollution des sols, que la pollution soit liée à une activité actuelle, comme pour l'usine de Lubrizol ou Notre-Dame de Paris, ou historique. La direction politique doit prévaloir sur la technocratie administrative. Les commissions locales se réunissent, certes, mais aucun suivi n'est ensuite mis en oeuvre, par manque de moyens, s'agissant de la dépollution des sites.

Nous avons entendu les riverains du Gard, qui nous ont dit que des analyses sanguines avaient été conduites par des personnes potentiellement exposées, et que, alors même que le premier dépistage avait vis à l'évidence une surexposition, ces analyses n'avaient pas bénéficié d'une prise en charge par l'assurance maladie. Comment expliquer une telle situation ?

L'instruction du 27 avril 2017 de votre ministère prévoit que des comités de coordination associant les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) et les ARS doivent être systématiquement créés par les préfets dans les départements. Est-ce vraiment une réalité ? Pouvez-vous nous décrire la situation sur le terrain ?

J'espère que vous suivez attentivement les situations liées aux pollutions historiques sur notre sol.

M. Jérôme Salomon. - J'avais eu beaucoup de plaisir à vous entendre, parce que pour rapportiez une situation particulière et qui nous préoccupe tous. Ce que vous dites reflète de nombreuses situations d'investigation où, à mon sens, il faut à la fois du local et du national.

Prenez le chlordécone, par exemple. Son impact a d'abord été ignoré, puis il est devenu un sujet local, avant une prise en compte nationale, même si les élus des Antilles ont eu l'impression que le national avait oublié le local. Il faut donc toujours des allers-retours entre un niveau pertinent au niveau local et un niveau pertinent au niveau national. Il faut une vie locale, un référent local, et il faut une personnalité capable de vulgariser, ce qui est un exercice complexe, car il faut expliquer à tous les enjeux d'une situation qui est souvent particulièrement technique, avec des expositions multiples et des caractérisations de risques faisant appel à des dosages de métaux ou de produits phytosanitaires...

Je suis allé plusieurs fois aux Antilles pour gérer le dossier du chlordécone, que je pilote avec mon collègue des outre-mer. J'y ai constaté qu'il faut associer tous les acteurs. Au niveau national, le ministère de l'agriculture était impliqué, mais pas celui de l'environnement ni celui de la recherche, alors que l'expertise de ces acteurs était absolument indispensable. Et on ne pouvait pas faire une politique nationale sans être à l'écoute des citoyens, de leurs questions, de leur quotidien, de leurs pratiques : il fallait pouvoir dire si, concrètement, ils pouvaient laisser leurs enfants jouer dans le jardin, ou bien manger telle ou telle production locale. Pour entretenir l'effet mémoire, enfin, il faut aussi impliquer des éducateurs locaux, à l'école, au collège, pour une déclinaison locale des spécificités environnementales. Il est bon, en effet, que les enfants soient informés, qu'il s'agisse d'un épandage ou d'une exposition à telle ou telle substance. Le radon, par exemple, est une pollution naturelle, mais son impact sur la santé est réel, avec une mortalité non négligeable. Les élus locaux et les responsables de l'éducation doivent en être informés. Il est donc nécessaire d'organiser la vulgarisation autour d'un acteur central, qui est en principe le maire - même si tous les élus du territoire concerné ont un rôle à jouer - tout en assurant un suivi national.

Ce que vous dites sur les données m'interpelle. Je crois que vous avez raison, il est très difficile au citoyen de retrouver ces données. Elles sont publiques et accessibles, mais encore faut-il connaître les sites et savoir faire des croisements entre des données concernant des toxiques, des sites, la santé... Un site de Santé publique France fait état, département par département, de l'état de santé de la population. Je propose que, dans le cadre du plan national santé-environnement à venir, nous créions un observatoire santé-environnement à destination des citoyens, pour que ceux-ci retrouvent dans des termes accessibles l'information sur les différentes expositions et leurs conséquences pour la santé, ainsi que des conseils à suivre - pour entretenir l'effet mémoire, aussi.

Sur les prises de sang et les examens biologiques, la déclinaison doit être la plus fluide possible, pour que la prise en charge soit adaptée aux recommandations de prise en charge nationale et que les populations exposées puissent en bénéficier. Cela relève d'une instruction à faire donner par la caisse nationale de l'assurance maladie aux caisses primaires d'assurance maladie - dans le champ qui dépend de la sécurité sociale, donc. Lorsqu'un examen est utile, il doit évidemment être pris en compte par la sécurité sociale.

La coordination n'est pas simple entre le niveau départemental, piloté par le préfet, le niveau régional, avec la Dreal, qui est sous l'autorité du préfet, et l'ARS. Des comités, de création récente, se réunissent dans certaines régions, peut-être pas dans toutes. Il est important que les instances se parlent, en étroite coordination avec les élus des collectivités concernées. Pour autant, l'échelon régional est souvent considéré par nos concitoyens comme éloigné des communes et des réunions de quartier. Nous incitons les directeurs d'ARS, qui sont souvent des médecins, à assister à des réunions d'information du grand public, pour un exercice, absolument indispensable, de pédagogie locale.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Pour les situations d'urgence, nous avons des plans de sauvegarde communale. J'ai beaucoup de respect pour l'État et ses préfets. Je vois bien, pour vivre sur un site historiquement pollué, que, malgré les politiques de dépollution, il reste vivant. Lorsque se produit un accident, comme l'incendie de Lubrizol ou de Notre-Dame de Paris, un processus est déclenché. Dans le cadre des pollutions historiques, qui mettent en danger la santé, voire la vie d'autrui, il faudrait aussi une sorte de plan Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile), avec une feuille de route bien précise pour chaque intervenant. En effet, l'échelon régional est trop vaste : avec une dizaine de départements, les corps administratifs ont du mal à suivre ! Il faut un dispositif pour agir dans l'urgence et sérier les questions qui se posent. Dans mon département, ce sont les parents qui ont été dans un hôpital : il n'y a pas eu un déclenchement par une cellule particulière.

Dans le suivi des sites pollués, les préfets sont relevés en moyenne tous les deux ans, et les commissions mises en place voient les représentants des corps administratifs changer régulièrement. Il faudrait des cellules-ripostes pour protéger nos concitoyens du risque sanitaire et déclencher une chaîne de responsabilités, au-delà de l'amoncellement de toutes les structures existantes. Un cadre interministériel peine à faire preuve de la réactivité nécessaire.

D'ailleurs, la crise sanitaire ne vous a-t-elle pas convaincu de la nécessité de disposer d'un système de réaction allégé et plus incisif ? Juridiquement, les pollutions ne sont guère définies, et les populations et leurs élus locaux se sentent souvent démunis.

M. Jérôme Salomon. - Je partage votre analyse, à un bémol près. Au niveau national, les réactions à un événement grave peuvent être très rapides. L'État peut réagir vite. Pour autant, nous avons besoin de déclinaisons locales, pour tenir compte des spécificités territoriales. Ainsi, notre territoire compte des endroits à risques sismiques, volcaniques, ou autres... Ce type d'événements doit évidemment être anticipé. Le plan Orsan (Organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles) est décliné selon différents aspects : climatique, épidémique, nucléaire, radiologique, biologique ou chimique (NRBC). Il peut compter des annexes régionales, en fonction de l'exposition des populations aux risques. Nous prévoyons, par exemple, l'éventualité d'un accident industriel grave dans la vallée du Rhône. Ce plan doit être disponible au niveau régional, auprès du préfet, pour une réponse rapide des services de secours. Au niveau communal, le maire est en droit de disposer d'un plan particulier de réponse à un risque communal. Cela existe depuis longtemps chez nos voisins suisses, qui ont des plans communaux de réponse à une alerte particulière, chimique ou naturelle, par exemple. Le maire d'une zone fortement exposée pourrait élaborer un plan communal d'intervention basé sur des enjeux de sécurité civile de protection des citoyens.

Dans la vallée de l'Orbiel, il y a une exposition à la fois chronique et aiguë à des événements climatiques intenses. Un plan de prévention communal pourrait faire que l'ensemble des citoyens soient informés très vite qu'on est devant une exposition non plus faible et chronique, mais forte et aiguë, en cas par exemple de déversement de produits toxiques lié à un phénomène météorologique. Chaque citoyen qui aura participé à ce plan saura ce qu'il doit faire. De même, pour les communes situées à proximité d'une centrale nucléaire. Face au risque chimique, et au risque de sites et de sols pollués, la population concernée doit être informée à son arrivée, mais aussi régulièrement, par des réunions au niveau communal, de la conduite à tenir pour se protéger au mieux.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Nous avons eu de l'arsenic stocké à l'air libre ! La pollution a donc été aérienne, et la substance a aussi contaminé les cours d'eau et les nappes phréatiques. Beaucoup d'enfants ont été touchés. Or la Haute Autorité de santé n'a pas considéré qu'un nourrisson ayant des doses énormes d'arsenic dans les urines, cela posait problème. Quand je parle de plan de riposte, à l'échelon communal ou à un échelon territorial comme celui de la vallée, je pense aussi à une mobilisation des acteurs comme l'ARS. Un plan à l'échelle communale ou locale, mais impliquant les acteurs nationaux, serait plus réactif. Nous avons besoin de passer à un échelon supérieur pour orchestrer, sur les territoires, des réponses à l'aune de ce qu'attendent les élus locaux, et à la hauteur des missions régaliennes de l'État.

En tous cas, il y a aujourd'hui une inquiétude sur l'efficacité de la chaîne de réactivité et de responsabilité de chacun. Tout le monde est de bonne foi et tout le monde a envie d'agir dans le sens de l'intérêt général. Pourtant, chacun reste replié dans son jeu, et ne voit pas la portée universelle des dispositifs.

M. Laurent Lafon, président. - Un acteur dont vous n'avez pas parlé, alors qu'il doit jouer un rôle, est la médecine généraliste. Lorsqu'on est confronté à l'émergence d'une crise liée à une pollution, avec tout l'irrationnel que cela peut engendrer, les médecins généralistes sont souvent démunis par rapport aux questions scientifiques que cela pose, sans parler de l'aspect pédagogique.

M. Jérôme Salomon. - Tous les échelons sont pertinents. Nous avons besoin d'un cadre national et nous insistons pour parvenir à un nouveau plan national santé- environnement ambitieux qui serait élaboré avec tous les acteurs : les sociétés savantes, les associations... Il aurait vocation à être décliné au niveau régional. Il est aussi important de définir des plans communaux de réponse et de sauvegarde. Outre les maires et les élus, la population a aussi un rôle à jouer ; on constate d'ailleurs qu'elle s'approprie de plus en plus ces questions. La définition des seuils ou des valeurs toxicologiques de références relèverait du niveau national, de même que la mise en place de cohortes de suivi le cas échéant.

On n'insiste pas assez, vous avez raison, sur le rôle fondamental des médecins, et plus largement de tous les professionnels de santé, pour relayer des informations fiables. En cas d'événement, la population se tourne naturellement vers eux pour leur demander conseil et ils doivent donc être bien informés afin de pouvoir prescrire les actions de prévention ou de traitement nécessaires. Grâce au dispositif DGS-urgent, on peut envoyer une information dans l'heure à tous les professionnels de santé - on compte 850 000 inscrits - et ce dispositif peut aussi être utilisé pour envoyer des informations à l'occasion d'un événement local. Les officines de pharmacie sont réparties sur tout le territoire. Nous avons une très bonne collaboration avec le conseil national de l'ordre des médecins et avec celui des pharmaciens. Il existe un dispositif d'alerte dans toutes les pharmacies, par le biais du dossier pharmaceutique, qui permet également de transmettre dans l'heure des informations à toutes les officines d'un territoire afin que celles-ci puissent prodiguer ensuite des conseils à la population. C'est ce qui s'est passé dans le cas de l'incendie de l'usine Lubrizol et les pharmacies ont pu répondre aux questions des personnes qui les interrogeaient.

Nous sollicitons la HAS pour inclure dans son programme de travail, qui est déjà très dense, des enjeux liés à la santé et l'environnement ; elle a déjà émis des recommandations sanitaires en cas d'exposition au plomb, à l'amiante ou à l'arsenic. Son programme de travail inclut la pollution de l'air, source majeure de mortalité, et l'exposition au cadmium et aux perturbateurs endocriniens.

M. Laurent Lafon, président. - Une campagne de diagnostic des sols des écoles bâties sur d'anciens sites industriels avait été lancée en 2010, puis interrompue pour des raisons budgétaires en 2016. La moitié des établissements identifiés a été testée. Quelles seront les suites pour les sites testés ? La campagne de diagnostic reprendra-t-elle dans le cadre du PNSE ?

M. Jérôme Salomon. - Cette action relève du ministère de l'environnement. Il est toujours utile de disposer d'une cartographie des risques. Dans le cadre de cette campagne, 2 800 établissements ont été identifiés et 1 400 établissements testés. Ce programme fut, en effet, très coûteux. Il est intéressant de poursuivre ce genre de démarche, éventuellement sous d'autres angles et avec d'autres approches. Je suis favorable à ce que l'on collecte plus de données sur les expositions d'un point de vue sanitaire. Nous soutenons ainsi la mise en place d'études de biosurveillance, et la France est bien placée en Europe sur ce plan, pour obtenir des informations sur les niveaux d'exposition des populations en fonction de leur âge, de leur sexe, des lieux... Nous nous appuyons beaucoup sur les centres antipoison, qui sont adossés à des centres hospitaliers, et sur les centres régionaux des pathologies professionnelles et environnementales qui sont susceptibles de repérer des expositions dans le cadre professionnel et de garantir une prise en charge aux personnes concernées.

M. Laurent Lafon, président. - Quelle est votre doctrine sur les valeurs toxiques de référence ? On s'interroge beaucoup sur les effets de seuil et les risques associés. Il faudrait aussi améliorer la pédagogie sur la signification de ces valeurs, car celles-ci ne signifient pas grand-chose pour quelqu'un qui n'est pas scientifique...

M. Jérôme Salomon. La question est très complexe. Les approches ne sont pas tout à fait les mêmes entre toxicologues et cliniciens. Les toxicologues cherchent à identifier la présence d'une substance dans le sang, les urines ou un organe, et à répartir la population sur une courbe de Gauss en fonction du taux de présence, ce qui permet d'indiquer à chacun sa place par rapport à la moyenne. Cependant un taux élevé n'entraîne pas toujours de conséquences sanitaires, tout dépend de la substance. Certaines substances peuvent s'avérer toxiques au-delà de certains seuils ; mais, la toxicité peut être aiguë, chronique, ou alors temporaire et ne pas poser de problème. D'où la difficulté de la pédagogie ! La réponse est différente pour chaque toxique.

De plus, il est rare de n'être exposé qu'à un seul toxique ! Et là encore, les situations varient en fonction de l'âge, des expositions, de la durée et de la combinaison des substances - certaines pouvant aggraver la toxicité d'une autre. C'est le fameux effet cocktail et il faut avouer que nos connaissances sont assez ténues en la matière. Il est donc utile de disposer de données de biosurveillance, de pouvoir suivre les personnes dans une démarche à la fois toxicologique et épidémiologique : on y parvient grâce aux réseaux professionnels, qui suivent étroitement des cohortes de jeunes adultes ou d'employés de secteurs potentiellement exposés, afin d'identifier des relations entre l'exposition à certaines substances et l'apparition de certaines maladies.

Il ne s'agit évidemment pas d'exposer les jeunes enfants de la vallée de l'Orbiel pour savoir si dans quinze ans ils seront ou non malades ! Il faut bien sûr réduire les expositions. Mais on dispose malheureusement de peu de données scientifiques de qualité. On peut étudier ce qui se passe chez les animaux ou voir si des situations comparables d'exposition à l'arsenic ont déjà été décrites dans d'autres pays. Mais, pour l'instant, il faut reconnaître les limites de notre savoir ; on ignore beaucoup de choses sur les expositions multiples, sur les liens entre une valeur toxicologique de référence, l'imprégnation réelle chez l'homme et ses conséquences sur la santé. Chaque individu est différent, et chaque situation l'est aussi ! Il est évident que les nourrissons ou les personnes âgées sont potentiellement plus vulnérables. Tout dépend des situations, des expositions, de l'état de santé, de l'état du système rénal, des médicaments pris... C'est pourquoi j'ai demandé à l'ANSéS, qui travaille sur les risques environnementaux, de collaborer étroitement avec Santé publique France, qui a une approche épidémiologique et populationnelle. Les deux approches sont complémentaires.

Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - J'entends vos propos sur les valeurs toxicologiques de référence, mais, dans le cas que j'évoquais, la HAS a mis en avant le principe de précaution. C'est pour cela que je voudrais vous interroger sur le système de précaution. Dans notre vallée, les inondations ont entraîné une pollution imprévue à l'arsenic. Dans plusieurs villages les stades ne peuvent plus être utilisés, car les sols sont pollués ; il en va de même des cours de récréation de plusieurs écoles où les maires ont dû installer des bâtiments provisoires. Ne pourrait-on pas instaurer un suivi épidémiologique systématique des populations dans les bassins industriels ou miniers ? La création d'un registre des expositions ne serait-elle pas utile, car on sait très bien que l'arsenic peut provoquer des maladies des années plus tard ? Nous avons eu un préfet qui partageait cette optique et qui avait pris contact avec l'ARS pour suivre les populations, mais le préfet qui a suivi a changé de politique. Tous les médecins n'ont pas non plus la même vision des choses.

M. Jérôme Salomon. - Vos propos illustrent parfaitement la complexité du sujet ! La direction générale de la santé est tout à fait favorable à ce que l'on dispose du plus de données possible sur la santé des populations. Le principe de précaution est déjà consacré dans le champ de l'environnement ; il inclut la préservation de l'état de santé de la population. La gestion des sols pollués s'inscrit tout à fait selon moi dans ce cadre : dès lors que la politique de santé et de prévention vise à faire en sorte que les gens vivent en bonne santé le plus longtemps, il convient de mettre l'accent sur la réduction des risques.

Les médecins généralistes bénéficient d'une grande liberté dans l'exercice de leur profession ; c'est une spécificité de notre système à laquelle sont attachés nos concitoyens, mais parfois ils sont surpris de constater que tous les médecins ne suivent pas les recommandations des sociétés savantes... La HAS a rédigé un guide de dépistage et de prise en charge des personnes exposées à l'arsenic. Il s'impose normalement aux professionnels de santé ; malheureusement, il n'a pas de caractère opposable.

Vous préconisez un suivi épidémiologique : c'est ce que nous souhaitons faire dans différents domaines. Il faut d'abord suivre les personnes exposées professionnellement, car elles travaillent dans des usines chimiques ou traitant des métaux lourds... Elles sont souvent très bien suivies ; cela permet de récolter des données très précises sur les conséquences sanitaires d'une exposition.

Il serait aussi judicieux d'inclure dans le dossier médical les données sur l'exposition ; les parents peuvent le demander : savoir qu'une personne est née dans une vallée où l'air est très pollué pourrait ainsi, par exemple, s'avérer une information précieuse pour son médecin des années plus tard.

Vous avez aussi évoqué des registres. La France a des registres sur les malformations des nouveau-nés, car celles-ci constituent un signal important susceptible de révéler des expositions très diverses, à des pollutions ou à des médicaments par exemple. On peut aussi déclarer les cancers et les médecins généralistes ou les gynécologues ont un rôle important à cet égard. Enfin, comme les personnes bougent, il serait pertinent que l'on puisse savoir, en consultant le dossier de santé, que le patient a séjourné dans une zone polluée. Il est donc fondamental que les Français s'emparent de la notion d'exposome qui figure désormais dans la loi et le code de la santé publique, car l'exposition à des facteurs multiples a certainement un impact sur l'état de santé ; ils doivent être capables de dire à leur médecin qu'ils ont vécu dans une zone exposée et de lui demander de l'inscrire dans leur dossier médical pour pouvoir être mieux pris en charge par la suite.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

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