Mercredi 9 février 2022

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 50.

Contrôle budgétaire - Suivi des recommandations du rapport Algues vertes en Bretagne, de la nécessité d'une ambition plus forte - Communication

M. Claude Raynal, président. - Le premier point de l'ordre du jour est consacré au contrôle budgétaire de Bernard Delcros sur le suivi des recommandations du rapport « Algues vertes en Bretagne, de la nécessité d'une ambition plus forte ».

M. Bernard Delcros, rapporteur spécial. - Je vous avais présenté en mai dernier les conclusions de mon travail de contrôle budgétaire sur le financement de la lutte contre les marées vertes en Bretagne. Il m'a semblé intéressant et utile de pouvoir, dix mois après, faire un suivi des recommandations, compte tenu des enjeux sous-jacents de santé publique, environnementaux et économiques. Il m'a semblé important de suivre l'évolution de la situation dans ces territoires et de vous la présenter.

Le principal constat qui ressortait de mon analyse au mois de mai était le suivant : les efforts de l'État dans le cadre des plans de lutte contre les algues vertes (PLAV) sont réels mais insuffisants pour obtenir des résultats à la hauteur des enjeux. Les financements ne sont pas assez ciblés sur les incitations au développement de pratiques agricoles prenant davantage en compte la situation spécifique de ces territoires. Je ne vais pas revenir sur les 23 propositions que j'avais formulées, mais je vais en rappeler les quatre axes principaux.

Le premier axe concernait la suite et l'organisation du plan de lutte contre les algues vertes. Nous demandions la prorogation de deux ans de ce plan et, par la suite, la mise en place d'un plan de troisième génération qui devait être plus ambitieux en termes d'objectifs de réduction des taux de nitrate, de crédits, mais également de moyens humains. En outre, ce nouveau plan devrait permettre de simplifier la gouvernance et de clarifier le pilotage entre les échelons départementaux et régional. Vous vous en souvenez, je vous avais démontré que le pilotage était extrêmement complexe et qu'il était difficile d'avoir de la visibilité.

Le deuxième axe portait sur l'architecture du financement de la lutte contre les algues vertes et l'articulation entre les différents financeurs ainsi que sur les modalités de gestion.

Le troisième axe portait sur les volumes financiers consacrés à la lutte contre la prolifération des algues vertes, leur ciblage et les questions de réglementation. Je notais que les moyens étaient à la fois insuffisants et pas assez ciblés sur l'accompagnement des agriculteurs vers la transformation de pratiques agricoles. Les montants étaient peu incitatifs au regard des aides de droit commun de la politique agricole commune (PAC), qui s'appliquent pour l'essentiel sans conditionnalité. J'indiquais également que la lutte contre les algues vertes ne pouvait faire l'économie d'une réglementation adaptée.

Quatrième axe, la reconduction des financements, qui doit aller de pair avec la mise en place de nouveaux outils d'évaluation et de suivi, d'indicateurs réalistes et partagés de manière à suivre annuellement les pratiques agricoles et l'origine des fuites de nitrates. J'ajoutais enfin qu'il était impératif de renforcer les moyens de contrôle des services de l'État, qui se sont grandement dégradés depuis 15 ans, pour que puissent être menés à bien des contrôles sérieux et suffisamment nombreux. Cette demande fait l'unanimité de tous les acteurs, y compris la chambre d'agriculture.

Où en sommes-nous aujourd'hui ? Les changements ont été nombreux et rapides. La lutte contre les algues vertes, qui est médiatisée, a bénéficié d'une conjonction d'événements favorables et convergents. D'abord, quinze jours après la parution de mon rapport, le tribunal administratif de Rennes a annulé le plan régional d'actions (PAR) de lutte contre la pollution par les nitrates en enjoignant au préfet de prendre des mesures renforcées sous quatre mois dans les baies « algues vertes ». En juillet, la Cour des comptes a également publié un rapport, commun avec la chambre régionale des comptes de Bretagne. Elle dénonce une politique de lutte aux objectifs mal définis et aux effets incertains sur la qualité des eaux, dont l'ambition s'est réduite au fil des années et dont les financements « relèvent en partie de l'affichage ». Les constats et recommandations de la Cour convergent avec les miens.

Ces trois événements ont eu des conséquences immédiates et ont entraîné plusieurs évolutions positives. La mise en place d'un plan de 3e génération 2022-2027, que nous avions demandée, est confirmée et officialisée dans le contrat de plan État-région. Sa gouvernance sera, comme nous le souhaitions, allégée et surtout recentrée au niveau départemental. Un expert de haut niveau a été spécialement recruté pour mieux accompagner les collectivités et l'ensemble des acteurs. Il y aura désormais un interlocuteur bien identifié.

Deuxième point à souligner, les moyens financiers ont été renforcés. Le besoin de crédits complémentaires pour le seul volet préventif du PLAV est évalué à 2 millions d'euros annuels, qui, d'après le préfet de région, devraient être accordés. En outre, 20 millions d'euros sur la période, soit 4 millions par an, devraient être engagés entre 2022 et 2027, pour la mise en place de paiements pour services environnementaux au travers du programme des interventions territoriales de l'État (PITE). C'est une nouveauté côté État. Il s'agit d'un dispositif de contractualisation avec les agriculteurs. Le montant total dédié à la lutte contre les algues vertes sur les crédits du programme 162 passerait donc de 5 à 12 millions d'euros par an, soit un peu plus du double. Je serai attentif à ce que ces augmentations se traduisent dans la prochaine loi de finances.

Autre évolution positive : la mise en place d'une réglementation adaptée et spécifique dans les baies algues vertes. Le sixième programme d'actions régional de lutte contre la pollution par les nitrates (PAR 6) a été modifié et le septième est en préparation. La principale innovation est la mise en place de zones soumises à contraintes environnementales (ZSCE) dans les baies algues vertes, ouvrant la voie à un cadre réglementaire renforcé et à un accompagnement financier adapté. Les ZSCE constituent un outil intéressant et utile, à condition évidemment qu'elles recouvrent des actions suffisamment innovantes et efficaces par rapport au cadre existant. Nous devrons être vigilants sur ce point.

Enfin, une avancée majeure, la révision de la PAC a ouvert la voie à la mise en place de financements européens dédiés aux baies algues vertes. Le projet français transmis à la Commission européenne dans le cadre de la nouvelle PAC prévoit ainsi la mise en place d'une nouvelle mesure agroenvironnementale et climatique (MAEC) « nitrates ». Toutefois, les sommes engagées restent à ce stade assez faibles : 3 millions d'euros pour l'instant. Cela ouvre des perspectives pour mieux accompagner les agriculteurs dans l'évolution de leurs pratiques. Nous suivrons donc ce sujet avec attention.

Ce sont en tout 11 de mes recommandations, soit environ la moitié, qui ont déjà été partiellement ou totalement appliquées.

Je voudrais toutefois nuancer ce constat positif. Les évolutions récentes ne sont selon moi pas suffisamment ambitieuses pour permettre une réelle amélioration à court et moyen termes.

Concernant l'avancée que constitue la mise en place d'une nouvelle réglementation dans les baies algues vertes, je veux la relativiser. En réalité, le déploiement des ZSCE se fera en deux temps : une première phase de trois ans de contractualisation sur la base du volontariat à partir de 2022, puis éventuellement à partir de 2025 des obligations pour les exploitations agricoles qui auront refusé tout engagement au préalable. La modification de la réglementation ne portera vraisemblablement pleinement ses fruits qu'à l'issue de la phase volontaire, c'est-à-dire après 2025 au plus tôt.

Deuxième aspect problématique, tous les efforts continuent de se concentrer sur les 8 baies algues vertes des Côtes-d'Armor et du Finistère. Mais de nombreux territoires connaissent aujourd'hui des phénomènes de marées vertes de plus ou moins grandes amplitudes. C'est notamment le cas des vasières du Morbihan, oubliées par les évolutions dont j'ai parlé. Nous savons désormais le temps long qui est nécessaire pour obtenir des résultats significatifs à la suite des actions engagées : nous devons nous appuyer sur l'expérience acquise dans les baies algues vertes. Il ne faut pas attendre qu'il soit trop tard pour agir dans les territoires où ce phénomène apparaît et se développe.

Sur un plan plus strictement budgétaire, il n'y a pas eu de clarification de l'architecture financière, notamment afin de retracer les contributions des différents financeurs. L'opacité du transfert en gestion, souvent très tard dans l'année, ne contribue ni à l'efficacité des plans de lutte contre les algues vertes ni à la lisibilité pour les acteurs.

Enfin, il n'y a pas eu d'évolution concernant les moyens de contrôle, qui est, je le répète, demandée par les agriculteurs eux-mêmes. Seul 0,2 équivalent temps plein (ETP) est aujourd'hui affecté au suivi du plan de lutte contre les algues vertes. La Cour des comptes a indiqué que les contrôles dans les exploitations agricoles avaient baissé de 73 % entre 2010 et 2018 dans les bassins versants algues vertes. Pourtant, le renforcement des moyens de contrôle demeure indispensable et doit constituer une priorité, parallèlement aux évolutions réglementaires. Il est d'ailleurs souhaité par tous les acteurs, y compris par la chambre d'agriculture de Bretagne que j'avais rencontrée : un certain nombre d'agriculteurs font des efforts à travers la contractualisation, et leurs efforts se trouvent fragilisés par une part minoritaire d'agriculteurs qui refusent de s'engager dans ces démarches.

Je veux ajouter que le renforcement des moyens financiers demeure sans commune mesure par rapport aux financements de droit commun apportés par la PAC. C'est sur ces financements qu'il faut impérativement agir, me semble-t-il, en lien avec les agriculteurs, pour une amélioration de long terme de la qualité de l'eau en Bretagne, et donc la réduction des marées vertes. Il faut réorienter les crédits de la PAC dans ces territoires vers davantage d'aides conditionnées à des pratiques prenant en compte le contexte environnemental spécifique des baies algues vertes.

Par ailleurs, j'avais fait une proposition sur la question du transfert de foncier qui me paraît un outil efficace. Il n'y a pas eu pour l'instant de prise en compte de cet aspect.

Il me semble que le suivi de nos recommandations fait partie intégrante de notre travail. C'est pourquoi je continuerai au cours des prochains mois à être attentif aux évolutions relatives à la lutte contre les marées vertes, et à ce que mes recommandations continuent à être prises en compte. Je vous en tiendrai informés.

M. Claude Raynal, président. - Ce rapport, sur lequel nous avions échangé au mois de mai l'an dernier, a d'abord connu un certain succès. Il a été très repris dans la presse locale et également dans la presse nationale, tant le sujet était réel, concret et nécessitait des actions fortes. Vous l'avez dit, nous avons sans doute bénéficié d'une conjonction favorable, au travers notamment du tribunal administratif de Rennes qui a amené des améliorations relativement sensibles. Il est assez rare qu'un rapport donne lieu à des avancées notables dans l'année même. Le temps d'action de l'État est généralement plus long, mais dans ce cas précis, il faut souligner la réaction forte des acteurs. Il était donc judicieux que vous reveniez devant nous pour établir ce suivi ainsi que pour pousser les éléments qui n'ont pas encore été pris en compte mais qui pourraient l'être dans les prochains mois.

M. Vincent Delahaye. - Comme toujours, il faut des moyens supplémentaires d'action et de contrôle. Mais où les puiser ? Dans l'augmentation de la dette ou par redéploiement de crédits ? Les hausses dont vous nous parlez devraient avoir lieu après 2022. Pouvons-nous prendre ces annonces au sérieux ? S'agissant des transferts de foncier que vous avez mentionnés et dont la mise en oeuvre pourrait être complexe, quel serait l'objectif ?

M. Michel Canévet. - Je voudrais moi aussi remercier le rapporteur spécial, non seulement d'avoir bien voulu établir un rapport initial sur les algues vertes en Bretagne qui, comme le Président l'a évoqué, avait fait sensation puisque la presse s'en était largement fait l'écho, mais surtout d'avoir fait aujourd'hui le point sur la gestion de la situation. Effectivement, dans une région aussi touristique que la nôtre, la présence aussi forte parfois d'algues vertes ternit la qualité de l'accueil et pose donc un certain nombre de difficultés à une bonne partie de la population.

Il ne faut pas pour autant montrer du doigt l'ensemble des agriculteurs, qui font des efforts extrêmement importants pour changer les pratiques agricoles. Il faut tout de même se rappeler que la France a voulu assurer sa souveraineté alimentaire et a donc souhaité que les agriculteurs puissent produire au moindre coût, de façon que le pouvoir d'achat soit préservé. Ils ont réussi, dès lors que la part de l'alimentaire dans le budget des foyers a largement diminué.

Les professionnels sont bien conscients de l'impact d'une partie des pratiques agricoles, mais ce ne sont pas les seules responsables du phénomène des algues vertes. Dans les Côtes-d'Armor en particulier, où il y a une densité d'algues vertes et de sites qui est assez propice à ce développement et où il y eut les incidents les plus notables - en tout cas un décès qui fut répertorié - on a identifié quelques installations de traitement des eaux usées qui ne sont pas en conformité. Cela avait d'ailleurs amené l'État à réduire les capacités d'urbanisation dans les territoires qui n'étaient pas aux normes. Il faut donc que, collectivement, un effort soit fait et que l'opprobre ne soit pas jeté uniquement sur les agriculteurs.

La difficulté pour les agriculteurs est très concrète : ils subissent aujourd'hui des prix qui ne sont pas suffisamment rémunérateurs. Nous l'avons largement dit en étudiant les projets de loi dits « EGalim 1 » puis « EGalim 2 ». La situation n'est pas encore stabilisée : aujourd'hui, les producteurs laitiers ou les producteurs porcins connaissent des cours des produits qui sont en deçà du prix de revient. Cela pose problème pour pouvoir mettre en oeuvre une politique de réduction des intrants, c'est-à-dire pour changer de façon d'exploiter. Cela nécessite donc qu'il y ait un accompagnement des exploitants, qui soit le plus fort possible de la part de l'État, pour concrétiser un véritable changement. Il faut également que nous fassions attention à ce que le potentiel de production de notre pays ne se trouve pas trop significativement réduit. Nous avons connu en 2021 le déficit le plus conséquent de la balance commerciale française, et il est quand même paradoxal, dans un pays agroalimentaire fort, que nous soyons obligés d'importer une bonne partie de notre production. Il faut donc à la fois que nous puissions tempérer en termes de réduction de la production - cela se fait par exemple pour le porc ou la volaille - mais il ne faut pas arriver à une situation où nous serions dépendants d'importations pour pouvoir nous nourrir demain.

Cela nécessite donc un accompagnement fort, un pilotage de l'État : j'ai ainsi rencontré très récemment l'expert de haut niveau qui a été affecté au suivi de la politique de lutte contre les algues vertes, par redéploiement budgétaire d'ailleurs, parce qu'il est effectivement important de ne pas alourdir la charge financière de l'État. Nous savons toutefois que pour ce qui concerne les contrôles - qui sont nécessaires, comme l'a évoqué le rapporteur - il faudra bien entendu des moyens supplémentaires. Il faut garder au niveau de l'État une capacité de contrôle. Il est donc nécessaire qu'il y ait un accompagnement significatif de l'État, y compris par la PAC, si l'on veut que des résultats soient obtenus à l'horizon 2030.

M. Dominique de Legge. - Je remercie le rapporteur de ce travail important et de ce suivi par rapport au travail initial. L'une des difficultés pour régler la situation, on le sait, est la multiplicité des intervenants. Nous sommes tous d'accord sur le diagnostic, tous d'accord sur la nécessité d'agir, mais quand il faut passer de la déclaration de principes à l'action, cela devient un peu plus compliqué du fait de la coexistence entre l'État, la région, l'agence de l'eau et les professionnels, sans compter le milieu associatif.

Je souhaiterais poser trois questions. Dans l'axe 3 des recommandations « Mieux cibler les projets financés », une première orientation consiste à dire qu'il faut engager dès maintenant une concertation avec l'ensemble des acteurs, mais je lis au sujet de l'état de mise en oeuvre « mise en oeuvre partielle ». Or, je ne vois pas comment une concertation peut être partielle. Quels sont les freins à cette concertation ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette concertation et l'état d'esprit de celle-ci ? Je lis également « Conditionner dans les territoires concernés les aides à l'installation des jeunes agriculteurs à des engagements en faveur de pratiques vertueuses, notamment concernant l'épandage ». À la lecture de la notation « non mis en oeuvre », je serais tenté de demander s'il s'agit d'un problème juridique ou de traduction technique ? Ma dernière question est plus générale : nous avons assisté à des évolutions législatives et réglementaires ces dernières années - je pense notamment au plan de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (Gemapi) et au transfert de l'eau et de l'assainissement aux intercommunalités - cela a-t-il été un élément facilitateur ou un élément de complexité par rapport à la question qui nous occupe aujourd'hui ?

Mme Christine Lavarde. - Je voudrais revenir sur une question que j'avais posée, lors de la première présentation du rapport. Est-ce que les services de l'État se servent de cette expérience sur le cas breton pour en tirer des enseignements et engager des actions sur la Méditerranée, où l'on commence à avoir aussi des problèmes de prolifération d'algues, et encore plus sur les outre-mer ? Je pense notamment à la Guadeloupe et à la Martinique, où il y a de véritables problèmes avec les sargasses.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je voulais moi aussi remercier Bernard Delcros de ce point d'étape, assez inhabituel pour un rapport récent. On s'aperçoit que si les choses ont évolué, c'est peut-être parce que ce sujet a trouvé sa place dans l'actualité, bien qu'ayant été porté par la commission des finances pour son volet financier et budgétaire. En outre, lorsque des rapports parlementaires sont complétés par des décisions de justice, cette conjonction induit davantage la mise en place de plans d'action - ce que l'État a commencé à faire. Nos recommandations peuvent donc porter leurs fruits. S'agissant de nos missions d'évaluation et de contrôle, il ne faut pas baisser la garde sur le suivi de nos travaux.

Vous évoquez les zones soumises à contraintes environnementales en indiquant que ce dispositif devrait être mis en place mais qu'il y a encore beaucoup à faire. À ce stade, qu'en attendez-vous, et quelles mesures vous paraîtraient devoir être prioritairement mises en oeuvre ?

M. Bernard Delcros, rapporteur spécial. - Concernant la question des moyens supplémentaires, s'agit-il d'un effet d'annonce ou d'une réalité ? Très franchement, je crois à la deuxième possibilité, car compte tenu des enjeux de santé publique, environnementaux et économiques, il ne peut pas en être autrement.

Où va-t-on chercher les crédits ? Les crédits de la PAC sont extrêmement importants - 426 millions d'euros pour la Bretagne en 2022 - au regard des quelques millions d'euros consacrés au plan de lutte contre les algues vertes. Grâce à cette enveloppe, on peut mettre en place un certain nombre d'aides, en accord avec les agriculteurs et les acteurs de terrain. Il faut que ces aides soient associées à une évolution des pratiques qui tiennent compte de la spécificité des territoires « algues vertes » et des problématiques qui sont en jeu. La vraie solution d'avenir n'est pas toujours des crédits supplémentaires, mais que les crédits de la PAC soient pour partie réorientés et redéployés en faveur de la lutte contre la pollution par les nitrates.

Sur la question du foncier, quand des jeunes exploitants s'installent, il y a souvent du transfert de foncier. On pourrait permettre dans le cahier des charges que la priorité soit donnée à des jeunes agriculteurs qui s'engageront dans des pratiques vertueuses. J'avais aussi proposé que l'on améliore la formation des jeunes sur cette question dans les établissements agricoles. Cela ne va pas donner des résultats du jour au lendemain, car il s'agit d'un processus de long terme, mais cela me semble essentiel pour l'avenir.

Concernant la question de Michel Canévet, je suis d'accord sur le fait qu'il y a d'autres causes que l'activité agricole à la pollution des sols, et notamment les installations de traitement des eaux usées qui ne sont pas toujours aux normes. Il est important qu'il y ait suffisamment de soutien financier pour que l'on puisse accélérer ces mises aux normes. Il n'en demeure pas moins que le problème des nitrates est majoritairement lié à des pratiques agricoles. Les agriculteurs aujourd'hui ne sont pas responsables responsables du passé et il ne s'agit pas de les mettre en accusation. C'est un modèle qui a été développé dans les années 1960 et 1970 pour répondre à des problématiques particulières de l'époque, et il faut composer avec. Il ne s'agit pas de discriminer les agriculteurs, mais de mieux les accompagner sur le plan financier, de mieux les sensibiliser et de mieux les former pour faire évoluer les pratiques agricoles. Mais il est également nécessaire de mettre en place des contrôles. Quand des agriculteurs ne respectent pas les règles, ils jettent un discrédit sur l'ensemble de la profession. Avec des contrôles renforcés, on servira l'intérêt de la profession et du territoire.

Dominique de Legge m'avait posé trois questions. S'agissant de la concertation avec les agriculteurs, le plan régional d'actions est actuellement le sixième, qui a été révisé suite à la décision du tribunal administratif, mais la préparation de la septième génération se déroule en parallèle. C'est dans le cadre de cette préparation qu'une concertation a été engagée.

Concernant la question du conditionnement des aides à l'installation, cela rejoint un peu la réponse précédente. Je pense qu'il y a à la fois des mesures immédiates à mettre en place pour obtenir des résultats rapides, mais qu'en même temps il faut viser le long terme, et en cela je pense qu'il faut cibler la nouvelle génération, à travers la formation, la sensibilisation, et l'accompagnement. Il faut peut-être aller jusqu'à mettre en place une forme de conditionnalité de certaines aides pour les jeunes qui s'installent ; il faut en tout cas que ces aides incitent les jeunes à s'engager dans des modes de production nouveaux par rapport à ce qui se faisait il y a trente ou quarante ans.

Christine Lavarde a évoqué la question de la Méditerranée et de l'Outre-mer, qui est également un enjeu important. À l'intérieur même de la Bretagne, la problématique se pose pour d'autres départements. À ce jour on ne prend pas suffisamment en compte l'histoire et les acquis de la lutte contre algues vertes dans les baies actuelles pour anticiper les problèmes à venir dans d'autres territoires. Toutefois, d'après les informations que l'on a eues, il devrait y avoir de nouvelles actions menées au travers du PITE à partir de 2023, notamment pour la lutte contre les sargasses.

Concernant la question du rapporteur général sur les ZSCE, quelles mesures pourraient être prioritaires ? On introduit trop de nitrates dans le sol, principalement via les exploitations agricoles. Pour lutter contre cela, il y a à la fois des outils incitatifs, notamment financiers, et des réglementations. Ces ZSCE ont été mises en place à la suite de la décision du tribunal administratif. Les trois premières années, les ZSCE se déploieront sur la base du volontariat, mais celui-ci ne suffit pas toujours. Le problème du volontariat est que ceux qui refusent pénalisent et anéantissent les efforts des agriculteurs qui ont compris l'enjeu et qui jouent le jeu.

M. Claude Raynal, président. - Merci pour cette présentation et ces réponses.

La commission autorise la publication de la communication du rapporteur spécial sous la forme d'un rapport d'information.

Audition de M. Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations

M. Claude Raynal, président. - Nous retrouvons ce matin Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, que nous avions entendu en avril 2021.

Comme nous le rappelons souvent, la Caisse des dépôts est placée sous la surveillance spéciale du Parlement. C'est pourquoi nous nous réjouissons de vous accueillir régulièrement, monsieur Lombard, pour faire le point sur les activités de votre groupe depuis votre prise de fonctions en novembre 2017. Ces rencontres sont d'autant plus importantes que la Caisse des dépôts est un acteur majeur pour nos territoires et qu'elle s'est particulièrement investie dans le plan de relance.

Cette audition a pour vocation d'établir le bilan de l'année 2021, mais aussi de faire un point d'étape de la mise en oeuvre du plan de relance de la Caisse des dépôts. Celui-ci reposait sur la mobilisation de 26 milliards d'euros d'ici à 2024. En juin dernier, vous annonciez que 40 % de ces fonds avaient été engagés. Quel est l'état d'avancement de ce plan et quels en sont les premiers résultats ?

En outre, la Caisse des dépôts a récemment demandé à Bernard Attali de réaliser un rapport sur l'investissement de long terme. Ce rapport, publié le mois dernier, présente des pistes pour améliorer l'allocation des dépenses d'investissement, notamment de transition énergétique. Dans quelle mesure les préconisations de ce rapport alimenteront-elles la réflexion de la Caisse des dépôts sur sa doctrine en matière d'investissement ?

M. Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. - Je vous remercie de m'avoir convié ce matin. Lors de note dernière rencontre, j'avais pu vous présenter nos résultats pour l'année 2020. Malheureusement, ceux de 2021 ne seront connus que fin mars, pendant la suspension des travaux parlementaires, mais je serai bien sûr à votre disposition pour vous les présenter. J'avais aussi détaillé les axes du plan de relance de la Caisse des dépôts, et commencerai donc comme vous m'y invitez par un bilan de celui-ci.

Dès le début de la crise, au printemps 2020, la Caisse a pleinement joué son rôle d'acteur contracyclique. Nous avons revu nos positions sur les marchés financiers, sans vendre, mais au contraire en y soutenant les entreprises françaises. Redonner de la confiance est une part importante de notre rôle.

Nous nous sommes ainsi mobilisés par l'achat de 1,6 milliard d'euros d'actions, et de 8 milliards d'euros de dette d'entreprises françaises. Nous avons agi pour tout le spectre des entreprises, Bpifrance apportant un soutien décisif en opérant les prêts garantis par l'État (PGE). Notre action s'est aussi déclinée à l'échelon local, en partenariat avec les collectivités, via la création de 19 fonds régionaux de soutien aux très petites entreprises (TPE) et à l'économie sociale et solidaire (ESS), à hauteur de 145 millions d'euros. Nous sommes fiers d'avoir su nous mobiliser, accompagner, investir et opérer à toutes les échelles, car toutes les entreprises avaient besoin d'aide.

Une fois les mesures d'urgence engagées s'est posée la question essentielle de la relance de l'économie. En effet, cette crise a eu un impact sur l'économie réelle, avec un risque de destruction des fonds propres des entreprises. Notre philosophie a donc été, pour éviter cette destruction, d'injecter massivement du capital dans l'économie. C'est l'origine du plan d'investissement de 26,3 milliards d'euros de 2020 à 2024 annoncé dès septembre 2020.

Où en sommes-nous ? Au 31 décembre 2021, nous avons engagé 15,4 milliards d'euros de ce plan, soit près de 60 %. Nous avons significativement accru notre niveau d'activité, avec un rythme d'investissement multiplié par 2,5 par rapport à l'avant-crise. Nous souhaitons poursuivre au même rythme pour atteindre a minima 80 % d'ici à la fin 2022.

Winston Churchill disait qu'il ne fallait jamais gâcher une crise. Celle-ci est l'occasion d'agir pour une économie mieux armée pour affronter les deux grands défis que sont le réchauffement climatique et le creusement des inégalités.

Notre plan s'articule donc autour de quatre priorités. Premièrement, en matière de soutien au secteur du logement et de l'habitat, nous avons engagé 6,2 milliards d'euros, soit 55 % de notre cible. Deuxièmement, pour le soutien à l'économie et aux entreprises, nous avons déployé 6,2 milliards d'euros sur les 8,3 milliards prévus, c'est-à-dire les trois quarts. Troisièmement, concernant le financement de la transition écologique et énergétique, sur les 6,3 milliards d'euros prévus, 2,8 milliards, soit 44 %, ont déjà été engagés. Quatrièmement, en matière de cohésion sociale, 45 % des 500 millions d'euros prévus sont déjà déployés.

Je souhaite maintenant, face aux représentants des territoires de la République que vous êtes, insister sur la territorialisation du plan de relance. Notre action résulte d'une méthode, qui est le dialogue constant avec les acteurs locaux et l'adaptation à leurs besoins. Je rends hommage à l'engagement des 850 collaborateurs de la banque des territoires, répartis sur nos 37 implantations régionales.

Nous avons mis cette crise à profit pour largement déconcentrer notre prise de décision : neuf prêts sur dix et la moitié des investissements sont décidés localement, avec des objectifs différenciés en fonction des besoins des territoires. Cette déconcentration nous donne plus d'agilité. Nous avons créé cette Banque des territoires en mai 2018, époque à laquelle Claude Raynal faisait partie de la commission de surveillance.

Plus globalement, depuis lors, la Banque des territoires s'affirme comme une marque connue et au service des populations et des élus. Nous tenons nos promesses, avec une offre plus lisible qui n'oublie pas les territoires ruraux et les quartiers. Au total, la Banque des territoires a injecté près de 80 milliards d'euros dans les territoires, ce de façon plus équitable qu'avant.

Nous avons diversifié notre offre. Je pense aux prêts à la rénovation énergétique des bâtiments publics et du parc de logement social, mais aussi à des produits plus spécialisés comme le mobiprêt, consacré aux mobilités, l'éduprêt, pour la rénovation des écoles, ou l'aquaprêt, pour celle des réseaux d'eau. Ils ciblent des projets de développement qui se font dans le temps long. En outre, les nouveaux prêts relance verte et relance santé ont connu un réel succès.

La récente hausse du taux du livret A, sur lequel sont basés la plupart de ces prêts, suscite des inquiétudes chez nos partenaires, notamment les organismes de logement social. Il faut être rassurant, même si l'augmentation de ce taux accroît la charge comptable de ces organismes. Tout d'abord, ces organismes sont solides. De plus, nous avons un principe de double révisabilité qui permet d'étaler l'effet de cette hausse dans le temps tout en préservant leur capacité d'investissement.

Je tiens à redire que la Caisse des dépôts entend rester un acteur essentiel du financement du secteur public local, dont le logement social. Notre fonctionnement est vertueux : les conditions de prêt sont les mêmes pour tous, ce qui a un effet de péréquation. Surtout, nous sommes les seuls à proposer des financements sur une durée aussi longue, jusqu'à 60 ans pour les réseaux d'eau et même 80 ans pour le foncier.

Parallèlement, la Banque des territoires s'est dès l'origine impliquée fortement dans les grands programmes nationaux de l'État, dont je sais que le Sénat les évalue. Ils marquent à mon sens le retour d'une politique d'aménagement du territoire renforcée et concertée, en un mot : moderne.

Dans le cadre du programme Action Coeur de ville, la Banque des territoires s'est mobilisée pour proposer des outils sur-mesure aux 222 territoires retenus, pas seulement des communes, mais aussi des départements, des régions et des intercommunalités. Nous avons mis en place des foncières de revitalisation et proposons du soutien en ingénierie. Au total, près de 1,6 milliard d'euros a été engagé pour soutenir 3 800 projets, et ces territoires sont plus attractifs. J'ai pu constater la modification du tissu urbain de Blois et de Châteauroux, par exemple, où j'étais la semaine dernière.

Action Coeur de ville constitue surtout un changement de méthode, avec une gouvernance horizontale assurée par les élus, en articulation avec l'État et ses opérateurs. Nous en fournissons la boîte à outils : ce sont des projets des élus que nous finançons et accompagnons. En effet, il ne s'agit pas d'imposer des solutions toutes faites depuis Paris, mais de proposer l'ingénierie pour conduire les politiques. Nous avons voulu mener une approche globale, prenant en compte l'ensemble des problématiques de ces villes : vacance commerciale, manque d'activité économique, déprise démographique, etc.

Ce programme est original parce qu'il est transversal. Sa prolongation à 2026, signal fort, permettra de poursuivre les efforts, notamment en direction des quartiers de gare et des entrées de villes. Ainsi, à Blois, un hôtel et une résidence étudiante seront construits.

Nous menons d'ailleurs une réflexion sur l'aménagement des zones commerciales en périphérie des villes. Les hypermarchés font face au commerce en ligne et au renouveau des commerces de centre-ville. Demain, ces zones pourront donc constituer des réserves importantes de foncier. Ce qui risque de devenir des friches urbaines permettra de créer des zones mixtes de commerce, de bureaux, de services et de logements. Déjà artificialisées, elles permettront un développement respectueux de l'objectif de zéro artificialisation nette.

Nous gagnerions aussi à étendre cette méthode de concertation et ces programmes aux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).

Dans le cadre du programme Petites villes de demain, nous intervenons majoritairement aux côtés de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) en soutien à l'ingénierie. 200 millions d'euros de subventions sont prévus pour faire émerger les projets des villes rurales, dont 110 millions ont déjà été engagés. Buzançais, sur les bords de l'Indre, a ainsi été transformée.

Je souhaite enfin aborder le programme Territoires d'industrie. La Banque des territoires y intervient en complémentarité avec Bpifrance, qui finance le « contenu », c'est-à-dire les entreprises elles-mêmes. Pour notre part, nous finançons le « contenant », c'est-à-dire le foncier et l'aménagement. Nous plaçons quatre leviers à leur disposition : l'investissement dans l'immobilier et l'aménagement industriel, l'accompagnement de la transition écologique, la formation aux métiers de l'industrie avec les écoles de production, dont une a ouvert récemment à Salbris, et une aide en ingénierie pour la cartographie des chaînes d'approvisionnement. Combinées, ces actions ont permis de mobiliser 390 millions d'euros pour soutenir les territoires industriels.

Je constate avec bonheur un changement des mentalités vis-à-vis de l'industrie. Il y a vingt ans, on théorisait l'entreprise sans usines, ce qui constituait une vision désastreuse. Lorsque l'industrie quitte une ville, ce sont aussi les services, les emplois et les jeunes qui s'en vont. D'origine troyenne, j'ai pu le constater avec le textile. Or, l'industrie, c'est l'innovation, la recherche, c'est une locomotive qui entraîne le reste. Buzançais, dont je parlais plus tôt, compte 6 000 emplois industriels.

N'oublions pas toutefois que les usines de demain seront décarbonées. C'est pourquoi je crois beaucoup à la reconversion des sites existants, les friches, avec notamment le dispositif des sites industriels « clés en main ». La friche Kodak, à Chalon-sur-Saône, près d'une ligne de TGV et d'une autoroute, est un bel exemple de reconversion réussie, tout comme le site de batteries Verkor à Dunkerque. Tout cela se fait naturellement en lien avec les élus.

La Caisse joue aussi un rôle, essentiel mais méconnu, dans la lutte contre les inégalités sociales. En 2021, nous avons voulu renforcer la lisibilité de nos actions dans ce domaine en renommant notre direction des politiques sociales, ce qui traduit aussi l'élargissement de nos missions.

La Caisse gère aujourd'hui la retraite d'un Français sur cinq. J'ai donc la conviction que, dans les réformes qui s'annoncent, notre expertise sera utile. Nous défendons de longue date l'idée d'une réforme progressive avec une convergence s'appuyant sur trois « camps de base » : les salariés du privé, les indépendants et les agents publics.

À travers l'institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques (Ircantec) et la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), la Caisse gère déjà les retraites des agents contractuels de l'État et des fonctions publiques territoriale et hospitalière. Nous aurons donc un savoir-faire dans la convergence des régimes publics, mouvement déjà amorcé avec notre coopération avec le service des retraites de l'État. La mutualisation de nos systèmes d'information permettra, en 2023, de régler les pensions de tous les régimes publics au travers d'une même application, hébergée par la Caisse des dépôts et gérée conjointement par nos équipes et par celles de l'État.

Les réserves sont un autre sujet majeur. La Caisse opère déjà la gestion financière du Fonds de réserve pour les retraites (FRR), dont je préside, en application de la loi, le directoire. Là aussi, nous pourrons apporter notre savoir-faire en cas de convergence.

J'ai déjà parlé de la formation. Vous avez voté la loi ayant permis le développement de Mon compte formation. Celui-ci, avec plus de trois millions de formations financées, est un succès qui a démocratisé l'accès à la formation. Ainsi, les femmes et les hommes sont à parité, 63 % des utilisateurs sont des ouvriers et des employés, et 20 % ont plus de 50 ans. À l'avenir, cet outil servira de base à une meilleure coordination des politiques publiques en matière de formation. Il a déjà permis d'intégrer le plan « 1 jeune, 1 solution » dans le cadre du plan de relance. Demain, ce sera peut-être le cas du passeport de prévention ou d'une nouvelle plateforme de répartition de la taxe d'apprentissage.

Ce rôle d'opérateur de plateformes de la Caisse des dépôts a déjà trouvé de nouvelles applications à d'autres enjeux de politiques sociales, au travers par exemple de « Mon parcours handicap ».

La Caisse a pu mobiliser ses ressources au service de la relance grâce aux transformations engagées depuis 2018, notamment avec la loi Pacte. Le rapprochement avec La Poste et l'intégration de la Société de financement local (SFIL) ont permis la constitution du grand pôle financier public et le développement d'outils complémentaires au service des territoires. Je pense à la logistique décarbonée, avec le développement d'Urby, qui couvre 21 grandes villes, et au réseau France Services, avec un objectif d'un service par canton fixé par le Président de la République. Cela nous permet de mener un travail d'inclusion : 89 France Services itinérants, dans des bus, desservent les territoires ruraux isolés et les QPV.

Nous accompagnons aussi les politiques publiques en matière de transition écologique et énergétique. Sur l'aménagement numérique, nous nous rapprochons d'Orange concessions, tandis que, en matière d'environnement et d'adduction d'eau, l'acquisition de 20 % du nouveau Suez nous permet de nous rapprocher des collectivités.

Enfin, nous sommes impliqués dans le secteur de l'énergie. Nous disposons déjà d'un peu moins de la moitié des parts du Réseau de transport d'électricité (RTE) et sommes coactionnaires de la Compagnie nationale du Rhône (CNR). À cet égard, je souligne l'importance que revêt la prorogation de la concession de la CNR adoptée hier par votre assemblée. Nous avons aussi renforcé notre présence dans le capital de GRTgaz, qui pourra porter les projets autour du biométhane et de l'hydrogène.

Pour conclure, le modèle unique de la Caisse des dépôts est, en période de crise, plus que jamais utile à l'intérêt général. Nous avons montré la nécessité pour la France de disposer d'un investisseur public autonome de long terme, qui reste en relation étroite avec le Parlement. C'est pourquoi j'ai demandé à Bernard Attali de travailler sur des propositions pour favoriser ces investissements de long terme, quand le contexte économique actuel leur est défavorable. L'économiste Hélène Rey parle d'une urgence du long terme.

La Caisse des dépôts reste au coeur de ces sujets, pour soutenir les territoires et l'économie.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'ai le sentiment de vivre un moment inhabituel : vous faites état d'une grande satisfaction, avec notamment les effets de la loi Pacte et une action renforcée aux côtés de l'État pendant la crise. Tant mieux, mais je ne partage pas totalement votre optimisme. J'ai par ailleurs quelques questions.

Quelle est votre ambition en matière de territorialisation, à la fois du point de vue du plan de relance et de la réduction des inégalités ? Beaucoup de territoires et d'acteurs économiques ressentent une forme de déclassement. Vous avez en effet parlé des prêts pour l'eau et pour l'école, du soutien au logement social, même si ce dernier est en panne, et aux acteurs économiques : ces injections financières doivent aller vers les territoires, en profitant à la population et aux acteurs économiques pour avancer.

En particulier, les territoires ruraux sont soutenus mais sont aussi les plus en décrochage. De même, certains QPV ont bénéficié de plusieurs plans successifs sur les trente dernières années : on peut s'interroger sur leur efficacité. Il faut enclencher une vraie dynamique de développement économique et social, sachant que les enjeux environnementaux restent insuffisamment pris en compte.

Ensuite, une cartographie précise nous permettrait de mieux suivre votre action. Les équipements publics comme les infrastructures et les lieux culturels ont vieilli, et les collectivités se trouvent démunies pour les rénover. Il faut une dynamique de renouvellement de ces équipements.

Vous avez évoqué votre participation au plan de relance . Êtes-vous en relation avec vos homologues européens, comme la KFW allemande, dans la mise en oeuvre de la relance au niveau européen ? Situé dans le Grand Est, je constate que cette région ne bénéficie pas d'une partie de sa valeur ajoutée, car plus de 100 000 travailleurs frontaliers lorrains vont créer de la richesse dans les pays voisins, principalement le Luxembourg.

Enfin, ayant été corapporteur de la loi Pacte, aux côtés de mes collègues Élisabeth Lamure et Michel Canevet, je souhaite vous interroger sur le statut de prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) : en quoi celui-ci est-il nécessaire pour la Caisse des dépôts, et quels organismes peuvent recourir à vos services de conservation des actifs numériques ? Comment assurez-vous la sécurité des transactions ?

M. Éric Lombard. - Sur votre premier point, je tiens la cartographie de notre implication, région par région, à votre disposition. Nous entendons soutenir l'ensemble des acteurs, privés ou publics. Au-delà de la banque des territoires, nous codétenons Bpifrance, avec de nombreux prêts en soutien des entreprises. Or, les entreprises françaises ont un taux de défaut à un niveau historiquement faible : notre tissu économique tient.

Pour nous projeter, le développement économique est central, avec plus de cent projets de développement industriel sur notre territoire : l'usine Ynsect, près d'Amiens, la production de granulés issus du lait à Saint-Étienne, une usine dans la Meuse, avec des rivets pour l'industrie automobile de demain. Les acteurs locaux sont très impliqués.

La transition écologique est prioritaire. Avec Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, nous avons écarté la conditionnalité des aides, car la priorité était de sauver les entreprises. Désormais, avec Bpifrance, nous accompagnons la transition écologique des entreprises industrielles.

Vous dites que le logement social est en panne. Je dirais qu'il est ralenti, avec tout de même entre 90 000 et 95 000 logements sociaux construits l'an passé, ce qui est insuffisant. Cela est dû au repli sur soi, à la limitation des constructions aux espaces déjà urbanisés et en hauteur en raison de la non-artificialisation, et donc à la diminution des permis de construire. La commission Rebsamen a travaillé sur ce sujet. C'est pourquoi j'ai évoqué l'idée d'utiliser les espaces actuellement utilisés par les supermarchés en périphérie.

Ensuite, notre relation avec nos homologues européens, avec la fédération européenne des caisses, est permanente, en particulier dans le cadre de la relation 5+1 liant les plus grandes caisses européennes, française, allemande, italienne, espagnole et polonaise, avec la banque européenne d'investissement. Nous avons aussi régulièrement vu les commissaires européens Thierry Breton et Paolo Gentiloni pendant la crise sanitaire.

Il y a des véhicules communs d'investissement, comme le Fonds Marguerite, mais il reste une saine concurrence entre les pays. Nous recherchons des outils communs et de nouveaux modes de financement, et nous veillons à être co-opérateurs du fonds européen d'investissement, pour qu'il bénéficie à des acteurs que nous connaissons. La Banque européenne d'investissement a ainsi été attentive à travailler dans le domaine du logement social.

Enfin, je tiens à dire que je suis très prudent sur les actifs numériques. Certains sont régulés, mais beaucoup, en particulier les cryptoactifs, n'ont pas de contrepartie économique réelle. Nous n'intervenons pas sur ces marchés, car cela nous semble dangereux pour les investisseurs et nos sociétés, tout en étant un désastre écologique. Le minage utilise beaucoup d'énergie, en grande partie charbonnée.

Le seul mandat que la loi nous a donné est de conserver les actifs de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC). Nous avons veillé à ne pas être garants de la valeur des titres qui nous sont confiés : nous conservons seulement les clés et les codes, comme une consignation.

M. Hervé Maurey. - Les encours non réclamés, assurances vie en particulier, s'élèveraient à 6,3 milliards d'euros d'épargne à la Caisse des dépôts. Ainsi, entre 2016 et 2021, seuls 550 millions d'euros, sur 7 milliards transférés, auraient été récupérés : cela me semble trop peu, alors que des textes comme la loi Eckert de 2014 ont été votés. Que faites-vous pour améliorer la situation ? Ne faudrait-il pas améliorer votre site Ciclade, qu'on ne peut interroger que par titulaire du compte plutôt que par ayant droit ?

Par ailleurs, vous avez précédemment dit que la restitution dépendait de la complétude et de l'exactitude des dossiers renseignés par les assureurs. La loi Eckert a amélioré leur accès aux données : quelles conséquences cela a-t-il eu sur la qualité des dossiers ?

Sur les contrats de retraite supplémentaire, vous ne pouvez gérer que ceux qui sont sous forme de sortie en capital. Avez-vous engagé une réflexion sur les autres contrats ? Par ailleurs, la loi du 26 février 2021 relative à la déshérence des contrats de retraite supplémentaire prévoit l'ouverture d'un répertoire des contrats en avril 2022 : le confirmez-vous ?

Ensuite, la rémunération des avoirs détenus par la Caisse des dépôts est fixée à 0,3 %. Ce taux sera-t-il réévalué, comme l'est celui du livret A ?

Enfin, la Cour des comptes a reproché à la Caisse des dépôts des délais de traitement trop longs et vous a fixé un objectif de traitement en trois mois. Que faites-vous pour cela ?

M. Gérard Longuet. - Dans le Grand Est, la Caisse des dépôts et consignations et la Banque des territoires sont présentes. Les actions Coeur de ville, Petites villes de demain et Territoires d'industrie sont suivies et correspondent à une véritable animation. Je vous en donne acte.

Les élus locaux sont très intéressés par l'avenir du « nouveau Suez », car ils souhaitent que les prestations de services assurées par cette entreprise puissent être mises en concurrence. La Caisse des dépôts est actionnaire de cette entreprise, dont elle détient 20 %, les autres actionnaires étant un fonds français et un fonds américain.

Concernant le fond américain, comment allez-vous gérer la mise en oeuvre du décret Montebourg ? Convient-il selon vous de prendre des dispositions juridiques, sachant que vous pouvez être traduit devant la justice américaine même si vous n'intervenez pas aux États-Unis ? Au fond, quel est l'avenir d'une entreprise qui n'est détenue que par des fonds d'investissement, dont l'objectif est très légitimement de réaliser à un moment une plus-value ? Un partenaire industriel pourrait, lui, constituer une colonne vertébrale durable.

M. Éric Bocquet. - À l'occasion de la cérémonie des voeux aux personnels en janvier 2018, vous aviez pointé, je cite, « la propension déraisonnable de la Caisse à faire appel à des consultants et à des conseillers extérieurs ».

Nous avons constaté depuis que des commandes pour des études portant, par exemple, sur des stratégies d'entreprise pour un montant de 25 millions d'euros, ont été passées à des cabinets classiques - Mc Kinsey, Accenture, KPMG - ou encore sur la réorganisation des collectivités locales pour une mission confiée à KPMG pour un montant de 936 000 euros. Le Sénat mène actuellement des travaux sur ce sujet, à l'initiative de notre groupe. Le recours aux cabinets de conseil par la Caisse des dépôts, dont 60 % des agents sont des cadres, a-t-il diminué au cours des dernières années ? La Caisse ne dispose-t-elle donc pas des compétences et des qualifications requises pour effectuer de telles études ?

M. Pascal Savoldelli. - La CDC Habitat s'était engagée sur la production de 42 000 logements sociaux en 2021 et 2022. Or le logement social est en berne, les objectifs en matière de logements sociaux ne sont toujours pas atteints. Cette situation s'explique-t-elle par les économies de 4 milliards d'euros sur les aides personnelles au logement (APL) ? La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) a-t-elle été dénaturée par la loi relative à la différenciation, la décentralisation et la déconcentration (3DS) ? D'autres raisons expliquent-elles ces résultats ?

Nombreuses sont les communes dans mon département qui ont connu au moins une fermeture de bureau de poste en 2017 et en mars 2020. C'est une véritable hémorragie ! On est passé de 8 414 bureaux de poste à 5 300. Pourquoi la Caisse des dépôts n'a-t-elle pas enrayé ce phénomène ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous assurer que la Banque postale conservera une singularité dans le paysage bancaire ?

M. Antoine Lefèvre. - Où en sommes-nous aujourd'hui des arnaques par SMS au compte personnel de formation (CPF) ? Je rappelle que 15 millions d'euros ont été soustraits à 10 000 titulaires de compte. Il est urgent de mettre fin à ce phénomène très préjudiciable. De nouvelles idées sont-elles à l'étude pour enrayer la perte de confiance des 38 millions de titulaires de CPF ?

La plateforme numérique administrée par la CDC permettant aux élus locaux d'accéder à leur droit individuel à la formation est active depuis le 1er janvier 2022. Avez-vous déjà eu à déplorer des bugs ? Des attaques comme celles qui ont porté sur le CPF sont-elles à craindre ?

Mme Sylvie Vermeillet. - Sur le sujet de la territorialisation, vous avez parlé d'un dialogue constant et au plus près du terrain. Comment répartissez-vous les fonds dont vous disposez ? Ainsi, en matière de réindustrialisation, privilégiez-vous les territoires d'industrie ou est-ce le dialogue au quotidien sur le terrain qui permet de flécher les projets ? Quels projets refusez-vous ?

Par ailleurs, la CDC gère différents régimes de retraite. Avez-vous mis à profit la pause sur la réforme des retraites depuis 2020 pour reconstituer les carrières ? Cet élément nous faisait cruellement défaut lorsque nous discutions de la réforme.

M. Michel Canévet. - Même si vous ne disposez pas encore à ce jour des résultats de la CDC, savez-vous si l'orientation de l'épargne des Français vers l'assurance vie, au détriment des placements sur livrets, aura un impact sur les comptes de la Caisse ?

En matière de logements sociaux, j'ai la conviction que le coût des opérations est un frein énorme à la mise en oeuvre des projets. La loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ÉLAN), par le regroupement des opérateurs, a entraîné une baisse de la production, mais d'autres facteurs, comme la raréfaction du foncier, la hausse des prix des matériaux et de la main-d'oeuvre, l'instauration de normes diverses, renchérissent le coût de la construction. La Caisse ne devra-t-elle pas subventionner certaines opérations pour permettre leur concrétisation, sans quoi nous n'atteindrons pas les objectifs fixés ?

À la suite de la publication du rapport de la Cour des comptes sur l'État actionnaire, pourriez-vous nous dire si la Caisse a dans son portefeuille des entreprises en difficulté ? Cela va-t-il influer sur ses résultats ? La Cour des comptes appelle l'État à fixer une doctrine. Pensez-vous qu'il existe une cohérence entre l'action et l'intervention des trois opérateurs ? Faut-il l'affirmer davantage ?

M. Éric Lombard. - Monsieur Maurey, nous avons beaucoup communiqué sur les encours non restitués, ce qui s'est traduit par une augmentation de 60 % des demandes de restitution en 2021. Un article paru dans Le Parisien avant-hier et des reportages télévisés ont rappelé aux Français qu'ils pouvaient se rendre sur le site Ciclade.

Nous avons simplifié la traçabilité des éléments permettant aux ayants droit de retrouver leurs comptes, même si des contraintes assez fortes subsistent pour éviter les abus.

Un texte nous permet de récupérer les retraites complémentaires et de restituer le montant en capital et non pas sous forme de rente, car c'est compliqué.

Je rappelle que le placement des excédents de cash de la Caisse auprès de la Banque centrale européenne, lesquels se comptent en milliards d'euros, nous coûte 0,5 % par an. Les fonds déposés dans Ciclade sont plutôt du court terme. Ils représentent pour nous des frais de gestion élevés - il faut répondre à tous les demandeurs - et le placement ne peut pas s'opérer à des conditions élevées. Nous avons pris acte de la décision de fixer le taux de rémunération de ces fonds à 0,3 %, mais il faut savoir que si ces sommes étaient restées sur un compte en banque, elles n'auraient pas été rémunérées et le détenteur du compte se serait vu facturer des frais de gestion.

Merci, monsieur Longuet, de votre remarque sur notre présence territoriale dans votre région.

L'extraterritorialité du droit américain est un sujet pour toutes les activités économiques, notamment pour le cloud. Les grands offreurs de services étant des entreprises américaines, la question du cloud souverain se pose. J'avais d'ailleurs demandé au début de mon mandat à une entité détenue majoritairement par la Caisse des dépôts de ne pas envisager d'acquisitions aux États-Unis, car cela paraîssait compliqué.

Dans le cas de Suez, GIP, l'actionnaire américain, est minoritaire. Je pense qu'il ne présente pas de risque excessif. En plus, c'est un fonds dont les investisseurs proviennent de multiples horizons. Le ministère des finances a autorisé l'investissement. J'ajoute que ces partenaires sont des professionnels de grande qualité, qui ont une vision à assez long terme. Cela étant, le long terme, pour un fonds d'investissement, c'est cinq à dix ans. Le second actionnaire, Meridiam, qui est un fonds français, a procédé à un investissement à long terme, sans durée préétablie. Cela signifie que 60 % du capital du nouveau Suez sera stable dans la durée.

Nous aurons à gérer dans les années à venir la sortie de GIP du capital, en respectant les règles qui ont été mises en place. Il faudra alors veiller à ce que la nouvelle détention du capital qui en résultera permette d'accompagner Suez à long terme, sans baisse de la qualité et de la proximité, notamment avec les élus, mais il n'y a pas de garantie à cet égard. J'entends et je partage votre souhait, monsieur Longuet, que le nouvel actionnaire soit un partenaire industriel.

Monsieur Bocquet, j'ai effectivement souhaité que l'on ait un recours plus limité aux consultants. La nouvelle organisation et la nouvelle stratégie ont d'ailleurs, comme la création de la Banque des territoires, été mises en place en s'appuyant sur les talents de la maison, sans faire appel à des consultants. En revanche, dans certains domaines très techniques, nous avons besoin d'une validation extérieure - par exemple pour l'installation de panneaux photovoltaïques sur une ancienne carrière inondée ou d'un champ d'éoliennes en mer - par des professionnels qui certifient l'investissement.

Nous faisons par ailleurs une consommation excessive de consultants extérieurs pour les développements informatiques, mais nous n'avons pas le choix. Cela concerne les nouvelles méthodes financières de certification des comptes, la mise en place de la taxonomie, pour tous nos comptes et rapports. Sur ces questions, la transparence est totale, nous sommes soumis à la procédure de l'appel d'offres.

Nous avons fait la liste de l'ensemble de ces dépenses et de leur évolution dans le temps, elles sont stables. Si nous faisons appel à des consultants, c'est pour répondre à un besoin, pas du tout parce que nous n'avons pas les compétences en interne.

Monsieur Savoldelli, plus de 20 000 des 40 000 logements que nous avons lancés sont déjà commandés. Notre filiale CDC Habitat, qui représente 10 % des logements sociaux, réalise plus de 20 % des nouvelles constructions. Action logement fait également beaucoup plus que sa part. Je suis convaincu que la difficulté n'est pas de nature financière. Le problème est d'avoir des projets de territoires. Certaines villes dépassent leur quota SRU et sont réticentes à construire, d'autres ne l'atteignent pas et ne font pas assez. Les causes sont multiples ; elles ne sont pas non plus liées à la loi SRU.

Le problème de La Poste, c'est que le courrier s'effondre à un rythme rapide et que la crise de la Covid a accéléré cet effondrement au point que l'activité est aujourd'hui très lourdement déficitaire. L'aide de 500 millions d'euros par an que l'État a accepté d'apporter au titre du financement des services publics ne suffira pas pour couvrir le déficit résultant de la crise sanitaire. Si le déficit se creusait, c'est l'ensemble du projet de développement de La Poste qui serait mis en danger. La raison nous oblige donc à transformer certains bureaux de poste en points contact de moindre ampleur. Ces ajustements se font en respectant les personnes. Les baisses d'effectifs se font naturellement et dans le dialogue avec les partenaires sociaux.

La Banque postale reste une banque très particulière et exemplaire : elle accueille les personnes ayant les revenus les plus faibles et leur offre des services bancaires de qualité. Elle propose par ailleurs à ses clients plus fortunés une offre extrêmement éthique en termes de protection sociale et environnementale. Enfin, c'est une banque citoyenne qui soutient les entreprises. Elle est pourtant une banque du secteur concurrentiel, mais n'est pas une banque de développement.

Monsieur Lefèvre, sur les arnaques au CPF, nous communiquons énormément sur différents médias et nous informons de manière continue que nous ne faisons pas de démarchage et qu'il ne faut pas répondre aux SMS, qui sont des faux. Nous travaillons avec vous afin d'interdire le démarchage. Enfin, nous faisons en sorte que les parquets se coordonnent et que les auteurs de ces fraudes soient condamnés.

Nous suivons de très près la nouvelle plateforme d'accès au droit individuel à la formation, qui fonctionne bien. À ce jour, 1 500 formations ont déjà été enregistrées, 242 sont disponibles en distanciel sur la communication, l'urbanisme, les finances.

Madame Vermeillet, les fonds ne sont pas infinis, mais nous sommes loin d'avoir atteint les limites. Je peux donc dire aux élus que je rencontre que leurs projets seront financés. Cela ne pose pas de problème qu'il y ait plus de projets dans une région ou dans un département. Nous avons triplé le volume de nos investissements, notre difficulté est davantage de trouver des projets que des moyens de les financer.

Malgré tout, nous refusons certains projets, soit parce qu'ils ne trouvent pas un équilibre économique, sachant que nous sommes prêts à financer des projets peu rentables dès lors qu'ils sont utiles, soit parce qu'ils nous conduisent à prendre des risques importants.

J'en viens aux retraites. Les reconstitutions de carrières sont effectuées par le groupement d'intérêt public Union retraite, lequel a continué à travailler sur cette question pendant la période du confinement, de façon autonome par rapport au projet de réforme politique.

Monsieur Canévet, les résultats de 2021 sont excellents. Nous aurons probablement un résultat record cette année, supérieur à celui que nous avions atteint en 2019. Cela vaut pour la section générale, c'est-à-dire la Caisse des dépôts historique. Les résultats des fonds d'épargne seront également très élevés d'une part parce que les provisions qui ont été passées pour certaines baisses d'actifs financiers ont été reprises, d'autre part parce que le taux du livret A n'a pas été augmenté en 2021. Le taux du livret A étant en partie assis sur l'inflation, pour couvrir le risque, nous avons un portefeuille d'un petit peu moins de 40 milliards d'euros d'obligations indexées sur l'inflation. Au total, la somme des résultats des fonds d'épargne et de la Caisse des dépôts établissement public est extrêmement élevée.

Vous avez raison, les coûts de la construction de logements augmentent fortement, du fait des conséquences de la crise sanitaire, mais aussi parce que l'activité économique va bien. Cela étant, je ne pense pas que cela soit une contrainte, car des financements plus longs sont possibles. En outre, les offices solidaires permettent de distinguer le foncier du bâti. Enfin, le démembrement de propriétés, entre l'usufruit et la nue-propriété, est également possible. Dans les deux cas, la Caisse peut porter soit le foncier soit la nue-propriété, ce qui allège le coût pour le bailleur social.

Votre dernière question, sur l'État actionnaire, est redoutable. Nous avons une doctrine d'investissement, validée par la commission de surveillance. Nous investissons dans les infrastructures, dans l'énergie, dans le logement dans les territoires, mais, par définition, nous nous coordonnons avec Bpifrance, nous discutons avec l'Agence des participations de l'État (APE). Le dialogue est constant.

Je considère que la Caisse ne doit pas être intégrée de façon autoritaire dans une politique qui serait décidée par l'exécutif, même si, en tant qu'établissement public, nous nous devons de nous coordonner et d'essayer d'être le plus efficace ensemble. J'ai indiqué au Premier président de la Cour des comptes que la coordination, c'est bien, mais dans le cadre de notre mandat et des textes qui encadrent notre action. J'ai lu en détail le rapport de la Cour des comptes. Je pense que, grâce à la qualité de notre dialogue, aucune action n'a été ratée dans la période récente.

Mme Christine Lavarde. - Ma question porte sur les résultats de la Caisse des dépôts. J'ai lu cette semaine que la situation financière de l'APE se dégradait et qu'elle enregistrait une perte de 5 milliards d'euros. Le même article se faisait l'écho de difficultés similaires à la Caisse et chez BPI. Infirmez-vous ces données ?

M. Didier Rambaud. - Vos propos sur l'implantation prochaine d'une megafactory à Dunkerque sont un réel motif de satisfaction. C'est en effet une start up de Grenoble, Verkor, qui est à l'initiative du projet. Le triptyque université-recherche-industrie doit continuer à fonctionner.

Les dispositifs Petites villes de demain et Action coeur de ville se situent au coeur du problème. L'enjeu est le rôle de la Caisse concernant le manque d'ingénierie au sein des collectivités. En Isère, 14 villes ont été retenues, qui connaissent des difficultés à recruter des chefs de projet. J'espère qu'elles ne seront pas déçues sur le profil de ces postes. Avez-vous observé le même phénomène dans d'autres départements ? Peut-être aurait-il fallu faire preuve de plus de souplesse en favorisant les contractualisations.

Je suis élu de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Dans les stations de ski, La Compagnie des Alpes est un acteur important, dont la stratégie mériterait d'être clarifiée. Sachant que la Caisse des dépôts et consignations en est la maison-mère, pourriez-vous nous donner quelques éléments d'information à ce sujet ?

M. Jean-Marie Mizzon. - S'agissant du logement social, vous affichez dans votre dernier rapport d'activité un objectif ambitieux de 500 000 logements sur la période 2020-2024. Or, sur les trois années précédentes, ce nombre ne dépassait pas les 75 000 par an. Quelles sont les raisons de cet optimisme ? Ma deuxième question porte sur votre rapport d'activité qui présente des chiffres globaux, ce qui renvoie au sujet de l'importance de la cartographie, permettant de s'assurer d'une action équilibrée de la Caisse des dépôts partout en France et mesurer le dynamisme des différents territoires.

M. Christian Bilhac. - La Poste doit exercer une mission de service public. À cette fin, elle est rémunérée par l'État sous le contrôle de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). Vous l'avez souligné, 520 millions d'euros de crédits lui ont été octroyés en loi de finances. Certes, des évolutions sont nécessaires. Lors d'un mandat précédent, j'ai aidé le directeur de La Poste à fermer des bureaux dans des communes de 200 habitants. Mais de telles fermetures dépassent l'entendement dans des communes de 4 000 à 5 000 habitants, comme au Cap d'Agde, première station balnéaire d'Europe !

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Merci pour ce bilan d'activité, bien ancré dans ma région, l'Aube, dont la géographie économique a changé grâce à l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation. Ma question porte sur le financement de long terme. On cherche des spins doctors pour repenser l'action publique. Ayant une vision d'avenir sur l'innovation en Asie, aux États-Unis et en France, je m'interroge.

Premièrement, comment financer la matière grise, première ressource de l'innovation ? Les standards sont mondiaux, et nos chercheurs sont débauchés à l'étranger. Or, sans eux, l'innovation périclitera en France dans les vingt prochaines années. Peut-être la Caisse aurait-elle un rôle à jouer en sus des dépenses budgétaires existantes ?

Deuxièmement, ne devrait-on pas repenser certains véhicules d'investissement ? Les écosystèmes fonctionnent, mais l'on s'est peut-être trompé en se dirigeant vers un Mittelstand ou une Lombardie à la française. Les entreprises de taille intermédiaire (ETI) doivent être multipliées, mais ce n'est pas notre modèle culturel. Nous avons de nombreuses PME innovantes sur des niches. La mise en plateforme serait un moyen de renforcer notre tissu économique de l'innovation.

Troisièmement, enfin, le financement de long terme nécessite la mobilisation de capitaux importants. Quel est votre avis sur notre capacité à avoir des fonds à l'échelle ? Ne pourraient-ils être seulement européens ? Ce temps long ne suppose-t-il pas des fonds « evergreen » ? Ne doit-on pas drainer une partie de l'épargne publique en faveur de notre redressement national ? Comme vous l'avez dit, il y a urgence.

M. Vincent Segouin. - Dans ma région, un secteur entier a été déclaré territoire d'industrie depuis 2019, suscitant beaucoup d'espoir chez nombre d'élus. Vous avez déclaré que 390 millions d'euros ont été injectés, à destination de 100 nouveaux projets. Toutefois, il nous faut des résultats concrets. Or notre balance commerciale se dégrade, au-delà de nos prévisions initiales. C'est pourtant le meilleur indicateur sur l'import-export. A-t-on bien pris en compte l'ampleur du problème ? En termes de transmission des entreprises, les réponses ont-elles été efficaces ? Le patriotisme industriel diminue-t-il et la confiance envers les chefs d'entreprise s'améliore-t-elle ? L'autosatisfaction autour de tout l'argent investi masque la réalité : ce sont des pansements sur des hémorragies.

M. Jean-Michel Arnaud. - J'aborderai l'engagement de la CDC sur les territoires de montagne. Il existe un malaise entre La Compagnie des Alpes et les acteurs territoriaux. Celle-ci a défini une orientation stratégique, telle que la commercialisation unique par le web, le rachat d'opérateurs comme Évolution 2 qui concurrencent L'École du ski français, ou encore l'affrètement exclusif de trains. Un opérateur historique qui devait accompagner le développement de territoires, et dont vous détenez 39,5 % du capital, doit-il se positionner contre des opérateurs locaux ? Est-il bénéfique que les retombées économiques de l'exploitation du domaine skiable servent au rachat d'activités développées par les acteurs locaux ? Est-il logique, alors que la CDA a bénéficié d'aides de l'État pour faire face à la crise, que les communes d'implantation des infrastructures ne perçoivent pas la taxe sur les remontées mécaniques à proportion de leurs pertes ? Nous auditionnerons la direction de La Compagnie des Alpes au sein du groupe d'étude « Développement économique de la montagne », afin de trouver des solutions communes pour que cette entreprise reste un atout.

M. Éric Lombard. - Madame Lavarde, les pertes de l'APE sont justifiées par les secteurs dans lesquels elle est actionnaire, notamment le ferroviaire et l'aérien Je vous confirme que la Caisse et Bpifrance ne sont pas touchées. Nicolas Dufourcq a donné un chiffre record de plus de 1,5 milliard d'euros pour la seconde, ce qui montre le rétablissement de sa rentabilité. Il en va de même pour la Caisse. Parmi les entités en difficulté, La Poste continue de connaître une situation délicate compte tenu de la baisse du courrier. En revanche, des effets très positifs se font sentir concernant la reprise de provisions passées l'an dernier. La Compagnie des Alpes ou Transdev, quant à elles, se redressent par un effet de compensation.

Je confirme de la façon la plus claire et documentée que ces résultats - en cours de certification - seront excellents et dépasseront les résultats d'avant la crise. Si nous étions trop rentables, cela voudrait dire que nous ne prendrions pas assez de risques ! Nous devrions atteindre un niveau historique en 2021, et un retour à la normale en 2023.

Monsieur Rambaud, sur l'ingénierie, vous avez raison : nous avons une vraie difficulté. Nous nous sommes organisés avec l'État pour être très opérationnels, afin que les 200 millions d'euros financent des spécialistes. Le conseil municipal de Buzançais se félicitait de l'approche d'un architecte urbaniste sur l'organisation de sa centralité. Il a choisi de détruire quatre maisons en centre-ville pour améliorer la circulation. Indépendamment des fonds, les recherches pour trouver ces professionnels prennent du temps pour les 1 600 villes concernées. Tel est l'objectif de notre filiale Services, Conseil, Expertises et Territoires (SCET), qui n'est sélectionnée que si elle remporte les appels d'offres. M. Repentin a émis l'idée que les villes bénéficiaires du plan Action coeur de ville accompagnent les petites villes de demain dans leurs démarches. Toute initiative efficace est bienvenue, mais j'entends votre appel à plus de souplesse.

La Compagnie des Alpes, Monsieur Arnaud, est une société cotée en bourse. Dans la mesure où nous en sommes l'actionnaire principal, nous sommes attentifs à ses effets dans nos vallées. La stratégie est confirmée, qui consiste à accompagner le développement des stations dans le cadre d'une délégation de service public, et selon un axe clair : la montagne quatre saisons. Ainsi, les infrastructures seront mieux utilisées, d'autant que les touristes peuvent se raréfier certains hivers.

L'affrètement de trains, notamment Eurostar, est une bonne solution pour attirer dans les stations de nouveaux clients. C'est la vision dynamique du nouveau directeur général de La Compagnie des Alpes, Dominique Thillaud. Entre l'École du ski français et Évolution 2, une sorte de concurrence s'est dessinée. Ce débat ne justifie pas de mettre fin aux développements de La Compagnie des Alpes, qui favorise une offre plus diversifiée. Enfin, la commercialisation par le web fait partie de nos actions, et le dialogue est important pour maintenir l'attractivité des stations et valoriser l'activité des collectivités.

Monsieur Mizzon, les objectifs concernant le logement social sont très ambitieux. Pour l'atteindre, j'ai demandé aux équipes de la direction du réseau et des territoires d'être plus proactives pour accompagner tous les opérateurs dans leur dialogue avec les élus. Nous pourrons ainsi trouver des terrains et des projets de villes. Des élus ont un vrai savoir-faire en la matière. La maire de Rennes, Nathalie Appéré, a construit 4 000 logements sociaux avec des méthodes très originales de mixité sociale. Il faut faire preuve d'une attitude engagée pour agir de façon équilibrée.

Monsieur Bilhac, La Poste remplit quatre missions de service public. Certes, l'évolution des implantations n'est pas toujours conforme à vos voeux. Mais il est heureux que cette société anonyme soit détenue par des acteurs publics - l'État et la CDC - , car l'exercice de ces missions est lourdement déficitaire. Ce sont les autres activités et les actionnaires qui les maintiennent. J'ai pris note des points précis que vous évoquez pour dresser l'état de la situation.

Madame Paoli-Gagin, de nombreuses initiatives très intéressantes ont été engagées dans l'Aube, dont Plug&Start à Troyes. Garder la matière grise nous engage tous. Je ne suis pas certain que La CDC ait le plus de moyens pour cela, mais le développement des entreprises a été facilité depuis plusieurs années. Par ailleurs, il est un nationalisme entrepreneurial positif, en vertu duquel nombre de dirigeants sont très attentifs à ce que leur entreprise reste en France. C'est le cas de cette usine de rivets dans la Meuse ou de la conserverie de Penmarch, dans le Finistère.

M. Claude Raynal, président. - Vous êtes un vrai sénateur !

M. Éric Lombard. - Comment financer les PME ? Avec Bpifrance, nous consentons beaucoup d'efforts pour allouer des fonds sectoriels à tous les projets. Toutefois, les financements de longs termes sont insuffisants. Il y a trente ou quarante ans, les actifs des banques étaient très longs. La réglementation a empêché cela, au motif qu'une activité économique serait trop risquée. Pourtant, elle crée de la richesse. Si la Caisse a accumulé plus de 60 milliards d'euros de fonds propres en 200 ans, c'est par son activité d'investisseur de long terme. Je mène personnellement cette bataille réglementaire depuis longtemps.

Je citerai également la dimension européenne. La BEI et le FEI ont des fonds accrus. Dans le cadre du plan France 2030, au moins 5 milliards d'euros seront gérés par le secrétariat général du plan d'investissement. Les fonds sont de plus en plus fléchés vers tous types d'entreprises. Nous accompagnons ce processus. Est-il trop tard ? Je ne le pense pas ; nous sommes au contraire en train de revenir dans le mouvement.

Monsieur Segouin, l'état de la balance commerciale est une mauvaise nouvelle, mais qui résulte d'éléments circonstanciels : la réfection de centrales nucléaires, la crise sanitaire, le manque de puces pour l'automobile, etc. L'efficacité des politiques menées depuis de nombreuses années devrait se concrétiser dans la balance commerciale. A-t-on assez traité la transmission, les ETI et le patriotisme industriel ? Non, il faut continuer à travailler sur notre compétitivité, notre attractivité et la facilité d'implantation des usines. Cela étant, je suis optimiste, car nous sortons enfin de cette crise grâce à l'effort de tous. Des écarts de coûts posent toujours des problèmes, mais je ne m'appesantirai pas ici sur le terrain fiscal.

La Compagnie des Alpes a été indemnisée, mais pas forcément les communes délégataires. Oui, cela est dû à notre fonctionnement différencié. Mais nous avons souscrit une augmentation de capital massive. De plus, nous supporterons les pertes de la Compagnie durant au moins deux exercices en lui donnant les moyens de travailler. Ces investissements bénéficieront ensuite aux collectivités locales.

M. Claude Raynal, président. - Merci, monsieur le directeur général, de ces explications approfondies. Cette séquence annuelle est quelque peu délicate, car la Caisse des dépôts et consignations est une sorte de couteau suisse tant ses domaines d'intervention sont très variés. Mais une fois encore, nous avons réussi l'exercice.

La réunion est close à 12 h 30.