Mardi 29 mars 2022

- Présidence de M. Stéphane Piednoir, président -

Audition sur la démocratie participative

M. Stéphane Piednoir, président. - Nous accueillons cet après-midi trois universitaires pour qu'ils nous aident à avancer dans nos réflexions sur la démocratie participative : Mme Mathilde Heitzmann-Patin, professeur de droit public à l'Université du Mans, M. Jean-Pierre Gaudin, professeur émérite de sciences politiques et M. Loïc Blondiaux, professeur de sciences politiques à l'université Paris I, qui assiste à cette audition à distance et nous rejoindra dans quelques instants.

Je précise à l'attention de nos invités que notre mission d'information s'est mise en place dans le cadre du droit de tirage des groupes, sur l'initiative du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE). Conformément aux usages, notre collègue Henri Cabanel, membre de ce groupe, en est le rapporteur.

J'indique également que notre mission est composée de 21 sénateurs issus de tous les groupes politiques et que notre rapport, assorti de recommandations, devrait être rendu public au début du mois de juin 2022.

Je rappelle enfin que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport.

La création de cette mission d'information a été inspirée par la vive préoccupation suscitée par les taux d'abstention record atteints lors des élections de 2021, plus particulièrement chez les jeunes, et de manière générale par la crise de confiance qui éloigne des institutions nombre de nos concitoyens.

Dans ce contexte, nous nous intéressons naturellement aux outils de démocratie participative qui se sont développés au fil du temps, essentiellement au niveau local ; nous nous interrogeons sur la capacité de ces outils à renouveler la vie démocratique et à donner envie de voter à nos concitoyens, plus particulièrement aux plus jeunes électeurs, qui sont au coeur de nos préoccupations. Sur ces sujets, nous avons besoin de votre regard d'universitaires.

Je laisse la parole à Henri Cabanel, rapporteur, qui va vous poser quelques questions pour situer les attentes de notre mission d'information.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Selon vous, comment définir la démocratie participative ? Comment ce concept s'articule-t-il avec ceux de démocratie directe et de démocratie représentative ? Quels sont selon vous les enjeux de la démocratie participative ? À quelles défaillances des pratiques démocratiques actuelles les mécanismes de démocratie participative peuvent-ils apporter une réponse ? Quelles solutions concrètes peuvent-ils introduire ? Selon vous, les procédures d'enquêtes publiques ou les consultations ad hoc prévues par certaines procédures administratives relèvent-elles de la démocratie participative ?

La nouvelle procédure de référendum introduite à l'article 11 de la Constitution par la révision constitutionnelle de 2008 pourrait-elle réellement permettre aux citoyens d'être à l'initiative de la loi ?

Les mécanismes relevant de la démocratie participative doivent-ils se limiter à éclairer les décisions des institutions procédant de la démocratie représentative, ou doivent-ils s'imposer aux élus ? À l'inverse, comment articuler la délibération du citoyen avec celle de ses représentants ?

Le rapport du Conseil d'État de 2018 sur la citoyenneté proposait « d'encourager, par des initiatives de l'État et des collectivités territoriales, le développement de produits innovants de participation numérique des citoyens à l'action publique («civic techs») ». Partagez-vous cet avis ? Si oui, quels sont, le cas échéant, les exemples étrangers à suivre en la matière ? La démocratie participative peut-elle aujourd'hui exister indépendamment des outils de la démocratie numérique ? Ou peut-on penser que l'on se camoufle derrière les solutions techniques pour éviter les sujets qui fâchent certains d'entre nous ? Je pense par exemple à l'obligation pour les candidats d'avoir un casier vierge, au vote blanc, à la co-construction des projets, etc.

Les élus et le législateur abordent généralement la démocratie participative au travers du seul prisme des outils. Pourtant, pour trouver la confiance des citoyens, on pourra déployer tous les outils, s'il n'y a pas de diversité dans la démarche, celle-ci sera simplement de la communication, de l'image : à l'instar du greenwashing, on tend à montrer qu'on fait de la démocratie participative avec des illusions de concertation : quels sont, selon vous, les indicateurs qui témoignent d'une démarche sincère en ce sens ?

En 2017, j'ai présidé une mission sur la démocratie représentative, participative et paritaire. M. Blondiaux, qui nous rejoindra tout à l'heure, avait alors été auditionné. Nous avions rendu un rapport proposant des pistes d'action. Cinq ans plus tard, aucune de ces pistes n'a été suivie. D'après vous, qu'est-ce qui bloque ?

Jo Spiegel, ancien maire de Kingersheim, dit que la démocratie participative, c'est agir « par et pour », et qu'il faut cesser d'infantiliser les citoyens. Pensez-vous que les élus infantilisent les citoyens ? Si oui, comment ?

Avec des taux de participation très faibles, certains maires de grandes villes ont été élus avec 17 ou 18 % des suffrages. Peut-on parler d'un seuil de non-représentativité, ou de légitimité ? Faudrait-il selon vous réorganiser les élections avec d'autres candidats en cas de taux aussi faibles ?

Mme Mathilde Heitzmann-Patin, professeur de droit public à l'université du Mans. - Merci pour votre invitation. Je suis très heureuse de pouvoir discuter avec vous de ces questions.

Je commencerai par la définition de la démocratie participative, directe et représentative. La démocratie directe, j'en parle moins comme d'un régime de type athénien que comme des processus permettant la prise de décision directement par le corps électoral. L'exemple classique en est le référendum. La démocratie représentative, c'est la prise de décision par les élus du peuple, les représentants : la prise de décision populaire est donc indirecte. Au fond, ces deux définitions peuvent entrer dans le champ de la démocratie participative : décider directement, c'est participer, et décider indirectement en élisant ses représentants, c'est aussi participer.

Participer, c'est jouer un rôle. Encore faut-il définir quel est ce rôle et qui l'exerce. Qui participe ? Le corps électoral. Nous parlons donc de citoyens, d'électeurs, et l'expression « démocratie participative » implique probablement un rôle plus investi et plus régulier du citoyen dans le processus de prise de décision politique. Ce rôle, en revanche, ne va pas forcément jusqu'à la prise de décision définitive.

Dans le rôle que le citoyen exerce, on peut distinguer plusieurs étapes. La première est l'initiative : la possibilité de proposer une mesure nouvelle, un changement de mesures, plus précisément la capacité d'être à l'origine d'une action. La deuxième étape est l'élaboration, au sens de la délibération, de la rédaction d'un texte, et de la discussion autour de la mesure considérée. La dernière étape est l'adoption, donc la prise de décision définitive. On parlera de démocratie directe si cette dernière étape requiert directement la participation du citoyen.

Le professeur Denis Baranger définit la démocratie participative comme une forme de discussion politique entre citoyens et gouvernants. Je la définirais comme un ensemble de mécanismes permettant aux citoyens d'intervenir, dans le cadre de la démocratie représentative, par une discussion avec le pouvoir politique. Il s'agit d'opérer une rénovation conceptuelle par la multiplication des mécanismes de participation et par une dilution, plus ou moins forte, des mécanismes classiques de représentation.

En droit français, il existe plusieurs niveaux de mécanismes de participation, dans différents cadres et à une certaine échelle : procédures d'enquête publique, consultations en droit de l'urbanisme, en droit de l'environnement...

On pense souvent au Conseil économique, social et environnemental (CESE) comme à une institution de participation citoyenne. Il est vrai que cette institution recueille des pétitions et peut organiser des conventions citoyennes. Son rôle a été renforcé par la loi organique de janvier 2021. Toutefois, si l'on entend la démocratie participative comme une discussion entre citoyens et gouvernants à travers différents mécanismes, l'on doit nuancer ce constat, car le CESE ne peut pas être qualifié de gouvernant. Il n'est qu'un relais avec les gouvernants, et la participation n'y est donc qu'indirecte. Au niveau national, on peut penser également aux pétitions auprès des assemblées. Mais ces dernières ne se contraignent pas à cet égard. Faudrait-il fixer une sorte de seuil de prise en compte ? En deçà de ce seuil, on considérerait qu'il n'y a pas une participation suffisante.

À quel niveau de décision ces mécanismes sont-ils les plus adaptés ? En général, on pense que c'est au niveau local. La sociologie montre en effet que la délibération est plus simple en plus petit nombre.

Mais le problème n'est pas tant l'échelle que la « culture citoyenne », pour reprendre le nom de votre mission d'information. Pour que ces mécanismes fonctionnent et soient légitimes, il est nécessaire que la participation soit grande, donc que la publicité qui leur est faite soit adéquate.

Vous nous interrogez aussi sur ces mécanismes comme réponse à des défaillances des pratiques actuelles. Vous avez rappelé, Monsieur le Président, la crise de la représentation, la défiance des électeurs, l'abstention. Il est vrai que ces mécanismes peuvent donner une nouvelle forme de légitimité aux décisions politiques en renforçant le dialogue entre les citoyens et le pouvoir politique.

Mais l'une des difficultés est que l'on a fait croire aux citoyens que l'on pouvait se passer de la représentation. Or la démocratie participative, à mon avis, ne s'oppose pas à la démocratie représentative, et les mécanismes de démocratie participative laissent toujours une place à la représentation - voire créent une nouvelle forme de représentation. Pour le référendum classique, par exemple, l'initiative vient des représentants élus.

Si l'on imagine une initiative populaire, on crée une nouvelle forme de représentation, puisque la portion du peuple qui serait à l'initiative de ce référendum constituerait une sorte de représentation : tous les citoyens ne seront pas à l'initiative de ce référendum. Autre exemple, les citoyens tirés au sort deviennent de nouveaux représentants, en quelque sorte, qui pourtant ne disposent pas de la légitimité de l'élection. Il faut donc prendre garde à ne pas donner un pouvoir sans limites à des instances qui ne sont pas élues, qu'il s'agisse des assemblées citoyennes ou du CESE.

Les mécanismes de démocratie participative sont donc inclus dans la démocratie représentative. Ils ont pour but d'éclairer les décisions, de donner un aperçu de ce qui se passe concrètement, de prendre le pouls du citoyen et, finalement, d'améliorer la circulation d'informations entre les représentants, les élus, le pouvoir politique et les citoyens. Vouloir faire décider directement et uniquement le citoyen risque d'aboutir à créer des représentants nouveaux dépourvus de réelle légitimité.

Vous nous interrogez sur les conséquences du développement de ces procédures sur la place et le rôle des élus. On imagine spontanément que les élus seront en recul, et que leur place sera moins importante. C'est une erreur, selon moi. Tout d'abord, les mécanismes de démocratie participative ne doivent pas avoir pour dessein de changer la nature du régime, qui est un régime représentatif. Ensuite, si l'on reprend l'idée de discussions entre les citoyens et le pouvoir politique, les élus ont toute leur place dans ces mécanismes, pour les accompagner, pour participer eux-mêmes, pour apporter des éclairages spécifiques, voire pour prendre des initiatives.

Vous nous interrogez, enfin, sur la procédure du référendum d'initiative partagée, qui a été créée en 2008 au sein de l'article 11 de la Constitution. Non, cette procédure ne permet pas aux citoyens d'être à l'initiative de la loi. C'est à tort qu'on l'a appelée « référendum d'initiative populaire », puisque l'initiative est avant tout parlementaire - avec le soutien de citoyens dans un deuxième temps. La nouvelle version qui est proposée par le projet de réforme constitutionnelle n° 2203 ne change pas cette logique : même si les seuils ont été abaissés à un dixième des parlementaires et un million d'électeurs, l'initiative reste aux parlementaires. En passant, je déplore que cette procédure ait été inscrite à l'article 11 de la Constitution, dans le titre relatif au Président de la République, alors que ce n'est pas ce dernier qui en est à l'initiative...

Vous demandez aussi si la démocratie participative peut exister indépendamment des outils de la démocratie numérique. Oui, elle le peut, elle l'a déjà fait. Mais il me semble que l'existence d'outils numériques, s'ils sont bien encadrés et ne sont pas que des outils de communication, peut constituer une aide à l'établissement de ces mécanismes.

M. Jean-Pierre Gaudin, professeur émérite de sciences politiques. - Merci pour cette invitation à réfléchir collectivement sur la participation. J'aurais tendance à considérer la participation comme un espace intermédiaire de pratique entre le rôle des parlements, ou des assemblées élues au suffrage universel, qui renvoie plutôt à la démocratie représentative, et des formes de délibération citoyenne sans délégation, qui renvoient plutôt à des formes de démocratie directe. Dans cet espace intermédiaire existent aussi des modalités mixtes ou hybrides.

Depuis le XXe siècle, on a observé des modes d'associations des citoyens selon des formules multiples, de la concertation expérimentée dans les années 1960 sur les décisions locales, principalement d'urbanisme, jusqu'aux formes organisées de participation politique, avec un sens de plus en plus englobant du terme, sous l'influence anglo-saxonne. Mais participation à quoi ? Jusqu'à quel stade ? Et surtout, liant, ou non, la représentation élue ?

La crise actuelle de la représentation a été maintes fois soulignée. Pour autant, tout n'est pas écrit, et je souhaite vous soumettre quelques éléments de comparaison internationale sur les articulations entre la délibération des citoyens et la délibération des élus, en me focalisant notamment sur des démarches que l'on pourrait qualifier d'« hybrides », de « semi-représentatives » ou de « semi-directes ». Je me concentrerai sur la situation en Suisse et peut-être au Brésil, systèmes que j'ai choisis de préférence à celui de la Californie, dont le modèle est relativement proche du modèle helvétique.

La Suisse est plus près de nous que le Brésil, mais son histoire, tant politique qu'institutionnelle, est assez éloignée de la nôtre. On peut difficilement dire que la Suisse soit une démocratie directe, en tout cas pure. Les Landsgemeinden ont disparu, et la consultation systématique préalable aux dépenses budgétaires est marginale. Nous sommes plutôt en présence d'une formule mixte, sous fort encadrement du pouvoir législatif.

Je laisse de côté le référendum suisse, déjà plusieurs fois commenté, et me concentrerai sur un autre mécanisme, le droit d'initiative populaire, qui combine délibération des représentants et des citoyens et qui existe également au plan local et au plan national. Ce mécanisme est au coeur de l'actualité récente : à la fin de 2021, une initiative ratifiée par vote national a été adoptée, pour des « soins infirmiers forts », c'est-à-dire revalorisés.

Un comité d'initiative doit d'abord être constitué et comporter au moins sept citoyens. En fait, un tel comité est souvent appuyé sur des groupes d'intérêt. En l'espèce, pour les soins infirmiers, la proposition d'initiative a été construite autour d'un syndicat, l'Association suisse des infirmiers. Cette initiative est assez remarquable, parce qu'elle a été approuvée, exceptionnellement, par 61 % des suffrages, avec 65 % de participation. Or si la Suisse vote souvent, elle vote souvent très peu, c'est-à-dire que le taux de participation atteint difficilement, en moyenne, les 50 % - souvent, dans les scrutins locaux, il culmine à 25 %. Cela n'empêche pas la démocratie suisse d'être citée en exemple...

Le succès de cette votation est lié à une crise de recrutement révélée par le covid, comme en France : 30 % des infirmiers en Suisse sont étrangers, et 65 000 postes manqueront en 2030. Il y a donc eu une mobilisation collective. J'insiste sur la crédibilité de cette démarche, liée au fait qu'une mise en oeuvre des décisions soutenues par l'initiative et adoptées par le Parlement est déjà prévue : on sait où l'on va, ce qui est décisif.

Deux volets ont déjà été prévus : un volet rapide, portant sur le plan de formation des infirmières, se fondant sur un projet de loi déjà préparé par le Gouvernement - je rappelle que ce dernier est élu au suffrage universel direct - et un second projet de loi, ultérieur, devant être adopté dans un délai maximum de dix-huit mois, sur les salaires et le financement des soins. En Suisse, ces questions font l'objet d'une compétence partagée entre les cantons, c'est-à-dire les États fédérés, et la Confédération.

Le droit d'initiative en Suisse se révèle comme une démarche à dynamique citoyenne, contrairement au référendum d'initiative populaire français. Il s'agit d'abord d'une initiative des citoyens, ratifiée ensuite par le Parlement, et non l'inverse : c'est une dynamique de type bottom-up.

Le droit d'initiative peut ainsi créer une articulation étroite entre la délibération citoyenne et la délibération parlementaire, mais avec un encadrement parlementaire significatif, puisqu'en dernière instance c'est le Parlement qui, par un vote positif, accepte le vote populaire de l'initiative. Ce n'est pas décourageant : plus de 200 initiatives nationales et encore plus d'initiatives locales ont été recensées en Suisse ; tout cela est institutionnalisé.

On rétorquera que cela n'est possible qu'à petite échelle. Au Brésil, pourtant, la participation aux budgets participatifs a été pratiquée, y compris à des échelons mégarégionaux - on est là plus proche d'un pays européen que du canton suisse !

L'Union européenne a lancé une expérimentation d'initiative citoyenne à grande échelle sur le thème du droit à l'eau. Elle a recueilli plus de deux millions de signatures, puis un vote favorable du Parlement, puis un rapport attentif sur le suivi des instruments législatifs mis en oeuvre, ce qui a abouti à la révision ou à l'adoption de nouvelles directives par la Commission européenne : une directive sur les concessions et une directive sur l'eau potable.

Des formules hybrides de ce type seraient-elles à généraliser en France, notamment pour les compétences locales ? Cela témoignerait d'un esprit de décentralisation plus poussé, qui irait vers le développement de formes mixtes, semi-représentatives ou semi-directes.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Faudrait-il fixer un seuil minimal de représentativité au regard du faible taux de participation ?

Les dernières élections locales, municipales, départementales et régionales, ont connu des taux d'abstention très importants, notamment chez les jeunes. Comment en est-on arrivé là, alors que les élections locales et présidentielle sont réputées être les préférées des Français ? L'augmentation de l'abstention vient-elle de la défiance croissante vis-à-vis des élus ? Quels outils pour restaurer la confiance ?

Mme Mathilde Heitzmann-Patin. - Le seuil minimal existe déjà : il faut réunir un certain pourcentage d'inscrits pour pouvoir prétendre à l'élection.

Fixer un seuil de participation en plus du seuil minimal d'inscrits ferait prendre le risque que ceux qui se sont déplacés pour voter voient leur vote annihilé par ceux qui ne l'ont pas fait. On ne peut pas sanctionner ceux qui sont allés voter. Par ailleurs, cela frise la question du vote obligatoire, qui n'est pas du tout dans la culture française. Il ne faut pas négliger le droit à l'abstention.

La solution réside dans la mise en place de mécanismes pour motiver notamment les jeunes.

Enseignant à l'université, je note le manque de culture des étudiants de première année de droit sur le fonctionnement des institutions : ils ne maîtrisent pas du tout les enjeux de la Ve République. Leur apporter une culture sur le fonctionnement des institutions et le rôle des élus serait une façon de les motiver à aller voter. C'est une piste de réflexion intéressante.

M. Jean-Pierre Gaudin. - On assiste à des tendances très lourdes. À l'évidence, l'engagement citoyen est moins fort.

Il y a d'abord un affaiblissement des partis, pas seulement en termes électoraux : ils sont devenus des transformateurs de revendications sectorielles en programmes globaux, ce qui est très néfaste.

Il y a ensuite une puissance accrue des réseaux sociaux, qui accompagne une montée de l'individualisme et du consumérisme politique : instabilité dans les préférences et instabilité sur la décision même d'aller voter.

Je ne suis pas favorable aux formules couperets, pour les raisons invoquées par ma collègue. Je ne suis pas non plus favorable au vote obligatoire. Cela dépend de la culture de discipline du pays : comme on le voit, c'est assez efficace dans les pays du Nord, moins au Brésil.

Je crois davantage à la pédagogie du vote, par des exercices participatifs plus développés. En Suisse, dans les comités d'initiative, il y a beaucoup de jeunes !

M. Stéphane Piednoir, président. - Je donne tout de suite la parole à M. Loïc Blondiaux, qui nous a rejoints.

M. Loïc Blondiaux, professeur de sciences politiques à l'université Paris I. - Je propose de la démocratie participative une définition très robuste et expansive : ce sont tous les mécanismes et démarches qui visent à associer les citoyens ordinaires au processus de décision, de manière directe ou indirecte.

Ce n'est pas la démocratie sociale, laquelle s'adresse à des corps constitués, ou la démocratie directe. Elle est une forme de développement et de complément de la démocratie représentative, une nouvelle pratique politique et une forme d'innovation démocratique. L'enjeu, qui est presque existentiel et que n'ont pas perçu les acteurs de la démocratie représentative, c'est de sauver la démocratie représentative, qui menace de s'effondrer, tant elle est de moins en moins capable d'assurer la légitimité de ses décisions.

Aujourd'hui, il s'agit de choisir entre recourir à des formes politiques de plus en plus autoritaires ou répressives pour s'assurer du consentement des citoyens ou, tout à l'inverse, s'efforcer de mettre en place des formules plus inclusives, plus délibératives, pour obtenir le consentement des citoyens et assurer la légitimité de la décision.

On est à ce tournant de nos démocraties représentatives : tel qu'elles fonctionnent aujourd'hui, elles assurent assez mal les fonctions de gouvernement.

Je ne ferai pas l'inventaire de tous les dispositifs prévus par le droit français. L'histoire de la démocratie participative s'étale sur une cinquantaine d'années.

Dans les années 1960 et 1970, même si on ne parle pas de démocratie participative, des revendications de participation émergent : je pense aux groupes d'action municipale, à l'autogestion - la démocratie en entreprise est alors une question centrale. Dans la seconde moitié des années 1990, cette thématique fait son retour. La consécration suprême a lieu en 2005 : est introduit dans la Constitution, avec la Charte de l'environnement, le principe du droit des citoyens à participer à l'élaboration des décisions ayant un impact sur l'environnement.

Depuis les derniers quinquennats, on constate une stagnation, voire une régression. On assiste ainsi à une régression du droit de participation, notamment en matière environnementale : la loi d'accélération et de simplification de l'action publique, dite « loi ASAP », a réduit le champ de compétences de la Commission nationale du débat public en élevant le seuil déclenchant sa saisine obligatoire, ainsi que le champ de l'enquête publique. Il ne faut pas ignorer ce phénomène, qui s'est produit au nom de la simplification et de l'accélération. Le rapport de Patrick Bernasconi, ancien président du Conseil économique social et environnemental (CESE), le souligne.

Il y a eu en revanche au cours de ce quinquennat beaucoup de communication et deux innovations : d'une part, le grand débat national, qui a donné lieu à une très forte mobilisation, de l'ordre de deux millions de personnes, mais qui s'est traduit par une indifférence du Gouvernement et une non-prise en compte de ses résultats, ce qui a engendré beaucoup de frustrations ; d'autre part, la convention citoyenne pour le climat - j'ai été membre de son comité de gouvernance -, qui a permis d'acculturer la société française à ce type de démarche, mais qui, faute d'ancrage institutionnel, n'a pas eu de suite politique convaincante.

L'enjeu aujourd'hui, c'est bien l'ancrage institutionnel de la démocratie délibérative à l'échelle nationale. Il faut inscrire ces mécanismes dans le droit constitutionnel, sans que cela exige de changements constitutionnels majeurs : la loi organique du 15 janvier 2021 relative au Conseil économique, social et environnemental aurait pu être le bon vecteur, mais elle n'est pas suffisamment ambitieuse pour assurer une véritable articulation entre la démocratie parlementaire et la démocratie délibérative.

Pourtant, ouvrir la possibilité que, en amont de la procédure législative, soient organisées des conventions citoyennes ou des débats publics serait au bénéfice de la démocratie parlementaire et ne pourrait que renforcer la légitimité des assemblées.

Évidemment, ces dispositifs ne doivent pas se substituer à la représentation nationale. Le dernier mot doit toujours revenir au Parlement, ou au peuple en cas de référendum. Articuler la démocratie délibérative et participative à l'échelle nationale et le référendum est une option.

Il faut absolument revoir le dispositif du référendum d'initiative partagée, inscrit à l'article 11 de la Constitution, d'une part parce que les seuils fixés sont quasi inatteignables, d'autre part parce qu'il ne s'agit pas d'une initiative partagée, elle est parlementaire et non citoyenne. Pour introduire un véritable référendum d'initiative citoyenne, il faut des modalités et des seuils différents. J'y suis pour ma part absolument favorable - j'ai d'ailleurs produit avec quelques collègues une note à ce sujet, incluant un moment de délibération citoyenne, tout en prévoyant des garde-fous importants.

Il y a une dizaine d'années, le Conseil d'État a émis un rapport intitulé Consulter autrement, participer effectivement, qui appelait à la mise en place d'une procédure délibérative dans l'action publique, en amont du pouvoir réglementaire.

Il y a quelques semaines, j'ai participé à une initiative de la Cour des comptes qui a mis en place une plateforme permettant aux citoyens d'orienter dans une certaine mesure le choix des évaluations qu'elle pourrait mener.

La culture de la participation commence à gagner jusqu'au coeur de l'État. Cependant, les moyens financiers et humains dont dispose l'administration pour mettre en place des dispositifs ne sont absolument pas à la hauteur. La direction interministérielle de la transformation publique (DITP) a ainsi mis en place une cellule de la participation citoyenne, mais n'y consacre que deux emplois, ce qui est ridicule.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Vous venez d'évoquer deux innovations de ce quinquennat, le grand débat national et la convention citoyenne sur le climat ; pourtant, on n'a jamais vu un gouvernement autant gouverner par ordonnances et mettre de côté le Parlement et le débat parlementaire ! Pour autant, certains ministères ont eu la volonté de mettre en place des États généraux - alimentation et justice. Est-ce une expression de démocratie participative ?

M. Loïc Blondiaux. - Tout à fait. Cela me paraît prometteur, même si, pour les États généraux de la justice, il me semble que des frottements en matière d'organisation peuvent laisser insatisfait. Le Conseil national de l'alimentation est en train d'expérimenter le recours systématique à la participation en amont de ses travaux.

La formule des États généraux, à condition qu'elle soit clairement positionnée dans le processus d'élaboration des normes et des lois, me paraît essentielle.

En matière d'ingénierie de la démocratie participative, nous savons maintenant comment faire, quel que soit le public ou la question posée. Ce qui manque, ce sont les accroches avec les autres institutions. Le rapport de Patrick Bernasconi envisage la création d'une délégation parlementaire à la participation citoyenne.

On pourrait prévoir, en amont de la procédure législative de certaines lois - des lois de programmation ou d'importance majeure -, un moment délibératif ou participatif, qui prendrait la forme d'États généraux, de conventions citoyennes ou de débats publics. Cela n'allongerait pas les délais. L'argument du temps est à mon sens utilisé de manière abusive, notamment par l'exécutif, pour bousculer l'institution parlementaire. Au contraire, cela renforcerait le poids politique du débat parlementaire.

La loi ne peut plus être fabriquée à huis clos par l'exécutif et, dans une certaine mesure, par les parlementaires et les groupes d'intérêts : elle doit pouvoir se construire en prévoyant un moment où les citoyens peuvent s'exprimer et contribuer. Ce n'est pas utopique. De plus en plus d'assemblées dans le monde s'intéressent à ces questions ; c'est le cas du Parlement francophone de Bruxelles, qui a mis en place des commissions délibératives mixtes.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - J'ai souhaité appeler cette mission d'information Comment redynamiser la culture citoyenne ? Ne pensez-vous pas que cela passe, pour les plus jeunes, par une initiation à la culture citoyenne dès le plus jeune âge, notamment au travers des cours d'enseignement moral et civique, et, pour acculturer la population à la démocratie participative, qui est un complément de la démocratie représentative, par une expérimentation à l'échelon local, notamment par le biais de référendums locaux ?

M. Loïc Blondiaux. - Oui, c'est la vieille idée de Tocqueville. D'ailleurs, des initiatives sont déjà prises à l'échelon local, mais elles n'ont pas l'ampleur suffisante pour produire cet effet d'éducation que vous souhaitez.

Cependant, on ne peut pas nier l'état de déliquescence dans lequel se trouvent les structures d'éducation populaire, alors qu'elles jouaient autrefois un rôle majeur. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les pédagogies qui dominent à l'école ne sont absolument pas favorables à l'apprentissage des valeurs de la démocratie : elles prônent plutôt la concurrence, et l'on y apprend davantage à obéir qu'à imaginer et à coopérer. Il y aurait beaucoup à dire sur l'éducation scolaire à la démocratie.

M. Stéphane Piednoir, président. - Étant enseignant et connaissant le milieu scolaire, je nuancerai quelque peu vos propos...

La démocratie participative, c'est associer les citoyens ordinaires aux décisions, même si celles-ci reviennent in fine à la représentation nationale. C'est le principe même de la démocratie représentative, d'autant que l'on sait depuis Victor Hugo que « souvent la foule trahit le peuple ». Quelle légitimité donner à une décision prise par des citoyens tirés au sort ?

Finalement, nous parlons de lobbying citoyen, et ce qui manque dans l'exercice de la démocratie participative, c'est l'exercice du référendum.

La légitimité revient à la démocratie représentative, puisque tout le monde a la capacité d'aller voter, quand bien même certains font le choix de ne pas exercer ce droit. De ce point de vue, le tirage au sort pose problème. C'est une négation du Parlement que de laisser croire que toutes les dispositions retenues dans le cadre d'une convention citoyenne seraient reprises sans filtre : cela préjuge du vote de la représentation nationale.

Mme Mathilde Heitzmann-Patin. - Je serai plus optimiste : je ne crois pas que la démocratie représentative menace de s'effondrer, même si elle est en crise.

La démocratie participative peut-elle s'exercer plus facilement à l'échelon local ? Avec la décentralisation, il me paraît compliqué que l'État puisse imposer un tel mécanisme. Finalement, on en revient toujours à la question de la volonté politique.

Le référendum ne me paraît pas la solution. Il est tellement tombé en désuétude que le réactiver aujourd'hui serait prendre le risque d'une dérive plébiscitaire inversée : le non exprimerait une forme de défiance à l'égard du politique et ne serait pas la réponse à la question posée.

En revanche, je suis favorable à une institutionnalisation de la délibération en amont du débat parlementaire. Ce peut être un outil très intéressant, qui permet de ne pas passer outre le Parlement.

Certes, une révision constitutionnelle est envisageable, sous réserve de trouver une majorité pour la voter, mais je rappelle que la Constitution prévoit déjà que la loi est votée par l'Assemblée nationale et le Sénat... On pourrait modifier l'article 48 pour contraindre par exemple le Parlement à inscrire à l'ordre du jour de ses travaux l'examen d'une proposition issue d'une assemblée citoyenne au sein du CESE, mais on ne pourrait en aucun cas aller plus loin.

M. Jean-Pierre Gaudin. - Les échelons locaux sont une bonne manière d'avancer dans la dynamique représentative. Historiquement, c'est le cas : les concertations des années 1960 et 1970 ont d'abord été locales, avec des enjeux d'urbanisme et d'équipement.

De manière générale, cela permet de motiver les citoyens sur des problèmes sectoriels, mais concrets. Au fond, c'est l'usager qui parle autant que le citoyen, et il faut peut-être réfléchir à la légitimité de l'usager. Reste à définir ce qu'est l'intérêt local. Les Suisses ont pour leur part listé les types d'équipements concernés.

Le Brésil est le contrepoint de la Suisse : il n'y a pas d'obligation à faire des budgets participatifs et il y a eu des centaines d'expérimentations - contrairement à ce que l'on croit, le modèle de Porto Alegre n'existe pas.

J'en reviens aux caractéristiques de la démarche, en France et en Europe.

Premièrement, il n'y a pas de panel plus ou moins représentatif des citoyens : c'est une formule de participation « portes ouvertes », où vient qui veut. Certes, les associations et les porteurs de cause jouent un rôle important, mais cela provoque toujours des mobilisations populaires larges, notamment des jeunes.

Deuxièmement, on prend le temps d'organiser de nombreuses étapes de négociation, pour surmonter les défiances à l'encontre des élites et le mépris des « sachants » à l'égard des habitants. Il faut donc prévoir des allers et retours nombreux, qui aboutissent à des apprentissages collectifs.

Troisièmement, il faut un temps long - six mois, voire un an - pour préparer le budget d'équipement de l'année d'après. On travaille toujours pour l'année n+1.

Ces trois caractéristiques figuraient dans les démarches des commissions particulières du débat public.

M. Stéphane Piednoir, président. - Madame, Messieurs, je vous remercie de ces échanges.

Échanges avec des membres de conseils de jeunes (collectivités ultramarines)

M. Stéphane Piednoir, président. - Nous rencontrons ce soir de jeunes compatriotes ultramarins qui se sont rendus disponibles pour échanger avec nous, en visioconférence, sur leur expérience des conseils de jeunes.

Je remercie Marie-Pierre Pernette, déléguée générale de l'Association nationale des conseils d'enfants et de jeunes (Anacej) de nous avoir aidés à organiser cette rencontre. Nous avons entendu Mme Pernette le 26 janvier et la semaine dernière nous avons, grâce à l'Anacej, eu un échange particulièrement riche avec des jeunes qui, comme vous, participent à des conseils de jeunes en métropole. Je suis certain que la rencontre de ce soir va être tout aussi stimulante.

Je suis très heureux qu'un échange ait pu se tenir aujourd'hui avec de jeunes Ultramarins engagés dans leurs territoires.

Il était vraiment important pour nous d'ouvrir notre réflexion aux thématiques ultramarines, auxquelles le Sénat est particulièrement attaché. Je me réjouis donc que cette séquence de nos travaux soit ouverte à nos collègues de la délégation sénatoriale aux outre-mer, que je salue, et qui nous accompagnent ce soir en visioconférence, depuis leurs territoires. Je précise que nous bénéficions, grâce à la délégation aux outre-mer, d'un dossier documentaire et d'une revue de presse très éclairants sur les conseils de jeunes dans les collectivités ultramarines.

Pour l'information de nos invités, je précise que notre mission s'est mise en place à l'initiative du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, auquel appartient notre collègue Henri Cabanel, qui en est donc, conformément aux usages, le rapporteur.

J'indique également que notre mission est composée de sénateurs issus de tous les groupes politiques, et que notre rapport, assorti de recommandations, devrait être rendu public au début du mois de juin 2022.

Je rappelle aussi que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport.

La création de cette mission d'information a été inspirée par la vive préoccupation suscitée par les taux d'abstention atteints lors des élections de 2021, plus particulièrement de la part des jeunes, et de manière générale par la crise de confiance qui éloigne des institutions nombre de nos concitoyens.

Notre réflexion s'intéresse donc particulièrement à l'éducation des futurs citoyens, notamment dans le cadre scolaire, et plus généralement à toutes les initiatives qui peuvent susciter l'intérêt des jeunes à la vie démocratique.

Les conseils de jeunes ont vite attiré notre attention, car ils peuvent constituer une bonne initiation à l'exercice concret de la citoyenneté. Ils peuvent aussi permettre à des jeunes de s'initier au fonctionnement des institutions et leur donner envie de s'engager - en politique ou dans des associations.

Je souhaite donc la bienvenue au Sénat à nos jeunes compatriotes ultramarins connectés à distance : Mme Zion Dupin de Majoubert, maire Junior de Fort-de-France du 16 mai 2018 au 2 février 2022, ancienne membre du Conseil municipal des jeunes Foyalais (Martinique) ; M. Ayad Ben Mbaraka, ancien membre du Conseil municipal des jeunes de Mamoudzou (Mayotte) ; Mme Solène Luron, ancienne membre du Conseil communal des jeunes du Lamentin (Martinique) ; M. Anthony Tortillard, membre du Conseil des Jeunes Dionysiens (Saint-Denis de La Réunion) ; et Mme Aurélie Médéa, élue déléguée à la jeunesse à Saint-Denis de La Réunion, vice-présidente de l'Association nationale des conseils d'enfants et de jeunes (Anacej).

Enfin, aux côtés de Marie-Pierre Pernette, déléguée générale de l'Association nationale des conseils d'enfants et de jeunes (Anacej), je salue Marion Moutafis, responsable de projet à l'Anacej.

Je donne la parole sans plus tarder à notre collègue Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, puis Henri Cabanel, rapporteur, vous posera des questions afin d'introduire vos témoignages.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je vous remercie pour cette invitation et vous félicite d'avoir inscrit ce thème à votre ordre du jour.

La participation des jeunes Ultramarins à la vie publique est un sujet de premier ordre. Les difficultés qu'ont les jeunes en métropole à participer à la vie publique sont souvent amplifiées sur nos territoires qui connaissent des différences historiques, institutionnelles et démographiques considérables. Nous devons, comme responsables politiques, relever ce défi consistant à mieux prendre en compte les jeunes, car nos territoires ne pourront se développer sans inclure toutes leurs composantes, aussi bien dans les départements et régions d'outre-mer que dans les collectivités qui jouissent d'un statut de plus large autonomie.

Les conseils de jeunes sont un outil très utile aux jeunes pour se familiariser à la vie publique, mais aussi pour collecter et débattre des idées neuves et de la vision qu'ont les jeunes de la société. Nous sommes donc très intéressés par le retour d'expérience des intervenants que vous avez réunis, qui viennent de différents territoires et contribuent à bâtir la France de demain. J'ai moi-même présidé le conseil des jeunes de Saint-Pierre-et-Miquelon et je sais combien cette expérience a été déterminante pour la suite de ma formation. Je remercie l'Anacej, avec qui j'ai déjà eu l'occasion de travailler. Nous sommes intéressés par le retour d'expérience des différents territoires. Le dossier réalisé de notre délégation est à l'entière disposition de votre mission.

Je suis convaincu que les instances du Sénat ont tout intérêt à travailler en synergie et à coopérer, c'est quelque chose de très positif. Vous pourrez compter sur l'entier soutien de la délégation aux outre-mer que je préside pour relayer vos travaux.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Je m'associe aux remerciements de notre président et je tiens à vous dire tout le plaisir que j'ai à vous rencontrer. Je me félicite également que les outils de visioconférence, auxquels nous nous sommes habitués pendant la crise sanitaire, nous permettent de rencontrer ce soir nos jeunes compatriotes ultramarins malgré les kilomètres qui nous séparent !

Notre travail étant centré sur la formation des futurs citoyens, il est très important d'entendre des témoignages tels que les vôtres.

De plus, nous avons souhaité que les problématiques des outre-mer soient valorisées dans notre rapport : merci de nous y aider.

Voici donc mes questions : quel regard portez-vous sur votre expérience d'un conseil de jeunes ? Conseilleriez-vous à d'autres jeunes de participer à de telles structures ? Quelles seraient vos suggestions pour améliorer ce dispositif ? Votre participation à un conseil de jeunes vous a-t-elle donné envie de vous engager ? Si oui, dans quel cadre : associatif ? Politique ? Pour quelle cause ? Quelles sont les thématiques qui vous tiennent le plus à coeur et que vous auriez envie de porter dans le cadre de vos engagements respectifs ? Pensez-vous que ces thématiques sont suffisamment présentes dans le débat public ? Enfin, que pensez-vous de l'enseignement moral et civique dispensé dans le cadre scolaire ?

Mme Zion Dupin de Majoubert, ancienne membre du Conseil municipal des jeunes Foyalais (Martinique). - Merci pour cette initiative qui est très importante pour les jeunes Ultramarins, car nous demandons à être écoutés et considérés.

J'ai été membre du Conseil municipal des jeunes Foyalais à la Martinique et maire junior entre 2018 et début 2022 ; j'avais donc 14 ans en commençant et j'étais élève de 4e. Cette expérience a été très positive, valorisante, elle m'a fait travailler avec de nombreuses associations, sur des sujets très divers. Nous avons monté des projets avec des associations qui aident les personnes atteintes d'un handicap mental par exemple. Avec des sans-abri, nous avons pu rendre service, être utiles, et c'est la raison pour laquelle j'avais eu envie de m'engager.

En tant que maire junior, j'ai appris à mettre en place des projets, par exemple un spectacle, ce qui demande en fait beaucoup de travail et exige de coopérer avec beaucoup de gens, ce dont je ne me rendais pas compte auparavant ; j'ai eu des expériences concrètes qui m'ont aussi appris des choses sur les institutions de la République et sur leur fonctionnement.

Ce qui m'a semblé insuffisant, en revanche, c'est l'implication des élus : leur présence, leur accompagnement n'ont pas été à la hauteur de ce qu'ils semblent être en métropole d'après les témoignages que j'ai entendus - ce n'est pas suffisant de lancer un conseil de jeunes, de faire une photo le jour de l'installation avant de repartir ! J'ai trouvé que l'accompagnement dans l'action n'était pas assez poussé.

Il faut donc davantage impliquer les élus auprès des conseils de jeunes et les inciter à faire confiance aux jeunes.

Mon engagement, enfin, ne se limite pas au conseil des jeunes. Je suis engagée aussi dans le monde associatif. Je suis très sensible aux questions liées à la cohésion sociale, j'agis là où je peux pour rendre service à collectivité, sur les plans local et régional. Je crois d'ailleurs que l'engagement prend des formes très diverses, qu'il faudrait mieux reconnaître. Diverses formes d'action sont complémentaires à l'école, dans le quartier, des formes d'entraide en particulier, qui sont très concrètes. Il n'y a pas que la représentation dans le cadre d'un conseil, ni le fait de monter des projets et de rédiger des rapports, il faudrait mieux reconnaître aussi les formes diverses d'engagement civique pour les valoriser, parce qu'elles sont complémentaires. 

Mme Solène Luron. - Merci pour cette initiative.

J'ai été membre du Conseil communal des jeunes du Lamentin, à la Martinique, de 2018 à 2021, j'avais donc 15 ans au début et j'étais alors élève de 3e. J'ai été présidente de la commission « Culture et éducation » et j'ai, à ce titre, présidé des débats sur des sujets très divers et eu à décider de l'action que nous allions mener. Dans le conseil, nous avons travaillé sur des thématiques très diverses, sur les loisirs, la prévention, l'action sociale. Dans la commission « Culture et éducation », nous avons par exemple élaboré un jeu pour valoriser le patrimoine culturel, inspiré du Pokemon Go : nous avons mis en place des parcours où chacun pouvait s'informer sur le patrimoine, des événements, des personnalités et recevoir l'information directement sur son smartphone en se déplaçant sur divers lieux du territoire.

Nous avons aussi réfléchi à un lieu où les jeunes pourraient se rencontrer. Nous avons pensé à un espace sportif, un skate park, qui serait fréquenté par les familles.

Dans le cadre de la commission « Prévention », nous avons préparé un événement, pendant un week end, pour permettre aux adolescents et aux parents de se renseigner sur la sexualité, sur ses risques, sur les grossesses précoces, mais aussi sur les problèmes de scolarité, les difficultés liées à la dyslexie, en fait sur tous les problèmes qui peuvent se poser aux jeunes. D'une manière générale, le conseil des jeunes prend en compte le point de vue des jeunes, nous voulons nous tourner vers les jeunes et améliorer les politiques publiques du point de vue des jeunes.

J'ai un regard très positif sur mon expérience. J'ai beaucoup appris sur moi-même et sur les autres, j'ai appris à développer des projets, à travailler en équipe, à constituer un réseau pour agir ; j'ai développé un esprit critique, j'ai aussi rencontré des élus et parlé avec eux, je me suis exprimée librement sur les politiques en direction de la jeunesse et j'ai eu l'impression d'être écoutée. J'ai mûri et grandi grâce à ce conseil. Je n'ai pas de recommandations particulières pour améliorer le dispositif mais j'aurais aimé que les élus soient plus présents dans nos travaux, plus visibles dans nos réunions ; nous aurions voulu plus d'échanges.

Ma participation au conseil des jeunes a renforcé mon envie de m'engager - je l'étais déjà dès l'école primaire - (j'ai notamment été déléguée de classe, d'établissement), et j'ai continué à l'être jusqu'à aujourd'hui. Je crois que l'enseignement moral et civique devrait permettre une connaissance plus soutenue des jeunes des institutions et les informer plus précisément sur les dispositifs et services qui sont mis à leur disposition, en particulier sur les conseils de jeunes et leurs travaux : on y apprend beaucoup et c'est utile pour la suite. Je pense que l'aspect « citoyen » de l'enseignement moral et civique devrait être davantage développé.

M. Ayad Ben Mbaraka. - Mon expérience au sein du Conseil municipal des jeunes, commencée à l'âge de 12 ans, a été très enrichissante et diverse. Au cours de ce mandat, rallongé d'un an du fait de la crise sanitaire, j'ai appris des choses sur ma commune, sur les institutions, sur mon environnement, mais aussi sur moi-même. J'ai participé à un voyage à La Réunion pour échanger avec les membres du conseil des jeunes Dionysiens. Pour améliorer le fonctionnement du dispositif, je crois qu'il faudrait rapprocher davantage les membres du conseil car certains se connaissaient avant d'y entrer et ne se mêlent pas suffisamment aux autres. Il faudrait peut-être plus d'intégration du groupe. Il faudrait aussi que le conseil puisse choisir lui-même ses sujets, alors que ceux sur lesquels nous avons travaillé nous ont été imposés par la municipalité. 

J'ai continué mon engagement au-delà de cette expérience. Tout d'abord, comme ancien membre du conseil municipal des jeunes (mon mandat a pris fin en mars), j'accompagne les actuels conseillers. Je suis également délégué de ma classe. Les sujets qui me tiennent à coeur sont nombreux, plus particulièrement la lutte contre les inégalités entre hommes et femmes, la lutte pour plus de justice à l'égard des personnes en situation de handicap et de manière générale, l'aide aux plus démunis et le combat contre les injustices. Je crois que le débat est intéressant et toujours enrichissant, d'où l'utilité des instances comme le conseil municipal des jeunes.

M. Anthony Tortillard. - J'ai 23 ans et je suis membre fondateur du Conseil des jeunes de Saint-Denis de La Réunion, que nous avons créé en 2012. J'avais donc 13 ans lorsque j'ai participé à cette expérience. Nous avons tout mis sur pied et choisi les modalités concrètes de fonctionnement de ce conseil, avec en particulier un mandat de deux ans, renouvelable une fois, et nous avons rédigé une charte. Nous avons mis en place des événements pour la jeunesse, des ateliers. Nous avons participé à des projets du territoire, par exemple l'aménagement des entrées de ville. Nous avons aussi participé au Plan vélo et, l'an passé, au développement de la nouvelle politique publique Ambition jeunesse, mise en place depuis septembre 2021 par la ville de Saint-Denis de La Réunion pour organiser et structurer une politique de jeunesse ambitieuse, qui vise l'émancipation et l'épanouissement des 65 225 jeunes âgés moins de 30 ans résidant sur le territoire communal.

Il faut agir avec les jeunes, les placer au coeur de l'action. Ils demandent à prendre la parole, ils veulent construire avec les politiques. Et ce que cette expérience des conseils de jeunes nous montre, c'est la capacité d'innovation qu'ont les jeunes, qui sont l'avenir de notre pays. Comment améliorer les choses ? Je crois que c'est en donnant plus de pouvoir à ces instances : elles sont cantonnées au territoire, or les jeunes veulent avoir une influence sur les lois et règlements qui les touchent directement ; ils souhaitent que leur action ait une portée nationale.

Cette participation au conseil des jeunes m'a donné envie de m'engager en politique. J'y ai vu à quel point il faut donner leur place aux jeunes pour que, demain, les choses changent, qu'elles avancent avec la nouvelle génération. Ces instances de démocratie participative sont très importantes dans le passage à l'âge adulte. Elles donnent une expérience pratique, concrète, de ce que tout est politique.

Le sujet qui me tient le plus à coeur, c'est la question de la vie étudiante. Nous souhaitons développer une mission de conseil sur les problématiques très concrètes de la vie étudiante, donner le point de vue des étudiants sur nos territoires. La crise sanitaire nous a fait prendre conscience de la précarité des étudiants, et je suis convaincu qu'il a manqué une instance de participation des étudiants. Celle-ci aurait aidé l'État à accompagner les étudiants dans la crise sanitaire.

Mme Marie-Pierre Pernette, déléguée générale de l'Association nationale des conseils d'enfants et de jeunes (Aancej). - Depuis quelques années, nous veillons à bien impliquer les collectivités ultramarines dans notre réseau et à leur donner leur place, pour qu'elles soient entendues et que leurs actions soient valorisées. Trop souvent, ces territoires ne sont pas pris en compte, en raison de leurs spécificités, alors que nous avons tout intérêt à échanger avec eux et que c'est une richesse pour le réseau métropolitain, car les points de vue sont complémentaires.

Mme Aurélie Médéa, délégué à la jeunesse à Saint-Denis de La Réunion, vice-présidente de l'Association nationale des conseils d'enfants et de jeunes (Anacej). - Effectivement, nous travaillons depuis deux ans, au sein de l'Anacej, à la reconnaissance et à la valorisation des outre-mer dans l'élaboration des politiques publiques nationales. Nous portons dans ce sens le projet de créer un Parlement des jeunes dédié aux outre-mer, pour que les initiatives de nos territoires soient mieux prises en compte à l'échelle nationale, car les jeunes aspirent effectivement à devenir partie prenante des règles qui les touchent directement.

Je le signale parce que c'est tout à fait d'actualité : il est regrettable que, dans les sondages d'opinion, les intentions de vote des jeunes Ultramarins ne soient pas prises en compte, pour des raisons qui sont liées au caractère spécifique des territoires ultramarins et à leur histoire - c'est regrettable, parce que, finalement, cela donne le sentiment aux jeunes Ultramarins qu'ils ne comptent pas.

Je me réjouis donc de cette initiative et je compte aussi beaucoup sur le travail que nous avons entrepris avec le ministère des outre-mer pour faire mieux prendre en compte les positions des jeunes Ultramarins.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Vous nous avez tous indiqués que votre engagement dans le conseil des jeunes avait été très précoce. Quelles étaient vos motivations pour vous engager si jeunes ? L'éducation que vous avez reçue de vos parents vous y a-t-elle poussés, incités ? Chacun de vous dit aussi avoir trouvé une expérience très intéressante dans ces conseils : est-ce que, pour autant, vous avez convaincu ou même seulement cherché à convaincre d'autres jeunes d'y participer ? Si c'est le cas, est-ce que vos interlocuteurs ont été difficiles à convaincre ?

Mme Zion Dupin de Majoubert. - Je crois que les raisons de mon engagement tiennent d'abord à ma personnalité. J'ai toujours voulu plus d'équité, de justice, et aussi me rendre utile. Mes parents ne m'ont pas particulièrement incitée, mais mon père est engagé dans l'éducation populaire ; je l'ai vu travailler avec des jeunes en difficulté et il y a certainement eu de la transmission de ce côté-là. En fait, beaucoup de jeunes sont engagés, mais ils ne s'en rendent pas compte, dans le tutorat par exemple, l'entraide scolaire. C'est parfois assez informel, mais cela existe bien.

M. Anthony Tortillard. - Je me suis engagé d'abord parce que j'en avais envie. Je viens d'un quartier populaire, d'une famille modeste où l'on ne fait pas de politique, où l'on n'a pas de grands diplômes, mais j'ai pris conscience à l'âge de 11 ans de l'importance de la politique, de ses buts - c'est à ce moment-là que j'ai décidé d'acquérir de l'expérience sans attendre.

Je crois que j'ai voulu montrer que l'on peut s'engager en politique parce que l'on a conscience d'être l'avenir, en tant que jeune, et que cela valait la peine de s'engager plutôt que de subir l'image négative qu'ont bien des jeunes dans le quartier d'où je viens, où l'on nous associe bien trop souvent à l'alcool, à la drogue, à la violence et à la délinquance.

Mon engagement a été continu et je milite maintenant sur le plan politique, ce qui m'a conduit à convaincre bien des jeunes autour de moi s'engager, en particulier lors des campagnes électorales. Je pense que dans le fond, je veux faire vivre la démocratie avec les jeunes.

Mme Solène Luron. - Je crois que je me suis engagée d'abord par curiosité, parce que je voulais connaître le travail d'équipe, mais également parce que cela correspond à ma personnalité. J'aime bien parler de ce qui nous entoure, de ce qui est politique aussi bien que de la culture, du cinéma, et je voulais aider les jeunes de ma commune à se sentir représentés, à être entendus sur les sujets qui les concernent. J'ai pu convaincre autour de moi - par exemple une amie qui, me voyant faire, s'est renseignée dans sa mairie sur le conseil de jeunes et s'est engagée dans une association universitaire.

M. Ayad Ben Mbaraka. - J'ai connu l'existence du conseil des jeunes par ma soeur, mais c'est l'expérience même qui m'a montré ce que c'était concrètement. L'engagement a des formes bien diverses, au-delà de la participation à un conseil des jeunes. Il me semble important de reconnaître les diverses formes d'engagement. 

Mme Victoire Jasmin. - Je tiens à vous féliciter pour cette initiative et remercier les jeunes qui ont pris la parole. Il faut écouter les jeunes, ils ont des choses à nous apporter, nous l'entendons aujourd'hui encore. Il nous appartient de valoriser cette parole et leurs actions. Vous nous dites que les élus ne viennent pas suffisamment dans les conseils de jeunes, nous devons relayer le message. En tant qu'élue locale, j'ai eu l'occasion de le dire dans les établissements scolaires et interpeller les élus pour leur participation aux instances scolaires, car ce travail de terrain est déterminant.

M. Stéphane Piednoir, président. - Nos échanges d'aujourd'hui recoupent ceux que nous avons eus il y a une semaine avec des membres de conseils de jeunes de métropole, en particulier sur la diversité des facteurs d'engagement et sur l'aspect très concret de la participation aux conseils de jeunes : c'est une expérience où chacun voit que la politique consiste en une somme d'actions très concrètes et utiles.

Je vous remercie tous pour vos témoignages.

Mercredi 30 mars 2022

- Présidence de M. Stéphane Piednoir, président -

Audition de M. Martin Hirsch, ancien président de l'Agence du service civique, président de l'Institut de l'engagement

M. Stéphane Piednoir, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui nos auditions en recevant M. Martin Hirsch, directeur de l'AP-HP, ancien président de l'Agence du service civique et actuellement président de l'Institut de l'engagement.

Je précise à votre attention, Monsieur le Président, que notre mission s'est mise en place dans le cadre du « droit de tirage des groupes », sur l'initiative du groupe RDSE, et que notre collègue Henri Cabanel, membre de ce groupe, en est le rapporteur.

J'indique également que notre mission est composée de 21 sénateurs issus de tous les groupes politiques et que notre rapport, assorti de recommandations, devrait être rendu public au début du mois de juin prochain.

Je rappelle enfin que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport et que sa captation vidéo permet de la suivre en ce moment même sur le site Internet du Sénat et sur Twitter ; cet enregistrement sera disponible par la suite en vidéo à la demande.

Monsieur le Président, c'est au titre de votre engagement pionnier en faveur du service civique que nous avons souhaité vous entendre. Vous avez en effet plaidé pour la création de cette nouvelle forme d'engagement, mise en place en 2010. Vous avez ainsi été le premier président de l'Agence du service civique.

Tout ce qui peut encourager l'engagement des jeunes se trouve en effet au coeur de la question de l'éducation à la citoyenneté. Nous entendrons donc votre témoignage avec beaucoup d'intérêt.

J'ajoute que cette réunion complétera les auditions sur le service civique auxquelles nous avons déjà procédé : nous avons en effet entendu la présidente de l'Agence du service civique, ainsi que la présidente de l'association Unis Cité, qui était accompagnée au Sénat, au début du mois de février dernier, d'une dizaine de jeunes volontaires avec lesquels nous avons eu un échange riche et stimulant.

Parallèlement à ces auditions, nous avons demandé à des élus locaux faisant appel à des volontaires du service civique de partager avec nous leur expérience et leur ressenti à l'égard du service civique sur la plateforme du Sénat dédiée à ces consultations. La synthèse de leurs témoignages nourrira notre rapport.

Sur les questions en lien plus généralement avec l'engagement des jeunes, nous avons également entendu Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l'engagement, ainsi que la directrice de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative au ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Notre rapporteur s'est par ailleurs rendu en février dernier dans un centre de SNU de Dunkerque, où il a pu échanger avec des encadrants et de jeunes volontaires effectuant leur séjour de cohésion.

Avant de vous donner la parole, Henri Cabanel, rapporteur, va vous poser quelques questions pour situer les attentes de cette mission d'information. Puis nous aurons un temps d'échanges avec nos collègues présents dans cette salle ou connectés à distance.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Monsieur le Président, merci de vous être libéré pour nous, malgré les contraintes d'un agenda plus que chargé.

Ma première série de questions concerne l'Institut de l'engagement, qui constitue en quelque sorte le prolongement d'un service civique ou d'un engagement associatif.

Quelles ont été les circonstances de la création de l'Institut de l'engagement ? Quel est à ce jour le bilan de son action ? Quel est le profil des jeunes que vous accompagnez ? Quelles sont leurs attentes à votre égard ? Quelle est la proportion de jeunes issus des territoires ruraux parmi ceux que vous accompagnez ?

Quelles sont les conditions d'admission à l'Institut de l'engagement ? Comment se déroule concrètement le parcours d'un jeune dans ce même institut ?

Quel est le sens de la charte de l'engagement que signent les lauréats de l'institut ? Comment les jeunes sont-ils informés de l'existence de cet institut ? Quel est le profil des bénévoles qui accompagnent les jeunes ? Travaillez-vous avec l'Agence du service civique et avec des structures comme Unis Cité ?

D'autres questions ont trait au service civique et au SNU. Estimez-vous souhaitable de faire évoluer le service civique ? Si oui, quelles mesures préconiseriez-vous ? Que pensez-vous du Service national universel et de son articulation avec le service civique ? Pensez-vous qu'il serait utile de créer une structure administrative dont la compétence concernerait à la fois le service civique et le SNU ?

Enfin, vous avez publié dans un grand quotidien, en janvier dernier, une tribune intitulée Pour une démocratie plus différenciée, plus personnalisée, plus participative. Ma dernière question concerne donc les pistes envisageables pour stimuler la participation des jeunes à la vie démocratique. Le désintérêt des jeunes pour la vie politique est en effet pour nous une véritable préoccupation. Avez-vous des évolutions à proposer pour encourager la participation des jeunes à la vie politique et, plus particulièrement, aux élections ? On sait en effet que les jeunes s'abstiennent beaucoup lors des élections.

Enfin, quel lien faites-vous entre égalité des chances et citoyenneté ?

M. Martin Hirsch, ancien président de l'Agence du service civique, président de l'Institut de l'engagement. - Merci de m'offrir cette occasion d'échanger avec vous sur ce thème qui m'est cher.

L'Institut de l'engagement fait suite au service civique, lui-même issu d'une proposition de loi sénatoriale votée il y a une douzaine d'années à une très large majorité dans les deux assemblées.

Le service civique a été créé sur une base volontaire, après un large débat sur le sujet. Quand je suis venu devant le Parlement en tant que haut-commissaire à la jeunesse, j'avais pris l'engagement que 10 % d'une classe d'âge, soit 75 000 jeunes, puissent faire leur service civique chaque année. Aujourd'hui, nous en sommes à un peu plus de 100 000 jeunes par an.

À l'époque, il existait un double scepticisme : on se demandait, d'une part, si l'on trouverait suffisamment de jeunes volontaires - c'est bien le cas, puisqu'un jeune sur six aujourd'hui est volontaire pour faire son service civique -, et, d'autre part, si l'on obtiendrait le financement nécessaire. Notre point de départ était le service civique qui existait alors, avec 2 000 ou 3 000 volontaires et un budget de quelques millions d'euros. Aujourd'hui, celui-ci est de quelques centaines de millions d'euros. Cela a pris quelques années, mais nous y sommes arrivés, grâce à l'élan donné par la proposition de loi que j'évoquais.

J'ai quitté le gouvernement quelques jours après la promulgation de la loi. L'Agence du service civique a été créée pour faire grandir le service civique et les volontaires ont tout de suite afflué. La première année, nous avions de quoi financer 20 000 places, et 200 000 jeunes étaient volontaires ! Déjà se posait la question de savoir si le service civique devait être rendu obligatoire, ce à quoi je répondais que nous devions d'abord nous obliger à trouver une mission pour tous ceux qui étaient volontaires. C'est un débat que l'on retrouve aujourd'hui sur d'autres thèmes.

En allant rencontrer ceux qui faisaient leur service civique, je me suis rendu compte que, contrairement aux craintes qui avaient été exprimées, ce dernier attirait des jeunes de toutes les catégories, de façon à peu près homothétique à la population totale - certains jeunes avaient fait des études brillantes, d'autres avaient raté leurs études, certains avaient été « biberonnés » à l'engagement depuis trois générations, d'autres étaient arrivés là sur l'initiative de la mission locale, etc. Béatrice Angrand, qui m'a succédé à l'agence a dû vous expliquer comment, dans la contractualisation que nous mettons en oeuvre avec les organismes accueillant des jeunes en service civique, qu'il s'agisse des collectivités locales ou des associations, nous leur demandons de s'engager à faire en sorte que la diversité du public accueilli soit conforme à celle de la jeunesse.

Le second constat que j'ai dressé, c'est que ces jeunes, de façon frappante, révélaient un potentiel inédit : malgré des échecs antérieurs de toutes natures, ils accomplissaient leur mission avec succès et retrouvaient confiance, motivation et capacité à porter des projets. Je pourrais vous citer de nombreux exemples illustrant ce constat. Je me suis dit alors que, dans le système français tel que nous le connaissons, ils risquaient d'être ramenés à la case départ à l'issue de la mission dans laquelle ils s'étaient épanouis, à cause de leur passé scolaire peu glorieux et parce que rien n'était prévu pour valoriser et reconnaître autre chose que les formes académiques classiques.

D'où l'idée de créer un « après service civique ». Dans la loi de 2010, nous avions prévu un article obligeant les établissements d'enseignement supérieur à reconnaître l'engagement. Mais nous savons qu'il peut exister un hiatus important entre ce que l'on écrit dans une loi et son application par les établissements, particulièrement sur ce sujet-là...

Nous nous sommes alors dit qu'il fallait considérer le service civique un peu comme une classe préparatoire et, à son issue, faire passer aux jeunes un concours, afin de leur offrir des formations, y compris sélectives, des emplois ou la capacité de créer leur entreprise. C'était pour nous le complément naturel du service civique.

Le gouvernement sous l'autorité duquel je présidais l'Agence du service civique m'a laissé faire, à condition que je ne demande pas d'argent. Nous avons donc créé une association loi de 1901, qui s'est d'abord appelée l'Institut du service civique, et est aujourd'hui dénommée l'Institut de l'engagement. Bénéficiant de la liberté propre aux associations, nous avons créé notre concours très librement, à quelques-uns, en essayant de sortir des voies classiques.

Ainsi, nous avons prévu un concours reposant non pas sur des critères académiques, mais sur le projet, la motivation et la personnalité. De façon assez traditionnelle, il comprend deux phases : une phase écrite, qui se passe en ligne, et une phase orale devant un jury. Au cours de la phase écrite, au lieu d'interroger les candidats sur la liste des présidents du Conseil sous la IVe République, ce qui est assez discriminant, on demande aux jeunes quelle est la personnalité qu'ils trouvent la plus admirable, par exemple au XXIe siècle. Bien sûr, on leur pose aussi des questions sur ce que le service civique leur a apporté et sur ce qu'ils comptent en faire.

Nous avons environ 3 000 candidats par an. Après avoir éliminé ceux qui ne répondent pas aux questions, nous leur faisons passer un oral devant un jury composé systématiquement d'un professeur, d'un membre de l'une de nos entreprises partenaires, d'un représentant du secteur public et d'une personne issue du secteur associatif. C'est parfois la première fois que ces jeunes sont conduits à parler de leur projet d'avenir devant un jury. Ils ont pu rencontrer par le passé des conseillers d'orientation, par exemple, mais on ne leur a jamais demandé ce qu'ils voulaient faire et comment l'on pouvait les aider.

Nous sélectionnons ainsi chaque année 700 jeunes, qui deviennent lauréats de l'Institut de l'engagement. Pour eux, nous avons négocié un à un des accords avec 180 établissements d'enseignement supérieur, qui considèrent notre concours « fait main », en dehors de tout texte législatif ou réglementaire, comme l'équivalent de leur admissibilité. Parmi ces établissements, il y a HEC, Audencia, l'EM Lyon, tous les Sciences Po sauf un, de nombreuses écoles de management et quelques écoles d'ingénieurs.

S'agissant des écoles du travail social, nous avons obtenu que cette équivalence soit reconnue par un arrêté ministériel. C'était un sujet qui me préoccupait, car nombre de jeunes voulaient être travailleurs sociaux. Or pour entrer dans ces établissements, ils devaient subir des QCM avec des questions de culture générale auxquelles ils ne savaient pas répondre, alors même qu'ils étaient extrêmement motivés et qu'ils avaient passé neuf mois ou un an au contact des publics les plus vulnérables. Nous avons réussi à convaincre ces écoles, et nos jeunes peuvent désormais entrer dans divers instituts du travail social.

Environ les deux tiers des lauréats souhaitent commencer ou reprendre une formation et sont donc intéressés par les passerelles vers l'enseignement supérieur. Les autres veulent, à parts égales, soit travailler, soit créer leur association ou leur entreprise.

Qu'apportons-nous à ces jeunes ? Nous leur proposons de façon classique un parrain ou une marraine. Nous les aidons à entrer dans les écoles ou universités partenaires en venant présenter leur dossier ; ensuite, ces établissements réalisent la sélection finale. Nous les mettons en contact avec des entreprises. Nous leur apportons des financements. Enfin, nous organisons pour eux trois fois par an les « universités de l'engagement », où ils travaillent de huit heures du matin à vingt-deux heures et bénéficient de conférences, d'ateliers, d'un peu de sport, de projections de films, etc. Ils se retrouvent en formation.

Nos conférenciers sont très variés : cela va du prix Nobel au responsable associatif, en passant par des personnalités comme les époux Klarsfeld, des responsables d'entreprises, des professeurs d'université ou même des responsables politiques, dès lors que l'on respecte un certain équilibre. Et tous ressortent en disant qu'il s'agit d'un public étonnant, qui s'intéresse et pose des questions.

Nous proposons également aux jeunes un accompagnement par une équipe d'une vingtaine de professionnels, auxquels s'ajoutent des bénévoles. L'Institut de l'engagement est une association loi de 1901, financée à 80 % par le mécénat. Pour le reste, comme nous avons des antennes régionales, nous bénéficions de quelques financements de la part de collectivités territoriales et de l'Union européenne via le Fonds social européen (FSE). Nous avons également reçu des fonds de l'État pendant trois ans via le programme La France s'engage, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Le budget de l'Institut est d'environ 300 millions d'euros par an. Il couvre le coût de l'équipe, de l'organisation des universités, des quelques bourses que nous délivrons, etc.

Les taux de succès des jeunes sont remarquables : quand ils entrent dans les écoles, 92 % d'entre eux terminent leur scolarité. C'est le cas y compris à HEC, alors même qu'ils n'ont pas suivi de classes préparatoires, ni fait de mathématiques ou de culture générale. Une enquête de 2021 portant sur les anciens lauréats de 2012-2018, donc deux à huit ans après la fin de l'accompagnement - nous avons aujourd'hui 5 000 anciens lauréats, auxquels s'ajoutent 500 lauréats en scolarité - montre que moins de 2 % d'entre eux sont en recherche d'emploi depuis plus de six mois, que plus de 50 % d'entre eux sont diplômés à bac + 5 et qu'ils s'engagent en moyenne deux fois plus que les jeunes en général.

Comment expliquer cela ? En fait, le système traditionnel de sélection en France est fondé sur l'usage de seulement 20 % du cerveau. Cette partie est très importante, puisqu'elle sert aux mathématiques, à la physique, à la culture générale, etc. Mais, dans notre mode de sélection, on oublie de s'intéresser à la partie du cerveau qui sert aux interactions sociales, à l'engagement, à la capacité à prendre des initiatives. Ces éléments sont assez peu mesurés par le système scolaire, puis par l'enseignement supérieur. Il faut donc élargir la sélection au reste des circuits neuronaux. Pour cela, nous sommes presque seuls sur ce marché - nous n'avons donc pas beaucoup de mérite ! Par ailleurs, les neurones des jeunes, parfois éteints auparavant, sont en quelque sorte rallumés par l'engagement.

En creux, il y a là un vrai sujet, celui de l'égalité des chances. Comme vous le savez, en France, quand vos parents sont diplômés de l'enseignement supérieur, vous avez trois chances sur quatre de l'être également ; quand ils ne le sont pas, vous avez une chance sur cinq, alors même que les concours sont républicains et l'enseignement gratuit. Cette statistique ne change pas depuis dix ans : les études de l'OCDE sont d'une constance accablante à cet égard.

Nous avons élargi l'Institut de l'engagement à des jeunes ayant eu un engagement associatif soutenu. Quand nous avons créé le service civique, nous nous sommes demandé si celui-ci devait être une activité principale durant une durée déterminée, ou s'il pouvait être réalisé par intermittence. Autrement dit, doit-il s'appliquer à quelqu'un qui renonce à tout pendant six mois pour s'engager auprès d'une association, ou à quelqu'un qui, pendant dix ans, consacre tous ses dimanches à s'occuper des personnes en situation de handicap ? Pour ma part, j'avais proposé les deux. Le législateur a choisi uniquement une durée continue, mais je continue de penser qu'il n'y a pas tellement de différence et qu'un jeune qui s'est occupé pendant dix ans d'une personne handicapée tous les week-ends a une expérience de même nature. Pour notre part, puisque nous sommes libres, nous avons ouvert l'Institut de l'engagement aux jeunes ayant ce type de profil. Il peut s'agir de scouts ou de militants associatifs, même s'ils sont minoritaires : la majorité de jeunes qui postulent à l'Institut ont fait leur service civique.

Nous mesurons le profil des jeunes par le niveau d'études. Beaucoup se sont arrêtés juste au baccalauréat ou sont en cours de réorientation vers bac+ 3, mais il y a aussi parmi eux des non-bacheliers ou des bacs+ 5 qui veulent se réorienter ou trouver du travail. Ils présentent une diversité d'origines - on le voit bien quand on regarde les photos des promotions présentes sur le site Internet - que l'on ne rencontre pas dans les établissements d'enseignement supérieur. Je ne dispose pas de statistiques précises sur les représentations relatives aux zones rurales, urbaines ou sensibles. Ce qui est évident, c'est que beaucoup de ces jeunes viennent chez nous parce qu'ils n'ont pas réussi dans les voies classiques.

Pour éviter le biais de sélection, nous avons une astuce : nos jurys sont formés de bénévoles venus de l'université ou des associations. Ils voient dix candidats dans la journée et ils ont envie de rentrer chez eux le soir en se disant qu'ils ont réussi à sauver quelqu'un qui ne l'aurait pas été sans eux. Ils se tournent donc vers les profils les moins classiques, non vers ceux qui chercheraient à contourner les concours ordinaires. Je manque ici de matière statistique, mais cela se voit vraiment dans l'histoire de ces jeunes.

Une fois qu'ils sont reçus, nous leur faisons signer une charte qui énonce nos engagements réciproques. Nous leur demandons d'être assidus, d'être polis avec les partenaires, de s'intéresser à ce que l'on fait et de donner des nouvelles. De notre côté, nous nous engageons à leur apporter tout ce que je vous ai indiqué tout à l'heure.

L'Institut de l'engagement a connu un grave échec : cet établissement est peu connu. Or il existe depuis dix ans et répond, me semble-t-il, à plusieurs problématiques des politiques publiques, qu'il s'agisse de l'accès à l'enseignement supérieur ou de l'engagement. Mon rêve, c'était la nationalisation de l'institut, ou du moins sa contractualisation avec les pouvoirs publics, et je suis prêt pour cela à laisser la place à d'autres.

L'institut repose sur un mode de sélection qui est différent, mais rigoureux ; ce n'est pas le piston, la connaissance, le « coup de foudre » ou la « bonne bouille » qui prévaut. Les jeunes doivent présenter deux attestations dans leur dossier : l'une émanant de leur maître de stage du service civique ou de leur correspondant dans l'association dans laquelle ils exercent leur bénévolat ; l'autre provenant de la personne de leur choix. Nous évitons les « coups de foudre » pour des personnalités qui seraient seulement brillantes à l'oral, car nous prenons des gens dont l'engagement a été sérieux. Notre mode de sélection est très performant et repêche des jeunes que le système ne sait pas prendre en charge.

Il y a deux ans, probablement au titre de cette expérience, la ministre de l'enseignement supérieur m'a demandé de présider une commission sur l'égalité des chances dans l'enseignement supérieur, dans laquelle siégeaient la Conférence des universités, la Conférence des grandes écoles et des représentants des classes préparatoires. Or nous avons considéré que, pour accroître l'égalité des chances, il existait deux solutions complémentaires : soit adapter les voies de sélection, telles qu'elles existent, par exemple en accordant des points bonifiés aux boursiers lors des concours ; soit diversifier les voies de recrutement.

Ce sont deux systèmes différents. Le premier vient compenser une difficulté particulière, car un étudiant ne prépare pas le concours de la même façon si ses parents peuvent payer une chambre à côté du lycée où il est en classe préparatoire, ou s'il a de longs trajets tous les jours. Le second fait appel aux autres parties du cerveau que les 20 % que j'évoquais à l'instant. Pour notre part, nous sommes spécialisés sur la seconde solution, mais avec des procédures sérieuses et scientifiques.

Tout le monde reconnaît que l'élargissement et la diversification des voies d'accès sont utiles, mais je crois qu'il existe une difficulté au niveau des pouvoirs publics.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Vous parlez des administrations ou des élus ?

M. Martin Hirsch. - Les uns et les autres ! Mais c'est un échec pour l'institut, pas pour les uns et pour les autres.

Au moment où ces thèmes deviennent encore plus d'actualité, nous formulons des offres de service : ce système existe, vous pouvez vous en emparer, l'élargir, changer ses dirigeants, en faire ce que vous voulez. Ces principes ont été rodés pendant dix ans, et je pense vraiment qu'ils répondent à un besoin majeur. Ils permettent de mettre un peu plus de chair et de sens dans les voies d'accès aux formations.

Le bilan est moins brillant pour ce qui concerne l'entrée dans les entreprises. Certes, les jeunes que nous aidons et accompagnons trouvent de l'emploi. Mais j'avais pensé à un moment que les grandes entreprises seraient friandes de ce genre de profil. Or pour l'instant, leur système de recrutement est tellement formaté qu'elles ont du mal à accueillir ce type de profil et à s'insérer dans notre dispositif. Quand elles voient les jeunes, en général, leur première question est : « Quelle est votre expérience dans l'entreprise ? ». Comme ils sont parfaitement honnêtes, nos jeunes qui se sont engagés répondent : « Aucune », au lieu de s'en inventer une. Cela ne les empêche pas de trouver du travail, je le répète, mais l'institut est plus performant comme voie d'accès aux formations.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Comment expliquez-vous que, avec ces résultats et cette ancienneté, les pouvoirs publics s'interrogent encore ?

M. Martin Hirsch. - J'avoue avoir eu quelques scrupules à aller leur demander de l'argent. Tout d'abord, je ne souhaitais pas que ce financement puisse être imputé sur les moyens destinés au service civique. Ensuite, je ne voulais pas être en concurrence avec les associations qui s'occupent des jeunes. Enfin, nous avions l'orgueil de penser que nous pouvions nous en tirer avec du mécénat, même si c'est toujours inconfortable d'être obligé de chercher de l'argent tout le temps.

Lors de la création du service civique, beaucoup pensaient qu'il fallait le rendre obligatoire parce qu'ils estimaient que les jeunes ne voulaient pas s'engager, alors que notre expérience était tout à fait l'inverse. Pour ma part, je me suis intéressé au service civique quand je présidais Emmaüs. À la fin des conférences que je donnais pour cette organisation, des jeunes venaient me demander comment ils pouvaient s'engager, et j'étais obligé de les décourager : l'engagement n'étant ni reconnu ni financé, il pouvait leur faire prendre du retard dans leurs études. Je leur disais donc de revenir me voir quand ils seraient à la retraite ! Ce n'était pas satisfaisant, d'où ma passion pour le service civique.

De la même manière, prendre conscience que certains jeunes ont les capacités de faire mais que, pour eux, les portes ne sont pas adaptées ou pas localisées là où il faut, c'est difficile lorsque l'on est complètement dans le système.

Enfin, sans doute pourrions-nous nous y prendre mieux. D'où le plaisir que j'ai à parler aujourd'hui de l'Institut de l'engagement devant le Sénat !

Nous recevons un financement public parce que nous nous sommes récemment inscrits dans le programme 1 jeune, 1 solution, pour mentorer des jeunes. À ce titre, nous allons suivre 1 500 jeunes qui sont un peu engagés, mais qui ne sont pas lauréats de l'Institut de l'engagement. Nous sommes en train de recruter les mentors nécessaires. À l'échelle nationale, c'est la première reconnaissance publique de ce que nous avons fait.

Toutefois, le potentiel de ceux qui pourraient accéder à ces voies et mener un parcours du type de celui que propose l'Institut de l'engagement serait plus proche de 10 000 jeunes que de 700, me semble-t-il, à condition de faire connaître le dispositif aux jeunes eux-mêmes et de régler un problème spécifique : le financement de leur scolarité dans certaines écoles. En effet, certains établissements actionnent leur fondation pour leur offrir les frais de scolarité. C'est le cas notamment des écoles de management. Néanmoins, il y a un contingentement : nous ne pouvons pas en inscrire plus de cinq ou dix par école.

Pour ma part, je suis favorable aux bourses ou aux prêts à remboursement contingent. Mais les jeunes ne prennent pas de crédit à la banque, même s'ils entrent à HEC, parce que, à 22 ans, on n'est pas prêt à souscrire un prêt de 50 000 euros ! Il faudrait mettre en place des prêts à remboursement contingent garantis, comme cela se fait d'ailleurs dans d'autres pays.

Nous travaillons avec l'Agence du service civique - Béatrice Angrand, la présidente de cet organisme, siège au conseil d'administration de l'Institut de l'engagement - avec laquelle nous avons passé une convention, portant notamment sur la formation des jeunes qui font leur service civique. Et nous travaillons avec Unis Cité, en particulier sur le programme 1 jeune, 1 solution. Un certain nombre de nos lauréats sont d'ailleurs des anciens d'Unis Cité.

En ce qui concerne la participation des jeunes, deux ou trois ans après la création du service civique, nous avons réalisé une enquête en posant les mêmes questions à des jeunes ayant fait leur service civique et à d'autres ne l'ayant pas fait. Nous les avons interrogés de façon classique sur leur situation professionnelle - il en ressort que les premiers réussissent mieux que les autres - et nous avons glissé ces deux questions : « Considérez-vous les autres comme une menace ou comme une opportunité ? » et « Êtes-vous d'accord avec la phrase : "on ne se sent plus chez soi ici" ? ».

La réponse est claire : la grande majorité des jeunes qui n'ont pas fait leur service civique répond positivement aux deux questions ; chez les jeunes qui n'ont pas fait leur service civique, les proportions sont inversées.

M. Stéphane Piednoir, président. - Il y a un biais de sélection.

M. Martin Hirsch. - C'est vrai. Pour autant, c'est intéressant.

M. Stéphane Piednoir, président. - Tout d'abord, s'agissant du concours de l'Institut de l'engagement, n'exigez-vous pas une durée minimale de service civique au préalable ?

Ensuite, dans les écoles de management, ces jeunes entrent en Bachelor. Comment se déroule leur intégration ? En effet, on sait qu'il y a beaucoup de passerelles dans ces établissements et que les élèves s'étiquettent facilement, ce qui peut être assez rude...

M. Martin Hirsch. - Pour le concours, nous appliquons la durée minimale prévue par la loi, soit six mois, ni plus ni moins. S'y ajoute le cas particulier et rare de certains qui ont abandonné et que l'on décide, ou non, de repêcher.

S'agissant de l'intégration, nous n'avons aucune remontée de difficultés particulières. En réalité, ces jeunes sont adaptables. Il arrive que les écoles les accompagnent avec du soutien, mais le retour que nous avons d'elles, c'est : « Apporte beaucoup à la promotion ». Ces jeunes ne sortent pas d'années de bachotage, mais ils se sont occupés du bus des sans-abri ou ont travaillé dans un service d'urgence. Compte tenu de leur propension à s'engager, on les retrouve dans les clubs d'animation des promotions, mais je n'ai aucune remontée d'échec et je n'ai pas entendu dire qu'on leur ait reproché leur voie d'accès.

M. Stéphane Piednoir, président. - Parmi les formations proposées par les écoles, est-ce qu'ils s'orientent majoritairement vers l'humanitaire ?

M. Martin Hirsch. - Tout d'abord, si certains entrent en Bachelor, ce n'est pas le cas de tous. Certains ont une licence ou un master dans d'autres domaines et entrent dans les masters des écoles.

Pour le reste, je n'ai pas de statistiques précises. À HEC, ils apprécient le certificat relatif au social business. Mais un certain nombre se dirige vers les voies classiques. Ce qui les différencie, c'est qu'ils ne lâchent pas pour autant leur engagement. Je pense à un jeune lauréat qui vient d'Aulnay-sous-Bois et, après être passé par l'ENM Lyon, il travaille dans une entreprise. Mais il s'occupe toujours de la dictée Voltaire et de trois associations dans sa ville d'origine. Certains vont donc avoir un métier engagé ; d'autres un métier classique avec un engagement à côté.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Quelle articulation y a-t-il entre le service civique et le service national universel, qui représente 50 000 postes en 2022 ?

M. Martin Hirsch. - Le service national universel porte souvent sur un public plus jeune. Il intervient pendant l'âge de la scolarité obligatoire et permet avant tout d'intégrer au cursus scolaire un moment de sensibilisation au civisme et à l'engagement. Il peut donner le goût de l'engagement, certes, mais une immersion de quinze jours est difficile à organiser pour une association. Ne réinventons pas les « trois jours », devenus la Journée défense et citoyenneté, en les transformant en « quinze jours », car le jeu n'en vaudrait pas la chandelle, c'est-à-dire un financement extrêmement élevé. Le couplage d'un SNU bien intégré dans la scolarité et d'un service civique bien ouvert me semble offrir un meilleur équilibre.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Et sans obligation pour ce qui concerne le service civique ?

M. Martin Hirsch. - Saturons d'abord le service civique avant de se poser cette question. Très souvent, quand je les interrogeais sur ce point, 80 % des jeunes du service civique volontaire exprimaient leur fierté d'avoir fait ce choix. Ne le transformons pas en « corvée de patates » ! Dès que quelque chose devient obligatoire, les gens cherchent à se faire exempter, même si ce n'est pas glorieux. Et comment définir les missions nécessaires pour accueillir 750°000 jeunes ?

Par ailleurs, je pense que la vie des jeunes n'est pas simple. Il y en a auxquels on ne rendrait pas service en interrompant leur scolarité. Je suis donc plutôt pour une obligation de conviction.

Pendant les premières années du service civique, 85 % des missions étaient offertes par les associations et seulement quelques pour cent par les collectivités territoriales. Il y a du chemin à parcourir en la matière.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Cela peut être amélioré.

M. Martin Hirsch. - Certes. Il existe des missions à développer dans l'accompagnement des personnes fragiles, vulnérables et isolées. Les hôpitaux sont inégaux devant le service civique, même si on a fait des progrès pendant la crise du Covid.

Le problème est que les professionnels des écoles ou des hôpitaux, quand ils voient arriver des bénévoles ou des volontaires, trouvent d'abord cela suspect. Ils se demandent si les pouvoirs publics ne veulent pas supprimer des postes de fonctionnaires, les remplacer, déprofessionnaliser le système, etc.

J'ai été confronté à ces réticences. Voilà des années que je défends la complémentarité : bénévoles et volontaires engagés apportent quelque chose que les professionnels n'apportent pas, et réciproquement. Quand on place des volontaires en service civique dans les services d'urgence, ce n'est pas pour faire des piqûres ou porter des brancards. Quand une personne âgée qui s'est tordu la cheville arrive aux urgences et doit prévenir ses enfants, mais n'y parvient pas parce que son portable n'a plus de batterie, les infirmières n'ont pas le temps de l'aider, alors que des bénévoles peuvent le faire. Il faut donc continuer à développer des programmes de service civique liés aux politiques publiques - école, hôpital, questions environnementales...

Ainsi, j'ai plaidé pour que le service civique soit inclus dans la garantie jeunes. Quand on oblige un jeune à accepter l'emploi ou la formation qu'on lui propose en échange d'une garantie de revenu - c'est le système danois, dont on s'est inspiré en 2010 - et que l'on y intègre le service civique, c'est très positif. Que ce soit obligatoire dans ce cas ne me pose pas de problème. Mais on ne peut le demander à 800 000 jeunes, et d'ailleurs les autres pays ont renoncé.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Comment faire pour sensibiliser les collectivités locales ou les hôpitaux ? En effet, force est de constater que très peu de collectivités s'engagent pour le service civique. Est-ce que cela vient des craintes que vous venez d'évoquer ou du manque d'information ?

M. Martin Hirsch. - Certaines collectivités sont très impliquées ; d'autres regardent cela de plus loin. Mais je pense que l'information existe.

Il y a un point bloquant : qui va tutorer le jeune pendant son service civique ? Je suis favorable à ce que l'on puisse indemniser les tuteurs dans le secteur public. À l'hôpital, si l'on demande à une infirmière de tutorer une jeune issue de l'école d'infirmière, elle répond à juste titre qu'elle n'en a pas le temps et que cela n'entre pas dans ses missions. J'ai donc mis en place une prime de 100 euros par mois, ouverte également à ceux qui tutorent des volontaires en service civique.

Je ne serais pas choqué que ce système soit appliqué aussi dans les collectivités. La reconnaissance du tutorat doit être également financière. En outre, cela permettrait d'être plus exigeant à propos du tutorat et cela montrait bien que l'on n'entend pas remplacer les professionnels. Enfin, cela ne renchérit que de 10 % le coût du service civique.

Mme Martine Filleul. - Merci de cet échange très riche. Pensez-vous que le programme 1 jeune, 1 solution va « turbuler » votre dispositif, en y introduisant des jeunes qui ont un parcours différent et sont peut-être plus en difficulté que ceux que vous accueillez actuellement ?

M. Martin Hirsch. - Oui. Nous nous sommes engagés sur le mentorat. Dans la commission que j'ai animée il y a deux ans, nous avons eu ce débat, qui a inspiré ce projet.

Depuis une quinzaine d'années, beaucoup d'organismes, pour la plupart associatifs, se sont engagés sur le mentorat et l'accompagnement des jeunes, en général en signant des conventions avec tel ou tel établissement scolaire. Mais si le mentorat est utile pour les jeunes, il faut l'enrichir d'une notion de service civique, avec un droit au mentorat et en créant un référentiel.

Pour notre part, nous répondons favorablement à la question et pensons que cela se prête bien à une délégation de service public : l'État définirait le cahier des charges et les obligations et confierait la mise en oeuvre à des opérateurs, principalement associatifs, mais aussi éventuellement publics, comme une université. C'est ce qui s'esquisse avec 1 jeune, 1 solution, et nous sommes donc assez logiquement entrés dans ce programme.

Nos jeunes n'ont pas moins de difficultés que les autres, du point de vue de leur parcours. Mais ils ont montré leur projet et leur motivation, et nous allons récupérer par le mentorat ceux qui ont échoué à ce stade.

Quand j'étais Haut-Commissaire à la jeunesse, j'avais lancé de véritables programmes d'évaluation, au sens scientifique du terme, avec des échantillons représentatifs de jeunes auxquels on appliquait ou non un même traitement. Je regrette qu'ils n'aient pas été développés.

Cette méthode a été utilisée pour déterminer si financer le permis de conduire aidait à travailler du travail, à l'aide de deux échantillons de 10 000 jeunes. Dans les deux panels, le taux d'emploi fut le même, car les jeunes auxquels on finançait le permis de conduire avaient besoin d'énergie pour le travailler. Notre conclusion fut qu'il valait mieux simplifier le permis de conduire que le subventionner. Pour tout ce qui concerne les jeunes, il faut tâtonner, et l'evidence based policy n'est pas mauvaise, pour savoir où affecter l'argent public et comment accompagner ce public.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Il faut donc accroître l'évaluation des politiques publiques ?

M. Martin Hirsch. - Tout à fait, y compris avec des comparaisons en temps réel, comme on le fait pour les médicaments.

M. Bernard Fialaire. - Je veux revenir sur ces 80 % du cerveau qui ne sont pas utilisés par le système de sélection. Vous, vous parvenez à le faire par un mode d'évaluation spécifique, mais cela requiert une formation importante de vos jurys. Pensez-vous que cela puisse être généralisé dans la société ? Ou risque-t-on de tomber dans la subjectivité et de rencontrer des problèmes éthiques ? En effet, le mode de sélection classique paraît tout de même plus neutre.

M. Martin Hirsch. - Il y a de la subjectivité dans les épreuves de mathématiques, d'anglais, de physique ou de philosophie ! Cela a été démontré par des études scientifiques. C'est vrai dans la notation, mais aussi pour l'adéquation des questions au programme - quand une question posée au concours de Polytechnique a été préparée à Louis-le-Grand, par exemple. La subjectivité est partout, et heureusement d'ailleurs, mais elle n'implique pas l'arbitraire. Autant il faut fuir l'arbitraire, autant il faut assumer une forme de subjectivité.

Par ailleurs, le fait d'avoir des jurys collégiaux ou des critères permet de cadrer cette subjectivité pour éviter un recrutement à la tête du client. Et de nombreux établissements prestigieux hors de France sélectionnent de cette façon.

Même si ces souvenirs sont lointains et les choses ont peut-être évolué, j'avais été frappé par les travaux menés il y a une dizaine d'années qui montraient que, en France, on peut avoir dès l'enfance un bulletin scolaire avec « nul » dans toutes les matières. Mes valeurs humanistes me font considérer qu'un gamin ne peut être « nul » en tout ! Il peut être « nul » dans telle ou telle matière, mais pas partout ! Nous avions donc demandé à des écoles de s'engager à attribuer au moins une bonne note, pas par complaisance, mais parce que c'est nier le principe de l'accompagnement de l'enfant que de finir un trimestre en ne lui accordant que des mauvaises notes.

Pour attribuer au moins une bonne note, il y a deux manières de faire. Soit on repère une matière dans laquelle il est faible et on l'accompagne plus que les autres. Soit on identifie une qualité extrascolaire et on lui affecte une appréciation positive, qui a un effet considérable sur l'intéressé. À certains jeunes du service civique, personne n'avait jamais dit « merci » ou « bravo » auparavant...

Il faudrait donc instiller un peu de service national universel tout au long de la scolarité obligatoire, en prenant en compte toutes sortes d'engagements, y compris d'ailleurs au sein de l'établissement scolaire. Cela apporte de la confiance. Certes, il y a effectivement une part de subjectivité dans toute évaluation, mais si l'on refuse toute subjectivité, on ne recrute plus que des robots !

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Remettez-vous en cause notre système d'éducation nationale, qui ne prend en compte que ces 20 % des cerveaux ?

M. Martin Hirsch. - Ces questions de sélection se posent très précocement. Tout le monde peut en être d'accord : il n'est pas possible qu'un gamin de dix ans n'ait pas des capacités ou des aptitudes que l'on puisse valoriser et reconnaître. Si l'on part de l'idée contraire, on arrive à une société absolument désespérante !

M. Stéphane Piednoir, président. - Nous allons étudier les taux de réussite de votre institut. J'ai été moi-même enseignant en classes préparatoires et la question de l'intégration des jeunes m'intéresse particulièrement. Je vous remercie.

M. Martin Hirsch. - Merci à vous de l'intérêt que vous portez à ces questions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Philippe Brousse, délégué général adjoint de l'Union nationale des missions locales et M. Guy Berthier, chargé de mission

M. Stéphane Piednoir, président. - Mes chers collègues, nous accueillons ce matin Philippe Brousse, délégué général adjoint de l'Union nationale des missions locales, qui est accompagné de Guy Berthier, chargé de mission à l'Union nationale des missions locales. Tous deux sont en visioconférence.

Je précise à l'attention de M. Brousse que notre mission s'est mise en place dans le cadre du « droit de tirage des groupes », sur l'initiative du groupe RDSE, et que notre collègue Henri Cabanel, membre de ce groupe, en est le rapporteur.

J'indique également que notre mission est composée de 21 sénateurs issus de tous les groupes politiques et que notre rapport, assorti de recommandations, devrait être rendu public au début du mois de juin 2022.

Je rappelle enfin que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport.

Le thème de l'éducation citoyenne des jeunes s'est très vite trouvé au coeur de notre réflexion, plus particulièrement celle des jeunes qui ont besoin d'un accompagnement spécifique, social autant que professionnel. À ce titre, nous nous sommes intéressés également aux établissements pour l'insertion dans l'emploi (Épide).

Il nous a donc paru important d'entendre également un représentant des missions locales.

Avant de vous donner la parole, Henri Cabanel, rapporteur, va vous poser quelques questions pour situer les attentes de cette mission d'information.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Je remercie également MM. Brousse et Berthier d'avoir accepté notre invitation ce matin.

Quel lien faites-vous entre égalité des chances et citoyenneté ?

On trouve sur le site de l'Union nationale des missions locales une fiche relative à un atelier citoyenneté qui s'est tenu le 8 mars 2022 au sein de la mission locale du Chinonais. Cet atelier a permis de faire le point, dans la perspective de l'élection présidentielle, sur les fondamentaux de l'éducation citoyenne - dates de l'accès au droit de vote pour les Françaises et les Français, déroulement de l'élection présidentielle, conditions pour voter, sens de la devise républicaine, connaissance de La Marseillaise... Pouvez-vous nous citer d'autres initiatives de ce type mises en place par des missions locales pour favoriser l'éducation citoyenne des jeunes que vous accompagnez ?

Quel regard portez-vous sur l'engagement des jeunes ? Estimez-vous que les jeunes sont moins engagés que la moyenne des Français ? Y a-t-il eu une évolution ces dernières années ?

Comment les missions locales accompagnent-elles l'engagement des jeunes ? Comment ce rôle s'articule-t-il avec celui d'acteur de l'insertion des jeunes ?

Avez-vous des propositions afin de lutter contre l'abstention en politique chez les jeunes ?

Quel est le rôle des missions locales dans le déploiement du service civique ?

Que pensez-vous du service national universel (phase de cohésion et mission d'intérêt général) ? Aidez-vous notamment les jeunes volontaires à trouver une mission d'intérêt général (MIG) ?

De manière générale, êtes-vous associés au déploiement du service national universel ? Je pense notamment à l'information des jeunes. Êtes-vous consultés sur les modules proposés lors de la phase 1 ?

M. Philippe Brousse, délégué général adjoint à l'Union nationale des missions locales. - Je vous remercie pour cette invitation. Je commencerai par rappeler que l'UNML a voté l'année dernière une motion sur la notion d'engagement et d'accès des jeunes à la citoyenneté active et a choisi d'en faire un élément prioritaire de son réseau. Au titre de notre mission de service public, nous avons le devoir d'y travailler.

Les missions locales ont une approche de l'accompagnement qui vise l'accès à l'autonomie. L'autonomie concrète, c'est-à-dire matérielle et professionnelle, peut-elle se faire sans y intégrer la notion de la citoyenneté ? Il faut que les jeunes soient les acteurs de leur parcours d'insertion, et ce n'est pas qu'un mot : c'est une réalité tangible, qui doit se mesurer au quotidien.

L'égalité des chances a avec l'engagement un point commun : c'est le pouvoir d'agir. La citoyenneté doit être vécue pour les jeunes comme un enjeu de l'insertion, et c'est ainsi qu'elle doit être présentée au sein du réseau.

Pour répondre à votre question, les jeunes ne sont ni plus ni moins sensibles à la question de l'engagement que le reste de la population. L'appétence à s'informer, à comprendre et à s'engager est là, mais elle est conditionnée : pour qu'elle se traduise en actes, il faut une information, une remise à niveau. On constate en effet que les jeunes sont très mal informés : la notion de citoyenneté est pour eux galvaudée et ne fait pas véritablement sens. Il faut donc créer de l'échange, de la discussion, de l'apport de savoirs et de connaissances sur ce qu'est notre République, ce que signifie la citoyenneté et en quoi elle engage.

Pour que les jeunes éprouvent la citoyenneté et comprennent qu'elle est un ensemble de droits et de devoirs, l'insertion dans la société - une place, un rôle, une utilité - est nécessaire.

Quand on met la notion de citoyenneté en débat, l'appétence se révèle et on note qu'il n'y a pas de rejet. Foncièrement, les jeunes ont un niveau d'intérêt vis-à-vis de l'engagement équivalent à celui du reste de la population.

L'égalité des chances est un élément sensible et constitutif pour eux, parce qu'ils ne la mesurent pas au quotidien. À leurs yeux, ce sont des mots qui les confortent dans l'idée que la citoyenneté n'est pas pour eux.

L'accompagnement à la citoyenneté, le fait d'éprouver l'égalité des chances, l'accès au pouvoir d'agir sont donc essentiels dans l'appropriation de la question de la citoyenneté, et cela pourra ensuite se traduire par un vote et par un engagement. C'est un continuum important pour ces jeunes adultes, qui suppose de l'altérité et une mise en perspective concrète et opérationnelle.

Le réseau a mis l'accent sur la formation de ses personnels. Nous expérimentons actuellement une démarche de professionnalisation des conseillers, afin d'intégrer la question de l'engagement et de la citoyenneté dans les modalités d'accompagnement. En effet, les professionnels s'interdisent a priori d'aborder le sujet de la citoyenneté, le considérant comme relevant de la sphère privée, au même titre que la religion. L'aborder reviendrait à leurs yeux à contraindre le jeune à se positionner sur l'échiquier politique. Il y a donc de leur part une sorte d'empêchement à en parler au nom de la neutralité du service public. En autorisant cette thématique à se décliner opérationnellement dans l'accompagnement, on sort de cet amalgame, et les jeunes acceptent volontiers d'échanger et de débattre.

Les missions locales agissent et mettent en place différents types de modalités d'engagement, de débats, d'informations sous des formes assez variées : le service civique ou le service national universel (SNU), mais aussi des espaces de parole par le biais de médias, radio ou web TV, autant d'outils qui permettent d'engager la discussion. Nous mettons aussi en place des actions plus ponctuelles centrées par exemple sur l'actualité ou les questions institutionnelles, que l'on aborde de façon plus participative et moins descendante que par le passé.

Voilà pour le spectre de nos actions et la façon dont nous abordons ces sujets.

Comment combattre le désintérêt face aux élections et l'abstention ? Pour nous, ce problème ne se réglera pas d'un coup : il faut que le service public s'en empare au-delà de l'actualité électorale, pour rendre concrète la question de la citoyenneté dans toutes ses dimensions. L'environnement des jeunes, notamment familial, ne leur permet pas aujourd'hui d'accéder à ces problématiques - la citoyenneté, le régime politique qui est le nôtre... La transmission d'une génération à une autre ne s'est pas faite.

De ce point de vue, il faut relancer quelque chose. Les missions locales, en tant que membres du service public, doivent y prendre leur part : elles abordent déjà tous les sujets relatifs à l'insertion - logement, santé... - et pas seulement l'emploi ; à ce titre, elles doivent tout autant parler de citoyenneté.

M. Guy Berthier, chargé de mission à l'Union nationale des missions locales. - Avant de vous donner des exemples concrets, je rappelle que le lien entre égalité des chances et citoyenneté, c'est l'accès aux droits.

Les jeunes accompagnés dans le cadre d'une mission locale ont des séances consacrées à l'accès à leurs droits, mais aussi à leurs devoirs. On aborde beaucoup la notion d'égalité des chances et de lutte contre les discriminations. Nous avons un important projet national de lutte contre les discriminations, dont le premier objectif est de développer le pouvoir d'agir des publics discriminés, d'animer des ateliers participatifs sur la lutte contre les discriminations, de favoriser l'expression des publics sur les thématiques de laïcité, de mixité entre hommes et femmes, etc.

Les missions locales mettent également en oeuvre des actions qui accompagnent la libération de la parole des publics victimes de discriminations. Elles apportent un premier niveau d'information par des permanences juridiques ou des ateliers participatifs. Elles oeuvrent en faveur de l'engagement social et sociétal des entreprises pour lutter contre toute forme d'exclusion et favoriser l'égalité des chances.

Tout cela concourt à sensibiliser, informer et accompagner les jeunes en tant que citoyens, afin de lutter contre les inégalités sociales, de santé ou de logement.

Tous les ans est organisé un festival de films, le VOX MILO Festival, mobilisant une cinquantaine de missions locales qui envoient des vidéos produites par des jeunes. Il s'agit de permettre le dialogue entre une jeunesse en général peu écoutée et peu médiatisée et le reste de la société civile et politique, pour faire évoluer positivement les parcours d'insertion et les trajectoires des jeunes et les responsabiliser en leur permettant d'expérimenter et de développer des soft kills, afin de les rendre plus autonomes.

Des phases de consultation jeunesse sont aussi menées par les missions locales.

Une enquête sur l'engagement citoyen des jeunes accompagnés dans les missions locales de Normandie, appelée Entendre ta voix, a été lancée pendant quatre semaines au cours de l'année 2022 : plus de 3 000 réponses ont été reçues, et la représentativité était significative - tranche d'âge, territoire, niveau de qualification... Il en est ressorti que les principales préoccupations ont trait à l'économie, aux inégalités et à l'environnement. On note un faible engagement politique de la part des jeunes, des méconnaissances par rapport aux modalités d'inscription sur les listes électorales, une certaine défiance à l'égard des politiques et du politique, mais un attachement à la démocratie. Un travail paraît nécessaire autour de la citoyenneté, qui est dans la plupart des cas abordée au travers du prisme de l'éducation populaire dans les missions locales.

Un grand mouvement d'accompagnement et de campagne d'inscription sur les listes électorales est mené par les missions locales, par exemple en Normandie. Cela passe par des ateliers (droit de vote, droits et devoirs du citoyen...), mais aussi par un accompagnement concret, physique même, pour qu'ils obtiennent leur carte électorale.

Des mouvements de paroles de jeunes ont également été lancés. Ainsi, en 2017, la réunion des missions locales de Corse, en collaboration avec la collectivité de Corse et les services de l'État, a lancé un comité citoyen regroupant des jeunes apolitiques visant à créer un espace de débat pour la jeunesse pour fédérer les composantes de la société qui agissent au quotidien dans la construction de la Corse de demain.

À Paris, au mois de février 2022, des ateliers débats sur la thématique de l'élection présidentielle, intitulés C'est bientôt !, ont eu lieu. Hier se sont tenues Les Arènes de la République, un concours d'éloquence, autour d'un thème citoyen : Ne te demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, mais ce que tu peux faire pour ton pays. Enfin, des visites régulières de l'Assemblée nationale et du Sénat sont organisées, notamment par les missions locales de Paris, dans le cadre des jeunes accueillis en service civique par les missions locales.

Voilà quelques-unes des actions qui peuvent être mises en place à destination des jeunes accompagnés par les missions locales.

En 2019, quelque 81 023 jeunes ont commencé une mission de service civique au niveau national. En 2021, ils étaient plus de 140 000. L'UNML a un agrément national pour les 436 missions locales de France ; 250 d'entre elles sont engagées dans le service civique.

L'UNML a pour mandat d'informer et accompagner les jeunes vers le service civique par le biais des missions locales. En 2021, quelque 26 000 jeunes ont bénéficié d'une information sur le service civique et d'un accompagnement du réseau des missions locales en ce sens, et l'on note un intérêt fort des jeunes. Cela s'explique par une forte promotion dans le cadre du dispositif 1 jeune, 1 solution. Le compte de missions générales est par ailleurs passé à 245 000 missions, ce qui a favorisé l'engagement des jeunes vers le service civique.

Par ailleurs, le service civique est un dispositif accessible à tous les jeunes.

À travers l'agrément national, en moyenne 3 000 contrats de service civique sont déployés au sein du réseau ou auprès de partenaires dans le cadre de l'intermédiation.

En ce qui concerne le service national universel (SNU), il existe un partenariat assez peu formalisé auprès de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). Nous travaillons en collaboration avec la sous-direction du SNU. Notre mission de service public nous amène à intervenir auprès des 16-25 ans. Les jeunes ciblés au travers de l'obligation de formation, c'est-à-dire les 16-17 ans, sont informés automatiquement de la plus-value que constitue le SNU et ils sont orientés dans cette direction.

Les missions locales sont associées en amont de l'organisation des séjours de cohésion, afin d'assurer l'identification des référents et d'organiser le repérage des jeunes rencontrant des difficultés sociales, en rupture scolaire ou en demande accompagnement, pour pouvoir les diriger vers la mission locale de leur lieu de résidence à l'issue de ce séjour.

On a fixé comme objectif aux cadres de compagnie ou tuteurs de maisonnée d'intervenir directement auprès des jeunes pour les informer du rôle des missions locales, qu'il s'agisse d'un accompagnement périphérique - santé, logement, mobilité... - ou d'une orientation vers la formation et l'insertion vers l'emploi, qui est le coeur du métier des missions locales. Par ailleurs, les tuteurs peuvent contacter directement les missions locales. Différents leviers sont actionnés au cours du séjour de cohésion ; les résultats sont transmis aux missions locales, afin de préciser les dispositifs d'accompagnement idoines et les solutions de remédiation pour les jeunes repérés.

J'en viens aux missions d'intérêt général. Le réseau des missions locales n'a pas d'organisation nationale en matière d'accompagnement des jeunes à trouver des missions d'intérêt général. En revanche, certaines missions locales ont répondu aux appels à manifestation d'intérêt mis en place par les Délégations régionales académiques à la jeunesse, à l'engagement et au sport (Drajes) au mois d'octobre dernier.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Vous avez cité un certain nombre d'exemples d'actions menées par les missions locales. Existe-t-il à l'échelon national un échange et une évaluation des expériences menées, afin de permettre à toutes les missions locales d'évoluer ?

Quel est le pourcentage de jeunes passant par les missions locales qui s'engagent dans un service civique ?

M. Philippe Brousse. - La capitalisation à l'échelon national des expériences menées est en cours d'élaboration. La motion votée l'année dernière le prévoit. Cela passe par de la méthodologie et des outils pour rendre visibles et lisibles ces actions. Ce travail n'en est qu'à ses débuts.

Pour ce qui concerne l'évaluation, on s'achemine vers une labellisation des missions, afin de rendre le service identique et équitable partout et pouvoir évaluer les résultats sur des thématiques, notamment la citoyenneté. Le réseau des missions locales s'est engagé dans ce processus, ce qui permettra également de se doter d'outils d'évaluation.

Jusqu'à présent, nous n'avions pas la faculté de le faire à l'échelle nationale : nous mettions en avant certaines expériences, mais pas de façon systématique. Nous essayons de structurer toutes les actions pour augmenter le niveau de qualité de l'accompagnement et de l'évaluation. Sur ce sujet, le réseau agit en totale autonomie, ce n'est pas une demande de ses tutelles.

Chaque année, 1,3 million de jeunes sont suivis dans le réseau des missions locales ; 2,2 millions entrent en contact avec le réseau.

La visibilité et l'adhésion sont manifestes, mais on ne s'endort pas pour autant sur nos lauriers ! Aujourd'hui, les missions locales sont bien identifiées par une partie des jeunes comme un espace d'action. Il faut capitaliser sur ce point et, par ailleurs, évaluer. C'est en devenir, ce sujet fera partie de nos priorités dans les deux prochaines années. Nous pourrons alors apporter des éléments qualitatifs et quantitatifs sur le nombre de jeunes concernés par les différentes thématiques et les actions menées par le réseau. Par ailleurs, cela permettra une montée en gamme et une professionnalisation des personnels sur ces questions.

M. Guy Berthier. - Une présentation systématique du dispositif du service civique est faite à tous les jeunes qui sont suivis par les missions locales. En 2021, 26 000 jeunes, soit 2 %, ont été informés et orientés vers le service civique : autant dire que la marge de progrès est assez importante.

M. Stéphane Piednoir, président. - Quelles sont vos relations avec les collectivités locales, en particulier avec les mairies ? Je ne suis pas certain que les élus identifient la multiplicité des actions que les missions locales exercent ; ils considèrent spontanément qu'elles ont pour mission d'aider les jeunes à s'insérer dans le monde du travail. Avez-vous une démarche de présentation et de communication auprès des mairies ?

Sur le service civique, on sait le défaut d'information et de relais des dispositifs, pourtant nombreux, mis à la disposition des jeunes - M. Martin Hirsch, que nous avons auditionné avant vous, l'a confirmé. Or plus de 200 missions locales sont agréées pour chapeauter un service civique, et les missions locales sont identifiées comme un tiers de confiance par les mairies. Il ne faut donc pas hésiter à insister sur ce volet auprès des élus !

M. Philippe Brousse. - On mesure bien le déficit de relations avec les missions locales, ainsi que le manque de connaissances de ce qu'elles sont : même si elles ont une mission dans le cadre du service public de l'emploi, elles ne sont pas du tout un Pôle emploi bis jeune ! L'accompagnement qu'elles proposent revêt plusieurs facettes. Ce n'est pas suffisamment connu des collectivités - et c'est souvent à géométrie variable.

Dans la mesure où la gouvernance des missions locales est à la main des élus locaux, qui en sont les pilotes, on s'attendrait à ce que les maires développent un lien fort avec les missions locales de leur territoire. Il y a là un paradoxe...

Depuis deux ans et la fin du Conseil national des missions locales, l'UNML a pris en main la fonction d'animation du réseau. Il nous faut améliorer les relations avec les collectivités locales, notamment en faisant mieux connaître ce que nous sommes. À ce titre, l'entrée en vigueur du dispositif 1 jeune, 1 solution, le développement de la garantie jeunes et, aujourd'hui, la mise en place du Contrat d'engagement jeune (CEJ) ont accru la visibilité du réseau.

On a engagé des relations avec l'Association des maires de France et avec Régions de France. Le fait de pouvoir reconstituer un espace de discussion nationale avec les représentants des élus locaux pour rappeler notre rôle, attendu que notre mode de gouvernance et de financement est très adapté à notre identité : nous ne pouvons pas fonctionner sans avoir autour de la table l'ensemble des acteurs : État, régions, collectivités locales, départements, EPCI, communes. Il est important que tous soient parties prenantes du pilotage des structures. C'est un objectif, car, dans les faits, ce n'est ni si fluide ni si opérationnel.

Il nous faut aller à la rencontre des élus, leur demander de nous consacrer du temps et de prendre part à la gouvernance. Sur ce point, il y a une importante marche à monter. On peut d'ailleurs s'étonner de ce déficit des connaissances des collectivités au regard de notre origine et de notre développement dans les territoires.

Par ailleurs, nous ne sommes pas assez reconnus comme acteurs territoriaux. Nous nous revendiquons comme un service public territorialisé des jeunes : notre grande force, c'est notre autonomie dans la mise en oeuvre des moyens de l'action publique qui nous sont délégués, pour coller aux besoins des territoires dans un cadre contractuel.

Nous avons un souci d'organisation au sein du réseau, dans la mesure où l'échelon départemental n'existe pas, aux côtés de l'échelon national et de l'échelon régional. Cela pose problème et rend plus difficiles les discussions, d'autant que les politiques publiques ont renforcé de leur côté l'échelon départemental. C'est à nous de nous adapter aux enjeux d'aujourd'hui.

Sur le service civique, on note un bon niveau d'engagement du réseau des missions locales. Il existe une mission dédiée à cette question à l'échelon national, ce qui nous permet d'avoir des moyens calibrés pour sensibiliser et informer. L'idée est que l'ensemble des missions locales aient la capacité d'intégrer une mission de service civique. Le dispositif est bien connu des professionnels ; l'information est délivrée aux jeunes, mais la difficulté consiste à trouver une mission qui soit en adéquation avec le jeune. On se heurte souvent à un problème de réactivité, qui peut conduire à la démobilisation du jeune : soit il ne trouve pas la mission qui lui convient, soit la mise en place est longue, soit il se trouve face à un processus de recrutement, donc de sélection.

M. Guy Berthier. - Des partenariats ont été déployés avec l'AMF, pour développer le service civique au sein des collectivités et des EPCI. On a mis au point un kit de déploiement des missions de service civique auprès des collectivités locales dans le cadre d'une convention entre l'UNML, l'AMF et l'Agence du service civique.

Par ailleurs, un important travail d'enquête a été mené auprès des missions locales qui déploient le service civique dans leur territoire. Environ 60 % des missions locales le font en partenariat avec la collectivité ou l'EPCI de leur territoire.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Au-delà de l'AMF, il existe une association des maires dans tous les départements ! On en revient à la question de la territorialité de vos missions. En déployant une organisation départementale, vous pourriez demander à intervenir dans chaque département aux assemblées générales organisées chaque année pour sensibiliser les élus locaux et trouver des missions d'intérêt général.

M. Guy Berthier. - Nous travaillons également en collaboration avec Erasmus +, le service volontaire européen, les services civiques internationaux, etc., mais aussi avec le Défenseur des droits pour mettre en avant des programmes qui sensibilisent les jeunes à leurs droits et devoirs en tant que citoyens.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Pourquoi si peu de jeunes s'engagent-ils dans le service civique ? Est-ce dû à un manque d'informations en amont ? Que manque-t-il ?

M. Philippe Brousse. - En matière d'informations, de nombreux progrès ont été accomplis, même s'il est toujours possible d'améliorer la qualité de l'information et de la rendre plus accessible et intelligible. Par ailleurs, la place du service civique a été réaffirmée.

En revanche, et c'est un point un peu technique, il peut y avoir un empêchement à l'accès au service civique par les politiques d'accompagnement elles-mêmes. Ainsi, il fallait choisir entre le service civique et la garantie jeunes ; les deux étaient inconciliables. La politique publique crée ce choix difficile et n'aide pas à valoriser cette étape que constitue le service civique.

Ce n'est plus le cas avec le contrat d'engagement jeune, puisque le service civique fait partie d'une étape de ce parcours. C'est très bien, dans la mesure où cela permet aux jeunes à la fois d'être accompagnés et de s'engager tout de suite, sans avoir à choisir.

L'un des freins, c'est aussi le manque de fluidité et la sélection. Certaines missions qui sont déclarées ouvertes ne le sont en fait pas, le recrutement ayant eu lieu en amont, hors système, de personne à personne en quelque sorte. Cela peut provoquer de la démobilisation.

Il y a aussi un enjeu de compréhension autour de ce qu'est le service civique. Pour certains jeunes, l'urgence, c'est d'abord d'avoir des ressources : ils ont besoin d'accéder rapidement à une solution d'emploi.

Le service civique n'est pas une solution dégradée d'insertion professionnelle, et il ne faut pas croire qu'il ralentirait d'autres types de solutions, notamment d'hébergement pour les jeunes les plus précaires.

Un jeune doit pouvoir passer par une période de service civique, même s'il est en difficulté d'insertion. Aujourd'hui, on a les outils et même des éléments financiers pour sécuriser les parcours. Le service civique doit pouvoir être choisi à partir du moment où il s'inscrit dans un parcours global permettant la résolution des situations.

Aujourd'hui, des jeunes qui souhaitent se former y renoncent, parce qu'ils ont un besoin urgent de travailler : ils décident de prendre le premier emploi venu. Nous devons au contraire favoriser l'accès à la qualification.

Nous avons veillé à ce que la mission de service civique ne paraisse pas comme la solution d'insertion. Le service civique n'est en effet pas une finalité, et il ne faut pas que l'on considère que notre objectif en matière d'accompagnement est atteint : c'est un temps de passage susceptible de déboucher sur des solutions pérennes. Aujourd'hui, qui plus est après la pandémie, les inquiétudes et les incertitudes sont fortes ; en outre, le marché du travail est plus dynamique dans certains secteurs. Les jeunes préfèrent travailler plutôt que de faire un service civique, qui n'est pas un travail.

Paradoxalement, pour nous, ce contexte est presque plus complexe : nous avons beaucoup de propositions à formuler en direction des jeunes, mais il faut les hiérarchiser. Pour le jeune, la priorité, c'est l'accès au travail qui offre aujourd'hui des opportunités concrètes, au détriment d'autres solutions qui leur sont proposées.

M. Stéphane Piednoir, président. - Je confirme la suggestion du rapporteur de renforcer les liens avec les collectivités locales et de saisir l'occasion de développer des missions d'intérêt général dans le cadre du service civique. Il faut poursuivre ce travail de communication et d'information des collectivités : même si elles sont à la manoeuvre, elles connaissent peu toutes les possibilités que vous offrez. Je vous remercie.

M. Philippe Brousse. - Merci à vous.

- Présidence de M. François Bonneau, vice-président -

Audition de Mmes Chantal Bruneau, membre du bureau, et Stéphanie Andrieux, co-présidente de la commission Engagement et bénévolat du Haut Conseil à la vie associative et M. Hubert Pénicaud, référent national Vie associative de France bénévolat

M. François Bonneau, président. - J'ai l'honneur et le plaisir de remplacer notre président, Stéphane Piednoir, empêché de participer à cette dernière audition de la matinée.

Je souhaite la bienvenue aux deux représentantes du Haut Conseil à la vie associative : Chantal Bruneau, membre du bureau, et Stéphanie Andrieux, co-présidente de la commission Engagement et bénévolat, accompagnées de Kaïs Marzouki, secrétaire général, ainsi qu'à Hubert Pénicaud, référent national Vie associative de France bénévolat.

Je précise à l'attention de nos invités que notre mission s'est mise en place dans le cadre du « droit de tirage des groupes », sur l'initiative du groupe RDSE, et que notre collègue Henri Cabanel, membre de ce groupe, en est le rapporteur.

J'indique également que notre mission est composée de 21 sénateurs, issus de tous les groupes politiques, et que notre rapport, assorti de recommandations, devrait être rendu public au début du mois de juin 2022.

Je rappelle enfin que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport, et que sa captation vidéo permet de la suivre en ce moment même sur le site Internet du Sénat. Cet enregistrement sera disponible par la suite en vidéo à la demande.

Le thème de l'engagement citoyen, plus particulièrement celui des jeunes, est au coeur de notre réflexion sur la culture citoyenne. Le service civique et le service national universel ont ainsi été le thème de nombreux auditions et déplacements.

Le bénévolat associatif des jeunes - et des moins jeunes - est également un aspect décisif de notre réflexion.

Nous avons donc besoin de l'expertise du Haut Conseil à la vie associative et de France bénévolat pour faire le point sur ce sujet déterminant. Je vous remercie donc de vous être rendus disponibles pour nous ce matin.

Avant de vous donner la parole, Henri Cabanel, rapporteur, va vous poser quelques questions pour situer les attentes de cette mission d'information.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Je remercie également Chantal Bruneau et Stéphanie Andrieux, ainsi qu'Hubert Pénicaud, de leur présence parmi nous ce matin.

Je confirme l'importance de cette audition pour nous permettre de faire le point sur l'actualité de la vie associative, plus particulièrement sur la place qu'occupent les jeunes dans le milieu associatif. Ma première série de questions concerne donc le paysage de la vie associative et la place qu'y occupent les jeunes.

Pouvez-vous dresser un état des lieux du mouvement associatif après deux ans de pandémie ? Quelles sont les caractéristiques de l'engagement des jeunes dans les associations ? Quel est le pourcentage de jeunes parmi les bénévoles et dans les instances dirigeantes des associations ?

La sociologue Anne Muxel, que nous avons auditionnée en janvier, faisait observer ceci dans son ouvrage Politiquement jeune, publié en 2018 : « Le cadre associatif bénéficie d'un capital de confiance et suscite un potentiel d'adhésion nettement plus important que les partis politiques ou les syndicats. Mais cela à condition que les associations ne calquent pas leur mode de fonctionnement sur celui des organisations partisanes. Elles ne doivent pas offrir un cadre d'action trop enfermant, trop directif ou trop hiérarchisé. Les jeunes veulent conserver une marge de manoeuvre ».

En d'autres termes, selon cette spécialiste, « les engagements d'aujourd'hui sont à la fois plus réflexifs et plus flexibles, à la fois plus courts et à tout moment réversibles ». Partagez-vous ce point de vue ?

Quelles sont les conséquences de ces comportements sur l'organisation des associations ? Quelles sont les difficultés rencontrées par les jeunes pour s'engager dans les associations et par les associations pour attirer de jeunes bénévoles ?

L'engagement associatif des jeunes diffère-t-il de l'engagement associatif des autres Français ? Les jeunes sont-ils moins engagés, et, dans ce cas, comment faire selon vous pour développer leur associatif ? Ou sont-ils engagés différemment ?

Ma deuxième série de questions concerne l'inclusion de l'engagement associatif dans l'enseignement moral et civique à l'école. Cet enseignement produit-il, à votre connaissance, des résultats ? Comment cet enseignement s'organise-t-il ? Les associations sont-elles associées à l'Éducation nationale pour promouvoir cet engagement ?

Mes dernières questions concernent le service national universel (SNU). De manière générale, qu'en pensez-vous ? Lors de la présentation de la phase 1, c'est-à-dire du séjour de cohésion, il a été indiqué qu'un tiers des encadrants venait de l'éducation populaire. Comment le milieu associatif est-il associé à cette phase 1 ? Est-il consulté sur la création de modules relatifs à l'engagement associatif ?

La phase 2 du SNU, la mission d'intérêt général, est en cours de déploiement. Quel regard portez-vous sur cette phase ? Avez-vous été associés à son déploiement ? Les associations ont-elles la capacité de proposer des missions répondant à la phase 2 ? Quels sont selon vous les freins ?

Mme Chantal Bruneau, membre du bureau du Haut Conseil à la vie associative. - Je vous remercie tout d'abord d'avoir sollicité le Haut Conseil à la vie associative, sur lequel je voudrais tout d'abord vous dire quelques mots.

Le HCVA, créé en 2011 à la suite du Conseil national de la vie associative, est une instance de consultation placée auprès du Premier ministre. Tandis que le Conseil national de la vie associative était composé de représentants d'associations, le HCVA est composé de trente personnes, qui sont expertes notamment sur les questions juridiques, fiscales, d'engagement, de bénévolat, mais qui ne représentent pas telle ou telle association ou tel ou tel secteur. Introduit dans la loi en 2014, il a une base législative.

Premièrement, le Haut Conseil est obligatoirement consulté sur tous les textes législatifs et réglementaires qui concernent et peuvent avoir des répercussions sur les associations et la vie associative en général.

Deuxièmement, il est au service des pouvoirs publics. Tout membre du Gouvernement peut le saisir sur tel ou tel sujet et lui demander un rapport.

Troisièmement, il peut s'autosaisir et décider de travailler sur telle ou telle question.

Ses membres sont nommés pour un mandat de cinq ans, renouvelable une fois. La nouvelle mandature a commencé en novembre dernier, plus de la moitié de nos membres débutant dans leurs fonctions.

Le Haut Conseil, par ses travaux, formule à l'attention du Gouvernement des préconisations sur les relations entre les pouvoirs publics et les associations et sur tout ce qui concerne les acteurs de la vie associative. Ses avis et rapports reposent évidemment sur des analyses et des auditions ; il n'a pas vocation à mener des réflexions d'ordre général, mais faire des propositions concrètes.

Mme Stéphanie Andrieux, co-présidente de la commission Engagement et bénévolat du Haut Conseil à la vie associative. - Pour dresser cet état des lieux de l'engagement associatif, je me suis référée au baromètre Djepva 2021 (Direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative). Ainsi, 48 % des jeunes de 18 à 29 ans disent s'être engagés bénévolement au cours de la dernière année, contre 37 % pour la période 2016-2019. Beaucoup d'associations ont constaté ce plus grand engagement des jeunes pendant la crise sanitaire.

Il est question ici de l'engagement bénévole formel et informel, le taux d'engagement en tant que tel au sein des associations tournant généralement autour de 20 %.

S'agissant de la gouvernance, en 2017 - chiffre le plus récent dont nous disposons -, seulement 7 % des dirigeants d'association avaient moins de 36 ans, et 41 % plus de 65 ans.

De même, on note un véritable écart selon le niveau d'études : plus de 52 % des jeunes d'un niveau bac et au-delà ont un engagement associatif, contre 41 % des jeunes ayant un niveau de formation moindre. On retrouve d'ailleurs ces tendances à l'âge adulte. Ces différences en termes d'engagement se forment donc dès la jeunesse.

Chez les jeunes, l'engagement se fait prioritairement en faveur de l'environnement et de la lutte contre les discriminations ; le sport est également un domaine privilégié d'engagement.

L'engagement des jeunes est très souvent lié à leur vécu. Ceux d'entre eux qui ont connu des situations de précarité ou de discrimination s'engagent très souvent directement dans la lutte contre celles-ci. A contrario, les jeunes pour lesquels « tout va bien » s'engagent plus fréquemment dans le sport, les loisirs, la culture.

L'environnement est un domaine à part : l'engagement en sa faveur croît chez les jeunes, quel que soit leur parcours.

Concernant cet engagement assez composite et multiforme que vous décriviez, il faut signaler que les jeunes s'engagent généralement en faveur d'une cause plutôt que dans une structure. Si l'on s'en tient à l'engagement en faveur de l'environnement, celui-ci se traduira dans les comportements de consommation, voire en rejoignant le mouvement Fridays for future.

Cet engagement très concret en faveur d'une cause diffère de celui des générations plus âgées, s'incarnant davantage au sein d'une structure. Cela explique peut-être cet aspect réversible et parfois moins stable de cet engagement, les jeunes allant là où ils se sentent les plus utiles. Cet engagement, quoi qu'on en dise, est finalement très politique, et plus sur des changements systémiques que ponctuels.

Mme Chantal Bruneau. - Votre mission s'intitule : Comment redynamiser la culture citoyenne ? Votre question ne porte pas, sans doute à dessein, sur le rôle des associations. Pour le Haut Conseil à la vie associative, les associations constituent un terrain particulièrement favorable pour l'exercice du rôle de citoyen, car elles embrassent l'ensemble des questions de société. Selon le dernier baromètre OpinionWay Cevipof de janvier 2022, les associations recueillent un taux de confiance de 67 %, contre 21 % pour les partis politiques et 38 % pour les syndicats.

Le Haut Conseil a rendu un rapport en 2017 intitulé Favoriser l'engagement des jeunes à l'école. Celui-ci recense à la fois ce qui a été fait à l'école pour favoriser l'engagement associatif et ce qui n'a pas encore trouvé de traduction. Par exemple, les maisons de lycéens ou les maisons de collégiens peuvent permettre cet apprentissage de l'engagement. Or il est apparu que ces outils n'étaient pas toujours bien utilisés, du fait par exemple du manque de temps disponible dans les emplois du temps pour fréquenter ces lieux. De fait, il faut les rendre plus efficaces.

Signalons également l'outil Folios, dans lequel le jeune note les activités mises en oeuvre dans le cadre de son parcours d'engagement.

S'agissant du lien entre l'école et les associations, on peut dire que la première est insuffisamment ouverte sur l'extérieur. Ainsi, il conviendrait de faire témoigner sur leur engagement des jeunes à peine plus âgés que les collégiens ou lycéens, parce qu'ils sont les meilleurs vecteurs d'information. Cela vaut bien des discours ! C'est pourquoi nous préconisions de faire des jeunes qui effectuent un service civique au sein des établissements scolaires des « ambassadeurs » permettant d'établir une passerelle entre les élèves et les associations.

Comment encourager l'engagement des étudiants ? La loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté permet à ceux-ci de faire valoir leur engagement dans leur cursus universitaire. Même si des universités ont mis en place des actions intéressantes, il reste du chemin à parcourir. Il n'est pas nécessaire d'inventer de nouvelles choses ; il faut simplement valoriser les dispositifs en vigueur.

En outre, les associations, en tout cas certaines d'entre elles, doivent apprendre à s'ouvrir aux jeunes, en envisageant notamment d'autres formes d'engagement. Des représentants d'associations importantes nous ont indiqué qu'il était difficile pour certains de leurs bénévoles de s'ouvrir aux jeunes.

Pour les jeunes, la question principale, c'est celle de la confiance, tant à l'école pour développer un projet qu'au sein des associations, quitte à ce que les habitudes s'en trouvent bousculées. Non seulement ils apportent de la nouveauté, mais encore ils sont les bénévoles de demain.

Redynamiser la culture citoyenne, c'est aussi permettre à des jeunes de s'engager dans cette école de la citoyenneté que sont les associations.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Vous évoquez les outils d'engagement qu'offre l'école, qui selon vous ne répondraient pas tout à fait aux attentes des jeunes. Faut-il en élaborer d'autres, avec eux, qui leur correspondent davantage ?

Mme Chantal Bruneau. - Disons que les outils proposés ne sont pas correctement mis en place. Par exemple, il nous a été dit que les maisons des lycéens n'étaient jamais ouvertes. Comment voulez-vous que les jeunes s'emparent de cet outil ? Ou bien leur emploi du temps ne prévoit-il aucune plage horaire leur permettant de s'engager.

M. Hubert Pénicaud, référent national vie associative de France bénévolat. - La jeunesse est diverse, tout comme le sont les associations et, partant, les modes d'engagement se sont largement diversifiés ces vingt dernières années. Pendant très longtemps, l'engagement associatif s'incarnait dans de grandes structures, assez monolithiques. Depuis vingt ans, on s'engage surtout pour apporter ses compétences, dans une logique de plus court terme. L'engagement n'est plus « un jour, toujours ».

Citons également la mise en place du service civique, ou encore le développement de la « sociativité » au sein des grandes écoles et du monde universitaire.

À ce jour, il se crée chaque année entre 60 000 et 70 000 associations, contre 30 000 dans les années 1980. Beaucoup le sont par des jeunes, selon des formes très diverses.

Ainsi, dans le domaine de l'environnement, beaucoup d'initiatives citoyennes ont été portées par des jeunes selon des modes beaucoup plus souples que ceux que l'on rencontre dans les associations plus institutionnalisées.

Au sein du secteur associatif, les jeunes sont partout, dans des engagements à la fois très ponctuels et de longue durée.

Pour autant, il existe une très grande inégalité dans l'accès à l'engagement. Ainsi, les titulaires d'un diplôme bac+3 et au-delà sont deux fois plus engagés dans le bénévolat que ceux qui ont un niveau de formation inférieur au bac, ce qui doit interpeller le monde associatif. C'est lié en partie à l'environnement culturel : évoluer dans un milieu ouvert, où il existe une tradition d'engagement, favorise l'investissement dans le bénévolat. C'est la raison pour laquelle le monde associatif est très attentif à ce qui se passe dans l'école, là où il est possible de rétablir l'égalité.

Or, selon nous, l'école de la République ne joue pas son rôle et ne permet pas à tous les enfants de comprendre ce qu'est l'engagement. Beaucoup de jeunes, y compris au collège et au lycée, ne savent pas ce que signifie être bénévole.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Avez-vous des propositions à formuler ?

M. Hubert Pénicaud. - Il faut que la question de l'engagement et du bénévolat soit abordée dès le plus jeune âge, dès l'école primaire et que les élèves recueillent le témoignage de personnes engagées, en particulier de jeunes.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Dans le cadre des cours d'éducation morale et civique ?

M. Hubert Pénicaud. - Par exemple. Les textes l'autorisent, mais, dans la réalité, cela ne se fait pas. Tout repose sur l'implication d'un proviseur, d'un chef d'établissement, de l'équipe professorale. Certains accomplissent un travail remarquable, cependant que, dans la plupart des enceintes scolaires, la question n'est pas abordée.

Mme Stéphanie Andrieux. - C'est effectivement ce qui est apparu dans les auditions que nous avions menées pour la rédaction de notre rapport. En outre, les emplois du temps étant très contraints, et pour peu que les chefs d'établissement ou les professeurs n'aient pas de vécu associatif, la question du bénévolat « passe à la trappe » : on ne fait bien que ce qu'on a l'habitude de faire. Il convient donc d'outiller les personnels de l'Éducation nationale. Il est plus naturel et plus efficace de demander à une personne déjà engagée d'apporter son témoignage, plutôt que de demander à un professeur de recréer un parcours d'engagement.

Mme Chantal Bruneau. - Il est apparu dans les auditions que nous avons menées auprès des syndicats d'enseignants ou même des représentants de parents d'élèves que certaines familles sont quelque peu réticentes à cet engagement, par crainte que celui-ci n'empiète sur le temps scolaire. C'est pourquoi il est important de faire comprendre qu'une heure consacrée à une cause quelle qu'elle soit représente un apprentissage équivalent à une heure d'enseignement - et je n'ai rien contre l'école !

Ceux qui seront les citoyens de demain doivent prendre conscience de tout ce que peuvent apporter les associations. Et il existe de multiples manières de s'engager : dans une association qui a pignon sur rue, dans des associations de fait, dans des collectifs...

Le Réseau national des juniors associations (RNJA) accompagne les jeunes dans leurs pratiques associatives, des associations de fait qui ne sont pas déclarées. Cela permet aux jeunes de suivre un véritable apprentissage. Ceux que nous avions auditionnés avaient souligné l'importance de cet accompagnement vers l'engagement associatif.

De même, comment faire pour favoriser l'engagement des moins diplômés et de ceux qui appartiennent aux catégories socioprofessionnelles les moins élevées, pour faire évoluer cette situation qui n'a pas changé depuis trente ou quarante ans ? Et les pouvoirs publics et les associations doivent travailler ensemble à cette fin.

Mme Stéphanie Andrieux. - Un même décalage entre les générations et les catégories socioéconomiques s'observe dans la participation à la vie démocratique plus institutionnelle.

M. Hubert Pénicaud. - J'ai la chance de coordonner la commission inter-associative de France bénévolat, soit une bonne trentaine d'associations très diverses, en même temps que j'ai un ancrage local à Mantes-la-Jolie. J'observe une très grande demande chez les jeunes en matière d'engagement. Le défi, c'est de collectivement y répondre. Pour une large part, la balle est dans le camp de l'école, des associations, des pouvoirs publics.

Ces vingt dernières années, les associations ont beaucoup oeuvré dans ce sens. Lorsque France bénévolat a été créée, en 2003, le sujet de préoccupation était celui des bénévoles ; désormais, c'est celui de l'engagement bénévole pour une citoyenneté active.

Au début des années 2000, on a vécu une crise du bénévolat ; ce n'est plus le cas. Aujourd'hui, l'enjeu, c'est notre capacité à enrichir et à densifier l'engagement, à lui donner du sens, notamment au regard de la citoyenneté. Beaucoup d'associations mènent un travail important dans ce domaine.

S'agissant de la place des jeunes dans la gouvernance des grandes associations, j'accompagne depuis dix ans cinq ou six gros réseaux associatifs - Croix-Rouge française, APF France handicap, Familles rurales, Ligue de l'enseignement - pour les aider à offrir davantage de place à des jeunes très actifs, y compris en les intégrant dans leur conseil administration.

Voilà dix ans, aucune de ces associations ne comptait de jeunes dans son conseil d'administration. À ce jour, celui de la Croix-Rouge française accueille cinq trentenaires, sur vingt-cinq membres, tandis que celui d'APF France handicap, sur vingt-quatre administrateurs, en compte six, dont un vice-président.

Ce qui a permis cette évolution, c'est un travail sur les relations intergénérationnelles et sur la place des jeunes au sein de ces organisations, c'est la volonté de faire bouger les choses. Par exemple, APF France handicap a offert la possibilité de se présenter en binôme pour un poste d'administrateur pour un mandat de six ans. Quand on a 25 ans, un mandat de six ans n'a pas de sens. En revanche, il est plus facile de se projeter à deux et, si nécessaire, de se mettre en retrait en cas de nécessité - mariage, souci de santé, etc. Nous disposons de témoignages qui confirment la pertinence de cette organisation.

Permettre aux jeunes de trouver leur place dans ces organisations passe donc par un changement des modalités de fonctionnement et, parfois, par une modification des statuts.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Vous dites qu'il n'y a pas de crise du bénévolat. Or ce n'est pas ce que l'on ressent sur le terrain. Un exemple : les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). En France, le corps des sapeurs-pompiers repose essentiellement sur les bénévoles. Récemment, le directeur du SDIS de l'Hérault a alerté les élus sur le déficit de volontaires à court ou moyen terme auquel il allait être confronté. On pourrait citer bien d'autres exemples.

M. Hubert Pénicaud. - Je disais cela un peu pour faire réagir... aujourd'hui, le problème n'est pas du côté des citoyens ou des jeunes.

Aujourd'hui, beaucoup d'associations fonctionnent grâce à la mobilisation de leurs bénévoles. Le vrai problème, c'est celui de leur gouvernance, en particulier après ces deux années de pandémie, nombre de conseils d'administration ou d'assemblées générales n'ayant pas pu être réunis. De fait, un certain nombre d'associations auront des difficultés à renouveler leurs instances.

Les associations qui se saisissent du sujet à bras-le-corps obtiennent assez rapidement des résultats. Cela nécessite un travail de fond.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Que pensez-vous du statut du bénévole ?

Mme Chantal Bruneau. - J'ai longtemps travaillé au ministère de la jeunesse et des sports, où je m'occupais des questions relatives aux associations. L'idée d'un statut du bénévole peut paraître séduisante au premier abord, mais c'est une mauvaise chose en définitive. Le HCVA, comme le CNVA en son temps, s'est toujours prononcé contre. Accoler « statut » et « bénévole » serait source d'ambiguïté, pour ne pas dire plus. Être bénévole, c'est être libre ; or un statut enfermerait, en quelque sorte, et ne réglerait rien.

Ce qui importe, c'est de prendre en compte les nouvelles formes d'engagement ou, comme vient de le dire Hubert Pénicaud, la question de la gouvernance. Comment accueillir les personnes qui veulent s'engager ?

Le Haut Conseil, dans un rapport sur les nouvelles formes d'engagement, avait bien montré que, tout comme on ne fait pas toute sa carrière au sein de la même entreprise, on ne reste pas a priori toute sa vie dans la même association. Ce sont ces nouvelles formes d'engagement qu'il faut prendre en compte : les associations de fait, les collectifs, la défense ponctuelle d'une cause particulière. Quand bien même un engagement ponctuel dans une association peut être une incitation à rejoindre son instance de gouvernance, encore faut-il qu'elle en donne la possibilité. Dans ce cas, qu'offrirait de plus le statut du bénévole ?

Mme Stéphanie Andrieux. - Cette crise de la gouvernance est un vrai problème dans beaucoup de territoires ruraux, où certaines associations risquent de mourir faute de renouvellement des conseils d'administration. Comme le dit Hubert Pénicaud, elles doivent repenser leur mode de fonctionnement et en finir avec des habitudes bien ancrées qui ne correspondent plus aux attentes actuelles.

À cet égard, on remarque que bien des associations créées par des jeunes adoptent un modèle de gouvernance totalement nouveau : les binômes, les coprésidences, les présidences tournantes. C'est-à-dire des modes de fonctionnement moins hiérarchisés, plus souples. Or, parce que le formulaire administratif de déclaration de création d'une association en préfecture comporte des cases à cet effet, beaucoup pensent qu'il faut nécessairement prévoir un président, un trésorier, un secrétaire - à l'exclusion de co-présidence ou co-trésorier -, alors que la loi de 1901 est très souple et offre toute latitude dans l'organisation de la gouvernance.

Ainsi, il suffirait tout simplement de mettre à jour ces documents administratifs pour lever certains blocages dans la gouvernance des associations.

Hubert Pénicaud citait ces grosses associations qui ont fait cet effort de réflexion. Cette démarche demande du temps et un accompagnement. C'est pourquoi la formation doit être une priorité, la formation à la mise en oeuvre non seulement de projets, mais également de changements de gouvernance. À défaut, le risque est que les jeunes s'engagent « à côté », alors qu'il faut « faire » ensemble.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - S'engager dans la gouvernance d'une association demande du temps. Par conséquent, le partage des tâches rend les choses plus faciles.

M. Hubert Pénicaud. - Le statut du bénévole, en effet, c'est une fausse bonne idée, pour les raisons qui viennent d'être invoquées. J'en ajouterai deux.

Les bénévoles demandent surtout que soit reconnue et valorisée leur expérience. Pour y répondre, certains voudraient leur accorder un statut. Or il faut avant tout prendre conscience que tout ce qui a été créé par les pouvoirs publics depuis vingt ans en matière de reconnaissance et de valorisation ne marche pas très bien.

Il en est ainsi, par exemple, de la validation des acquis de l'expérience (VAE) bénévole, des congés engagement ou du compte engagement citoyen, qui ne sont pas assez promus. Ce dernier offre la possibilité aux bénévoles oeuvrant plus de 200 heures de disposer d'un crédit de formation sur leur compte personnel de formation. À ce jour, il ne fonctionne bien que pour les pompiers et autres bénévoles qui ont une affectation directe ; il est quasi impossible aux autres bénévoles de l'utiliser, sauf à être très motivés.

Je le répète, créer un statut tuerait le bénévolat d'entrée de jeu.

Le problème des dirigeants d'association, ce sont les charges administratives qui pèsent sur leurs responsables, qui doivent satisfaire à des exigences parfois très éloignées de la cause pour laquelle ils se sont engagés. Le système est ainsi fait qu'il ne donne pas envie d'être dirigeant associatif.

Dernier exemple : le contrat d'engagement républicain, qui ne va pas contrecarrer ce mouvement.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Notre tort, c'est de ne pas évaluer ce qui existe déjà, ce qui est source de complexité. Nous devons nous remettre en question.

Mme Chantal Bruneau. - En effet, il est toujours tentant de créer un nouveau dispositif sous prétexte qu'un précédent n'a pas bien fonctionné.

Mme Martine Filleul. - Je vous remercie tous pour ces interventions très intéressantes. Comme l'a dit Henri Cabanel, sur le terrain, les associations nous font part des grandes difficultés qu'elles éprouvent à trouver des bénévoles, en particulier des jeunes. Un certain nombre d'entre elles n'y survivront pas. Peut-être est-ce là une forme de mort naturelle, d'autres associations leur succédant, créées « à la patte » de jeunes.

Vous avez évoqué à plusieurs reprises le rôle de l'école, que vous considérez comme insuffisamment ouverte aux acteurs de la vie associative ou politique. Faites-vous le même constat en particulier avec l'enseignement moral et civique ?

Même si vous n'êtes pas favorables à la création de nouveaux dispositifs tendant à valoriser l'engagement des plus jeunes, ne pourrait-on pas envisager d'autres moyens pour ce faire dans le cadre scolaire, tant les situations varient d'un établissement à un autre, d'un responsable à un autre ? Comment valoriser l'engagement des lycéens ?

Mme Chantal Bruneau. - Les associations sont des êtres vivants, elles vivent et elles meurent. Ce qui serait inquiétant, c'est que le mouvement de création s'arrête. C'est ce à quoi il faut être vigilant.

L'enseignement civique et moral n'est pas un sujet d'étude pour le HCVA. Pourquoi ne pas s'y intéresser ? Néanmoins, je m'interroge : les travaux personnels encadrés, qui s'adressent aux lycéens, existent-ils toujours ? Parce que nous avions proposé qu'un jeune engagé, par exemple, dans un mouvement scout puisse, dans ce cadre, évoquer son expérience devant ses camarades. On nous avait alors expliqué que c'était beaucoup trop compliqué à organiser. Cette piste nous avait cependant paru intéressante dans la prise en compte des actions que conduisent les jeunes.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - En présentant le HCVA, vous nous avez dit que l'une de vos missions consistait à formuler des préconisations à travers des rapports. Vos préconisations sont-elles entendues ?

Mme Chantal Bruneau. - C'est variable, va-t-on dire... Les membres du Haut Conseil vous répondraient sans doute majoritairement qu'ils ne sont pas suffisamment entendus.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - C'est notre sentiment.

Mme Chantal Bruneau. - La nouvelle mandature s'est fixé comme mission, à partir des rapports qui ont été rendus, de voir ce qui a évolué. En 2014, à la demande de la ministre Valérie Fourneyron, le Haut Conseil avait rendu un rapport sur la question du financement privé des associations. Nous avions alors notamment préconisé que les fonds demeurant sur les comptes bancaires des associations qui n'avaient plus d'existence puissent être réaffectés au Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA) en faveur de la formation des bénévoles. Cette préconisation a trouvé sa traduction législative en 2021, même si, dans les faits, la réalité est quelque peu différente.

Au-delà, un certain nombre de préconisations n'ont pas encore connu de suite.

M. François Bonneau, vice-président. - Je vous remercie tous d'avoir enrichi notre réflexion.

Notre pays ne fonctionnerait pas bien en l'absence de ce milieu associatif qui irrigue nos territoires, la puissance publique ne pouvant pas tout faire. À travers vous, nous voulons remercier tous ceux qui les font vivre, malgré les difficultés auxquelles ils sont confrontés.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.