Mercredi 27 juillet 2022

- Présidence de M. Cyril Pellevat, vice-président -

La réunion est ouverte à 13 h 35.

Énergie, climat, transports - Énergies renouvelables et efficacité énergétique : proposition de résolution portant avis motivé de MM. Daniel Gremillet et Pierre Laurent sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive (UE) 2018-2001 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, la directive 2010-31-UE sur la performance énergétique des bâtiments et la directive 2012-27-UE relative à l'efficacité énergétique

M. Cyril Pellevat. - Mes chers collègues, Jean-François Rapin étant malheureusement malade, il n'est pas en mesure de présider aujourd'hui la réunion de notre commission, qui sera la dernière de cette session extraordinaire. Il m'a donc prié de le suppléer pour présider notre réunion, aujourd'hui consacrée aux enjeux climatiques et notamment énergétiques.

Nous allons débuter en entendant l'analyse de Daniel Gremillet et Pierre Laurent sur la conformité au principe de subsidiarité d'une proposition de directive que la Commission européenne a récemment publiée et qui concerne les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. Il s'agit d'un nouveau projet de législation européenne, destiné à renforcer encore l'ambition européenne en matière climatique. L'hiver dernier, pourtant, la Commission européenne avait déjà proposé un paquet très ambitieux, dénommé « Ajustement à l'objectif 55 » ou « Fit for 55 » en anglais, destiné à réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55% d'ici à 2030. Nous étions alors dans l'espoir, à court terme, que l'économie européenne allait rebondir après l'épreuve du Covid, et, à moyen terme, que ce rebond permettrait à l'Union de relever deux défis majeurs : la lutte contre le changement climatique et la transition numérique, dont la pandémie avait démontré le caractère stratégique. L'agression russe en Ukraine est venue resserrer l'étau énergétique et pousser encore les prix de l'énergie à la hausse, ce qui conduit l'Union à vouloir relever encore d'un cran ses ambitions pour s'affranchir plus vite des énergies fossiles.

Il y a un mois, le groupe « subsidiarité » de notre commission avait décidé de confier à nos collègues le soin d'expertiser ce projet de nouvelle directive car, même si nous comprenons sa nécessité dans le contexte actuel, il nous semble aller un peu loin par rapport aux prérogatives que les traités reconnaissent aux Etats membres en matière énergétique. Je leur laisse le soin de présenter la conclusion de leur travail.

M. Pierre Laurent. - La Commission européenne invite les Parlements nationaux à vérifier la conformité au principe de subsidiarité d'une proposition de directive désignée sous la référence COM (2022) 222 final. Lors de sa réunion du 29 juin dernier, le groupe « subsidiarité » de notre commission a donc décidé d'approfondir l'examen de ce texte qui soulevait un certain nombre de problèmes. Avec mon collègue Daniel Gremillet, nous allons vous présenter les conclusions auxquelles nous sommes parvenus.

Publiée le 18 mai dernier, cette proposition de directive est une des déclinaisons législatives du plan REPowerEU, présenté le même jour par la Commission. Elle tend à réviser trois directives dont la refonte ou la modification sont déjà proposées par ailleurs, dans le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », en cours de négociation, comme vous le savez :

- la directive relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables ;

- la directive sur la performance énergétique des bâtiments ;

- et la directive relative à l'efficacité énergétique.

La concomitance de deux procédures de révision des mêmes directives est assez inédite : elle démontre combien les événements récents bousculent l'Union, au point de l'obliger à revoir ses objectifs avant même de les avoir définitivement fixés.

Lors du Sommet de Versailles, des 10 et 11 mars derniers, les chefs d'État ou de Gouvernement de l'Union européenne ont donc invité la Commission européenne à proposer un plan « REPowerEU » visant à rendre l'Union indépendante des combustibles fossiles russes. Ce plan s'articule autour de trois axes : les économies d'énergie, la diversification des approvisionnements et la transition énergétique. Il constitue une réponse aux enjeux d'approvisionnement énergétiques auxquels sont confrontés les pays européens, avec encore plus d'acuité, depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, a ainsi déclaré lors de sa présentation : « nous réduirons nos importations de gaz russe d'un tiers dès cette année, puis, à l'horizon 2027, nous réduirons notre dépendance à zéro si tout fonctionne bien ». La Commission européenne estime que ce plan doit permettre à l'Union de réaliser une économie de près de 100 milliards d'euros par an sur ses dépenses d'importations de combustibles fossiles. Par ailleurs, près de 300 milliards d'euros devraient être mobilisés, d'ici 2030, pour sa réalisation.

La reprise économique qui a suivi la crise de Covid-19 avait déjà entraîné à la hausse les prix des énergies, mettant au jour les enjeux de souveraineté et de sécurité énergétiques. Ces enjeux ont pris une acuité supplémentaire avec les évolutions géopolitiques récentes, et se sont trouvés au centre des préoccupations des dirigeants européens au cours de ces derniers mois. Le conflit ukrainien a particulièrement mis en lumière la vulnérabilité et la dépendance des économies européennes à l'égard des livraisons de gaz, de charbon et de pétrole russes. Plus de 48 % des importations de gaz, 45 % de celles de charbon et plus de 25 % de celles de pétrole dans l'Union proviennent de la Fédération de Russie. Toutefois, le niveau de dépendance de chaque État membre en la matière est très variable. Le gaz russe ne représente, par exemple, que 17 % de l'ensemble des importations de gaz pour la France contre plus de 75 % pour dix États membres.

Je rappelle également que l'Union européenne a adopté six paquets de sanctions à l'égard de la Russie, parmi lesquelles figurent notamment l'interdiction de la totalité des importations de charbon, d'ici août, et de 90 % de celles de pétrole, d'ici décembre, en provenance de ce pays. Ces enjeux sont aussi rendus plus aigus du fait de la décision de la Russie de réduire ses livraisons de gaz vers l'Europe - hier encore !-, avec le risque de rupture d'approvisionnement en cas d'arrêt total des exportations russes.

Plusieurs initiatives législatives sont ainsi proposées par la Commission européenne dans le cadre du plan REPowerEU afin d'accroître encore les ambitions de l'Union européenne en matière de transition énergétique. Il s'agit, pour l'essentiel, de rehausser les objectifs relatifs aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique, fixés respectivement dans les directives de 2018 et 2012, et déjà revus à la hausse dans le paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».

S'agissant de la directive relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, la présente proposition modifie plusieurs dispositions et insère de nouveaux articles afin de :

- rehausser de 40 à 45 % l'objectif en matière de part d'énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie en 2030 dans l'Union européenne ;

- obliger les États membres à identifier les zones terrestres et maritimes spécifiques favorables à l'implantation d'installations utilisant des sources d'énergies renouvelables et à mettre en place ces zones ;

- réduire la complexité administrative et la durée des procédures d'octroi d'autorisations pour les projets dans le domaine des énergies renouvelables ;

- exiger des États membres qu'ils encouragent l'expérimentation de nouvelles technologies liées aux énergies renouvelables.

Concernant la directive relative à l'efficacité énergétique, la proposition propose de renforcer celle-ci en portant de 9 à au moins 13 % en 2030 l'objectif de réduction de consommation d'énergie de l'Union européenne, par rapport au scénario de référence de 2020.

Enfin, la Commission assortit son initiative d'une disposition législative qui tend à insérer un nouvel article 9 bis sur les toits solaires, dans la directive sur la performance énergétique des bâtiments. Afin de développer l'intégration de l'énergie solaire dans les bâtiments, elle demande aux États membres d'assurer le déploiement d'installations solaires sur divers bâtiments : pour les bâtiments publics et commerciaux de plus de 250 m2 de surface utile, l'obligation de toits solaires serait applicable dès 2027 pour le neuf et 2028 pour l'existant ; pour tous les nouveaux bâtiments résidentiels, ce serait dès 2030. Les États membres devraient aussi définir les critères nécessaires à la mise en oeuvre de ces obligations et prévoir les éventuelles exemptions pour certains types de bâtiments. Cette mesure doit permettre de contribuer à l'objectif retenu par la Commission d'accroître fortement les capacités de l'Union européenne en matière d'installations solaires d'ici 2030.

Les négociations sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » se sont déroulées sous présidence française et elles ont permis d'examiner les deux premières directives que je viens de mentionner. Durant ces négociations, le choix a été fait d'écarter les nouveaux objectifs ciblés que propose le plan REPowerUE, afin de ne pas compromettre et retarder l'adoption de positions de compromis au Conseil. Seul un point relatif aux procédures d'octroi de permis pour les projets d'énergies renouvelables a été intégré à la discussion. Les orientations générales, adoptées lors de la réunion des ministres de l'énergie, le 27 juin 2022, ont donc fait l'impasse sur les objectifs rehaussés, avancés par la présente proposition. Après le vote en séance plénière au Parlement européen sur ces deux textes, au mois de septembre prochain, les trilogues pourront débuter et permettront alors de débattre de ces nouveaux objectifs. Les discussions sur la refonte de la directive de 2010 sur la performance énergétique des bâtiments, présentée plus tardivement par la Commission, a fait seulement, quant à elle, l'objet d'un rapport sur les progrès réalisés lors du Conseil « énergie » du 27 juin dernier.

Nous tenons à indiquer que nous partageons les objectifs formulés par la Commission européenne dans le cadre du plan REPowerEU et que nous ne remettons nullement en cause l'importance et le rôle des énergies renouvelables dans la transition énergétique et climatique. La transition vers des sources d'énergies neutres en carbone, comme les renouvelables, et l'accélération de l'efficacité énergétique, telles que le propose ce plan, offrent indiscutablement des leviers pour s'affranchir de la dépendance aux combustibles fossiles russes et pour assurer la sécurité de l'approvisionnement énergétique de l'Union européenne.

Je me permets, Monsieur le Président, de donner la parole à notre collègue, Daniel Gremillet, qui va toutefois tempérer cet accord de principe.

M. Daniel Gremillet. - Plusieurs mesures adoptées par la Commission apparaissent, de fait, particulièrement volontaristes et interrogent sur le caractère réaliste et opportun de leur mise en application dans le contexte géopolitique actuel. En outre, en imposant des préférences technologiques pour certaines sources d'énergie à l'échelle de l'Union, la Commission néglige les spécificités nationales, notamment en termes de bouquet énergétique et d'adaptation de la structure des systèmes énergétiques des États membres aux enjeux de décarbonation.

De même, sans remettre en cause les objectifs de réduction des émissions de carbone et la trajectoire dessinée par l'Union européenne, force est de s'interroger sur le choix opéré par la Commission de rehausser davantage certains objectifs, plus particulièrement celui relatif aux énergies renouvelables, dont le relèvement était déjà proposé - je le rappelle - par le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », plutôt que de sécuriser leur réalisation, au vu de la diversité des situations initiales de chaque État membre dans le domaine énergétique.

Cette proposition de directive est-elle conforme au principe de subsidiarité, qui est indissociable de celui de proportionnalité ? En vertu de ces principes et aux termes des traités, les règles proposées par la Commission doivent, en effet, laisser aux États membres suffisamment de marges de manoeuvre pour atteindre les objectifs fixés en matière de transition climatique et énergétique, dans le respect de la spécificité de leur bouquet énergétique et du degré actuel de décarbonation de leur production d'énergie.

La conformité à ces principes de la proposition de directive COM(2022) 222, telle qu'elle est présentée, semble à ce titre discutable.

Pour fonder en droit, via ce texte, une nouvelle révision des trois directives évoquées, la Commission européenne invoque deux bases juridiques :

- d'une part, l'article 194, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui définit les compétences de l'Union européenne en matière énergétique. Il prévoit que l'Union peut agir, dans « un esprit de solidarité entre les États membres », pour assurer le fonctionnement du marché de l'énergie et la sécurité de l'approvisionnement énergétique, pour promouvoir l'efficacité énergétique et les économies d'énergie ainsi que le développement des énergies renouvelables et l'interconnexion des réseaux énergétiques. Toutefois, les mesures prises au niveau communautaire ne sauraient affecter le droit d'un État membre de déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique ;

- d'autre part, l'article 192, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui prévoit les procédures d'adoption par l'Union européenne des réglementations en vue de réaliser les objectifs de l'Union dans le domaine de l'environnement.

Depuis le traité de Lisbonne, en effet, ces dispositions spécifiques définissent clairement le cadre de l'intervention de l'Union européenne en matière énergétique et prévoient, pour cette intervention, la procédure législative ordinaire.

L'article 194 se borne par conséquent à définir les objectifs généraux de la politique énergétique de l'Union. Il prévoit, au service de ces objectifs, une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres, sans porter atteinte au droit d'un État membre de décider de son bouquet énergétique et de choisir les technologies utilisées. Ce droit, qui reconnaît la souveraineté énergétique des États, exige aussi que l'Union européenne garantisse une neutralité technologique entre les procédés ou les technologies. La politique énergétique européenne doit donc s'inscrire dans le respect de ces dispositions des traités.

Le respect de la neutralité technologique revêt, d'ailleurs, une importance particulière pour les pays qui disposent déjà d'une production d'électricité fortement décarbonée : il ne peut leur être imposé d'objectifs de diversification inadaptés à la structure même de leur système énergétique. La sortie des énergies fossiles constitue, en effet, une priorité incontestée de l'Union européenne, qui a pris toute sa dimension avec la crise ukrainienne, mais la politique européenne dans le domaine de l'énergie doit tenir compte de l'ensemble des sources d'énergie bas-carbone. À ce titre, l'énergie nucléaire et l'hydrogène bas-carbone constituent des alternatives qui doivent pouvoir être intégrées dans le choix des bouquets énergétiques qui ressort de chaque État membre.

L'adoption de mesures par l'Union dans le domaine de l'énergie doit donc respecter un équilibre permettant d'assurer des marges de manoeuvres aux États membres. Par conséquent, l'objectif d'une « élimination progressive de la dépendance en augmentant la disponibilité d'une énergie abordable, sûre et durable dans l'Union », pour reprendre les termes de la Commission, ne peut s'entendre sans prendre en compte l'ensemble des sources d'énergies décarbonées et ne peut légitimer la fixation d'une part trop élevée d'énergies renouvelables dans la consommation énergétique, car cela conduirait à remettre en cause le libre choix des États membres à déterminer leur bouquet énergétique.

Il faut aussi souligner que l'article 194 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, dans son paragraphe 2, insère une réserve - qui fait référence à l'article 192, paragraphe 2 - selon laquelle l'Union européenne ne pourra intervenir sur le choix des États membres en rapport avec leurs sources d'approvisionnement énergétique, sauf à l'unanimité et pour des raisons environnementales. Cette disposition renforce la souveraineté énergétique des États membres dans ce domaine. Or il apparaît que la Commission européenne n'a pas expressément retenu l'article 192, paragraphe 2, pour fonder sa proposition et que le texte présenté est soumis à la procédure législative ordinaire. Pourtant, le Tribunal de l'Union européenne a considéré, dans un arrêt du 7 mars 2013, que cet article est de nature à constituer la base juridique applicable dès lors que les mesures indiquées dans l'acte affectent « sensiblement le choix d'un Etat membre entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique ». Par conséquent, la procédure retenue par la Commission pour l'adoption de la présente proposition apparaît litigieuse et ne laisse pas suffisamment de flexibilités aux États membres dans l'exercice de leur souveraineté énergétique.

Nous voulons en outre souligner que cette proposition, pourtant jugée nécessaire et politiquement sensible par la Commission européenne, n'a donné lieu à aucune étude d'impact sur sa valeur ajoutée, notamment en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ni sur sa faisabilité, ni enfin sur sa conformité au principe de subsidiarité. Pourtant, l'effort demandé à certains États membres en matière de déploiement des énergies renouvelables est considérable. Il implique un niveau d'investissements, d'ici à 2030, équivalent à ce qui a été réalisé au cours des trente dernières années. Cela semble donc disproportionné au regard de la structure générale existante de leur approvisionnement énergétique.

De même, au regard de l'objectif du texte qui doit s'inscrire dans le cadre du Pacte vert pour l'Europe, aucune évaluation de l'impact carbone des technologies requises pour le développement des énergies renouvelables n'a été réalisée. Or, plusieurs de ces technologies sont produites en dehors du sol européen, à des conditions peu respectueuses de l'environnement, et leur importation nécessite un transport émetteur de carbone. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) indique ainsi, dans un récent rapport, que le monde dépendra presque entièrement de la Chine pour la production de panneaux solaires jusqu'en 2025.

Même si l'implantation de panneaux solaires sur les bâtiments présente un intérêt en termes de surface disponible et de conditions d'installations, cette disposition risque donc de favoriser de nouvelles dépendances européennes à l'égard de fournisseurs extra-européens de tels panneaux.

Par ailleurs, faute d'analyse d'impact, le seuil retenu de surface utile par la Commission pour le déploiement de ces installations sur les bâtiments neufs et existants ne fait l'objet d'aucune justification. Or, cette disposition tend à substituer une obligation de moyens à une obligation de résultats - à savoir, parvenir à ce que toutes les structures construites à partir de 2030 soient à émission zéro -, et donc cela revient à imposer aux États membres des choix technologiques. La décision d'y parvenir par l'implantation de panneaux solaires doit demeurer une option. La proposition de la Commission européenne ne respecte donc pas en l'état le principe de neutralité technologique prévu par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

En conséquence, plusieurs dispositions proposées par la Commission apparaissent disproportionnées au regard des objectifs de diminution de la dépendance aux combustibles fossiles importés et de réduction des émissions de CO2, et portent atteinte à la souveraineté des États membres dans la détermination de la structure générale de leur approvisionnement énergétique.

C'est dans cet esprit que nous vous soumettons la proposition de résolution portant avis motivé qui vous a été transmise.

M. Jean-Yves Leconte. -- Je remercie nos deux rapporteurs de cet exposé. Je souhaiterais soumettre à votre jugement plusieurs remarques.

Tout d'abord, avant le 24 février dernier, date de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, la notion de transition énergétique se confondait avec le fait de ne plus recourir à l'utilisation d'énergie fossile. La question de l'indépendance énergétique, en particulier par rapport au gaz russe, était alors une préoccupation qui n'était portée que par quelques pays de l'Union européenne. Au contraire, nombre d'États membres n'accordaient que peu d'importance à cette problématique. Elle s'est donc imposée à eux avec plus de surprise encore, au lendemain de l'invasion de l'Ukraine. Il s'agit d'ailleurs d'une préoccupation nouvelle pour l'Union européenne puisque toute sa politique énergétique a dû être repensée en conséquence.

Ensuite, je partage la philosophie qui vient d'être exposée par mes collègues, en particulier sur la nécessité de n'écarter aucune technologie. En la matière, la diversité doit être encouragée. Or, actuellement, nombre d'innovations ne bénéficient pas de l'environnement adéquat pour se développer. Je partage aussi le constat qu'en l'absence d'étude d'impact, nous n'avons à notre disposition aucune donnée fiable sur les conséquences d'une telle transition sur le système énergétique global.

Enfin, je rappellerais, d'une part, que la France est l'un des seuls États membres à ne pas avoir respecté ses objectifs en matière d'énergies renouvelables. Continuer dans cette voie peut nous être préjudiciable. D'autre part, si on examine les conséquences liées aux problèmes d'approvisionnement en gaz russe sur l'économie européenne, il apparaît que l'existence d'une solidarité entre les pays européens a des effets sur l'économie européenne et qu'à ce titre, un défaut de solidarité entre États membres peut multiplier les difficultés par six (voire dix).

Ainsi, au moment où l'indépendance énergétique devient primordiale, nous avons collectivement tout intérêt à développer la solidarité entre les États membres. C'est pourquoi plusieurs dispositions des traités européens doivent être analysées à l'aune de cette nouvelle préoccupation. Les États membres ne doivent pas demeurer isolés dans la détermination de leur mix énergétique.

Par conséquent, il serait inopportun de s'arcbouter sur des considérations nationales à l'heure où la solidarité énergétique doit primer. J'ajouterais, en outre, que nombre de panneaux solaires sont aujourd'hui produits en Chine. Pour renverser ce rapport de force et devenir indépendant sur ce type de filière, il est essentiel de disposer d'un marché européen suffisamment important pour relocaliser la production. À cet égard, je suis en faveur d'un développement rapide des industries liées aux énergies renouvelables sur le territoire européen : cette filière doit être relocalisée.

M. Jacques Fernique. -- Merci aux deux rapporteurs. Cette proposition de résolution conteste la légitimité de l'Union européenne à réviser -- ainsi que le propose la Commission européenne -- trois directives pour accélérer de manière coordonnée la transition énergétique de notre système traditionnel fondé sur l'exploitation des énergies fossiles et sur une très forte consommation d'énergie. Cette transition viserait à basculer progressivement vers un système plus économe, mobilisant les énergies renouvelables.

Par cette résolution, vous souhaiteriez que le Sénat estime qu'en l'espèce les principes de subsidiarité et de proportionnalité -- indissociables -- ne sont pas respectés. En l'occurrence, vous considérez que le texte examiné porte atteinte aux droits des États membres de décider souverainement de leur bouquet énergétique, et de choisir les technologies mobilisées. En clair, selon vous, la spécificité nucléaire française justifierait des objectifs plus réduits pour les énergies renouvelables, notre pays étant le seul à ne pas avoir atteint en 2020 son objectif national fixé en la matière. Je rappelle que seuls 19,5 % de la consommation finale brute ont été produits grâce aux énergies renouvelables contre 23 % fixés initialement.

Votre proposition de résolution estime que la forte part d'électricité nucléaire dans la consommation énergétique de notre pays rend illégitime la fixation « d'objectifs trop élevés quant à la part d'énergies renouvelables ». A cette affirmation, je répondrais simplement que c'est en toute légitimité que notre Parlement, en 2019 dans la loi « Énergie Climat », a fixé l'objectif pour notre pays d'atteindre d'ici 2030, 33 % d'énergies renouvelables dans sa consommation finale brute d'énergie et 40 % d'énergies renouvelables dans sa production d'électricité. Le rehaussement de ces objectifs dans ce contexte climatique et géopolitique nouveau est, selon moi, cohérent et n'apparaît pas plus disproportionné que les objectifs fixés en 2019.

Certes, les questions énergétiques figurent au niveau de l'Union européenne parmi les compétences partagées. Cependant, il est évident qu'au regard de l'ampleur et de la rapidité de la transition énergétique visée, les actions locales et nationales ne suffiront pas ! La solidarité européenne doit jouer, par sa capacité de coordination et d'incitation. Les objectifs climatiques de l'Union européenne, fixés pour 2030, sont des objectifs collectifs. La neutralité carbone, fixée pour 2050, est une ambition commune. L'action communautaire est inévitable. Chaque État doit, dans un élan collectif, exploiter ses capacités spécifiques pour atteindre un objectif commun. Telle est la réflexion que je souhaitais vous soumettre concernant le respect du principe de subsidiarité.

S'agissant du principe de proportionnalité, il est clair pour chacun que la situation que nous traversons était inimaginable il y a encore quelques années. L'invasion russe a mis en lumière notre fort degré de dépendance énergétique, notre vulnérabilité en cas de crise lorsque les contrats ne sont plus respectés et que les coûts de l'énergie augmentent. Tout cela traduit la nécessité d'une action urgente et coordonnée. Nul ne peut dire le contraire.

Dernière remarque, la résolution européenne proposée conteste, d'une part, ce qu'elle comprend comme une obligation à recourir à une technologie précise. Elle soulève, d'autre part, la dépendance du marché européen aux produits chinois. J'ai bien lu la proposition de directive, particulièrement son alinéa 24, et contrairement à ce qui vient d'être exposé, je n'ai pas trouvé d'obligation absolue de recourir aux panneaux photovoltaïques chinois qui empêcherait de fait le déploiement de matériels photovoltaïques européens.

Vous l'aurez donc compris, au nom de mon groupe, je voterai contre cette proposition de résolution. Nous demanderons sans doute ensuite un débat en hémicycle, car ce sujet le mérite !

M. Daniel Gremillet. -- Pour répondre aux propos de mes deux collègues, je pense, d'abord, que les traités européens nous laissent le choix du mix énergétique. Ce dernier n'empêche pas que le Parlement puisse définir sa propre stratégie. C'est ce que nous avons fait et c'est ce que nous ferons en 2023. Nous en débattrons au Parlement grâce notamment à la programmation pluriannuelle de l'énergie, qui nous offre l'opportunité de nous exprimer sur ce sujet déterminant.

Deuxième remarque, on se rend compte aujourd'hui que l'objectif que l'on s'était fixé en matière d'énergies renouvelables -- bien avant le conflit russo-ukrainien -- est fragile. L'état de rupture dans lequel nous nous trouvions au mois de décembre 2021, en raison des conditions climatiques défavorables, en témoigne. Il faut être très lucide sur ce sujet, nous avions, à cette époque, importé le maximum d'énergie que nous pouvions transporter, par la capacité des lignes existantes avec l'Allemagne notamment. C'est un problème de puissance énergétique : le renouvelable n'est pas pilotable ! C'est pourquoi il nous faut une « colonne vertébrale énergétique » -nucléaire, hydraulique...- pour nos concitoyens et notre économie.

J'en viens désormais au problème du gaz. La France a été jusqu'à présent exemplaire en la matière. Si l'on compare notre situation en matière de stockage par rapport à d'autres pays, l'exposition de la France vis-à-vis du gaz russe n'est que de 17 %. Le projet de loi « pouvoir d'achat 2022 », que nous examinerons jeudi, nous permettra d'adopter une configuration en vue d'intensifier nos capacités de stockage. Sur la question de la solidarité européenne, je me permets de rappeler que tous les États membres doivent fournir des efforts en la matière ! Cela ne serait pas juste que la France, pays le plus stockeur de tous les temps, soit le filet de sécurité de ses voisins. Il faut que chaque pays de l'Union investisse dans des infrastructures de stockage.

Concernant les panneaux photovoltaïques, je souhaiterais rappeler la fragilité de notre situation. Hier, nous étions dépendants de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), aujourd'hui nous le sommes de l'Asie. Nous sommes à la veille de l'industrialisation massive d'une énergie nouvelle, qui répond à deux objectifs : celui de décarboner nos économies et celui d'alimenter en électricité nos concitoyens et notre économie, en préservant le pouvoir d'achat de tous. Restons vigilants.

Enfin, je souhaiterais terminer mon propos en vous parlant de la question de la compétitivité-prix. Aujourd'hui nombre de familles peinent à supporter la hausse des prix. Mais cette réalité ne concerne pas que les particuliers : elle est aussi durement éprouvée par nos industries. Ne l'oublions pas.

M. Pierre Laurent. -- Effectivement, comme l'a rappelé Jean-Yves Leconte, la France et l'ensemble des pays européens sont confrontés à un double défi : celui de la décarbonation de nos économies et celui de la souveraineté énergétique. Évidemment, une évaluation nouvelle de ces enjeux s'impose. Je ne crois pas que l'avis que nous proposons conteste l'accélération de ces enjeux. Au contraire ! Nous ne remettons pas en cause les enjeux de solidarité européenne, à condition que ceux-ci se déclinent, comme vient de le rappeler Daniel Gremillet, de manière effective.

En revanche, nous interrogeons le rehaussement systématique des objectifs et l'imposition grandissante par l'Union européenne de choix technologiques -- en l'occurrence des « toits solaires ». Je ne pense pas du tout que la maîtrise de ses choix technologiques et le choix de son mix énergétique par chaque État membre soient contraires à l'atteinte des objectifs fixés. Je crois au contraire qu'associer étroitement les États membres est une condition sine qua non à l'atteinte par l'Union de ses objectifs. Dans le cas contraire, nombre de difficultés risquent d'apparaître. C'est pourquoi nous mettons en avant la spécificité nucléaire de la France, qui n'est d'ailleurs pas le seul pays à présenter cette structure énergétique particulière.

En outre, l'absence d'étude d'impact est un problème très sérieux. Par exemple, l'Union européenne annonce dans son plan une économie de près de 100 milliards d'euros par an sur les dépenses liées aux importations de combustibles fossiles. En guise de compensation, ce même plan prévoit un investissement de 300 milliards d'euros, mobilisés d'ici 2030. Les chiffres sont là, mais les explications sont absentes : nous ne savons rien de la manière par laquelle ces investissements seront déclinés ! Il n'existe à ce jour aucune évaluation réelle et crédible des conséquences de telles politiques. Pire encore, ces chiffres s'ajoutent à d'autres investissements considérables dont nous ne savons presque rien.

Ainsi, si l'on ajoute à cette problématique une absence totale de maîtrise par les États membres de leur politique énergétique, nous créerons inévitablement des problèmes supplémentaires. L'exemple que nous citons dans notre rapport qui concerne les panneaux solaires et l'éventuelle nouvelle dépendance que ce déploiement peut créer est à cet égard emblématique.

Pour conclure, dans l'avis que nous vous soumettons aujourd'hui pour examen, nous ne remettons pas en cause l'ambition proposée par les institutions européennes, mais bien la méthode adoptée. Nous souhaitons, en effet, que la manière dont sont associés les États membres sur la construction des objectifs soit repensée.

Mme Marta de Cidrac. -- Je voulais remercier nos deux rapporteurs pour leur travail, ainsi que pour leur position que je juge très équilibrée. Vos propos sont réalistes et lucides vis-à-vis des enjeux auxquels nous sommes tous confrontés.

Je souhaiterais revenir sur une remarque qui a été formulée par notre collègue, Jacques Fernique. Il n'est pas dit, en effet, que les panneaux solaires doivent être importés de Chine. Heureusement ! Mais nous devons prendre en compte la réalité du marché. Aujourd'hui, le seul pays à pouvoir déployer autant de panneaux photovoltaïques à l'échelle du continent européen est la Chine. Je ne porte pas de jugement de valeur à cela, mais les précautions prises par nos deux rapporteurs sont pertinentes.

M. Pierre Cuypers. -- Nous avons une chance formidable : celle de disposer d'un bouquet d'énergies en France évidemment, mais également en Europe. Selon moi, l'accent doit être mis sur la simplification. Nous perdons du temps à régler les causes du problème. Or, nous sommes aux prémices du développement de nouvelles technologies. La simplification s'impose pour accélérer la mise à disposition du panel d'énergies renouvelables dont nous disposons. Simplifions les procédures ; gagnons du temps ! Je souhaiterais que cela soit inscrit dans le rapport final.

M. Daniel Gremillet. -- Je vous remercie pour vos remarques. Comme cela a été rappelé par Marta de Cidrac, notre position me paraît en effet équilibrée. Le terme de « compétitivité » n'est pas un gros mot. Nous ne pourrons pas développer les énergies renouvelables si nos collectivités, nos entreprises et les particuliers ne parviennent pas à supporter l'investissement requis. La réalité économique nous rattrape souvent et nous rappelle à l'ordre. D'ailleurs, je tiens à rappeler que ceux qui pourront faire de la recherche technologique sont ceux qui disposent de la compétence industrielle sur leur territoire.

Pour répondre à Pierre Cuypers sur ce sujet de simplification, je rappellerais que pour une même question européenne, la politique énergétique mise en place par les États membres peut prendre beaucoup plus de temps d'un État à l'autre.

Enfin, sur la question du mix énergétique, il n'est pas question d'opposer le nucléaire, l'hydrogène et les énergies renouvelables. Seulement, il nous faut une « colonne vertébrale énergétique », composée de l'énergie nucléaire et de l'énergie hydraulique. L'ambition en matière d'énergies renouvelables n'est pas du tout remise en cause. Elle doit seulement parvenir à remplir le double objectif de compétitivité et de décarbonation de nos économies.

M. Jacques Fernique. -- Je souhaiterais rebondir immédiatement sur ce que vient de rappeler notre collègue, Pierre Cuypers, sur cette question de la complexité des procédures, variables entre les différents États européens, en matière d'énergies renouvelables. Je crois, pour avoir travaillé sur ce projet de directive, qu'il est nécessaire de mettre en place une approche européenne coordonnée pour raccourcir et simplifier ces procédures qui ralentissent le déploiement des énergies renouvelables. C'est précisément l'objet de la directive examinée.

M. Jean-Michel Arnaud. -- Merci à nos deux rapporteurs pour leur exposé, la qualité de leur analyse et leurs propositions. Au regard de l'expérience territoriale qui est la mienne, il est inenvisageable qu'il n'y ait pas à l'échelle européenne, à travers cette directive, de lignes directrices un peu fortes pour orienter la commande publique et les maîtres d'oeuvre, ainsi que ceux qui financent des programmes de diversification d'énergies. Il est impensable qu'on puisse voir un marché européen se structurer sur toute la filière sans coordination forte entre les États membres et sans volonté politique exprimée par l'Union européenne auprès de ces derniers. Je ne crois pas que cela soit contradictoire avec les enjeux de diversification et de consolidation, notamment de la spécificité nucléaire française. On peut à la fois consolider le nucléaire et former l'ensemble des professionnels des filières à la mise en place sur les bâtiments de panneaux photovoltaïques. Je crois que cette directive est importante pour envoyer un signal fort dans les territoires, et offrir les possibilités d'un marché européen structuré. C'est la raison pour laquelle je suis assez réticent vis-à-vis des réserves exprimées par nos deux rapporteurs et a contrario plutôt sensible aux arguments déployés par d'autres collègues qui pensent nécessaire de franchir une nouvelle étape en matière d'énergies renouvelables, attendue dans les territoires. C'est une nécessité stratégique pour la France dans l'Union européenne.

La commission adopte la proposition de résolution portant avis motivé disponible en ligne sur le site du Sénat.

Résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive (UE) 2018/2001 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, la directive 2010/31/UE sur la performance énergétique des bâtiments et la directive 2012/27/UE relative à l'efficacité énergétique, COM(2022) 222 final

Traduction législative du plan REPowerEU, présenté par la Commission européenne, le 18 mai 2022, la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil du 18 mai 2022, COM(2022) 222 final, tend à modifier la directive (UE) 2018/2001 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, la directive 2010/31/UE sur la performance énergétique des bâtiments et la directive 2012/27/UE relative à l'efficacité énergétique. La refonte ou la modification de ces textes sont déjà en cours d'examen, parallèlement, dans le cadre du paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».

Cette proposition de directive a pour objectif d'accélérer le déploiement des énergies renouvelables, de réduire la consommation énergétique et de renforcer l'efficacité énergétique dans l'Union européenne (UE), afin notamment de réduire rapidement la dépendance européenne aux énergies fossiles russes. À cet effet, il est prévu de :

- rehausser la part d'énergies renouvelables dans la consommation finale en 2030 de 40 à 45 % ;

- relever l'objectif global en matière d'efficacité énergétique d'au moins 13 % en 2030, par rapport au scénario de référence de 2020 ;

- permettre l'accélération du déploiement des énergies renouvelables en définissant des zones cibles et en accélérant les procédures d'octroi de permis pour les projets d'installations ;

- développer l'énergie solaire dans les bâtiments neufs et existants.

Vu l'article 88-6 de la Constitution,

Vu l'article 73 octies du Règlement du Sénat,

Le Sénat fait les observations suivantes :

- le contexte géopolitique né de la guerre en Ukraine et la forte dépendance énergétique de l'Union à l'égard de la Fédération de Russie renforcent, de manière urgente, la nécessité plus globale de garantir la souveraineté et la sécurité énergétiques de l'ensemble des États membres ; c'est pourquoi les objectifs du plan REPowerUE aptes à garantir cette souveraineté, dans le respect d'une neutralité technologique, méritent un plein soutien ;

- selon les traités, la politique de l'Union européenne dans le domaine de l'énergie vise, dans un « esprit de solidarité », à assurer le fonctionnement du marché de l'énergie et la sécurité de l'approvisionnement des États membres ainsi qu'à promouvoir l'efficacité énergétique et à développer les énergies renouvelables ; toutefois, la politique énergétique relevant des compétences partagées entre l'Union et les États membres, il convient d'examiner si l'objectif de l'action envisagée peut être mieux réalisé au niveau communautaire et si l'intensité de l'action entreprise ne se situe pas au-delà des mesures nécessaires à l'atteinte des objectifs que cette action vise à réaliser ;

- or, l'absence d'étude d'impact de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil du 18 mai 2022, COM(2022) 222 final, ne permet pas d'évaluer la proportionnalité des mesures proposées au regard des objectifs définis, des échéances fixées et des choix technologiques effectués ; aucune indication n'est, en effet, fournie sur la contribution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) des sources d'énergies renouvelables et donc sur celle de ces mesures aux objectifs du Pacte vert pour l'Europe, alors même que les efforts d'investissements demandés aux États membres sont considérables et interrogent d'ailleurs sur le caractère réaliste de la mise en oeuvre des propositions de la Commission ; la Commission a donc insuffisamment démontré la plus-value et la proportionnalité des mesures européennes qu'elle propose au regard des objectifs de transition énergétique et climatique ;

- le renforcement de l'objectif de part d'énergies renouvelables dans la consommation finale de l'UE, porté à un niveau élevé, et l'obligation envisagée d'installations solaires sur les structures bâties, tendent à remettre en cause le droit, garanti par l'article 194, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), d'un État membre de déterminer son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique ; ces mesures ne tiennent pas suffisamment compte des spécificités nationales, au regard de la composition du bouquet énergétique et du degré actuel de décarbonation de la production d'énergies dans les différents États membres ; elles impliquent une contrainte excessive dans la détermination du bouquet énergétique et prennent insuffisamment en considération l'ensemble des énergies décarbonées, telles que l'énergie nucléaire ou l'hydrogène bas-carbone, ainsi que les capacités d'innovation dans ce secteur ; elles tendent à restreindre les conditions d'exercice de la souveraineté des États membres dans le domaine de l'énergie et ne sont donc pas conformes, à ce titre, aux principes de subsidiarité et de proportionnalité ;

- la Commission européenne justifie son intervention sur le fondement des articles 192, paragraphe 1, et 194, paragraphe 2, du TFUE, sans se référer à l'article 192, paragraphe 2, point c, qui prévoit une décision du Conseil à l'unanimité pour prendre des mesures affectant sensiblement le choix d'un État membre entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique dans le domaine de l'environnement ; en conséquence, la base juridique choisie par la Commission et la décision de recourir à la procédure législative ordinaire ne l'autorisent pas à proposer que l'Union européenne prenne de telles mesures qui affectent sensiblement les choix des États membres entre différentes sources d'énergie et la structure générale de leur approvisionnement énergétique ;

- l'obligation d'installations de panneaux photovoltaïques sur les bâtiments publics et commerciaux ainsi que sur les bâtiments résidentiels neufs méconnaît le respect du principe de neutralité technologique, qui a été pourtant rappelé par le Conseil européen, le 19 décembre 2019, s'agissant des dispositifs utilisés pour concourir à la décarbonation de l'économie ; cette mesure revient à écarter expressément d'autres solutions technologiques renouvelables ou bas-carbone ; ainsi, elle substitue une obligation de moyens à une obligation de résultats en termes d'émissions de GES, initialement prévue dans le cadre de la refonte de la directive sur la performance énergétique des bâtiments ; par ailleurs, elle risque d'entraîner une situation de dépendance de l'UE à l'égard de productions extra-européennes compte tenu des délais imposés pour sa mise en oeuvre ;

Le Sénat estime, en conséquence, que la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil COM(2022) 222 final précitée ne respecte pas les principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Énergie, climat, transports - Suivi des négociations sur le paquet législatif « Ajustement à l'objectif 55 » : communication de Mme Marta de Cidrac et M. Jean-Yves Leconte

M. Cyril Pellevat, président. - Nous allons maintenant aborder le deuxième point de l'ordre du jour. Comme vous l'aurez compris, cette proposition de directive, dont nous dénonçons la non-conformité au principe de subsidiarité, vient durcir les objectifs énergétiques déjà ambitieux proposés dès l'hiver dernier par la Commission européenne dans le paquet « Fit for 55 ». Comme certains d'entre vous l'ont suggéré, je vous propose de revenir sur le déploiement de cette ambition globale, qui ne concerne pas uniquement le secteur de l'énergie, mais aussi celui des transports ou du logement. Nous en avions rapidement mesuré l'ampleur et c'est pourquoi nous avions mené avec deux commissions permanentes un travail conjoint l'hiver dernier, pour que le Sénat se positionne d'une seule voix avant la suspension de ses travaux fin février ; nous étions parvenus à nous accorder sur une proposition de résolution européenne lors d'une réunion le 24 février, jour dont chacun se souvient. La présidence française entendait faire avancer les négociations au Conseil sur l'ensemble du paquet et il est intéressant de faire aujourd'hui le point, cinq mois après l'invasion de l'Ukraine et un mois après la fin de cette présidence. Je cède la parole à Marta de Cidrac.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Nous nous proposons en effet de vous présenter un point d'étape sur les négociations en cours relatives au paquet « Ajustement à l'objectif 55 », compte tenu des orientations générales adoptées par le Conseil et des votes intervenus au Parlement européen.

Nous allons essayer de mettre en évidence les principaux points d'inflexion par rapport aux propositions initiales de la Commission européenne, ainsi que les éléments de prise en compte de la résolution européenne que nous avions adoptée ce printemps, à l'issue d'une procédure collaborative que vous avez rappelée entre notre commission, celle des affaires économiques et celle de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Compte tenu de l'ampleur du paquet, nous n'entrerons pas dans tous les détails, mais nous concentrerons sur les éléments essentiels.

En vue de cette communication, nous avons procédé à l'audition de deux représentants du Secrétariat général des affaires européennes, François Gibelli et Constance Deler. Nos collègues Daniel Gremillet et Jean-Michel Houllegatte ont participé à cette audition et auront peut-être des remarques complémentaires à l'issue de notre communication.

Pour mémoire, le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » présenté le 14 juillet 2021 comprend treize révisions législatives et nouvelles initiatives interdépendantes ainsi qu'une stratégie sur la forêt. Ce paquet a été complété le 15 décembre par des textes relatifs à l'énergie. Ainsi que l'ont évoqué nos collègues précédemment, il connaîtra des ajustements en cours de trilogue en fonction du nouveau plan intitulé « RePower EU », présenté par la Commission européenne le 18 mai 2022.

Le Conseil a adopté des orientations générales sur la plupart des textes présentés en juillet 2021, à des dates différentes en fonction des filières d'examen des différents textes :

- le 15 mars, il a adopté des orientations générales sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ;

- le 2 juin, le Conseil, dans sa formation « transports », a adopté des orientations générales sur les infrastructures pour les carburants alternatifs, et sur les textes RefuelEU concernant l'aviation et le maritime ;

- le 27 juin, il a adopté des orientations générales sur la révision de la directive sur l'efficacité énergétique et la révision de la directive sur les énergies renouvelables ;

- le 28 juin, le Conseil a adopté des orientations générales concernant les éléments centraux du paquet et quelques autres textes. Il a ainsi pris position sur le système d'échange de quotas d'émission de l'Union, sur la répartition de l'effort entre les États membres dans les secteurs non couverts par ce système d'échange de quotas d'émission, sur les émissions et absorptions résultant de l'utilisation des terres, du changement d'affectation des terres et de la foresterie, sur la création d'un fonds social pour le climat et, enfin, sur les nouvelles normes de performance en matière d'émissions de CO2 pour les voitures et les camionnettes.

Quelques textes n'ont pas pu faire l'objet d'orientations générales sous présidence française. Il s'agit, premièrement, de la directive sur la taxation de l'énergie, compte tenu de l'engorgement du Conseil « Ecofin », très mobilisé par l'examen des sanctions liées à la guerre en Ukraine ; deuxièmement, du texte relatif à la performance énergétique des bâtiments, présenté en décembre et qui a fait l'objet d'un rapport de progrès.

S'agissant du Parlement européen, l'examen des textes s'est révélé politiquement compliqué. Quelques rebondissements ont eu lieu, tant en commission qu'en séance plénière. Deux textes importants ont ainsi été rejetés début juin en plénière, ce qui a provoqué leur renvoi en commission. Des négociations complémentaires ont finalement permis de trouver un accord politique et les textes ont été adoptés le 22 juin. Il s'agissait de la réforme du système d'échange de quotas d'émissions et du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.

À l'issue de ces soubresauts, le Parlement européen doit encore prendre position en septembre sur la stratégie de l'Union en faveur des forêts à l'horizon 2030, sur les textes relatifs aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique, ainsi que sur la taxation des produits énergétiques et de l'électricité.

Cette situation permet de souligner la difficulté de négociation de ce paquet très large, ainsi que nous avions nous-mêmes pu le mesurer lors de l'examen de la position du Sénat.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Je voudrais mettre en évidence quelques modifications importantes adoptées par le Conseil : certaines parce qu'elles répondent directement à des observations que nous avions faites ; d'autres parce qu'elles illustrent quelques écarts notables par rapport aux positions adoptées par le Parlement européen.

S'agissant tout d'abord du système d'échanges de quotas d'émission, le Conseil souhaite conserver l'ambition générale de la Commission, qui proposait de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 61 % d'ici 2030 dans les secteurs couverts par ce mécanisme. Le Parlement européen se montre pour sa part plus volontariste, en affichant un objectif de réduction relevé à 63 % à l'horizon 2030. Le Conseil a par ailleurs confirmé la proposition de renforcer la réserve de stabilité du marché, ce qui nous était apparu important. Il a souhaité rendre automatique et plus réactif le déclenchement du mécanisme qui active la libération sur le marché de quotas issus de la réserve de stabilité du marché, en cas de hausse excessive des prix, ce qui paraît aller dans le bon sens.

Par ailleurs, le Conseil valide l'idée de créer un système d'échanges de quotas d'émission distinct pour les secteurs du transport routier et du bâtiment. Il s'agit d'un point politiquement très sensible et nous avions souligné les inquiétudes suscitées par ce projet.

Nous avions jugé que la proposition de la Commission n'était pas acceptable en l'état, le niveau des compensations et dispositifs d'accompagnement nous apparaissant incertain.

De fait, ce dossier a donné lieu à d'intenses négociations mais le principe même de ce système bis est désormais confirmé. La Commission proposait de le mettre en place à partir de 2026. Le Conseil a proposé d'en décaler l'application d'un an. La mise aux enchères des quotas interviendrait ainsi à partir de 2027 et leur restitution à partir de 2028, et ce tant pour les entreprises que pour les ménages. De son côté, le Parlement européen prône une application différenciée : à compter de 2026 pour les entreprises et de 2029 pour les ménages. Ce sera un point important des négociations à venir.

Deux textes emblématiques sont directement liés au système d'échanges de quotas d'émission : le fonds social pour le climat, destiné à soutenir les ménages, les micro-entreprises et les usagers des transports vulnérables pour compenser l'extension du système au transport routier et au bâtiment, ainsi que le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.

S'agissant du fonds social pour le climat, on aboutit à des écarts très nets de position entre le Conseil et le Parlement européen.

Premièrement, concernant le volume d'ensemble alloué à ce fonds : le Parlement européen souhaite au minimum maintenir le montant proposé par la Commission, soit 72,2 milliards d'euros sur la période 2025-2032, alors que le Conseil entend, d'une part, le réduire à 59 milliards d'euros et, d'autre part, supprimer l'obligation de co-financement national, qui serait rendu facultatif. Les personnes auditionnées ont souligné que ce niveau de 59 milliards d'euros avait été difficile à obtenir, les Etats frugaux ayant exprimé jusqu'à la fin des demandes beaucoup plus basses.

Je me permets de rappeler que la proposition de la Commission prévoyait initialement que le Fonds social pour le climat serait financé par 25 % des recettes liées à l'extension du marché carbone aux secteurs du bâtiment et du transport. Or, en l'espèce, on constate que la part allouée de ces recettes selon la proposition adoptée par le Conseil se situerait en dessous de 25 %. À partir du moment où l'on finance cette transition par le biais de ces marchés, la question est donc de savoir si les recettes générées doivent servir majoritairement à financer la transition ou à rembourser la dette contractée par l'Union pour financer l'instrument de relance Next Generation EU. Cette situation est donc problématique et les parlements nationaux devront suivre scrupuleusement l'évolution de ce fonds, particulièrement s'agissant de l'accompagnement des politiques co-financées.

Deuxièmement, les deux institutions divergent également sur le calendrier de mise en oeuvre du fonds : le Conseil prône une période de mise en oeuvre réduite, allant de 2027 à 2032, avec une éligibilité rétroactive des dépenses au 1er janvier 2026, alors que le Parlement souhaite qu'il se déploie en deux phases, de 2024 à 2027 puis de 2028 à 2032.

S'agissant du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, les différences sont également notables. Le Conseil a confirmé la proposition de mettre fin aux quotas gratuits pour les cinq secteurs proposés par la Commission, de manière progressive sur une période de dix ans, entre 2026 et 2035. Toutefois, alors que la Commission retenait un facteur de réduction linéaire, le Conseil retient un taux de réduction plus lent au départ, puis plus fort à la fin de cette période de 10 ans, afin de prendre en compte les nécessités d'adaptation de l'industrie. Cela répond ainsi à l'interrogation que nous avions exprimée sur cette trajectoire de réduction des quotas gratuits.

Le Parlement européen est sur une autre ligne. D'abord concernant le champ du mécanisme, puisqu'il souhaite étendre le mécanisme à tous les secteurs, après étude d'impact. Le Sénat avait à cet égard une position médiane, puisque nous avions proposé que des produits de base supplémentaires puissent être intégrés au mécanisme, sous réserve d'une étude d'impact approfondie et sous réserve que l'intensité carbone des produits importés puisse être correctement évaluée.

Le Parlement européen veut également déployer le mécanisme plus rapidement, d'ici 2032 au lieu de 2036, ce qui signifierait une réduction très rapide des quotas gratuits.

Enfin, nous avions souligné l'enjeu que représente la mise en oeuvre de ce mécanisme pour les entreprises exportatrices, qui se verraient pénalisées si la proposition de la Commission était suivie. A ce stade, le SGAE nous a indiqué qu'aucune solution n'avait été trouvée mais que les réflexions se poursuivaient. J'attire votre attention sur ce sujet : les entreprises qui produisent dans l'Union pourraient être soumises à des quotas qui ne seraient plus gratuits. La compétitivité des entreprises qui souhaiteraient exporter hors de l'Union européenne s'en trouverait alors fortement endommagée.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. -Je voudrais maintenant évoquer le règlement sur la répartition de l'effort entre les Etats membres dans les secteurs qui ne sont pas couverts par le système de quotas d'émission. Là encore, on observe des positions antagonistes entre le Conseil et le Parlement européen, même si aucun d'eux ne remet en cause la répartition globale des efforts proposée par la Commission. Le Parlement soutient une forte limitation des souplesses accordées aux États membres pour atteindre les objectifs nationaux, ainsi que la suppression de la réserve additionnelle de quotas en cas d'émissions inférieures à leur objectif entre 2026 et 2030, alors que le Conseil a la position inverse sur ces deux points.

Le Sénat s'était montré plus proche de la position du Conseil puisque nous avions soutenu le recours aux flexibilités, dans un contexte où la méthode de calcul retenue par la Commission ne prenait pas suffisamment en compte le rapport coût-efficacité.

S'agissant de l'utilisation des terres, le Conseil a validé l'objectif général d'absorption de carbone présenté par la Commission, c'est-à-dire 310 millions de tonnes d'équivalent CO2 en 2030, et a souhaité accroître les flexibilités dont disposent les Etats membres. Il a par ailleurs demandé à la Commission de présenter un rapport concernant l'inclusion, dans le champ d'application de ce règlement, des émissions de gaz à effet de serre autres que le CO2 provenant de l'agriculture ainsi que la fixation d'objectifs pour l'après-2030 dans le secteur de l'utilisation des terres.

Le Sénat a été partiellement entendu sur ce point, puisque nous avions souligné la nécessité de disposer d'évaluations précises de l'impact de la trajectoire proposée sur l'évolution de l'activité agricole.

Pour ne pas être trop longs, nous voudrions évoquer brièvement trois autres points qui nous ont été signalés comme marquant des inflexions significatives au Conseil, sur des sujets politiquement sensibles.

Le premier concerne la mise sur le marché des véhicules neufs, qui avait donné lieu à de nombreux débats, y compris au sein de nos commissions.

Le Conseil a accepté de relever les objectifs en matière de réduction des émissions de CO2 d'ici à 2030, à 55 % pour les voitures neuves et à 50 % pour les camionnettes neuves. Il a également approuvé l'objectif de réduction des émissions de CO2 de 100 % d'ici à 2035, pour les voitures et camionnettes neuves, ce qui signifierait donc la fin des véhicules thermiques à cette date, comme le proposait la Commission.

Toutefois, et c'est un point que le gouvernement juge un acquis particulièrement important de la présidence française, le Conseil demande à la Commission d'évaluer dès 2026, et non en 2028, les progrès réalisés vers l'atteinte des objectifs de réduction des émissions de 100 %, ainsi que le besoin de réexaminer ces objectifs en tenant compte des développements technologiques, y compris au regard des technologies hybrides rechargeables et de l'importance d'une transition économique viable et socialement équitable vers le zéro émission.

La référence aux technologies hybrides rechargeables constitue clairement une brèche dans laquelle la France, comme d'autres Etats membres, entend s'engouffrer pour obtenir des amodiations du texte. Cet apport des négociations au Conseil fait écho aux préoccupations que nous avions exprimées, puisque nous avions demandé la mise en place d'un régime dérogatoire et transitoire pour les véhicules hybrides jusqu'en 2040.

Le Parlement européen apparaît toutefois plus réservé. Il a proposé de durcir le texte de la Commission pour conditionner l'approche à l'égard de ces types de véhicules à l'obtention de données précises et complètes sur leurs performances en matière d'émissions.

Le Parlement européen et le Conseil demandent par ailleurs tous les deux le maintien d'une dérogation en faveur des « petits constructeurs ». Le Conseil a également adopté un considérant sur les carburants synthétiques, en réponse à une demande allemande, ce qui s'écarte cette fois du texte adopté par le Parlement européen.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. -Avant de continuer la présentation de nos travaux, je voudrais vous rappeler la réflexion sur les incendies qu'avait faite notre collègue Jean Bacci, lors de notre première réunion commune avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Il avait alors indiqué qu'en 2021, l'impact des incendies était évalué à 31 millions de tonnes d'équivalent CO2 relâchées dans l'atmosphère, et souligné que si ce scénario se reproduisait sur l'ensemble de la décennie 2020, cela correspondrait à l'objectif d'absorption défini dans le paquet « Ajustement à l'objectif 55 ». Compte tenu des incendies que nous subissons en 2022, cette remarque était malheureusement prémonitoire.

Le deuxième point concerne l'aviation. Le SGAE a appelé notre attention sur la position du Conseil concernant le texte ReFuel EU. Le Conseil a proposé de modifier la proposition de la Commission en étendant le champ des carburants durables et des carburants de synthèse pour l'aviation, en introduisant des flexibilités nationales et en demandant à la Commission des éléments d'évaluation concernant les fuites de carbone et les distorsions de concurrence, mais aussi l'utilisation future de l'hydrogène et de l'électricité. Le SGAE considère que la possibilité de recourir aux carburants bas carbone dans l'aviation constitue un acquis important de la PFUE.

Enfin, le dernier point concerne la directive sur les énergies renouvelables. Là encore, le texte de compromis du Conseil intègre une meilleure prise en compte des biocarburants avancés dans la part des énergies renouvelables fournies au secteur des transports, ainsi que des carburants renouvelables d'origine non biologique, c'est-à-dire principalement l'hydrogène renouvelable et les carburants de synthèse à base d'hydrogène.

Ce sont des points que la résolution européenne du Sénat avait mis en avant et l'on peut donc se satisfaire de leur prise en compte à cette étape.

Voici donc quelques éléments de synthèse des négociations en cours sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».

Les négociations en trilogue vont pouvoir débuter à la rentrée, sous présidence tchèque du Conseil, mais il n'est pas certain qu'elles aboutissent sous cette présidence.

Même si les fondamentaux portés par la Commission européenne n'ont pas été remis en cause, il reste de nombreux sujets de discussion, voire de divergences, entre le Parlement européen et le Conseil.

En outre, pour parvenir à des orientations générales sur un maximum de textes, la présidence française n'a pas souhaité prendre en compte, en cours de parcours, les nouveaux objectifs envisagés dans le cadre du plan RePower EU, qui devront donc être intégrés par la suite.

La guerre en Ukraine n'a pas conduit à remettre en cause la philosophie de ce paquet. Toutefois on voit bien qu'elle remet en cause notre rapport à la transition énergétique. Or, au regard des réalisations passées, on mesure combien la mise en oeuvre de ces mesures sera ardue. Rappelons en effet que la France n'a pas respecté, et de loin, son obligation d'atteindre son objectif de 23 % d'énergies renouvelables en 2020.

On sent aujourd'hui que la Commission européenne, au travers des divers plans nationaux qu'elle demande aux Etats membres, mais aussi au travers du Semestre européen, entend mener à bien un suivi très précis du déploiement de cette politique, qui doit être ambitieuse tout en restant réaliste.

L'accompagnement social et territorial de ce paquet sera un enjeu important des négociations à venir dans le cadre du trilogue. C'est un point que nous avions souligné dans notre résolution du printemps. Il reste plus que jamais d'actualité. Il faut aussi s'adapter aux nouvelles réalités que nous avions pressenties le 24 février et qui s'imposent désormais à nous. Je vous remercie.

M. Cyril Pellevat, président. -- Je voudrais saluer la présence à notre réunion des deux rapporteurs de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable : Denise Saint-Pé et Guillaume Chevrolier.

Je vais désormais céder la parole à Jean-Michel Houllegatte.

M. Jean-Michel Houllegatte. -- Permettez-moi également d'apporter quelques éléments sur le suivi des aspects relatifs aux transports dans les négociations sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».

D'abord, pour apporter quelques précisions aux propos de Marta de Cidrac, je rappellerais que le Conseil est parvenu, après de longues discussions, à un accord sur les émissions de CO2 des véhicules neufs qui devront être réduites de 100 % en 2035. Toutefois, à la demande de l'Allemagne et avec le soutien de l'Italie, une clause de révision en 2026 a été introduite pour tenir « compte des développements technologiques, y compris au regard des technologies hybrides rechargeables » et un considérant a été inséré pour permettre de prendre en compte la contribution des carburants de synthèse à la décarbonation du secteur routier. Seuls les constructeurs commercialisant moins de 10 000 véhicules par an (essentiellement les marques de luxe ou sportive) pourront bénéficier, jusqu'en 2036, d'une exemption de contraintes en matière de CO2. Je voudrais lever une ambiguïté en précisant qu'il ne s'agit pas de ce que l'on a appelé à un moment donné « l'amendement Ferrari », puisque Ferrari vend plus de 10 000 véhicules par an (11 135 en 2021). Cette exception concerne, en revanche, d'autres marques telles que Rolls-Royce, Aston Martin, Lamborghini ou McLaren. Cela dit, deux autres constructeurs qui vendent moins de 10 000 véhicules, à savoir Alpine (2 659 véhicules en 2021) et Lotus, se sont engagés à atteindre la neutralité carbone d'ici la fin de la décennie. En outre, la mesure exempte totalement de ces contraintes les constructeurs qui vendent moins de 1 000 véhicules par an : Bugatti figure parmi les marques les plus connues.

En ce qui concerne les autres textes, et notamment la proposition de règlement fixant des objectifs contraignants de déploiement des infrastructures de carburants alternatifs pour chaque mode de transport, des souplesses ont été introduites s'agissant des routes les moins fréquentées, notamment en matière de puissance de recharge disponible. S'agissant de la proposition de règlement REFuel EU Maritime, qui traite de l'utilisation de carburants renouvelables et à faibles émissions de carbone dans les transports maritimes, les modalités de calcul de l'intensité carbone de l'énergie utilisée à bord des navires ont été renforcées, afin d'éviter des contournements du règlement.

Enfin, s'agissant du règlement REFuel EU Aviation, qui vise à l'utilisation de carburants durables dans l'aviation, le Parlement européen s'est prononcé le 7 juillet dernier et a proposé de revoir à la hausse les objectifs de la Commission concernant la part de carburants durables dans ce secteur - de 32 % à 37 % en 2040 et de 63 % à 85 % en 2050 -. Le Parlement européen a également assoupli la définition des carburants durables, proposée par la Commission, en y incluant le carburant produit à base de carbone recyclé dans le cadre de productions industrielles mais en excluant les biocarburants fabriqués à partir de cultures destinées à l'alimentation humaine ou animale -- notamment l'huile de palme.

Voilà, mes chers collègues, quelques points sur l'état des négociations du volet « transports » du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » que je souhaitais porter à votre connaissance.

M. Cyril Pellevat, président. -- Merci beaucoup cher collègue.

M. Pierre Laurent. -- L'annonce simultanée au Conseil de l'ouverture d'un deuxième marché carbone -- qui soulève de nombreuses interrogations au regard de ses conséquences sur l'habitat social collectif -- et le rétrécissement spectaculaire du Fonds social pour le climat, tel que le propose le Conseil, est particulièrement problématique. Ce dernier -- dont le budget serait diminué de 72 milliards d'euros avec cofinancement des États à 59 milliards d'euros sans cofinancement obligatoire des États -- avait pourtant été conçu dès le début comme le moyen d'amortir le choc social de cette transition.

Il est temps de changer notre niveau d'analyse : l'important n'est plus aujourd'hui d'adopter une analyse critique des objectifs fixés par la législation européenne, mais bien une analyse concrète des trajectoires décidées, pour évaluer leurs conséquences sociales ainsi que leur acceptabilité. Cette remarque vaut par exemple pour l'habitat, évoqué précédemment, mais aussi pour la problématique des véhicules qui nécessite la mise en place de nombreux aménagements. L'évaluation plus précise des conditions de réalisation de ces objectifs est une condition sine qua non à la tenue de débats efficaces. Les exigences industrielles et de financement, inhérentes à ces transitions, doivent elles aussi être abordées de manière concrète. Nous devons nous montrer plus proactifs dans la détermination de stratégies nationales, a fortiori compte tenu du contexte géopolitique actuel. L'énergie est aujourd'hui un sujet hautement « inflammable », en passe de devenir un véritable sujet du quotidien. Nous devons anticiper les questionnements de nos concitoyens et les informer des enjeux futurs auxquels tout un chacun sera confronté.

Le Sénat devrait créer des missions d'informations sur ces sujets, pour décrire les conséquences concrètes des transitions à venir.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. -- Je tiens d'abord à remercier notre collègue Jean-Michel Houllegatte pour avoir utilement apporté des précisions que nous n'avions pas eu le temps d'évoquer dans notre communication.

Par ailleurs, comme l'a justement rappelé Jean-Yves Leconte, il a été difficile de parvenir à un équilibre entre les positions du Conseil et celles du Parlement, s'agissant du fonds social pour le climat. Sans doute est-il regrettable de proposer de réduire le budget de ce dernier de 72 à 59 milliards d'euros. Quoi qu'il en soit, nos parlements nationaux doivent rester extrêmement attentifs aux évolutions de ce fonds.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. -- Je partage la plupart des inquiétudes qui ont été évoquées aujourd'hui. L'ensemble des échanges de quotas d'émission vont avoir un impact de plus de 200 milliards d'euros sur l'activité économique européenne, et seul un quart des recettes de l'extension du marché carbone sera reversé pour l'accompagnement social. Le reste des sommes servira à rembourser la dette européenne.

En définitive, nous nous fixons des objectifs, sans être véritablement informés des conséquences concrètes des mesures adoptées. Il est aujourd'hui indispensable que nous développions des études d'impact plus sérieuses, notamment sur le bilan environnemental de la voiture électrique et sur les biocarburants. Il faut apprendre le doute. Si nous continuons à avancer en somnambule, alors que le monde change ainsi que les données dont nous disposons, l'objectif de faire de l'Europe un continent exemplaire en matière énergétique ne pourra pas être atteint. Je le répète, nous ne parviendrons pas à cet objectif si nous ne parvenons pas à donner à la société confiance dans cette transition.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. -- En effet, il convient de ne pas confondre réalisme et ambition. L'exemple du potentiel abandon dans un avenir proche des voitures hybrides constitue un exemple typique de cet arbitrage. Ce que vient de dire Jean-Yves Leconte illustre parfaitement la contradiction dans laquelle on risque de verser ; faisons attention à cela.

M. Cyril Pellevat, président. - Mes chers collègues, il est temps de rejoindre l'hémicycle pour les questions d'actualité au Gouvernement. Nous nous retrouverons en commission fin septembre, juste avant l'ouverture de la session ordinaire d'octobre. Je vous remercie.

La réunion est close à 15 heures.