Mardi 18 octobre 2022

- Présidence de M. Bernard Delcros, vice-président -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Audition de Mme Marie-Anne Barbat-Layani, candidate proposée par le président de la République aux fonctions de présidente de l'Autorité des marchés financiers (AMF)

M. Bernard Delcros, président. - Nous recevons aujourd'hui, en vertu de la loi organique du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, Madame Marie-Anne Barbat-Layani, dont le Président de la République propose la nomination aux fonctions de présidente de l'Autorité des marchés financiers (AMF).

Le mandat de M. Robert Ophèle, que nous avions entendu le 6 juillet dernier pour qu'il nous expose notamment le bilan de son action à la tête de l'AMF, a en effet expiré fin juillet. Je rappelle que la présidence de l'AMF correspond à un mandat non renouvelable de cinq ans.

Comme vous le savez, l'AMF est une autorité publique indépendante qui a pour mission de veiller à la protection de l'épargne investie en produits financiers, à l'information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés.

Vous avez reçu le curriculum vitae de Mme Barbat-Layani, que je vais inviter à nous exposer les raisons ayant motivé sa candidature et ce qu'elle entend proposer pour l'exercice du mandat qui lui serait confié. Puis j'inviterai notre rapporteur désigné pour cette audition, Albéric de Montgolfier, à lui poser les premières questions. Enfin, j'ouvrirai le débat. À l'issue de cette audition, nous procéderons au vote sur cette nomination.

Les délégations de vote ne sont pas autorisées et seuls les sénateurs présents physiquement pourront prendre part au vote, à bulletin secret.

En vertu du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs exprimés dans les commissions des finances des deux assemblées représentait, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Mme Barbat-Layani a été entendue la semaine dernière par la commission des finances de l'Assemblée nationale, et le dépouillement simultané aura lieu demain matin à 9 heures. Rémi Féraud et Marc Laménie, secrétaires du bureau, m'assisteront pour ce dépouillement comme scrutateurs. Les résultats seront donc connus demain matin.

Mme Marie-Anne Barbat-Layani, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente de l'Autorité des marchés financiers. - Comme vous venez de le rappeler, le Président de la République m'a fait l'honneur d'envisager de me nommer présidente de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Votre commission doit se prononcer sur cette nomination conjointement avec celle de l'Assemblée nationale, qui m'a auditionnée la semaine dernière. Cette procédure montre l'importance de la fonction, mais aussi de la relation institutionnelle directe entre l'AMF et la représentation nationale. Il importe que cette relation soit fondée sur la confiance.

Si vous confirmez ma nomination, je vous rendrai compte de l'action de l'AMF, qui entretient une relation très étroite avec le Sénat, et j'aurai aussi l'occasion d'évoquer avec vous les sujets plus précis qui comptent parmi vos préoccupations. Je connais notamment l'attachement du Sénat à la protection des épargnants, première mission de l'AMF.

Mes propos liminaires viseront principalement à préciser la vision que j'ai de cette institution et à présenter ce qui, dans mon parcours, a pu m'aider à construire cette vision et me donner les moyens de la mettre en oeuvre. Je ne reviendrai donc pas en détail sur mon parcours professionnel, entamé il y a plus de trente ans, sauf pour étayer mes convictions.

Fondamentalement, le président de l'AMF incarne l'institution, en assoit la puissance et la crédibilité, et exerce à bon escient ses pouvoirs au service d'objectifs clairs. Il ne doit pas agir seul, mais s'appuyer sur son collège, le secrétariat général et les équipes de l'AMF, tout en sachant in fine assumer ses responsabilités. Le président doit rendre compte de son action au Parlement et remettre un rapport annuel au Président de la République ; c'est non seulement légitime mais c'est aussi nécessaire pour agir à bon escient. Ensuite, il doit développer le dialogue avec la société civile, représentée au sein des commissions consultatives et du comité scientifique. Enfin, il doit désormais trouver le moyen de parler simplement et efficacement à des publics nouveaux, particulièrement vulnérables, notamment les jeunes. Il s'agit là d'une conviction profonde : non seulement tout citoyen doit avoir accès à l'éducation financière, mais l'AMF doit également poursuivre et adapter ses efforts en matière de pédagogie et de communication. Le rôle du président, tel que je le conçois, sera de pousser le plus loin possible l'accessibilité des objectifs dont il a la charge à tout le public concerné.

La finance ne doit en effet jamais se satisfaire d'être un monde d'experts ; or, elle a parfois tendance à s'y complaire. Les sigles et les termes anglo-saxons laissent au bord de la route la plupart d'entre nous et en particulier ceux qui auraient le plus besoin de comprendre ce dont il est question. L'AMF doit continuer à être une boussole reconnue et crédible : elle doit en permanence définir des points d'équilibre entre plusieurs objectifs en apparence contradictoires : l'innovation et la protection ; la sécurité et le rendement ; l'exhaustivité et la pertinence de l'information, ainsi que sa lisibilité ; la compétitivité de la place financière et la protection des épargnants et des investisseurs.

En tant qu'autorité de contrôle et régulateur de marché, l'AMF remplit un rôle aussi traditionnel que fondamental dans trois domaines : la protection des épargnants, la transparence des marchés et le financement de l'économie.

La protection des épargnants est le premier objectif, tout simplement parce que tout le monde n'est pas à égalité face à l'information. C'est donc en soi un sujet majeur dans un univers économique et financier qui est pour le moins incertain. À cet égard, l'AMF peut être amenée à gérer des crises, une situation que j'ai connue à trois reprises dans mes précédentes fonctions.

Deuxièmement, concernant la transparence des marchés, nous disposons d'instruments puissants. Mais encore faut-il savoir où se trouvent les marchés, où se passent les transactions et quelle peut être l'incitation à investir - elle peut aujourd'hui passer par les réseaux sociaux. On est donc là hors de l'univers classique dans lequel nous intervenons habituellement.

Troisième objectif, le financement de l'économie, qui nécessite une grande vigilance dans le contexte actuel d'endettement élevé des acteurs, alors que les taux d'intérêt remontent, et d'inflation élevée, qui écrase les rendements. Cette inflation peut conduire à une recherche parfois dangereuse de rendements sur des produits plus risqués et elle peut aussi amener à plus de court-termisme, et donc poser des problèmes pour répondre aux besoins de long terme, qu'il s'agisse de nos infrastructures, de notre modèle social ou de la transition écologique.

Au-delà de ces trois enjeux traditionnels de l'AMF, d'autres sont apparus. Les risques qui pèsent sur l'intégrité des marchés, faits d'asymétrie d'informations et d'arnaques et de fraude, sont importants. Il nous appartient dès lors d'identifier le plus rapidement possible les lieux visés et de mettre au point une action efficace contre ces pratiques. Un enjeu plus nouveau a trait à la protection des données personnelles et à la cyber sécurité. On s'aperçoit aussi qu'il peut y avoir des tensions entre la protection des données et l'efficacité de la sanction des régulateurs. Quant à l'innovation, elle doit être encouragée et accompagnée, mais aussi efficacement encadrée.

Le verdissement réel de la finance est l'un des grands objectifs sur lequel l'AMF s'est beaucoup investie depuis 2019. Elle dispose pour ce faire d'outils importants, qui passent aussi par la réglementation européenne.

Les enjeux d'égalité professionnelle et de la diversité dans le monde financier sont aussi des enjeux non pas nouveaux mais que nous devons développer pour mieux refléter la société et éviter des fuites vers d'autres univers moins régulés.

Le dernier enjeu, le plus difficile, est d'obtenir la confiance des épargnants et du grand public, à l'heure des fake news et de la décrédibilisation généralisée de la parole des experts. Je n'ai pas forcément de réponse à ce sujet, mais notre action devra s'exercer dans ce contexte. L'AMF doit savoir sanctionner lorsque cela est nécessaire, la sanction ayant aussi un aspect dissuasif, et elle doit veiller à renforcer constamment la sécurité juridique de son action et la performance de ses outils, notamment numériques.

Autre défi important, l'AMF doit disposer des moyens, notamment humains, de mener à bien ses missions. Les enjeux budgétaires existent mais l'enjeu majeur est selon moi un enjeu de ressources humaines. On peut se fixer un programme ambitieux et adapté aux besoins des épargnants, des marchés et du financement de l'économie, mais si on n'a pas les équipes et pas le dialogue social pour aboutir à des compromis, on n'arrivera pas à grand-chose. L'un de mes principaux enjeux en tant que présidente sera de réfléchir et de travailler à la mobilisation des équipes ainsi qu'à l'exemplarité interne, l'un des leviers les plus puissants pour y parvenir.

Je suis également convaincue que l'AMF doit accompagner la place financière française et la tirer vers le haut. Les meilleurs financiers sont ceux qui savent qu'un gendarme sévère, mais juste et compétent, est à terme la meilleure garantie de pérennité et de développement d'une place financière. C'est le choix qui a été fait sur la place de Paris, et il nous appartient maintenant de convaincre ceux qui n'y croient pas. Nous avons les moyens de le faire et d'imposer ce choix stratégique, qui est un choix de moyen et de long terme. C'est d'autant plus important que le Brexit a ouvert de réelles opportunités de développer ces activités financières, non pas pour elles-mêmes, mais pour s'assurer que nous avons en France les moyens de drainer notre épargne abondante vers le financement prioritairement de nos acteurs et d'assurer l'attractivité et la soutenabilité de notre économie, ainsi que la localisation des centres de décision sur notre territoire, et in fine, d'assurer notre souveraineté.

L'attractivité ne peut se faire au détriment de l'intégrité. La tentation, réelle ou supposée, est celle d'une compétition vers le moins-disant réglementaire, même si je ne crois pas à cet argument de vente pour les places financières. Nous pouvons faire prévaloir une approche de long terme, protectrice, soucieuse d'intégrité et qui nous permet d'ailleurs d'être aux avant-postes en matière de finance verte.

Pour terminer, j'insisterai sur l'importance de la crédibilité de l'AMF en Europe et à l'international, notamment pour peser dans les batailles réglementaires, dont j'ai appris à comprendre les enjeux concurrentiels. Il arrive en effet que derrière une virgule, une phrase manquante dans une directive européenne, on favorise ou on défavorise tel ou tel modèle économique ou financier. Nous devons donc être très vigilants : il faut non seulement savoir lire entre les lignes mais aussi nous battre avec des armes inhabituelles.

L'AMF dispose d'une grande crédibilité dans les cénacles européens et internationaux, pourtant encore largement dominés par le monde anglo-saxon. J'aurai à coeur de maintenir et de développer cet atout, que nous devons largement à Robert Ophèle. La crédibilité s'acquiert avec le temps, la fiabilité, la transparence, la compréhension des enjeux, la capacité à négocier des compromis. Cela passe aussi par l'affirmation de nos spécificités. Défendons nos objectifs sans présupposer qu'ils soient compris et connus, voire partagés. Je veillerai à travailler en ce sens.

M. Bernard Delcros, président. - Je vous remercie de ce propos liminaire très clair, qui marque les futures lignes directrices de votre mission, si vous êtes retenue aux fonctions de présidente de l'AMF.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Merci de vos propos introductifs sur votre parcours et votre vision ; ils répondent déjà à un certain nombre de questions. Votre expérience dans les secteurs privé - au Crédit Agricole - et public - à la direction générale du Trésor et, de 2014 à 2019, à la direction générale de la Fédération bancaire française (FBF) - est riche et vous qualifie pour ce poste. Toutefois, la question d'éventuels conflits d'intérêts va immanquablement se poser. Par exemple, les normes professionnelles des établissements membres de la FBF sont définies pour partie par l'AMF, par le biais de son règlement général. Comment pensez-vous répondre et prévenir tout conflit d'intérêts ? La collégialité est-elle suffisante alors que le président de l'AMF dispose d'une autorité particulière ? La composition du collège de l'AMF devrait-elle être revue pour équilibrer les intérêts représentés en son sein ? C'est toujours un sujet par définition extrêmement complexe : on souhaite désigner des personnalités qualifiées, mais on souhaiterait aussi qu'il n'y ait aucune apparence de conflits d'intérêt. Ce qui importe dès lors, c'est de prévenir l'apparition de ces conflits.

J'en viens à trois questions sur les missions de régulation de l'AMF.

Le contexte d'inflation et de forte volatilité sur les marchés conduit un grand nombre d'épargnants à se tourner vers des produits plus exotiques ou vers des actifs peu régulés ou encore à écouter les influenceurs. Comment mieux protéger les épargnants qui peuvent être tentés par des produits plus risqués mais dont ils ne maîtrisent pas forcément le fonctionnement ? Comment transmettre des informations fiables et normalisées, alors que les épargnants sont noyés sous un flot d'informations ? Quel point d'équilibre faut-il trouver entre l'innovation, qui est nécessaire pour ne pas amoindrir la compétitivité de la place de Paris, et la protection, qui est la mission première de l'AMF ?

Par ailleurs, les conséquences du Brexit sur la régulation des marchés financiers sont importantes : le Gouvernement et le régulateur britanniques annoncent régulièrement vouloir simplifier les règles et les normes qui pèsent sur la City. Quel est, selon vous, le bon dosage entre protection des épargnants et recherche de compétitivité pour la place de Paris ? Que signifie une approche « non naïve » de l'effet des normes sur les acteurs ? Comment envisagez-vous l'articulation entre la supervision nationale et l'Autorité européenne des marchés financiers (Esma) ?

Enfin, des décisions de justice récentes, y compris de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), ont remis en cause un certain nombre de prérogatives des agents de l'AMF, concernant par exemple les « fadettes » et les droits de visite et de saisie. Ces décisions conduisent de fait à réduire considérablement les pouvoirs d'enquête de l'AMF, s'agissant notamment de la poursuite des délits d'initiés. La commission des sanctions servira-t-elle encore à quelque chose en l'absence de ces pouvoirs ? Faut-il faire évoluer la réglementation ?

Mme Marie-Anne Barbat-Layani. - La première question est fondamentale. Mon parcours peut certes interroger, même s'il n'a rien d'original. Je vais aborder ma trentième année de carrière, dont plus de vingt ans consacrés au secteur public, où j'ai eu à travailler sur la régulation, au sein de la direction générale du Trésor et de l'Inspection générale des finances (IGF). Mais j'ai aussi exercé mes activités dans le secteur privé, ce qui me donne une expérience et une compétence pour expertiser et contre-expertiser les éléments qui pourront être avancés par un certain nombre d'interlocuteurs.

Depuis l'origine, l'AMF, et ses deux ancêtres la Commission des opérations de bourse (Cob) et le Conseil des marchés financiers (CMF), ont toujours voulu engager un dialogue avec le secteur privé. Il s'agit de prendre la bonne distance par rapport à un secteur régulé, dont il faut cependant connaître et comprendre les contraintes. Une régulation ne peut fonctionner que si elle intervient au bon endroit, à bon escient et en tenant compte de ces contraintes, y compris techniques, je pense par exemple aux systèmes d'information.

Pour ce qui est des conflits d'intérêts, un seul conflit d'intérêts juridiquement direct me concerne à ce jour : j'exerce un mandat pour le compte de l'État dans la banque Dexia. Si je suis retenue pour la présidence de l'AMF, je démissionnerai évidemment de ce mandat. Et si Dexia posait des questions à l'AMF, je ne pourrais pas me prononcer : c'est un cas clair de déport absolu.

Se pose ensuite une question plus complexe, celle de la théorie des apparences, qui va au-delà des conflits d'intérêts directs et manifestes prévus par la loi. Comment faire en sorte que les décisions de l'AMF ne puissent pas être considérées comment ayant été influencées par mon parcours professionnel ? La réponse est plurielle.

D'abord, l'AMF est fondamentalement une instance collégiale. Les décisions de l'AMF sont préparées par différents services. Le travail est donc collégial, même si le président détient effectivement des pouvoirs propres, qui appelleront de ma part la plus grande vigilance. L'identification des conflits d'intérêts potentiels est systématique, y compris concernant le président. Grâce à la franchise du dialogue, la collégialité évite des décisions inadaptées et, si des questions restent litigieuses, la personne chargée de la déontologie peut intervenir. La prévention demeure dans tous les cas indispensable.

Concernant les questions de fond que vous avez évoquées, le contexte d'inflation et de volatilité peut en effet inciter les épargnants à se tourner vers des produits exotiques, risqués, ou à écouter davantage les influenceurs sur internet. Comment mieux les protéger sans pour autant tuer l'innovation ou mettre la place de Paris en retrait ? Comment peut-on mieux normaliser l'information ? C'est effectivement un point important, avec une gradation des réponses possibles.

Face à des produits trop dangereux - options binaires, trading sur le Forex, etc. -, il faut tout simplement prononcer des interdictions. D'autres produits se situent davantage « au milieu du gué », c'est le cas des cryptoactifs. Je suis très admirative de l'approche retenue par l'AMF, qui a décidé d'introduire une forme de réglementation, avec un dispositif d'enregistrement et d'agrément pour les prestataires de cryptoactifs. Elle était la seule à l'époque à le faire même si aujourd'hui le règlement européen est largement inspiré du dispositif mis en place par la France. Ce pari n'avait pourtant pas été unanimement salué à l'époque. Il s'avère finalement que la prise de risque était justifiée, car il s'agit de pratiques bien réelles. Ce sont souvent les jeunes qui placent de l'argent dans les cryptoactifs ; ils sont donc moins aguerris et ne s'identifient peut-être pas eux-mêmes comme épargnants et comme pouvant bénéficier à ce titre d'une protection. Dans la mesure où il s'agit bien d'actifs financiers, les opérateurs qui veulent intervenir sur notre territoire doivent être enregistrés, voire agréés.

Quid des influenceurs ? Il n'existe pas de réglementation du métier, les influenceurs ne pouvant pas entrer dans la catégorie des conseillers en investissement. La plupart d'entre eux parlent en effet de tout un ensemble de sujets et « au passage », souvent moyennant rémunération, font de la publicité pour des produits financiers, sans le dire et sans préciser qu'ils sont rémunérés pour cela - d'où l'idée d'intervenir en partenariat avec la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Il convient donc d'essayer de faire progresser la transparence, ce qui passe par une action conjointe avec l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Cela passe aussi par l'exercice d'un pouvoir de sanction, qui n'appartient pas à l'AMF, mais qui peut se faire en mobilisant la DGCCRF - il existe déjà un précédent. Mon actuelle collègue qui dirige la DGCCRF m'a rappelé qu'il serait utile de refaire une convention ou un protocole entre la DGCCRF et l'AMF, ce à quoi je m'attacherai. Il serait également utile de collaborer un peu plus directement avec l'Autorité nationale des jeux (ANJ). Par ailleurs, il faudrait également songer à s'adjoindre les services d'experts plus jeunes et connaissant bien les réseaux sociaux.

En matière d'information, nous disposons de prospectus exhaustifs, voire trop exhaustifs. Une fiche d'information synthétique simplifiée a été mise en place au niveau européen sur beaucoup de produits. Nous pourrions aussi nous tourner du côté des sciences comportementales pour communiquer plus efficacement sur des sujets de base. Il s'agit, par exemple, de bien faire comprendre qu'il n'y a pas de rendement sans risque. Cela rejoint la question de l'éducation financière. Les institutions publiques, notamment la Banque de France, sont beaucoup montées en puissance dans ce domaine. Il est important que tous les Français puissent avoir un minimum d'informations et de bagage sur sujet, a fortiori quand ils n'ont pas beaucoup d'argent. Il faut savoir aller les chercher au bon endroit, d'abord par le canal scolaire, mais pourquoi pas ensuite, et pour nous aussi, par les canaux d'influence. Il faut en tous les cas que l'on progresse sur les différents canaux de communication que nous pouvons utiliser.

J'en viens à la question des conséquences du Brexit sur la régulation des marchés financiers, avec le risque d'une compétition basée sur le moins-disant réglementaire. En tout état de cause, il faut savoir utiliser sa puissance. L'Union européenne est un énorme marché, notamment parce que l'épargne y est extrêmement abondante. Il faut que nous soyons vigilants dans toutes les discussions qui vont avoir lieu, y compris celles qui concernent des sujets en apparence très techniques comme les équivalences. Jusqu'à présent, le Royaume-Uni était soumis aux mêmes textes que nous. Je ne soupçonne pas du tout a priori la place financière de Londres, qui est l'une des trois plus grandes places financières mondiales, de vouloir prendre des risques excessifs et de prendre le risque de se retrouver dans les situations qu'ont pu connaître les autres places financières, avec des défauts d'intégrité ou des canaux de financement reposant sur du blanchiment de capitaux, voire sur le financement du terrorisme. Ce n'est pas l'intérêt d'une grande place financière et il me semble que la place de Londres en est pleinement consciente. Néanmoins, le diable étant dans les détails, il faudra bien s'assurer que nous sommes dans une stricte équivalence, d'autant que la CJUE n'aura plus l'occasion de trancher les différends éventuels.

Il faudra donc être présent auprès de la Commission européenne et s'assurer qu'il n'y a pas de distorsion de concurrence liée à une phrase manquante, à une virgule, voire à une nuance de traduction, comme j'ai pu le voir dans certains domaines quand j'étais attaché financier à Bruxelles...

L'Europe, qui représente un marché important, doit pouvoir affirmer son objectif. Depuis l'origine, la réglementation financière européenne est particulièrement protectrice - c'est sa marque de fabrique, en partie liée à la philosophie française en la matière. Je pense donc qu'il faut être très vigilant. Cela passe par le travail de l'Autorité européenne des marchés financiers, mais aussi par le travail dans les institutions internationales - une réunion de l'International Organisation of Securities Commissions (Iosco) se tient actuellement au Maroc, ces sujets y seront sans doute abordés.

Les décisions de justice récentes sont légitimes, par définition. Il faudra ensuite simplement que l'AMF examine leurs conséquences exactes, je pense notamment à la question préjudicielle transmise à la CJUE sur la conservation et l'utilisation des fadettes, sujet qui ne concerne pas que l'AMF. Le Conseil d'État a d'ores et déjà indiqué au niveau français que la conservation des fadettes était possible face à un délit pénal grave, ce qui ne couvre pas tous nos besoins. Il va donc falloir réfléchir à la préservation de notre pouvoir d'enquête, via peut-être davantage de visites domiciliaires et des demandes d'adaptations réglementaires ou législatives. Quoi qu'il en soit, c'est un sujet de préoccupation : sans moyens d'enquête et de sanction, on perd en pouvoir de dissuasion. Mais nous n'en sommes pas là et c'est certainement l'un des dossiers que j'ouvrirai prioritairement.

M. Hervé Maurey. - Je ne doute pas un seul instant de vos compétences, je suis plus inquiet sur la question de l'indépendance. Or il s'agit d'un point essentiel. Je suis très attaché à l'indépendance réelle des autorités administratives indépendantes, qui ne peuvent être indépendantes que si leur président ou leur présidente est réellement indépendant. Vous arrivez directement de Bercy. N'est-ce pas problématique ? Quelle est votre indépendance par rapport à l'État ? Par ailleurs, vous avez exercé un certain temps des responsabilités importantes au sein de la Fédération bancaire française. Dans ces conditions, comment pouvez-vous nous assurer de votre indépendance, qui est indispensable par rapport à la mission première de l'AMF, à savoir la protection de l'épargnant ?

M. Jérôme Bascher. - Vous avez parlé de verdissement de la finance. Dans quel sens souhaitez-vous aller ? Dans celui proposé par l'ESMA ? Comment vous situez-vous par rapport à votre prédécesseur, qui s'était fortement impliqué sur ce sujet ?

Ma deuxième question est plus prospective : quelle est, selon vous, la prochaine crise ? Dans un contexte de forte volatilité et d'inflation élevée, quel est votre principal point de vigilance ?

M. Didier Rambaud. - Les cryptomonnaies font l'objet de nombreux fantasmes et attirent les jeunes. Pouvez-vous préciser davantage la réglementation européenne en la matière ? Selon vous, sera-t-elle suffisante ?

Mme Christine Lavarde. - Vous avez évoqué le fait que vous allez être conduite à discuter avec d'autres autorités de régulation, notamment avec l'Autorité nationale des jeux (ANJ). L'argent se déplace aujourd'hui vers de nouveaux secteurs, notamment les jeux de hasard. Le rapporteur a insisté sur la nécessité de ne pas brider l'innovation. Or de vraies questions se posent avec la licorne Sorare par exemple. Comment allez-vous arriver à fixer la ligne de démarcation entre le jeu et les marchés financiers ? Avez-vous des pistes d'évolution ?

M. Marc Laménie. - Pour beaucoup de gens, l'AMF signifie l'Association des maires de France. Qui connaît dans l'opinion publique l'Autorité des marchés financiers ? Vous avez insisté sur les moyens humains : comment améliorer l'attractivité des emplois à l'AMF ? Enfin, la notion de proximité est essentielle : il ne faut pas oublier l'ensemble des territoires, tout ne doit pas être centralisé à Paris.

M. Vincent Capo-Canellas. - Vous avez dit tout à l'heure que vous aviez vécu trois crises. Quelles leçons en tirez-vous pour l'AMF ? Singulièrement aujourd'hui, quel devrait être le rôle de l'AMF dans la période que nous vivons, notamment sur les marchés ? Utiliseriez-vous le mot « crise » pour qualifier la situation actuelle ? S'agissant des cryptomonnaies, vous avez parlé d'un partenariat avec la DGCCRF. L'AMF étant indépendante, comment ce partenariat peut-il vivre juridiquement ?

Mme Vanina Paoli-Gagin. - La position de l'AMF était très critique envers le cadre européen de la finance durable en Europe. Pourrons-nous aller plus loin que la publication d'une simple méthodologie ? Avez-vous comme perspective d'y travailler ardemment ?

Mme Marie-Anne Barbat-Layani. - La question de l'indépendance a été soulevée, c'est une notion plus vaste que celle du conflit d'intérêts. Pour une autorité indépendante, l'indépendance se pose à la fois vis-à-vis du secteur régulé, mais aussi du Gouvernement. Au-delà de mon parcours et des interrogations qu'il peut susciter, je dirai que personne ne naît président ou présidente d'une autorité administrative indépendante ! Cela arrive à un moment d'un parcours professionnel, avant tout parce que l'on a acquis la conviction que l'on dispose, au fond de soi, de cette capacité à exercer une fonction indépendante. Il se trouve, par ailleurs, que j'ai été amenée à siéger au sein d'une autorité de contrôle indépendante, à savoir l'ancêtre de l'actuelle Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). J'y représentais l'État dans une position spécifique de commissaire du Gouvernement, une fonction très distincte de celle de président d'une autorité indépendante. Je mesure bien quelle est la spécificité du travail collégial au sein d'une autorité de ce type, notamment par rapport à une intervention éventuelle du commissaire au Gouvernement, qui peut, comme tout représentant de l'État dans telle ou telle institution, être amené à être porteur d'un certain nombre d'objectifs qui ne sont pas forcément partagés par l'autorité indépendante. L'indépendance est aussi un sujet qui passe par le Parlement puisque les autorités indépendantes rendent compte au Parlement. Dans ce cadre, vous aurez loisir de m'interroger aussi souvent que vous le souhaiterez, y compris sur la façon dont s'exerce mon indépendance quotidiennement sur tel ou tel sujet.

J'ai passé plus de vingt ans à Bercy, mais mes fonctions récentes m'ont tenue très éloignée des sujets financiers. Je ne suis donc plus totalement au fait des objectifs que peuvent souhaiter défendre mes très lointains successeurs à la direction du Trésor. Je sais qu'ils vont effectivement chercher à me donner leur point de vue, ce qui est légitime. Mais j'exercerai mes fonctions avec l'indépendance qui s'y attache. Je travaillerai en mon âme et conscience, mais pas dans la solitude, comme je l'ai rappelé dans mon propos introductif, je m'appuierai sur le collège, notamment les juristes qui le composent. C'est important pour avoir à chaque fois en tête les textes applicables ; fondamentalement, au-delà du fait que l'AMF rende compte au Parlement, il y a la protection des textes. On doit les appliquer et, en cas de doute, se reposer sur le collège.

Concernant le verdissement de la finance, je parlais de verdissement réel de la finance. Nous sortons d'une phase de foisonnement plutôt bienvenue à la suite de l'Accord de Paris. Les acteurs économiques et financiers se sont mobilisés avec les moyens du bord, c'est-à-dire en ayant recours à tel ou tel label ou à telle ou telle agence de notation, aux méthodes plus ou moins étayées. Il fallait peut-être passer par cette phase, où chacun souhaitait développer son action. On peut leur faire crédit de leur bonne foi, même s'il a pu y avoir des tentations d'écoblanchiment, notamment sous l'influence des épargnants : ils ont adressé très vite une demande très forte aux acteurs financiers pour des produits permettant d'accélérer la transition écologique, à un moment où le cadre n'était pas suffisamment clair. Les acteurs financiers sont là pour répondre aux demandes des épargnants et il y a eu une très forte demande pour des produits qui, au minimum, ne nuisaient pas à l'environnement et qui, si possible, amplifiaient et accéléraient la transition énergétique. L'un des rôles majeurs des places financières est de donner les moyens de financer la transition écologique, qui nécessite des investissements très lourds, très importants et si possible de long terme. J'ai lu récemment une estimation sur les montants consacrés à la transition écologique : pour la première fois en France, nous avons atteint le niveau nécessaire d'investissements pour respecter nos objectifs, mais cela a été rendu possible grâce à la mobilisation d'un tiers du plan de relance, qui a largement abondé ces financements.

L'AMF a été aux avant-postes sur ces sujets. Dès 2019, elle a mis en place une commission spécifique réunissant les différentes parties prenantes : représentants des associations, du monde financier, des épargnants et des investisseurs. Au niveau européen, la taxonomie nous permet désormais d'évaluer les produits financiers de manière cohérente, à l'échelle du marché unique.

La professionnalisation des acteurs de notation et, de manière générale, un travail spécifique sur l'information financière, doivent permettre de renseigner les épargnants et les investisseurs sur l'impact environnemental réel des produits financiers.

Le rapport de responsabilité sociale des entreprises (RSE), obligatoire depuis le Grenelle de l'environnement, est souvent un document très long, dont personne ne peut vraiment tirer de conséquences claires. En la matière, je crois beaucoup à la concertation, car réunir les acteurs autour de la table permet d'adopter un langage et des raisonnements communs.

En tout état de cause, il faut que la réglementation européenne s'adapte plus rapidement à cette évolution des produits financiers afin de la réguler, notamment au travers de labels crédibles. L'Institut de la finance durable, récemment créé, tout comme la commission de l'AMF, pourront y contribuer à leur échelle.

Lorsque les premiers produits verts sont apparus, nous avons assisté à une forme de foisonnement. Il convient aujourd'hui de dire un certain nombre de vérités en s'appuyant sur des textes, notamment la taxonomie, pour donner aux épargnants et aux investisseurs le pouvoir d'utiliser leurs fonds à bon escient, et le cas échéant, de changer de produits lorsque les objectifs environnementaux affichés ne sont pas réellement recherchés.

S'agissant de la prochaine crise, je peux vous dire qu'il y en aura sûrement une, mais je crois que personne ne sait quand précisément ! J'ai vécu la crise financière au Crédit Agricole, la crise de la dette souveraine depuis Matignon et la crise sanitaire en tant que haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de l'économie et des finances.

Nous surveillons les spreads de marché car, lorsque ces derniers s'écartent, comme on l'a vu récemment au Royaume-Uni, c'est le signe que les investisseurs et les épargnants mettent collectivement en doute la faculté d'un émetteur, en l'occurrence un État souverain, à rembourser sa dette. Lorsqu'une telle alerte se produit, les autorités de contrôle et de régulation disposent d'un certain nombre d'instruments permettant de calmer les marchés. De fait, le Royaume-Uni a toujours remboursé ses dettes, et il continuera sans doute.

Après une période de plusieurs années de stabilité des taux à un niveau très bas, les investisseurs sont en recherche de rendement, ce qui peut entraîner une montée des risques d'autant plus grande que l'inflation perturbe cette recherche de rendement. Il faut donc suivre les indicateurs et espérer qu'on n'entre pas dans une vraie crise, c'est-à-dire dans une situation où on ne maîtrise plus les choses. Je me souviens qu'à l'été 2011, au même moment où nous étions sur le point de perdre notre triple A, je me suis parfois demandé si la zone euro passerait la journée. Par la suite, en juin 2012, Mario Draghi a prononcé un discours dans lequel il a affirmé le rôle de prêteur en dernier ressort de la Banque centrale européenne (BCE) « whaterver it takes », sifflant ainsi la fin de la récréation pour tous ceux qui amplifiaient les mouvements de marché en spéculant. Mais, à l'été 2011, nous n'avions pas encore cette sécurité, ce discours n'avait pas eu lieu et nous ne pouvions compter que sur nos propres forces pour convaincre de notre capacité à rembourser, alors même que la Grèce, le Portugal et l'Irlande ne disposaient plus d'un accès suffisant au marché et que de grands pays de la zone euro étaient considérés comme exposés au même risque. Depuis, nous nous sommes dotés d'une réglementation financière très forte, pour permettre notamment de remédier aux problèmes de liquidité. En effet, si nous savons que ce sont généralement les problèmes de solvabilité qui génèrent une crise, nous savons aussi que ce sont les problèmes de liquidité qui la déclenchent, comme ce fut le cas pour Lehman Brothers.

J'en viens aux crypto-monnaies. Il est encore difficile d'évaluer quel sera l'impact de l'entrée en vigueur du règlement Markets in Crypto-Assets (MiCA). Celui-ci étant assez exigeant, se posera la question des modalités de transition pour les acteurs qui ont été enregistrés en France sur le fondement de la réglementation actuelle. Si l'innovation suppose nécessairement une forme de créativité qu'il convient de ne pas étouffer, l'agrément que les acteurs devront obtenir et les obligations de transparence auxquelles ils seront soumis devraient permettre de redonner la main aux épargnants et aux investisseurs. Il conviendra de suivre ce dossier attentivement - je suis sûre que le Sénat s'y attachera également.

Chaque autorité a sa légitimité et son rôle, mais certains savoir-faire développés par l'une peuvent être utiles à d'autres. J'ai évoqué l'ANJ, car il me semble que certains comportements sur les marchés ne sont pas très éloignés de comportements addictifs et que certaines publicités font appel à des ressorts semblables à ceux du jeu. Il ne faudrait pas que de petits épargnants perdent leur livret A au terme d'une opération qu'ils perçoivent comme purement virtuelle et ludique. C'est un message que nous pourrions nous efforcer de faire passer en nous inspirant du travail réalisé par l'ANJ, y compris sur la publicité.

Il est vrai que l'AMF est trop peu connue. On m'a récemment félicité pour mon arrivée à l'Association des maires de France... Nous devons continuer à mener une politique de communication active, notamment via les nouveaux canaux de communication que j'évoquais tout à l'heure, de manière que l'AMF soit facilement identifiée par les acteurs qui ont besoin de se référer à ses travaux.

Les marchés financiers ne sont pas qu'à Paris : une bourse s'est ouverte récemment à Lille, et il y en a une à Lyon et dans d'autres métropoles. La proximité avec les territoires est importante, tout comme le dialogue avec les acteurs locaux que j'ai à coeur d'entretenir, même si l'AMF est moins présente que d'autres autorités sur le territoire.

Enfin, je ne considère pas que nous soyons en situation de crise : sur les marchés financiers, rien n'est hors de contrôle. Comme je l'évoquais, nous ne sommes pas passés loin d'une situation un peu compliquée au Royaume-Uni, mais pas au point d'utiliser un certain nombre d'outils et de coupe-circuits.

M. Gérard Longuet. - Convient-il, selon vous, de verdir les financements ou de faciliter leur décarbonation ? Quelle autorité vous donneriez-vous en la matière ?

Mme Marie-Anne Barbat-Layani. - J'estime que le rôle de l'AMF est de donner du pouvoir aux épargnants et aux investisseurs en leur fournissant des informations fiables et réalistes. Pour autant, l'Autorité n'a de pouvoir ni réglementaire ni législatif. C'est au Gouvernement qu'il revient s'il le souhaite d'interdire tel ou tel investissement, charge à l'Autorité, ensuite, de vérifier que les décisions prises au niveau national, ou même européen - niveau qui est à mon avis le plus pertinent dans ce cadre - sont bien appliquées.

M. Bernard Delcros, président. - Je vous remercie, Madame Barbat-Layani, de vos réponses précises et complètes.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Marie-Anne Barbat-Layani, aux fonctions de présidente de l'Autorité des marchés financiers (AMF)

M. Bernard Delcros, président. - Nous avons achevé l'audition de Mme Marie-Anne Barbat-Layani, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente de l'Autorité des marchés financiers. Nous allons maintenant procéder au vote.

Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.

Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

Il est procédé au vote.

La réunion est close à 10 h 30.

Mercredi 19 octobre 2022

- Présidence de M. Bernard Delcros, vice-président -

La réunion est ouverte à 9 h 15.

Proposition de loi visant à mieux valoriser certaines des externalités positives de la forêt - Examen des amendements au texte de la commission

M. Bernard Delcros, président. - Nous examinons les amendements de séance sur le texte de la commission relatif à la proposition de loi visant à mieux valoriser certaines des externalités positives de la forêt.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Avant l'article 1er

L'amendement n°  3 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Article 1er

M. Vincent Segouin, rapporteur. - Je vous propose de demander le retrait des amendements nos  1, 4 et 6 et, à défaut, d'y être défavorable.

La commission demande le retrait des amendements nos 1, 4 et 6 et, à défaut, y sera défavorable.

Article 2

M. Vincent Segouin, rapporteur. - Je vous propose également le retrait des amendements nos  2, 5 et 7 et, à défaut, d'y être défavorable.

La commission demande le retrait des amendements nos 2, 5 et 7 et, à défaut, y sera défavorable.

TABLEAU DES AVIS

Article additionnel avant Article 1er

Auteur

Avis de la commission

M. CABANEL

3

Article 45

Article 1er

Auteur

Avis de la commission

M. BILHAC

1 rect. ter

Demande de retrait

M. LABBÉ

4

Demande de retrait

M. LABBÉ

6

Demande de retrait

Article 2

Auteur

Avis de la commission

M. CABANEL

2 rect. ter

Demande de retrait

M. LABBÉ

5

Demande de retrait

M. LABBÉ

7

Demande de retrait

Dépouillement sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Marie-Anne Barbat-Layani, aux fonctions de présidente de l'Autorité des marchés financiers (AMF)

La commission procède au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Marie-Anne Barbat-Layani, aux fonctions de présidente de l'Autorité des marchés financiers (AMF), simultanément à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale.

M. Bernard Delcros, président. - Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale :

Nombre de votants : 24

Bulletins blancs : 3

Bulletins nuls : 0

Suffrages exprimés : 21

Pour : 20

Contre : 1

Projet de loi de finances pour 2023 - Compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » - Examen du rapport spécial

M. Bernard Delcros, président. - Nous commençons nos travaux par l'examen du rapport spécial de M. Victor Lurel sur le compte d'affectation spéciale (CAS) « Participations financières de l'État ».

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial du compte d'affectation spéciale "Participations financières de l'État". - Ce compte d'affectation spéciale, que je présente depuis plus de cinq ans, est le support budgétaire des participations financières l'État. Sur ce compte, le Gouvernement arrête une prévision de dépenses, évaluée à 17 milliards d'euros, soit un montant très conséquent. Je souhaiterais structurer mon propos en développant trois idées principales : une analyse de la situation du compte ; un retour sur la situation du portefeuille de l'État actionnaire ; une projection sur les défis à venir.

Depuis 2020, le compte est marqué du sceau des conséquences économiques de la crise sanitaire et désormais du contexte international, tant pour ses dépenses, avec d'importants moyens mobilisés pour aider les entreprises du portefeuille, que pour ses recettes, du fait de l'interruption des cessions d'actifs. Il a ainsi fallu recourir à des versements du budget général pour alimenter le compte.

Cette logique devrait se poursuivre en 2023 : alors que les conditions de marché ne sont pas favorables à la réalisation de nouvelles cessions, les versements du budget général resteront la principale source de financement du compte.

Ainsi, les trois quarts des recettes du compte en 2023 sont issues du budget général, et une fois retranchée la recette exceptionnelle liée à la re-budgétisation de la dotation en numéraire du Fonds pour l'innovation et l'industrie (F2I) - nos critiques à cet égard avaient été importantes -, la part du budget général passe à 95 % des recettes du CAS.

À ce stade, seule une faible part des 10 milliards d'euros d'investissement en capital de l'État en 2023 est connue et détaillée dans le projet annuel de performance. Ainsi, pour 80 % des crédits envisagés à ce titre, « le caractère de ces opérations reste confidentiel, afin de ne pas porter préjudice aux intérêts patrimoniaux de l'État ». Si nous pouvons bien comprendre l'argument de la confidentialité des opérations, il limite très nettement la capacité d'appréciation du Parlement sur le compte pour l'année à venir.

Par ailleurs, l'inscription de 6,6 milliards d'euros au titre de la contribution au désendettement de l'État est un véritable tour de « passe-passe » budgétaire dont personne n'est dupe : la contribution au désendettement vient en réalité nourrir d'autant le déficit prévu pour 2023.

J'en arrive à la situation du portefeuille de l'État actionnaire.

Le portefeuille de l'État a retrouvé cet été une valorisation légèrement supérieure à son niveau d'avant-crise.

Cependant, il convient de relever que cette valorisation est dopée par l'offre publique d'achat visant les actions du groupe EDF, au prix de 12 euros par action, soit une prime de l'ordre de 50 % par rapport au cours de l'action à la veille de la déclaration de politique générale de la Première ministre - ce prix était de 32 euros en 2005.

Ainsi, si l'on isole la valorisation d'EDF, la performance du portefeuille de l'Agence des participations de l'État (APE) est très inférieure à celle des entreprises du CAC 40, et ce malgré les opérations de recapitalisation intervenues.

Concernant EDF, la nationalisation, qui devrait représenter 9,7 milliards d'euros, me semble aller dans le bon le sens. Elle laisse néanmoins entièrement ouverte la question de la situation financière du groupe, dont la dette devrait atteindre 60 milliards d'euros d'ici à la fin de l'année et dont les besoins d'investissements sont évalués entre 17 et 20 milliards d'euros par an. Je précise à cet égard que nous avons auditionné les dirigeants d'EDF et d'un certain nombre de grandes entreprises.

Par ailleurs, l'État est intervenu massivement pour soutenir le groupe Air France KLM, fortement affecté par les conséquences de la crise sanitaire. Après une perte nette de 7 milliards d'euros en 2020, le groupe a affiché une perte de 3,9 milliards d'euros en 2021. L'État est intervenu à trois titres.

En tant qu'actionnaire, il a tout d'abord octroyé dès le début de la crise sanitaire une avance en compte courant d'actionnaire à hauteur de trois milliards d'euros. En avril 2021, il a participé à une augmentation en capital en souscrivant pour près de 600 millions d'euros d'actions, et l'avance en compte courant a été convertie en obligations perpétuelles convertibles, dont une partie a elle-même été convertie en 650 millions d'euros d'actions en juin dernier.

Il a ensuite octroyé, via les prêts garantis par l'État (PGE), une garantie de prêts bancaires à hauteur de 90 % pour un montant de 4 milliards d'euros.

Enfin, il a permis des reports de cotisations sociales sur les salaires des employés de l'entreprise, de l'ordre de 1 milliard d'euros.

La reprise du trafic aérien l'été dernier laisse espérer une amélioration de la situation du groupe, qui poursuit sa démarche de transformation et de restructuration de son réseau.

Je terminerai mon intervention en m'interrogeant : quel rôle et quels défis pour l'État actionnaire demain ?

Alors que la nouvelle doctrine d'intervention de l'APE n'est pas encore définie, les pistes esquissées l'an dernier sont toujours d'actualité. Son intervention devra ainsi tenir compte de quatre facteurs : le soutien auprès d'entreprises touchées par la crise, la préservation de notre souveraineté économique, l'accompagnement des transitions environnementales et l'accompagnement face aux ruptures technologiques et numériques.

Outre un retour à la doctrine définie sous François Hollande en 2014, j'y vois surtout le choix de revenir à une utilisation des participations financières de l'État comme un outil de politique économique à part entière.

À titre personnel, je ne peux qu'y souscrire, car je suis convaincu que l'intervention en capital constitue un levier efficace de politique économique pour parvenir à relever les défis des transitions écologiques et numériques qui s'ouvrent devant nous.

Enfin, je relèverai un dernier point positif : le versement sur le CAS de la dotation en numéraire du F2I. Alors que celle-ci bénéficiait d'une garantie de rémunération de 2,5 % par an sur un compte du Trésor, je considère que la fin de cette dotation, véritable usine à gaz, constitue une avancée. La question de la dotation en actions du F2I reste ouverte, mais je recommande de trouver rapidement une solution pour transférer les actions détenues par l'établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) Bpifrance vers l'APE.

En résumé, nous avons eu raison d'émettre de nombreuses critiques, notamment sur le désendettement. Mais il existe quelques avancées, il faut le reconnaître, qu'il s'agisse de l'utilisation des participations de l'État comme arme de politique économique, du F2I ou de la révision de la doctrine d'intervention de l'État. Mais le tour de « bonneteau » budgétaire concernant le désendettement reste très critiquable.

Sous cette dernière réserve, je vous propose d'adopter les crédits du CAS « Participations financières de l'État ».

M. Bernard Delcros, président. - Nous accueillons Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques.

Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques sur le compte d'affectation spéciale "Participations financières de l'État". - Je vous remercie de votre invitation. La commission des affaires économiques n'a pas encore examiné les crédits de ce compte. Mais je vous livrerai notre sentiment général, qui rejoint le vôtre.

Les crises sanitaires et économiques ont eu pour conséquence de changer la nature de ce compte. D'instrument retraçant l'action stratégique de l'État actionnaire, il est devenu un simple outil comptable qui permet les interventions de l'État pompier grâce au budget général. C'est ce dernier qui, in fine, permettra la nationalisation d'EDF.

Tout cela est le fruit d'une crise imprévisible durant laquelle il a fallu parer au plus urgent. À ce propos, je souligne les efforts constants de l'APE depuis plusieurs années pour soutenir nos champions industriels.

Premièrement, le compte sert visiblement de tour de « passe-passe » budgétaire en matière de désendettement de l'État : plus de 6 milliards d'euros viendraient rembourser la dette covid. Mais ces fonds proviennent en réalité du budget général, sans réel d'effort pour maîtriser les dépenses ou trouver de nouvelles recettes. Cet effet d'affichage doit être dénoncé.

Deuxièmement, il est heureux que le Fonds pour l'innovation et l'industrie soit supprimé. Nous avons toujours dénoncé ce contournement du Parlement, et les faits nous donnent raison.

Troisièmement, les engagements du commissaire aux participations de l'État l'an dernier n'ont toujours pas trouvé de traduction concrète, opérationnelle. Il déclarait que la stratégie d'intervention devait être amendée pour mieux prendre en compte la souveraineté économique de la France. Je ne pense pas qu'il s'agissait de la nationalisation d'EDF. Nous serons très attentifs à la mise en oeuvre de cette évolution.

M. Michel Canévet. - Je salue les conclusions de M. le rapporteur spécial. Plusieurs entités, telles que l'APE, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et BPIfrance, disposent de participations. Comment envisager leur coordination ? Peut-on tout regrouper au sein d'une nouvelle structure ? Sur le cantonnement de la dette covid, quelles sont les possibilités autres que l'emprunt ? Faut-il prévoir un prélèvement spécifique ?

M. Marc Laménie. - Je remercie M. le rapporteur spécial de la qualité de ce travail sur un sujet très complexe. Le portefeuille coté de l'État actionnaire s'élèverait à 81 milliards d'euros. Comment s'articule-t-il entre les différentes entreprises ? En quoi le remboursement de la dette covid, à hauteur de 165 milliards d'euros, est-il un artifice comptable ?

Mme Christine Lavarde. - Nous sommes attentifs à l'effet des annonces de la future renationalisation d'EDF sur la valorisation du portefeuille de l'État. M. le rapporteur spécial propose l'adoption des crédits, mais il serait sage de réserver le vote jusqu'à la présentation du projet de loi sur le nucléaire qui doit intervenir au mois de novembre prochain. Les décisions prises pourraient en effet avoir une influence non négligeable pour l'économie d'EDF et entraîner de nouvelles tensions sur l'offre de l'État à 12 euros par action. J'ai échangé avec le rapporteur général sur ce point, qui a la même position.

M. Roger Karoutchi. - Je souscris aux propos de ma collègue. Monsieur le rapporteur spécial, j'ai pour vous beaucoup de considération, mais je m'interroge : comment peut-on vouloir voter ces crédits alors que la doctrine de 2017 a été largement remise en cause ? De plus, le remboursement de la dette covid serait un effet d'affichage. Enfin, dans le rapport, vous notez que le Parlement ne saurait endosser le rôle d'« encart publicitaire » en souscrivant à cet artifice comptable. Vous êtes d'une générosité sans pareille ! Dès lors, pourquoi ne pas réserver le vote de ces crédits ?

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Je me suis réellement interrogé quant à ma position sur l'adoption des crédits : après cinq ans de critiques, nous relevons plusieurs éléments traduisant une volonté d'aller dans le bon sens. Cependant, je suis prêt à me ranger à votre position, oui, nous pouvons attendre le plan que présentera le Gouvernement.

Concernant les évolutions allant dans le bon sens, je pense en particulier au respect de la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2005, qui vise directement le CAS « Participations financières de l'État » et qui impose de disposer de deux programmes par compte d'affectation spéciale. Alors que le programme 732, dédié au désendettement, n'avait jusqu'à l'année dernière pas d'existence réelle, le tour de « passe-passe » budgétaire et d'« encart publicitaire » - je maintiens le terme, même s'il est un peu fort - permet malgré tout de se conformer à la décision du juge constitutionnel.

Sur le fond, les personnes auditionnées ont reconnu leurs erreurs sur la doctrine d'intervention de l'État au regard de la crise sanitaire et du contexte actuel.

Aussi, nous relevons une évolution subreptice sur le F2I, qui était une usine à gaz. Sur la part de dotation en numéraire du fonds, il revenait à l'État de prendre en charge le différentiel, au lieu de faire financer tout cela par le budget général et de soumettre annuellement les crédits au Parlement.

Pour répondre à Michel Canévet, les participations publiques sont en effet détenues par plusieurs entités. Mais comment faire ? La Cour des comptes formule des recommandations que l'État a du mal à suivre. Reconnaissons que l'Agence a joué son rôle en soutenant massivement les entreprises.

Je pense que nous pouvons tout de même éviter l'intervention conjointe des acteurs - l'APE, la CDC et BPIfrance - en la coordonnant davantage. Faut-il une entité unique ? Et revoir le statut de l'APE ? Où seraient hébergées les participations des différentes entreprises après restructuration ? Ces questions ne sont pas tranchées. Les frontières sont floues en dépit de ce qu'affirment ces entités. Par exemple, pourquoi différents acteurs interviennent-ils au sein du Fonds Avenir Automobile ? Comment rationaliser ces interventions ?

Quant à la mise en place d'instances de coordination pour harmoniser leur doctrine d'intervention, je n'ai pas été très convaincu. Il faudra que l'État pose une doctrine plus claire et lisible. Aujourd'hui, on peut s'interroger sur la détention de participations par BPIfrance dans Orange et dans Stellantis.

Je partage la position de Mme la rapporteure pour avis, avec une nuance : ce véhicule n'est pas simplement budgétaire, et j'ose le dire, l'État s'émancipe largement des canons de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

La renationalisation est une vraie avancée, de nature à assurer notre souveraineté énergétique. Je crois à ces armes de politique économique, comme nous l'avons fait après la crise de 2008.

Comment cantonner les 165 milliards d'euros d'endettement, sachant qu'il a fallu1,8 milliard d'euros dès 2022 ? Un amortissement sur vingt ans a été décidé. Un programme a été créé sur la mission « Engagements financiers de l'État » avec l'ouverture de 165 milliards d'euros d'autorisations d'engagement et des crédits de paiement de 1,8 milliard dès 2022. Faut-il instaurer une taxe spécifique ? Nombreux sont ceux qui sont contre la création de nouveaux impôts.

Je considère par ailleurs que la partie des actions EDF détenue par l'EPIC BPIfrance devrait être transférée à l'APE, même s'il existe un angle mort.

Oui, Monsieur Roger Karoutchi, je suis généreux, malgré ces réserves, je vous propose d'approuver les crédits du CAS. Nous pouvons voter l'« encart publicitaire ». On le subit depuis de nombreuses années maintenant. Sauf à changer la structure de l'APE, je ne vois pas comment faire évoluer les choses. La conjoncture est mauvaise, ce compte ne pourra pas s'autofinancer par les cessions.

Madame Lavarde, vous voulez que l'on attende le plan nucléaire présenté par l'État. Je veux bien me rallier à votre proposition.

La commission décide de réserver son vote sur les crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Sport, jeunesse et vie associative » - Examen du rapport spécial

M. Bernard Delcros, président. - Nous examinons à présent le rapport spécial de M. Éric Jeansannetas sur les crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ».

M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial de la mission "Sport, jeunesse et vie associative". - Je vais vous exposer les grandes caractéristiques et les principales évolutions de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » pour 2023.

La mission continue de voir ses crédits progresser en 2023, avec une hausse de 5,8 % pour atteindre 1 822,2 millions d'euros. Cette hausse est toutefois moins marquée qu'en 2021 et 2022, où elle était respectivement de 12,5 % et 18,5 %.

Cette année, la mission ne comporte aucun dispositif « nouveau » de grande ampleur. L'augmentation des crédits s'explique essentiellement par la montée en charge de politiques existantes, comme le service national universel (SNU) et le service civique. Ce ralentissement doit être l'occasion d'évaluer les politiques menées au sein de la mission. Ce travail est particulièrement nécessaire dans le contexte de la crise actuelle.

En effet, le monde sportif et les associations sont loin d'être épargnés par l'inflation. Un sondage Odoxa, qui date du 4 septembre 2022, indique qu'un quart des Français aurait renoncé à pratiquer un sport à cause de l'inflation ! Les dépenses relatives au sport sont en effet souvent considérées comme secondaires par les ménages. J'ajoute que les sports d'intérieur continuent de souffrir des conséquences de la crise sanitaire.

Quant aux associations, en raison de leur public cible, elles ont souvent des réticences à augmenter leur tarif, ce qui aggrave leurs difficultés financières. Les associations qui disposent de centres, comme les centres d'hébergement par exemple, sont particulièrement touchées par la montée des prix de l'énergie.

Nous manquons encore de recul et de données chiffrées concernant les effets de l'inflation sur le sport et les associations, mais comme vous pouvez le voir, le risque est bien réel, et il doit être anticipé.

Le Pass'Sport, qui est un dispositif ciblé sur les ménages modestes, a été reconduit en 2023 pour un budget de 100 millions d'euros, identique à celui de l'année dernière. C'est un outil intéressant en théorie pour favoriser la pratique sportive, mais il pèche par son exécution. Il souffre d'un non-recours important : environ 1 million de jeunes ont pu en bénéficier, ce qui représente un taux de recours de 18,3 %. Seule la moitié des crédits du Pass'Sport ont été consommés en 2021. La raison est double : le dispositif n'est pas suffisamment articulé avec les aides similaires proposées par les collectivités territoriales, et les associations n'ont pas été suffisamment impliquées dans sa mise en oeuvre. La direction des sports travaille sur des pistes d'amélioration, et je resterai vigilant sur l'exécution du dispositif.

L'Agence nationale du sport (ANS) bénéficie d'un rehaussement de 7,5 % de sa subvention, qui atteint 264,7 millions d'euros. Cependant, cette augmentation est surtout le résultat d'une dotation nouvelle de 14,4 millions d'euros pour compenser la baisse de rendement de la taxe Buffet, qui avait fait suite à l'affaire Médiapro.

Je comprends que la compensation soit nécessaire, mais je souhaite qu'à l'avenir le financement de l'ANS soit moins dépendant de la conjoncture du marché des droits audiovisuels. Cela fait partie des recommandations du rapport de la Cour des comptes publié en juillet dernier sur l'ANS et la gouvernance du sport. Dans ce rapport d'ailleurs, la Cour préconise également de clarifier la répartition des missions entre la direction des sports et l'ANS, et de réaffirmer la tutelle de la direction sur l'ANS. Je partage ces conclusions. La « nouvelle gouvernance du sport » doit bien sûr laisser une place importante aux acteurs du sport, mais elle ne doit pas être synonyme d'un désengagement de l'État.

Une gouvernance du sport solide est essentielle dans la perspective du Mondial de rugby et des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

À ce sujet, les tensions sur le marché de l'énergie et le marché des matières premières ont déjà des conséquences importantes sur la préparation des jeux Olympiques et Paralympiques.

Selon la direction des sports, le besoin de financement supplémentaire pour la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solidéo) est évalué à 143 millions, dont les deux tiers seront pris en charge par l'État ; 61,3 millions d'euros sont inscrits dans le projet de loi de finances pour 2023 pour compenser ces surcoûts.

Or la majorité des ouvrages olympiques est prévue pour être livrée en 2023. L'année prochaine sera donc déterminante quant à la capacité de la Solidéo de tenir ses objectifs.

Au-delà du seul budget de la Solidéo, je souhaite évoquer les enjeux financiers plus larges de l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques. Les financements privés ne sont à l'heure actuelle pas totalement assurés, les négociations ayant été rallongées par la crise. Les dépenses de sécurité seront également sans doute plus importantes que prévu, en raison notamment de la difficulté à recruter dans ce secteur depuis la crise de la covid-19.

Je conclurai mon propos sur le soutien aux associations et les politiques d'engagement de la jeunesse.

Plusieurs dispositifs d'aide aux associations et aux bénévoles existent aujourd'hui, mais leur efficacité est très variable.

Le compte d'engagement citoyen (CEC) voit ses crédits diminuer de 14,4 millions d'euros en 2022 à 6 millions d'euros pour 2023. Cette baisse est la conséquence d'une sous-exécution importante : alors que le nombre d'ayants droit fin 2021 était estimé à 400 000, seuls 3 192 dossiers ont été validés. Le dispositif pâtit également des faiblesses du compte personnel de formation (CPF).

Le dispositif « 1 jeune, 1 mentor » est reconduit pour 2023, avec un budget de 27 millions d'euros. Malgré les sommes engagées, cette politique ne dispose pas encore d'évaluation documentée. L'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep) devrait bientôt mener une étude sur le sujet, mais il est regrettable que nous disposions de peu d'informations sur ce dispositif.

Le deuxième volet du Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA) est à nouveau doté de 25 millions d'euros pour 2023, et cette somme devrait être complétée par 17,5 millions d'euros issus du mécanisme de fléchage des comptes inactifs acquis par l'État.

Au 12 octobre 2022, 14 340 associations ont été financées par le FDVA 2, pour un montant de 38 millions d'euros, tandis que le montant total des demandes représentait 137 millions d'euros. Ainsi, 27,7 % du montant total des demandes ont fait l'objet d'une acceptation sur l'année 2022. Ces résultats montrent que la lisibilité des critères du financement du FDVA 2 peut encore être améliorée.

Le service civique bénéficiera de 518,8 millions d'euros en 2023, ce qui représente une augmentation de 20 millions d'euros par rapport à 2022.

L'augmentation des crédits inscrits dans le programme 163 pour le service civique doit toutefois être considérée au regard de la fin du plan de relance. La mission « Plan de relance » en 2022 avait accordé 201 millions d'euros au service civique, ce qui avait porté le montant total des crédits finançant cette politique à 699,8 millions d'euros.

J'ai souvent exprimé mes réserves sur le recours au service civique dans le cadre du plan de relance. Le service civique est d'abord une politique d'engagement de la jeunesse, et le mobiliser dans un objectif de relance économique ouvrait le risque de le transformer en un traitement social du chômage des jeunes. Plutôt qu'une politique de stop and go, je défends une montée en charge progressive du service civique, qui permettrait de mettre en place des missions plus intéressantes et valorisantes.

Le service national universel (SNU) continue sa montée en puissance : ses crédits augmenteront de 27,3 % par rapport à 2022, et son budget est désormais de 140 millions d'euros. L'objectif est que 64 000 jeunes accomplissent le SNU en 2023, contre 50 000 l'année dernière. Cette progression est beaucoup plus lente que ce que prévoyaient les projections initiales, même si l'on écarte le facteur de la crise sanitaire. C'était inévitable : les contraintes du SNU ne sont pas compatibles avec une généralisation rapide du dispositif. Les centres susceptibles d'accueillir les jeunes effectuant le séjour de cohésion sont en nombre limité ; il est difficile de recruter des encadrants ; et la construction d'une administration du SNU prend du temps.

La généralisation du SNU présente également des enjeux financiers majeurs : pour l'ensemble d'une classe d'âge, c'est-à-dire 800 000 jeunes, elle coûterait 1,75 milliard d'euros chaque année. Et encore, c'est une hypothèse basse ! Les coûts actuels ne sont pas représentatifs du coût total du dispositif une fois qu'il sera généralisé.

J'ai pu constater l'engagement des équipes pour offrir aux jeunes un séjour de qualité. Toutefois, je reste sceptique à la fois sur l'opportunité et la faisabilité de la généralisation.

Vous le savez, le contexte des débats sur ce projet de loi de finances est particulièrement difficile à démêler, et le Gouvernement n'a pas caché sa volonté d'utiliser l'article 49-3 de la Constitution. Je souhaite donc attendre les éventuelles modifications relatives à la mission « Sport, jeunesse et vie associative » avant de me prononcer sur la mission.

Je vous propose de réserver notre vote sur les crédits de la mission.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis de la commission de la culture. - Mon propos concerne le programme 219 « Sport » et le programme 350 « jeux Olympiques et Paralympiques 2024 ». Il y a du positif et du négatif dans ces deux programmes.

Au niveau de la forme, la présentation du budget des sports est d'abord plus claire et plus lisible que les années précédentes. Peut-être est-ce dû à un changement de ministre ? Je salue la reconduction, mais également l'élargissement du Pass'Sport, ainsi que l'augmentation des moyens pour la lutte contre le dopage, la création de l'école des cadres du sport et l'instauration de trente minutes d'activités physiques quotidiennes à l'école. L'an dernier, nous avions ferraillé contre la suppression des cinq postes de l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep) : ils ont été enfin rétablis. Je salue aussi la création de vingt postes dans les délégations régionales académiques à la jeunesse, à l'engagement et au sport (Drajes) pour la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ou la poursuite du programme « 5 000 équipements sportifs de proximité ».

Du côté de la Solidéo, les choses semblent se passer normalement, aussi bien en termes d'échéanciers que de financements. Tout cela méritera confirmation. N'oublions pas qu'il existe une réserve pour aléas, sorte de filet de sécurité voté par le Parlement il y a deux ans pour un montant de 250 millions d'euros. Une telle enveloppe sera-t-elle suffisante pour faire face à l'inflation et à la hausse du coût des produits énergétique ? Seul l'avenir nous le dira...

J'en viens maintenant aux aspects négatifs. Nous enregistrons une perte de 15 millions d'euros au niveau de la taxe Buffet, conséquence de l'affaire Mediapro et du covid. L'État compense certes cette perte de recettes, mais nous aurions pu investir cette somme ailleurs, notamment sur les politiques sportives. Nous nous éloignons donc peu à peu du fameux principe selon lequel le sport finance le sport.

Cela fait des années que je demande en vain une sollicitation plus forte des mises des paris sportifs en ligne, qui sont en train d'exploser : +44 % en 2021 par rapport à 2020. En cinq ans, l'augmentation a atteint 200 %. Éric Jeansannetas l'a souligné, le budget sport est en hausse de 2,6 % par rapport à l'an dernier, mais l'inflation atteindra les 5 % : il y aura donc une baisse en euros constants. En tout état de cause, le niveau d'investissement est faible, malgré l'organisation des jeux Olympiques.

Enfin, les aides du plan de relance concernant le sport qui figuraient dans le budget pour 2022 ne figurent plus dans ce budget. Je pense notamment à la rénovation énergétique des équipements sportifs à hauteur de 50 millions d'euros.

Je regrette également que les fédérations scolaires soient écartées du Pass'Sport. Il y a eu un rattrapage cette année pour le sport universitaire, mais l'Union nationale du sport scolaire (UNSS) ou l'Union sportive de l'enseignement du premier degré (USEP) ne figurent toujours pas dans les bénéficiaires. Idem pour les loisirs sportifs marchands, qui participent pourtant également à la lutte contre l'obésité et la sédentarité.

Je regrette enfin qu'il n'y ait toujours pas en France de programme ambitieux de rénovation des équipements sportifs structurants et locaux. Je rappelle qu'un équipement sportif sur quatre a plus de cinquante ans et n'a jamais été modernisé.

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur pour avis de la commission de la culture. - Le programme 163 « Jeunesse et vie associative » augmente certes de 8,4 %, mais il s'agit d'une hausse en trompe-l'oeil puisque l'essentiel des crédits va surtout vers le SNU et le service civique.

Une fois de plus, je regrette la baisse des crédits en faveur des associations et de l'engagement de la jeunesse. C'est tout à fait dommage, surtout lorsque les dépenses prévues ne sont malheureusement souvent pas consommées : 110 millions d'euros étaient inscrits en 2022 au titre du SNU pour financer l'accueil de 50 000 jeunes ; nous avons difficilement obtenu l'inscription de 32 000 jeunes ; quid du reste de l'enveloppe ? Malgré cela, le Gouvernement se fixe un nouvel objectif de 64 000 jeunes pour une enveloppe totale de 140 millions d'euros. Il me paraît dommage d'engager autant d'argent pour des dispositifs qui ne font pas leurs preuves, sans qu'aucun débat parlementaire n'ait lieu sur le service national universel. Nous ne pouvons pas continuer ainsi.

Grâce au plan de relance, le service civique a bénéficié de quelques millions supplémentaires. C'était nécessaire, même si je suis très réservé sur le fait de remplacer des emplois par des volontaires du service civique. Cette augmentation des crédits vient gommer ce qui a été fait pendant la période sanitaire. Comme M. le rapporteur spécial, je trouve ce stop and go déplorable.

M. Roger Karoutchi. - Je partage les inquiétudes du rapporteur spécial en ce qui concerne les équipements relatifs aux jeux Olympiques. J'ajoute que nous sommes très en retard en matière de transports publics. Le service national universel est globalement un échec, même si les jeunes qui s'engagent sont remarquables. Nous attendions cette année plus de 50 000 jeunes, et nous avions atteint une faible part du chiffre annoncé. Le Gouvernement doit donc revoir sa copie.

Mme Christine Lavarde. - Ma question porte sur le transport. Le rapporteur a évoqué la sécurité. Disposons-nous d'une vision consolidée du coût des jeux Olympiques ? Ces dépenses de sécurité et de transport sont-elles portées par le programme « jeux Olympiques et Paralympiques 2024 » ou faut-il les chercher dans d'autres missions ? La proposition de reporter le vote des crédits face au manque de visibilité nous convient parfaitement.

M. Jean-Marie Mizzon. - Le rapport souligne que le compte d'engagement citoyen est une initiative intéressante. Or elle ne concerne que moins de 4 000 personnes sur un potentiel de 400 000, soit moins de 1 %. Si elle ne touche pas sa cible, n'est-ce pas parce qu'elle n'est pas suffisamment attrayante ? Le gain en termes de crédit formation est de l'ordre de 250 ou 300 euros. Ne faudrait-il pas doper ce montant ?

M. Victorin Lurel. - A-t-on une carte de la répartition des crédits pour cette mission par région ou par département ? J'aimerais savoir quels montants sont consacrés aux outre-mer ? En ce qui concerne les jeux Olympiques, pourrions-nous avoir un tableau clair de la répartition des financements ? Quelle est la part de l'État et des collectivités ? Quid également du respect du calendrier ?

M. Michel Canévet. - Je ne partage pas l'idée qu'il faille évaluer cette mission à l'aune de l'augmentation de ses crédits, car un certain nombre d'actions ne devraient pas être menées par l'État : Pass'Sport, Fonds de développement de la vie associative (FDVA), éducation populaire, etc. Tout cela relève davantage des collectivités locales, notamment pour éviter les doublons. L'État n'est pas équipé pour intervenir à mailles fines sur les territoires. Le pire, c'est le FDVA. On a supprimé la réserve parlementaire et on l'a recréée dans le FDVA. Il faut à présent examiner des milliers de demandes de subvention pour attribuer 100 ou 200 euros : c'est n'importe quoi ! Il est temps de rationaliser les procédures si l'on veut plus d'efficacité. Faut-il mettre en place une administration dédiée en ce qui concerne la gouvernance du SNU ? Ne serait-il pas préférable de trouver une formule plus légère ?

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je me concentrai sur les jeux Olympiques. Le dérapage financier serait dû à l'inflation. Je m'interroge donc sur les dérapages à venir avec encore deux hivers à passer. De quelles marges de manoeuvre disposons-nous ? Comment se fera la partition entre l'État et les collectivités locales pour assurer ces surcoûts ?

M. Didier Rambaud. - Comme M. le rapporteur spécial l'a souligné, le dispositif Pass'Sport est très intéressant, mais il pourrait mieux monter en force. Il existe à mon sens un manque de coordination au niveau local. Je constate aussi que les associations ne jouent pas leur rôle en ne mettant jamais en avant ce dispositif.

En ce qui concerne le coût des jeux Olympiques, les dépassements ne m'affolent pas. Dans l'histoire de l'olympisme, toutes les villes ont connu ces dépassements. Ce qui me semble important, c'est l'héritage des jeux, à savoir les équipements réalisés à cette occasion. Vont-ils rester dans le secteur sportif ?

Force est de constater qu'il existe une vraie crise de gouvernance des fédérations sportives. Nous sommes à deux ans des jeux Olympiques et vous voyez ce qui se passe au sein du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) ! Idem pour la coupe du monde de rugby. Sans parler de la Fédération française de football.

Quant au SNU, je ne partage pas les avis rabat-joie. J'ai eu l'occasion de faire des stages en immersion, c'est un programme positif, qui mérite d'être développé.

M. Christian Bilhac. - Cette espèce de millefeuille entre l'État, les départements, les communes, entre autres, en ce qui concerne le sport est un vrai casse-tête. Ne serait-il pas bon d'étudier ce qui coule au bout du robinet pour mesurer ce qui se perd en frais de bureau, de paperasserie et de structures administratives ? Les milliards dépensés dans le sport professionnel sont indécents eu égard aux difficultés du sport amateur. Les 5 % de jeunes volontaires pour le SNU sont précisément ceux qui n'ont pas besoin d'un tel programme. On est dans un double langage que je déplore. Soit on généralise ce service et on le professionnalise - je vous laisse imaginer les coûts -, soit on admet que l'objectif est inatteignable et on arrête !

M. Emmanuel Capus. - En complément de la question de Vanina Paoli-Gagin et de Christine Lavarde sur les jeux Olympiques, le coût de la sécurité est-il pris en compte dans ce budget ? Au vu des polémiques sur la sécurité au Stade de France et de l'ampleur de la cérémonie d'ouverture sur les bords de Seine, les coûts seront importants. L'éventuel recours à des entreprises de sécurité privées est-il quantifié dans le budget ?

M. Bernard Delcros, président. - En complément des remarques de Michel Canévet, j'aimerais connaître l'avis du rapporteur sur les évolutions à opérer au niveau du FDVA. Y a-t-il des améliorations ou des réorientations à prévoir ? Doivent-elles porter sur le montant ou sur le fléchage ?

M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial. - Christine Lavarde et Roger Karoutchi m'ont interrogé sur les questions de transport et de sécurité pendant les jeux Olympiques. Ces budgets ne sont heureusement pas couverts par les crédits de la mission. Il faudrait effectivement avoir un budget consolidé pour les jeux Olympiques prenant en compte l'ensemble des secteurs pour disposer d'une vision plus complète de l'engagement financier.

L'État prendra en charge le surcoût au titre de l'organisation des jeux à hauteur de 96,2 millions d'euros. 61,3 millions d'euros sont inscrits dans le projet de loi de finances pour 2023. Le reste fera l'objet de crédits en 2024 et en 2025. La majorité des ouvrages olympiques sera livrée en 2023. Il y a un risque pour que le dépassement du budget pluriannuel soit plus élevé que 143 millions d'euros, sachant que l'inflation se maintiendra à un niveau élevé l'année prochaine.

Plusieurs ouvrages seront terminés en 2023 : l'Arena de la porte de la Chapelle, le Stade de France rénové, le stade Yves-du-Manoir et la marina de Marseille. Le village olympique verra ses travaux de second oeuvre - plomberie, électricité, revêtement des sols - commencer à la fin de l'année 2022. La livraison du village est toujours prévue pour le 31 décembre 2023. La Solidéo, en réponse à notre questionnaire, et la direction des sports, lors de notre audition, assurent que les travaux seront livrés dans les temps. La progression est toutefois en deçà des prévisions des indicateurs de performance. Il convient donc de rester vigilant.

La Cour des comptes a publié une carte de répartition géographique de l'utilisation du FDVA sur l'ensemble du territoire. Le FDVA finance bien 80 % des petites associations, qui sont définies comme disposant au plus de deux équivalents temps plein (ETP).

Les critères du financement du FDVA posent encore des difficultés pour les associations. Il faudrait sans doute simplifier les dispositifs et rendre plus lisibles ces critères afin que les toutes petites associations puissent en bénéficier. Ce point a été pris en compte par la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative. Pour avoir assisté aux séances d'attribution, j'ai pu constater que les directions réalisaient un important travail sur le terrain : rien n'est fait à l'aveuglette.

Sur le SNU, 32 000 jeunes ont accompli le séjour de cohésion en 2022 alors que l'objectif était de 50 000. La direction de la vie associative explique ce décalage par la poursuite des politiques de restrictions sanitaires au début de l'année. L'objectif pour 2023 est de 64 000 jeunes. La progression est beaucoup plus lente que prévu, les projections initiales prévoyaient qu'après avoir expérimenté le SNU pour 20 000 jeunes on aurait dû passer à 150 000 jeunes. Cette trajectoire était manifestement surévaluée. Les centres d'hébergement sont en nombre limité et il est difficile de recruter des encadrants, notamment les personnels infirmiers. On a noté quand même un engagement fort de l'éducation nationale et des militaires dans cette opération.

En ce qui concerne les éventuels dépassements pour les jeux Olympiques, la clé de répartition est déjà connue : deux tiers pour l'État et un tiers pour les collectivités territoriales, notamment Paris et le département de la Seine-Saint-Denis.

Le comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (Cojop) repose quant à lui essentiellement sur des financements privés, avec une garantie de l'État de 3 milliards d'euros.

La commission décide de réserver son vote sur les crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ».

Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Remboursements et dégrèvements » - Examen du rapport spécial

M. Bernard Delcros, président. - Nous examinons maintenant le rapport spécial de M. Pascal Savoldelli sur les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial de la mission "Remboursements et dégrèvements". - La mission « Remboursements et dégrèvements » retrace les dépenses budgétaires résultant mécaniquement de l'application de dispositions prévoyant des dégrèvements, des remboursements ou des restitutions d'impôt. Comme vous le savez désormais, le caractère mécanique de ces dépenses implique que les crédits de la présente mission sont évaluatifs.

Par ailleurs, cette mission est la première en termes de volume de crédits tous budgets confondus. Elle permet donc d'avoir une vision d'ensemble des mesures fiscales mises en oeuvre et de leurs évolutions et peut, à ce titre, connaître des variations de crédits importantes.

Elle se compose de deux programmes, l'un consacré aux remboursements et dégrèvements d'impôts d'État, l'autre aux mêmes opérations pour les impôts directs locaux.

Concernant les remboursements et dégrèvements d'impôts d'État, les dépenses sont évaluées, dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2023, à 123,7 milliards d'euros, soit une très légère diminution par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2022 - 123,9 milliards d'euros.

Cette stabilité résulte de tendances contraires entre les différentes actions du programme ; je m'attacherai dans le présent exposé à vous faire part des variations les plus notables.

Premièrement, les restitutions liées à la « mécanique de l'impôt » enregistrent une hausse importante de 7,74 %, soit 6,6 milliards d'euros entre 2022 et 2023 sous l'effet, notamment, de la hausse des restitutions de TVA, qui devraient atteindre 67,2 milliards d'euros en 2023. Sur la période 2014-2023, les remboursements de TVA ont augmenté de 41,2 %, soit 19,6 milliards d'euros.

Le contexte inflationniste, en augmentant le volume de TVA, explique cette augmentation des remboursements (effet volume) notamment dans un contexte d'incertitude économique - effet comportement qui pousse les entreprises à opter pour le remboursement plutôt que pour l'imputation du crédit de TVA sur les années suivantes.

Ce niveau historiquement haut justifierait, je réitère cette recommandation, un renforcement des moyens de lutte contre la fraude à la TVA et une évaluation plus précise des pertes en découlant. Ce travail me paraît d'autant plus nécessaire et important que, à la suite des différentes réformes de la fiscalité locale relatives à la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales et à la baisse des impôts de production, les collectivités locales bénéficient désormais de fractions de TVA, pour un montant total de près de 38 milliards d'euros afin d'assurer leur financement. Cette part, si le Parlement le décide, si nous le votons, devrait encore augmenter avec la suppression annoncée des parts communale et départementale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Nous aurons ce débat lors du projet de loi de finances pour 2023.

Ce partage de la TVA entre le budget de l'État et les collectivités dont le taux de dépendance à cet impôt augmente rend indispensable une gestion optimisée de sa collecte afin de sécuriser les ressources de l'État et des collectivités. Une audition auprès de la direction générale des finances publiques (DGFiP) m'a permis de constater que le déploiement de la facturation électronique obligatoire entre 2024 et 2026, ainsi que le développement d'outils de « data mining », autrement dit d'exploration de données, devraient permettre la détection de fraude de manière plus rapide.

Par ailleurs, en 2023, le niveau des remboursements d'impôts sur les sociétés est évalué à 14,2 milliards d'euros, soit une hausse de 13,8 % par rapport à la LFI de 2022, avec 12,5 milliards d'euros.

Cette hausse des remboursements d'impôts sur les sociétés résulte d'une diminution attendue du bénéfice fiscal des entreprises en 2022 dans un contexte de crise inflationniste, mais les incertitudes sont grandes sur l'exécution à venir.

À l'inverse, les remboursements liés à des politiques publiques enregistrent une baisse de près de 5 milliards d'euros en raison de la suppression du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et de la contribution à l'audiovisuel public (CAP). Sur ce point particulier, je m'interroge sur l'effet de cette suppression annoncée comme une mesure pour améliorer le pouvoir d'achat des Français. Sans rouvrir le débat, force est de constater que la suppression du dispositif ne concernera pas les foyers les plus modestes puisque 4,6 millions d'entre eux, soit 17 %, sur les 27,6 millions de foyers assujettis, étaient déjà exonérés du paiement de la contribution en 2021.

L'avantage d'une suppression est sans doute plus significatif pour les entreprises devant s'acquitter du paiement de la contribution. Le Gouvernement estime d'ailleurs que la suppression de la CAP devrait équivaloir à un allégement fiscal d'environ 110 millions d'euros pour les entreprises du secteur de l'hôtellerie, des cafés et de la restauration.

Le crédit d'impôt recherche (CIR) reste, quant à lui stable, estimé à environ 7 milliards d'euros en 2023 pour des remboursements qui avoisineraient 5 à 6 milliards. Vous connaissez déjà mes doutes sur l'efficacité de ce dispositif en termes de création d'emplois et de nombre de brevets déposés, je vous en ai déjà fait part l'année dernière. Mais je voudrais également partager avec vous mon étonnement, face à l'ambition très mesurée, du Gouvernement concernant les taux de retour de ce crédit d'impôt avec une cible de 1 euro investi pour 1 euro remboursé. De surcroît, ce crédit d'impôt est particulièrement complexe à contrôler selon les dires mêmes de la DGFiP en raison de la nécessaire coordination entre ses services et ceux du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il est, par ailleurs, générateur de nombreux contentieux relatifs au caractère éligible ou non des dépenses d'innovation. Il nous faut le réformer, nous aurons ce débat lors du projet de loi de finances.

Je conclurai cette partie sur les remboursements d'impôts d'État par une note positive. Les remboursements liés aux contentieux de série baissent sensiblement, passant de 2,7 milliards en 2022 à 1,1 milliard d'euros en raison des efforts faits dans le suivi et la gestion des plus gros contentieux. Je nuancerai tout de même mon propos puisque les crédits inscrits à ce titre au PLF 2023 ne s'élèvent certes qu'à 1,1 milliard d'euros, mais les contentieux en cours atteignent, quant à eux, 4,6 milliards d'euros. Cet écart est en partie dû à des moyens de traitement limités au sein des services de la DGFiP, qui priorisent, dès lors, pour 2023, les remboursements des contentieux les plus importants en termes de montants, et ce afin de limiter les intérêts moratoires afférents. J'ai appris en audition que la tâche fastidieuse était confiée à des contractuels qu'il était peu aisé de former aux rudiments du traitement de ces contentieux, amenuisant d'autant l'efficacité du traitement du stock de dossiers en cours.

Enfin, certains contentieux particulièrement atomisés avec des montants individuels faibles génèrent une gestion lourde et des délais de traitement longs.

Je souhaite également évoquer le second programme de cette mission consacré aux dégrèvements et remboursements d'impôts locaux.

En PLF 2023, les crédits évalués au titre du programme 201 s'élèvent à 4,6 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) comme en crédits de paiement (CP), soit une baisse de 30,8 % par rapport à la LFI 2022. Cette diminution fait suite aux baisses consécutives de 70 % enregistrées entre la LFI 2020 et la LFI 2021, et de 3,8 % entre la LFI 2021 et la LFI 2022, qui s'expliquaient, pour l'essentiel, par la réforme de la taxe d'habitation sur les résidences principales et, dans une moindre proportion, par la réforme des impôts de production.

La nouvelle baisse attendue en 2023 s'explique, quant à elle, quasi exclusivement par la suppression des parts communale et départementale de la CVAE prévue par l'article 5 du PLF, après la suppression de la part de CVAE affectée aux régions en loi de finances initiale pour 2021.

Cet impôt local a généré 9,7 milliards d'euros de produit fiscal en 2021 pour les collectivités, soit 11 % de leurs recettes fiscales. Il est perçu par l'État qui en dégrève environ un quart, territorialise le produit à hauteur de 53 % pour le bloc communal et de 47 % pour les départements et le répartit selon le nombre d'établissements des entreprises concernées sur chaque territoire, mais aussi en fonction d'une clé de répartition basée sur les deux tiers selon les équivalents temps plein (ETP) déclarés par les entreprises et sur un tiers selon les bâtiments sur les bases foncières de la cotisation foncière des entreprises (CFE).

Cette suppression partielle en 2023 puis totale en 2024 sera compensée à l'euro près par une fraction de TVA qui sera divisée chaque année en deux parts.

Une part fixe correspondant à la moyenne de leurs recettes de CVAE des années 2020, 2021 et 2022. Sur ce point, je note toutefois que l'année 2022 devrait globalement être une mauvaise année en termes de perception de CVAE. On connaît ici, les limites d'une part fixe qui ne tient pas compte de la réalité du produit d'un impôt local perçu sur le temps long. L'implantation de nouvelles entreprises deviendrait alors nulle fiscalement au regard du calcul de la part fixe de la compensation.

Une seconde part correspondant à la dynamique, si elle est positive, de la fraction de TVA calculée au niveau national. Cette fraction sera affectée à un fonds national d'attractivité économique des territoires dont les modalités de répartition ne sont, à ce jour, toujours pas arrêtées. Si cette territorialisation de la dynamique est une demande de nombreux élus, je tiens à alerter sur les risques de complexité des critères qui seront définis à cette fin. Il ne faudrait pas construire une « usine à gaz » qui viendrait rendre encore plus illisible le système de financement des collectivités territoriales.

Les mesures de compensation de cette réforme génèrent - comme celles relatives à la réforme de la taxe d'habitation - une perte de l'autonomie financière des collectivités territoriales.

Aussi, comme je l'avais déjà fait lors de l'examen des précédents PLF, je réitère mes interrogations sur l'impact de la substitution d'une fraction de TVA aux actuelles recettes de CVAE.

Sur ce point, je rappelle que les régions perçoivent désormais une ressource dont l'évolution est très sensible à la conjoncture économique, quand la CVAE n'était affectée par un retournement conjoncturel qu'après une à deux années, en raison de sa mécanique.

En 2022, la part de TVA est déjà la première recette des départements et des régions. Après la suppression de la CVAE, elle deviendra la deuxième recette du bloc communal. Les ressources des collectivités vont désormais dépendre, en majorité, d'un impôt national sur lequel elles n'exercent aucun pouvoir de taux.

Mme Sylvie Vermeillet. - Merci de ce rapport très intéressant. Le crédit d'impôt recherche est censé améliorer l'innovation et la compétitivité des entreprises. Connaissez-vous la répartition de la distribution du CIR entre les groupes étrangers et les entreprises françaises ? Il ne s'agirait pas que nos aides profitent aux États-Unis ou à l'Asie.

M. Rémi Féraud. - Cette mission enregistre les conséquences de décisions gouvernementales. Nous nous sommes opposés à presque tous ces choix, qu'il s'agisse de la mise sous tutelle des collectivités locales ou de l'asphyxie de l'audiovisuel public. Taxe d'habitation, CVAE, etc. : cette mission enregistre tout. Enfin, elle comprend des éléments d'évolution de niches fiscales ou de dispositifs comme le CIR. Sur ce dernier point, France Stratégie s'interroge. Pourtant, le crédit d'impôt recherche semblait utile, voire indispensable. Or le Gouvernement n'en tire aucune conséquence. Ce dispositif coûte aussi cher que les 8 milliards d'euros d'amendements votés ces derniers jours à l'Assemblée nationale. Ce point mérite d'être souligné. Enfin, M. le rapporteur ne nous recommande aucun vote. Qu'en est-il de sa position sur ces crédits ?

M. Charles Guené. - Je salue les investigations toujours pertinentes de Pascal Savoldelli. Je fais partie des gens qui pensent que l'affectation de TVA pour les collectivités locales n'est pas une mauvaise chose en soi, la problématique est de savoir comment l'indexation se fait ensuite. Les collectivités locales ne peuvent pas plus s'affranchir que les autres de la dynamique de l'économie du pays. La TVA me paraît donc plutôt un bon impôt. L'inquiétude du rapporteur porte sur la complexité du système mis en place. En tant que fiscaliste, je pense que tout ce qui concerne la fiscalité est complexe. La CVAE l'est déjà, le système qui viendra en substitution ne sera donc pas plus simple. Je m'inquiète plutôt de la manière dont tout cela sera mis en place via des décrets. Il ne faudrait pas que la part dynamique de TVA que l'État entend territorialiser soit définie de manière discrétionnaire sans consultation des élus. Dans toutes les usines à gaz, ce qui est embêtant ce sont les fuites de gaz !

M. Albéric de Montgolfier. - Pascal Savoldelli a évoqué la TVA, en soulignant la montée en puissance des restitutions, qui augmentent de 5,9 % cette année, contre 10,2 % l'année précédente, ce qui est tout à fait normal. En revanche, on peut s'interroger sur le risque accru de montages frauduleux. Un certain nombre de mesures ont été prises en loi de finances pour lutter contre la fraude carrousel. Avec l'internationalisation des échanges, les fraudes sont de plus en plus complexes. Les mesures prises seront-elles suffisantes ? Sans parler de la TVA sur internet, car certains vendeurs sur de grandes plateformes n'ont pas de numéro de TVA communautaire, ce qui est un peu inquiétant. Il existe un décalage entre la volonté affichée et la réalité concernant la fraude à la TVA.

M. Michel Canévet. - Je remercie également le rapporteur spécial d'essayer de vulgariser les mécanismes complexes des dégrèvements et remboursements. Pourquoi y a-t-il entre 2016 et 2021 un écart significatif entre les prévisions et les réalisations en ce qui concerne le CIR ? A-t-on bien mesuré le montant du crédit qui sera octroyé ? Dans l'hypothèse d'une suppression de la CVAE, ne faudrait-il pas retenir la formule du dégrèvement pour pouvoir mieux coller à la réalité des évolutions des réalités socio-économiques sur les territoires ? Enfin, la réduction très significative des dégrèvements pour la taxe d'habitation et la contribution à l'audiovisuel public entraîne-t-elle des économies de fonctionnement au sein de la DGFiP ?

M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial. - Dans les différentes études disponibles, la répartition du CIR ne se fait pas entre groupes étrangers et groupes français. Elle se fait entre très petites entreprises (TPE), petites et moyennes entreprises (PME) et grands groupes, donc en volume. Évidemment, les plus grandes entreprises sont aussi les plus grandes bénéficiaires, car elles ont des moyens d'accompagnement pour profiter de ces crédits. Quoi qu'il en soit, c'est une question que nous soulèverons afin de mieux cerner la répartition de ce crédit d'impôt.

Rémi Féraud, comme beaucoup, a changé de point de vue sur le CIR. Le CIR a effectivement, d'après les études publiées sur ce sujet, des effets très relatifs sur la création d'emplois, ainsi que sur le nombre de brevets déposés.

Concernant le vote sur les crédits de cette mission, je propose d'adopter les crédits, car il s'agit surtout ici de mettre à plat des mécanismes qui ne sont que le reflet des politiques et des dispositifs fiscaux.

En ce qui concerne la suppression de la CVAE à venir, les modalités de la territorialisation de la dynamique ne sont pas encore définies à ce jour. Nous demanderons que les associations d'élus soient sollicitées et consultées. Ce sont des mécanismes complexes, comme Charles Guené l'a souligné, mais nous avons le droit de comprendre. Il importe d'avoir des moments pédagogiques, mais aussi de démocratie avec les élus locaux.

Sur la question soulevée par Albéric de Montgolfier, j'avoue que je ne connais pas tous les mécanismes. J'ai néanmoins senti qu'il existait un réel effort pour mieux prendre en compte l'ensemble des fraudes à la TVA. Certains fraudeurs sont des délinquants de haut vol et les mécanismes de coopération ont du mal à être efficients. Il est difficile de demander des estimations sur une fraude, y compris à l'administration. En tout état de cause, la DGFiP n'a pas remboursé 2 milliards d'euros de demandes estimées indues, preuve qu'il existe un instrument de contrôle et de vigilance.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

La réunion est close à 11 heures.

La réunion est ouverte à 11 h 05.

Perspectives économiques de la France pour les années 2023 à 2027 - Audition de MM. Maxime Darmet, économiste France à Allianz, Denis Ferrand, directeur général de Coe-Rexecode et Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)

M. Bernard Delcros, président. - Nous recevons, dans le cadre d'une audition commune consacrée aux perspectives économiques de la France pour les années 2023 à 2027, M. Denis Ferrand, directeur général de l'institut Rexecode, M. Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et M. Maxime Darmet, économiste senior chargé des États-Unis et de la France pour le groupe Allianz.

Cette audition s'inscrit dans le cadre des travaux de notre commission relatifs à l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 et du projet de loi de finances (PLF) pour 2023. Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence du président de la commission et du rapporteur général, qui regrettent de ne pouvoir participer à cette audition.

Ces deux projets de loi sont construits sur un ensemble d'hypothèses macroéconomiques formulées par le Gouvernement et sur lesquelles notre commission souhaite entendre vos analyses, après avoir entendu, en septembre dernier, M. Pierre Moscovici en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP).

Le Gouvernement prévoit une croissance du PIB de 1 % en 2023, « hypothèse haute » en comparaison du consensus des économistes. En outre, il considère que les capacités potentielles de l'économie française progresseraient entre 2023 et 2027 comme avant la crise, c'est-à-dire à un rythme d'environ 1,35 % par an en volume. Par ailleurs, il estime qu'actuellement l'économie fonctionne en dessous de ses capacités potentielles, ce qui implique que nous bénéficierions d'un potentiel de rebond.

Sur l'ensemble de la période 2023-2027, le Gouvernement retient plusieurs hypothèses : une croissance annuelle moyenne d'environ 1,7 %, une normalisation progressive de l'inflation, une hausse du taux d'activité et une baisse durable du taux de chômage. Nous attendons vos observations, compte tenu également des éléments les plus récents dont vous disposez.

M. Denis Ferrand, directeur général de Coe-Rexecode. - En fait, et c'est souvent le propre des prévisionnistes, il nous faut expliquer ce qu'on n'a pas forcément vu venir hier ! Actuellement, les économies sont très perturbées par les évolutions de prix, qui n'avaient pas vraiment été anticipées.

Permettez-moi de revenir sur les mécanismes qui ont été mis en place depuis la crise de la covid.

Au moment du confinement, la production a été soumise à une contrainte maximale, tandis que la demande est restée relativement stable, les revenus des ménages et les liquidités des entreprises étant préservés grâce aux mesures publiques.

À partir du second semestre de 2020 et tout au long de l'année 2021, on a assisté à un rebond extrêmement fort de l'activité économique, mais très disparate selon les secteurs : ce sont les achats de biens qui en ont essentiellement profité, la contrainte s'exerçant davantage sur la demande de services. Aux États-Unis, la consommation de biens durables a même augmenté de 30 %, ce que personne n'aurait pu anticiper en 2019, alors que l'outil de production n'était pas encore totalement opérationnel. Les pénuries matérielles très fortes qui en ont résulté ont eu pour conséquence la hausse du prix de nombreuses matières premières et des tensions sur l'offre.

En 2022, c'est à une mécanique inflationniste que l'on est confronté, à laquelle s'ajoute le choc lié à l'augmentation du prix de l'énergie.

Pour résumer : un déséquilibre offre-demande sur le marché des biens en sortie de confinement ; une accélération intense (+14 %) de la masse monétaire en 2021 ; une relance très forte, notamment aux États-Unis, où une décorrélation s'installe entre le revenu des ménages et la production de richesses ; une mobilité accrue de la main-d'oeuvre, notamment aux États-Unis, où un emploi sur six avait été supprimé pendant le confinement, cette mobilité étant propice à une hausse des salaires - les salaires des personnes ayant changé d'emploi ont progressé de 7 %, contre 5 % pour les autres.

À ce détonateur qu'ont été les pénuries matérielles s'est ajouté un second détonateur, le conflit ukrainien, lequel n'a pas été le véritable déclencheur de l'inflation.

Partant, trois phénomènes se sont manifestés.

Premièrement, on observe un recul du pouvoir d'achat pour les revenus non indexés, provoquant une tension à la baisse sur la demande, et des entreprises qui ne répercutent pas l'intégralité des hausses de coûts de production, ce qui entraîne une contraction de leur demande.

Deuxièmement, on note une baisse de la valeur réelle de l'épargne, sachant que le patrimoine, c'est le pouvoir d'achat futur de l'épargnant. Pour notre part, nous faisons le pari que celui-ci voudra préserver la valeur réelle de son épargne, ce qui conduira les ménages, mais aussi les entreprises, à fournir un effort d'épargne plus important. Ce ne sera pas sans effet sur l'activité.

Troisièmement, les revenus indexés sur l'inflation, par exemple ceux qui sont produits par les obligations indexées, ainsi que l'atténuation du choc inflationniste par l'intervention publique constituent une forme de persistance de l'inflation. S'y ajoute la dépréciation du taux de change euro/dollar, entretenant une inflation importée. En retour, on assiste à une réaction des politiques monétaires.

Notre hypothèse de croissance n'est pas tout à fait celle du Gouvernement : nous penchons davantage pour une stagnation de l'activité en 2023, avant une lente récupération.

Quand survient un ralentissement économique, des tensions se dénouent. Par exemple, les délais de livraison des fournisseurs sont désormais revenus à la normale. Les situations de pénurie s'atténuent.

Aux États-Unis, l'offre et la demande de travail tendent à converger de nouveau, alors que, auparavant, l'offre de travail, inférieure à la demande, exerçait une pression haussière sur les salaires, ce qui devrait atténuer l'inflation salariale. En zone euro, le diagnostic est un peu moins bon : les anticipations de prix formulées par les chefs d'entreprise qui avaient commencé à reculer, repartent à la hausse en raison de la crise énergétique. L'écart actuel de 300 euros le mégawattheure entre le prix spot sur le marché de l'électricité et le prix à trois mois indique que les acteurs anticipent un hiver compliqué.

Le taux d'investissement des entreprises est élevé et les créations d'emplois sont très nombreuses. Jusqu'à présent, elles n'avaient pas été contraintes, comme c'est habituellement le cas en période de ralentissement de la conjoncture, car leur viabilité n'était pas menacée - quand elles ne peuvent pas faire face à une échéance de paiement -, car leur liquidité a été préservée. Vont-elles désormais être plus prudentes en matière d'investissements et d'emplois ? De notre point de vue, c'est en train de changer, ce qui doit nous alerter.

Les défaillances d'entreprises ont été d'un niveau très bas en 2019 ; en revanche, sur les neuf premiers mois de 2022, les radiations d'entreprises ont augmenté de 37 % par rapport à 2019.

En résumé, l'économie fait face à des chocs d'offre négatifs, particulièrement en Europe, avec des contraintes sur la production, sur la quantité, avec une inflation importée et une réduction des bilans. La hausse des taux se traduit d'ores et déjà par une baisse de la valeur des obligations à hauteur de 20 %, ce qui réduit les possibilités d'arbitrages. Ne négligeons pas ce krach muet que subissent les valeurs obligataires !

Les circonstances exceptionnelles que nous avons connues sont en train de se résorber et l'économie est à la recherche d'un nouvel équilibre. Les écarts vont se réduire, mais au prix d'une récession. La situation de très faible croissance que nous vivons actuellement peut assez rapidement se muer en récession. Ainsi, en Allemagne, les anticipations sont très dégradées.

Pour finir, quelques observations sur les finances publiques.

Les perturbations des années récentes ajoutent des menaces aux changements de tendance en cours : du fait du ralentissement démographique, la population en âge de travailler recule depuis 2011 et la population active ne progresse plus ; nous observons un affaiblissement des gains de productivité ; quant à la nécessité d'accélérer la décarbonation, elle n'est pas un facteur de croissance potentielle additionnelle, mais une réallocation d'objectifs d'investissements ; enfin les conditions de financement sont plus difficiles, avec des taux plus élevés pour une plus longue période.

Selon les prévisions du Gouvernement, l'écart de production serait encore positif entre le niveau de PIB potentiel et le niveau de PIB attendu. Selon nous, cet écart de production est résorbé compte tenu des tensions fortes sur l'activité et du fort taux d'utilisation des capacités de production. Nous anticipons une croissance potentielle d'environ 0,9 %, en actant les gains de productivité antérieurs.

Dans la mesure où la population active ne progresse plus, tout ce qui permettra d'augmenter le taux d'activité, notamment des salariés les plus âgés, sera bénéfique pour la croissance potentielle. À côté de cela, la transition énergétique, indispensable, c'est aussi de la destruction accélérée du capital, ou bien son simple remplacement, ce qui a des conséquences sur le processus productif.

Tous ces éléments nous invitent donc à retenir des hypothèses de croissance potentielle très prudentes, sachant aussi que toute récession altère le potentiel productif. En conséquence, nous tablons sur un déséquilibre des finances publiques plus marqué que celui qui est envisagé par le Gouvernement. Ainsi, nous envisageons une dette publique représentant 120 points de PIB pour l'année 2027, contre 112 actuellement.

M. Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques. - Voilà déjà neuf mois que la France a rattrapé le niveau d'activité d'avant-crise. Depuis, nous sommes sur un plateau. Seuls les États-Unis font mieux que nous. Mais certains secteurs sont encore en crise. L'industrie, par exemple, est toujours 6 % en dessous du niveau d'avant-crise ; la construction, à 3 %. Les services, eux, l'ont dépassé. Quant à l'énergie, elle traverse un moment très particulier, avec la crise actuelle, qui devrait toutefois être transitoire. Les performances catastrophiques dans le secteur des matériels de transport nous inquiètent, car elles peuvent réduire la croissance potentielle. Déjà, elles dégradent le commerce extérieur et réduisent nos parts de marché.

À très court terme, nous analysons le moral des chefs d'entreprise pour en inférer un taux de croissance prévisible. Malgré toutes les incertitudes, malgré toutes les catastrophes, les chefs d'entreprise ont encore un moral au-dessus de la moyenne. Les modèles en déduisent des taux de croissance positifs pour les trimestres à venir. C'est d'ailleurs aussi ce que dit l'Insee dans sa note de conjoncture. Pourquoi ont-ils le moral ? Parce que les carnets de commandes sont pleins à craquer : ils ont pour cinq à sept mois de production commandée, contre trois mois habituellement. Nous avons actuellement un problème pour produire, mais pas pour vendre. Dans l'industrie, les difficultés concernent surtout l'approvisionnement ; dans les services, le recrutement. En tout cas, les chefs d'entreprise gardent leur main-d'oeuvre, car ils savent qu'il y a de la production à venir.

Le revenu des ménages a été bien préservé pendant la crise, et ceux-ci ont été partiellement empêchés de consommer. Résultat : une sur-épargne s'est accumulée. En France, elle a atteint 166 milliards d'euros en 2021, soit onze points de revenu des ménages ! Le même phénomène s'observe partout dans le monde. Aux États-Unis, on parle de 2 600 milliards de dollars. Cette sur-épargne est pour l'instant surtout placée sur des comptes en banque. Si elle est consommée, l'inflation induite sera gigantesque - la croissance aussi. Si elle est investie, elle servira à acheter des actions, des obligations, de la dette publique... En tout cas, on ne peut pas faire comme si cette sur-épargne n'existait pas. C'est pourtant ce que nous faisons dans nos prévisions, puisqu'on ne sait pas dire avec précision ce que les ménages vont en faire.

Il y a un an, la prévision qui faisait consensus pour 2022, c'était une croissance de 4 %, sans compter l'utilisation de cette sur-épargne. Quand on imaginait que 20 % de ces sommes seraient dépensés, la croissance en France passait de 4 à 6 % ! Cela en dit long sur le potentiel de rebond qui était présent sans tensions inflationnistes sous-jacentes.

D'ailleurs, il faut arrêter pendant un moment de parler d'inflation : mieux vaut parler du niveau de prix. Lorsqu'il y a simultanément un choc de demande et d'offre, dans un premier temps les prix baissent, puis ils remontent. Si l'on compare les prix prévus en 2022 par rapport à ceux de 2019, l'inflation semblerait sous contrôle. L'inflation vient du fait qu'en 2020 et 2021, les prix ont été plus bas que la normale. Même observation sur le taux de croissance : après -8 % en 2020, un rebond à +6 % ne veut rien dire. Dans les deux cas, c'est le niveau qui compte.

La Banque centrale a raison de dire que l'inflation va se tarir. La question est de savoir à quel niveau de prix nous allons arriver. À mon avis, les prix vont rester élevés, mais avec une progression faible, en tout cas cohérente avec l'objectif de la Banque centrale européenne (BCE). La croissance, elle, devait être considérable en 2022. Avec 4 %, après -8 % en 2020 et +6 % en 2021, nous aurions nettement dépassé le niveau d'avant-crise.

Pour prendre une métaphore, nous avions lancé la bille du flipper très vite, et cette bille est allée frapper des champignons pendant toute l'année 2022 : le variant omicron, qui a surpris et a eu une incidence sur le taux d'absences dans les entreprises ; la stratégie du zéro covid en Chine, due à la faible efficacité du vaccin chinois, qui n'était pas anticipée, a provoqué une rupture dans la chaîne d'approvisionnement ; la guerre en Ukraine, enfin, que personne, honnêtement, n'a intégrée dans ses prévisions, et qui a généré une grande partie de l'inflation en faisant monter les prix de l'énergie. Le choc sur le pétrole était gérable : nous avons déjà connu un baril à plus de 100 dollars. C'est sur le gaz, dont le prix a été multiplié par huit, que le choc a été considérable.

Nos prévisions sont actuellement très difficiles à établir. Nous nous en tenons au dernier point connu : prix du gaz à 200 dollars, prix du baril à 100 dollars. Si l'on stabilise ces prix, l'inflation énergétique devrait disparaître, mais le niveau des prix restera très élevé.

Ce qui n'était pas anticipé, en revanche, c'est la réaction très rapide des politiques monétaires, nouveau champignon heurté par la boule du flipper... La rapidité de l'augmentation des taux constitue un choc, d'abord aux États-Unis, puis au Royaume-Uni, et en Europe. Un point de hausse de taux d'intérêt, c'est 0,4 point de croissance en moins - et 0,1 point d'inflation en moins, alors que nous sommes à 10 % ! L'idée est donc moins de faire baisser immédiatement l'inflation que d'ancrer les anticipations, en faisant passer le message que la Banque centrale va lutter contre l'inflation. À court terme, toutefois, cela provoque une récession. La politique qui permet de lutter contre l'inflation à court terme, c'est la politique budgétaire. Aujourd'hui, le bouclier tarifaire diminue l'inflation de trois points. Actuellement, les anticipations d'inflation à cinq ans en zone euro sont à 2,2 % : proche de la cible. Aux États-Unis, elles sont à 2,5 %, maîtrisées également, donc.

Les problèmes d'approvisionnement avaient atteint des niveaux historiques. L'indicateur calculé par la Réserve fédérale des États-Unis est très scruté : un choc d'approvisionnement s'y reflète normalement par un écart-type, ou un peu plus. Nous sommes montés jusqu'à quatre écarts-types - et c'est non linéaire ! On observe cependant un retour rapide à la normale. Nos prévisions extrapolent ces tendances, même si on ne sait pas ce qui va se passer demain, notamment en Chine, entre le zéro covid, le congrès du Parti communiste et les tensions avec Taïwan. À l'OFCE, nous essayons surtout de comprendre les chocs identifiés, qui sont déjà là, et d'analyser leurs conséquences. La Chine va-t-elle envahir Taïwan ? Allons-nous manquer de carburant demain ? Y aura-t-il une crise sociale dans les mois à venir ? Nous n'en savons rien. Nous construisons donc des scénarios alternatifs pour en tenir compte.

En 2022, nous devions avoir 4 % de croissance. Omicron nous a retiré 0,2 point, le choc des taux nous a enlevé encore 0,2 point, celui des incertitudes géopolitiques a coûté 0,5 point, et le choc énergétique nous enlève encore l'équivalent : au total, en tenant compte aussi des politiques budgétaires qui ont essayé de compenser tout cela, on arrive à 2,6 % pour cette année. Pour l'année 2023, nous modélisons la continuation des mêmes difficultés. À politique budgétaire inchangée, et sans nouveaux chocs, nous serions à 0,6 % de croissance. Certains voient donc ce chiffre comme un maximum, les chocs potentiels devant être plutôt négatifs. Mais nous avons retenu des prix de l'énergie relativement élevés.

Par rapport à ce qu'on prévoyait avant la crise, presque tous les pays sont en retard. Les pays scandinaves sont en avance, et c'est aussi le cas de l'Italie, pays pour lequel cette crise n'a pas eu d'incidence sur le potentiel de croissance. Le grand perdant de cette crise, c'est l'Asie. Certes, le PIB y est supérieur à celui de 2019, mais il est plus faible que ce qu'il aurait été sans cette crise.

L'écart de production prévu par le Gouvernement est-il optimiste ou pessimiste ? La question se posait déjà en 2019. Le Gouvernement parlait d'écart positif, ce qui signifie que le taux de chômage était inférieur à son niveau structurel. Or il était à 8,4 %, avec une inflation sous-jacente de 0,9 %. Cela ne paraît pas convaincant. D'ailleurs, le taux de chômage a diminué sans créer de tensions inflationnistes. C'est bien que le taux de chômage structurel en France n'était pas de 8,4 %.

La crise a-t-elle eu une incidence sur le potentiel de croissance ? Une crise ordinaire en a, mais la covid était une crise atypique. Les politiques qui ont été mises en place, très rapidement et à grande échelle, ont justement été taillées pour préserver le tissu productif et la capacité des ménages à consommer. De ce fait, le niveau de production potentielle ne s'est pas affaibli pendant cette crise. Il n'y a pas eu de destruction de capital. La Banque de France prévoyait au départ une incidence négative de 2,5 % sur la croissance potentielle. Actuellement, elle parle de +0,2 %. Certes, des investissements n'ont pas eu lieu, ce qui enlève 0,5 point de production potentielle. En niveau, donc, le choc est majeur. Mais en croissance potentielle, il faut être beaucoup plus prudent. Pour notre part, nous avons simplement prolongé les tendances précédentes, ce qui aboutit à peu près aux prévisions du Gouvernement.

En revanche, la croissance potentielle va diminuer avec le temps - sur ce point nous sommes d'accord avec Rexecode - car la population active diminue. C'est ce qui rend nécessaire une grosse réforme des retraites, et nous oblige à faire augmenter fortement le taux d'emploi. Et encore, cela ne suffirait pas à compenser, à long terme, la baisse de la croissance potentielle. À court terme, cela pourrait la faire monter de 0,3 point.

Le gros problème, pour la croissance potentielle, c'est le marché du travail. La tendance, dans les grands pays, est au ralentissement de la productivité depuis trente ans. Son rythme de progression s'établit, en moyenne, un peu en dessous de 1 %. En France, on produit à peu près la même chose qu'il a deux ans et demi - 0,8 % de plus, en fait. Avec les gains de productivité, on devrait avoir des destructions d'emplois, puisque les salariés d'aujourd'hui sont 2 % plus productifs que les salariés de 2019. On retrouve cette tendance partout en Europe, à l'exception de l'Italie. Ce n'est pas une spécificité française.

Si une partie de ce décalage peut s'expliquer en France par la durée du travail et l'apprentissage, une autre reste inexpliquée. Deux hypothèses peuvent être avancées.

Premièrement, les gains de productivité ont été surévalués, et nous assistons réellement à une baisse de productivité. Certains mettent en avant un effet du télétravail - la Banque de France estime au contraire que le télétravail se traduit par une hausse de productivité - ou de la « démission silencieuse », qui se traduirait par un moindre investissement au travail.

Deuxièmement - l'hypothèse que nous privilégions -, ce décalage s'explique pour d'autres raisons.

L'Urssaf indique ainsi un recul du travail dissimulé, les entreprises préférant déclarer complètement leurs salariés pour toucher les aides étatiques. De même, on compte moins de travailleurs détachés qu'auparavant. Autant de personnes qui n'étaient pas comptabilisées dans l'emploi, mais dont le travail avait pour effet d'augmenter la valeur ajoutée. Ces évolutions peuvent donner temporairement l'illusion d'une perte de productivité.

Nous croyons aussi à une rétention importante, mais temporaire, de main-d'oeuvre de la part des entreprises.

Parce que les carnets de commandes sont pleins, qu'il existe des difficultés de recrutement et que les taux d'absence restent très élevés, les entreprises préfèrent conserver un surplus de main-d'oeuvre à disposition. Il n'y a aucune certitude en la matière, mais, pour nous, cette rétention de main-d'oeuvre dans les entreprises nous semble plus vraisemblable qu'un réel effondrement de la productivité. Nous l'estimons à 600 000 emplois environ.

Les chefs d'entreprise risquent donc de procéder petit à petit à des ajustements et, dans ce cas de figure, le chômage repartirait à la hausse, contrairement aux prévisions du Gouvernement. La croissance de demain serait moins riche en emplois, car les chefs d'entreprise utiliseraient cette réserve de productivité.

Notre hypothèse de croissance n'est pas si différente de celle du Gouvernement, mais là où il prévoit 115 000 créations d'emplois, nous prévoyons 170 000 destructions, avec des gains de productivité qui reviendraient à des niveaux normaux au cours des trois prochaines années.

Si nos prévisions se réalisaient, le taux de chômage serait de 8 % environ fin 2023.

M. Maxime Darmet, économiste France à Allianz. - Nous anticipons très clairement une récession technique aux États-Unis avant la fin 2022 ou le début 2023. La forte inflation rogne le pouvoir d'achat des ménages américains et la remontée rapide des taux d'intérêt entraîne un retournement assez spectaculaire du marché immobilier. Plus près de chez nous, les dernières enquêtes sur l'Allemagne et l'Italie indiquent aussi un ralentissement très fort, avec certainement une entrée en récession au quatrième trimestre 2022, du fait principalement du choc énergétique.

Nous avons aussi essayé de dresser un état du marché gazier européen à la suite des coupures russes. Nous importions 1 650 térawatts-heure (TWh) de gaz russe. En compensation, les offres alternatives représentent 550 TWh, essentiellement en provenance des États-Unis, du Qatar, de la Norvège et de l'Algérie, et la réactivation des usines à charbon permet de fournir 100 TWh supplémentaires, notamment en Allemagne.

La réduction spontanée de consommation des agents économiques face à la hausse vertigineuse des prix devrait, de son côté, se traduire par une économie de gaz de l'ordre de 600 TWh. En Allemagne, notamment, de nombreuses industries ont déjà commencé à réduire leur production.

Les pays européens ont par ailleurs des stocks de gaz à des niveaux très satisfaisants, qu'ils peuvent mobiliser. Dans l'hypothèse de stocks ramenés à 40 % - ils atteignent presque 90 % actuellement en France -, cela permettrait de fournir 400 TWh.

Selon la rigueur de l'hiver, nous pourrions donc avoir un manque de gaz compris entre 100 et 300 TWh, ce qui correspondrait tout de même à une baisse de PIB comprise entre 1 % et 2 %, et jusqu'à 3 % potentiellement en Allemagne selon le pire scénario.

Dans ce contexte, les États européens ont pris de nombreuses mesures de soutien aux ménages et aux entreprises. L'équivalent de 3 % du PIB a été mis sur la table en moyenne dans les pays européens, la France se situant plutôt au milieu du tableau, contrairement aux idées reçues, et l'Allemagne clairement en tête. Nous sommes vigilants sur ces mesures, qui réduisent certes l'inflation à court terme - 2 points en France en 2022 -, mais de quelle manière les États choisiront-ils d'y mettre un terme ?

L'une des origines de la grande inflation des années 1970 tient à la forte augmentation des dépenses publiques américaines sous l'administration Johnson entre 1962 et 1968, sans hausse de taxes concomitantes pour équilibrer le budget. Or, sur la période 2016-2022, on constate que les dépenses gouvernementales des grands pays européens ont également augmenté de façon importante, en particulier sous l'effet de la crise de la covid, notamment en Espagne.

Si le climat des affaires reste pour le moment plutôt bon en France, on constate un début de dégradation dans le secteur manufacturier, en raison notamment d'un fort ralentissement des industries les plus énergivores - chimie, métaux et papier.

L'indicateur de sentiment économique de la Commission européenne, qui porte à la fois sur les ménages et les entreprises, ralentit aussi fortement, mais reste compatible avec une croissance positive du PIB français au troisième trimestre 2022.

Allianz pense toutefois que l'économie française connaîtra une récession relativement modérée de l'ordre de 0,6 % en 2023, à cause de l'entrée en récession de nos principaux partenaires et d'une baisse des dépenses de consommation des ménages, qui devraient fortement ralentir dans les trimestres à venir. Le marché immobilier devrait lui aussi souffrir du resserrement monétaire très fort opéré par la BCE, la baisse des demandes de crédits immobiliers des ménages étant déjà très nette.

Notre prévision de déficit public diffère logiquement de celle du Gouvernement : nous l'estimons à 5,5 % du PIB pour 2023.

Les besoins de consolidation budgétaire sont par ailleurs très importants en France. Nous avons simulé l'effet d'une hausse de 100 points de base des taux d'intérêt d'emprunt sur la dette française : le coût supplémentaire pour les finances publiques serait à terme de 70 milliards d'euros, ce qui devrait peser sur la croissance des années à venir. C'est pourquoi nous sommes plus pessimistes que le Gouvernement sur les prévisions de croissance du PIB jusqu'en 2027.

Le taux de chômage structurel a en effet un peu baissé en France, mais cela s'explique avant tout par le vieillissement de la population active, les personnes âgées de plus de 49 ans, qui ont davantage de compétences techniques et d'expérience, ayant un taux de chômage plus faible que les personnes de moins de 25 ans.

Toutefois, il ne faut pas négliger non plus l'effet des réformes à venir. Nous avons retenu comme hypothèse l'adoption de la réforme de l'assurance chômage, et nous pensons qu'elle renforcera la tendance à la baisse du chômage structurel. Nous estimons son taux à 7,2 % d'ici à 2027, contre 8 % actuellement.

Le taux implicite de taxation à l'entrée en emploi d'un chômeur reste en effet élevé en France, de 75 %, contre 65 % en moyenne pour l'OCDE. Cela signifie que 75 % du surplus de salaire généré par la reprise d'activité est absorbé par des hausses d'impôt et des baisses d'aides diverses.

Les perspectives du chômage structurel sont donc plutôt orientées à la baisse : nous nous attendons à un taux de chômage structurel de l'ordre de 7,2 % en 2027, contre 8 % actuellement. Néanmoins, il nous paraît difficile de parvenir au plein emploi, sauf à combiner plusieurs réformes. Nous sommes en particulier plutôt pessimistes sur le niveau général de formation de la population. Dans tous les domaines - lecture, mathématiques, sciences -, la France affiche en effet un niveau bien plus dégradé que la moyenne de l'OCDE. Or si l'on en croit les dernières enquêtes, les choses ne devraient guère s'arranger.

Par ailleurs, le coin fiscalo-social, qui correspond au niveau des prélèvements, cotisations sociales et taxation des revenus en pourcentage du coût du travail, reste élevé en France. Tant que le salaire net n'augmentera pas, il sera difficile de stimuler l'offre de travail et d'inciter les chômeurs à retrouver un emploi. Comme la formation, la rémunération du travail est donc un facteur favorisant la recherche du plein emploi, que nous situons autour de 5 % de chômage structurel.

En matière d'investissement, les perspectives demeurent favorables en dépit de conditions financières de plus en plus dures. Ainsi, l'investissement total en pourcentage du PIB est en hausse très nette depuis 2015-2016. C'est une bonne nouvelle pour les perspectives de croissance. Le potentiel d'investissement dans les énergies renouvelables est par ailleurs important, compte tenu du retard qu'a pris la France - 30 % seulement de l'investissement privé total dans les énergies renouvelables dans la période post-covid, contre près de 60 % aux États-Unis par exemple - par rapport à ses voisins.

Nos prévisions de croissance s'établissent à 0,9 %. Elles divergent essentiellement de celles du Gouvernement - il table sur un taux de 1,35 % - sur la question de la croissance tendancielle de la productivité. En général, les chocs énergétiques entraînent en effet un ralentissement fort et brutal de la productivité - nous avons pu le constater en 1973 et 1979, la productivité n'ayant jamais retrouvé en France son niveau d'avant le choc pétrolier. Or le choc gazier actuel dû à la coupure des approvisionnements russes affecte la France - moins que ses voisins certes -, à hauteur de 2 % du PIB, soit un taux presque équivalent aux crises des années 1970. Dans ce contexte, nous pensons que si la crise énergétique dure, elle réduira les perspectives de productivité. Le tissu industriel connaît actuellement une forme de destruction ; or l'industrie est un des principaux facteurs de croissance de la productivité.

M. Jérôme Bascher. - Quand on fait une projection, il est important de savoir d'où l'on part. Aussi, nous aimerions connaître l'écart de production entre 2022 et 2023.

J'aime beaucoup votre idée associant chômage et baisse de productivité. À en croire la programmation annuelle des finances publiques ou le Haut Conseil des finances publiques, l'écart expliquant les différences de croissance potentielle s'expliquerait essentiellement par la productivité globale des facteurs (PGF). Vous avez évoqué la baisse de la productivité du travail. Le contenu de la croissance en emplois est, selon moi, également à considérer : si vous remplissez les hôtels, cafés et restaurants, vous obtenez une productivité extrêmement faible et des emplois faiblement qualifiés...

M. Éric Heyer. - Nous en tenons compte.

M. Jérôme Bascher. - Compte tenu des niveaux de croissance potentielle évoqués, quelle crédibilité accordez-vous finalement à l'hypothèse d'un retour au plein emploi ?

M. Didier Rambaud. - L'élément positif me semble être le niveau d'épargne, voire de surépargne, qui se chiffre à 170 milliards d'euros environ pour la France. Comment la mobiliser ? Faut-il encourager la consommation, l'investissement productif, un mixte des deux ?

Par ailleurs, compte tenu du dérèglement climatique et de la fonte des glaces qui libère des virus, nous serons malheureusement confrontés à d'autres pandémies et, donc, à de nouveaux chocs d'inflation. Comment peut-on les juguler pour éviter qu'ils ne cassent la reprise d'activité ?

M. Michel Canévet. - Vos analyses montrent bien le décalage entre les prévisions de croissance gouvernementales et celles que vous effectuez. Quel sera l'impact de la réforme des retraites, qui ne peut être immédiat, sur la croissance du PIB ? Par ailleurs, ce dossier ne risque-t-il pas d'entraîner une réduction de l'activité ? Je pense aux mouvements sociaux qui s'annoncent et qui pourraient perturber significativement les perspectives économiques.

Quels seront en outre, selon vous, les effets de la baisse - 8 milliards d'euros - des impôts de production sur la croissance ? Enfin, sur l'emploi, j'estime que le niveau de plein emploi se situe autour de 6 % de chômage, compte tenu des dispositifs de solidarité existant dans notre pays. Partagez-vous cette analyse ?

M. Marc Laménie. - Avez-vous pu mesurer précisément les conséquences de la crise sanitaire et des aléas climatiques sur la croissance ?

M. Denis Ferrand. - Nous estimons que nous sommes en écart de production fermé, ce qui ne signifie pas que le chômage structurel ne pourra plus baisser. Néanmoins, plus on s'attaque à des populations éloignées de l'emploi, plus le coût du retour à l'emploi est important : il nécessite un investissement, de la part des entreprises et en termes de formation. Or nous notons un écart avec les pays de l'OCDE, non pas sur le taux d'emploi des personnes les plus formées ou de formation intermédiaire, mais sur le taux d'emploi des personnes qui ont reçu une faible formation initiale. La baisse du chômage pourrait par ailleurs jouer sur le niveau de la productivité.

S'agissant de la réforme des retraites, il ne faut pas en attendre un impact immédiat en termes de taux d'emploi additionnel. Le taux d'emploi des 60-64 ans, autour de 30 %, est très faible : nous nous sommes habitués à exclure de l'emploi et du processus de formation les personnes approchant de l'âge de la retraite. Nous devons changer certaines habitudes dans le mode de fonctionnement des entreprises, mais aussi dans le mode de représentation des salariés et nous poser la question de l'accompagnement des personnes pour qu'elles restent le plus longtemps possible dans l'emploi.

S'ils ne seront pas immédiats, les effets de la réforme des retraites sont assez certains en termes d'augmentation du potentiel de production. Reste à savoir quand ils interviendront... D'une certaine manière, il est presque plus facile de faire de la prévision à long terme que de la prévision à court terme.

Peut-être est-il possible, à court terme de s'appuyer sur la sur-épargne, qui peut être réinvestie ? J'attire toutefois l'attention sur le fait que la valeur de cette épargne s'érode progressivement.

S'agissant de la sur-épargne constatée, nous devons nous demander comment l'orienter vers le haut de bilan, notamment pour financer la transition énergétique ? Ce débat, c'est un peu l'Arlésienne en France, la même question revenant toujours : comment associer épargne et fonds propres ?

Ce débat est également parasité par l'augmentation vertigineuse de la dette publique, qui a besoin d'être financée.

Rexecode défend depuis toujours la baisse des impôts de production, pour être en harmonie avec nos voisins européens. À valeur ajoutée égale, nous avons en France 35 milliards d'euros d'impôts de production en plus que la moyenne des États de l'Union européenne. La question est de savoir comment financer cette baisse, mais, à nos yeux, il est préférable de créer les conditions de la production, puis de prendre éventuellement de l'impôt sur la valeur créée, plutôt que de brider la production dès l'origine. Il y a un équilibre à trouver à cet égard.

M. Éric Heyer. - Pour nous, le chômage structurel en France se situe peu ou prou autour de 6,3 %. Cela veut dire que, pour atteindre le plein emploi, que je situe autour de 4,5 %, voire 5 %, il y a des réformes à faire.

On a beaucoup parlé de formation, mais je pense que l'immobilier est une problématique qui n'est pas assez prise en compte. Or le mal logement est une source fondamentale de mauvaise intégration dans l'emploi, et elle commence à produire ses effets dès l'enfance. Quand on est mal logé, on n'est pas dans de bonnes conditions pour réussir son parcours scolaire. Une étude du Collège de France montre que l'on est en mesure de dire à 82 % à la fin de la maternelle ou du cours préparatoire qui va décrocher scolairement à 16 ans ou être en situation d'échec au vu des conditions de logement durant son enfance.

Par ailleurs, on peut évoquer la mobilité, mais c'est la plupart du temps lié au logement. On a voulu faire une France des propriétaires. Résultat : une fois que l'on accède à la propriété, on est fixé à son territoire et on ne bouge plus.

Ce qui nous différencie des autres scénarios, c'est que l'on ne sait pas dire s'il y aura un rationnement de l'énergie, d'autres crises sanitaires ou des catastrophes naturelles. La crise sociale, c'est différent, car elle est latente depuis 2019.

Depuis lors, selon l'Insee, le taux de pauvreté s'est stabilisé grâce au « quoi qu'il en coûte », mais les inégalités se sont creusées au profit des 20 % les plus riches, qui ont pratiqué la sur-épargne. De même, les effets du choc énergétique ne sont pas les mêmes pour tout le monde : 5 % d'inflation au niveau national, ce n'est pas 5 % pour tout le monde.

Si, en plus, on fait des économies sur le chômage et les retraites, il y a des chances que la crise sociale nous revienne comme un boomerang. À mon sens, il sera très compliqué de dire que l'on continue à baisser les impôts dans les années qui viennent, d'autant qu'il y a eu 200 milliards d'euros de dette en plus ces dernières années.

Un dernier point sur le climat, avec une question un peu iconoclaste : le réchauffement climatique est-il bon pour la croissance économique ? Cela dépend du niveau initial des températures. Si elles sont basses à l'origine, le réchauffement a du bon pour l'économie, en revanche, si elles sont déjà hautes... À l'évidence, les incidences négatives du réchauffement climatique sont plus importantes pour le Sud que pour le Nord, ce qui aura des conséquences sur les flux migratoires, qui vont devenir gigantesques. Comment va-t-on les gérer ? Le choc risque d'être si violent qu'il sera impossible à gérer à l'horizon de 2050.

M. Maxime Darmet. - L'écart entre le Gouvernement et Allianz s'explique en partie par la différence de calcul de la productivité globale des facteurs.

Pour nous, le covid a perturbé durablement les chaînes de valeur. Avant la crise, il s'agissait de réduire considérablement les stocks. C'était la logique du « juste à temps ». Aujourd'hui, les entreprises sont plus prudentes et ont reconstitué leurs stocks : on est passé à une logique de « au cas où ». Mais cela coûte plus cher et cela affecte la productivité globale des facteurs.

En ce qui nous concerne, nous ne pensons pas que la sur-épargne soit susceptible de booster la croissance dans les années à venir. L'équation budgétaire des ménages se complique avec l'inflation forte, et ils préfèrent garder l'argent de côté.

Sur le plein emploi, je n'ai pas de dissonances majeures avec mes collègues, même si, pour ma part, je préfère mettre l'accent sur le manque de compétences techniques et la formation. Il faut miser sur les moins formés et mieux rémunérer les emplois les moins qualifiés. Le Smic net est sans doute trop bas. Il y a des marges en France pour augmenter le salaire net. C'est une question de financement.

M. Denis Ferrand. - Le Fonds monétaire international (FMI) a produit une évaluation sur la transition énergétique, qui coûterait en moyenne 0,2 point de croissance par an à moyen terme. Les effets arriveront bien plus tôt qu'en 2050.

En 1979, nous avons connu un choc énergétique, qui était mondial. Aujourd'hui, la crise du gaz a une dimension locale, et elle contribue donc à déséquilibrer la compétitivité entre les continents. Songez que le prix du gaz est aujourd'hui 14 fois plus élevé en Europe, 8 fois plus en Asie et 3 fois plus aux États-Unis qu'en septembre 2019.

M. Éric Heyer. - La différence de prévision sur l'emploi avec le Gouvernement tient à l'apprentissage. Nous ne croyons pas à l'objectif de 1 million d'apprentis, car il n'est pas budgété. En effet, ce sont des emplois aidés de façon un peu différente. Au demeurant, ils permettent d'afficher des taux de chômage beaucoup plus faibles.

M. Bernard Delcros, président. - Merci à tous de votre participation.

La réunion est close à 12 h 45.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.