Assises de la subsidiarité



Palais du Luxembourg, 24 octobre 2008

ÉCHANGES DE VUES

M. Luc VAN DEN BRANDE

Je souhaiterais maintenant donner la parole aux représentants des Groupes politiques du Comité des régions. À commencer par Madame Du Grandrut, du Groupe PPE.

Mme Claude DU GRANDRUT, Groupe PPE

Merci, Monsieur le Président, de me donner la parole.

Je suis heureuse de pouvoir la prendre ici au nom du PPE, au sujet du principe de subsidiarité qui a toujours été pour le Parti Populaire Européen une base de sa conception de l'Europe.

L'Union Européenne a montré, dans la crise financière et dans le conflit avec la Géorgie, sa capacité d'action, au nom des États membres. Il s'agissait, en effet, de répondre à des défis que les États ne pouvaient gérer seuls. C'est là une application du principe de subsidiarité et c'est ce qui me donne la possibilité de vous parler du principe de subsidiarité dans son ensemble; c'est-à-dire de celui qui reconnaît que le niveau de compétences sera mieux traité à un niveau supérieur, mais également qui accepte que la compétence des niveaux inférieurs doive être reconnue. La création du Comité des régions à laquelle, Monsieur le Président, nous avons participé, a été une reconnaissance par le Traité de Maastricht. Cela a été une occasion de démontrer la nécessité d'appliquer le principe de subsidiarité en rapprochant les élus de proximité de l'action de l'Union. Le Comité des régions s'est donc révélé un outil indispensable à la mise en oeuvre et à la conception de ce principe de subsidiarité, comme l'on dit mes collègues, pour créer l'ancrage démocratique du niveau local dans l'Union.

L'originalité de la construction de l'Union européenne et son efficacité sont fondées sur le respect des compétences de chaque niveau de responsabilités. À 27, l'Union européenne est à la fois plus forte et plus diverse. C'est d'ailleurs pour cela qu'il faut respecter sa diversité et respecter l'implication des collectivités territoriales dans le processus de décisions de l'Union. J'en ai vu un exemple, Madame la Commissaire, avec la décision que vous avez prise sur la communication, en affirmant que les collectivités locales devaient être parfaitement impliquées dans la communication de l'Union. Mais il faut aussi aller plus loin et assurer que les collectivités territoriales seront associées à la préparation de la législation européenne. Pourquoi? Parce qu'elles sont plus proches des citoyens, que les citoyens auront davantage le sentiment de participer à l'Europe et de s'approprier la construction de cette Europe.

Je reviens au traité de Lisbonne. Il a montré la voie. Et c'est cette voie qui est importante à suivre parce que, comme l'on dit plusieurs de nos collègues, la définition des compétences permet de clarifier qui fait quoi, qui peut faire quoi, et qui doit laisser à d'autres le pouvoir de participer. La Commission de la cohésion territoriale et notre Président de la commission COTER ont bien montré que l'on ouvrait aux régions la possibilité de travailler ensemble, au-delà des frontières qui sont, comme vous le savez et comme l'a dit un historien, "les cicatrices de l'histoire". Il faut que ces cicatrices disparaissent et nous avons la possibilité de les faire disparaître. L'autonomie territoriale a aussi été reconnue aux régions et aux collectivités territoriales. Puis il y eu les modalités d'application du principe de subsidiarité. Je voudrais dire ici combien il est important que les Parlements nationaux soient représentés. Car si l'Union européenne doit véritablement appliquer le principe de subsidiarité, ce principe auquel le PPE est tellement attaché pour y croire très fermement, il est indispensable de trouver les liens, mais aussi les structures à monter avec les Parlements nationaux.

Merci Monsieur le Président.

M. Luc VAN DEN BRANDE

Merci beaucoup, chère collègue, pour votre contribution et pour les approches données au nom du PPE. Maintenant, je voudrais donner la parole à notre collègue Karl-Heinz Klär, qui parlera au nom du Groupe Socialiste. Monsieur le Secrétaire d'État Klär.

M. Karl-Heinz KLÄR, Groupe socialiste

Monsieur Le Président, merci bien.

Mon ami Michel Delebarre m'a demandé de parler français et je vais essayer. Vous savez, je suis allemand... Je remercie Madame la Commissaire et le Sénat français de nous avoir invités à Paris, et je crois qu'il est bon de parler français à Paris. Que savons-nous? Nous savons que la Multi Level Governance est notre cadre préféré, et nous savons que la subsidiarité est également notre règle préférée. Dire et redire de nouveau ce que nous savons n'a pas grand sens. Discuter de subsidiarité abstraitement n'a également aucun sens. Cela fait partie d'un passé, que nous connaissons. Pour avancer concernant la subsidiarité il est nécessaire de s'appuyer sur des exemples concrets. Je remercie beaucoup Roberto Formigoni de nous avoir invités à Milan, mais je vous le demande, prévoyez un agenda, un ordre du jour comportant des thèmes concrets pour aborder la Multi Level Governance et la subsidiarité. Je connais des Ministres Présidents allemands qui, à Bruxelles, parlent toujours de subsidiarité. Mais lorsqu'ils sont chez eux, ou qu'ils sont face aux autorités locales, ces dernières leur disent: "Écoutez, Messieurs les Ministres Présidents, vous êtes sourds! Vous ne comprenez plus rien à la subsidiarité en ce qui concerne les intérêts locaux!". Cela signifie que la subsidiarité et la Multi Level Governance sont deux concepts, deux notions conflictuelles. Il faut donc parler en termes concrets des conflits que peut générer la subsidiarité. Cela, c'est l'avenir. Cela, c'est le futur.

Merci de m'avoir écouté.

M. Luc VAN DEN BRANDE

Merci beaucoup. Il est évident que chacun a le souci de se focaliser sur le "concret". Mais, à cette phase et dans le contexte du traité de Lisbonne, il est essentiel de pouvoir s'orienter vers une collaboration entre les Parlements nationaux, les régions et les localités en place. Il faut bien mesurer, Monsieur Klär, que jusqu'à présent et trop longtemps, il y eu cette guerre inutile, totalement dépassée, entre les Parlements nationaux et les Parlements régionaux et locaux. Il est donc évident que l'enjeu et le focus de cette réunion sont de mettre l'accent sur le fait que les divers échelons - national, régional et fédéral - peuvent bénéficier de cette collaboration.

Je vais maintenant passer la parole à Madame Flo Clucas, Présidente du Groupe ALDE, Parti libéral, au Comité des régions.

Madame Clucas, vous avez la parole.

Mme Flo CLUCAS, Présidente du Groupe ALDE

Merci, Monsieur le Président.

C'est un plaisir d'être ici à Paris, dans ce lieu magnifique.

J'ai été très impressionnée par quelque chose que vous avez dit, Madame la Commissaire, à savoir que la subsidiarité doit aller au-delà des aspects juridiques et techniques. Je suis tout à fait d'accord avec vous et c'est dans ce sens que va mon intervention.

Pendant plus de 2 000 ans, l'Europe a essayé de combler le fossé entre les gouvernants et les gouvernés, entre les individus et les politiques. Ces cinquante dernières années, ce processus s'est fait de manière plus difficile, mais j'y reviendrai. En créant une communauté européenne des nations interdépendantes, les Pères fondateurs ont essayé de s'assurer qu'il n'y ait plus jamais de conflits en Europe et, ce faisant, tout a commencé à graviter autour de Bruxelles et de Luxembourg. Tant que l'Union européenne était petite, ça allait. Mais avec 27 États membres, il est peut-être temps de repenser ce centre de l'Europe.

Parler des Pères fondateurs et le centre de l'Europe? Vous me direz que c'est du passé, qu'il faut avancer et aborder des sujets aussi importants que l'aide de l'État ou la politique agricole commune. Mais c'est dangereux, car l'on risque de se laisser bloquer par la bureaucratie européenne. Et si c'est vraiment là notre façon de voir les choses, l'héritage sera bien maigre pour nos héritiers. Il faut donc absolument que la subsidiarité aille bien plus loin.

La diaspora européenne, en particulier celle du XIX e siècle, partie aux USA pour réaliser son rêve. Cela doit nous rappeler de l'attrait puissant de ce qui était le rêve américain. Regardons notre place dans le monde actuel et tous ceux qui veulent nous rejoindre. Ils n'aspirent pas à une Europe bureaucratique mais à une Europe porteur d'espoir. Ils cherchent la liberté, la démocratie et l'indépendance, dans des États souverains qui se sont librement unis les uns aux autres.

Et pourtant nous continuons à créer des barrières - qui gênent nos propres progrès; pour exemple, le jargon européen qui est parfaitement inintelligible pour le profane - toutes ces barrières qu'il faudrait faire sauter. Les media, bien entendu, sont les premiers à accuser l'Europe de plaies qui ne relèvent pas de l'Union européenne.

Pour certains, ce qui compte, c'est la politique nationale. Pour d'autres, une petite minorité, ce qui compte c'est la politique européenne. Mais pour l'immense majorité de nos citoyens, c'est la politique, aux niveaux régional et local, qui compte et qui a un véritable impact.

Si l'Union européenne veut survivre et croître, si elle veut avoir un sens pour tous les citoyens qui pour l'instant ne s'y intéressent pas, il va falloir qu'elle change, qu'elle se rapproche du citoyen et qu'elle instaure un dialogue avec ses citoyens. Il faut absolument en arriver là, même si ce n'est pas facile.

Pour l'immense majorité dont je parlais, ce sont les gens et les communautés locales qui sont le coeur de l'Europe. Et c'est là que le Comité des régions a un rôle à jouer. Les représentants de cette gouvernance locale nous donnent la possibilité d'avoir un véritable dialogue avec les citoyens, ce qui est difficile voire impossible pour les autres institutions.

De plus, nous devons faire appliquer une bonne partie des législations européennes. Et c'est là que le Comité des régions peut servir de pont entre l'Europe et les citoyens. Mais cela suffit-il? Est-ce le début et la fin du rôle du Comité des régions? Je ne crois pas.

Au 19 ième siècle, certains avaient un rêve. Ce rêve était d'aller aux États-Unis, un pays dont ils ne connaissaient rien et dont ils n'ont entendu parler que de bouche à oreille. Pour réaliser ce rêve, des Européens ont parcouru des centaines de kilomètres - en grande partie jusque dans ma ville, Liverpool - pour prendre un bateau et voyager dans des pires conditions pour atteindre les cotes américaines.

Certains diront, elle parle des "États-Unis d'Europe"! Mais on en est bien loin.

Il y a tout de même des leçons à tirer du passé. Pour le peuple, il faudrait que l'Union européenne soit un lieu où chacun puisse s'exprimer et travailler sans qu'il soit entravé par les différents niveaux de gouvernements. En évoquant nos aspirations d'autrefois, il faut que l'Europe redevienne un espoir, loin du despotisme, et serve de passerelle entre le Nord et le Sud, l'Est et l'Ouest. Nos communautés, d'où quelles soient, peuvent devenir les chaînons de cette nouvelle réalité, de ce nouvel espoir, à condition qu'on leur en donne la possibilité. C'est la raison pour laquelle le Comité des régions est fondamental pour l'avenir de l'Europe. C'est une forme de subsidiarité qui est absolument vitale. Nous sommes la voix d'une bonne part de la société européenne qui est très fortement attachée aux politiques régionales. Il faut que cette voix se fasse entendre, et c'est à nous de la faire entendre.

Je crois, Monsieur Président, que nous, Comité des régions, devons absolument jouer un rôle de pilote. Il ne va pas falloir s'arrêter à cette conférence et aux aspects juridiques ou techniques. Il va falloir faire beaucoup plus.

Le traité de Lisbonne n'a toujours pas été ratifié, mais la subsidiarité doit être respectée. Pour ce faire, il faut que le Comité des régions ne soit pas simplement un Comité consultatif. Il doit être doté d'un véritable pouvoir, pour compléter l'oeuvre du Parlement européen. Je sais que ce n'est pas pour demain. S'il y a une leçon à tirer de cette conférence, c'est qu'il faudrait passer un accord avec la Commission européenne de manière à ce qu'elle soutienne le Comité des régions et en renforce le rôle au sein des institutions en particulier chaque fois qu'il s'agit de Subsidiarité.

Nous aurions pu nous trouver à Strasbourg la semaine dernière, par exemple. Cela aurait été une bonne chose. Il faudrait que l'on nous entende sur la scène européenne, puisque nous sommes la voix de millions d'européens.

Merci.

M. Luc VAN DEN BRANDE

Merci beaucoup chère collègue. Et enfin pour la dernière intervention de cette session, Monsieur Paul O'Donoghue qui dirige l'Europe des nations, l'UEN.

M. Paul O'DONOGHUE, UEN

Merci Monsieur le Président.

Madame Le Commissaire, Citoyens, Députés, Chers collègues. Tout d'abord, permettez-moi d'adresser mes sincères remerciements au Sénat français pour avoir coorganisé cette manifestation éminemment importante, et, au nom de l'Europe des Nations, permettez-moi de vous remercier de nous avoir invités à y participer.

Si nous devions adresser aux gens de nos régions le message de la gouvernance multi-niveaux, admettez-le, nous aurions beaucoup de mal, parce que c'est un sujet qui risquerait de donner l'impression qu'il y a encore plus de "couches de niveaux", encore plus de "couches de prises de décisions", de bureaucratie et de paperasseries. Il est difficile de faire passer ce message, que nous ne devons en aucun cas laisser interpréter de cette manière. La gouvernance multi-niveaux signifie, selon moi, qu'il est essentiel que les décisions soient prises au plus près des citoyens. Il faut que nous montrions à quel point le principe de subsidiarité s'applique au niveau local. La discussion qui porte sur la gouvernance multi-niveaux doit inclure, en tant que principe directeur, le partage des compétences et non pas les doublons, ou les multiplications à l'envie des compétences. Il faut mettre en place les mécanismes qui permettront d'assumer une nouvelle forme de partage et veiller à ce que ce partage des compétences fonctionne.

Dans les États membres plus petits, il faut reconnaître que nous n'avons pas cette expérience du partage des compétences, telle que la connaissent la France, par exemple, ou l'Allemagne. Les nouvelles structures reflètent cette nécessité en raison de l'augmentation des populations. Ceci ne veut pas dire pour autant que dans les petits États membres nous n'ayons pas à mettre en place différents niveaux de compétences partagées. En Irlande, d'où je viens, nous avons créé des Collectivités régionales qui, selon moi, apportent une valeur ajoutée à la coordination de la planification des activités au niveau régional. Même chose pour des Assemblées régionales qui permettent de coordonner notre approche et nos politiques à mener en matière de développement des régions, et ce pour le bénéfice des uns et des autres. Mais il faut aller au-delà de la pure planification. Il faut que ces collectivités régionales ou territoriales aient la possibilité de participer à la mise en oeuvre des objectifs. Ce n'est pas une menace, mais une chance à saisir pour les collectivités locales et régionales, qui pourront appliquer sur le terrain la gouvernance multi-niveaux, et non pas la conceptualiser.

Lorsque l'on parle de gouvernance multi-niveaux, il faut en tenir compte également dans la prise de décisions, au niveau européen. Même si nous nous basons sur les traités en l'état actuel, il faut qu'il y ait un renforcement du rôle des régions dans la prise de décisions et des processus en la matière. Je reconnais que des progrès considérables ont été réalisés au cours de ces années. Ceci étant dit, nous pourrions en faire encore bien davantage afin de veiller à ce que les autorités locales et les Collectivités régionales puissent participer de façon plus active à la prise de décisions législatives européennes.

Et enfin, permettez-moi de conclure. On peut dire que si nous ne parvenons pas à insister sur l'importance de cette gouvernance multi-niveaux, lorsque nous nous adressons aux citoyennes et aux citoyens, nous risquons de les voir considérer qu'il s'agit là simplement d'intendance et de "cuisine interne européenne". Il est indispensable que nous illustrions notre propos par des exemples concrets, comme l'est le changement climatique, ainsi que l'a dit le Commissaire à juste titre. Nous devons veiller à ce que les meilleures pratiques soient présentées. Mais il faut encore aller plus loin et partager des pratiques qui ne sont connues par tous. C'est le seul moyen que nous aurons de faire comprendre la gouvernance multi-niveaux.

Merci.

M. Luc VAN DEN BRANDE

Merci beaucoup, Paul.

Voilà pour ce qui est de la première session. Et maintenant, je souhaiterais qu'il y ait un changement qui ne soit pas de décor, mais que d'autres collègues viennent ici, à la rescousse.

Je voudrais d'abord inviter notre collègue Jean-Louis Destans, qui est le Président du Conseil général de l'Eure. Mais, Mesdames et Messieurs, je veux le remercier pour son apport et la préparation qu'il a opérée avec nous et avec le Sénat français, pour arriver à ces Assises en tant que Président de la délégation française au Comité des régions. Je voudrais aussi que nous rejoignent ici Franz Schausberger, le Sénateur Jean-Claude Frécon -Sénateur de la Loire, Vice-président du Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe- et, last but not least, Monsieur Delebarre. Je sais qu'il adore que je lui parle en anglais, c'est la raison pour laquelle je l'inviterai, en anglais, à venir nous rejoindre ici, au podium.

Je cède la présidence à mon ami Michel Delebarre.

M. Michel DELEBARRE

Mesdames, messieurs, chers Collègues, vous avez tous noté qu'il y avait à 13 heures un moment très important, à savoir le déjeuner offert par le Sénat. Nous avons devant nous dix-huit minutes pour trois interventions, un échange de vues et des conclusions. Dix-huit minutes. Nous allons tenir les délais parce que qui met les pieds dans cette Institution, sans pouvoir tranquillement déjeuner à l'invitation du Sénat, aurait un mauvais comportement.

Nous avons trois interventions, dont celle de Monsieur Jean-Louis Destans, le Président de la délégation française et Président du Conseil Général de l'Eure, qui va montrer l'exemple. Vous allez voir comment, en quelques minutes, il va régler le problème de son intervention.

Jean-Louis, tu as la parole.

DEUXIÈME PARTIE :

IMPLICATION DES AUTORITÉS RÉGIONALES ET LOCALES DANS LE PROCESSUS DÉCISIONNEL COMMUNAUTAIRE : COMMENT S'ORGANISE LA COORDINATION ENTRE LES DIFFÉRENTS NIVEAUX DE POUVOIRS AU SEIN DES ÉTATS MEMBRES ?

M. Jean-Louis DESTANS, Président de la délégation française du Comité des régions, Président du Conseil général de l'Eure

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Président du Comité des régions,

Madame la Commissaire européenne,

Mesdames et Messieurs les élus,

La gouvernance multi-niveaux est un concept qui peut sembler pour le moins obscur à nos concitoyens. Derrière ce vocable se cache pourtant une méthode de travail, la seule, qui nous permettra, j'en suis convaincu, de répondre à nos concitoyens qui aspirent à une Europe plus protectrice et surtout plus proche d'eux. Elle implique une véritable révolution dans nos pratiques respectives pour que nous agissions en tant que partenaires, en vue d'apporter des solutions adaptées aux problématiques de plus en plus complexes posées à l'action publique.

Il ne s'agit pas, et j'insiste, d'une nouvelle 'lubie' de collectivités locales en mal de pouvoir ou de reconnaissance. C'est un gage d'efficacité pour les politiques européennes et la garantie d'une adhésion plus forte envers l'action de l'Union.

Cette révolution culturelle, les institutions européennes l'ont largement entamée par l'introduction du principe de subsidiarité et le renforcement du rôle du Comité des régions qui est devenu, au fil des Traités successifs, un acteur reconnu du processus décisionnel européen. En France, alors que d'autres l'ont engagée, il nous reste encore à la mener.

Chaque Etat possède sa propre histoire politique et administrative; une histoire qui a façonné son organisation actuelle, la rendant plus moins propice à la déclinaison du principe de subsidiarité. Peut-être faut-il y voir, en France, l'une des dernières traces de notre longue tradition jacobine que nous ne cessons pourtant de dépasser au travers des lois successives de décentralisation. Les membres de cette assemblée qui nous accueille, et qui représente les collectivités locales au niveau national, ne me démentiront pas sur ce sujet et je suis convaincu que nous avons encore beaucoup à apprendre de nos partenaires européens en la matière.

La préparation de la Présidence française de l'Union européenne a été l'occasion de mettre ce sujet sur la table et d'amorcer de nouvelles pratiques. La création de la conférence nationale des exécutifs (CNE), qui a vocation à devenir le lieu de concertation privilégié entre le gouvernement et les collectivités locales, de même que le principe d'une collaboration plus étroite avec le Secrétariat Général aux Affaires Européennes vont dans le bon sens. Mais vous le voyez, nous n'en sommes qu'aux balbutiements, sans compter qu'il nous reste encore tout un travail en commun à développer avec les commissions chargées des Affaires Européennes de l'Assemblée nationale et du Sénat. A ce sujet, je ne doute pas que la conviction commune qui anime les représentants des collectivités locales et les membres de ces commissions augure de relations de travail de qualité.

De mon point de vue, la gouvernance multi-niveaux doit s'articuler autour de trois principes:

- le premier, c'est qu'il ne s'agit en aucun cas de compliquer ou d'enrayer le processus décisionnel national et européen. La bonne ou mauvaise transposition de la législation européenne par le niveau national impacte le cadre dans lequel agissent les collectivités territoriales. Il est donc naturel d'assurer une bonne coordination à toutes les phases du processus législatif.

- Il convient donc, et c'est le deuxième principe, d'adopter des procédures souples, fondées sur une approche pragmatique. La gouvernance multi-niveaux, c'est une pratique du pouvoir, ce n'est pas qu'un dispositif institutionnel ou juridique.

- Le troisième, c'est que la prise en compte des collectivités locales doit être organisée le plus en amont possible. Le principe de subsidiarité ne concerne pas seulement la mise en oeuvre des décisions européennes, mais également leur élaboration, ce qui implique un partage des responsabilités dans le cadre du contrôle de subsidiarité, et dans certains cas et j'insiste, un transfert des lieux de gestion des politiques européennes.

C'est dans cet esprit que j'ai eu l'honneur de présenter, au nom de la délégation française du Comité des régions, et en concertation avec les associations nationales de collectivités locales, toute une série de propositions visant à élargir et renforcer le dialogue institutionnel français sur les sujets européens, ce matin même.

Je tiens à souligner la qualité des échanges qui ont suivi avec Monsieur Jouyet, Secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, le Président du Comité des régions, et les représentants des commissions chargées des Affaires européennes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Ils ont confirmé, comme nous le présentions, l'intérêt à faire partager le plus largement possible la double expertise, à la fois européenne et locale, des membres français du Comité des régions.

En France, je l'ai dit, notre tache est grande. Mais nous avons les capacités et la volonté de l'accomplir rapidement pour que la culture multi-niveaux pénètre nos pratiques respectives.

La consultation régulière de représentants du Comité des régions par l'Assemblée nationale et le Sénat, tout comme la rédaction d'un rapport annuel commun relatif à l'impact de la législation européenne sur la gestion locale, pour ne citer que ces deux propositions parmi les 6 que nous avons formulées, sont de nature à créer un réseau interactif de veille et d'évaluation des politique européennes; un réseau efficace car élargi et précoce. Et je ne doute pas que nous pourrons encore enrichir notre réflexion en puisant dans les expériences de nos voisins européens à qui je vais laisser la parole.

Mais avant de conclure, permettez-moi d'insister sur un point particulièrement central et lever tout équivoque quant aux implications de la gouvernance multi-niveaux. Celle-ci ne se résume pas, et nous sommes nombreux à le craindre, à la réunion du plus grand nombres d'acteurs autour d'une même table pour disserter sur les politiques européennes. Si concertation il y a, elle doit être sincère et fondée sur la confiance réciproque des participants. Elle doit également s'inscrire dans le cadre du système d'alerte précoce qui renforce le pouvoir de contrôle de l'application du principe de subsidiarité des Parlements nationaux.

J'irai plus loin.

La concertation n'est qu'un volet de la gouvernance multi-niveaux. Je le rappelle, le principe de subsidiarité sous-tend une nouvelle répartition des lieux de gestion de certaines politiques européennes. Il ne s'agit pas, bien entendu, de 'régionaliser' ou 'départementaliser' toutes les politiques européennes. Mais je pense à la politique de cohésion et à la gestion des fonds structurels en France. L'évaluation du FSE sur la programmation 2000-2006, réalisée par un organisme indépendant et commandée par la Commission européenne, comprend, entre autres préconisations, une gestion au plus proche des citoyens. Qui, mieux que les départements qui ont la compétence sociale en France, peuvent gérer ce fonds au plus près des citoyens? Alors que la décentralisation a amené à confier aux Conseils généraux la gestion du RMI dans sa globalité, il serait légitime et cohérent qu'il en soit de même avec le FSE. La capacité de gestion des départements, leur proximité et l'organisation de leurs services sont autant d'atouts sur lesquels la politique de cohésion pourrait s'appuyer dans une logique de territoire.

Je ne voudrais pas qu'aujourd'hui, sous couvert d'arguments techniques, l'Etat cherche non seulement à conserver ses prérogatives en la matière, mais qu'il soit également tenté de supprimer l'enveloppe globale FSE attribuée aux Départements. Le principe de subsidiarité est bien trop précieux à nos yeux et à ceux de nos concitoyens.

Chers amis, ce débat sur la subsidiarité et la gouvernance multi-niveaux que nous avons initié en 2004 et que nous poursuivons ici-même, il nous appartient de l'alimenter pour qu'il soit partagé par le plus grand nombre, et qu'il en ressorte des pratiques de nature à renforcer la légitimité des politiques européennes aux yeux de nos populations.

Notre responsabilité est grande, mais nous sommes déterminés, que ce soit au Comité des régions ou dans nos collectivités territoriales européennes respectives, à l'assumer pleinement.

Je vous remercie.

M. Michel DELEBARRE

Merci à Jean-louis Destans. Je donne volontiers la parole à notre collègue Franz Schausberger, Vice-président du groupe interrégional à pouvoirs législatifs du Comité des régions.

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