26 NOVEMBRE 2010

SÉNAT
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Jean-Jacques HYEST,
sénateur de la Seine-et-Marne,
président de la commission des lois du Sénat

L'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen stipule que : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Cet article 8 résume, en une formule ramassée dont nous pourrions utilement nous inspirer dans la rédaction de nos lois, l'objet du droit pénal tel que le concevaient sans doute les rédacteurs du code pénal de 1810. Après la célébration du bicentenaire du code civil et du code de commerce, il convient de saluer l'initiative du premier président de la Cour de cassation, à laquelle le Sénat s'est volontiers associé, de marquer celui du code pénal de deux jours de réflexion, à la fois rétrospectifs et actuels ou prospectifs, selon le programme proposé ce jour.

Je ne saurai, tant le programme est vaste et alléchant, aborder les thèmes retenus pour cette journée. Permettez-moi toutefois de vous livrer quelques réflexions. Beaucoup regrettent la réforme permanente du code pénal, qui est pourtant justifiée par les progrès techniques ou scientifiques : il est évident que le clonage reproductif ne pouvait être un crime contre l'espèce humaine avant qu'il ne soit envisageable scientifiquement. Le même exemple se retrouve pour les crimes contre l'humanité, les incriminations en matière d'informatique. Le droit pénal doit donc s'adapter.

Le droit pénal dit spécial qui a émergé en dehors du code pénal constitue une préoccupation dans la mesure où l'homogénéité des peines est totalement aléatoire. Qu'il s'agisse de santé, d'environnement, de droit commercial ou de sociétés, chaque année apporte son lot de nouvelles incriminations qui, pour certaines, ne font l'objet d'aucune poursuite. Est-ce bien utile ? Sans doute est-il encore plus dommageable de légiférer dans ce domaine sous la pression médiatique. On ne cesse d'aggraver les peines, d'encadrer la décision du juge pour en assurer l'effectivité, pour répondre à l'émotion de l'opinion publique devant des faits certes graves et parfois atroces. Si le sens de la peine a fait l'objet d'une longue évolution pour humaniser celle-ci, on constate parfois que le droit des victimes, longtemps oublié dans le procès pénal, devient central pour certains. Est-ce un progrès ou une régression ? Pourtant, notre droit pénal, pour permettre la réinsertion des condamnés, a cherché à diversifier les peines, l'emprisonnement n'étant plus l'alpha et l'oméga de la sanction pénale.

Qu'il me soit permis enfin d'évoquer trois sujets qui ont fait l'objet de très longs débats lors de l'élaboration du code pénal de 1992. L'abolition de la peine de mort a constitué un moment extrêmement important dans notre évolution du droit pénal et il faut toujours réfléchir aux conséquences de cette abolition. Je suis assez fier que le Parlement, avec des majorités différentes à l'Assemblée nationale et au Sénat, soit parvenu à élaborer en 1992 un texte qui, malgré tout, a fait la preuve de sa solidité. Dans ses sujets figurait la responsabilité pénale des personnes morales qui était une novation dans notre droit : ce choix, difficile, a prouvé sa pertinence et a donné lieu à une jurisprudence fournie et intéressante. Un autre sujet concerne le problème de l'irresponsabilité pénale : l'ancien article 64 était clair et amenait souvent à prononcer des décisions d'irresponsabilité. La distinction entre l'abolition et l'altération du discernement n'a-t-elle pas eu l'inverse effet de celui que recherchions ? Il apparaît parfois que, si l'altération du discernement est constatée, les peines sont aggravées ce qui n'était pas le but du législateur. La loi dite Fauchon sur l'intentionnalité de la faute a généré un grand débat, ultérieur au code pénal, au Sénat. Je pense que cette loi était nécessaire pour les responsables, qu'il s'agisse des collectivités locales ou des acteurs économiques.

Les législateurs sont rarement appréciés, souvent critiqués, mais la plus grande responsabilité dans ce domaine est portée par le juge. Le droit pénal, comme le droit civil, est révélateur de l'état de la société et des rapports humains qui visent à l'universalité, selon le grand mouvement de la Révolution française et des codes napoléoniens. Même si d'autres civilisations contestent cette approche, marquée par notre héritage philosophique, juridique et même judéo-chrétien, bien que laïcisé, cette universalité demeure un sujet majeur dans le bouleversement des valeurs et la montée d'individualismes qui menacent notre vouloir vivre ensemble.

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