La Cinquième République au Parlement



Sénat, 15 mai 2008 - Palais du Luxembourg

LES COLLOQUES DU SÉNAT

Sous le Haut patronage de Christian Poncelet,
Président du Sénat

« LA V e RÉPUBLIQUE AU PARLEMENT »

Jeudi 15 mai 2008

PALAIS DU LUXEMBOURG

Journée d'études organisée au Sénat en partenariat avec
le Comité d'Histoire Parlementaire et Politique

SÉANCE DU MATIN

La séance est ouverte à 9 heures 30.

Présidence de M. Jean-Pierre RAFFARIN, ancien Premier ministre, Sénateur de la Vienne.

L'ÉVOLUTION DES INSTITUTIONS

M. Adrien GOUTEYRON, Sénateur de la Haute-Loire.-

Mesdames et Messieurs,

J'ai l'honneur de vous accueillir au nom du Président du Sénat, qui m'a demandé de lire en son nom un texte et de vous tenir quelques propos d'accueil, ce que je fais avec beaucoup de plaisir.

Je salue toutes les personnes qui sont à la tribune : M. le Président Mazeaud, MM. les Professeurs, M. le Président du Comité d'histoire parlementaire et politique, M. le Secrétaire général du Sénat et vous tous qui êtes ici présents.

Ce colloque est donc consacré à la V e République au Parlement et il est organisé en partenariat avec le Comité d'histoire parlementaire et politique. En cette année du cinquantième anniversaire de notre Constitution, j'aimerais rappeler ce qu'a représenté la naissance, en 1958, d'un nouveau Sénat, celui de la V e République. Ce fut le renouveau d'un bicamérisme d'équilibre. En effet, s'inscrivant dans le droit fil de la tradition bicamérale française, le Sénat de la V e République représente un élément de sagesse et de réflexion dans un édifice constitutionnel solide, certes, mais que les évolutions rapides d'opinion à l'Assemblée nationale ne mettent pas totalement à l'abri de l'instabilité.

Le général de Gaulle lui-même l'avait souligné dans son discours de Bayeux en écrivant : « Le premier mouvement d'une assemblée ne comporte pas nécessairement une clairvoyance et une sérénité entières. Il faut donc attribuer à une deuxième assemblée, élue et composée d'une autre manière, la fonction d'examiner publiquement ce que la première a pris en considération, de formuler des amendements, de proposer des projets. »

Le Sénat, depuis 1958, assume d'autant mieux cette fonction stabilisatrice qu'il est issu d'un corps électoral lui-même stable et confronté chaque jour aux réalités du terrain. Les Sénateurs, renouvelés par tiers jusqu'en 2003, puis par moitié, disposent d'un mandat dont la durée, un peu plus longue que celle des Députés, leur assure à la fois le recul face aux contingences de l'instant et le temps de la réflexion pour l'avenir.

Cette singularité peut naturellement conduire le Sénat à se distinguer de la majorité de l'Assemblée nationale, quitte à assumer peu ou prou une fonction d'opposition. Cependant, loin des modèles binaires, cette singularité se manifeste texte par texte, contrôle après contrôle, sans jamais se réduire à une opposition systématique et en se plaçant en maintes occasions sur un terrain constructif. Cette attitude expose la seconde chambre à des critiques  cela a toujours été le cas et cela le reste  et maints gouvernements, depuis 1958, ont tenté de l'infléchir, y compris par une dilution.

Pour autant, stabilité ne doit pas signifier stagnation, et équilibre n'est pas synonyme d'immobilisme. Non seulement le Sénat a évolué dans son statut électoral, son recrutement sociologique et sa composition politique depuis 1958, mais il a aussi su s'adapter aux évolutions sociales, administratives et technologiques considérables de la société depuis cinquante ans : l'urbanisation croissante de la population, la décentralisation administrative, la prise de responsabilité des acteurs locaux, l'irruption de questions et de solutions nouvelles dans des pans entiers des rapports individuels et collectifs (informatique, bioéthique ou organismes génétiquement modifiés, comme nous l'avons vu hier encore).

Du coup, le Sénat de 2008 est aujourd'hui bien différent de celui de 1958. Sans rien renier des principes fondateurs qui en justifient l'existence, la deuxième chambre s'est graduellement adaptée aux réalités de son temps. Elle s'est féminisée, a accru la part de scrutin proportionnel dans son mode d'élection, a abaissé son âge d'éligibilité, a réduit la durée de son mandat et a valorisé des formes plus modernes de l'action parlementaire, en particulier la fonction de contrôle qui, selon le Président Poncelet, est devenue une seconde nature.

Pardonnez-moi, Mesdames et Messieurs, d'avoir centré cette intervention, à la demande du Président du Sénat, sur l'évolution sénatoriale au cours des cinquante dernières années, mais on ne parle bien que de ce que l'on connaît !

Je vais maintenant céder la parole à des universitaires et des personnalités politiques diverses et éminentes qui pourront vous faire partager, avec leur esprit critique, leurs analyses et leur expérience.

Pour terminer, je salue M. Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre, qui vient de nous rejoindre.

M. Jean-Pierre RAFFARIN, Président.-

Merci, M. le Président Gouteyron.

Mesdames et Messieurs,

Je vous prie de bien vouloir m'excuser de mon retard. Je suis rentré cette nuit d'Israël, où je représentais le Président Sarkozy aux commémorations du 60 e anniversaire de la création de cet état, ce qui m'a valu ces quelques minutes de retard.

Je tiens à vous dire combien les propos du Président Gouteyron sont importants pour nous, ici, au Sénat, puisque nous sommes très heureux que vous ayez choisi la Haute assemblée pour tenir ce colloque sur la V e République au Parlement.

Je salue toutes les personnalités qui participent à cette réflexion si importante en ce moment, puisque nous préparons une réforme institutionnelle. Il est essentiel d'avoir un éclairage né d'une réflexion partagée.

Pour que nous poursuivions cette réflexion, je laisse la parole à M. Jean-Marie Mayeur, professeur émérite à l'Université de la Sorbonne, que je remercie de bien vouloir être le modérateur de cette table ronde ce matin.

M. Jean-Marie MAYEUR, modérateur.-

Je vous remercie, M. le Président et tiens à adresser un double remerciement. Au Sénat tout d'abord, qui nous accueille pour ce colloque. Combien de fois certains d'entre nous ont-ils participé à des colloques au Sénat qui a toujours manifesté une très grande ouverture vis-à-vis des historiens ?

Mon deuxième remerciement va au Comité d'histoire politique et parlementaire (CHPP), institution qui a été fondée il y a cinq ou six ans par de jeunes collègues qui ont su marquer rapidement leur autorité. Le nombre de participants, jeunes en particulier, à ce colloque me paraît significatif. Le souci de M. Garrigues et de ses collègues et amis a été double : donner une place nouvelle non seulement à l'histoire politique, mais aussi à l'histoire parlementaire, plutôt négligée par les historiens pendant un certain nombre d'années, et, d'autre part, comme le montrent les intervenants de cette matinée, associer dans des réflexions convergentes des hommes politiques, des politistes, des juristes, des fonctionnaires des assemblées et, évidemment, des historiens.

Mon rôle sera celui de modérateur, un terme qui peut susciter quelques interrogations. Je serai fondamentalement un modérateur du temps, parce que nous aurons de nombreuses et riches interventions et qu'elles ne devront pas, si possible, dépasser une vingtaine de minutes. Vous m'excuserez de le dire avec un peu de sévérité. D'autre part, je me permettrai à l'occasion quelques réflexions en allant d'un orateur à l'autre tout au long de cette matinée.

Je donne tout de suite la parole à M. Pierre Mazeaud, l'ancien Président du Conseil constitutionnel, en le remerciant de sa présence à cette table ronde.

INTERVENANTS

M. Pierre MAZEAUD, ancien Président du Conseil constitutionnel

Je vous remercie, M. le Modérateur, en commençant par vous dire tout de suite que je ne dépasserai pas les vingt minutes que vous venez de nous impartir. Vous me permettrez cependant, sans allonger mon propos, de remercier le Sénat et les organisateurs de cette réunion. Je suis particulièrement touché d'être ici, encore qu'entouré de tels éminents juristes, j'espère que la jeunesse ici présente sera suffisamment indulgente en entendant mes propos. Je tiens effectivement à saluer les personnalités présentes, les Sénateurs eux-mêmes ainsi que mon ami Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, de même que tous les universitaires que je connais de longue date et avec lesquels je me suis souvent entretenu sur les questions dont on m'a chargé de vous dire quelques mots.

On m'a demandé effectivement de parler des conditions qui ont amené à la Constitution de 1958 et également de dire quelles ont été les modifications profondes qui y ont été apportées depuis son origine. Ces modifications n'ont pas toutes la même signification. Certes, il y en a de profondes et de lourdes sur lesquelles je m'arrêterai. En revanche, un certain nombre de modifications secondaires ne justifient pas une longue discussion.

Je commencerai par un point qui n'est pas toujours très connu. En réalité, la Constitution de 1958 remonte à une réflexion de Michel Debré pendant la guerre, pendant sa période de Résistance. En 1943, il écrivit un livre sous le nom de Jacquier-Bruère, son nom de Résistance, dans lequel, critiquant la III e République, il donnait les axes de ce qu'il considérait comme devant être une future Constitution. Tout en étant attaché au régime parlementaire, il voulait déjà, en 1943, un régime de parlementarisme rationalisé, en montrant bien les distinctions entre l'exécutif et le législatif, chacun devant, au travers des institutions futures, avoir ses propres prérogatives.

Michel Debré a joué un rôle tout à fait exceptionnel dans l'élaboration de cette Constitution de 1958, mais je tiens à souligner que ce sont d'abord ces réflexions de 1943, le livre n'étant sorti qu'en 1944, reprises par le Conseil national de la Résistance, qui vont former l'ossature de ce que sera la Constitution de 1958.

C'est d'autant plus vrai qu'au lendemain de la IV e République, c'est-à-dire de la Constitution de 1946, contre laquelle le général de Gaulle s'était effectivement élevé sans que les Français le suivent, celui-ci, dans deux grands discours qui sont toujours cités, celui de Bayeux suivi de celui d'Epinal, avait repris presque mot à mot les dispositions écrites par Michel Debré dans ce petit livre que j'ai rappelé tout à l'heure. En réalité, il s'agit là des éléments essentiels de nos futures institutions : celles de la Constitution de 1958.

Pourquoi modifier nos institutions ? Pourquoi Michel Debré et, par la suite, le général de Gaulle ont-ils insisté sur cette nécessité ? Parce que le souvenir de la III e République et la période que l'on vivait au cours de la IV e montraient qu'il était nécessaire de clarifier les choses. Le nombre de gouvernements et l'impossibilité à trouver une majorité solide du fait du mode de scrutin étaient autant d'éléments justifiant que la Constitution de 1946 soit changée.

C'est ce qui se fera, vous le savez, avec la chute de la IV e République, l'affaire algérienne, l'arrivée du général et son désir premier manifesté de modifier les institutions. Il avait d'ailleurs demandé au Parlement, devant lequel il s'était présenté, les moyens nécessaires pour modifier en tout premier lieu les institutions, c'est-à-dire revenir à ce qu'il avait toujours pensé, de même que l'équipe qui l'entourait, en particulier Michel Debré, dont il fera le garde des Sceaux et qu'il chargera de la nouvelle Constitution de 1958.

Michel Debré a mené cela rondement, si vous me permettez cette expression. Il a réuni un comité d'experts, un comité consultatif, et, en quelques mois, fin août 1958, la question sera pratiquement réglée au travers de discussions très sérieuses dont nous avons naturellement tous les éléments et dans lesquelles s'entremêlaient les positions des gens de gauche comme de droite, puisque, dans ce comité consultatif, il y avait des personnes éminentes de gauche, comme Guy Mollet, et des gens éminents de droite, tous entourés d'un très grand nombre de collaborateurs, notamment de jeunes du Conseil d'Etat, M. Janot, du Conseil d'Etat, étant lui-même le secrétaire général de ce comité consultatif.

Comme vous le savez, la Constitution de 1958 sera proclamée par le peuple à la suite d'un vote, le 4 octobre 1958. Nous allons bientôt fêter son cinquantenaire : il y aura des manifestations dans notre pays, aussi bien au Parlement français qu'à l'Institut, voire à la Fondation de Gaulle que j'ai l'honneur de présider.

Cette Constitution est donc votée très largement par les électrices et les électeurs français. Je vous rappelle que les femmes  c'était évidemment le souhait du général de Gaulle depuis 1945  ont pu voter cette Constitution de 1958. Il y a eu alors une très large majorité et cela a permis à la France, même si on la critique beaucoup aujourd'hui et si l'on veut encore la changer, d'avoir une Constitution qui a su résister à des moments particulièrement difficiles. Je pense à l'affaire algérienne, dont je dirai un mot tout à l'heure, et, bien sûr, aux troubles de 1968.

Cette Constitution, encore une fois, a fait ses preuves. Bien sûr, j'en suis un ardent défenseur et, ayant fait partie du Comité Balladur en tant que vice-Président, je me suis opposé à un certain nombre de modifications. Nous verrons ce qu'il en est à la suite du débat parlementaire actuel.

Dans cette Constitution, nous retrouvons les grandes idées, partagées par le général, du Colbert français, c'est-à-dire de Michel Debré. Nourri de la réflexion anglo-saxonne et du modèle parlementaire, lui qui a condamné les dérives des III e et IV e Républiques, il a quand même maintenu un système parlementaire, mais, comme il le dira, un « système parlementaire rationalisé ».

A cet égard  vous me permettrez cette incursion, Messieurs les Sénateurs, même si vous allez avoir à en débattre d'ici peu  j'ai bien peur qu'on nous propose la suppression de cette rationalisation, à laquelle Michel Debré tenait tout particulièrement, et en particulier la restriction de l'article 49.3 de la Constitution, alors que, comme nous venons de le voir à l'occasion du vote de la loi sur les OGM, le 49.3 aurait réglé un certain nombre de problèmes.

De même, quand on revient sur les articles 34 et 37, qui sont l'essentiel de la Constitution de 1958 pour Michel Debré, je réponds que chacun doit avoir son métier : au pouvoir exécutif le règlement, au pouvoir législatif la loi. Lorsqu'on veut revenir sur ce point, on touche profondément à l'analyse fondamentale de la Constitution de 1958, du général et de Michel Debré. Par là-même, on enlèverait à la Constitution sa véritable souplesse, Michel Debré ayant toujours parlé de deux lectures possibles de la Constitution, ce qui revenait à montrer qu'elle avait une certaine souplesse qui a toujours été sa marque notamment lors des périodes de cohabitation, marquées par une différence politique entre le Président de la République, élu du peuple avec la plus forte légitimité, et le gouvernement, dans la mesure où il répond à l'élection  je ne dirai pas secondaire  du Parlement et, plus particulièrement, de l'Assemblée nationale. Or la Constitution a été faite pour répondre à deux situations qui paraissent totalement antagonistes. Pourtant, je suis de ceux qui considèrent que, malgré la cohabitation et avec celle-ci, la Constitution de 1958 a bien fonctionné.

Cette Constitution n'en a pas moins été modifiée, et je me permettrai de dire qu'à mon sens, elle l'a été trop souvent. Je prie M. le Premier ministre de m'excuser de revenir tout à l'heure sur les modifications de la décentralisation, les articles 72 et suivants. Certes, je ne m'arrêterai pas sur des modifications secondaires. Je souhaite simplement vous signaler des modifications lourdes qui ont été apportées à la Constitution de 1958.

Je ne suis pas, par nature, tellement favorable aux modifications constitutionnelles, comme j'ai eu l'occasion de le dire souvent. Cela ne veut pas dire que je sois conservateur au point de dire que l'on ne doit jamais la modifier. Même si elle est inscrite dans le marbre et même si c'est la loi suprême, il n'en demeure pas moins vrai que les circonstances et certaines évolutions dans le pays doivent conduire les responsables politiques à proposer et faire voter un certain nombre de modifications. La société évolue, elle change et il est nécessaire, même dans nos institutions, d'en tenir compte et de traduire ces mêmes évolutions.

La première grande modification, la plus lourde, est celle de novembre 1962 : l'élection du Président de la République au suffrage universel. Désormais, cette élection est inscrite dans nos moeurs et il est bien évident que l'on ne la remettra jamais en cause. J'allais presque dire que les Français y prennent goût. Il suffit de voir d'ailleurs le nombre de suffrages exprimés lors de cette élection. Cela ne m'empêche pas de dire, même dans cette enceinte, que j'ai toujours été sceptique sur ce point et qu'envoyé par Michel Debré auprès du général de Gaulle pour lui dire ce que pouvait penser la jeunesse, j'avais fait part de certaines observations au général, qui m'avait tout simplement répondu : « Mon cher petit Mazeaud, c'est décidé ! »... (Sourires.)

Je n'y ai jamais été tout à fait favorable, je dois le reconnaître, car je n'hésite pas à dire que l'on est un peu à l'origine d'une ambiguïté. Le Président de la République a la plus forte légitimité en France puisqu'il est élu par l'ensemble du pays. Il correspond un peu au chef de l'exécutif. Or il ne l'est pas, puisque l'article 20 précise qu'il y a un Premier ministre qui détermine et conduit la politique de la nation.

Le Président de la République  c'est d'ailleurs ce qu'a compris le général de Gaulle  doit donner les grandes orientations, mais, par là même, dans la mesure où il est élu et où ce suffrage universel lui confère cette si forte légitimité, on crée une ambiguïté à laquelle les Français sont aujourd'hui habitués puisqu'ils tiennent à cette élection et que l'on ne reviendra jamais, naturellement, là-dessus. D'ailleurs, comme je l'ai dit tout à l'heure, cette élection présidentielle a bien résisté aux périodes de cohabitation. C'est donc une chose inscrite sur laquelle on ne reviendra pas.

On me permettra de signaler une autre ambiguïté. Le général de Gaulle a toujours été contre le régime des partis. Or il ne peut se concevoir aujourd'hui une élection présidentielle sans le soutien d'une formation politique. Les partis ont leur candidat, et ils en ont même plusieurs parfois, ce qui est un autre problème... Je veux dire qu'il est étonnant que l'homme qui a dénoncé avec une telle vigueur le régime des partis, qui a pris ses distances en 1946 parce qu'il le sentait revenir après la période de la Libération, n'ait pas senti que, par l'élection présidentielle, on revenait au régime des partis. En tant que gaulliste, je le dis parce que je l'ai toujours pensé, et je m'étais permis de le dire à quelques éminents gaullistes responsables politiques. Mais, encore une fois, cette grande réforme de 1962 est rentrée dans nos moeurs.

Elle a été, hélas, suivie de ce qu'on appelle l'inversion du calendrier qui pose un véritable problème parce que nous aurons toujours, sauf exception, des majorités très fortes derrière le Président de la République qui vient d'être élu. Le Président de la République élu s'adressant aux Françaises et aux Français en disant : « Merci de m'avoir élu. Maintenant, donnez-moi dans un mois les moyens politiques d'exercer la politique pour laquelle vous venez de m'élire, c'est-à-dire donnez-moi une majorité forte ». Or, dans une démocratie, une majorité trop forte  je n'hésite pas à le dire même si mes propres amis sont quelque peu choqués  n'est pas bonne pour la démocratie. Il est bon d'avoir des équilibres. J'irai presque jusqu'à dire qu'une majorité de 30 ou 40 est préférable. A ce moment-là, on voit les rangs de l'Assemblée nationale remplis, c'est-à-dire que les Députés répondent à l'article 34 leur donnant obligation de voter la loi. C'est l'exécution de leur propre mandat.

La deuxième grande réforme, qui me touche peut-être plus particulièrement, est celle de 1974 sur le Conseil constitutionnel. Dans l'esprit des constituants de 1958, le Conseil constitutionnel ne pouvait être saisi que par le Président de la République, les Présidents des assemblées et le Premier ministre. En réalité, dans l'esprit de Michel Debré et des constituants eux-mêmes, c'était le Parlement qui était souverain en ce qui concerne la loi, et on avait envisagé un Conseil constitutionnel uniquement pour garantir la grande séparation des articles 34 et 37, c'est-à-dire pour ne pas permettre au Parlement, notamment aux Députés, de légiférer alors qu'il s'agissait de domaines réglementaires. De même, il est vrai que le gouvernement ne peut pas légiférer sous sa seule autorité dans la mesure où il n'a que la possibilité d'agir sur le règlement.

Comme Michel Debré a considéré que, dans le parlementarisme rationalisé, les articles 34 et 37 étaient essentiels, les constituants ont tenu à ce Conseil constitutionnel de 1958 pour que le Parlement n'aille pas au-delà de ses prérogatives et ne dise pas, comme il l'a fait souvent et comme j'ai eu l'occasion de le condamner à de nombreuses reprises, comme mon ami Estier le sait bien : « Qui peut le plus peut le moins ; puisque nous pouvons voter la loi, nous pouvons voter un règlement. » Non ! A chacun son métier.

La loi de 1974 a cependant apporté une profonde modification, que j'ai approuvée, en donnant la possibilité à soixante Députés ou soixante Sénateurs, souvent les uns et les autres en même temps, de saisir le Conseil constitutionnel. Cela revenait déjà à changer profondément la nature même du Conseil constitutionnel, dans la mesure où celui-ci est désormais considéré comme un dernier recours : les saisines de cette institution émanent naturellement de la minorité puisque les lois déférées, votées par la majorité, semblent toucher, pour la minorité qui se protège, à des éléments de nature constitutionnelle. La loi n'est pas conforme à la Constitution et l'on demande au Conseil constitutionnel de le dire.

C'était donc une modification profonde, approuvée et reconnue par tous dans les milieux universitaires et juridiques et, bien sûr, par les parlementaires, puisqu'ils sont désormais les auteurs éventuels de saisines.

Peut-être y a-t-il eu quelques débordements, dans la mesure où, ce recours étant considéré comme le dernier, le plus grand nombre des lois  je n'irai pas jusqu'à dire leur totalité  fait l'objet d'une saisine devant le Conseil constitutionnel. C'est l'une des raisons pour lesquelles  mais je n'y reviendrai pas parce qu'étant le seul dans ce cas, ma parole n'a pas beaucoup d'effet , je me suis toujours élevé, notamment ces derniers temps, contre le développement proposé sur l'exception d'inconstitutionnalité : ne changeons pas ce qui va bien. Mais je ne poursuivrai pas dans cette voie.

En 1992, une autre modification a touché la construction européenne et l'arrivée de l'Union européenne. Je n'en dirai qu'un mot parce que, en réalité, il y a eu un grand débat sur l'article 88.4, débat qui a été repris depuis par le Parlement en plusieurs occasions. Je le dis d'autant plus volontiers, même si cela paraîtra peut-être un peu présomptueux de ma part, que j'ai été l'auteur du premier article 88.4 à l'Assemblée nationale. Je trouvais en effet inadmissible que Bruxelles puisse « pondre » des règlements sans même que le Parlement français ait eu la connaissance de ces projets de directives. Par là même, je voulais aider tous les gouvernements, de droite comme de gauche, qui, voyant la réaction du Parlement français sur un projet de directive, permettaient aux représentants français à Bruxelles de dire : « Cette directive est bien, mais regardez la réaction qu'a sur ce projet le Parlement français ; faites attention, modifiez-la ». C'était donc un service à rendre au gouvernement dans le cadre de la construction européenne. On ne saurait nous imposer n'importe quel règlement.

Je m'aperçois qu'hélas, il a fallu modifier l'article 88.4 à plusieurs reprises et qu'une grande partie de notre législation vient de Bruxelles, d'où la nécessité de transcription des directives par le Parlement, ce qui pose un véritable problème, y compris au Conseil constitutionnel, dans la mesure où les grandes décisions sur cette question s'appuient sur le 88.4. Il en va quand même de la souveraineté de notre pays.

Je parlerai également de la réforme de 1993 sur le droit d'asile, pour une petite parenthèse qui m'avait profondément touché puisque, bien qu'en en étant rapporteur, je m'y étais opposé, y compris au Congrès, quand j'avais pris la parole devant le Premier ministre de l'époque, qui était Edouard Balladur et qui avait paru quelque peu étonné.

Le Conseil constitutionnel avait rendu une décision contre une disposition législative relative au droit d'asile en considérant que la disposition législative était contraire à la Constitution et le Premier ministre avait alors modifié la Constitution. Je m'y suis donc opposé, en ces termes : « Si, à chaque décision du Conseil constitutionnel, vous changez la Constitution, de deux choses l'une : soit vous supprimez le Conseil constitutionnel et on n'en parle plus, soit on en arrive à une Constitution de 500 pages et de 2 000 articles ! Vous avez créé un Conseil constitutionnel pour dire si la loi est conforme ou non à la Constitution, aux principes fondamentaux et au bloc de constitutionnalité, mais si, à chaque fois que le Conseil rend une décision, il faut aller à Versailles pour modifier la Constitution, il faut être sérieux ! » Je m'y étais donc opposé et le Premier ministre de l'époque, de même qu'Alain Juppé, n'étaient pas contents du tout.

En 1995, nous avons connu deux grandes modifications.

La première a été l'extension du champ du référendum dans l'article 11. Les articles 11 et 89  vous vous en souvenez  avaient soulevé un grave problème. Lorsque le général de Gaulle avait voulu l'élection du Président de la République au suffrage universel, il s'était servi de l'article 11 et de nombreux juristes s'étaient élevés pour dire qu'il fallait appliquer seulement l'article 89, les procédures n'étant pas les mêmes. Je dois dire que, si j'avais eu à me prononcer  j'étais encore assez jeune à l'époque  sur cet aspect du suffrage universel, j'aurais sans doute dit qu'il fallait effectivement employer non pas l'article 11 mais l'article 89. Cependant, comme l'a très bien dit Georges Vedel, le peuple avait tranché et l'article 89 n'a donc pas été utilisé.

Cela étant, on a étendu le champ d'application de l'article 11, ce qui a été une réforme essentielle, dans la mesure où, au-delà de l'organisation des pouvoirs publics, on avait prévu des modifications concernant les réformes politiques, sociales et économiques, ce qui est très important.

La deuxième modification constitutionnelle de 1995  j'en ai été le rapporteur, mais, aujourd'hui, je suis mal à l'aise pour en parler au Sénat comme à l'Assemblée  est la réforme de Philippe Seguin sur la session unique. Je maintiens que c'est une erreur. Pourtant, je l'ai rapportée. Excusez-moi ; on peut parfois se tromper. Je l'avais fait pour rendre un peu service  j'en ai un peu honte parce que ce n'est pas tout à fait dans ma nature , mais c'était une erreur. Je l'avais fait quand même aussi pour des raisons profondes, pensant qu'il y aurait moins de textes et que le Parlement aurait plus de temps pour les étudier.

Aujourd'hui, les Sénateurs et les Députés n'ont pas le temps d'étudier des textes, d'autant plus que, depuis quelques années, on leur supprime la deuxième lecture par la procédure d'urgence puisque, sur tous les textes, c'est la procédure d'urgence qui est appliquée et qui se termine par une commission mixte paritaire. Si on a prévu la procédure d'urgence, c'est à titre tout à fait exceptionnel ! Or, aujourd'hui, le gouvernement la demande à chaque fois, ce qui veut dire que les parlementaires ont droit à la première lecture et non pas à la deuxième, alors qu'il s'avère que le rôle du Sénat, comme celui de l'Assemblée d'ailleurs, est d'améliorer les textes des projets de loi qu'on lui soumet et que les deux lectures sont nécessaires.

Aujourd'hui, nous avons une inflation législative du fait de cette session unique alors que j'aurais pu penser le contraire dans la mesure où les ministres se disent : « Nous avons plus de temps et nous votons donc plus de lois ». Je sais bien, mon cher Jean-Pierre, que tous les Premiers ministres se sont opposés à cette inflation, mais tels et tels ministres veulent leur texte, souvent pour des raisons médiatiques  vous m'excuserez de le dire devant d'anciens ministres  parce que, pour passer à la télévision et se faire connaître, le mieux, pour un jeune ministre, est d'avoir un texte qui porte son nom : c'est la loi "Dupont" ou la loi "Durand" et en avant la musique ! La presse continue dans ce sens : on parle de la loi de tel ou tel ministre et non pas de la loi de la République alors que cela devrait être le cas !

Cette session unique est à mon sens une mauvaise réforme, mais l'on ne reviendra naturellement pas dessus.

J'ajoute qu'il est bon que les parlementaires, qui sont élus au scrutin majoritaire, consacrent un temps, les trois mois libres quand il y avait les deux sessions, à leur circonscription. Aujourd'hui, ils ont pris l'habitude d'y aller chaque semaine et, souvent, d'y rester, c'est-à-dire de ne pas respecter les obligations du mandat imposées par l'article 34, et d'être absents. Jamais l'absentéisme à l'Assemblée nationale n'a été aussi élevé qu'en ces derniers temps.

Cela s'explique aussi par le cumul des mandats. Je me suis toujours opposé à tout cumul, comme Jean-Pierre le sait, parce qu'il est contraire à l'esprit même de la Constitution. Quand je présidais la Commission des lois, je me souviens qu'alors qu'il devait y avoir une discussion importante, des Députés faisaient valoir des réunions de leur Conseil municipal, de leur région ou de leur département.

Le cumul est contraire à l'esprit de la Constitution, comme j'ai eu l'occasion de le manifester à l'Assemblée nationale en face d'un dénommé Puech, un homme que j'estime beaucoup et qui est très sympathique, Président du Conseil général de l'Aveyron et également président de l'Association des Présidents des conseils généraux. Nous avions alors la majorité (il était ministre de l'agriculture ou de la fonction publique), et nous votons son budget le vendredi. Le dimanche, il réunit l'Association des Présidents des conseils généraux à Toulon et dit : « C'est scandaleux, l'Etat ne donne pas assez d'argent aux collectivités locales ! » Il me semble quand même qu'un ministre est solidaire du gouvernement. Evidemment, le mardi suivant ou le mercredi, aux questions orales, j'ai été quelque peu violent, ce qui est un peu mon habitude, et j'ai dit alors, en m'adressant à M. Balladur : « M. le Premier ministre, ce n'est pas au ministre de la fonction publique que je m'adresse, parce que je vais demander sa démission, mais à vous parce qu'il faut que vous acceptiez cette démission ! », et je lui en ai donné les raisons.

Il est vrai que, dans le cumul des mandats, qui est une exception française, il y a quelque chose qui ne va pas, mais, là aussi, je sais qu'il faudra peut-être attendre trente ou quarante ans pour changer les choses, encore que trente ou quarante ans, dans l'histoire d'une République, ce ne soit pas grand-chose.

Nous avons eu encore une réforme normale en 1996, qui était d'ailleurs souhaitée par tous les groupes politiques, celle de l'article 47.1 de la Constitution, concernant le vote de la loi de financement de la sécurité sociale, aux côtés de la loi de finances.

En 1998, nous avons eu une modification qui s'est imposée à la suite des grands accords de Matignon sur la Nouvelle-Calédonie : une disposition concernant ce territoire d'outre-mer.

En 1999, nous avons eu la modification de l'article 53 sur la Cour pénale internationale. C'était la reconnaissance du traité que nous avions signé et ratifié en 1998.

Nous avons eu également une modification plus importante, qui fait couler encore beaucoup d'encre aujourd'hui mais que je crois nécessaire, même si elle amène à certains excès dans d'autres domaines qui ne sont pas constitutionnels : celle qui a concerné les articles 3 et 4 de la Constitution sur l'égal accès des femmes aux mandats et fonctions électives, ce qui, en réalité, ne peut pas se réaliser, ou seulement très difficilement, dans le scrutin majoritaire mais uniquement à la proportionnelle. Cela pose donc un problème en ce qui concerne l'application de la Constitution elle-même. Aujourd'hui, cela entraîne un débat qui pourrait paraître un peu communautariste  c'est pour la défense des femmes que je le dis  parce que, une fois que l'on aura mis le doigt dans l'engrenage, on le mettra nécessairement dans d'autres domaines, ce qui pose incontestablement une question lourde.

J'en arrive à la réforme de 2000 sur le mandat de cinq ans, qui a changé profondément les choses. A la suite des élections perdues de 1997 sous la présidence de Jacques Chirac, Président de la République, j'avais  que Dieu me pardonne  écrit un article dans Le Monde intitulé « Pourquoi pas cinq ans ? » Les professeurs de droit s'en souviennent. J'avais fait cela par pur esprit politique, alors que je ne suis pas politicien, comme tout le monde le sait, parce que je m'étais opposé très durement à la dissolution de 1997. Comme la presse l'avait dit  elle le savait et cela venait d'ailleurs plus de l'Elysée que de moi , j'en étais presque venu aux mains avec le Président de la République. C'est un fait connu.

J'avais en effet dit qu'il n'avait pas le droit de faire une dissolution en 1997 puisqu'il s'agissait d'une dissolution de convenance. Or le Président de la République, dans la Constitution, est un arbitre, c'est-à-dire celui qui règle un conflit. Le général de Gaulle, en 1968, alors que les gens étaient dans la rue, a réglé le problème par une dissolution. Quand François Mitterrand a été élu alors qu'il avait au Parlement une majorité contraire à sa propre élection, il était logique de dissoudre. Mais en 1997, alors que nous avions la majorité à l'Assemblée, au Sénat, dans les régions, dans les départements et dans les plus grandes municipalités, où pouvait être l'arbitrage ?

On a dissous. J'ai alors voulu être bon prince pour mon ami Jacques Chirac et j'avais fait ce papier dans Le Monde en disant : « Pourquoi pas cinq ans ? », afin de lui donner un élément pour se relancer. Finalement, il ne m'a pas suivi, mais on l'a contraint, notamment Lionel Jospin et Valéry Giscard d'Estaing, à modifier la Constitution.

Je n'hésite pas à dire que la corrélation de la durée des mandats législatifs et présidentiels est une erreur sur laquelle, hélas, on ne reviendra pas non plus. La rapidité des choses, le désir des Françaises et des Français de retourner aux urnes pour l'élection essentielle, l'intérêt que cela peut représenter pour la presse, qui, à peine une élection terminée, parle déjà de la suivante sont autant d'éléments qui font que l'on n'y reviendra pas, mais c'est quand même une modification très lourde de conséquences.

J'en viens, mon cher Jean-Pierre, à 2003 et à l'organisation décentralisée, à laquelle je sais combien tu tenais et que tu as obtenue  c'est l'un de tes grands succès  par une modification de la Constitution. Je dois dire qu'à l'époque, j'étais un peu jacobin et que je le suis toujours. Certes, la décentralisation telle que l'a voulue et obtenue Jean-Pierre Raffarin à Versailles ne touchait pas les pouvoirs régaliens du Président de la République, de l'exécutif et donc de l'Etat et j'ai bien voulu y souscrire, mais dans la mesure  et si je sors vivant d'ici, je serai heureux  où on réfléchissait enfin sur le nombre de collectivités locales dans notre pays. A chaque fois qu'il y a une difficulté, on en crée une nouvelle et certaines collectivités n'ont même pas de nom : elles ont été créées du temps de Charles Pasqua et on les appelle les Pays. On en attend toujours les décrets d'application et la notion juridique.

Nous avons d'abord les communes, auxquelles on ne touchera jamais. La preuve, c'est que, lorsqu'on décède, on veut retourner dans sa commune d'origine, à laquelle on est attaché. C'est la structure de droit public de base.

Ensuite, on a les cantons, les départements et les régions. Cela fait vingt-cinq ans qu'à l'Assemblée, j'ai dit que j'étais pour la région mais qu'il fallait supprimer le département. Je suis content de voir que l'on y revient un peu et que l'on y réfléchit. En effet, au-delà de la région, il y a l'Etat et, au-dessus, il y a Bruxelles et l'Europe. Aujourd'hui, on parle d'ailleurs de la mondialisation, non pas encore sur le plan juridique ou institutionnel, mais cela viendra.

Pourquoi supprimer l'une de ces collectivités, et en particulier le département ? Parce qu'il y a des conflits de compétences. Il est vrai que, lorsque le département n'a pas assez d'argent pour terminer son collège, la région fait un effort, et presque réciproquement dans certaines régions. On a des conflits de compétences sur un grand nombre de sujets et c'est la complexité même. Pour la maman qui a trois enfants, le tout petit à la maternelle, un plus grand à l'école et le troisième au lycée, qui est compétent ? Je n'entrerai pas dans les détails, mais c'est une idée que je défends.

Je reste donc décentralisateur, et je le serai d'autant plus  que Jean-Pierre m'entende bien  si, un jour, une réflexion est menée sur la nécessité d'étudier le nombre de collectivités, qui complique les choses du fait des conflits de compétences.

Certes, lorsque les départements ont été créés, pendant la Révolution, il fallait aller en charrette ou à cheval du lieu le plus éloigné jusqu'au chef-lieu d'arrondissement, mais aujourd'hui, on peut aller en voiture du lieu le plus éloigné au chef-lieu de la région et les moyens de transport se sont quelque peu modifiés par rapport à 1793 !

Bien que jacobin, je ne suis donc pas contre la décentralisation, d'autant plus que l'article 72 était accompagné de l'article 74 qui touchait les territoires d'outre-mer et que cela s'imposait pour d'autres raisons.

Enfin, la dernière modification, dont on parle beaucoup aujourd'hui, est celle de 2005, relative au référendum sur les adhésions des pays qui souhaitent entrer dans l'Union européenne. Naturellement, la réforme voulue par Jacques Chirac concerne une question qui soulève aujourd'hui des interrogations : l'adhésion de la Turquie.

Voilà ce que je voulais dire rapidement. Je suis de ceux qui regrettent un certain nombre de modifications, comme vous l'avez sans doute senti, et qui estiment que la Constitution étant inscrite dans le marbre, il ne faut la changer qu'après beaucoup de réflexions, comme le disait Portalis, mais il est vrai qu'il parlait, lui, de la loi civile. Veillons donc à ne pas faire un peu tout et n'importe quoi.

Je ne me permettrai pas de m'immiscer dans les discussions parlementaires en ce qui concerne les modifications proposées, mais, dans la mesure où j'étais vice-Président du comité Balladur, j'appelle le Parlement à faire attention, y compris face aux textes proposés par le gouvernement qui retient quelques-unes des propositions Balladur, aux modifications qui doivent être apportées et qui pourraient changer profondément les choses.

J'appellerai pour terminer l'attention des Sénateurs présents sur une chose qui me consterne : j'ai appris hier soir le vote de l'amendement à l'Assemblée nationale qui tend plus ou moins à supprimer la juridiction administrative dans notre pays alors que nous avons deux systèmes : l'organisation judiciaire et l'organisation administrative. Messieurs les Sénateurs, prêtons attention à cela : je ne veux pas, demain  vous m'excuserez de le dire, et comme je ferai un communiqué dans la presse, je peux me permettre de l'exprimer publiquement  voir les préfets poursuivis par des juges d'instruction de l'ordre judiciaire.

Voilà, M. le Modérateur, et mon cher Jean-Pierre, ce que je veux dire. Je m'exprime toujours avec mon indépendance ; on voudra bien me le pardonner. Vous aurez des gens beaucoup plus compétents que moi pour entrer dans le fond des textes.

M. Jean-Marie MAYEUR, modérateur.-

Merci beaucoup, M. le Président, de cet exposé si riche qui nous a énormément appris et qui est aussi un témoignage personnel. Nous y sommes très sensibles et votre ton indépendant a été très bien compris par les uns et les autres.

Je donne tout de suite la parole au professeur Bastien François, professeur à l'université de Paris I, qui va nous parler de la place de l'Assemblée nationale dans l'évolution de la V e République. J'indique au passage que M. François a donné une importante contribution à L'histoire du Parlement de 1789 à nos jours publiée, sous l'autorité de Jean Garrigues, par le Comité d'histoire politique et parlementaire.

M. Bastien FRANÇOIS, Professeur à l'Université de Paris I - La place de l'Assemblée nationale dans l'évolution de la Ve République

Merci, M. le Modérateur. Je suis né pendant l'article 16 de la Constitution, ce qui vous donne une idée de mon âge, mais cela fait que je ne pourrai pas parler d'expérience, comme l'a fait le Président Mazeaud, et je serais donc, pour cette raison, sans doute moins intéressant.

Je vais être aussi mal élevé, parce que nous sommes au Sénat et que je vais parler exclusivement de l'Assemblée nationale, même si certains de mes propos pourraient concerner le Sénat, mais il est vrai que le secrétaire général du Sénat parlera juste après moi et rétablira donc cet équilibre.

Je commencerai par un fait extrêmement connu mais qu'il est bon de rappeler : pour les auteurs de la Constitution de 1958 l'Assemblée nationale est le maillon faible du système politique, le lieu générateur de l'instabilité gouvernementale, le lieu du désordre et de la division partisane. C'est aussi l'épicentre d'un certain archaïsme politique et d'une certaine culture politique dépassée. Par conséquent, dans l'esprit des constituants de 1958, le Parlement ne doit plus être le lieu d'impulsion des politiques publiques, le poumon de la vie politique, si on rétablit pour partie le rôle du Sénat par rapport à la Constitution de 1946, pour contrer éventuellement l'Assemblée nationale.

Le contraste, à cinquante ans de distance, est saisissant. En effet, force est de constater qu'aujourd'hui, non seulement l'Assemblée nationale est au coeur de toutes les grandes évolutions de la V e République, comme cela vient d'être rappelé par le Président Mazeaud, mais l'Assemblée nationale a retrouvé une place centrale dans la vie politique, à défaut d'avoir retrouvé son pouvoir d'antan. A tel point qu'aujourd'hui, à gauche comme à droite, tous s'accordent, dans une mesure variable, comme on peut le voir dans la discussion du projet de révision constitutionnelle, sur le fait que la modernisation de la vie démocratique dans notre pays passe nécessairement par un accroissement des pouvoirs de l'Assemblée nationale, par un accroissement des pouvoirs des Députés, qui doivent être plus présents, mieux outillés pour contrôler le pouvoir exécutif et moins corsetés par la rationalisation du parlementarisme.

Pour prendre la mesure de ce contraste, je vais revenir d'abord très brièvement sur les intentions des constituants pour montrer ensuite comment l'Assemblée nationale est au coeur de toutes les grandes transformations de la V e République, même si je ne vais pas pouvoir, dans le temps qui m'est imparti, traiter de l'ensemble de ces transformations, et en particulier des plus difficiles à saisir sur le plan institutionnel, notamment la professionnalisation de la vie politique, le cumul des mandats ou l'emprise des partis politiques sur la vie politique, à tel point que c'est la V e République qui a inventé le régime des partis, ce qui peut paraître paradoxal. Je ne vais traiter que de trois grands thèmes :

- la question de la stabilité gouvernementale et de l'alternance,

- la question de la répartition des pouvoirs au sein du pouvoir exécutif,

- la question des transformations du contrôle de constitutionnalité,

le tout dans les vingt minutes qui me sont imparties.

Je commencerai donc par l'intention des constituants. Les Constitutions servent toujours à régler des problèmes. Quel était le problème des constituants de 1958 ? Un problème ancien, simple à exposer mais assez difficile à régler : le problème de l'instabilité gouvernementale. Pour le dire dans un langage moderne, c'est l'absence de majorités stables, cohérentes et disciplinées sur la durée d'une législature. Dans la vie politique française, avant 1962, on n'a jamais connu de majorité stable, cohérente et disciplinée sur la durée d'une législature. Le problème des constituants est donc d'essayer de gouverner sans majorité stable, cohérente et disciplinée.

Vous en avez une explication lumineuse dans un texte extraordinaire, pour moi le plus grand texte en langue française d'un constituant : le discours de Michel Debré devant le Conseil d'Etat, en 1958, qui est très beau et d'une très grande clarté. Michel Debré dit très clairement : « Parce que, en France, la stabilité gouvernementale ne pourra pas résulter de la loi électorale (il se trompait un peu sur ce point, mais peu importe), il faut que l'on règle le problème dans l'architecture constitutionnelle. »

Toute la Constitution de 1958 est donc orientée dans ce but. On le voit dans la définition des compétences des chambres et dans les relations entre le gouvernement et le Parlement, avec une très forte emprise du gouvernement sur le Parlement, dans la conception du rôle présidentiel et, en particulier, dans cette bizarrerie, du point de vue de la théorie du parlementarisme : le fait que le Président de la République a des pouvoirs propres. On a besoin d'un Président de la République qui, en cas de nécessité, en dépit du dispositif de rationalisation du parlementarisme, pourrait sauver la mise si cela n'allait plus du tout. On crée donc un Président de la République un peu bizarre, qui est un arbitre, mais avec des pouvoirs propres.

Comme vous le savez, deux miracles structurants se sont produits : celui du fait majoritaire  je n'ai pas le temps d'en faire la chronologie, qui est plus chaotique qu'on le raconte , puis, un peu plus tard, le temps que les choses se mettent en place, celui de la bipolarisation de la vie politique française, qui empêche de passer d'un camp à l'autre comme on le faisait auparavant, c'est-à-dire l'étanchéité de deux grands pans, gauche et droite, avec des rapports assez compliqués au sein de chacun d'eux, mais ce n'est pas l'objet de ma présentation.

Cette nouvelle donne du fait majoritaire, qui va se pérenniser, se consolider et pénétrer les esprits et qui est la seconde nature de la V e République, va conduire à un déséquilibre structurel de nos institutions du fait d'un surdimensionnement des instruments de disciplinarisation des parlementaires à la disposition du gouvernement, puisque le problème qui était celui des constituants de 1958 n'existe plus. Ils ont fait une Constitution remarquablement cohérente et intelligente pour régler un problème et ils se retrouvent assez rapidement sans ce problème. De ce fait, les relations entre le Premier ministre, le Président de la République et le Parlement ou, de façon générale, les relations entre l'exécutif et le législatif, sont déséquilibrées plus qu'à l'origine.

Il est surtout important de signaler que cette nouvelle donne majoritaire, qui va produire une chose tout à fait inédite dans la vie politique française : le fait de transformer l'Assemblée nationale en pôle de stabilité, va avoir des effets en chaîne sur la définition des rôles politiques, sur les relations entre les pouvoirs et donc sur les principales caractéristiques de notre régime.

Pour examiner cela, je partirai d'un constat auquel nous sommes tellement habitués que nous n'y faisons plus attention, surtout pour ceux qui sont nés, comme moi, après 1958 : l'Assemblée nationale de la V e République est directement liée à une double révolution dans la vie politique française et à l'une des caractéristiques majeures de la V e République : la stabilité gouvernementale et l'alternance.

Je commencerai par la stabilité gouvernementale. A partir de 1962, tous les gouvernements ont disposé d'une majorité stable, cohérente et plus ou moins disciplinée. Il y a toujours eu une majorité, à tel point que, depuis 1962, aucun gouvernement n'a jamais été renversé par l'Assemblée nationale. C'est une chose tout à fait inédite dans l'histoire de la vie politique française et personne ne pouvait imaginer, en 1958, que l'Assemblée nationale serait ce pôle de responsabilité, ce point d'acte essentiel de la stabilité gouvernante.

De même, personne ne pouvait imaginer en 1958 que, depuis le précédent du 14 avril 1962, c'est-à-dire le jour où le général de Gaulle remplace souverainement Michel Debré par Georges Pompidou à Matignon, le principal facteur d'instabilité en France est le Président de la République. Ce n'est pas très grave, mais il s'est arrogé alors le droit de changer quand il veut de Premier ministre et de gouvernement, du moins lorsqu'il dispose d'une majorité à l'Assemblée nationale, et je reviendrai sur ce point.

L'Assemblée nationale devient donc le pôle de responsabilité du pouvoir gouvernant en France. Le complément de cette révolution est ponctué à intervalles relativement réguliers, ou en tout cas prévisibles, par des alternances et, là aussi, c'est une nouveauté. A strictement parler, il n'y a pas d'alternance avant la V e République : il n'y en a ni sous la III e , ni sous la IV e . Il y a des élections et des camps qui les perdent, mais les véritables changements se font par des formes de déplacement et de glissement. Il n'y a pas d'alternances franches, ou très peu, ou elles ne durent pas longtemps. Ce sont des glissements d'alliances qui se font au sein du Parlement et en raison de l'existence de forces politiques charnières centristes, si je puis dire pour aller vite. Avant 1962, les configurations politiques sont donc marquées par l'incertitude et le perpétuel déplacement des clivages politiques.

C'est cette situation qui change, mais très lentement. En effet, pour qu'il y ait une alternance, il faut non seulement qu'il y ait une majorité, mais aussi une opposition susceptible de devenir la majorité. Nous avons eu très vite une majorité, mais nous avons mis plus longtemps à avoir une opposition susceptible d'être une majorité. Il a fallu attendre les années 70 et le rassemblement des forces de gauche pour que nous passions d'une majorité sans alternance à une alternance des majorités.

Cette première alternance, celle de 1981, est consécutive à une élection présidentielle, mais elle est uniquement permise par les élections législatives qui suivent. Ce sont les élections législatives qui permettent l'alternance et c'est ce qu'avait théorisé M. Giscard d'Estaing dans son fameux discours de 1978 à Verdun-sur-le-Doubs, dans lequel il expliquait : « Si je perds les élections législatives, je ne pourrai pas résister ; ce sera le programme de gauche qui s'appliquera. »

Evidemment, la situation est plus compliquée en France, où nous avons un double circuit de dévolution du pouvoir exécutif, ce qui veut dire que l'alternance peut être enclenchée soit par des élections présidentielles, soit par des élections législatives, mais, en réalité, les conséquences ne sont pas les mêmes selon les deux cas. En effet, lorsqu'elle est enclenchée par l'élection présidentielle, l'alternance ne peut être complète, c'est-à-dire que l'on ne peut attribuer la plénitude du pouvoir à un camp que si le Président de la République qui a gagné l'élection présidentielle gagne les législatives qui sont consécutives à une dissolution ou bien, naturellement, dans le schéma du quinquennat, qui suivent son élection. Dans tous les cas, le Président de la République ne peut gouverner que s'il y a une élection législative alors qu'en revanche, lorsqu'un camp gagne les législatives, il a pratiquement la plénitude du pouvoir gouvernant parce que, contrairement à ce que l'on pourrait penser (je pourrais en donner des preuves, mais je manque de temps), un Premier ministre de cohabitation a parfaitement les moyens de gouverner la France en dépit de quelques difficultés. Gouverner la France, cela peut se faire parfaitement en période de cohabitation.

J'en ai une preuve excellente que je vous cite en passant. Le directeur de cabinet de Lionel Jospin a publié un livre qui s'appelle Matignon, rive gauche. Dans les deux premières pages, il dit que la cohabitation est horrible et que c'est la fin des haricots, et dans les 250 pages qui suivent, il dit : « Nous sommes les meilleurs du monde ; nous avons très bien gouverné ». Cela veut dire que l'on peut très bien gouverner en période de cohabitation et que la victoire d'un camp aux élections législatives peut, à elle seule, conférer l'essentiel du pouvoir de gouvernement.

C'est ce que je propose d'appeler la double découverte des années 80 au point de vue institutionnel et politique : d'une part, les élections déterminantes pour l'attribution du pouvoir gouvernant sont les élections législatives ; d'autre part, le droit de dissolution ne sert plus à régler un conflit entre l'exécutif et le législatif mais à lier l'assemblée nationale et le Président de la République.

Cette dernière considération m'amène à aborder un deuxième point, tellement connu que je serai plus bref : celui des rapports au sein de l'exécutif. On peut le dire d'une façon très simple : le Président de la République, en France, est puissant lorsqu'il est lié politiquement à l'Assemblée nationale. Cela veut dire que, contrairement à ce qu'on dit très souvent, il est faux de dire que la prééminence présidentielle et le rôle de gouvernant que s'attribue le Président de la République sont directement issus de son élection au suffrage universel direct. De tous les autres Présidents des pays de l'Union européenne élus au suffrage universel direct, y compris ceux qui ont des pouvoirs assez proches du Président de la République français en termes de pouvoir propre, aucun n'a le pouvoir du Président de la République français. Par conséquent, contrairement à ce qu'on dit, la prééminence du Président de la République et, surtout, son rôle de gouvernant sont liés à l'existence d'une majorité à l'Assemblée nationale sur laquelle il peut s'appuyer et, idéalement, de son point de vue, sur laquelle il a été élu.

Si je devais résumer cela par une formule, je dirais que c'est à l'Assemblée nationale que le Président de la République trouve son pouvoir de gouvernement, qui n'est pas inscrit dans la Constitution, ce qui est une très grande surprise. Si on avait raconté cela aux constituants de 1958, ils n'y auraient pas cru. Cela se mesure parfaitement dans ce type d'alternance particulier qui est créé par les élections législatives et qui débouche sur ce que l'on a appelé la cohabitation, dans laquelle on voit que la configuration du pouvoir exécutif dépend de l'Assemblée nationale.

Dans ce cas, soit le Président de la République est le chef réel du gouvernement, avec un Premier ministre qui fait le go-between entre le Président de la République et le Parlement (ce n'est d'ailleurs pas tout à fait vrai, et j'ouvre une parenthèse pour le dire au Premier ministre qui est ici et qui pourra le confirmer : contrairement à ce que dit la presse, le Premier ministre a l'ensemble des instruments de pilotage et de coordination du travail intergouvernemental ; quand j'entends que M. François Fillon n'est qu'un collaborateur, cela me fait rire, parce qu'il a des instruments sans lesquels le Président de la République ne peut rien faire à l'Elysée), soit le Président de la République est réduit à un rôle de tribunicien, avec un Premier ministre qui est le chef réel du gouvernement et qui aspire à devenir calife à la place du calife.

Cela veut dire que l'Assemblée nationale est, elle aussi, le vecteur de cette particularité française, que personne ne nous envie en réalité, et qui fait que le chef de gouvernement est tantôt Président de la République, tantôt Premier ministre.

J'en viens à ma troisième et dernière observation : l'Assemblée nationale est l'acteur indirect, comme le disait aussi Pierre Mazeaud, d'un approfondissement de l'Etat de droit en France. Le Conseil constitutionnel d'aujourd'hui ne ressemble vraiment pas à ce qu'il était en 1958, où il était chargé exclusivement de protéger le pouvoir exécutif contre les parlementaires.

Ce Conseil constitutionnel avait été pendant très longtemps accusé d'être aux ordres du pouvoir gaulliste. Je pense à cet égard à des phrases exceptionnelles de François Mitterrand dans Le coup d'Etat permanent. François Mitterrand, comme Michel Debré mais dans un autre genre, avait une sacrée plume et, quand il disait les choses, elles avaient une force et une clarté que l'on retrouve malheureusement assez peu aujourd'hui. Ce Conseil constitutionnel, qui a donc été dénoncé par toute la gauche et aussi par une partie de la droite, est devenu aujourd'hui une juridiction chargée de la protection des libertés et des droits des citoyens qui est tout à fait admise. Si on avait dit en 1958 que l'on qualifierait les membres du Conseil constitutionnel de « sages », je pense que cela aurait fait rire. Cet organe, qui était chargé de cette mission technicienne de réguler l'activité normative des pouvoirs publics, comme on le disait dans les années 60, est donc devenu le garant suprême de l'Etat de droit.

Cela s'explique tout d'abord par le fait majoritaire. Avec le fait majoritaire, sa mission de protection du pouvoir exécutif passe nécessairement au second plan, comme l'avait parfaitement compris M. Giscard d'Estaing en 1974 lorsqu'il a voulu faire de la saisine, qui est désormais ouverte aux parlementaires, un élément du statut de l'opposition.

Cela s'explique aussi  c'est encore plus important  par le fait que la saisine du Conseil constitutionnel a été utilisée par les Députés de l'opposition, et aussi par les Sénateurs, comme un élément de prolongation du débat législatif, ce qui permet au Conseil constitutionnel d'injecter à jets continus des nouveaux principes Constitutionnels dans le bloc de constitutionnalité et, de ce fait, le Conseil constitutionnel abreuve à jets continus l'opposition, qui trouve des arguments supplémentaires pour attaquer le gouvernement. L'Assemblée nationale a créé, avec le Conseil constitutionnel, une sorte de surgénérateur d'arguments constitutionnels, c'est-à-dire que, plus on en met, plus il en ressort.

Je terminerai par ce paradoxe qui me fait sourire : qui aurait pu croire en 1958 que les parlementaires, notamment les Députés, allaient devenir les meilleurs alliés objectifs du développement du contrôle de Constitutionalité en France ?

M. Jean-Marie MAYEUR, modérateur.-

Je vous remercie, d'abord pour avoir tenu dans le temps imparti et, surtout, pour avoir dit tant de choses. Vous montrez en effet très bien tout ce qui a changé depuis 1958 par rapport aux motivations mêmes de la Constitution.

Vous apportez beaucoup de nuances, voire de corrections, à des idées reçues indéfiniment répétées sur le régime, la Constitution et la place de l'Assemblée nationale.

Je donne tout de suite la parole à M. Delcamp, secrétaire général du Sénat, que je remercie d'autant plus qu'il est à la fois un homme de réflexion et un témoin. Après M. Delcamp, viendra, ce qui me paraît tout à fait opportun, le témoignage de M. Claude Estier, ancien Président du groupe socialiste du Sénat.

M. Alain DELCAMP, Secrétaire général du Sénat, vice-Président de l'Association Française des Constitutionnalistes - La place du Sénat dans l'évolution de la Ve République

Merci beaucoup, Monsieur le modérateur.
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Mesdames et Messieurs les universitaires,
Chers collègues,
Mesdames et Messieurs,

Je voudrais d'abord remercier M. Bastien François, qui a parfaitement tenu la ligne qu'il s'était fixée. Il n'y avait effectivement peut-être pas lieu de parler du Sénat dans son développement, puisqu'il nous a parlé de la logique profonde et institutionnelle de la V e République (Président, Premier ministre, majorité à l'Assemblée nationale) et que, personnellement, j'ai toujours pensé que le Sénat se situait un peu en dehors de cette logique dominante. C'est ce qui fait son originalité et aussi la difficulté, quand on n'en est pas l'un des acteurs ou que l'on n'y travaille pas, de comprendre son rôle et la subtilité qui peut être la sienne.

M. Bastien François m'a également fait prendre conscience brusquement qu'en ce qui me concerne, j'étais né avec la IV e République et que j'étais rentré au Sénat l'année où le Président du Sénat a donné l'impulsion décisive au contrôle de constitutionnalité, c'est-à-dire en 1971 !

Ces cinquante années vues du Sénat ont été particulièrement riches. Elles l'ont confronté à des situations variables et elles n'ont pas levé l'incertitude qui pèse quasiment depuis l'origine sur le destin de la seconde chambre en France. En revanche, le paradoxe est que, malgré ces débats, cette longue période de temps n'a pas affaibli le Sénat, bien au contraire, puisque la nécessité du bicamérisme est aujourd'hui quasiment unanimement reconnue, même si l'on peut encore discuter la composition et le rôle de la seconde chambre.

Je vais vous proposer deux chemins pour visiter ces cinquante années du Sénat dans la République :

- une approche chronologique : la République vue du Sénat ;

- une approche thématique : le Sénat vu de la République.

Ma première partie concerne donc les mutations de la « République sénatoriale ».

Les plus anciens savent que l'expression est une citation du doyen Prélot, qui fut vice-Président de la commission des lois du Sénat, et les moins anciens s'étonneront sans doute que l'on puisse parler ainsi. Or c'était bien l'analyse qui était faite en 1958 : la Constitution restaurait la seconde chambre en lui redonnant le nom de Sénat, en lui donnant la garde conjointe de la Constitution avec l'Assemblée, en lui donnant un pouvoir législatif restauré s'appuyant sur une parenté profonde entre son collège électoral et celui du Président de la République.

Elle s'inspirait ainsi de son attachement au bicamérisme proclamé par le général de Gaulle, comme l'a rappelé Pierre Mazeaud, et, surtout, à la théorie développée par Michel Debré pendant la guerre (je vous cite à mon tour un passage de ce livre publié sous le pseudonyme de Jacquier-Bruère) :

« Deux chambres à effectif raisonnable et à mandat d'une certaine durée, telle est la première mesure de sagesse. La dualité évite l'imprévoyance et les excès d'une assemblée unique. La première chambre est l'expression directe de la nation. Elle transmet au gouvernement l'impulsion de la majorité. A côté d'elle, le Sénat est doté des mêmes attributions, mais il en use dans un autre esprit : il tempère les volontés trop neuves et trop vives, il relie la politique du présent à celle du passé et à celle de l'avenir. »

J'ai tendance à considérer que cette phrase est la plus belle qui puisse être appliquée au le Sénat de la V e République.

La plupart des commentateurs de 1958 approuvent cette interprétation sénatoriale. Pour les uns, l'insertion de la Constitution dans le terreau des notables confirme cette impression, et le mode de scrutin du Président de la République est jugé «révélateur» du goût des constituants pour le suffrage indirect inégalitaire, par M. Maurice Duverger.

« Cette identité d'origine entre le Sénat et le Président de la République confère au Sénat, tant par son Président, éventuel Président intérimaire de la République, que par lui-même, assemblée indissoluble, la mission d'assurer la continuité de la République. » C'est une dernière citation du doyen Prélot.

J'ai voulu marquer ce départ pour bien faire sentir combien, aujourd'hui, nous sommes loin de ces interprétations. Cela veut dire que le Sénat, lui aussi, a bénéficié ou a contribué à démontrer la flexibilité de la Constitution de la V e République. Il l'a fait à travers cinq moments que je vais rapidement caractériser.

Le premier, c'est la première législature, qui dissipe les illusions du doyen Prélot. Jusqu'à la crise du référendum de 1962, le Sénat devient le premier opposant du nouveau régime et, après les élections législatives de 1962 et leur majorité introuvable, il devient le seul refuge pour l'opposition. Alors qu'il devait être le soutien potentiel du régime, il devient le principal obstacle aux deux majorités, présidentielle et parlementaire, confondues.

Il ne s'agit pas pour autant d'affrontements idéologiques. On pourrait dire que la majorité d'alors du Sénat est une sorte de prolongement de la troisième force de la IV e République. Ce qui unit cette majorité et l'oppose à la « République gaullienne », c'est une autre conception que je qualifierai de « République parlementaire ». Le Sénat est attaché à un parlementarisme classique à la française dans lequel les assemblées affirmeraient leur autonomie face à l'exécutif. Symbole de cette différence : la résistance aux premières décisions du Conseil constitutionnel et son refus quasi systématique des procédures du parlementarisme rationalisé pendant longtemps et, à certains égards, encore aujourd'hui.

Le deuxième moment est l'élection de M. Giscard d'Estaing à la présidence de la République qui fait que, pour la première fois, la majorité du Sénat coïncide avec la majorité présidentielle. Dans cette conjoncture, il est alors en passe de jouer le rôle de contrepoids, avec la complicité de l'exécutif, qui avait été envisagée par les pères de la Constitution face à une majorité, que je qualifierai de rétive, à l'Assemblée nationale.

Le troisième moment est celui de l'alternance de 1981, qui ouvre une troisième période institutionnellement fort redoutable pour l'avenir de l'institution et également très ambiguë. La majorité sénatoriale, ainsi qu'elle se qualifie désormais, doit affronter la tentation de faire du Sénat une contre-Assemblée nationale et de confondre le bicamérisme avec l'affrontement de deux assemblées idéologiquement opposées. En fait, par son attachement à la qualité du travail législatif et par le maintien d'une préférence marquée pour la modération, le Sénat trouve un équilibre nouveau bâti sur le refus du tout ou rien, une forme de modus vivendi débouchant sur un nombre de désaccords très vigoureux mais quantitativement limités, parfois temporaires, comme sur la décentralisation, compensés par des accords plus inattendus : l'amnistie, l'abolition de la peine de mort, la loi Quillot sur les rapports bailleurs-locataires et, deux législatures plus tard, la révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité de Maastricht.

C'est en cette période que s'inscrit aussi plus clairement un rôle d'équilibre institutionnel, s'appuyant tantôt sur le Conseil constitutionnel, où le Sénat et son Président peuvent apparaître comme des recours face à l'alliance majorité parlementaire/majorité présidentielle, tantôt sur l'opinion publique, avec la fameuse affaire de la question scolaire.

La caractéristique de cette période, c'est que la stabilité de l'institution, qui ne peut être dissoute, et la durée du mandat de ses membres lui permettent d'ajuster son comportement à l'égard du gouvernement en place en fonction des fluctuations de l'esprit public.

Quatrième moment : les cohabitations. C'est une période intéressante, mais qui n'est guère homogène. L'identité majoritaire entre 1986 et 1988 amène l'assemblée du Luxembourg à privilégier le soutien au gouvernement sur le recul auquel la destinait son mode d'élection indirect. Le Sénat découvre alors la nécessité de lutter en son sein contre l'obstruction et de faire une lecture moins souple de son règlement, voire de recourir à des procédés discutables - la question préalable dite «positive» - afin d'abréger les débats en réponse, par exemple, au refus du Président de la République de signer les ordonnances. Ce raidissement est tempéré par une plus grande prise de responsabilité dans l'élaboration des textes, responsabilité jusqu'alors contestée au Parlement par l'exécutif, au point que, sur certains aspects, le Sénat peut apparaître, dans ces époques, comme un laboratoire de l'alternance. Ce sont des propositions sénatoriales qui nourrissent le futur programme de la majorité à l'Assemblée nationale.

Une particularité : les périodes de 1988 et de 1993, seuls moments où la Constitution rencontre la conjoncture pour laquelle elle a été faite, à savoir l'absence de majorité à l'assemblée. Les gouvernements minoritaires découvrent l'avantage de traiter avec une assemblée fondamentalement plus encline au compromis et à la recherche de solutions concrètes qu'au recours à l'abus de majorité.

J'en viens au cinquième moment. En 1997 et 2002, est expérimentée la dernière configuration possible : une divergence idéologique de majorité avec l'Assemblée nationale compliquée d'une identité avec la majorité présidentielle. Le Sénat fait alors non seulement contrepoids à la majorité de l'Assemblée nationale, mais devient aussi l'allié objectif du Président de la République, compliquant singulièrement la tâche du gouvernement, ce qui lui vaut l'épithète d'«anomalie dans les démocraties».

Comme l'Assemblée nationale, le Sénat a dû se prononcer sur la question du quinquennat, mais il fut amené plus rapidement que l'Assemblée nationale à en tirer lui-même les conséquences à travers l'abrègement de son mandat et l'accélération du rythme de son renouvellement. Nul ne peut mesurer aujourd'hui les conséquences de cette mesure, non pas tant en termes de conséquences politiques que d'effets sur le comportement sénatorial et sa singularité par rapport à l'autre assemblée.

Le débat sur l'inversion des élections lui fournit en 2001 l'occasion de marquer, plus de quarante ans après les débuts de la V e République, la continuité organique de son attachement à une lecture parlementariste des institutions. L'esquisse de quinquennat absolu, sur laquelle ont débouché les élections de 2007, constitue sans doute un nouveau test de la capacité du Sénat à incarner la continuité de la République. La question est de savoir si le maintien en sa faveur du plus long mandat de la République et son caractère permanent suffiront à compenser une accélération assez probable du renouvellement des élites qui le composent. C'est l'une des interrogations majeures des années à venir.

Cinquante ans après, force est de constater que la réalité sénatoriale et son rôle exact dans le fonctionnement global du système politique n'ont pas bénéficié d'une attention considérable, au point que l'ensemble de ces fluctuations et nuances, fort éloignées des visions simplistes qui prévalent encore, demeure assez largement ignoré.

Il en va de même de la place réelle du Parlement depuis 1958, qui dépasse de beaucoup les apparences textuelles auxquelles on le réduit trop souvent. C'est sans doute un des apports du Sénat d'avoir contribué à esquisser par ses pratiques les voies du renouveau attendu aujourd'hui.

J'en viens à ma deuxième partie, dans laquelle je me propose d'examiner le Sénat du point de vue de la République et de voir dans quelle mesure il a contribué ou non à l'affirmation du Parlement.

Dans son ouvrage très célèbre sur la Constitution britannique, Walter Bagehot attribuait cinq fonctions à la Chambre des Communes : fonction électorale, fonction d'expression, fonction pédagogique, fonction d'information et, enfin, fonction de législation. Force est de constater que la Constitution de 1958 n'en mentionne explicitement qu'une seule, celle de législation, et encore celle-ci est-elle généralement contestée au motif que c'est l'exécutif qui occupe la place la plus importante dans l'élaboration des lois. Voyons rapidement ces cinq fonctions.

Je commence par la fonction électorale ou d'investiture. Celle-ci ne fait pas partie des fonctions du Sénat et il n'a jamais cherché à l'exercer sous la V e République, ce qui le différencie de façon essentielle du Sénat de la III e République, auquel on l'assimile trop souvent et à tort. J'observe que le fait de ne pas avoir de fonction d'investiture n'est pas forcément un désavantage. C'est peut-être même un avantage et l'une des raisons de la spécificité et de l'autonomie du Sénat. Les notions de majorité et d'opposition sont moins centrales dans son fonctionnement, d'autant que, sauf pendant la très brève période de 2002 à 2004, aucun groupe politique n'a détenu à lui seul la majorité en son sein.

En contrepartie, le gouvernement dispose à son égard de moins de pouvoirs de contrainte que vis-à-vis de l'Assemblée nationale : il n'y a pas d'équivalent de l'article 49.3 au Sénat. Cela a permis à l'assemblée du Luxembourg d'exercer à de multiples reprises son influence sur la fixation de l'ordre du jour et, surtout, sur les délais d'examen des textes. C'est précisément sur cette absence de fonction d'investiture qu'il peut appuyer ses réticences traditionnelles à l'application des procédures du parlementarisme rationalisé.

Il a fallu attendre 2007 pour que la conférence des Présidents du Sénat accepte, non sans réticence, que la commission des finances applique a priori la procédure d'irrecevabilité de l'article 40. Il en est de même concernant toutes les décisions du Conseil relevant de la jurisprudence dite «de l'entonnoir». Ce caractère rétif aux disciplines imposées de l'extérieur s'insère dans un état d'esprit marqué en général par une interprétation libérale des règles régissant le fonctionnement de la séance publique et qui est la marque d'une assemblée attachée essentiellement à son autonomie.

J'en viens à la deuxième fonction, celle d'expression, qui renvoie à la fonction de représentation du Parlement, qui est rarement considérée en tant que telle dans les études, celles-ci la réduisant la plupart du temps à la question du mode de scrutin. En fait, pour le Sénat, cette fonction de représentation est au coeur de la problématique, et on peut regretter qu'elle ne soit pas examinée par rapport au rôle que l'on voudrait voir jouer par le Sénat dans les institutions. Comment trouver le moyen de dégager une représentation différente et, mieux encore, complémentaire de la première, s'appuyant si possible sur une légitimité différente ?

De ce point de vue, la V e République a fait progresser les choses, puisque le résultat du référendum de 1969 a montré que cette légitimité ne pouvait être recherchée en dehors du suffrage universel, qui seul fonde le rôle du Sénat dans la révision de la Constitution et assoit sa capacité autonome de contestation.

La première question qui se pose quarante ans après n'est donc pas, à mon sens, de savoir si le Sénat actuel est représentatif c'est une question qu'on ne se pose pas pour l'Assemblée nationale et pourtant..., mais bien plutôt s'il convient de conserver une deuxième assemblée parlementaire à part entière, comme le dit familièrement le Président Christian Poncelet, et quelles sont les conditions que devrait alors remplir son mode de scrutin pour assurer un comportement différent de celui de l'Assemblée nationale.

Le débat est ouvert, on le sait, mais un consensus assez large se dégage, et c'est sans doute l'une des nouveautés de ces dernières années, pour que la base de la représentation sénatoriale demeure les collectivités territoriales. Tel est le sens de la récente proposition de loi constitutionnelle déposée par M. Jean-Pierre Bel, Président du groupe socialiste, et ses collègues.

Le débat se concentre donc surtout sur le point de savoir jusqu'où le fait de représenter les collectivités locales peut justifier un écart par rapport à une représentation proportionnelle de la population.

Au-delà du débat de principe, force est aussi de constater que ce mode de scrutin, qui a été revu et actualisé  ne l'oublions pas  à cinq reprises souvent à l'initiative des Sénateurs eux-mêmes depuis 1958, a déjà assuré une fonction appréciable de différenciation par rapport à la première chambre :

- une relative stabilité du personnel politique, ce qui n'est pas sans importance dans la vie quotidienne du Parlement,

- une plus grande diversité dans la composition politique, marquée par l'importance traditionnelle des formations centristes ou modérées,

- une certaine correction par rapport aux effets d'amplification du scrutin majoritaire des Députés, permettant le plus souvent, en cas d'alternance forte à l'Assemblée nationale, une meilleure représentation relative des forces d'opposition, un souci assez naturel d'associer l'opposition ou, plus exactement, d'essayer de trouver les évolutions sinon consensuelles, du moins acceptées par l'ensemble des groupes politiques ; n'oublions pas que, jusqu'en 1983, l'opposition possédait deux présidences de commission permanente.

Ces caractéristiques ont permis au Sénat de mieux jouer son rôle pédagogique, la troisième fonction de Bagehot. Il a ainsi affirmé une culture du débat préalable et mis en place une politique d'ouverture vers le citoyen plus développée que l'Assemblée nationale, sans doute parce qu'il en avait plus besoin.

Cette culture du débat, qui rejoint la spécificité de son rôle législatif, est marquée de façon assez constante par l'importance du travail en commission, le recours systématique aux auditions, l'ouverture de ces auditions, leur relais non seulement par la presse mais aussi par la télévision parlementaire, l'attachement à la procédure des questions orales avec débat, que l'Assemblée nationale a abandonnée pendant plusieurs années, et l'accroissement régulier des initiatives en amont des débats législatifs sous des formes diverses.

Ce travail constitutionnel s'est trouvé relayé par une politique délibérée de communication avec le public qui, à mon sens, fait partie intégrante des missions de l'institution. N'oubliez pas que c'est le référendum de 1969 qui a convaincu le Sénat de cette nécessité et que les trois Présidents qui se sont succédé depuis ont vu dans ce développement des relations avec le public l'une des réponses possibles à l'éloignement des citoyens des institutions en général.

Je passe sur l'investissement précoce et massif dans les nouvelles technologies. Le développement des moyens de communication classiques, mais aussi la communication indirecte à travers une politique globale de communication événementielle font du Palais du Luxembourg l'un des lieux les plus fréquentés de France. Quelques manifestations événementielles ont permis de mieux faire comprendre la logique de représentation et le rôle du Sénat dans les institutions de la République :

- les états généraux des élus locaux dans les grandes villes de province,

- les états généraux de la parité réunissant l'ensemble des femmes élus locaux,

- la Fête de la Fédération du 14 juillet 2000 rassemblant les maires de France, en présence du Président de la République et du Premier ministre, pour ne citer que les plus emblématiques.

J'en arrive à la quatrième mission : le pouvoir d'information.

C'est dans ce pouvoir d'information, que nous appelons aujourd'hui plus volontiers «pouvoir de contrôle» que les avancées institutionnelles sont les plus grandes. Par sa pratique, le Sénat a contribué à donner un contenu rénové à la notion de contrôle, qui ne figurait pas parmi les missions majeures du Parlement en 1958. On se souvient que les pouvoirs d'enquête étaient très réduits et qu'ils n'avaient été que faiblement octroyés par une simple ordonnance. Le Sénat s'est donc employé à être le premier à utiliser ces moyens, à la fois les commissions de contrôle, puis les commissions d'enquête, après quoi il a veillé à développer les pouvoirs de ces commissions (la loi du 19 juillet 1977 est d'origine sénatoriale).

Il a veillé aussi à ce que toutes les commissions permanentes puissent avoir, si le Sénat le veut, les mêmes pouvoirs que les commissions d'enquête, et il a inventé des solutions de substitution à ces commissions d'enquête pour aller au-delà de la période de six mois, par exemple sous la forme de missions communes d'information non prévues par son Règlement. Trois ont fonctionné encore tout récemment en 2007.

Le Sénat a été aussi le premier à se pencher sur le contrôle de l'application des lois, depuis 1972, sans interruption. Il est aujourd'hui possible de consulter les données de ce contrôle en permanence sur Internet. Le contrôle s'est enrichi ces dernières années par le souci d'un plus grand suivi ponctuel. Enfin, la nouvelle loi organique sur les lois de finances a permis de multiplier les initiatives, notamment en liaison avec la Cour des comptes.

Pour finir, je noterai sur ce point que la suspension des travaux de séance publique en 2007, qui est liée aux élections législatives et présidentielles, a été précisément utilisée par le Bureau du Sénat, la conférence des Présidents et ses commissions pour marquer sa permanence et lancer un nombre considérable de travaux de contrôle qui ont abouti à partir du mois de juin jusqu'au mois d'octobre.

C'est aussi cette permanence qui lui a permis de bien exercer la fonction de législation, en accueillant par exemple sur son bureau cinq des sept projets déposés par la nouvelle majorité, lors de la session extraordinaire, en priorité par rapport à l'Assemblée nationale.

Cette activité législative est aujourd'hui l'un des indicateurs du progrès du développement du Parlement dans le fonctionnement des institutions. On dit souvent que l'importance législative d'une assemblée se mesure au pourcentage de lois d'origine parlementaire. On sait en fait que ce critère n'est pas adapté puisque, dans aucun pays, sauf dans ceux à véritable régime présidentiel, cette initiative est majoritaire, mais que le Sénat a essayé de grignoter une partie de cette initiative, notamment grâce à la journée réservée, que l'on critique aujourd'hui mais dont je crois pouvoir dire qu'elle est bien utilisée par le Sénat et qu'il y attache de l'importance. Par exemple, sur la période 1995-2007, 13,5 % des lois sont issues de propositions de loi du Sénat contre 3 % entre 1959 et 1988.

La grande novation de la pratique institutionnelle est cependant l'essor du droit d'amendement parlementaire, qui contrebalance, et au-delà, la faiblesse relative de l'initiative. Il est rare que les projets de loi ne soient pas profondément transformés et complétés par le débat parlementaire. Dans cet exercice, le Sénat contribue à marquer les textes de son empreinte, y compris lorsque le gouvernement donne le dernier mot à l'Assemblée nationale. C'est ainsi que, selon les périodes, le pourcentage d'amendements adoptés par le Sénat qui figurent dans le texte final oscille entre 44 % en 1983 (troisième période) et 93 %, à trente ans d'intervalle, en 1974 comme en 2004 (deuxième et cinquième période).

L'un des apports capitaux de ces cinquante premières années de la V e République est en effet l'essor de la navette et la confirmation du rôle essentiel de cette novation que constituait l'institution de la commission mixte paritaire. Celle-ci est avant tout un dernier recours : deux tiers des textes sont adoptés sans navette, ou plus exactement par la navette sans réunion de la CMP, et sa réunion est une condition pour que le gouvernement puisse donner, s'il le souhaite, le dernier mot à l'Assemblée nationale. Depuis 1959, 66 % des CMP ont réussi et leur taux de succès demeure significatif, même dans les périodes du plus fort affrontement entre les majorités des deux assemblées : 38 % en 1981, près d'une fois sur deux entre 1988 et 1989.

Au total, l'activité et la place du Sénat, au cours de ces cinquante dernières années, est fort loin de mériter la caricature que l'on en fait parfois. Multiforme, elle illustre l'intérêt du double examen législatif mais - c'est un point auquel je tiens personnellement beaucoup - elle ne s'y résume pas. Le caractère permanent et le suffrage indirect permettent au Sénat d'assurer ce rôle si particulier de stabilisation et de pondération, voire de gardien des équilibres des principes fondamentaux qu'appelle une tradition politique d'instabilité et d'embrasements successifs, renforcée aujourd'hui par les engouements des médias, voire la recherche ambiguë de leur consécration.

Plus ouverte sur la société qu'on l'imagine, traditionnellement intéressée par les dimensions européenne ou internationale des problèmes, l'assemblée du Luxembourg n'apparaît pas la plus mal préparée face aux demandes de revalorisation du rôle du Parlement.

Son mode de désignation lui-même, s'il peut nourrir quelques procès d'intention, appelle sans doute à être replacé dans une problématique plus large : celle de l'équilibre global du système politique, celle aussi de la nécessité d'une organisation du législateur adaptée à la complexité nouvelle d'un Etat qui ne se réduit plus à une administration centralisée et toute-puissante.

M. Jean-Marie MAYEUR, modérateur.-

Je vous remercie de cette communication précise et sûre qui corrige une caricature trop fréquente. Je me permets d'ajouter que j'ai été touché de voir que vous avez évoqué Marcel Prélot, que j'ai un peu connu. Je me souviens de cette formule qui lui était chère, en 1958, d'une République sénatoriale .

A travers votre exposé, on prend la mesure de la dimension prise par le Sénat, qui n'est peut-être pas toujours suffisamment apparente, mais qui est réelle et de plus en plus marquée. On le voit par votre analyse des diverses configurations de la vie politique française.

Je donne la parole à M. Claude Estier, ancien Président du groupe socialiste du Sénat.

M. Claude ESTIER, ancien Président du groupe socialiste du Sénat

Merci, M. le Modérateur.

Mesdames et Messieurs,

Je remercie beaucoup les organisateurs de ce colloque de m'avoir invité à présenter mon témoignage. En effet, contrairement, à ce que vous avez entendu depuis le début de ce colloque, mon exposé ne sera pas historique ou juridique mais beaucoup plus personnel.

Je commencerai par dire que je m'inscris très volontiers, même si j'ai quelques nuances à exprimer, dans la défense et illustration du Sénat et de son rôle que M. Delcamp vient de présenter. J'aurai évidemment quelques nuances à apporter, notamment sur la définition qu'il a donnée des grands moments du Sénat, mais ce n'est pas le but que je souhaite donner à mon intervention.

Je tiens donc à apporter un témoignage personnel en tant que praticien, comme mon voisin, M. le Premier ministre, et parce que j'ai vécu pendant longtemps quotidiennement dans cette maison.

Je suis entré au Sénat en 1986, en venant de l'Assemblée nationale, où j'occupais les fonctions de Président de la commission des affaires étrangères et où j'avais assisté pendant toute une législature à des débats tendus, souvent violents, notamment au moment des questions au gouvernement du mardi et du mercredi. Quand je suis arrivé au Sénat, une maison que je ne connaissais pas du tout, j'avais le sentiment d'entrer dans un palais d'abord beaucoup plus solennel que celui de l'Assemblée nationale et à l'ambiance beaucoup plus feutrée. Quelques-uns de mes amis m'ont mis en garde tout de suite en me disant : « Il y a aussi, au Sénat, des peaux de banane, mais on les voit moins parce qu'elles sont sous les tapis »...

Pendant deux ans, de 1986 à 1988, j'ai fait l'apprentissage de mon rôle de Sénateur de base, j'ai appris ce qu'était cette maison, comment on y travaillait et ce qu'on y faisait. Puis je suis devenu, en 1988, le Président du groupe socialiste, fonction que j'ai occupée jusqu'en 2004, au moment où j'ai décidé de ne pas me représenter et où j'ai donc pris ma retraite.

Pendant toutes ces années, j'étais un élu parisien, je n'avais pas, comme le disait tout à l'heure M. Pierre Mazeaud, à retourner dans ma circonscription le mardi, le mercredi, le vendredi ou le dimanche et y rester parfois toute la semaine, et je ne cumulais donc pas les mandats, ce qui fera plaisir à M. Mazeaud, puisque je n'avais que mon mandat de parlementaire et un mandat de conseiller de Paris qui n'en était pas vraiment un puisque nous étions dans l'opposition à l'époque. Cela m'a permis d'être présent dans cette maison du lundi matin au vendredi soir, maison que j'ai donc bien connue et dont j'ai découvert petit à petit tous les secrets qui me sont restés tout à fait chers. Je pense que ma longue présence au Sénat a été l'un des grands moments de ma carrière politique.

J'ai participé naturellement, en tant que Président du groupe, à toutes les conférences des Présidents, qui se réunissaient régulièrement sous la présidence d'Alain Poher, René Monory et Christian Poncelet, et j'ai eu l'occasion de présenter, au cours de cette longue carrière au Sénat, tout en étant dans un groupe minoritaire, les positions de mon parti politique et d'essayer de les faire connaître  souvent en vain, mais j'y reviendrai tout à l'heure , comprendre et adopter par mes collègues du Sénat.

Je dois dire que le travail que j'ai effectué dans cette maison a été pour moi très enrichissant. C'est une maison à laquelle je reste attaché. Je suis aujourd'hui parlementaire honoraire, mais je suis resté attaché au Sénat et j'y fréquente encore très souvent les amis, les institutions et  personne n'en a encore parlé  la bibliothèque du Sénat, qui est tout à fait exceptionnelle. Ceux qui y travaillent savent de quoi je veux parler.

En tant que Président du groupe et en tant que membre de la commission des affaires étrangères du Sénat (où j'avais eu à mon arrivée des rapports très cordiaux avec le Président Lecanuet), nous avons engagé un certain nombre de missions de cette commission dans différentes parties du monde, et cela a été pour moi aussi un élément extrêmement instructif et pédagogique, si j'ose dire, de ma présence au Sénat.

En tant qu'européen convaincu, j'étais naturellement membre de la délégation de l'Union européenne et j'ai participé à toutes sortes de réunions de ce que l'on appelle la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), la réunion périodique des représentants parlementaires des différents pays de l'Union européenne.

J'ai donc travaillé dans tous ces secteurs, à la fois sur le plan de la politique intérieure et de la défense du gouvernement quand il était de gauche, bien entendu, notamment pendant le gouvernement de Lionel Jospin, de 1997 à 2002, et, naturellement, sur la difficulté d'un représentant du groupe socialiste de se faire entendre et de faire adopter ses idées dans cette maison qui est restée, en dépit des différents moments qu'a évoqués M. Delcamp, profondément marquée par une majorité de droite.

En ce qui concerne la pédagogie, il est vrai que la deuxième chambre, le Sénat français, a une fonction pédagogique incontestable, et cela doit être souligné, même par un représentant de l'opposition que je suis, parce que c'est à mon avis un élément tout à fait important dans la vie parlementaire et la vie politique française. Cet élément pédagogique s'est développé au fil des années sous les différentes présidences, notamment celle du Président Poncelet.

Je pense aussi qu'un élément important a été introduit dans cette pédagogie et cette connaissance du travail parlementaire à destination de l'opinion publique par la création de la chaîne Public Sénat, qui a eu d'abord une audience limitée, mais qui se développe aujourd'hui de façon tout à fait positive ce dont je me félicite personnellement parce qu'on y retrouve un certain nombre d'éléments qui permettent à l'opinion publique et aux téléspectateurs de comprendre mieux ce que sont les débats et les différentes positions qui peuvent s'exprimer à travers ces débats.

Autrement dit, j'ai tiré de ces dix-huit ans passés au Sénat des sentiments extrêmement positifs sur l'atmosphère de cette maison et les conditions dans lesquelles on pouvait y travailler, même si  j'y viens maintenant , sur le plan politique, les choses sont quand même un peu différentes.

Après ce que je viens de dire, je ne peux m'empêcher de m'engager dans la partie critique. Je crois en effet qu'il y a, au sujet du Sénat, une incompréhension, qui s'est manifestée lorsque Lionel Jospin a parlé d'anomalie du Sénat dans une société démocratique comme celle que nous connaissons en France. Cela ne voulait pas dire, contrairement à ce qu'on a voulu nous faire croire, que l'on mettait en cause l'existence du Sénat, pas du tout. Le parti auquel j'appartiens est tout à fait attaché au bicamérisme, qui est un progrès et une chance de meilleurs débats et d'amélioration du travail législatif. L'anomalie, qui est aujourd'hui encore plus criante, réside dans le mode de scrutin des Sénateurs.

Certes, il y a eu quelques modifications, auxquelles M. Delcamp a fait allusion, mais elles n'ont pas changé grand-chose. La principale modification, qui est intervenue au cours des dernières années, est le fait d'avoir abrégé la durée du mandat du Sénat. C'est une bonne chose parce que le mandat de neuf ans était un anachronisme par rapport à la réduction des autres mandats, notamment du mandat présidentiel, mais en ce qui concerne le mode de scrutin, les choses n'ont pas beaucoup changé.

Le Sénat  j'en prends à témoin M. le Premier ministre, qui est attaché à tout ce qui concerne les collectivités territoriales  est censé représenter les collectivités territoriales. C'est sa fonction. Or, aujourd'hui, surtout après les dernières élections de mars 2008, les collectivités territoriales sont en très grande majorité orientées à gauche : vingt régions sur vingt-deux, la majorité des départements et la plus grande partie des grandes villes françaises sont aujourd'hui dirigés par la gauche et le Sénat, qui est censé représenter les collectivités territoriales, n'a aucune chance, même après le prochain renouvellement de septembre prochain, de s'orienter vers cette majorité de gauche car son mode de scrutin l'interdit.

Pourquoi en est-il ainsi ? Tout simplement parce que, dans le corps électoral du Sénat, domine la présence des élus et des maires des toutes petites communes françaises. Cela veut dire que, grosso modo et je grossis le trait , le corps électoral du Sénat correspond à ce qu'était la France il y a cinquante ans, un pays essentiellement rural alors qu'aujourd'hui, plus de 80 % des Français vivent dans les grandes villes. Le corps électoral du Sénat n'a pas évolué en fonction de cette évolution de la société française et c'est ce qui fait qu'éternellement, il y a un déséquilibre, même si, à chaque renouvellement, la gauche grignote quelques sièges supplémentaires. Quand je suis devenu Président du groupe socialiste, en 1988, nous étions soixante alors que mes amis sont aujourd'hui un peu plus de quatre-vingt-quinze. Nous avons à chaque fois gagné des sièges, mais la majorité reste la même, une majorité de droite, même quand un ensemble de collectivités territoriales, comme je viens de le rappeler, se situe à gauche.

Dans toute démocratie, la deuxième chambre, lorsqu'elle existe, doit être soumise à l'alternance, comme la première. Je prends l'exemple de l'Italie, qui vient de changer de majorité : le Sénat était à gauche et il est passé à droite à la suite des élections qui viennent de se dérouler. C'est tout à fait normal en démocratie. En France, le Sénat ne change jamais de majorité à cause de ce mode de scrutin.

Cela pose un vrai problème. C'est pourquoi, dans le débat qui s'instaure aujourd'hui sur la réforme des institutions, mon parti et mon groupe ont décidé de poser, non pas comme question préalable, mais comme condition au fait d'aller plus loin dans cette réforme des institutions la prise en considération sérieuse, enfin, du problème de la réforme du mode de scrutin du Sénat.

M. Delcamp, vous avez dit tout à l'heure que le débat est ouvert. Tant mieux, mais je voudrais qu'il ne soit pas refermé sans que l'on ait changé les choses. C'est un vrai problème, et je ne suis pas sûr que l'on y arrive.

Pour ma part, je déplore cette situation parce que, encore une fois, et c'était la première partie de mon témoignage, j'ai beaucoup de choses positives à dire sur le Sénat. J'ai apprécié considérablement tout ce que j'ai pu y faire et y vivre pendant ces dix-huit années, mais je souhaite qu'un jour prochain, le plus rapidement possible, cette réforme du mode de scrutin du Sénat permette que, dans cette assemblée, comme dans l'Assemblée nationale, l'alternance soit possible. C'est une condition fondamentale dans une société démocratique.

M. Jean-Marie MAYEUR, modérateur.-

Je vous remercie de votre réflexion et du bilan de votre long passage au Sénat. J'ai été très frappé de vous entendre dire que la gauche, aujourd'hui, est désormais, depuis un certain nombre d'années, pour le bicamérisme, car ce n'était pas la tradition républicaine.

M. Claude ESTIER.-

Elle l'est depuis longtemps.

M. Jean-Marie MAYEUR, modérateur.-

C'est en 1875 que Gambetta a pesé pour que ses amis dits de l'extrême-gauche, socialistes ou radicaux, l'acceptent. Cela n'a pas été sans problème dans les années suivantes.

M. Claude ESTIER.-

C'est vrai, mais cela fait quand même depuis 1875 !

M. Jean-Marie MAYEUR.-

Cela fait un certain temps, en effet.

Je vais donner la parole à Nicolas Rousselier qui va parler des Premiers ministres au Parlement. Nicolas Rousselier a publié un ouvrage tout à fait dans l'axe de nos préoccupations. Ce livre, intitulé « Le parlement de l'éloquence », est fondamentalement une réflexion tout à fait neuve et dont les analyses sont maintenant largement reprises, sur l'importance des délibérations parlementaires et du compromis parlementaire dans la III e République, en s'intéressant à la législature de 1919.

M. Nicolas ROUSSELLIER, Maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris

Les Premiers ministres au Parlement

Entre autres changements radicaux, la V e République a été le théâtre d'un bouleversement de la place et du rôle des Premiers ministres au Parlement. De « président du Conseil » avant 1958 à « Premier ministre », le changement de nom n'était pas seulement symbolique de cette évolution ; il indiquait la réalité d'une mutation.

Sous les III e et IV e Républiques, les présidents du Conseil étaient constamment présents dans les hémicycles des deux assemblées. Ils devaient non seulement être là, physiquement, sur le banc des ministres, mais aussi multiplier les interventions à la tribune. Le simple fait de se montrer ne suffisait pas à assurer la discipline de la majorité ; il fallait pouvoir constamment réassurer le pacte majoritaire par les discours et les interventions dont certaines devaient être improvisées afin de mieux contrer les attaques des opposants.

Cette servitude parlementaire des présidents du Conseil s'inscrivait dans le principe même du régime ultra délibératif que connaissaient ces deux Républiques. La confection des lois ne pouvait pas être assurée par la discipline de vote. Il fallait donc se battre au sein même de l'hémicycle ; parler aux groupes politiques, intervenir auprès des parlementaires influents, faire les couloirs ou les faire faire par ses lieutenants et ses informateurs, être là en signe de soutien des ministres et, surtout, monter soi-même à la tribune autant de fois que nécessaire pendant toute la durée des sessions parlementaires. La majorité n'était jamais certaine d'avance. Autrement dit, le métier de président du Conseil s'identifiait pour l'essentiel à celui de tribun parlementaire. La vie et la mort politique d'un président du Conseil relevaient presque entièrement de l'arène parlementaire.

Face à cette longue tradition venue du 19ème siècle, la Constitution de 1958 eut pour principal objectif d'assurer une autorité nouvelle au pouvoir exécutif tout en lui conservant son caractère dual partagé entre « président de la République » et « président du Conseil » rebaptisé « Premier ministre ». Dans le cas du président de la République, la voie du renforcement passa par la définition d'un certain nombre de pouvoirs propres (dont celui de nommer le Premier ministre) et par la légitimité tirée de l'élection. Dans le cas du Premier ministre, l'affaire était plus compliquée ; il fallait à la fois maintenir sa raison d'être parlementaire en tant que chef d'un gouvernement responsable devant les assemblées mais aussi le protéger des aléas politiques liés aux incertitudes majoritaires et donc du risque d'instabilité gouvernementale.

L'originalité de Michel Debré

La protection qui devait entourer le Premier ministre pour le prémunir contre les risques d'un renversement parlementaire ne fut pas conçue au départ comme un cordon sanitaire ou une cloison étanche qui aurait eu pour conséquence d'éloigner le Premier ministre des hémicycles parlementaires. Au contraire, dans l'esprit de Michel Debré qui fut le premier à exercer ce rôle inédit, le « Premier ministre », tout en bénéficiant de l'arsenal du parlementarisme rationalisé que lui offrait la Constitution, devait pleinement assumer le rôle de chef des débats parlementaires sur le mode anglais. Cette préférence parlementaire du sénateur gaulliste s'était d'ailleurs signalée lors de la phase d'élaboration du texte constitutionnel, au mois de juin et au début du mois de juillet 1958. Michel Debré, contre l'avis des juristes qui composaient le « groupe des experts », avait par exemple voulu inscrire dans la Constitution l'obligation pour le Premier ministre de faire une déclaration de politique générale chaque année, en début de session, avec débat et mise en jeu de la responsabilité du gouvernement 1 ( * ) . Proposition non retenue par le groupe, Michel Debré se retrouvant quelque peu isolé face à des experts issus non pas du monde parlementaire mais du Conseil d'Etat.

En ce sens, Michel Debré se situait encore dans ce que l'on pourrait appeler la tradition philosophique républicaine considérant le Parlement comme le lieu de la nation assemblée et le lieu d'où devait être puisée la légitimité politique du pouvoir exécutif. Certes, il avait bien compris qu'une part nouvelle de la légitimité du Premier ministre lui venait du choix opéré par le président de la République, lui-même issu d'un suffrage élargi (puis du suffrage universel). Mais, Michel Debré concevait encore qu'une part non négligeable de sa légitimité devait être associée à la confiance que lui exprimerait l'Assemblée nationale (voire le Sénat) et ceci de manière fréquente et régulière. La confiance exprimée par une majorité parlementaire tenait lieu de confiance de la nation ; l'Assemblée faisant encore figure, dans l'esprit de Debré, de métonymie de la nation politique.

L'idée première était donc de permettre au Premier ministre d'être le tuteur sévère et même redoutable des joutes parlementaires, notamment dans le but d'assurer l'efficacité et la rapidité de la confection des lois, tout en reconnaissant son appartenance ontologique au Parlement.

On ne s'étonnera pas de constater que Michel Debré fut le seul Premier ministre de la V e République à se situer, au moins en partie, dans la continuité des présidents du Conseil de la IV e République. Au cours de l'année 1959, il eut ainsi à son actif 28 interventions à l'Assemblée nationale puis 33 l'année suivante. A titre de comparaison, Guy Mollet en 1956 comptait 40 interventions et Antoine Pinay, 38 pour l'année 1952 2 ( * ) . Si on note une diminution entre l'avant et l'après 1958, l'ordre de grandeur restait cependant le même ; la pratique avait changé mais pas forcément la philosophie ou la « culture politique » que partageaient les principaux acteurs. Miche Debré intervenait encore à la manière d'un président du Conseil comme le démontrait son activisme au sein des importants débats de confection législative telles que la réforme agricole, la réforme judiciaire ou les nouveaux dispositifs militaires 3 ( * ) .

Comme sous la IV e ou la III e République, le Premier ministre était encore omniprésent lors de la discussion budgétaire : en novembre 1959, on le voit ainsi intervenir le 6 sur les enjeux généraux du débat budgétaire, le 18 sur les crédits militaires, le 21 sur l'aide au développement, le 22 sur les crédits de l'éducation nationale, les anciens combattants et les crédits des services du Premier ministre et le 24 sur les anciens combattants et sur l'engagement de l'article 49-3.

Au total, si l'on répartit les interventions de Michel Debré en tant que Premier ministre en trois catégories, les interventions liées aux déclarations générales (en y ajoutant les allocutions diverses), les interventions liées aux débats sur des motions de censure et, enfin, les interventions de confection législative, on obtient pour l'année 1960 : 8 et 6 interventions pour les deux premières catégories et 19 interventions pour la catégorie purement législative 4 ( * ) . On saisit bien ainsi la nature encore très parlementaire du travail primo-ministériel sous l'ère Michel Debré.

L'ère du déclin

La véritable rupture intervint donc après Michel Debré. Comme on peut le voir dans les graphiques placés en annexe, la présence et l'activité des Premiers ministres connurent une diminution rapide et spectaculaire à partir de la longue tenure de Georges Pompidou. Cet effondrement est encore plus marqué au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. Après la crise de 1962, véritable fondation d'un nouveau régime à l'intérieur du régime né de la Constitution de 1958, on ne comptabilise que 7 interventions de Georges Pompidou à l'Assemblée nationale en 1964, puis 6 en 1966 et 11 en 1967. A partir de cette brutale rupture, on peut dire que le pli de la Constitution et de la place des Premiers ministres est pris ; le phénomène s'inscrit dans la durée et la place des Premiers ministres est désormais installée dans la rareté.

Certes, on note des variations individuelles. Certains Premiers ministres sont plus interventionnistes que d'autres, tel Raymond Barre, Pierre Mauroy en 1981 et 1982, Jacques Chirac en 1986 ou encore Alain Juppé en 1995 et 1996. Mais leur zèle parlementaire ne porte pas la signification d'un « revival » ou d'une attitude délibérément favorable à un retour au parlementarisme d'antan. Dans tous les cas, les raisons sont plus simples et plus terre à terre : le fait de cumuler le poste de Premier ministre et celui de ministre des Finances (pour Raymond Barre), le fait de mener tambour battant une impressionnante série de réformes à la suite d'élections de combat (pour Mauroy, Chirac, Juppé) ou encore le fait d'avoir à répondre à de nombreuses motions de censure (pour les quatre cités). Inversement, les Premiers ministres les moins interventionnistes, tel Michel Rocard (3 interventions seulement en 1988) ou Lionel Jospin (3 interventions en 1997-1998 et aucune au Sénat, 2 interventions en 1999-2000 et en 2001) ne sont pas forcément les hommes politiques réputés les plus hostiles au principe de la discussion et à l'idéal de démocratie délibérative.

En tout état de cause, le phénomène dans sa globalité, sur une période de quatre décennies apparaît très marqué. C'est celui d'une diminution forte et inexorable du rôle personnel du Premier ministre au Parlement sous la forme des interventions classiques 5 ( * ) . Cela s'explique par les conséquences quasi mécaniques des armes juridiques qui avaient été données au Premier ministre par la Constitution de 1958 : réduction du temps de session, accélération du temps de travail législatif, procédure d'urgence, rareté de la mise en jeu de la responsabilité du gouvernement, suppression des interpellations sous leur forme classique, possibilité offerte de passer par la voie des ordonnances. Autant d'éléments qui réduisent les débats législatifs en séance et autant d'éléments qui réduisent les occasions d'intervention des premiers ministres 6 ( * ) .

De plus, avec l'avènement du fait majoritaire, les premiers ministres n'ont plus besoin de se montrer et de parler pour exercer leur force ; la majorité le fait à leur place. Et cette majorité est connue d'avance. La discipline de la majorité ne se gagne plus à la tribune mais dans les concertations préalables ; elle est dorénavant le fruit d'une construction politique placée entre les mains des états-majors des partis et sous la haute surveillance du président de la République (sauf en période de cohabitation). Le contraste est donc devenu spectaculaire entre les présidents du Conseil des deux républiques parlementaires et le Premier ministre de la République semi-présidentielle installée depuis 1962. Nous avons déjà cité les exemples de Pinay et Mollet mais, en remontant plus en arrière, on pourrait rappeler les chiffres qui démontrent l'ancienne absorption des présidents du Conseil dans le travail parlementaire : 54 interventions à la Chambre des députés pour Waldeck-Rousseau en 1900, 113 pour Poincaré en 1927, 83 pour Ramadier en 1947 (et seulement de fin janvier à fin novembre). En comparaison, on comprend pourquoi les premiers ministres de la V e République ont pu consacrer l'essentiel de leur temps et de leur énergie à la coordination du travail gouvernemental et au suivi des grandes politiques publiques, ce que les anciens présidents du Conseil ne pouvaient faire qu'avec d'extrêmes difficultés et seulement à la marge de leurs activités parlementaires.

La mutation est de nature quantitative mais elle comporte aussi des aspects qualitatifs. Le Premier ministre ne participe plus guère aux débats de confection législative. Il intervient lors des déclarations de gouvernement et lors des joutes verbales que ne manquent pas de soulever les débats sur les motions de censure. Mais il n'a plus à être le maître des débats et l'animateur de la vie législative comme Michel Debré l'avait envisagé et tenté d'en configurer la pratique. Si l'on veut employer une image facile, on peut dire que le Premier ministre de la V e République a été exfiltré de la zone dangereuse et tumultueuse que représentait autrefois l'arène parlementaire. Dorénavant, avec le fait majoritaire, ce n'est plus le Premier ministre qui est comptable de son action devant le Parlement mais plutôt la majorité parlementaire qui est comptable vis-à-vis du Premier ministre de la réalisation en bon ordre du programme gouvernemental 7 ( * ) , le Premier ministre étant lui-même comptable de cette réalisation devant le président de la République.

L'ère du rachat

Faut-il après tous ces chiffres en arriver à la conclusion d'un éloignement voire d'un divorce entre le Premier ministre de la V e République et la sphère parlementaire ? Si le changement et le déclin ne peuvent être niés, ils doivent cependant être nuancés du fait de nouvelles mutations intervenues à partir des années 1970. Une première distinction est utile ; entre la présence parlementaire du Premier ministre et sa fonction politique effective. La diminution des interventions orales ne signifie pas ipso facto la perte d'un rôle parlementaire. Tout au long de ces années, grâce aux services de Matignon, grâce au travail du cabinet du Premier ministre et au rôle d'un secrétaire d'Etat (ou ministre) chargé des relations avec le Parlement, le Premier ministre de la V e République a pu asseoir son rôle de chef de la majorité parlementaire et assurer ainsi l'efficacité de la discipline de vote. Intervenant peu à la tribune ou de son banc, le Premier ministre n'en est pas moins présent dans l'hémicycle. Par cette présence, il continue d'assurer, plus que jamais, son rôle de chef politique du Parlement ; tant d'un point de vue symbolique (sa présence surtout si elle est médiatisée) que d'un point de vue pratique (sa présence permet de tenir les troupes via les réunions du groupe politique et les multiples conciliabules).

Mais on peut aller plus loin dans la nuance qui doit être apportée à l'idée d'un déclin parlementaire des premiers ministres. Car, les hôtes de Matignon ont trouvé une sorte de second souffle parlementaire avec l'introduction des questions au Gouvernement, en 1975 pour l'Assemblée, en 1983 au Sénat. La nouvelle pratique a ouvert une fenêtre d'opportunité et d'intervention que les premiers ministres ont largement mise à profit. Comme on le voit dans les graphiques présentés en annexe, il y a multiplication des interventions des premiers ministres par l'entremise des réponses apportées lors de ces questions au Gouvernement. Ces réponses ont donc joué en quelque sorte le rôle de substitution par rapport au déclin des interventions classiques liées aux débats de confection législative. Jacques Chirac intervenait ainsi 25 fois pour des réponses aux questions au Gouvernement dès 1976 tandis que Pierre Mauroy intervenait 48 fois pour la seule année 1984 (si on ajoute les premiers mois de Laurent Fabius). Juppé atteignait pratiquement le même chiffre en 1995-1996 (47 réponses). Le champion de ce type de pratique a été Lionel Jospin que l'on classait tout à l'heure « mauvais élève » des interventions parlementaires classiques. Il donne 40 réponses en 1997-1998 puis 45, 33 et 42 dans les années suivantes.

Ce retour en force des premiers ministres au sein des assemblées peut s'expliquer de plusieurs manières. D'abord par le bon sens : les assemblées parlementaires conservent un intérêt politique évident pour la stratégie des gouvernants. Elles offrent un cadre chargé d'histoire, de symbole et de légitimité dans lequel l'expression d'un message politique de l'exécutif peut prendre toute sa force, surtout s'il est retransmis par la télévision et permet ainsi de toucher l'opinion publique. De manière plus stratégique, un débat parlementaire, notamment s'il soulève le folklore des passions et du chahut parlementaires, est le moyen pour le Premier ministre d'entretenir le statut d'un chef d'équipe gouvernementale capable de mener ses troupes à la bataille. Il est évident qu'un Premier ministre ne peut pas laisser ses ministres monter seuls au créneau ou en ordre dispersé. Il doit, à certains moments, assumer des discours de politique générale et prendre en charge la réponse aux attaques les plus vives faites par l'opposition, notamment dans les périodes de crise et de forte tension politique ou lorsque surgissent des « affaires ». Il se doit de galvaniser les troupes de la majorité à intervalles réguliers et de nourrir l'identité du parti majoritaire. En ce sens, les passes d'armes qu'offrent très souvent les questions au Gouvernement sont d'excellents moyens pour raviver le clivage droite/gauche et pour retrouver les fondamentaux sans lesquels il n'y a pas construction politique d'une majorité.

Ainsi, bien que le Premier ministre ait perdu sa place dans le travail de confection des lois, il a pu devenir un redoutable débatteur politique. Par ce rôle, il se plie à la fonction de contrôle qu'exercent les assemblées parlementaires sur l'exécutif, mais il y trouve surtout un moyen de stratégie politique aussi bien collective (diriger sa majorité) qu'individuelle (imposer sa marque personnelle auprès de l'opinion, y compris en concurrence avec le Président de la République). En fait c'est plus une ressource stratégique qui s'est offerte à lui qu'une contrainte démocratique qui l'aurait obligé à retrouver le chemin de l'hémicycle parlementaire.

On le devine, les questions au Gouvernement sont loin de marquer une véritable renaissance parlementaire des Premiers ministres. Difficile de les considérer comme de véritables substituts des anciens grands débats d'interpellation des III e et IV e Républiques ou comme des compensations au déclin des interventions classiques. Les réponses sont souvent regroupées sur une seule séance et ne sont donc pas une forme régulière susceptible de rythmer la vie parlementaire. Elles sont souvent rapides et peu approfondies, et sont donc à mille lieues des interpellations parlementaires d'antan (qui étaient parfois étalées sur plusieurs séances et débouchaient sur une véritable épreuve politique sous la forme du vote des ordres du jour).

Une conclusion, une proposition

En conclusion, et pour sortir de la tour d'ivoire que l'universitaire aime à se construire au nom de sa sacro-sainte « objectivité », nous ferions volontiers une proposition permettant de réinscrire le Premier ministre dans le cadre d'un contrôle parlementaire digne de ce nom. Il s'agirait de faire renaître sous une forme modernisée la vieille tradition des auditions du Premier ministre en commission. Cette tradition a quasiment disparu sous la V e République en parallèle avec la diminution du rôle des premiers ministres dans les débats de confection législative. Elle restait encore vivace sous Michel Debré mais n'apparaît plus que de manière sporadique ensuite 8 ( * ) . L'audition du Premier ministre pourrait être déclenchée soit à la suite d'une demande formulée par un certain nombre de députés ou de sénateurs soit, de manière obligatoire, pour tout sujet correspondant aux grands domaines qui intéressent la vie de la nation (réforme de l'Etat, modification apportée aux services publics de la nation, réforme de la protection sociale, défense nationale, politique extérieure). Le Premier ministre devrait passer audition devant la commission parlementaire correspondant au sujet et au débat mis en jeu. Une telle pratique remplacerait avantageusement le débat à l'emporte pièce des questions au Gouvernement par une audition fondée sur un interrogatoire serré et approfondi. Ce serait donc le moyen de renforcer la fonction de contrôle que le Parlement exerce sur l'exécutif.

Après plus de quatre décennies de déclin du rôle des premiers ministres dans les assemblées parlementaires, il serait vain de vouloir revenir à une fonction de débatteur législatif qui caractérisait autrefois la lourde tâche des présidents du Conseil. Rien n'interdit en revanche d'espérer la refondation de la relation entre le Parlement et le Premier ministre par l'introduction d'une obligation constitutionnelle imposant au Premier ministre de rendre des comptes aux élus de la nation. A condition d'être juridiquement et politiquement contraignant, exigeant dans sa forme et sa procédure, un tel débat serait bien autre chose que le contrôle indirect et incertain qui s'exerce dans notre « démocratie du public » soit par les médias soit par les sondages. Il doterait le Premier ministre d'une nouvelle raison d'être dans une période où sa fonction voire son existence sont de plus en plus remis en cause.

Annexes - Tableaux

Interventions des premiers ministres à l'Assemblée nationale

Les interventions sont définies ici comme nombre total des séances où les premiers ministres sont intervenus (plusieurs interventions lors de la même séance compte pour une seule occurrence), y compris si les interventions portent sur le même sujet lors de séances successives. N'ont pas été comptabilisées les interventions où le Premier ministre se contente d'engager la responsabilité du gouvernement sans faire de discours. Il s'agit des interventions « classiques » : les réponses aux questions au Gouvernement n'ont pas été comptabilisées.

De Michel Debré à Pierre Messmer

1959

1960

1961

1962

62/63

1964

1965

1966

1967

1968

1969

1970

1971

1972

1973

28

33

21

12*

11

7

9

6

11

11**

5***

7

11

7****

7

*1 intervention pour Debré, 9 pour Pompidou ; ** 6 pour Pompidou et 5 pour Couve ; *** les 5 interventions sont de Chaban, aucune intervention de Couve ; **** 4 pour Chaban, 3 pour Messmer

De Jacques Chirac à Michel Rocard

1974

1975

1976

1977

1978

1979

1980

1981

1982

1983

1984

1985

1986

1987

1988

1989

13*

7

14**

13

8

14

10

11***

11

6

10****

4

17

5

3

11

* 2 interventions pour Messmer, 11 pour Chirac ; ** 5 pour Chirac, 9 pour Barre ; *** aucune intervention de Barre ; **** 5 interventions pour Mauroy, 5 pour Fabius

De Michel Rocard à Jean-Pierre Raffarin

1990

1991

1992

1993

1994

95/96

96/97

97/98

98/99

99/00

00/01

01/02

02/03

03/04

04/05

9

13*

12**

9

5

14

4

3

4

2

2

3***

6

8

6

* 3 interventions pour Rocard, 10 pour Cresson ; ** 2 pour Cresson, 10 pour Bérégovoy ; *** 2 pour Jospin, 1 pour Raffarin

Réponses aux questions au Gouvernement depuis 1975 à l'Assemblée nationale

Les chiffres correspondent aux nombres de réponses faites par les premiers ministres (plusieurs réponses peuvent être faites lors de la même séance)

1975

1976

1977

1978

1979

1980

1981

1982

1983

1984

1985

1986

1987

1988

1989

13

25

9

11

17

15

12

17

39

48

20

6

2

13

16

1990

1991

1992

1993

1994

95/96

96/97

97/98

98/99

99/00

00/01

01/02

02/03

03/04

04/05

29

18

25

13

8

47

16

40

45

33

42

27

40

33

30

Interventions des premiers ministres au Sénat

1959

1960

1961

1962

62/63

1964

1965

1966

1967

1968

1969

1970

1971

1972

1973

4

10

11

3

0

0

0

0

0

0

1

2

0

2*

2

* 1 pour Chaban, 1 pour Messmer

1974

1975

1976

1977

1978

1979

1980

1981

1982

1983

1984

1985

1986

1987

1988

1989

9*

5

4**

5

3

5

3

2

0

0

0

1

2

2

0

5

5

7

3***

1

1

0

2

2

Ligne 2 : nombre de séances où le Premier ministre répond à une ou plusieurs questions au Gouvernement

* 1 pour Messmer, 8 pour Chirac ; ** 1 pour Chirac, 3 pour Barre ; *** 2 pour Mauroy, 1 pour Fabius

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

19997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2

2*

3

6

3

***

***

0

0

0

0

1

2

1

2

3****

1

3

3

3

2

3

***

***

2

2

4

3

4

0

0

0

0

0

* 1 pour Rocard, 1 pour Cresson ; ** 1 pour Rocard, 2 pour Cresson ; *** données manquantes ; **** 1 pour Raffarin, 3 pour Villepin

Annexes-Graphiques

Interventions des Premiers ministres au Sénat

Interventions et réponses aux questions au gouvernement au Sénat

Interventions des Premiers ministres à l'Assemblée nationale

Interventions et réponses aux questions au gouvernement à l'Assemblée nationale

M. Jean-Marie MAYEUR, modérateur.-

Merci beaucoup de nous avoir dit tant de choses en peu de temps, avec beaucoup de rigueur et de précision. J'apprécie aussi que vous ayez donné vos sentiments personnels pour finir.

Je donne la parole à Mathias Bernard, l'un de mes anciens étudiants, qui a fait une thèse il y a quelques années sur la Fédération républicaine, puis une habilitation sur les relations entre nationaux et libéraux dans la France du XXe siècle. Professeur à l'Université de Clermont II, il va évoquer les forces politiques au Parlement. J'ajoute que Mathias Bernard a donné des synthèses très utiles sur la France politique très contemporaine.

M. Mathias BERNARD, Professeur à l'Université de Clermont II - Les forces politiques au Parlement

Merci, M. le modérateur. Je retiens tout d'abord deux choses qui ont été dites ce matin : le fait que la V e République n'a pas été incompatible, loin de là, avec l'affirmation du système des partis, qui ont été consolidés, contre toute attente, par ce système politique ; le fait que le parlementarisme rationalisé n'a pas affaibli l'importance politique du Parlement et des assemblées.

De fait, le Parlement reste, tout au long de la V e République, un enjeu important pour les forces politiques, même s'il existe d'autres lieux du débat politique qui se sont affirmés, notamment les médias audiovisuels. Du coup, ce qu'on a appelé la dépendance politique de la part des parlementaires s'est même renforcée au cours de ces années, à tel point qu'elle a pu faire l'objet de toute une bibliographie critique, dont on peut retenir l'ouvrage de Jean-Pierre Masclet, publié en 1982, un ouvrage scientifique ayant parfois une tonalité de réquisitoire intitulé « Un Député, pour quoi faire ? » dans lequel l'auteur associe la double dépendance : la dépendance du Député par rapport à sa circonscription et ses autres mandats et sa dépendance nationale.

Je vais faire le point sur ces différents liens entre les parlementaires et les partis en dégageant des évolutions observées entre 1958 et 2008.

Mon premier ensemble de réflexions concerne les liens entre partis et parlementaires. Je rappellerai quelques évidences qui expliquent la permanence, voire le renforcement, de la place des partis au Parlement.

Première évidence : ce sont bien les organisations politiques et les partis qui jouent un rôle central dans la sélection des candidats éligibles au Parlement et ce sont eux qui apportent un concours décisif à leur élection. Le changement de scrutin en 1958 n'a pas inversé une évolution sensible depuis l'entre-deux-guerres, une situation qui fait que le Député, même lorsqu'il est un élu de terrain et qu'il a des réseaux locaux, s'inscrit dans des réseaux politiques nationaux. Les non-inscrits restent à un niveau très bas tout au long de la période : ils étaient 24 en 1958 (et encore, ce chiffre est gonflé par le fait que les Députés communistes, étant réduits à une dizaine, n'avaient pas pu constituer de groupe à l'Assemblée nationale) et jamais plus d'une vingtaine par la suite, avec parfois des niveaux de sept à huit Députés non inscrits.

On voit aussi cette place des organisations politiques dans l'élection des Députés, notamment lorsqu'on constate que les candidats dissidents ont souvent des difficultés à se faire élire, même lorsqu'ils sont des Députés sortants. C'est peut-être moins vrai depuis une dizaine d'années, mais, dans les premières années, voire les premières décennies, nous avons quelques cas célèbres, notamment celui d'Edgar Pisani, en 1968, qui n'a pas pu se faire réélire dans le Maine-et-Loire, et qui était un gaulliste non orthodoxe.

Par conséquent, si le parlementaire libre de toute attache partisane n'existe presque pas, le type de relation entre l'élu et son parti  c'est une deuxième évidence  dépend du type d'organisation politique auquel il se rattache. C'est particulièrement vrai au cours de la première décennie du régime où il existe une différence sensible entre deux types d'élus :

- les élus des groupes communiste, socialiste et gaulliste qui ont une dépendance assez forte avec le parti (ce n'est pas une surprise de la part des Députés communistes, dont bon nombre sont souvent membres permanents de leur parti ; c'est le cas également des élus socialistes, qui doivent justifier, en vertu de leur statut, une adhésion suffisamment ancienne pour être investis par leur parti) ;

- les élus centristes, modérés et indépendants, qui sont moins massivement des membres actifs d'organisations politiques nationales.

Cette différence s'estompe au cours des décennies, mais elle reste quand même importante. Par exemple, plusieurs études qui ont été conduites sur les Députés de la législature 2002-2007 montrent que la moitié des Députés de l'Assemblée nationale ont exercé, avant leur élection ou au moment de celle-ci, en 2002, des responsabilités dans un parti, mais ce chiffre moyen de 50 % cache des disparités, puisque c'es le cas de 70 % des Députés socialistes et de "seulement" 43 % des Député UMP. Nous avons des cursus qui restent différents, même au début du XXIe siècle, entre Députés des différents groupes politiques.

J'en viens à ma troisième évidence : on peut dire qu'au-delà des différences individuelles d'engagement dans les partis politiques, le lien entre le parlementaire et son parti est le groupe parlementaire. C'est d'ailleurs sur ce point que je vais centrer mon intervention. De ce point de vue, l'évolution de la configuration des groupes parlementaires entre la IVe et la V e Républiques est spectaculaire, notamment à l'Assemblée nationale. Cette évolution tient à la simplification du paysage de l'Assemblée nationale, qui est lié à un dispositif assez mécanique : le relèvement du seuil permettant de constituer un groupe parlementaire. Le seuil est désormais fixé à quatorze Députés alors qu'il était de trente Députés en 1958.

Du coup, le nombre de groupes parlementaires s'est considérablement réduit. Il y en avait une quinzaine sous la IV e République alors que, sous la V e République, il y en a cinq à six pendant les vingt premières années et qu'il n'y en a même plus que quatre dans certaines législatures (c'est le cas en 1978, en 1981, en 2002 et en 2007) en dépit de l'abaissement du seuil.

De fait, le groupe parlementaire ne va plus recouvrir, comme c'était le cas auparavant, des réseaux d'élus semi-individuels selon des affinités qui ne sont pas seulement politiques, et nous aurons une meilleure coïncidence des groupes parlementaires avec les principales forces politiques du pays.

C'est vrai jusqu'en 1997, après quoi cette coïncidence est un peu perturbée par la Constitution de groupes techniques dans lesquels vont se rassembler des forces politiques assez différentes. Le premier de ces groupes apparaît en 1997, à l'Assemblée nationale ; c'est le groupe intitulé Radical, Citoyens et Verts, une force politique relativement hétérogène. Dix ans plus tard, en 2007, nous avons un autre groupe hétérogène : la Gauche démocrate et républicaine, intitulé dans lequel, pour la première fois, on ne fait plus référence au mot "communiste", alors que ce groupe rassemble en grande partie des Députés communistes.

La création de ces groupes techniques a donc tendance à diluer dans leur intitulé la référence à des forces ou des sensibilités politiques.

Dans un deuxième temps, je vais essayer de définir les principales fonctions des groupes parlementaires, puisque ce sont eux qui expriment les sensibilités politiques, en dégageant trois fonctions principales.

La première fonction d'un groupe parlementaire est une fonction de relais de l'action du parti politique. Cette fonction est ancienne, puisqu'elle date du début du XX e siècle, dans les partis de la gauche que je qualifierai de marxistes ou qui font référence au marxisme. On la retrouve de façon très nette au sein du groupe communiste dans les deux assemblées, ou même dans le groupe socialiste. Les statuts du PS, qui ont été définis en 1971, affirment que, même en cas de circonstances exceptionnelles, le groupe [socialiste] ne peut engager le parti sans son assentiment. On a donc un lien étroit entre le groupe et le parti avec des relations de dépendance.

Il est assez clair aussi que les hommes choisis pour présider ces groupes, communiste et socialiste, sont souvent des personnalités influentes dans le parti. Je pense par exemple à Gaston Defferre, qui a exercé pendant de longues années la présidence du groupe socialiste de l'Assemblée nationale avant 1981, ou à Waldeck Rocher, Président du groupe communiste avant d'être secrétaire général du parti. Ce sont donc des personnalités influentes dans le parti qui expriment assez fidèlement la position de l'appareil.

Ce modèle socialiste et communiste va imprégner, dès la première législature de la V e République, le groupe gaulliste, à l'intérieur duquel la discipline de vote va s'imposer dans les circonstances difficiles de la guerre d'Algérie, avec des tensions, des exclusions et des démissions, toute une série de péripéties. Ceux que l'on appelle les "godillots du général" sont dirigés par des personnalités qui assument, peut-être plus clairement que dans le groupe socialiste, par exemple, leur fonction de courroie de transmission.

On peut citer à cet égard, de façon symptomatique, l'accès à la fonction de Président du groupe gaulliste, en novembre 1962, de Roger Dussaulx, qui est un ancien secrétaire général de l'UNR et qui, juste avant d'entrer dans cette fonction, a exercé quelques mois la charge de ministre chargé des relations avec le gouvernement dans le premier gouvernement Pompidou. On constate donc qu'il existe un lien étroit entre la présidence du groupe, le parti et le gouvernement.

Je citerai aussi le fait qu'en 1978, le groupe UDF, qui vient de se constituer à l'Assemblée nationale, juste après la création de cette confédération, choisit comme Président de groupe l'ancien secrétaire général des Républicains indépendants, Roger Chinaud, dans un lien très fort entre partis et groupes parlementaires.

La deuxième fonction d'un groupe parlementaire est de situer l'ensemble de ses membres par rapport à la majorité et au gouvernement. Cela renvoie, là aussi, à la position du parti par rapport à ce gouvernement. Cette relation entre groupe parlementaire et gouvernement peut être de trois ordres. Cela peut être le soutien presque inconditionnel d'un parti et d'un groupe au gouvernement, lorsque ce groupe constitue le pilier de la majorité. C'est le cas du groupe gaulliste jusqu'en 1974 et du groupe socialiste lors des trois législatures au cours desquelles les socialistes assuraient cette fonction.

Il est intéressant de voir qu'à partir de 1981, la place du groupe parlementaire dans le dispositif de gouvernement a été renforcée, par exemple, par l'invitation quasi institutionnalisée du Président des groupes socialistes des assemblées à des réunions de travail avec le Président de la République, les membres du gouvernement, le chef du parti, etc. Il s'agit là d'une série de dispositifs qui assurent cette fonction de pivot pour ces groupes parlementaires.

Autre type de position : celle de l'opposition, sur laquelle je n'insiste pas.

Le cas le plus intéressant est celui de la force d'appoint. Le privilège du centre est d'être habitué, depuis de longues décennies  ce n'est pas propre à la V e République  à cette fonction. On la retrouve sous la V e République, entre 1962 et 1969, avec le groupe des Républicains indépendants, qui sont finalement moins unis par une communauté de sensibilité politique, puisqu'ils divergent sur bon nombre de points dans les années 60, que sur une appréciation convergente de la situation politique et de la nécessité de s'allier au régime dans ce système bipolaire qui se met en place. On retrouvera, quarante ans plus tard, en 2007, ce même type de restructuration avec la formation du groupe du Nouveau Centre, qui joue son rôle d'allié avec l'UMP.

Les hommes du centre ont rêvé à plusieurs reprises de cette fonction de groupe d'appoint, mais cela n'a pas été toujours couronné de succès. Songeons à la création, en 1988, du groupe parlementaire Union du centre, qui a été formé par des Députés du CDS et de quelques élus barristes et qui s'est détaché du groupe UDF, dans l'hypothèse d'une alliance majoritaire claire entre socialistes et centristes, en lieu et place de l'ouverture mitterrandienne assez floue.

J'en viens enfin à la troisième fonction d'un groupe parlementaire, qui est plus complexe et plus conjoncturelle mais aussi plus intéressante parce qu'on est là dans une relation inversée par rapport aux partis politiques. Il s'agit de la situation dans laquelle un groupe, plutôt que de relayer les positions d'un parti, va esquisser les contours d'une organisation politique à venir, en se plaçant en agent de restructuration du paysage politique, lorsqu'un groupe parlementaire va vouloir remédier aux dysfonctionnements du système partisan en s'en dégageant et en essayant de recomposer le système politique.

Cette fonction apparaît nettement au lendemain des élections de novembre 1962, qui ont véritablement dynamité le paysage politique et qui ont été l'occasion de redéfinir les contours des groupes. C'est à cette période que s'est constitué le groupe des Républicains indépendants qui va être à l'origine, trois ans plus tard, de la création d'une organisation politique. On n'a pas un groupe parlementaire qui est dans le prolongement d'un parti politique mais le contraire : un parti politique qui va prolonger et élargir l'action d'un groupe parlementaire avec la création, en 1965 seulement, de la Fédération nationale des Républicains indépendants.

C'est aussi au lendemain de l'élection de 1962 que se constitue le groupe du Centre démocratique, qui entend élargir l'assise du MRP, qui, autour d'un noyau d'élus MRP, va attirer une dizaine de Députés du centre droit et qui, à bien des égards, préfigure l'organisation du Centre démocrate, qui sera constitué, au moment de l'élection présidentielle de 1965, autour de Jean Lecanuet.

On constate donc que le groupe parlementaire peut être, notamment dans les groupes du centre et au cours des vingt premières années de la V e République, un élément de réorganisation et de recomposition du paysage politique.

Dans mon troisième point, je vais traiter les évolutions qui sont constatées entre 1958 et 2008 et qui sont assez différentes entre les deux chambres.

Je commencerai par l'Assemblée nationale. Jusqu'à la veille des présidentielles de 1965, on constate un contraste important entre, d'une part, une majorité assez disciplinée  tout en se réduisant progressivement, elle a appris rapidement la discipline de vote  et, d'autre part, une opposition atomisée, à l'Assemblée comme dans le pays. En effet, si les socialistes et les communistes votent de façon assez homogène au cours de la première législature, en 1965, il n'en est pas du tout de même pour les élus radicaux, les élus MRP, les élus centristes ou les élus indépendants.

Autrement dit, nous avons une grande dispersion des votes, notamment dans les moments politiques importants. Je pense notamment à la déclaration de politique générale de Georges Pompidou au moment de l'investiture de son gouvernement, en avril 1962, et à l'éclatement des votes de ces groupes à cette occasion. Je pense aussi aux votes des motions de censure, avec une sorte de déperdition ou de dispersion des élus de ces forces politiques. A l'exception des groupes communiste et socialiste, les autres groupes de l'opposition ne sont pas forcément homogènes en termes de stratégie et de comportement parlementaire ou même en termes idéologiques.

On peut donc dire que la crise de 1962 et les élections présidentielles de 1965 n'ont pas complètement produit leurs effets à l'Assemblée nationale. Le phénomène de cristallisation ne va apparaître qu'au lendemain des législatives de 1967, à partir desquelles seront constitués, à l'Assemblée nationale, des groupes parlementaires assez homogènes et plus disciplinés.

Du coup, à partir de 1967 et de 1969, l'Assemblée nationale va refléter assez fidèlement les grandes évolutions du paysage politique, qu'il s'agisse de l'ouverture pompidolienne au centre droit, des difficultés du libéralisme avancé de Valéry Giscard d'Estaing, des rivalités entre giscardiens et chiraquiens, tellement sensibles lors du vote du budget de 1981, de la contre-offensive de la droite après 1981 ou même, à la faveur des modifications éphémères de la loi électorale, de l'irruption du Front national sur la scène politique avec l'élection de Députés du FN en 1986.

Le retour au scrutin majoritaire à l'Assemblée nationale, en 1988, a permis à l'Assemblée nationale d'échapper à l'éclatement de la vie politique, qui est une caractéristique importante depuis les années 90, mais au prix d'une certaine distorsion entre l'Assemblée nationale et le paysage électoral de la France. C'est essentiellement par des systèmes d'alliance que des forces politiques significatives ont pu être représentées à l'Assemblée. Je vous donne un seul exemple : celui des Députés écologistes qui arrivent à l'Assemblée nationale en 1997 grâce à un jeu d'alliance avec le PS, alors même qu'ils représentent à ce moment deux fois moins d'électeurs qu'en 1993, époque à laquelle ils n'avaient eu aucun élu.

Ces éléments de distorsion font que certains phénomènes d'opinion importants, depuis une vingtaine d'années, ne trouvent pas forcément de reflet à l'Assemblée nationale. Je cite à cet égard deux exemples tirés d'une actualité relativement récente : d'une part, le fait que la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle de 2002 et le score relativement important qu'il a fait au cours de cette élection n'ont eu aucun écho dans l'Assemblée nationale élue un mois plus tard ; d'autre part, en 2007, le score lui aussi relativement important de François Bayrou qui est presque contemporain de la disparition d'un groupe UDF à l'Assemblée nationale. On voit qu'il y a là des écarts, peut-être plus importants que dans les années 70, 80 et 90, entre une conjoncture politique électorale et le paysage parlementaire.

J'évoquerai enfin le rôle du Sénat, qui a été déjà très bien présenté et sur lequel je ne vais donc pas insister, en revenant sur trois phases principales.

Dans la première, le Sénat a joué un rôle de premier opposant de France. Cela a été le cas très nettement jusqu'en 1969 et, un peu moins, jusqu'en 1974.

La deuxième phase intermédiaire se situe entre 1974 et 1981.

Enfin, à partir de 1981, on assiste à un renforcement de la place politique dans la haute assemblée, liée notamment au fait que, depuis les années 80, les deux groupes qui ont le plus fortement progressé, à savoir le groupe socialiste et le groupe RPR, ou néo-gaulliste, ont eu tendance à peser davantage sur le fonctionnement et la nature même des débats parlementaires.

Pour conclure, je dirai simplement que le Sénat et l'Assemblée nationale représentent une image des forces et équilibres politiques qui n'est pas un reflet exact car elle est biaisée par différents éléments, que ce soit le mode de scrutin, les traditions propres à chacune des deux assemblées, les fonctions spécifiques des groupes parlementaires, l'ordre du jour de ces assemblées ou l'étroitesse ou non de la majorité dont dispose le gouvernement dans chacune de ces assemblées. On peut donc dire que le Parlement est un acteur important de la vie politique sous la V e République et qu'il est surtout le principal point de condensation de cette vie politique depuis 1958.

M. Jean-Marie MAYEUR, modérateur.-

Merci beaucoup. J'apprécie votre maîtrise et votre rigueur ainsi que le fait que vous ayez pris les groupes comme angle d'attaque. J'ai pensé aussi, en entendant les orateurs précédents, que ce sont à chaque fois des exposés qui portent sur une longue période de cinquante années, ce qui représente plusieurs régimes de l'histoire politique de la France avant 1870. J'ai d'ailleurs admiré la qualité de synthèse des uns et des autres sur cette difficulté qui fait que, parfois, lorsqu'on lit certains articles dans les journaux, on nous parle de la V e République en privilégiant tel ou tel aspect et en en faisant une sorte de synthèse globale quelque peu éloignée de la réalité.

M. le Premier ministre, je vous donne la parole.

M. Jean-Pierre RAFFARIN, Président.-

Merci, M. le Modérateur. Je tiens à féliciter les intervenants de la qualité et de la densité de leurs présentations et, surtout, féliciter les unes et les autres dans cette salle  plus les unes que les autres, d'ailleurs , y compris les Sénatrices, puisque, parmi la population sénatoriale qui assiste à cette manifestation, deux Sénateurs sur trois sont des Sénatrices. Je tiens donc à vous remercier de votre attention parce que la matinée a été assez dense.

Ma position est assez paradoxale. Je vais en effet essayer de vous expliquer pourquoi il faut réformer la Constitution, comme le souhaite le Président de la République, mais je vais en même temps vous avouer une chose dont je me sens très coupable : j'ai été un Premier ministre institutionnellement heureux. En effet, pendant trois ans, à Matignon, je me suis trouvé dans une situation institutionnelle qui était plutôt une pratique heureuse, probablement parce que mon Président de la République, qui était aussi celui de tous les Français, avait d'abord été Premier ministre et qu'il avait donc déjà à la fois le souci d'imposer sa ligne, mais, en même temps, de respecter la fonction de Matignon qu'il connaissait. C'est l'un des atouts très importants de cette dialectique, et j'invite les chercheurs à travailler sur ces éléments.

L'entente que j'ai eue avec Jacques Chirac n'était pas une entente de soumission. C'était une entente profonde de vraie discussion, une entente que nous avons eue parce qu'il avait été désigné par les Français et qu'il avait la légitimité la plus forte, comme l'a dit Pierre Mazeaud, puisque le Premier ministre tire sa légitimité de celle du Président, mais aussi parce que le Président connaissait suffisamment la fonction de Matignon pour l'utiliser à plein et faire en sorte qu'elle soit assumée. De ce point de vue, je ferai quelques remarques après ce que j'ai entendu ce matin.

L'un des atouts formidables de la V e République est de permettre au Président de la République de choisir lui-même son implication sur tous les dossiers. C'est un élément très important, et j'invite le Président de la République actuel à bien y réfléchir. Le Président Jacques Chirac, avec lequel j'ai travaillé, choisissait, sur chacun des dossiers, son degré d'implication. Il pouvait être très intervenant, notamment dans des dossiers comme la lutte contre le cancer, sur lequel il intervenait jusqu'aux détails opérationnels, ou se contenter, sur d'autres sujets, de donner à son Premier ministre et à son gouvernement des rendez-vous pour lesquels nous devions délivrer une action.

Dans les études très intéressantes que vous faites, mes chers amis universitaires, il serait intéressant d'examiner la manière dont sont fabriqués les discours de politique générale. En effet, pour un Premier ministre, le discours de politique générale est vraiment le cadrage de son action. Chaque Premier ministre, à l'issue de son mandat, compare son action par rapport à son discours de politique générale, qui est donc un élément très important de l'action publique et dont l'élaboration est très importante. Cela peut être la déclinaison du projet présidentiel ou, dans mon cas, un discours très discuté, voire négocié, avec le Président de la République sur un certain nombre de sujets auxquels je tenais plus que lui ou auxquels il tenait plus que moi. Ce discours est donc le cadre même de l'action et, pour le Premier ministre, c'est la référence de ce qui va mener son action.

Dans les réflexions que vous avez évoquées tout à l'heure sur le rôle du Premier ministre, vous avez dit qu'il assumait un rôle de go-between, de management de la majorité parlementaire et de la liaison entre le Président et la majorité parlementaire. C'est en effet un élément très important.

Certes, tout cela n'est pas simple et, dans cette situation, certaines périodes sont difficiles, mais il y a un atout de base : le fait que le Premier ministre est souvent l'allié du Député parce qu'il a participé à son élection. Du fait de l'élection législative de 2002 et du nouveau dispositif institutionnel dont Pierre Mazeaud a parlé et que l'on peut qualifier de quinquennat inversé, le Premier ministre a précédé la majorité parlementaire. Il a été nommé en mai alors que la majorité parlementaire a été élue en juin et c'est son gouvernement qui a conduit la campagne législative. Il y a donc une sorte d'association entre le Premier ministre, la majorité parlementaire et l'Assemblée nationale, et c'est un élément très important de cette proximité que peut avoir le Premier ministre et sa majorité.

J'en viens, de manière sous-jacente, à l'accident sur les OGM à l'Assemblée nationale. On a évoqué plusieurs raisons, et Pierre Mazeaud a notamment évoqué celles du cumul. A mon avis, le cumul a une influence, mais il serait une erreur de penser que c'est le cumul qui génère l'absentéisme. Les plus présents au Parlement ne sont pas ceux qui ont le moins de mandats. Le point clé, c'est l'obstruction. Quand on dit à des parlementaires qu'il y aura 800 amendements sur un texte, cela veut dire qu'ils doivent venir à Paris pour entendre l'opposition déposer des amendements mais que, du fait d'un calendrier parlementaire serré, ils ne pourront pas répondre et devront se contenter d'écouter et de voter contre 800 fois. S'il y a dix orateurs par amendement, il faut écouter 8 000 interventions ! On peut comprendre qu'un certain nombre de Députés préfèrent rester sur le terrain.

Le problème de l'absentéisme est donc lié aussi au fonctionnement et à l'utilité de la présence du parlementaire de la majorité. Aujourd'hui, c'est l'un des sujets majeurs. On peut discuter du cumul des mandats et c'est une question qui est posée, mais l'absentéisme relève avant tout du règlement du Parlement et de l'utilisation de la présence parlementaire.

Pierre Mazeaud disait ce matin que l'activité législative était excessive et que ce n'était pas le Premier ministre qui poussait à l'inflation législative mais les jeunes ministres, qui voulaient avoir une loi portant leur nom. L'argument, avec le respect que je dois et l'amitié que je porte à Pierre Mazeaud, est un peu facile. La vraie raison, c'est que la société française demande de la loi et que, lorsque les Députés sont dans leur permanence de parlementaire, les gens leur demandent des lois.

Qu'est-ce que demandait la FNSEA pour fêter son cinquantenaire au Président Chirac ? Une nouvelle loi d'orientation agricole. Qu'est-ce que demandait l'Union professionnelle des artisans pour fêter son cinquantenaire ? Une grande loi de l'artisanat.

Je me suis heurté moi-même, en tant que Sénateur de base, à une question importante. J'avais noté que, dans ma région, les statistiques n'étaient pas exactes en ce qui concerne les enfants qui décèdent dans les piscines privées et j'ai donc voulu alerter les pouvoirs publics sur la protection des enfants en bas âge dans ces piscines, mais je n'ai pu intéresser personne à ce sujet, ni le ministre de la santé, ni le ministre de l'intérieur en charge de la protection civile, ni le ministre de l'équipement en charge du permis de construire. Un jour, j'ai déposé une proposition de loi instaurant la pose de barrières à 80 centimètres et tout le monde a accouru, notamment les médias. C'est le projet de loi qui est devenu un objet politique.

Il conviendrait donc de mener une réflexion sur la place que prend le projet de loi comme produit politique face à ce constat inquiétant. Ce n'est pas tellement le jeune ministre qui veut avoir une loi qui porte son nom. Une fois que le projet de loi a été adopté par le Conseil des ministres et a été présenté à l'Assemblée nationale, ce que devient le projet est parfois secondaire sur le plan politique car le produit a été médiatiquement présenté. L'une des raisons pour lesquelles on a aujourd'hui tant de difficultés à avoir des décrets d'application, c'est que le produit politique étant très faible une fois qu'il a été voté, il intéresse peu de gens dans son application. C'est un vrai sujet de notre démocratie : on s'intéresse plus au lancement du produit qu'est la loi plutôt qu'à sa réalisation à travers les décrets d'application.

J'ai donc eu une pratique heureuse des institutions, notamment sur un certain nombre de sujets  c'est le paradoxe que je voulais citer tout à l'heure  pour lesquels on propose une réforme.

Le premier point est le 49.3, dont je vous rappelle qu'il a deux missions. Il est d'abord conçu pour dompter la majorité. Lorsque celle-ci doute de son Premier ministre et de la politique gouvernementale, il s'agit de lui dire : « C'est ma politique ou l'élection ; soit tu me suis, sois je te renvoie devant les électeurs ». C'est un rapport de forces élémentaire, mais il fonctionne et, dans certaines circonstances, les Premiers ministres ont eu besoin, dans le passé, de dompter leur majorité qui était parfois rebelle. Si Raymond Barre était très présent à l'Assemblée nationale, c'est parce qu'il n'avait pas véritablement de majorité, ou plutôt qu'il existait un conflit dans sa majorité. Il a utilisé beaucoup le 49.3 parce qu'il avait besoin de maîtriser sa majorité.

J'ai été moi-même dans une autre situation. Nous avons utilisé le 49.3 parce que, du fait des moyens techniques, notamment numériques, on peut déposer des dizaines de milliers d'amendements en faisant varier quelques éléments des amendements précédents. On se trouve alors face à la nécessité d'arrêter le processus d'obstruction par le 49.3. Si, dans la réforme, on pouvait limiter le temps des débats à un moment ou un autre, on pourrait avoir une autre limitation, mais, aujourd'hui, le 49.3 sert à lutter contre l'obstruction. C'est pourquoi je veux bien que l'on revienne sur cet article, mais à condition que l'on puisse maîtriser les questions liées à l'obstruction.

L'ordre du jour prioritaire est très utile pour un Premier ministre, mais je dois dire que si on va, comme je le souhaite, vers un ordre du jour confié à 50 % au Parlement, cela imposera à celui-ci des réformes considérables. Au Sénat, nous aurons à nous structurer très différemment de la situation que nous connaissons aujourd'hui. En effet, il faudra non seulement des textes qualifiés sans passer systématiquement par le Conseil d'Etat (je ne souhaite pas que nous ayons des lois à trois étoiles qui seraient passées par le Conseil d'Etat et des lois à une seule étoile qui n'y seraient pas passées, auquel cas on ferait à nouveau du Conseil d'Etat ce qu'il rêve parfois : la deuxième chambre), en nous renforçant dans nos structures, mais aussi gagner des capacités de prospective. Avec cette journée dont parlait le secrétaire général brillamment tout à l'heure, il est clair que ce travail se fait dans le court terme alors que, lorsque vous aurez 50 % de l'ordre du jour sur une période quinquennale, cela voudra dire que vous aurez des forces de prospective qui prépareront en 2008 les textes de 2011 et de 2012.

J'y suis favorable, mais cela implique un certain nombre de modifications de notre organisation.

Je prendrai un exemple de mesure sur laquelle tout le monde est d'accord pour en décrire les subtilités et montrer qu'il est utile de donner au gouvernement la possibilité d'agir, parfois même dans l'ambiguïté. Il s'agit de l'amendement ADN sur le texte proposé par Brice Hortefeux. Brice Hortefeux défend son texte et, du fait d'un Député de sa majorité, un amendement sur les tests ADN est passé à l'Assemblée nationale. Brice Hortefeux le condamne un peu et il reste en distance avec le texte en disant que ce n'est pas un texte du gouvernement mais d'un Député de la majorité et le Premier ministre observe la situation. Dans la situation dans laquelle nous sommes institutionnellement, ce texte vient au Sénat avec l'amendement Mariani, il est examiné en séance plénière et, après instruction du dossier par sa commission des lois, la chambre haute rejette cet amendement.

Dans le cadre de la révision constitutionnelle qui nous est proposée, la commission des lois examinera d'abord l'amendement Mariani et il est clair que, dans ces conditions, elle fera sauter cet amendement. Ensuite, le texte viendra en plénière et si Brice Hortefeux veut cet amendement, il sera obligé de faire un amendement du gouvernement, c'est-à-dire de sortir de l'ambiguïté pour dire que c'est le gouvernement qui le demande. On se rend compte que ce type d'évolution, sans être très important, va concerner aussi l'organisation et le rôle de la commission. Or vous savez qu'au Sénat, la commission des lois est un lieu assez consensuel. Comme l'a dit tout à l'heure le Président Estier, il y règne aujourd'hui un climat de cohérence assez peu partisan, même si chacun assume son engagement. A partir du moment où le texte qui viendra en plénière sera celui de la commission, nous devrons être organisés entre majorité et opposition dans les commissions, ce qui changera un peu le climat général. Il faut en avoir conscience.

Pour faire encore référence à ce qui a été dit ce matin, j'ajouterai deux points à destination de mon ancien collègue et ami le Président Estier, qui a parlé tout à l'heure de la loi électorale. Il dit que le Sénat représente les collectivités territoriales. Il est vrai qu'il représente les collectivités territoriales d'aujourd'hui, mais également celles du mandat précédent. Comme les Sénateurs avaient précédemment un mandat de neuf ans et qu'ils ont maintenant un mandat de six ans, cela veut dire que nous représentons les collectivités territoriales et les élus des dernières élections municipales, mais aussi celles d'avant, tout simplement parce qu'on a donné au Sénat un rôle d'amortisseur, de lissage de l'opinion publique. L'Assemblée nationale est en direct avec le pouls, le coeur ou la passion des Français et, pour notre part, nous amortissons les évolutions. Le Sénat a une fonction de distance. Nous représentons donc les collectivités territoriales de ces élections, mais aussi celles de n  1.

C'est pourquoi je réponds à sa question qu'il pourra y avoir une alternance en 2014. En effet, il y a fort à parier que ceux qui gagneront les élections municipales de 2014 gagneront la majorité sénatoriale à cette même date. C'est la réalité d'aujourd'hui, avec un mandat à six ans qui assure un renouvellement par moitié plus rapide. Nous retrouverons donc peut-être l'alternance en fonction du résultat des municipales de 2014. Vous constatez quand même que le Sénat n'est pas seulement lié à la situation politique territoriale d'aujourd'hui, dans la mesure où, ayant un renouvellement partiel, il est responsable d'amortir les éléments politiques, l'Assemblée nationale ayant le souci de représenter la légitimité populaire à un instant donné.

Je comprends que le Président Estier en fasse un sujet majeur du débat constitutionnel. Notre position n'est pas de dire que ce débat ne peut pas avoir lieu, mais qu'il ne peut pas avoir lieu dans le cadre de la loi constitutionnelle. Or, pour avoir les 3/5e, la loi constitutionnelle doit trouver ses équilibres à l'intérieur de la loi et non pas en faisant la promesse d'autres lois qui ne sont pas d'ordre constitutionnel. C'est à l'intérieur de la loi constitutionnelle que l'on doit trouver des logiques permettant de trouver un équilibre. Il faudra bien arriver à cet équilibre pour réunir une majorité des 3/5ème au Congrès de Versailles. Il faudra en effet discuter avec l'opposition, sachant qu'il ne peut y avoir les 3/5ème sans une discussion trans-partis, mais il faut aussi savoir qu'il ne peut pas y avoir de majorité des 3/5ème sans que la majorité sénatoriale dise clairement ce qu'elle souhaite. Cela fait aussi partie des équilibres, et je suis obligé de le rappeler au cas où ce serait oublié.

Sur l'avenir, pour reprendre un certain nombre de propositions. Il y a toujours deux lectures sur les institutions. On peut reprendre celles de la V e République, les lire dans son histoire et reconnaître assez facilement que, depuis notre première Constitution, celle de 1791, la comparaison de la V e République avec toutes les autres est très flatteuse. Depuis 1791, nos régimes constitutionnels ont trouvé une forme d'aboutissement avec la Constitution de 1958, cette synthèse et ce rationalisme parlementaire dont nous avons parlé tout à l'heure et qui est un élément très important.

Cela dit, il ne faut pas considérer notre Constitution de 1958 comme immobile, même si c'est notre patrimoine, et nous devons envisager quelques adaptations à la situation de notre société, de notre pays et de son environnement. Je vois cinq mutations rapides à envisager.

Premièrement, il convient de bien veiller à l'affirmation d'un Etat de droit dans la société française. A cet égard, je pense aussi à la stabilité du droit. C'est l'un des éléments très importants auxquels nous devons être très attentifs parce que c'est là que se trouve, pour une très grande majorité d'entre nous, l'équilibre entre la politique et l'humanisme et que l'on doit veiller à garantir les droits individuels qui ne peuvent souffrir aucune exception. Cette logique de l'Etat de droit et de la stabilité du droit nous concerne directement et cette démocratie ne peut se concevoir dans cette perspective sans contre-pouvoir et sans une certaine division du pouvoir.

A ce point de vue, on pense à la place que peut avoir le Sénat. L'insoumission fait partie du code génétique des Sénateurs et c'est donc un élément très important du débat, comme le Sénat l'a prouvé à de nombreuses reprises. Vous qui êtes étudiants et chercheurs sur ce sujet, je vous rappellerai qu'en 1971, le Conseil constitutionnel a intégré le préambule de la Constitution dans le fameux bloc de constitutionnalité à la suite de sa saisine par le Président Poher sur la loi relative au contrat d'association. On a conforté les garanties apportées à ce que l'on pourrait qualifier de démocratie libérale.

Le Président Giscard d'Estaing a donné aussi toute la portée de cette évolution, en 1974, comme l'a dit Pierre Mazeaud, en élargissant les modalités de la saisine du Conseil.

Cela a été également fait en 1993, conformément à la proposition du doyen Vedel, et vous avez fait référence tout à l'heure à la proposition du comité Balladur d'étendre la saisine du Conseil à l'ensemble des justiciables par voie d'exception, comme Pierre Mazeaud y a fait allusion tout à l'heure. Je pense que c'est un progrès et, de ce point de vue, je trouve que M. Balladur et sa commission ont eu raison de faire cette proposition.

J'ajoute que la limitation des risques d'arbitraire, qui est un objectif de notre République, ne trouve pas sa seule raison d'être dans le contrôle des dispositions législatives. Le Président de la République, Nicolas Sarkozy, au cours de la campagne présidentielle, a notamment pris position sur le pouvoir de nomination du chef de l'Etat. C'est un point qui n'est pas secondaire. En effet, n'oublions pas le fond et, notamment la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dans laquelle il est dit que tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toute dignité, place et emploi public selon leurs capacités et sans aucune distinction que celle de leur vertu et de leur talent.

Pour avoir participé à un certain nombre de nominations, je peux vous dire qu'il y a des progrès à faire si on veut plus de diversité et si on souhaite que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 soit effective.

La proposition de Nicolas Sarkozy d'encadrer le pouvoir de nomination du Président de la République au moyen d'un avis prononcé par une commission composée de Députés et de Sénateurs me paraît donc aller tout à fait dans le bon sens.

De même, je suis favorable à la création de la Constitutionnalisation du défenseur des droits des citoyens qui pourra ainsi disposer de moyens renforcés pour assurer le bon fonctionnement des services publics et le respect des droits des citoyens.

Sur la modernisation, qui est le deuxième objectif de notre vie politique, nous devons essayer d'avoir une certaine lucidité dans notre approche et reconnaître un certain nombre de vices, voire de travers d'un système politique. L'une des conséquences de l'élection du Président de la République au suffrage universel, c'est la part de la promesse dans la vie politique confrontée à la grande difficulté de la gestion quotidienne. Je crois que c'est Péguy qui disait qu'un parti vit de ses mythes et meurt de sa politique. La question majeure de la campagne électorale est bien cette inflation de la promesse, notre capacité à promettre.

Pour un praticien de la vie politique, il faut bien se dire que ce n'est pas un travers des hommes politiques. L'électeur demande souvent de la promesse, même s'il sait qu'elle est un peu incertaine, favorisant ainsi son inflation. De ce point de vue, nous avons, pour notre climat politique, à changer un peu les choses et à ne pas surdimensionner l'action politique en laissant penser qu'à chaque élection, on peut passer de l'ombre à la lumière, ou inversement. Sur la politique, il faut à mon avis avoir une certaine distance par rapport à cette idée très française, que l'on voit chez nous plus qu'ailleurs, selon laquelle le politique a tous les moyens pour résoudre tous les problèmes.

Dans notre organisation sociale actuelle, les moyens des uns et des autres dans la société ont souvent pour but d'empêcher l'autre de faire et non pas de faire soi-même. Dans une société complexe, chacun a donc la possibilité d'empêcher l'autre plutôt que de susciter sa propre action, c'est l'un des problèmes majeurs de notre démocratie et sera toujours un problème important.

L'une des façons de régler ce problème est de renforcer la concertation entre majorité et opposition et de civiliser notre démocratie. Je pense qu'on ne peut avancer dans cet apaisement du débat que par ce dialogue. Les choses sont progressivement devenues possibles parce que, comme cela a été dit tout à l'heure, nous allons vers une organisation politique articulée autour de deux grandes formations politiques qui, avec leurs alliés, sont deux forces de gouvernement. Je pense que nous devons aller vers une certaine discussion entre ces deux forces de gouvernement.

Hier soir, j'étais à Jérusalem à l'occasion de la commémoration des 60 ans de l'Etat d'Israël, où M. Georges Bush était l'invité de Shimon Peres dans une conférence. Il y avait là M. Netanyahou, présent pour l'opposition, et quand j'ai vu la discussion qui a eu lieu entre l'opposition et la majorité sur les questions stratégiques importantes, je me suis dit que la démocratie avait des atouts, notamment le dialogue entre l'opposition et la majorité, qui est d'une fertilité réelle et sur lequel je pense que nous avons des progrès à faire, y compris dans le fonctionnement de nos institutions.

A cet égard, la proposition du doyen Gélard de nous comparer à d'autres parlements européens est utile pour associer l'opposition aux décisions prises par une majorité dans les différentes chambres. Je pense par exemple que les commissions d'enquête, les missions d'information ou un certain nombre de sujets de cette nature, y compris ceux dont nous avons parlé au Sénat avant 1983, pourraient être le champ de cette association.

Je vous ai dit tout à l'heure ce que je pensais de l'organisation de l'ordre du jour et une plus grande maîtrise de celui-ci. Je pense qu'un progrès majeur pour le Parlement réside dans l'ordre du jour. Cela obligera le gouvernement à faire des choix, à fixer des priorités et à ouvrir le dialogue avec sa majorité et la force d'opposition. Cela fera partie de cette vision que nous devons avoir et qui a été finalement marquée par un seul et très bel exemple : tout ce qui s'est passé avec la loi organique relative aux lois de finances, dont Alain Lambert était le rapporteur pour le Sénat, qui a été un texte important et structurant pour la vie démocratique et financière et qui a été bâti en cohérence avec la majorité et l'opposition de l'Assemblée nationale et du Sénat, ainsi qu'entre le législatif et l'exécutif.

C'est un sujet sur lequel nous devons avancer pour faire reconnaître, par notre capacité de contrôle, le rôle du Parlement aux yeux des citoyens.

Beaucoup de choses ont été faites pour valoriser le travail du Parlement. Je pense notamment à ce qu'a fait René Monory sur Internet ou Christian Poncelet avec Public Sénat. Nous avons là des champs très importants pour mieux faire connaître aux citoyens le travail parlementaire, qui fait partie aussi de la nécessité de modernisation que nous avons engagée. J'ai cité la présence féminine des Sénatrices ici, pour ce colloque, mais je dois dire que le renouvellement du Sénat a été très important à ce sujet. Je pense d'ailleurs que notre renouvellement par moitié va accélérer cette tendance.

Comme je l'ai dit tout à l'heure sur les élites, je pense que le renouvellement tous les trois ans par moitié va accélérer le renouvellement du Sénat, sa féminisation et sa diversification, et que, de ce point de vue, les orientations prises permettront d'arriver à quelques progrès.

Je dirai un mot sur la République décentralisée et le principe de subsidiarité qui est dans la Constitution. Par sympathie, Pierre Mazeaud ne l'a pas évoqué tout à l'heure parce que je ne suis pas sûr qu'il était d'accord avec son entrée dans la Constitution en 2003, mais ce principe de subsidiarité est entré dans la Constitution, et il serait donc très important que le Sénat, celui des collectivités territoriales, puisse être garant de l'exercice de la subsidiarité. Il y a là un grand champ de développement permettant à la Haute assemblée de définir ce qu'est aujourd'hui la pratique du principe de subsidiarité, l'obligation de compenser les transferts de charges et la possibilité de diversifier les institutions locales et, sans doute, d'ouvrir la discussion sur notre organisation territoriale, que Pierre Mazeaud a lancée ce matin.

Un certain nombre de pistes ont été ouvertes dans cette direction. Je pense notamment à la Commission nationale des exécutifs, qui a montré qu'il pouvait y avoir une perspective. Je sais que l'on parle beaucoup, dans cette assemblée, de la création de nouvelles commissions : une commission des affaires locales, une commission de la décentralisation et une commission de la subsidiarité. C'est à discuter. Cela peut être une commission ou un comité, sur le mode du Comité pour les élections européennes dans cette délégation. Il y a là une réflexion très utile pour que la Haute assemblée assume ce droit de suite au principe de subsidiarité et s'affirme comme la chambre de la République décentralisée.

J'ai vu que le Comité de décentralisation avait également travaillé hier sur ces questions. La reconnaissance de l'élu local dans la Constitution est l'un des éléments dont nous pouvons parler, et l'Observatoire de la décentralisation en discute en ce moment dans le cadre de la mise en place de l'acte II de la décentralisation. C'est donc un sujet très important.

Enfin, il est nécessaire d'instaurer une relation plus confiante entre le Parlement et l'exécutif. Le fait que le Président de la République puisse s'exprimer à la Knesset ou devant le Congrès américain alors qu'il ne peut pas venir devant le Parlement français est effectivement quelque peu choquant. Cela dit, je ne suis pas favorable au fait que le Président de la République remplace le Premier ministre dans son rôle de chef de la majorité parlementaire car les deux fonctions sont bien séparées. C'est pourquoi je propose que la présence du Président de la République au Parlement soit rare et solennelle, notamment à travers le Congrès. Autant l'idée d'interdire le contact entre le Parlement et le Président me paraît archaïque, autant l'idée de remplacer le Premier ministre dans son rôle de chef de la majorité parlementaire par le Président me semblerait revenir sur des principes de base de la synthèse qui a été celle de Michel Debré dans l'organisation des pouvoirs et des institutions de la V e République.

Ce qui me paraît aujourd'hui devoir nous guider dans notre réflexion, c'est le fait que la V e République a voulu que l'exécutif ait une capacité d'action réelle pour sortir d'un certain nombre de désordres et d'une relative impuissance. Très franchement, j'ai vu des réformes échouer, une attente de réformes et un certain nombre de choses qui n'allaient pas assez vite, et je comprends que la société française demande que la politique aille plus vite, mais quand la politique va lentement, ce n'est pas seulement de la responsabilité des institutions. Il y a d'autres responsabilités dans l'exercice des pouvoirs et dans les rapports de forces que celles des institutions. Ne modifions donc pas les institutions pour réformer davantage. L'exécutif est responsable des réformes et il ne faut pas aller chercher dans l'organisation institutionnelle la source des difficultés de la société française, de sa diversité et, quelquefois, de sa difficulté à être gouvernée.

Sur ce sujet, il faut donc vraiment préserver une capacité d'action. Je suis préoccupé quand je vois monter toutes les idées de réflexion sur ce que peut être une démocratie participative qui serait une démocratie permettant en permanence à des structures de s'impliquer davantage dans l'organisation des décisions. Autant je suis favorable à des référendums locaux, comme on l'a vu avec la loi de 2003, pour qu'un certain nombre de sujets fassent vraiment l'objet d'une expression populaire, autant il faut veiller à ne pas fragiliser la démocratie représentative. La société étant de plus en plus complexe, on a besoin de spécialistes et de concertation pour avancer sur ces textes. Plus on incitera la société et les partenaires sociaux, comme cela a été le cas jusqu'à maintenant, à discuter avant que la loi soit arrêtée, plus nous aurons besoin de lieux dans lesquels on pourra travailler ces questions avec l'exigence de la représentativité.

Il y a sans doute des moyens pour que le citoyen ne se sente pas éloigné de tout cela. C'est le cas du droit de pétition, qui existe au Parlement européen. Pour le Sénat, je ne vois pas pourquoi une mission des élus locaux, le corps électoral des Sénateurs, ne pourrait pas faire une proposition, qui serait soumise par exemple par mille maires de l'opposition et qu'examinerait la commission des lois pour montrer que nous sommes vraiment ouverts à ce qui se passe dans la société. Un certain nombre de règles pourraient sans doute être aménagées afin d'être davantage connectées avec les citoyens. Il est clair aussi que si, dans la société telle que la définit Edgar Morin dans son extrême complexité en souhaitant en permanence examiner le yin et le yang, nous nous passons de la démocratie représentative, nous risquons de nous passer de l'expertise et, surtout, de la confrontation.

C'est la polémique, la politique, le débat et la confrontation qui, de temps en temps, font apparaître un problème que personne n'avait pu relever auparavant. Quand il y a débat et affrontement, on voit apparaître parfois des difficultés, mais pour qu'il y ait débat et affrontement, il faut une organisation du débat et de l'affrontement. De ce point de vue, la capacité à agir du Parlement est un élément clé de notre réalité.

Je voudrais simplement m'adresser aux plus jeunes qui sont dans cette salle pour leur dire que la vie politique est passionnante, qu'elle donne le sentiment que l'on peut participer à quelque chose de plus grand que soi-même, mais, naturellement, dans le respect d'une histoire et d'un certain nombre de principes et de convictions. C'est ce qui me paraît le plus important dans le débat institutionnel. Ce n'est pas un débat d'experts ou réservé à des spécialistes. C'est de la belle politique ! C'est cela qu'il faut essayer de valoriser avec sa dimension historique, mais aussi sa modernité dans la société.

C'est le message le plus important de ce matin. La présence nombreuse, parmi vous, de jeunes qui sont intéressés par ces sujets m'amène à dire que c'est la modernité de notre débat politique que de nous intéresser à l'organisation de ce débat et, donc, à la pratique de nos institutions.

M. Jean GARRIGUES, Président du Comité d'Histoire Parlementaire et Politique.-

Je remercie très chaleureusement M. le Premier ministre. Au nom du Comité d'histoire parlementaire et politique, qui est l'organisateur de cette journée, je vous convie à déjeuner salle René Coty, où un buffet vous attend, et je vous rappelle que les débats reprendront à 14 h 30 sous la présidence de M. Edouard Balladur.

* 1 « Compte rendu de la réunion du groupe de travail du 27 juin 1958 », Documents pour servir à l'histoire de l'élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958 , volume 1, Des origines de la loi Constitutionnelle du 3 juin 1958 à l'avant-projet du 29 juillet 1958 , p. 292-293.

* 2 Dans les deux cas, l'année était plus courte que les deux années complètes réalisées par Debré.

* 3 Par exemple, lors de la discussion du budget de l'armée, pour « répondre à quelques orateurs et, en particulier, au président de la commission de la défense nationale et des forces armées », Michel Debré intervient longuement en lieu et place du ministre de la Défense. Il promet d'ailleurs aux députés l'organisation prochaine d'un débat sur la loi programme. Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Assemblée nationale, compte rendu intégral des séances , Deuxième séance du 18 novembre 1959, p. 2567-2570.

* 4 Pour l'année 1961, on obtient des proportions tout à fait comparables : 4 interventions liées aux déclarations générales du gouvernement et allocutions diverses ; 1 intervention liée aux débats sur les motions de censure ; 3 réponses à des questions orales et 13 interventions de confection législative.

* 5 La moyenne annuelle des interventions des premiers ministres était de 15 au cours de la première décennie du régime entre 1959 et 1968 ; elle est passée à 6 dans la dernière période 1996-2005.

* 6 Si l'on prend en compte le nombre de pages du Journal Officiel correspondant aux interventions des premiers ministres, on obtient les résultats suivants : 108 pages en 1959, 111 en 1960 et 66 en 1961 pour Michel Debré ; 45 pages en 1963, 32 en 1964, 38 en 1965, 32 en 1966 et 44 en 1967 pour Georges Pompidou. A titre d'exemples ; on peut compter 25 pages pour Chaban en 1970, 32 pour Messmer en 1973, 29 pour Chirac en 1975, 52 pour Barre en 1979, 60 pour Mauroy en 1981, 17 pour Fabius en 1985, 27 pour Rocard en 1989, 15 pour Balladur en 1994, 30 pour Jospin entre octobre 1998 et septembre 1999, 36 pour Raffarin d'octobre 2002 à septembre 2003.

* 7 D'où le rôle-clef joué par le secrétaire d'Etat ou le ministre des relations avec le Parlement.

* 8 On compte encore 14 auditions pour Michel Debré (4 en 1959, 8 en 1960 et 2 en 1961). Pompidou se présente 5 fois devant les commissions de 1962 à 1968 (1 fois en 1963 et 1964, 2 fois en 1965, 1 fois en 1967). Ensuite, on ne compte plus que 16 auditions entre 1968 et 1995 qui se répartissent de la manière suivante : Chaban (1 fois), Chirac (1 fois), Barre (4 fois), Mauroy (5 fois dont 4 pour la seule année 1981), Rocard (2 fois), Cresson (1 fois), Balladur (1 fois), Juppé (1 fois). On ne compte plus aucune audition depuis 1995.

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