Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise 2000



Palais du Luxembourg, 2 février 2000
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ACTES

?

des « Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise »

tenues au Sénat,

le 2 février 2000

À l'initiative de Monsieur Christian PONCELET

Président du Sénat

AVANT-PROPOS

Tout au long du dernier trimestre 1999, 32 sénateurs, issus de tous les groupes politiques, ont effectué un stage d'immersion dans des entreprises volontaires couvrant l'ensemble des secteurs économiques, de la start up au grand groupe multinational. En retour, les sénateurs ont accueilli, soit dans leur département, soit au Sénat, les chefs d'entreprise afin de les sensibiliser à la diversité de leurs missions et de leurs actions.

Les « rencontres sénatoriales de l'entreprise » qui se sont tenues le 2 février 2000 au Palais du Luxembourg, ont permis à l'ensemble des participants de témoigner de leur expérience, en présence de deux « spectateurs engagés » de la société civile : M. Philippe Manière, auteur de plusieurs ouvrages sur la société française, et le docteur Bertrand Piccard, aéronaute, premier homme à avoir accompli le tour du monde en ballon.

Les débats ont été organisés autour de quatre tables rondes dont les thèmes avaient été abordés de façon récurrente au cours des stages : l'application des 35 heures, les relations PME-PMI avec la grande distribution, le financement de l'innovation et l'insertion des jeunes par l'économie.

Loin des confrontations idéologiques, j'ai voulu que cette initiative soit à la fois pragmatique, concrète et respectueuse des opinions de chacun. Son objectif est d'accroître la compréhension mutuelle entre parlementaires et chefs d'entreprise.

Trop souvent, les chefs d'entreprise considèrent, en effet, qu'ils ne sont pas suffisamment écoutés et que le vote de la loi intervient en méconnaissance des réalités économiques. Inversement, ils n'ont souvent qu'une vision lointaine et parcellaire du fonctionnement des institutions, ainsi que du mode d'élaboration de la loi.

Le dialogue entre deux sphères qui se sont trop longtemps ignorées a-t-il pour autant avancé ?

À vous, lecteur vigilant et attentif, de vous forger une opinion en parcourant les actes des premières « rencontres sénatoriales de l'entreprise » !

Pour ma part, cette initiative m'a permis de mesurer à quel point la confrontation des idées, la diversité et la richesse des expériences vécues par les uns ou les autres, permettent de légiférer plus utile et plus efficace.

Les stages d'immersion des sénateurs en entreprise ont donc tout naturellement vocation à être reconduits et démultipliés.

Christian PONCELET

Président du Sénat

LISTE DES SÉNATEURS STAGIAIRES ET DES ENTREPRISES D'ACCUEIL

SÉNATEURS STAGIAIRES

ENTREPRISES ET ACCUEIL

Madame Maryse Bergé-Lavigne

Carrefour

Monsieur Jean Bizet

Danone

Monsieur Jean Boyer

Alpina

Monsieur Louis de Broissia

Geyer

Monsieur Jean-Claude Carie

Kindy

Monsieur Jean-Patrick Courtois

L'Oréal

Monsieur Jean Delaneau

E.C.C.E.

Monsieur Jean-Paul Delevoye

McDonald's

Monsieur Alain Dufaut

Ricard

Monsieur Jean-Paul Emorine

Norbert Dentressangle

Monsieur Léon Fatous

Chambre des Métiers de Tours

Monsieur Alain Gérard

Critérium

Monsieur Francis Grignon

Wilroad Telecom

Madame Anne Heinis

Allemand

Monsieur Pierre Hérisson

Avis Fleet Services

Monsieur Jean-Paul Hugot

Home Institut

Monsieur Alain Joyandet

Virgin Cola

Monsieur Gérard Larcher

PSA Peugeot Citroën

Monsieur Alain Lambert

Rhodia

Monsieur Jean-François Le Grand

Ricard

Monsieur Serge Lepeltier

Pricewaterhousecoopers

Monsieur Paul Loridant

Win

Monsieur Philippe Marini

Pernod Ricard

Monsieur Marc Massion

Pricewaterhousecoopers

Monsieur Paul Masson

Euro-RSCG Omnium

Monsieur Gérard Miquel

Ove

Monsieur Michel Moreigne

Les Maçons Parisiens

Monsieur Bernard Murat

Madrange

Monsieur Pierre-Yvon Trémel

Chambre des Métiers d'Arras

Monsieur Jacques Valade

Evian

Monsieur Alain Vasselle

Danone

Monsieur Guy Vissac

M Sat

APERÇU DES DÉBATS

Les Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise ont été organisées en quatre tables rondes, dont les thèmes ont été abordés de façon récurrente au cours des stages d'immersion des sénateurs en entreprise. Une synthèse des débats a été effectuée, en temps réel, par deux témoins de la société civile : M. Philippe Manière, rédacteur en chef du journal « Le Point », auteur de nombreux livres tels que « l'aveuglement français » ou « Marx à la corbeille » et M. Bertrand Piccard, « savanturier », premier homme à avoir effectué le tour du monde en ballon en compagnie de Brian Jones.

Le premier thème retenu était celui du financement de l'innovation. Les critiques habituelles dénonçant la frilosité des organismes bancaires ont été rapidement dépassées et de nombreux intervenants se sont félicités du développement du capital-risque dans notre pays, tout en souhaitant qu'il soit davantage encouragé au travers de la fiscalité. Le problème des avances de TVA a été cité à de nombreuses reprises, comme l'un des principaux obstacles que rencontrent les jeunes entreprises. D'une façon plus générale, de nombreux entrepreneurs ont affiché leur désintérêt pour les aides et les subventions et leur souhait d'un environnement fiscal et réglementaire plus favorable. Enfin, un sénateur rattaché au groupe communiste citoyen et républicain, convaincu par son stage dans une start up s'est déclaré favorable aux stock options et a même avancé une proposition concrète en ce sens. En synthèse du débat, Philippe Manière a bien mis en évidence les contradictions inhérentes à cette problématique du financement de l'innovation.

Le deuxième débat a porté sur l'application des 35 heures dans les entreprises ; de nombreux intervenants ont souligné l'impact inflationniste de cette législation sur les coûts du travail. Un entrepreneur a apporté le témoignage de la délocalisation de sa propre entreprise. Beaucoup ont tout de même reconnu que cette législation avait eu pour avantage d'introduire davantage de flexibilité dans l'organisation du travail, une flexibilité cependant moins facile à mettre en oeuvre dans les petites entreprises que dans les grandes. On a pu également constater une grande diversité des expériences en fonction des différents secteurs industriels concernés. En synthèse des débats, M. Bertrand Piccard a fait part aux intervenants d'intéressantes considérations philosophiques sur les relations entre l'économique et le politique, l'entreprise et ses salariés, ainsi que sur la façon d'aborder les conflits sociaux.

La troisième table ronde avait pour thème les relations parfois très conflictuelles entre les petites et moyennes entreprises et la grande distribution. Tout en déplorant l'absence de représentants de la grande distribution, beaucoup d'intervenants se sont efforcé d'avoir une vision mesurée des choses en soulignant l'apport que pouvait avoir la grande distribution au développement des PME-PMI. D'autres intervenants ont, au contraire, apporté des témoignages bouleversants sur la dureté de ces relations.

La question de la possibilité de rétablir par la loi un déséquilibre naturel entre les acteurs a occupé une place centrale dans les débats, opposant les partisans d'un aggiornamento législatif à ceux d'un renforcement des capacités de négociation des PME-PMI. Enfin, plusieurs intervenants, au nombre desquels M. Philippe Manière, plusieurs sénateurs de toutes tendances politiques, ou encore des chefs d'entreprise, ont insisté sur la nécessité de réfléchir à un véritable dispositif anti-trust qui, à l'instar de l'arsenal en vigueur aux États-Unis, est l'indispensable corollaire d'une économie libérale.

La question de savoir si Internet n'allait pas renverser complètement les perspectives et redonner davantage de pouvoir aux producteurs a également été évoquée.

La dernière table ronde sur l'insertion des jeunes par l'économie a traité de la place insuffisante de la culture d'entreprise dans notre pays. L'entreprise, du fait notamment de la nouvelle économie, constitue pour beaucoup la nouvelle « voie royale » des ambitions. Certains sénateurs ayant effectué des stages d'immersion dans des chambres des métiers et des entreprises artisanales, la question de l'artisanat a été évoquée. Les changements dus aux nouvelles technologies de l'information et de la communication ont fait l'objet de nombreuses considérations, soulignant la rupture avec les anciens schémas de pensée, notamment quant à la valeur à accorder aux diplômes. Là encore, Bertrand Piccard a fait part aux participants d'intéressantes considérations que ce soit au cours de la table ronde ou en synthèse finale.

I. LE FINANCEMENT DE L'INNOVATION

Table ronde animée par M. Emmanuel KESSLER, rédacteur en chef-adjoint de BFM en présence de M. Philippe MANIÈRE, rédacteur en chef du journal Le Point

Comment passer des idées au financement ?

Sénateurs participant à la table ronde :

M. Alain GERARD (RPR) sénateur du Finistère

M. Francis GRIGNON (UC) sénateur du Bas-Rhin

M. Gérard MIQUEL (Soc) sénateur du Lot

Chefs d'entreprise participant à la table ronde :

M. Laurent BAZET, président-directeur général de la société OVE

M. Jean-Pierre FICHET, directeur général de la société Critérium

M. Michel GAURIER, président-directeur général de la société Wilroad Telecom

Quels sont les aménagements fiscaux nécessaires
pour accompagner l'innovation ?

Sénateurs participant à la table ronde :

M. Serge LEPELTIER (RPR) sénateur du Cher

M. Paul LORIDANT (CRC) sénateur de l'Essonne

M. Guy VISSAC (RPR) sénateur de Haute Loire

Chefs d'entreprise participant à la table ronde :

M. Pierre-Bernard ANGLADE,

président-directeur général de Pricewaterhouse Coopers

M. Bruno MARTINEZ, président-directeur général de la société WIN

M. Laurent MASSELOT, président-directeur général de la société M SAT

M. Emmanuel KESSLER (Rédacteur en chef adjoint de BFM)

Nous allons ouvrir ces premières rencontres sénatoriales de l'entreprise qui se déroulent dans le cadre d'une action actuellement conduite par le Sénat qui a pour objet de rapprocher cette institution du monde de l'entreprise. Il est vrai que l'on reproche souvent aux responsables politiques de mal connaître les réalités de l'entreprise, ce qui est sans doute un peu injuste, mais qui en même temps traduit le sentiment que chacun vit « dans son monde » et qu'il n'est pas mauvais de faire se rencontrer ces mondes différents.

Et puis le Sénat a aussi la volonté de légiférer en connaissance de cause. Vous savez que dans le système institutionnel français, le Sénat n'a pas le dernier mot. Le Gouvernement peut demander à l'Assemblée nationale de se prononcer définitivement, à rencontre des propositions du Sénat, surtout lorsque les majorités ne coïncident pas. Il est donc utile pour le Sénat, lorsqu'il fait des propositions, lorsqu'il élabore des amendements à des projets de loi, de pouvoir dire qu'au fond, ce n'est pas un point de vue politique qu'il soutient, mais qu'il entend se fonder sur sa connaissance du dossier, sur une expertise qui en fait aussi le porte-parole des acteurs économiques. Le président PONCELET vous en dira plus en fin de matinée, mais la démarche du Sénat consiste, au-delà du jeu un peu politicien de l'actualité, à s'investir au rythme qui est le sien, et que l'on raille parfois, à tort d'ailleurs, plus profondément sans doute dans les sujets qu'il aborde. Cela le conduit tout naturellement à vous écouter, vous les chefs d'entreprise qui êtes ici et essayez de présenter vos préoccupations et vos besoins.

Cette démarche générale s'est traduite par diverses manifestations, par l'association du Sénat à un certain nombre de rendez-vous touchant le monde de l'entreprise, par une expérience qui a démarré l'année dernière et va continuer cette année - les rencontres Tremplin-entreprises - organisées par le Sénat et l'ESSEC, destinées à faire se rencontrer des jeunes qui démarrent après avoir fait leurs études et qui ont des projets d'entreprises avec des investisseurs potentiels ou des chefs d'entreprises déjà installés.

Quant aux rencontres sénatoriales de l'entreprise, elles vont traduire l'expérience qui a été faite par une trentaine de sénateurs qui sont allés pendant un ou deux jours en entreprise pour un stage d'immersion, justement pour essayer de comprendre de l'intérieur la réalité du fonctionnement d'une entreprise. La plupart de ces stages sont aujourd'hui terminés. Les responsables d'entreprises que les sénateurs ont rencontrés sont aussi, pour la plupart d'entre eux, venus au Sénat ou dans les départements pour voir comment travaillaient les responsables politiques. Nous avons retenu plusieurs thèmes de débats ce matin pour tenter de tirer les conclusions de ces expériences et voir comment elles peuvent avoir un prolongement, sinon législatif, du moins en termes de réflexions et de propositions. La première table ronde porte sur le financement de l'innovation. Seront abordés, également, l'application des 35 heures, sujet éminemment d'actualité, les relations des PME-PMI avec la grande distribution et l'insertion des jeunes dans l'économie. Un grand témoin sera chargé de faire la synthèse des débats pour notre salle. Il s'agit de Philippe MANIÈRE, rédacteur en chef du Point.

Les débats autour de la première table ronde se dérouleront en deux temps, pour des raisons de pure commodité : on ne pouvait pas mettre douze sénateurs ou chefs d'entreprise autour de cette table. Mais nous serons assez souples quant aux sujets abordés. Dans une première séquence, nous verrons comment, aujourd'hui, les idées, les projets des jeunes entrepreneurs ou des entrepreneurs en général parviennent ou non à trouver des capitaux, des aides, un moteur pour démarrer. Et puis dans un deuxième temps, nous aborderons de façon un peu plus prospective les problèmes de fiscalité qui sont au coeur des préoccupations des chefs d'entreprise et nous verrons comment les sénateurs abordent ces questions.

Pour commencer, je vais demander à M. Alain GÉRARD, sénateur du Finistère, qui est allé chez CRITÉRIUM, une agence de design créée en 1987, qui produit des logos et fait du packaging pour la grande distribution, quels enseignements il a retenu de son expérience.

M. Alain GÉRARD (Sénateur R.P.R. du Finistère)

Quand le choix de cette entreprise a été fait, je m'y suis rendu avec beaucoup de plaisir. Je dois dire que l'accueil a été très chaleureux et, en même temps, empreint d'une certaine interrogation : qu'est-ce qu'un homme politique pouvait venir faire dans cette entreprise ? Néanmoins, on s'est empressé de reconnaître que l'initiative prise par le Sénat était tout à fait positive et augurait bien de démarches plus fructueuses à l'avenir. Ce que j'ai retenu, ce sont d'abord les difficultés journalières que rencontre le chef de l'entreprise avec l'administration, les services fiscaux, ses démêlés et ses responsabilités. S'agissant d'une PME, l'investissement du directeur de la société est particulièrement important. Il intervient partout, tout le temps et rencontre de grandes difficultés pour appréhender les problèmes administratifs et fiscaux. Ce qui veut dire que lorsqu'on légifère, on oublie peut-être que le texte sera applicable pour tous, et qu'il peut être difficile, pour certaines entreprises, d'appliquer obligatoirement un texte de loi. Il n'y a qu'à regarder celui des 35 heures. Son applicabilité est, manifestement, assez étonnante. Toutes ces difficultés, je les ai mesurées, je les ai bien notées, je les ai rapportées, et j'en suis reparti conscient qu'il fallait de plus en plus nous rencontrer afin d'éviter de tomber dans un certain nombre d'exagérations et aussi prendre son temps pour légiférer afin de ne pas produire une abondance de textes d'application difficile. capital-risque ? Devant la défaillance du secteur bancaire, que doivent faire les collectivités ? Je crois que nous aurons quelques précisions à apporter sur ce point.

M. Emmanuel KESSLER

Nous allons entrer plus en détail dans les problèmes que vous venez de poser. On a dit pendant des années en France que la principale difficulté, pour une entreprise qui se crée, c'est de trouver un financement. Il semblerait, et c'est l'actualité qui le fait penser, qu'il y a des évolutions récentes, notamment pour des entreprises de haute technologie. Il semblerait que les très gros projets parviennent aujourd'hui à réunir des « tours de table », des financements, que les petits projets parviennent à réunir du capital de proximité, mais qu'entre les deux, les projets seraient plus difficiles à mettre sur les rails et que là, il y a quelques progrès à faire.

Commençons avec l'expérience des start-up. Avez-vous le sentiment, Monsieur MIQUEL, vous qui étiez à Sophia Antipolis, là même où se créent tous les jours des entreprises et des start-up dans le domaine de la haute technologie, que grâce aux business angels on a résolu le problème du financement des entreprises à leur démarrage ? Ou, qu'au contraire, il y a un vrai problème spécifiquement français auquel il faut trouver des solutions ?

M. Gérard MIQUEL

Je crois que le problème est spécifiquement français et que même si le secteur bancaire devrait être plus progressiste, nous n'avons pas de réponse à proposer. C'est pourquoi les collectivités locales essayent de mettre en place des outils. Il est vrai que pour les gros projets, nous avons des outils permettant de les financer, mais ce n'est pas le cas pour les petits projets, alors que souvent on démarre avec un petit projet et que le développement vient après. Dans ma région, Midi-Pyrénées, nous avons mis en place « Midi-Pyrénées-Création » qui nous permet d'accorder des prêts d'honneur. L'important est la rapidité avec laquelle on peut mettre des financements à la disposition des jeunes entreprises. Or, le système des subventions est très lourd. Il comporte des délais qui ne sont pas toujours supportables par l'entreprise. À cet égard, les prêts d'honneurs sont plus souples. En Midi-Pyrénées, nous avons créé un fonds d'amorçage dans le cadre de l'appel à projets lancé par le ministère de l'éducation et de la recherche. Il nous permet de mettre 350 000 F à disposition d'une jeune entreprise. Et le système est à deux vitesses : sur l'agglomération toulousaine, c'est 350 000 F et dans le reste de la région, 700 000 F pour inciter les jeunes porteurs de projets à s'installer en milieu rural. Nous faisons à la fois du financement et de l'aménagement du territoire.

M. Emmanuel KESSLER

Globalement, il vous semble qu'aujourd'hui les collectivités locales doivent donc s'impliquer directement dans le financement ou en tout cas essayer de donner l'impulsion ?

M. Gérard MIQUEL

Nous n'avons pas de vecteur approprié. Alors, les collectivités et les régions qui ont compétence en matière de développement doivent s'impliquer et si une région veut se grouper avec une autre région, c'est encore plus efficace. C'est ce que nous avons fait avec Midi-Pyrénées et Aquitaine et nous avons maintenant un outil de bonne dimension qui nous permet de résoudre certains problèmes des entreprises.

M. Philippe MANIÈRE (rédacteur en chef du journal Le Point)

En vous écoutant, monsieur le sénateur, je me demandais s'il n'y avait pas une tierce voie qui n'avait pas été explorée jusqu'à maintenant dans nos débats. Vous dites que le système bancaire est défaillant. Je ne sais pas s'il est défaillant ou bien si c'est vraiment son métier de faire du crédit aux PME en démarrage, et surtout du financement de fonds propres, ce qui est le principal problème. Vous ajoutez que, puisqu'il y a défaillance des banques, peut-être est-il légitime pour les collectivités locales de faire du financement. C'est sans doute mieux que laisser les entreprises sans rien, mais n'y a-t-il pas un autre moyen qui consisterait à donner des avantages fiscaux, ne serait-ce qu'au niveau des collectivités locales, aux gens qui mettent leur bel et bon argent dans ce genre d'aventure. Parce que le problème des collectivités publiques, c'est qu'elles utilisent l'argent du contribuable. On essaie d'y faire attention mais on y fait moins attention que quand c'est le sien propre et un certain nombre d'expériences dans le capital développement public ont montré que ce n'est pas ce qu'on fait de plus performant. Les responsables des collectivités publiques ne devraient-ils pas se demander s'il vaut mieux attribuer des subventions à ceux qui créent des entreprises, ou consentir des abattements fiscaux, à celui qui investit dans une PME en démarrage ?

M. Emmanuel KESSLER

Voilà une première proposition concrète. Qu'en pensent MM. MIQUEL et GRIGNON ?

M. Gérard MIQUEL

Avec les plates-formes d'initiatives locales, nous pouvons aller dans cette direction et nous en avons mis en place dans la région Midi-Pyrénées. Là, nous nous adressons davantage à des porteurs de petits projets qui ont besoin de 20 000 F, 50 000 F pour démarrer une opération. Il est vrai que si nous pouvons aller vers un système de déduction fiscale en faveur des gens qui acceptent de prendre le risque de mettre leur argent dans une entreprise, c'est sans doute une piste intéressante.

M. Francis GRIGNON

Pour enchaîner sur ce qui vient d'être dit, je voudrais vous indiquer que le 10 février nous allons examiner au Sénat une proposition de loi intitulée « Création d'entreprises et territoires », qui reprend un peu les suggestions que j'étais en train d'exposer. Nous proposons, dans un des articles, la création de Fonds Commun de Placement de Proximité (FCPP) qui seront des Fonds Communs de Placement à Risques (FCPR) et seront donc surveillés par la commission des Opérations de Bourse (COB), ce qui assurera une certaine sécurité. De plus, 40 % de leurs actifs pourront être placés dans des fonds plus traditionnels. Enfin, la personne qui apportera de l'argent à ces fonds aura les mêmes avantages fiscaux qu'avec les Fonds Communs de Placement dans l'Innovation (FCPI), c'est-à-dire une réduction d'impôt de 25 % avec un plafond de 75 000 F pour un célibataire et 150 000 F pour un couple. Deuxième mesure proposée : M. MADELIN avait proposé une incitation fiscale pour les gens qui mettent de l'argent dans les sociétés capitalisées. Nous proposons de l'étendre aux sociétés qui n'ont pas de capitaux, les sociétés en nom personnel, via un emprunt qui serait bloqué.

La troisième mesure proposée rejoint le thème d'aujourd'hui : les business angels à la française. Bref, une incitation pour les personnes qui s'investissent personnellement dans les entreprises, y apportent leur compétence et leur argent, sous la forme d'une déduction de 100 000 F de leur IRPP en cas de pertes dans l'investissement de ces entreprises. Je n'ai pas le temps de tout développer - ce serait trop long - mais je veux dire, pour répondre à M. MANIÈRE, que c'est un réel souci pour les élus, pour le législateur - nous y travaillons depuis un an -, non plus de subventionner l'entreprise mais d'inciter les Français à prendre conscience de l'importance de la création d'entreprises et à s'investir un peu plus dans les entreprises, en particulier dans leur territoire.

M. Emmanuel KESSLER

Cette proposition de loi va donc venir en discussion prochainement. Elle suivra son chemin. Encore faut-il que le Gouvernement soit d'accord pour qu'elle aille jusqu'au bout du parcours. En tout cas, c'est un élément important dans le débat. Qui veut intervenir ?

M. Pierre LAFFITTE (sénateur R.D.S.E. - Rassemblement Démocratique et Social Européen - des Alpes-Maritimes)

Je voudrais tout d'abord me réjouir de cette nouvelle opération lancée par le Sénat, après plusieurs autres dans le même esprit. Je rappelle aussi que nous avons, à plusieurs reprises, ici au Sénat, voté des amendements permettant aux investisseurs dans les sociétés en création, et notamment les sociétés innovantes, de déduire de leurs impôts, pendant une période de cinq ans, sur le modèle anglais, jusqu'à 500 000 F d'investissements. Je crois d'ailleurs que nous sommes trop timides quant au volume d'investissement. Lors du dernier Sommet du capital-risque organisé à Sophia-Antipolis, pour financer les start up, en 48 heures, entre 600 et 800 millions ont été investis dans une quarantaine de start up. Ce sont des chiffres qui sont sans commune mesure avec ce qu'une collectivité locale peut apporter. Il est clair que l'investissement initial est du domaine du capital de proximité, du fonds d'amorçage en quelque sorte, et là, effectivement, il est très bon que les collectivités locales, sous une forme ou sous une autre - je suis tout à fait heureux de cette proposition qui, à mon avis, devrait passer parce qu'elle est dans l'air du temps. Je voudrais surtout souligner qu'à l'heure actuelle, pour le premier tour de table et même pour le deuxième, surtout si le premier tour est assez gros, le problème du financement se simplifie lorsqu'on demande 20 millions plutôt que 2 millions. Cela dit, pour demander 20 millions, il faut avoir un business plan qui tienne la route, c'est-à-dire qu'il faut avoir des compétences managériales qui appuient les demandes de financement. D'où la nécessité pour les incubateurs, privés ou publics, d'avoir aussi des ressources en gestion des sociétés à croissance rapide. Ce sont des modes de gestion très différents de ceux des PME traditionnelles ou des grands groupes et nous n'avons pas en France, globalement, les compétences nécessaires. Je crois que c'est une des raisons majeures pour lesquelles nous n'avons pas la vitesse de réaction de nos amis américains.

M. Emmanuel KESSLER

Que pensent les responsables d'entreprises des remarques du sénateur LAFFITTE et de la proposition qui vient d'être formulée par le sénateur GRIGNON ?

M. Emmanuel KESSLER

Au tour du président directeur général de CRITÉRIUM de nous donner son impression.

M. Jean-Pierre FICHET (Directeur général de la société CRITÉRIUM)

La démarche paraissait extrêmement intéressante parce qu'on a tendance, lorsqu'on est responsable d'entreprise, petite ou grande, à se plaindre -ou bien est-ce seulement une impression ? - du décalage entre les politiques et les entreprises et d'une prétendue ignorance du monde du travail et de ses contraintes. Lorsque l'on a un tel sentiment, je pense qu'il faut essayer d'aller au-delà et de rencontrer, justement, les politiques. C'est ce que nous avons fait et je dois dire que ce fut un contact à la fois très positif pour moi, personnellement, parce qu'il s'effectuait dans un cadre non protocolaire - il s'agissait réellement de pénétrer l'entreprise - non pas d'aller couper un ruban et déguster une coupe de Champagne, et je souhaitais également que ce soit, pour le personnel de l'entreprise, une occasion de rencontrer ces politiques décriés ou adorés. C'est une expérience qu'il faut, je crois, renouveler à tous niveaux.

M. Emmanuel KESSLER

Nous allons continuer ce tour de table avec M. Francis GRIGNON, sénateur du Bas-Rhin, qui est allé chez WILROAD TELECOM, une jeune société, une start-up, née en 1997, qui propose des abonnements à des bouquets de services Internet pour gérer à distance et en temps réel un parc de véhicules, par exemple pour les entreprises de transports routiers. Alors, au-delà de l'enrichissement mutuel en termes de connaissance des milieux y a-t-il un enseignement principal ou une surprise que vous avez eue, quelque chose que vous avez découvert à travers cette expérience ?

M. Francis GRIGNON (Sénateur R.P.R. du Bas-Rhin)

Nous avons eu un excellent contact. On ne se sépare plus d'ailleurs !

M. Emmanuel KESSLER

C'est vrai et l'on pouvait même craindre que vous passiez la matinée à bavarder ensemble...

M. Francis GRIGNON

Je n'ai pas été vraiment surpris parce que avant d'être sénateur - je ne suis pas sénateur depuis longtemps - j'ai dirigé une PME pendant 25 ans. Je savais donc ce qu'il en était. En revanche, j'ai découvert les problèmes terribles rencontrés par une start-up qui doit payer la TVA alors qu'elle a surtout des dépenses et aucune recette et qu'elle n'est remboursée que six mois plus tard. Cela peut atteindre des sommes considérables, lorsqu'on a des besoins de financement. C'est ce problème que M. GAURIER et moi-même voudrions essayer de résoudre.

M. Michel GAURIER (Président directeur général de la société WILROAD TELECOM)

C'est en effet le message qui peut être passé, puisque j'ai constaté ce matin dans les titres de la presse que l'on s'intéressait aux crédits de TVA des entreprises. Le problème des start-up est, en effet, de générer des capitaux, mais il est anormal que l'on soit créditeur sur l'État de plus d'un million de francs de TVA et qu'on n'arrive pas à se faire rembourser. La solution proposée aux PME - compenser avec l'impôt sur les sociétés - cela veut dire qu'on a pensé aux start-up : bravo et merci, on a tout compris ! Voilà, le message est passé mais il y a encore des efforts à faire en matière de communication.

M. Emmanuel KESSLER

Nous allons essayer ce matin d'avancer sur ces dossiers. M. Gérard MIQUEL est sénateur du Lot. Il était dans une entreprise, dont le patron devrait nous rejoindre d'ici quelques instants, et qui est une société de services et de conseil en technologie de l'information. Cette entreprise, basée à Sophia-Antipolis, au coeur de ce qu'on appelle la Télécom Valley française, met en ligne des bases de données. Je crois que c'est une entreprise qui travaille beaucoup avec les collectivités locales.

M. Gérard MIQUEL (Sénateur socialiste du Lot)

Exactement. C'est une jeune entreprise. C'est aussi une start-up qui se développe rapidement et j'ai pu constater combien il était important d'offrir à ces jeunes porteurs de projets un environnement favorable. À Sophia-Antipolis, c'est ce qui se fait de mieux en matière d'environnement. Toutefois, le chef d'entreprise m'a fait part des problèmes de financement qui se posent dans le cadre de «l'incubateur» de Sophia-Antipolis à des entreprises qui se développent vite. Là nous avons des réponses à apporter. Car nous savons que le capital-risque est actuellement mal financé par notre secteur bancaire qui n'a pas le dynamisme de celui des États-Unis, par exemple. Alors quels outils pour le

M. Jean-Pierre FICHET

Ces propositions sont très intéressantes, mais je pense qu'au niveau du démarrage, les aides, les subventions, doivent continuer d'exister. Et l'un des problèmes qui a été posé est celui de la disponibilité de ces aides et subventions, en termes de liquidité ! Bien souvent, les délais sont très longs pour en disposer et l'on se doute bien que lorsqu'un entrepreneur va solliciter une aide, une subvention, c'est qu'il a besoin de cet argent très rapidement. Si les fonds lui arrivent plusieurs mois plus tard, ils ne lui sont peut-être plus d'aucun secours.

M. Emmanuel KESSLER

Ce que vous nous dites, c'est que la logique administrative a un rythme très différent de la logique du chef d'entreprise.

M. Jean-Pierre FICHET

Ce n'est pas la logique du chef d'entreprise. C'est la logique de l'entreprise, c'est la logique financière, c'est la logique bancaire, c'est la logique du personnel, ce qu'il faut payer, avec les charges sociales, etc. Pour tenter de pallier ces délais de versement trop longs, les établissements bancaires peuvent, nous dit-on, assurer le relais. L'ennui c'est que pour le chef d'entreprise, pour l'entrepreneur, cela ne fait que doubler son problème. Le parcours est un peu kafkaïen. Vous présentez un dossier de financement ; vous obtenez une réponse favorable ; les fonds seront disponibles dans tel délai. Vous les attendez et vous souhaitez pouvoir faire la jonction en vous adressant à votre banque, ou à des banques spécialisées pour demander qu'elles assurent ce relais. Eh bien il faut tout recommencer : vous présentez un nouveau dossier et il a de fortes chances de ne pas être accepté par le comité de crédit de l'établissement bancaire parce que celui-ci ne tient pas compte de l'engagement des organismes publics ou semi-publics. N'y a-t-il pas là quelque chose à faire pour que, effectivement, les fonds puissent être disponibles, soit directement auprès des organismes qui doivent les verser, soit indirectement grâce à un système de garantie pour les banques, afin que le chef d'entreprise n'ait pas à refaire deux fois la même démarche et à devoir s'engager sur ses biens. Encore faut-il qu'il en ait parce que, lorsqu'on démarre, ce n'est pas forcément le cas. J'entendais parler tout à l'heure de business angels. C'est très à la mode, comme les entreprises de croissance, les start up. En réalité, il y en a toujours eu, et c'est pour cela qu'il y a des entreprises. La différence, c'est qu'aujourd'hui, on dispose de plus d'informations, d'endroits où s'informer, de possibilités et d'aides diverses. Cela dit, il n'est pas toujours facile d'aller à la recherche de l'information et puis l'autre souci c'est que, trop souvent, quand vous avez un projet personnel, vous n'avez pas forcément ce qu'on appelle le capital de proximité - des relations, des personnes de votre famille, des amis - qui puissent consacrer des sommes convenables à votre projet. Et cela signifie qu'il faut, dès le départ, avoir une certaine dotation financière personnelle. Cela veut dire qu'il faut être issu d'un milieu qui le permette. Si vous n'avez pas d'argent, vous vous trouvez dans une quasi - mais pas totale - impossibilité de créer quoi que ce soit.

M. Emmanuel KESSLER

Merci de votre témoignage, de vos interrogations. Que peut-on faire pour que ce parcours du combattant - même s'il est normal que créer une entreprise soit un parcours du combattant, sinon il n'y aurait pas d'esprit d'entreprise - soit moins kafkaïen, plus humain et plus rationnel ?

Mme Monique PATELOUP (Manager Consultante)

Pour les entreprises familiales qui n'ont plus d'héritiers ou des héritiers incompétents, et qui désirent assurer leur pérennité, il faudrait permettre des opérations d'introduction sur le second et le nouveau marché boursier avec des allégements fiscaux, tout en préservant les parts des fondateurs qui permettent justement aux entreprises de se développer, d'innover, car je reste persuadée que seule l'innovation, la recherche, permettront d'assurer la création et la pérennité des entreprises. On ne demande pas à l'État de se substituer aux entreprises mais de donner l'impulsion aux entreprises et aux investisseurs. Il serait donc souhaitable d'établir des partenariats entre grandes écoles, entreprises et les Directions Régionales de l'Industrie et de la Recherche (DRIRE). Les subventions des DRIRE ne doivent pas servir de ballon d'oxygène momentané pour des entreprises qui sont au bord du gouffre, mais au contraire à des opérations d'innovation et de recherche, si je puis dire, de « mise à l'étrier » des jeunes créateurs.

À propos des crédits de TVA, je rejoins tout à fait M. GAURIER. Le remboursement est beaucoup trop tardif, la procédure lourde. Ne pourrait-on pas réfléchir à des achats en suspension de taxe de sorte que les entreprises n'aient pas à faire l'avance de la TVA. En revanche l'imputer sur l'impôt sur la société est inadmissible pour les créateurs d'entreprise, pour les entreprises en difficulté qui sont sur le point de déposer leur bilan. S'il y a un repreneur, le redressement ne sera possible que si la réalisation des actifs du crédit TVA est immédiate.

M. Emmanuel KESSLER

Voilà un certain nombre de propositions, de suggestions. M. GÉRARD peut-il apporter une réponse à Mme PATELOUP ainsi qu'aux interrogations de M. FICHET ?

M. Alain GÉRARD

Les propos que M. FICHET a tenus aujourd'hui sont ceux qu'il m'avait tenus lorsque j'étais dans son entreprise : la complexité des démarches, les retards. J'ai essayé de réfléchir à ce problème et puis j'ai trouvé, dans un rapport sénatorial du mois de juin 1997 publié sous le numéro 374, une proposition consistant à créer une autorité de promotion des PME chargée de simplifier les tâches administratives du chef de l'entreprise et, en tout état de cause, d'accélérer toutes ces procédures actuellement trop centralisées. Voilà une réponse qu'il faudrait peut-être reprendre.

M. Jacques-André PREVOST

Je préside l'Institut pour la simplification. Je voudrais rebondir sur la proposition du sénateur GRIGNON. Je ne suis pas spécialisé dans les questions de financement des entreprises mais j'ai l'impression que je n'ai pas très bien compris. Pourquoi des fonds, des intermédiaires, des obstacles, des contrôles, des plafonds, des conditions, des taux, des possibilités d'arbitrage, des possibilités pour le pouvoir réglementaire de faire des circulaires d'application qui seront difficiles à appliquer ou qui seront compliquées, des contestations, des conflits avec l'administration fiscale ? Pourquoi toute cette complexité dans vos propositions, alors que nous savons très bien, parce que nous avons maintenant des chiffres, que les politiques qui fonctionnent en matière de création d'entreprises, ce sont les politiques de simplification ? Depuis 1987, les chiffres nous montrent que la création d'entreprises n'a jamais cessé de baisser, sauf en 1988 et 1994, deux périodes qui ont suivi une communication forte sur la simplification et surtout des mesures de simplification. Comme l'a dit Mme PATELOUP, obtenir des remboursements de TVA, c'est extraordinairement compliqué. Personnellement, comme chef d'entreprise, à chaque fois que je l'ai demandé, j'ai eu un contrôle fiscal, donc maintenant je ne le demande plus. La solution n'est pas dans des aménagements de ce système. La solution, me semble-t-il, c'est le compte fiscal unique et les politiques devraient proposer de le mettre en place dans un délai de trois ans. Puisque l'administration a des créances et des dettes, si l'on veut aller vers la simplification, il faut raisonner en solde.

M. Philippe MANIÈRE

Si la réforme de Bercy est faite, ce dont malheureusement je doute un peu, on ira très largement dans le sens que vous dites. Il y aura un compte unique, un interlocuteur fiscal unique. Sans doute restera-t-il des « trucs et des machins » parce que l'on ne sait malheureusement pas faire autrement en France. Il restera la redevance télé, qui est absolument inutile. Il restera les débits de tabac. Mais enfin, grosso modo, par rapport à la foison d'administrations fiscales et de comptes séparés qu'on a aujourd'hui, tout sera bien meilleur. Je doute que ce soit fait aussi vite et aussi bien qu'on nous le promet, mais il faut quand même espérer.

Deuxième point : le cas des start up qui a été évoqué tout à l'heure et qui, par définition, n'ont pas encore d'aide fiscale. Elles ont une créance fiscale qu'elles ne peuvent pas mobiliser alors qu'elles n'ont pas de dette fiscale pour faire la compensation. Ce problème reste entier même avec la suggestion que vous faites. Alors je crois qu'il faut combiner votre proposition, qui est parfaitement adaptée au problème de l'entreprise en général, avec d'autres propositions afin qu'une entreprise qui ne fait pas encore de bénéfices puisse quand même bénéficier des créances fiscales qui lui sont dues.

M. Emmanuel KESSLER

Vous avez été interpellé - M. GRIGNON - sur la complexité de votre proposition de loi. Peut-être avez-vous été mal compris, ou alors y a-t-il un véritable obstacle ?

M. Francis GRIGNON

Je n'ai pas eu le loisir de m'expliquer en détail. Quand on commence à jouer avec l'argent des particuliers qui le mettent dans des fonds communs de placement à risques, on doit veiller à entourer cet investissement d'un minimum de garanties, pour que les particuliers ne soient pas découragés à l'avenir de le placer ainsi, d'où les FCPR, d'où un contrôle de la COB, etc.. Quant à la simplification, alors, nous avons tout à fait conscience du problème et j'ai été personnellement impressionné par ce qui se passe aux États-Unis au sein de la SBA, la Small Business Administration. On ne peut certes pas la refaire en France parce qu'elle a été créée là-bas en 1954 et que chez nous, il faudrait procéder à une véritable réforme de l'État qui n'est pas envisageable. Voyez ce qui se passe quand on veut toucher aux perceptions de province ! Bref, nous avons proposé de donner une nouvelle mission aux organismes existants - la BDPME, la NCE, la PCE : examiner tous les textes législatifs qui sont votés, pour voir ce qui peut gêner et compliquer la vie de l'entreprise et simplifier les textes existants. Cela est inscrit dans l'un des articles de cette proposition de loi. On verra bien ce qui se passera. Il est tellement difficile chez nous de supprimer des administrations ou des organismes existants que, pour essayer d'avancer, nous avons plutôt essayé de jouer sur les organismes existants en les incitant à se regrouper, en introduisant aussi davantage de chefs d'entreprises dans leurs organes de gestion. Nous espérons ainsi faire avancer un peu les choses plutôt que de se buter en étant trop radical.

M. Emmanuel KESSLER

Nous allons encore entendre M. GAURIER, le patron de WILROAD TELECOM, puis nous passerons à la deuxième partie de cette table ronde.

M. Michel GAURIER

Nous sommes en plein dans le parcours de recherche de fonds. J'ai entendu parler de subventions et de crédits bancaires. Je ne pense pas que ce soit là véritablement ce qu'il faut faire pour les start up, malheureusement. Ce dont elles ont besoin, ce sont de véritables fonds propres. Il ne me viendrait pas à l'idée d'aller voir mon banquier pour lui demander un crédit aujourd'hui, ce serait trop compliqué et il me demanderait des garanties sur mes capitaux personnels. Si j'ai à faire des avances personnelles, je les ferai par des avances en compte courant, mais de toute façon, nous mettons un point d'honneur à ce que nos comptes bancaires soient toujours créditeurs.

Les subventions, c'est la même chose : on n'en a pas besoin. Un projet sain doit pouvoir se financer par ses capitaux propres. Si des subventions viennent sur des projets spécifiques, c'est tant mieux et c'est bon à prendre. Mais ce que je demande, et je le redis encore une fois simplement, puisque l'État m'oblige à payer la TVA le 23 du mois, c'est qu'il s'oblige à me rembourser la TVA qu'il me doit le 23 du mois suivant. Le vrai problème des start up aujourd'hui, c'est de présenter, comme l'a rappelé le sénateur LAFFITTE tout à l'heure, un projet à des fonds de capital risque - il y en a de plus en plus aujourd'hui - mais en dessous de 20 millions de francs, cela ne les intéresse pas. Les fonds sont tous d'environ 300, 400 millions, voire 1 milliard pour les mieux dotés. Ces fonds sont en général dirigés par trois personnes. Vous voyez donc tout de suite le nombre de dossiers que ces trois personnes peuvent étudier. En dessous de 20 millions, ils ne regardent même pas les dossiers. Tout le problème d'une start up, c'est d'exister entre le temps t-zéro où le chef d'entreprise a une idée et puis le temps « t-zéro plus douze mois » environ, où il est capable de présenter un dossier de capital risque. Il faut exister pendant douze mois et il faut réunir les capitaux propres. Et c'est le rôle du réseau des business angels qui est en train de se mettre en place. Heureusement, il y a aujourd'hui une génération de gens qui ont créé avec succès des entreprises, qui les ont revendues, et qui se trouvent à la tête d'un petit capital qu'ils peuvent placer dans d'autres entreprises, avec leurs conseils, le cas échéant. Il est plus que jamais important de pouvoir compter sur ce réseau de business angels. Leur avantage par rapport aux capitaux risqueurs, c'est qu'ils peuvent entrer dans les entreprises au premier tour de table et ne pas payer de primes d'émission ou très peu.

Tout ce qui peut être fait aujourd'hui va permettre aux business angels d'intervenir, et d'intervenir rapidement, parce que le besoin d'argent est immédiat, et pas à échéance de dix ou douze mois. Et sur ce point l'État, avec des incitations fiscales, peut nous aider.

M. Emmanuel KESSLER

Il faudrait peut-être trouver un équivalent français aux business angels. On pourrait parler d'investisseurs providentiels. Quelqu'un veut-il ajouter un mot ? Ensuite on passera à la seconde partie de cette discussion.

Mme Marie-Annick PENINON

Je suis déléguée générale de l'AFIC (l'Association Française des Investisseurs en Capital). Je voulais répondre à deux ou trois commentaires qui ont été faits ce matin. D'abord dire que nous soutenons la proposition de loi dont a parlé le sénateur GRIGNON et confirmer à l'orateur précédent qu'à partir du moment où l'on mutualise de l'argent de porteurs privés, il faut en effet que cela se fasse à travers des structures d'investissement de type FCPR. Cela permet de répondre à la question précédente : comment, pour un jeune créateur d'entreprises ou un créateur d'entreprises moins jeune, trouver de l'argent ? Les FCPP, s'ils voient le jour, seront une des réponses. Je veux aussi inviter les chefs d'entreprises à regarder les statistiques de la profession d'investisseur financier en France. Ces personnes investissent en moyenne autour de 2 milliards de francs par an dans la création d'entreprises et j'insiste sur le terme de création mais il est clair que la mise moyenne n'est pas de 20 millions. Elle est plus près de 3 ou 4 millions. Notre association représente à peu près 90 % du métier en France. C'est dire que nos statistiques sont à la fois fiables et intéressantes. Les investisseurs financiers ne sont pas prêts à apporter systématiquement 20, 50 ou 100 millions. Le développement des fonds est là pour prouver qu'à la fois ils répondent aux besoins et qu'ils ont les outils spécifiques pour le faire.

M. Emmanuel KESSLER

Vous êtes nombreux à vouloir intervenir. Je propose que l'on passe à la seconde séquence et que l'on aborde les aspects fiscaux de la création d'entreprise. Il en a déjà été question tout à l'heure, avec les questions de TVA, et puis, on l'a bien senti, il y a aussi une demande de la part de ceux qui sont prêts à mettre des fonds dans les entreprises. Nous allons donc essayer d'entrer un peu plus dans le vif du sujet.

Mme Christine FONTANET (Responsable de la communication ENTREPRISE & PROGRÈS)

Entreprise et Progrès a beaucoup travaillé sur les business angels, les investisseurs providentiels. Nous avons notamment organisé un colloque le 2 décembre à l'Assemblée nationale en présence de Laurent FABIUS. NOUS avons proposé toute une série de mesures extrêmement simples, pour inciter les particuliers à investir dans la création d'entreprises.

M. Emmanuel KESSLER

Pouvez-vous en citer une parmi d'autres ?

Mme Christine FQNTANET

Une mesure toute simple : aucun plafonnement pour les pertes.

M. ROBERT (Chef d'entreprise)

J'ai eu à financer, au cours des vingt dernières années dans ma vie, trois types de projets avec trois types de financement différents et je suis aujourd'hui président d'une PME-PMI. J'ai d'abord eu à financer un magasin de distribution. À titre personnel, je n'avais pas d'apport et il était très difficile de trouver un financement de mon côté. C'est le système coopératif qui m'a permis de le faire : un certain nombre de gens ayant les mêmes métiers, la même activité, les mêmes intérêts, se mettent ensemble, se portent caution les uns pour les autres. Ensuite, ils vont voir un banquier et lui disent : voilà, on est un certain nombre. Si l'un de nous est défaillant, on reprend les crédits, on reprend tout ce qu'on vous doit et cela vous permettra d'avoir une garantie. Sans cette garantie-là, il n'y a pas de développement. La somme que j'avais empruntée à l'époque était de l'ordre de 15 millions de francs. C'est un système qui est long à mettre en place, fondé sur la cooptation. Mais si vous faites partie de ce groupement, vous trouverez un financement. Sans cela, il n'y a pas de financement.

J'ai eu, quelques années plus tard, à trouver un financement pour une société de promotion. Aucun financement n'est possible sans engagement personnel. Je l'ai apporté à titre de fonds propres. Les sommes étaient plus modestes, de l'ordre de 2 millions de francs. Mais sans l'apport de fonds personnels, il n'y avait pas de démarrage possible dans cette activité. Pour le troisième financement, de l'ordre d'une douzaine de millions de francs, il y a environ trois ou quatre ans, j'ai été aidé par une société de capital-risque. J'ai apporté de l'argent personnel à titre de fonds propres, et les capitaux risqueurs, vu mon expérience, m'ont suivi dans le rachat d'une entreprise.

Ce que je retiens de ces diverses expériences, c'est qu'il ne faut pas compter sur le financement des banques, banques de dépôt et autres, que tout le monde connaît. Ces gens-là ne sont, à mon avis, pas compétents pour financer des entreprises privées pour des projets privés. Aujourd'hui les sociétés de capital-risque sont énormément développées. Tout est plus facile tant les mentalités ont évolué. Et si vous avez un bon projet, vous pouvez trouver de l'argent. Et cela ne se limite pas aux gros projets - à 20 millions, comme on l'a entendu tout à l'heure ; même 2 ou 3 millions de francs, on les trouve. De toute façon, il faut avoir une crédibilité, une expérience, éventuellement même donner sa caution personnelle. C'est très français et cela ne se retrouve pas dans d'autres pays. On a dit qu'il fallait simplifier. C'est vrai, il faut tout simplifier. Les anglo-saxons ont une approche très pragmatique des choses. Mon entreprise compte une trentaine de personnes. Or il y a une ou deux personnes qui sont payées uniquement pour remplir des formulaires, pour régler des questions administratives et qui ne produisent rien. Je suis bien content qu'elles soient avec nous mais je pense que cet argent-là, j'aimerais mieux pouvoir l'investir dans l'innovation, dans la création de brevets. À cet égard, la fiscalité n'est pas très incitative non plus. Et c'est une question que je voudrais poser aux sénateurs. Quand vous investissez 2 à 3 millions de francs pour un brevet, pour une recherche, que vous travaillez avec des designers, des sociétés spécialisées dans les brevets d'étude et autres, il n'y a pas suffisamment d'incitation dans ce domaine. Pour toutes les PME-PMI qui sont en concurrence avec d'autres sociétés, quel que soit leur secteur d'activité, leur donner un avantage fiscal quand elles investissent permettrait de créer une vraie dynamique.

M. Emmanuel KESSLER

Votre témoignage traduit le souci d'un certain nombre de dirigeants d'entreprise. Y a-t-il d'autres questions ? Essayez d'être brefs pour que les sénateurs, mais aussi les chefs d'entreprise présents à la tribune puissent vous répondre et s'exprimer sur ces questions d'incitation fiscale.

Un intervenant dans la salle

Jeune créateur de cabinet-conseil, je me sens particulièrement concerné par les débats d'aujourd'hui. Je suis dans la période « 0 + 12 mois » qui a été mentionnée tout à l'heure et je rencontre d'énormes difficultés pour trouver des financements. Je suis un ancien gérant de fonds de pension aux États-Unis, où j'ai vécu pendant plusieurs années, et j'ai constaté en discutant avec beaucoup d'entreprises cotées en Bourse, qui venaient nous chercher pour avoir des financements, qu'elles avaient d'énormes problèmes de communication avec les gérants et les analystes financiers. J'ai donc ouvert un bureau de conseil pour les aider à dire ce qu'il fallait dire au marché, pour que le marché ne réagisse pas négativement aux résultats d'une entreprise, à une acquisition qu'elle fait, à un projet d'investissement dans tel ou tel pays, à une crise qui peut se produire en Asie, au Brésil, etc.. Or, je me suis aperçu qu'un projet qui répond à une demande, qui n'a pas besoin fondamentalement de gros capitaux puisqu'il n'y a pas de grosses machines à acheter, par exemple, qu'un tel projet donc, n'arrive pas à trouver sur le marché des banques ou des particuliers prêts à y mettre de l'argent alors qu'il peut rapporter beaucoup.

Ce colloque est très intéressant parce qu'il aborde beaucoup de sujets. J'ai cru comprendre que pour certains, les avantages fiscaux pouvaient se substituer à l'apport en capital, en fonds propres. Je pense que ce n'est pas vrai. L'avantage fiscal ne peut remplacer le soutien d'une trésorerie, ce n'est pas possible. Lorsqu'on a besoin d'argent, c'est de cash dont on a besoin. Même si l'on fait des baisses d'impôt, des abattements fiscaux ou tout ce que vous voulez, cela ne peut remplacer un apport en trésorerie. Cela peut être un prêt, cela peut être une subvention, cela peut être un apport en fonds propres, mais le besoin d'une trésorerie pour financer son activité est fondamental. Il est économique. Il est là. Il ne peut pas être remplacé par moins d'impôt. C'est ce que j'avais à dire.

M. Philippe MANIÈRE

On s'est sans doute mal compris. Ce que je voulais dire, c'est que plutôt que de subventionner les entreprises, il valait mieux accorder des avantages fiscaux aux gens qui leur apporteraient de l'argent en capital. Donc, il ne s'agissait naturellement pas de faire des promesses fiscales pour l'avenir mais de permettre un financement en fonds propres plutôt que de donner de l'argent public ou d'aider par des financements publics. Je comprends bien que le besoin élémentaire d'une entreprise qui démarre et qui a peu ou pas de recettes, c'est le cash. Mais il y a deux possibilités : soit la collectivité publique lui donne de l'argent, et c'est ce que qui a été évoqué par un certain nombre d'intervenants, soit la collectivité publique co-finance en accordant un avantage fiscal à celui qui investit, mais en lui laissant le choix de l'investissement. Soit, c'est du soutien à l'aide privée, soit c'est de l'aide publique. Je disais simplement qu'il valait mieux soutenir l'aide privée que de faire de l'aide publique. Mais de toute façon, il s'agit d'investir en fonds propres.

M. Emmanuel KESSLER

De l'incitation fiscale pour ceux qui vont apporter des capitaux à une entreprise en train de se créer, qu'en pensez-vous, Monsieur LEPELTIER ?

M. Serge LEPELTIER (Sénateur R.P.R. du Cher)

Il y a dans notre fiscalité un exemple qui a très bien fonctionné, c'est l'amortissement « Périssol » dans l'immobilier. Si on reprenait ce mécanisme pour favoriser l'innovation, on arriverait sans doute à quelque chose de très positif. Dans l'immobilier, on attendait depuis des années un changement de situation. Le « Périssol », pour la première fois, a permis une défiscalisation sur le capital investi et non plus sur les intérêts. Ça, c'est très important. Quelqu'un qui investit dans une entreprise a, de ce fait, un crédit d'impôt personnel et c'est le grand changement. Et c'est ce à quoi il faudra aboutir. Ce qui existe avec les fonds communs de placement, c'est trop limité, c'est trop plafonné. Il faudrait aller beaucoup plus loin.

M. Emmanuel KESSLER

Vous pensez qu'on pourrait avoir une mesure aussi forte - j'allais presque dire aussi « grand public » - que l'amortissement Périssol ?

M. Serge LEPELTIER

Je crois que c'est ce vers quoi il faut aller et essayer d'en convaincre le Gouvernement.

Dans l'immobilier, que je connais bien pour des raisons professionnelles, on n'en sortait pas. Bercy nous disait : il n'est pas question d'avoir des crédits d'impôt sur du capital investi, on enrichit le capitaliste. On ne voulait défiscaliser que les charges, c'est-à-dire les intérêts financiers et non pas l'investissement en capital. Or, pour aller vers « monsieur tout le monde », il faudrait qu'il ait intérêt à investir au lieu de payer des impôts, tout simplement, qu'il investisse dans des entreprises.

M. Philippe MANIÈRE

Nous sommes au coeur du sujet : dès lors qu'on veut favoriser quelque chose par des mesures fiscales, il faut assumer le fait qu'on fait un cadeau aux riches, et en France, c'est assez difficile. Mais il ne faut pas rêver, ce ne sont pas les pauvres qui vont financer les entreprises. Les pauvres ne seront jamais des business angels. Puisque ce sont les riches qui ont de l'argent, il faut bien s'y résigner. Aucune mesure permettant de soutenir la création d'entreprises par de l'argent privé ne sera possible tant que le consensus social se fera en France autour de l'idée qu'il ne faut pas faire de cadeau aux riches. Lorsqu'on a réussi à briser ce tabou pour quelque chose qui, à mon avis, est dépourvu de tout intérêt, c'est-à-dire l'immobilier - il n'y a rien de plus improductif que l'immobilier - même si cela fait travailler des tas de gens. Pourquoi ne pourrait-on le faire pour la création d'entreprises, ce qui est incontestablement beaucoup plus utile ?

M. Serge LEPELTIER

Je ne suis pas du tout de votre avis sur l'immobilier, cela fait travailler beaucoup d'entreprises de bâtiment et à l'époque où cette mesure a été décidée, ce secteur connaissait une grave dépression. Cela dit, je vous rejoins néanmoins, il faut, dans le secteur de l'innovation, jouer sur l'investissement en capital.

M. Emmanuel KESSLER

Que pense M. LORIDANT de ce débat sur l'aide fiscale à la création d'entreprises ? Jusqu'à quelle limite peut-on aller ?

M. Paul LORIDANT (Sénateur Communiste Républicain et Citoyen de l'Essonne)

Je crains d'être le « vilain canard », je ne suis pas d'accord sur grand chose dans ce débat. Je voudrais d'abord rappeler un certain nombre de choses. Avant d'être sénateur, je travaillais à la Banque de France, dans la banque des banques. Or, une banque, sauf erreur de ma part, est une entreprise comme une autre, elle ne doit pas perdre d'argent. On est d'accord. Dans ces conditions, le B-A BA du banquier, que l'on apprend à l'école interne à la Banque de France, c'est d'être prêt à vous prêter tout l'argent que vous voulez, et même à la fin des fins à perdre ses intérêts, à condition de retrouver son principal. Je suis désolé de vous dire des choses aussi basiques mais un banquier, il veut retrouver son principal. Vous pouvez être start up, créateur d'entreprise, si vous-même ne voulez pas perdre d'argent, a priori, il vous faut intégrer ce raisonnement-là.

Deuxième point : il me semble que dans notre pays, il y a des institutions dont le rôle est d'apporter des fonds propres, le vrai problème étant celui des fonds propres. Il y a eu les SDR, (sociétés de développement régional), créées en 1955 par Edgar FAURE. Elles avaient d'abord pour seule mission d'apporter des fonds propres aux entreprises ; puis on a dévié pour leur permettre de faire des prêts. Ces sociétés, au bout d'un moment, n'arrivaient pas à renouveler leur stock d'entreprises à financer. Elles ont presque toutes été rachetées par des banques ou par des groupements financiers. Aujourd'hui on crée des structures spécifiques pour apporter des fonds propres. Je crois qu'il faut les favoriser ainsi que les particuliers qui apportent des fonds. Sans doute à travers des avantages fiscaux. Mais je veux qu'on soit bien d'accord sur un point, c'est qu'il y a là des risques de perte et qu'il n'est pas question de venir compenser ces pertes. Nous connaissons bien le mode de raisonnement de nos concitoyens, notamment ceux qui ont de l'argent - les riches - et c'est vrai qu'il faut que les riches apportent de l'argent dans les capitaux à risques. Si l'on a un avantage fiscal pour investir dans des entreprises à capitaux risqués, une fois que la perte est constatée, et nécessairement il y aura des pertes, parce que statistiquement toutes les start up ne peuvent pas réussir, jamais on ne doit pouvoir demander une compensation au cas où cela tourne à la catastrophe. Sinon ce serait fiscaliser ou socialiser les pertes et puis enregistrer les bénéfices. Je crois qu'il faut qu'on soit bien d'accord là-dessus.

Cela dit, moi personnellement, au vu de mon petit séjour en entreprise, une chose m'a frappé : l'entreprise WIN, dont le patron est Bruno MARTINEZ, avec 10 ou 12 salariés et 8 millions de chiffres d'affaires, c'est vraiment la start up toute petite. Cette entreprise est évidemment vulnérable puisqu'elle démarre. Mais sa principale vulnérabilité vient du fait que toute sa richesse repose sur le dirigeant et sur les salariés. Le départ de l'un d'eux, pour une raison ou une autre, peut potentiellement la mettre en péril. Ce qu'il faut, me semble-t-il, dans les start up qui démarrent, c'est consolider le capital humain et, même si les salaires sont corrects, ils ne sont pas à la hauteur de l'investissement que font les personnels dans l'entreprise. Il me semble qu'il y a là un vrai débat, le débat sur les stock options qui doit être abordé avec beaucoup de lucidité, de sérénité. À mes yeux, il importe de prendre des mesures fiscales de stock options pour les entreprises débutantes. Pour les grands PDG, c'est un autre problème... Mais pour favoriser la création des entreprises, j'ai une proposition simple, provocatrice, qui ne plairait pas à mes chefs de parti à gauche mais que je défends moi : des stock options à hauteur de 500 000 F par an, renouvelables chaque année, et au-delà des 500 000 F, la fiscalité de droit commun. C'est tout simple, et cela permettrait aux start up de recruter du personnel et de bien le rémunérer. Je voudrais bien que vous répondiez à cette proposition qui est finalement assez provocatrice pour le secrétaire général du Mouvement des Citoyens dont le président est Jean-Pierre Chevènement.

M. Emmanuel KESSLER

On est « transcourants », on dépasse les clivages politiques.

M. Serge LEPELTIER

C'est la notion de risque qui est importante, le risque pris à titre personnel. Quand je parlais de défiscaliser l'investissement en capital, je ne pensais pas qu'il serait possible de le récupérer si on l'a perdu. Or, la défiscalisation au départ, ce serait déjà une grande chose. On ne va pas gagner deux fois, c'est évident.

Deuxième point, je suis d'accord avec vous pour dire qu'une banque, son objectif c'est de gagner de l'argent. Mais il y a aussi la prise de risques. Peut-on gagner de l'argent sans prendre de risques ? Or les banques aujourd'hui, on le constate avec le système très français des cautions personnelles, ne veulent pas prendre de risques. Quitte à vendre aux enchères la maison de la grand-mère si les choses tournent mal. C'est proprement scandaleux. Je ne reproche pas, au contraire, aux banques de vouloir gagner de l'argent et de récupérer leur capital, mais il faut aussi qu'elles prennent leurs risques sur des dossiers sains sans systématiquement demander la caution personnelle.

M. Paul LORIDANT

Ce débat me rajeunit de vingt ans, quand j'ai été reçu au concours d'entrée à la Banque de France, où l'on forme les cadres. Ce qu'on apprend à un jeune cadre de banque, c'est que si le chef d'entreprise a un patrimoine et qu'il veut créer une entreprise, mais ne pas mettre d'argent dans sa création d'entreprise, pourquoi voudriez-vous qu'un tiers, le banquier, le fasse ? La règle de base, c'est : tu veux 100 de crédit, tu apportes 100. Si tu n'apportes pas 100, tu apportes 50, je t'apporte 50. Je te fais confiance dans la création de « ta » boîte, à hauteur de la confiance que tu y fais toi-même. C'est un raisonnement simple, simpliste peut-être, mais qui veut dire ce qu'il veut dire. Si vous n'avez pas confiance dans l'entreprise que vous créez, pourquoi voulez-vous qu'un banquier ou un tiers veuille mettre de l'argent dedans ? Après il y a le débat, qui est un vrai débat, sur la création d'une start up pour laquelle il faut trouver un autre système - et c'est le rôle des fonds de placement à risque.

M. Serge LEPELTIER

Il y a risque et risque. Celui du banquier est financier. Le risque de la caution, c'est 30 ou 40 ans de sa vie personnelle, cela va beaucoup plus loin. Le risque du banquier, après tout, c'est le risque de l'actionnaire, de rapporteur de capital, ou alors il y a des discours qui ne sont pas cohérents.

M. Emmanuel KESSLER

Voilà un très beau débat. Demandons à Philippe MANIÈRE de l'arbitrer.

M. Philippe MANIÈRE

Je ne vais pas l'arbitrer, seulement dire un petit mot. Il me semble que quand le banquier prête, il ne prête pas au prix auquel l'État emprunte, au coût de sa propre collecte. Il rajoute ce qu'on appelle le coût du risque, c'est-à-dire qu'il est censé mutualiser le risque de ses débiteurs. Alors, on ne peut à la fois dire, je vous fais payer le risque statistique et je ne prends pas de risques parce que j'ai une caution. Cela étant, je suis obligé, pour être fidèle à mes propres convictions, de dire que s'il y avait de la place pour quelqu'un qui prête autrement et mieux, probablement que cela se ferait. Sur un marché, on peut s'étonner que perdurent de telles pratiques aussi généralement prohibitives du soutien aux entreprises privées. Pourquoi n'y a-t-il pas une banque un peu plus maligne que les autres ? Probablement elle gagnerait de l'argent. Je ne suis pas spécialiste du droit bancaire mais peut-être des dispositions obligent-elles les banques à demander des cautions. S'il est vrai que les banques font payer deux fois le risque, une première fois par le surcoût par rapport au coût de la collecte, une seconde fois par la caution, il y a probablement de la place pour quelqu'un qui gagnerait quand même de l'argent.

M. Bruno MARTINEZ (PDG de la société WIN)

Ce que je voulais retenir, pour ma part, et cela me fait très plaisir que ce soit le sénateur LORIDANT qui en ait parlé, ce sont les stocks options. Quand on raisonne en termes de petite société, de petite équipe, il paraît évident qu'il faut accepter que les fruits futurs soient partagés, que le rêve du créateur soit partagé par l'équipe. Les mesures proposées me paraissent assez bonnes, un montant de l'ordre de 500 000 F exonéré d'impôt, mais on pourrait aller plus haut, je ne serais pas contre. Ce sont de tels principes qu'il faudrait défendre. Quand on se retrouve dans une petite équipe, on ne parle pas des 35 heures, ce qui est le sujet d'une autre table ronde, - il n'y a pas de 35 heures. On a un projet en commun, on est mobilisé sur ce projet, on fait des efforts et il faut que tout le monde puisse profiter, ensuite, de la réussite probable. C'est, pour moi, le point le plus important. Le problème de la caution, je l'ai traité d'une manière un « peu particulière. On a autofinancé la réalisation des logiciels en faisant de l'ingénierie - on est dans l'informatique. Quand on veut financer un projet, le premier moyen, c'est de gagner de l'argent. Et puis il y a le crédit d'impôt recherche qui vous évite de payer des impôts quand vous avez investi dans un projet innovant. Vous êtes exonéré d'impôt, mais vous devez quand même le payer. Cela peut paraître aberrant, mais, par exemple, l'année dernière, on a été exonéré de 400 000 F d'impôt ; on a payé 400 000 F d'impôt. Cette année, je ne connais pas encore exactement les chiffres, mais il est très probable que sur le plan de la trésorerie, j'aurai environ 600 000 à 700 000 F qui seront « coincés » alors que je bénéficie d'un crédit d'impôt recherche.

M. Emmanuel KESSLER

Monsieur VISSAC, vous êtes sénateur de Haute-Loire, et vous étiez chez M SAT, entreprise qui fabrique des cartes et des photos satellites pour les revendre aux professionnels et aux particuliers via Internet. Cette société a un projet important pour l'an 2000 au sujet duquel son patron, M. MASSELOT nous dira peut-être un mot tout à l'heure. Quel est votre sentiment sur cette expérience et sur les questions que nous abordons ? Mais quelqu'un demande la parole...

Un intervenant dans la salle

Je voudrais intervenir à propos du crédit d'impôt recherche. Nous nous sommes vus refuser cet avantage au prétexte que nous n'avions pas déposé au préalable au ministère de l'industrie une demande d'acceptation de notre brevet. Il faut donc savoir qu'il y a une petite formalité à accomplir que la plupart des gens qui constituent leur entreprise, leur société ne connaissent pas. Et pourtant, si elle n'est pas accomplie, elle vous fait passer à côté du crédit d'impôt recherche !

M. Emmanuel KESSLER

Voilà un témoignage intéressant qui rejoint les préoccupations relatives à la simplification mais aussi à l'information du créateur d'entreprise.

M. Guy VISSAC (Sénateur R.P.R. de la Haute-Loire)

Je suis sénateur d'un département très rural, celui de la Haute-Loire, qui ne manque cependant pas d'entreprises. Dans celle que j'ai visitée, l'entreprise M SAT à Clermont-Ferrand, j'ai trouvé au bout de dix ans d'activité une ambition très forte de tripler son chiffre d'affaires dans les quelques années qui viennent. Là, il va y avoir des difficultés. M. MASSELOT vous le dira tout à l'heure. Cette entreprise traite de la photo satellite, et la revend, non seulement en Europe, mais dans le monde entier. Je veux dire aussi que je suis, avec quelques maires, pilote d'un syndicat d'industrialisation. Pourquoi ? Parce qu'en milieu très rural, la collectivité est obligée de s'investir, non seulement dans l'immobilier, mais parfois dans le matériel, pour que les entreprises puissent s'installer. Nous en sommes à 17 ateliers relais en 12 ans dans mon secteur. Se pose ici le même problème, celui de la garantie - et c'est la caution. Nous ne savons plus comment faire car les banques ne prennent pas de risque mais nous laissent le prendre. Alors il y a danger. Nous sommes avertis par les trésoriers payeurs généraux, nous sommes avertis par les services fiscaux de ne pas aller plus loin parce que nous avons une hauteur d'endettement qui ne nous le permet pas. Pour régler ce problème, il faudrait qu'il y ait des risques partagés entre des fonds de garantie, qui viendraient peut-être de la collectivité en général ou peut-être de l'État, mais aussi des banques locales. Il s'agit d'aménagement du territoire, le Conseil régional d'Auvergne possède tout un arsenal dont j'ai largement utilisé les fonds pour l'aide à l'installation, le recrutement de cadres, le fonds de garantie et même l'aide à l'innovation. De plus nous avons pratiqué quelque chose qui me semble être essentiel pour les entreprises, à savoir la baisse des charges. Avec une baisse de 10 % des charges sociales, on aide à la création d'emplois de production. Il y a eu une véritable envolée sur ce dossier et 4.000 créations d'emplois.

Je crois qu'il faut aller plus loin, même si l'on trouve des artifices comme l'exonération, dont on n'a pas parlé, de la taxe professionnelle sur cinq ans et c'est possible pour la création d'entreprise. L'entreprise se portera mieux quand il y aura une baisse des charges sociales qui sont trop importantes en France.

M. Emmanuel KESSLER

On va demander à M. MASSELOT, qui vous a accueilli dans son entreprise, son sentiment à la fois sur cette expérience et sur ce débat.

M. Laurent MASSELOT (Président directeur général de M SAT)

Je voulais tout d'abord remercier M. VISSAC de son « flash publicitaire ».

M. Emmanuel KESSLER

Vous le voyez, il y a une bonne entente entre les sénateurs et les chefs d'entreprise. Il n'y a plus cette coupure entre le monde politique et le monde de l'entreprise, c'est terminé maintenant.

M. Laurent MASSELOT

Je ferai d'abord une remarque à propos des banquiers. N'importe quelle activité, innovante ou non, a besoin de banquiers, et pour avoir un banquier, - c'est un peu comme un animal sauvage, pour l'apprivoiser il ne faut pas l'endormir, il ne faut pas lui donner de la nourriture empoisonnée, il faut le rassurer tout simplement et pour le rassurer, il faut qu'il ne soit pas tout seul. Pas tout seul à prêter. Il faut donc des fonds propres et quand on n'a pas de fonds propres, c'était mon cas, il faut en trouver auprès des capitaux risqueurs ou auprès de l'ANVAR qui accorde des aides à l'innovation. Pour une activité qui n'est pas innovante, cela ne marche pas. Et il n'y a pas de banquier. C'est un peu le serpent qui se mord la queue. Alors, moi je me posais simplement une question : quand j'ai créé M SAT, les subventions, les aides, les capitaux risqueurs étaient réservés à des codes APE industriels. À l'époque l'innovation était peut-être dans l'industrie mais aujourd'hui elle l'est aussi beaucoup dans les services. Une entreprise de services peut-elle avoir des aides à l'innovation de I'ANVAR, des subventions, des aides régionales, des aides en fonds propres ? Quoi qu'il en soit, quand on a tout cela, on a des banquiers, parce les banquiers, s'ils sont rassurés, prêtent. Et j'ai vu, au cours de mes onze ans d'expérience, des banquiers extraordinaires - il y en a - et qui prennent des risques, dès lors qu'ils ne les prennent pas seuls. Ils en prennent aussi parce que la SOFARIS leur garantit la moitié du risque - et c'est bien mieux qu'une maison de campagne en caution !

Permettez-moi une anecdote à propos des aménagements fiscaux, non pas pour faire une mauvaise publicité au fisc, mais simplement pour dire que le fisc n'est pas vraiment du côté de l'entrepreneur. Notre entreprise fait du traitement d'images satellites. Nous avons donc chez nous des gens, des êtres humains avec des mains et cinq doigts à chaque main, qui manipulent les ordinateurs pour transformer des images - qui sont illisibles quand on les achète - en une autre image, beaucoup plus belle, qui n'a pas les mêmes limites que la première, bref, une oeuvre de l'esprit telle que définie par le code fiscal. Or, nous avons eu un contrôle de la TVA. Puisque nous vendons les droits d'utilisation de nos images à des chaînes de télé, nous nous considérons comme auteurs et nous facturons la TVA à 5,5 %, comme un photographe qui vend sa photo. Eh bien, nous avons eu un redressement de 300 000 F. Le tribunal administratif est là pour régler le litige et nous allons gagner ce procès. Mais, ce qui est magique, c'est que nous avons dû avancer les 300 000 F avant que le procès soit terminé. C'est-à-dire que le fisc est le seul organisme au monde qui peut demander l'argent alors que le litige n'est pas jugé. Lorsqu'un fournisseur vous fait un procès, pour être payé il faut qu'il gagne en instance, en appel, voire en cassation. Mais pour le fisc, comme le procès dure dix ans, ce sont dix ans de trésorerie. Alors quand on m'a dit, c'est fabuleux l'État va vous payer des intérêts compensatoires bien supérieurs à ce que vous gagneriez avec une SICAV, j'ai eu envie de gifler mon interlocuteur.

M. Emmanuel KESSLER

Mieux vaut dire que les bras vous en tombent, pour ne pas avoir de mauvais geste... C'est une magnifique histoire.

M. Laurent MASSELOT

Voilà qui aide magnifiquement une entreprise à croître et je voulais vous en faire part...

M. Emmanuel KESSLER

Merci de ce témoignage tout à fait édifiant. Encore deux questions et M. ANGLADE fera la synthèse de ce débat et en tirera les grands enseignements, en nous faisant part de ses propositions et de ses suggestions.

M. FONTANA

Je voulais juste soulever une question qui n'a pas été abordée : ce qui est porteur dans une entreprise, c'est son projet. Or capitaliser pour vendre et investir ailleurs, n'est-ce pas antinomique avec la notion de projet d'entreprise ? Et quid des bourses d'accueil au sein d'une entreprise pour favoriser l'éclosion des nouveaux projets ? Ne serait ce pas une question à creuser ?

M. TICHE

La tarte à la crème de la journée, et elle est typiquement française, c'est l'allégement fiscal. Or, je pense que la demande d'allégement fiscal est proportionnelle à la pression fiscale. La meilleure façon de se passer d'allégements fiscaux c'est de diminuer la pression fiscale. Alors qu'on le dise à M. FABIUS, c'est bien là le fond du problème.

M. Pierre-Bernard ANGLADE (PDG de PRICEWATERHOUSE COOPERS)

Je crois qu'il est très important de souligner à nouveau, parce que trop souvent on l'oublie, c'est que la prise de risque, cela veut dire risque de perte. C'est cela le risque de l'entrepreneur et il en est bien conscient. Il a donc besoin d'avoir du capital et il est évident qu'en matière économique, le capital dur ce qu'on appelle le capital dur et sain, lui permet de faire levier, et c'est là où le banquier intervient. On peut donc travailler avec les deux. Cela dit la prise de risque peut, dans certains environnements, être protégée, favorisée et aidée. En effet la création de richesses entraîne la création d'emplois, des impositions supplémentaires, tout un cercle vertueux qui s'amorce. Il est donc intéressant d'aider à la création de richesses. Il y a des mesures à prendre mais la première est de faire en sorte que la fiscalité ne soit pas un frein, en éliminant tous les éléments négatifs - les contrôles, le côté « tatillon », l'incompréhension, la remise en cause d'avantages accordés par le législateur, comme les crédits d'impôts. Il y a un énorme contentieux sur les crédits d'impôts. Alors que le législateur a été extrêmement clair, l'administration est très pointilleuse dans l'application qu'elle fait de la loi.

La deuxième chose qu'on peut demander au législateur, car c'est dans son rôle, c'est d'accompagner et d'aider à accompagner la constitution du capital. Souvent ce n'est pas la peine de réinventer la roue. Des mécanismes existent. Il suffit de bien les utiliser et de les rendre plus lisibles et plus généraux. La possibilité d'aide au capital des PME existe même si elle est extrêmement limitée dans les montants. De nombreuses propositions ont été faites qui semblent aller dans le sens d'un accroissement. D'autres mesures pourraient très bien stimuler encore, et puis, en fin de compte, il y a des plus-values qui se réalisent et peuvent être réinvesties. La fiscalité peut faciliter ce réinvestissement sans que pour autant les plus-values échappent totalement à l'impôt. Voilà pour les entreprises. Quant aux personnes privées, on voit l'intérêt de leur participation dans ce qu'on appelle les start up. Et les start up, ce sont des personnes qui ont des idées. Et ces idées, il faut qu'on les aide à les mettre en oeuvre ici, sinon, avec la concurrence, ils vont le faire ailleurs, aux États-Unis ou en Angleterre. Puisque nous avons pu, avec notre système éducatif, produire une génération de jeunes qui ont envie d'entreprendre, nous disposons d'un fantastique potentiel que nous devons aider. Ce n'est pas tendre la sébile, c'est simplement dire : tous les acteurs économiques vont participer. Pour aider une start up, on a parlé tout à l'heure des incubateurs, mais, il y a le risque de mortalité. Pour aider une entreprise qui démarre, qui a rencontré beaucoup de difficultés, chacun doit jouer son rôle, et nous-mêmes, sociétés de services, nous jouons notre rôle. Nous permettons à ces start up de se concentrer sur leur métier. Nous nous chargeons de l'administration, de la gestion, e la complexité des déclarations, etc. Et au lieu de facturer ce service sous forme d'honoraires, nous disons : nous aussi, nous prenons le risque. Nous allons vous aider à vous développer. Si cela marche, tant mieux, et nous aurons notre part ; si cela ne marche pas, tant pis, nous prenons nos risques. Je crois que tous les intervenants de la chaîne économique doivent accepter cette prise de risque.

M. Emmanuel KESSLER

Je crois que ce que vous souhaitez aussi pour le monde de l'entreprise, c'est une relative stabilité législative, en tout cas une visibilité, peut-être pas à long terme parce qu'il est normal que les choses évoluent et qu'elles changent, mais au moins à moyen terme par rapport au rythme de fonctionnement d'une entreprise.

M. Pierre-Bernard ANGLADE

Tout à fait, parce qu'avec les stop and go, on ne peut pas gérer. Il faudrait définir des grandes lignes et s'y tenir. Avec des changements incessants on désespère les gens et quand on désespère les gens, ils font autre chose ou ils partent. Il y a un phénomène qui peut paraître choquant, celui de la fuite des cerveaux, vers les États-Unis notamment, pour créer des entreprises faute de pouvoir le faire dans l'environnement français. Là, nous avons une perte...

M. Emmanuel KESSLER

Ce n'est pas que de l'idéologie... vous en avez la preuve...

M. Pierre-Bernard ANGLADE

Oui, nous nous bornons à constater. Nous sommes des conseillers juridiques et fiscaux. Nous voyons comment les gens réagissent, comment et où ils logent leurs entreprises. Ils nous interrogent et à partir du moment où nous leur avons dit comment cela fonctionnait, ils nous disent : eh bien, écoutez, c'est plus intéressant, je vais là-bas.

M. Paul LORIDANT

Vous me permettrez un mot d'humour...

M. Emmanuel KESSLER

Pour terminer, c'est parfait.

M. Paul LORIDANT

Si l'on ne veut pas changer de ligne fiscale, il ne faut pas changer de majorité. Donc, il ne faut plus faire d'élections ou bien ne pas dissoudre. Mais c'est impossible, parce qu'il faut que de temps en temps le suffrage universel s'exerce pour éventuellement permettre des alternances. Et s'il y a alternance, il y a nécessairement instabilité fiscale.

M. Emmanuel KESSLER

Merci à tous pour la clarté et la pertinence de vos propos. La difficulté dans ce genre de séance, c'est d'accorder une pause. Après la pause vous retrouverez mon confrère Nicolas CRESPELLE pour la deuxième table ronde sur les relations PME-PMI et la grande distribution.

II. L'APPLICATION DES 35 HEURES

Table ronde animée par M. François LENGLET, directeur adjoint de la rédaction de L'Expansion en présence de M. Bertrand PICCARD, aéronaute

Flexibilité de la politique salariale

Sénateurs participant à la table ronde :

M. Jean-Patrick COURTOIS (RPR) sénateur de la Saône et Loire

M. Jean-Paul DELEVOYE (RPR) sénateur du Pas-de-Calais,

Mme Anne HEINIS (RI) sénateur de la Manche

M. Alain LAMBERT (UC) président de la commission des Finances,
sénateur de l'Orne,

Chefs d'entreprise participant à la table ronde :

M. Henri CAVE, président-directeur général de la société Allemand Industrie M. Philippe LABBÉ, directeur général de la société Mc Donald's

Création d'emplois et délocalisation

Sénateurs participant à la table ronde :

M. Jean DELANEAU (RI) président de la commission des Affaires sociales,

sénateur de l'Indre et Loire,

M. Pierre HERISSON (UC) sénateur de Haute Savoie

M. Philippe MARINI (RPR) rapporteur général de la commission des Finances,

sénateur de l'Oise,

Chefs d'entreprise participant à la table ronde :

M. François MORTEGOUTTE, président-directeur général

de la société Les Maçons Parisiens

M. Joël PETILLON, président-directeur général de la société Kindy

M. Jean-Philippe RAVANEL, président-directeur général

de la société Avis Fleet Service

M. François LENGLET (Directeur adjoint, chargé de la macroéconomie - L'EXPANSION)

Les rencontres sénatoriales de l'entreprise dues à l'initiative du Sénat ont pour objet de rapprocher deux mondes qui ne se connaissent pas très bien, le monde des politiques et celui des entreprises. D'un côté, on se plaint souvent que le législateur ne connaît pas bien les réalités de la gestion même des entreprises ou de la macro-économie. Et de l'autre côté, les politiques disent que les entreprises s'intéressent à eux quand elles ont besoin de subventions, mais qu'elles font peu de cas des contraintes sociales ou sociétales qui s'imposent aux élus.

C'est donc une initiative intéressante et nouvelle que celle qui a permis à trente sénateurs de faire un stage d'immersion dans l'entreprise, d'un ou deux jours, des sénateurs de toutes tendances politiques et des entreprises aussi de toute taille, à la fois PME et grands groupes industriels.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais demander un témoignage à l'un de nos sénateurs, peut-être Mme HEINIS qui nous dirait très brièvement comment elle a ressenti cette expérience et le profit qu'elle en a tiré.

Mme Anne HEINIS (Sénateur Républicain et Indépendant de la Manche)

J'ai personnellement ressenti cette expérience comme quelque chose d'extrêmement intéressant. En définitive, c'est la rencontre entre la pratique et la théorie, la possibilité d'écouter les gens, de les rencontrer sur le terrain et de voir comment les choses se passent « en vrai » - quel rapport il y a entre l'idée qu'on se fait des choses et la réalité. C'est l'enseignement majeur que j'en ai retiré. C'est bien ce que j'allais chercher et c'est ce que j'ai trouvé grâce aux gens qui m'ont accueillie - que M. CAVÉ soit particulièrement remercié.

M. François LENGLET

Voilà donc une expérience qui a été jugée utile. Les 35 heures, vous le savez, sont entrées en vigueur hier. C'est une loi extrêmement controversée dans le monde des entreprises : elle a été jugée contraignante, très complexe et difficile à appliquer et, en somme, conçue par des gens qui n'avaient justement pas l'expérience de la réalité de l'entreprise. D'un autre côté, on sait qu'elle est majoritairement approuvée par les salariés : quand vous leurs proposez de travailler moins pour le même salaire, s'ils n'approuvaient pas, ce serait un petit peu mystérieux !

Nous allons donc explorer en deux temps les problèmes et les avantages de cette loi et d'abord les conditions de sa mise en en application dans l'entreprise. Tout au long de la matinée, nous serons accompagnés de Bertrand PICCARD qui est notre « saventurier » des temps modernes et qui a fait le tour du monde en ballon, ce qui nous aidera à prendre un peu de hauteur... et qui interviendra pour donner son sentiment en tant que témoin de la société civile. Je vais tout de suite donner la parole à un chef d'entreprise qui est pris dans la bataille de la compétition mondiale, sur un « créneau » où le coût du travail a une très forte importance, pour qu'il nous explique brièvement comment il a surmonté cette contrainte nouvelle.

M. Henri CAVE (Président directeur général de l'entreprise ALLEMAND)

L'entreprise ALLEMAND INDUSTRIE est une industrie de la chaussure, basée en Vendée. Elle emploie 600 personnes, dont 400 en France, 200 à l'étranger, notre délocalisation ayant commencé en 1996. L'entreprise de 400 personnes est située dans un village de 750 habitants. Le groupe fait 300 millions de chiffre d'affaires ; il est le cinquième ou sixième fabricant français. L'entreprise a été créée en 1947 ; elle a 52 ans. J'ai succédé au fondateur en 1988, il m'a donné pour instructions de maintenir l'entreprise ; il m'a consenti un crédit-vendeur : c'est comme ça que ça se passe à la campagne.

Notre stratégie, c'est la création, l'innovation, la politique de marque. Nous avons une licence d'une marque très connue. Nous sommes obligés de nous battre sur le marché international mais nous souhaitons rester industriels pour garder le savoir-faire de cinquante années d'existence.

Avant 1993, 95 % de notre production était vendue en France et puis nos marges ont fondu. Actuellement 80 % des chaussures sont importées : une chaussure sur deux en France arrive d'Asie, une chaussure sur trois arrive de Chine Populaire, où les prix de main-d'oeuvre sont plus bas. L'obtention en 1993 d'une licence a permis de développer notre chiffre d'affaires, - avec 75 % en France et 25 % à l'extérieur - mais la dégradation des marges a continué, surtout avec nos produits habituels à prix moyens. Nous avons donc délocalisé à partir de 1996 en Roumanie, où nous avons maintenant 130 personnes, et en Tunisie où l'on va passer à 70 personnes.

Aujourd'hui, en 1999, 75 % de notre production se fait hors de France. L'emploi est tant bien que mal préservé alors que deux grands groupes de la chaussure ont déposé leur bilan en 1999. Il y a eu 2 600 licenciements dans le secteur sur 12 000 personnes. Le problème de notre industrie de main-d'oeuvre est d'être soumise à la concurrence internationale, ce qui nous oblige à faire des efforts de productivité très importants. Les gains de productivité ont déjà été faits, avant les 35 heures, sinon on ne serait plus là.

M. François LENGLET

Pouvez-nous nous expliquer comment vous avez mis en place les 35 heures, comment vous êtes passés de 39 à 35 heures et si vous avez, parallèlement, gagné en flexibilité ?

M. Henri CAVE

Je vais répondre, mais les 35 heures moi, je ne les fais pas ! Nous avons discuté d'un accord en mai 1999 portant sur 35 heures payées 38, puis les syndicats m'ont dit : il faut prendre les aides. On a fait notre calcul : 3 heures gratuites à 53 F de l'heure pour 52 semaines, plus 40 % de charges sociales, cela fait 11 500 F ; les aides étant de 12 500 F (12 000 F avant le 1 er juillet), le gain était de 1 000 F ; mais la deuxième année, avec moins 2 500 F, c'était déjà la perte. En six ans, en prenant les aides AUBRY, il fallait, quand même rajouter 8 millions de francs et, pour 35 heures payées 39 heures, 17 millions de francs. Donc, on a dit : « on n'a pas les moyens : on reste à 39 heures ».

On a attendu la deuxième loi parce que ça avait l'air de « cafouiller » un peu au niveau du Parlement. Récemment, le carnet de commandes s'est très bien rempli grâce à la décentralisation accrue. Nous avons du travail jusqu'à fin octobre. Nous avons donc essayé de rester à 39 heures mais, comme l'entreprise ne marche pas trop mal, et que le délégué régional d'un syndicat, que je ne nommerai pas, a voulu « marquer le coup », il m'a déposé un préavis de grève. C'est la première grève dans l'entreprise en 52 ans dans un pays de 750 habitants. Il ne s'agit pas des 35 heures mais simplement de la suppression du salaire lié au rendement. Je suis d'accord là-dessus mais, pour l'instant, je n'ai pas trouvé d'autre solution, alors nous ne faisons pas les 35 heures.

M. François LENGLET

Nous reviendrons sur le détail de votre expérience mais je voudrais d'abord entendre M. COURTOIS qui me disait, juste avant que nous ne nous retrouvions ici : si on avait voulu prouver que cette loi ne marchait pas, on ne s'y serait pas pris autrement. C'est un petit peu ce qu'illustre le témoignage de M. CAVÉ.

M. Jean-Patrick COURTOIS (Sénateur R.P.R. de la Saône-et-Loire)

Oui, tout à fait. Et je crois que si l'on voulait prouver qu'une loi autoritaire donnerait des résultats catastrophiques, il suffirait de regarder la situation dans notre pays où il y avait hier un grand nombre d'entreprises en grève. Je crois que dans le domaine social, il faut privilégier le dialogue et regarder les possibilités techniques et financières d'une entreprise. En aucun cas un cadre juridique beaucoup trop rigide ne peut imposer dans de bonnes conditions un phénomène aussi complexe que les 35 heures. Les conséquences sont très difficiles à imaginer. C'est sur le terrain qu'on les voit. Je crois que la loi aurait dû dessiner un cadre général et laisser le soin à chaque entreprise de négocier avec les syndicats dans quelles conditions on pouvait effectivement appliquer ces 35 heures.

M. François LENGLET

Monsieur LAMBERT, vous qui êtes un sénateur qui connaît très bien l'économie, comment réagissez-vous à ce témoignage d'un chef d'entreprise ? Aviez-vous soupçonné des difficultés aussi complexes quand vous avez vu passer cette loi ?

M. Alain LAMBERT (Sénateur Union Centriste de l'Orne - Président de la commission des Finances du Sénat)

Cela fait longtemps que je pense, parce que je suis juriste, qu'on ne peut pas se servir du droit pour faire de l'économie. C'est une chimère de penser qu'il suffit de voter un texte pour décider de la création d'emplois. Je crois que plus on fait d'études dans ce pays, plus on rêve. En fait, ce sont les entrepreneurs qui créent les emplois, et derrière les entrepreneurs ce sont les consommateurs. Et ce ne sont pas des bureaux à Paris, ça ne peut pas être le Parlement qui créera les emplois. Il faut donc que nous revenions aux choses simples de la vie.

Ce que je voudrais souligner, c'est le désamour qui est en train de naître entre la France qui entreprend et les pouvoirs publics. La crainte qui est la mienne, c'est de voir que le pays de l'entreprise, le pays entreprenant, se désespère de ses dirigeants. Cela s'explique par une dérive liée au fait qu'aujourd'hui la loi n'est plus le fruit des représentants que vous élisez tous les cinq ans, ou tous les neuf ans, selon la chambre du Parlement. C'est le Gouvernement, c'est-à-dire l'exécutif, qui se pique de faire le bien dans le pays selon des méthodes qu'il croit bonnes parce que ses technocrates ont réussi à tous les concours et pensent détenir la vérité en tout. Il y a aussi l'application trop stricte de ce qu'on appelle le « fait majoritaire », c'est-à-dire qu'au Parlement, si vous ne soutenez pas le Gouvernement dans la majorité à laquelle vous appartenez, vous êtes réputé être un traître. Si les Français n'essaient pas de clarifier un peu leur pensée, nous allons continuer à produire de la norme juridique et fiscale, prétendant favoriser le développement de l'économie et la création de l'emploi, mais en faisant le contraire. Moi, cela me laisse pantois mais je ne veux pas désespérer.

M. François LENGLET

Je vous remercie Monsieur LAMBERT pour cette mise en perspective. Monsieur LABBÉ, VOUS êtes responsable de MCDONALD'S, une entreprise intéressante à bien des titres. D'abord parce qu'elle a créé beaucoup d'emplois en France, au cours des dernières années, et ensuite parce qu'elle cristallise, on l'a vu encore à DAVOS récemment avec le «casse» qui a été fait par les manifestants, elle cristallise l'inquiétude des Européens face à une mondialisation que l'on croit dangereuse et inéluctable. Que pensez-vous des propos du sénateur LAMBERT ? Avez-vous, vous aussi, l'impression de ne pas être compris par nos dirigeants et par le personnel politique, la classe politique dans son ensemble lorsque vous avez à appliquer une loi comme celle des 35 heures ?

M. Philippe LABBÉ (Directeur général de MCDONALD `S France)

Je voudrais d'abord saluer l'initiative de M. PONCELET et le courage de M. DELEVOYE d'avoir accepté de faire un stage dans une entreprise qui est tellement décriée par certains. MCDONALD'S a une particularité, celle d'avoir une « visibilité » mondiale. D'un autre côté, c'est une entreprise multilocale. MCDONALD'S en France, ce sont 31 500 emplois avec une moyenne d'âge d'à peu près 25 ans, et ce sont des emplois qui sont proposés par des PME, 800 PME, qui réalisent environ 14 millions de francs de chiffre d'affaires et emploient de 30 à 50 personnes. Nous sommes donc très présents sur le marché de l'emploi. L'année dernière encore nous avons offert une perspective de carrière à environ 3 000 jeunes.

Un commentaire sur la loi sur les 35 heures. Je suis d'accord avec le Sénateur LAMBERT en ce qui concerne les modalités et la façon dont cette loi a été conçue mais, comme responsable d'une entreprise de service, je ne peux que me féliciter de la réduction du temps de travail. Qui dit réduction du temps de travail dit augmentation du temps de loisirs et par conséquent, des perspectives pour les entreprises de services. Je crois, en revanche, qu'elle va engendrer bon nombre de modifications dans les comportements et accélérer des mutations en matière de consommation de services. Je n'en prendrai qu'un seul exemple, dans un autre secteur de notre branche d'activité, la restauration collective. Celle-ci va souffrir des 35 heures puisqu'un restaurant d'entreprise, qui trouvait un équilibre économique sur cinq jours de restauration pour le personnel, va voir pour un même coût 20 % de sa restauration disparaître. Comme acteur de la restauration commerciale, je ne pourrais certes que m'en féliciter. Mais je trouve que cette loi risque de renforcer encore les grandes entreprises. Les modes d'application sont tels qu'il faut avoir une « batterie » de juristes en droit social pour les comprendre. Même les partenaires sociaux se sont aperçus de l'extrême complexité de cette loi. Cela veut dire quoi ? Que seules les grandes entreprises qui disposent de ressources humaines pour gérer les 35 heures s'en sortiront mais que les PME auront bien du mal à le faire. Dans une entreprise de 20 à 100 personnes, il n'y a pas forcément un responsable des ressources humaines compétent pour gérer cette loi. C'est là un problème majeur.

M. François LENGLET

Bertrand PICCARD, juste un petit mot. Vu du ciel, comment analyse-t-on cette situation dans laquelle le Parlement traite de questions qui sont du ressort des syndicats et des chefs d'entreprise ?

M. Bertrand PICCARD

« Vu du ciel », ce n'est pas seulement une notion spatiale mais aussi une notion temporelle. Il y a un siècle, nous n'aurions pas parlé du passage des 39 heures aux 35 heures mais du passage des 108 heures par semaine à 90 probablement. Depuis lors, nous avons introduit des vacances et le problème a été résolu par une croissance assez colossale : nous pouvions travailler moins en remplaçant l'homme par la machine. Le gain était en même temps pour la machine et pour l'individu car la croissance permettait de compenser. La question est de savoir combien de temps on pourra continuer à augmenter notre productivité, d'autant que se pose désormais le problème de la protection de l'environnement. Comme me le disait tout récemment José BOVÉ au forum de Davos, le souci de toujours vouloir aider les pays pauvres à devenir riches ne manquera pas de se traduire par des conséquences écologiques. Augmenter la consommation, c'est aussi augmenter la pollution. Le dialogue politique est complètement bloqué si l'on reste au niveau économique.

M. Alain LAMBERT

Avez-vous le sentiment que nous vivons dans un village planétaire ? Nos compatriotes sont en compétition avec nos semblables du monde entier. Et si vous n'en tenez pas compte, vous risquez de voir leur niveau de vie baisser. Moi je pense que nous pourrions vivre heureux avec un niveau de vie moindre, mais ayons la loyauté de le leur dire. N'allez pas faire croire aux gens qu'ils peuvent travailler moins en gardant leur niveau de vie actuel. Ce serait les tromper.

M. Henri CAVÉ

Moi, les 35 heures je suis fondamentalement pour, mais le tout est de savoir qui paye. Si je n'ai pas appliqué la loi, c'est que je ne veux pas prendre les aides. En 1996, j'ai pris les aides du plan Borotra. Une convention a été passée avec l'État. Aujourd'hui, il nous demande le remboursement de ces aides. Moi, je n'ai plus confiance en l'État. Les aides, j'ai calculé que cela me coûtait 8 millions de francs ; 35 heures payées 39, mon entreprise ne peut se le permettre. J'ai donc décidé depuis 1996 de délocaliser pour maintenir l'emploi. Mais aujourd'hui, je ne pourrai pas avec les 35 heures maintenir l'emploi en France. Tout le monde m'a dit - même un préfet me l'a dit - on comprend que vous délocalisiez la production mais je vais vous dire plus : bien sûr qu'il faut délocaliser la production. Une main d'oeuvre à 600 francs en Roumanie, des gens qui travaillent très bien et coûtent 8 millions de francs par an, par rapport à une main d'oeuvre en France qui coûte 150 millions de francs par an, cela incite à délocaliser l'emploi. Mais je vais aller plus loin encore, je vais délocaliser l'entreprise. Si je reste, je suis mort. Maintenant, le problème pour moi n'est pas de savoir si je vais partir mais quand je vais partir. Ce qui m'embête, c'est que je suis Français, que j'ai travaillé 52 ans dans un village pour des gens qui font grève aujourd'hui. Bien sûr, je les comprends un peu parce qu'ils ne savent plus très bien où l'on va. Mais puisqu'on a fait l'Europe et l'euro, moi, je vais aller en Europe, par exemple en Espagne où il y a 29 % de charges sociales, alors qu'en France c'est 40 %. Quand la direction financière sera à Barcelone, on pourra travailler normalement parce qu'effectivement, on vit dans un village planétaire, comme le disait le sénateur Lambert tout à l'heure. On est en compétition mondiale. Moi, je suis une petite entreprise. Je n'ai pas de grandes idées mais simplement j'ai du personnel ; je veux le garder et je veux garder les emplois. Moi, mon caveau de famille est à la campagne et je serai enterré en France ; mais mon entreprise ne sera plus française si rien n'est fait.

M. François LENGLET

Le Sénateur LAMBERT et Monsieur CAVÉ ont exprimé, chacun à leur manière, la contradiction qu'il y a entre les règles ou les contraintes de la microéconomie de la gestion d'une entreprise et puis les idéaux à la fois sociaux et mondialistes dont vous nous avez fait part. Voyez-vous une façon de les réconcilier ?

M. Bertrand PICCARD

Étant étranger et suisse, je ne vais pas vous donner de conseils, ce serait mal venu. Lorsqu'on veut travailler moins pour le même prix, il faut que ce soit dans une logique où cela est possible. Or, on ne s'est pas, vu de l'extérieur en tout cas, vraiment rendu compte si la logique était respectée à ce niveau là. La décision a été politique : il s'agissait d'appliquer un programme. Or, pourquoi la politique veut-elle répondre à la question de la liberté individuelle ou de la responsabilité individuelle ? On pourrait très bien imaginer que certaines personnes aient envie de travailler plus pour gagner plus et avoir moins de temps libre parce que ce sont des gens qui s'ennuient dans la vie. J'ai été psychiatre avant d'être aéronaute et je peux vous dire que beaucoup de gens s'ennuient dans la vie et que leur principal but est de travailler. Il y a d'autres gens pour qui l'argent n'est pas du tout la question fondamentale et qui préfèrent travailler moins, quitte à avoir un niveau de vie plus bas. Par conséquent, on pourrait très bien imaginer, en faisant une étude peut-être plus psychologique que politique ou économique, que le nombre de gens qui veulent travailler plus équilibre celui des gens qui veulent travailler moins et qu'on en arrive à un équilibre satisfaisant pour tout le monde. Mais je n'ai pas l'impression que cette question a été vraiment posée.

En fait, je le répète, la décision a été politique. Et, à cet égard, on entre dans un clivage qui, vu du côté suisse, est toujours très impressionnant quand on regarde nos voisins européens, mais également américains ou asiatiques.

Pourquoi est-on forcément ou de gauche ou de droite ? Pourquoi surtout, quand on a choisi son camp, ne peut-on pas être parfois en admiration devant les idées du parti opposé - parce que de temps en temps, le parti opposé a raison, quel qu'il soit.

Dans l'exécutif suisse, il y a des représentants de la gauche et de la droite, répartis selon une clé permanente : 5 sièges de droite et 2 sièges de gauche. Dans le conseil fédéral, il y a donc des ministres de plusieurs couleurs politiques. Cela permet, avant même que les débats s'engagent, sur le plan syndical, sur le plan social, et aboutissent à des grèves, de réaliser déjà un consensus. Il n'y a aucun problème pour que quelqu'un de droite dise : « écoutez aujourd'hui, je trouve que l'idée de gauche est intéressante » et que, le lendemain, le représentant socialiste dise : « moi je me rallie pour aujourd'hui à l'idée économique du représentant de droite ».

On arrive ainsi à diminuer le clivage et je crois que, lorsqu'on parle de la stabilité de la communauté suisse, sur le plan financier, social, etc., ce n'est pas pour rien. Si nous avons ce qu'on appelle une « paix du travail », c'est grâce au mélange des différences. Ce n'est jamais dans le clivage et la cristallisation qu'on obtient des résultats positifs.

M. François LENGLET

Je vous remercie pour cet éloge du modèle suisse. J'aimerais bien entendre Mme HEINIS et M. COURTOIS sur les 35 heures, vues du côté des salariés, puisque vous avez, l'un et l'autre, été « immergés » en entreprise. Comment font-ils la balance, l'équilibre entre leur souhait quasi unanime de travailler moins pour le même prix et leur propre perception des contraintes de l'entreprise ?

Mme Anne HEINIS

Je veux d'abord dire à M. PICCARD que j'ai été très intéressée par sa démonstration sur le système suisse qui illustre très bien l'idée selon laquelle il y a la logique politique et administrative, celle des idées, et la logique de la réalité. Les deux sont utiles. Comment les faire se rencontrer ?

Le point de vue des salariés sur les 35 heures, d'après ce que j'ai pu recueillir comme témoignages, c'est d'abord l'enthousiasme. Après tout, être payé 39 heures et faire 35 heures, qui ne serait ravi ? Cela lui donnera du temps libre et il fera autre chose. Et puis on réfléchit et l'on se dit : pourrais-je faire autre chose ? Et puis on s'interroge : qu'est-ce que c'est que cette histoire ; pourquoi est-ce la loi qui intervient ? Et l'on en arrive à la révolte. À partir du moment où - je vous parle de choses que j'ai suivies - la négociation va entrer dans l'entreprise, ce n'est pas ce qu'on avait espéré. « Et pourquoi voulez-vous nous imposer cela ? ». Et il y a une déception : « mais ce n'est pas ce qu'on a demandé, ce qu'on a voulu ». Et ils voient les inconvénients du système. Ils pensent qu'on les a leurrés et maintenant, ils ont du mal à retomber sur leurs pieds.

M. Jean-Patrick COURTOIS

Je crois qu'il y a une confusion entre le nombre d'heures légales et le nombre d'heures de travail que veulent effectuer les gens. Tout le monde est d'accord, en gros, pour travailler 35 heures en nombre d'heures légales. Mais beaucoup de salariés voudraient continuer de travailler en heures effectives 40 heures car cela leur permettrait de toucher un complément. J'ai dans mon canton une entreprise d'agro-alimentaire qui, notamment, a besoin de travailler plus au moment de Noël ou de Pâques, or les ouvriers ont été extrêmement déçus en cette fin d'année lorsque le patron de l'entreprise a été obligé d'embaucher des gens pour une durée d'un mois. Un double problème s'est posé : il y a eu des difficultés pour trouver des gens qui acceptaient de ne travailler qu'un mois et cela a privé les salariés déjà en place d'avoir un chèque supplémentaire en janvier.

M. François LENGLET

Finalement, les gens sont contents de faire des heures supplémentaires parce que cela leur procure un revenu plus substantiel.

M. Jean-Patrick COURTOIS

Bien sûr. Et les gens disaient : si au mois de décembre, on travaille beaucoup, au mois de janvier on a une prime d'heures supplémentaires qui est tout à fait importante. Même chose pour la période de Pâques. Alors je crois qu'on va passer très rapidement à la période de désillusion parce que je crois qu'il y a une incompréhension totale entre ce que veulent les gens sur le terrain et ce qu'a voulu faire le législateur par cette loi qui, à mon avis, est beaucoup trop autoritaire et ne correspond pas aux voeux des salariés.

M. François LENGLET

M. LABBÉ, dites-nous un mot sur la réaction des salariés et la façon dont ils ont pris ces aménagements.

M. Philippe LABBÉ

En ce qui concerne les équipes qui travaillent dans nos restaurants, dans un secteur qui est réputé difficile, puisqu'il s'agit d'être au service du client pratiquement sept jours sur sept, le fait de pouvoir offrir 35 heures à nos salariés de la restauration à service rapide a été plutôt perçu comme un progrès sachant que nos amis de la restauration traditionnelle sont encore sur des bases de 42 heures. Les jeunes sans qualification sont souvent demandeurs pour ces métiers de service qui leur offrent un premier tremplin pour l'emploi, une première expérience professionnelle.

J'ajouterai qu'à mon sens, la loi sur les 35 heures est un facteur de modernisme absolument extraordinaire. Après avoir concentré tous les efforts informatiques pour le passage du bogue de l'an 2000, les équipes informatiques et vraisemblablement beaucoup d'entreprises de service vont se concentrer sur l'accroissement de la productivité dans les métiers de service. Dans le secteur industriel on connaît une unité d'oeuvre, l'heure/machine, et on voit aussi les conséquences de la recherche de la productivité : la délocalisation. Dans les métiers de service, celle-ci n'est pas possible donc cela veut dire qu'il va falloir énormément travailler sur la formation professionnelle des gens, sur leurs compétences, sur la normalisation des tâches et sur la flexibilité. Je crois que de ce point de vue, la France risque de perdre dans un domaine dans lequel elle n'était pas déjà très réputée et qui est la qualité du service. Je suis persuadé que la loi sur les 35 heures dans les entreprises de services aura un effet inflationniste et je suis surpris qu'on prenne des dispositions qui visent à renchérir le coût horaire du travail dans un secteur dans lequel ont ne peut pas faire de délocalisations. On peut certes se féliciter d'avoir 60 millions de touristes par an, mais, ce qui m'intéresserait surtout de savoir, c'est combien de temps ils passent sur notre territoire, s'ils ne font pas que passer et combien ils dépensent dans les entreprises de l'hôtellerie, de la restauration, dans les différents types de services. De ce point de vue là, je crains, je le répète, que la France perde un peu de sa compétitivité par rapport à une clientèle européenne.

M. François LENGLET

Je signale d'ailleurs que les entreprises de commerce, hôtellerie et restauration, sont celles qui ont signé le plus d'accords de 35 heures, ce qui corrobore votre propos.

Monsieur LAMBERT, vous nous disiez tout à l'heure qu'il n'appartient pas au Parlement de créer des emplois. Au vu de tous ces témoignages, ne peut-on pas regretter que la France ait peine à définir un contrat social alors que nos voisins européens l'ont fait, semble-t-il avec plus de facilité et plus d'efficacité ?

M. Alain LAMBERT

Oui. Et cela répond un peu à la proposition de M. PICCARD tout à l'heure qui craignait que le monde politique ne sache pas suffisamment dialoguer ou ne s'écoute pas mutuellement. Cela doit être en effet le cas, mais c'est peut-être aussi parce que les médias donnent davantage d'écho à ce qui divise qu'à ce qui peut rassembler. Moi, ce que je voudrais dire, c'est qu'il y a des choses que la loi est seule à pouvoir faire, mais qu'il y a des choses qu'il ne faut surtout pas qu'elle fasse. S'agissant de l'économie, de la performance économique, il faut laisser aux partenaires sociaux la marge de dialogue la plus large possible. Et le législateur, la loi n'auront de légitimité à intervenir que dès lors qu'il y aura une rupture du dialogue et que seule l'autorité publique permettra de renouer les fils du dialogue.

Je crois vraiment que l'exemple des 35 heures doit nous servir à méditer sur la manière d'organiser notre société pour l'avenir, le siècle nouveau, le millénaire nouveau. 35 heures, c'est de l'arithmétique. Cela n'a pas vraiment de sens. Ce qui a un sens, c'est sans doute l'aménagement du temps de travail. Cela aurait été une belle idée, en effet, d'inviter l'économie française à travailler sur ce sujet.

Et voilà qu'avec nos réflexes centralisateurs, on se dit : « les partenaires sociaux, ils ne vont pas savoir faire ça ; les chefs d'entreprise, les représentants des salariés, ils ne vont pas savoir faire ça. Nous, on va tellement mieux savoir ». Est-ce qu'on détient la vérité ? Alors on va faire une loi, une grande loi, qui va s'appliquer à tout le monde, et de la même manière. Eh bien c'est une faute de méthode. Pour autant je ne suis pas résigné quant à l'avenir de mon pays, parce que vous avez dit quelque chose, Monsieur PICCARD, qui m'a beaucoup touché sur l'avenir des générations futures. Si nous n'inscrivons pas celui-ci dans nos décisions politiques d'aujourd'hui, le jugement de l'histoire sera terrible à notre endroit.

Alors, Mesdames et Messieurs les chefs d'entreprise, moi qui suis parlementaire, je voudrais vous dire la chose suivante : le monde politique est plus conscient qu'on ne le croit ou en tout cas qu'on ne le dit, qu'il ne saura pas organiser la réussite de vos entreprises et la création d'emplois dans notre pays. Le monde politique est conscient qu'il vaut mieux vous laisser le soin, avec les partenaires `sociaux, d'élaborer le meilleur contrat social possible pour que nos entreprises soient les meilleures dans le cadre de la concurrence qui est désormais mondiale. Cela nous appelle, nous, à rester dans le domaine qui est le nôtre et pour lequel nous sommes irremplaçables, c'est-à-dire le règlement des conflits. Je crois qu'il faut que la loi soit une loi-cadre. Les partenaires étant invités, au quotidien, à élaborer le contrat qui sera, comme vous l'avez appelé tout à l'heure, le contrat social pour le succès de la France.

M. François LENGLET

Merci pour cette ébauche du nouveau contrat. Nous allons clore ici le premier temps de la matinée. Bertrand PICCARD veut-il apporter le point d'orgue ?

M. Bertrand PICCARD

Non, le point d'orgue, c'est vous qui allez le mettre. J'ai juste une intervention à faire sous la forme d'une question. Est-ce que parmi les sénateurs qui ont fait des stages dans les entreprises, il y en a qui ont changé d'avis par rapport aux sujets dont on traite ? C'est-à-dire, y a-t-il des sénateurs de l'aile droite de la politique qui, après leur stage, se sont dit : « En fait, ces 35 heures, c'est quelque chose de juste », et est-ce qu'à l'inverse, des sénateurs de l'aile gauche de la politique, après leur stage dans l'entreprise, se sont dit : « Non, c'est inapplicable, ce n'est pas possible, ce n'est pas logique ». Si tel est le cas, ceux-là sont des témoins extrêmement intéressants d'une réalité économique. En revanche, si chacun est resté sur sa position, cela veut dire que le problème est purement politique, et pas du tout social, et pas du tout économique.

Mme Anne HEINIS

Je ne peux pas dire que j'ai changé d'avis, car en fait je n'étais pas sûre de mon avis. Je suis allée me renseigner et je me suis fait un avis après. Et effectivement je l'ai modulé sur un certain nombre de points, mais je n'émets pas un avis définitif. J'ai seulement dit : « Je veux voir ». Voilà.

M. François LENGLET

Pour introduire la deuxième partie du débat, je citerai quelques chiffres. Au 31 décembre 1999, donc avant l'entrée en vigueur légale des 35 heures pour les établissements de plus de 20 salariés, 20 241 accords d'entreprise sur les 35 heures avaient été signés. Ce sont les chiffres du Ministère de l'Emploi. Ces accords concernent deux millions et demi de salariés et ils ont, selon le Ministère de l'Emploi, là-dessus on peut avoir quelques doutes, mais ce sont les chiffres officiels, créé ou sauvegardé - et c'est une nuance importante - 150 000 emplois. Quelle est la ventilation par secteurs des accords signés ? Comme je l'ai dit tout à l'heure, les commerces, hôtels et restaurants, représentent 18 %, devant les services aux entreprises, une catégorie assez vaste qui regroupe des secteurs comme le nettoyage, ou... l'informatique bien entendu, avec 16 % , les industries hors métallurgie, 15 %, le secteur de la santé sociale, un nouveau secteur des services, 12 %, la construction 10 % - M. MORTEGOUTTE nous parlera de ce qui se passe dans son entreprise - et la métallurgie, 9 %. Les entreprises de plus de 1 000 salariés ne représentent qu'1 % des accords signés, mais 57 % des effectifs couverts; et 41 % des emplois créés ou sauvegardés, donc une proportion tout à fait significative. En revanche, les entreprises de 20 à 49 salariés ne représentent que 31 % des accords conclus. Ces chiffres, pour cadrer un petit peu le débat sur la création d'emplois, qui, comme vous le savez, a été assez animé pour plusieurs raisons. D'abord parce qu'il est très difficile de savoir exactement combien d'emplois ont été créés. Vous vous souvenez probablement qu'après le passage de 40 à 39 heures, il y a eu une bataille d'experts assez longue pour savoir si on avait détruit, créé, et si oui combien d'emplois. Personne n'a jamais pu se mettre d'accord sur cette question parce que la réalité micro-économique est extrêmement diverse. La polémique qui suivra l'entrée en vigueur des 35 heures sera exactement de même nature et probablement même accusée par le fait qu'il y a une sorte de bataille idéologique, comme Bertrand PICCARD l'a souligné tout à l'heure, entre deux tendances politiques, sur ce qui est un symbole politique. Est-ce qu'on peut demander au représentant de l'entreprise KINDY de nous expliquer comment cela s'est passé chez lui, et quel est le bilan en termes de création d'emplois ? Je rappelle que KINDY est une entreprise qui, comme celle de M. CAVÉ, est très exposée à la concurrence internationale, une entreprise où les coûts de main d'oeuvre comptent, de façon très importante, dans les prix de revient.

M. Joël PÉTILLON (Président directeur général de KINDY)

Je suis venu tout à l'heure vous demander : « En matière de créations d'emplois, suis-je très représentatif ? » Vous m'avez répondu « on parlera aussi de délocalisation ». Suis-je donc à la bonne table ronde ?

Cela dit, pour KINDY, que s'est-il passé au niveau de l'emploi ? Dès l'annonce de la loi, nous avons pris la décision de mener à bien des restructurations parce que notre problématique est exactement la même que celle de l'intervenant qui était assis à cette place, c'est-à-dire que nous sommes confrontés à une délocalisation. : la chaussure et la chaussette, effectivement, sont des produits qui sont assez proches, confrontés, d'une part, à une surproduction mondiale et, d'autre part, à une présence sur le marché d'intervenants qui ont des coûts de main d'oeuvre bien inférieurs aux nôtres. M. CAVÉ évoquait en Roumanie des coûts de main d'oeuvre de 600 francs mensuels à comparer avec le niveau du SMIC, plus les charges, en France. Notre première démarche a été de nous séparer d'un site. Mais en le cédant à des cadres qui ont bien voulu prendre un risque d'entrepreneurs et essayer eux-mêmes de maintenir une partie des emplois. Ce site était situé en Alsace - il l'est toujours d'ailleurs -à Dambarre La Ville ; il employait 220 personnes, et n'en emploie plus qu'une centaine. Donc, les 35 heures, chez KINDY, se sont soldées dans une première étape par 100 personnes en moins. Pour 2000, nous n'avons pas encore signé, bien évidemment, d'accord. Nous profitons de cette année de transition et nous travaillons sur le plan social sur un de nos sites dans le Nord de la France, qui s'appelle Mariner, où nous sommes également confrontés à la concurrence internationale, avec des coûts de main d'oeuvre extrêmement bas et où l'on négocie avec des partenaires sociaux très lucides, conscients des enjeux : les 35 heures, ils ne les souhaitent pas, mais on nous les impose, et cela se traduit par une hausse significative de notre prix de revient ce qui ne permet pas de poursuivre cette activité.

M. François LENGLET

Merci Monsieur PÉTILLON. Nous reviendrons tout à l'heure sur votre expérience. Je voudrais interroger Monsieur RAVANEL qui est dans un secteur tout à fait différent, mais qui a la particularité d'être la filiale française d'une entreprise américaine. Il va pouvoir nous expliquer comment les choses se passent, à la fois pour la mise en place des 35 heures et la création d'emplois. Comment se passe le dialogue avec un actionnaire qui, on l'imagine, voit les 35 heures comme une espèce d'exotisme et une manifestation de plus de la singularité économique française.

M. Jean-Philippe RAVANEL (Président directeur général de Avis Fleet Services)

Nous appartenons donc au Groupe General Electric et nous sommes une entreprise à la fois mondiale et très locale, un peu dans l'esprit de McDonald's puisqu'étant un prestataire de services. Notre métier est la location de longue durée de véhicules à destination des entreprises. En fait, cela a été très simple pour nous. La politique du Groupe General Electric est d'augmenter ses résultats de 15 % par an. Il n'était donc pas imaginable pour moi de proposer des plans pour 2000-2001 et les années suivantes, en réduction de profit. Notre approche des 35 heures a consisté à proposer aux collaborateurs soit des réductions de salaire, puisque la loi nous y autorisait, soit de trouver tous ensemble des gains de productivité pour couvrir l'écart de 10-11 %. Nous avons eu une excellente réaction du personnel de l'entreprise puisqu'à peu près la moitié des collaborateurs ont participé à des plans d'amélioration, trouvé des bonnes idées, et l'ensemble de l'entreprise s'est engagée dans cette démarche pendant l'année 1999. Nous avons pu trouver à travers des changements de systèmes d'informatique, à travers des nouveaux processus de fonctionnement la productivité que nous recherchions. Nous avons pu maintenir la politique salariale d'augmentation de salaires qui est la nôtre depuis des années mais nous n'avons procédé à aucune embauche.

M. François LENGLET

Il faut dire que vous êtes sur un marché en croissance assez forte et cela a sans doute joué favorablement pour adapter l'entreprise. Monsieur DELANEAU, vous êtes Président de la commission des sociales. Inutile de dire que vous avez suivi cette affaire des 35 heures avec beaucoup d'intérêt. Que pensez-vous de cette loi et, en particulier, de son potentiel de création d'emplois ?

M. Jean DELANEAU (Sénateur Républicain et Indépendant d'Indre-et-Loire, Président de la commission des Affaires sociales du Sénat)

C'est en effet la commission des Affaires sociales qui a été chargée de présenter la position du Sénat face au projet de loi qui nous arrivait de l'Assemblée nationale et je salue Louis SOUVET, ici présent, qui en fut le rapporteur. Je voudrais dire deux mots sur les différences entre les « Aubry 1 » et « Aubry 2 ». La première était une loi incitative qui mettait comme condition à l'intervention de l'État, la création d'emplois puisqu'il y avait des chiffres très précis : 6 % d'abattement des cotisations sociales pour 10 % de création d'emplois; 9 % pour 15 %. Cette création d'emplois était obligatoire pour obtenir des aides. Ce n'est pas le cas dans la loi Aubry 2 ; dans le texte initial du Gouvernement, le mot emploi n'apparaissait pratiquement pas dans les articles. Je le cherchais ; je l'ai trouvé une fois. Ce sont les ajouts de l'Assemblée nationale qui ont amené à poser un certain nombre de conditions. Mais quand on les regarde de près, dans la mesure où elles ne sont appuyées sur aucun pourcentage, on peut dire qu'il n'y a pas d'obligations...

M. François LENGLET

On voit cela très clairement dans les chiffres que j'ai donnés tout à l'heure : 150 000 emplois pour 2 500 000 salariés concernés ; c'est très faible.

M. Jean DELANEAU

Disons création d'emplois : 0. Le tout est que le problème ait été évoqué et cela, bien sûr, dans le cadre des accords qui peuvent être passés par les partenaires sociaux. C'est ce qui va permettre à la fois aux entreprises de s'adapter à cette loi, mais dans bien des cas, cela va dépendre - ce que le Sénat a toujours souhaité - de plusieurs conditions : que les 35 heures soient un objectif ; que les entreprises ne soient pas contraintes ; que la négociation entre les partenaires sociaux puisse aboutir, en fonction des possibilités des entreprises, en fonction de leur taille, etc.

C'est pourquoi les positions - ce que disait tout à l'heure Bertrand PICCARD - ne sont peut-être pas aussi tranchées. Vous avez parlé vous-même de symbole politique. Ce n'est pas blanc et noir. Ce n'est pas gauche et droite. Je crois que c'est beaucoup plus nuancé que cela. Les contacts qu'on a eus dans les entreprises ou qu'on avait, comme élus locaux dans nos départements, l'ont montré. Nous connaissons la diversité des entreprises et nous souhaitions un dispositif souple qui permette à nos entreprises de maintenir leur compétitivité. Là, c'est tout le problème des éventuelles délocalisations qui se pose.

M. François LENGLET

Je vais maintenant donner la parole à la salle ; y a-t-il parmi vous des gens qui ont des questions sur ce problème spécifique des créations d'emplois ou bien des témoignages à apporter qui compléteraient les éclairages que nous ont donnés nos chefs d'entreprises et nos sénateurs ?

Une intervenante

J'ai une entreprise qui s'appelle « PASSE L'ÉPONGE ». Je fais du nettoyage. Pour passer aux 35 heures petit à petit, on augmente les salaires chaque année. Au 1 er juillet, il y aura une augmentation du salaire horaire. Je ne suis pas contre le fait que les salariés gagnent plus d'argent ; mais il faut garder sa compétitivité. Même dans le secteur des services, on a besoin de lutter contre les grandes entreprises.

M. François LENGLET

Avez-vous été obligée de monter les prix à la suite de l'aménagement ?

L'intervenante de « PASSE L'ÉPONGE »

Sincèrement, on ne peut pas augmenter les tarifs sinon je perds les marchés. Mais j'ai une bonne marge et cela va certainement me permettre de passer aux 35 heures.

M. Philippe MARINI (Sénateur R.P.R. de l'Oise, Rapporteur Général du Budget du Sénat)

Moi je suis frappé par les ordres de grandeur. On dit que l'on attendrait au mieux 150 000 emplois, soyons encore plus généreux, 200 000 créations d'emplois de cette législation. Qu'est-ce que cela coûte ? En année pleine, le financement du dispositif et de ses effets induits, ce sera 110 milliards de francs. Pour moi, les créations d'emplois ne sont que l'alibi des 35 heures.

L'intervenante de « PASSE L'ÉPONGE »

Oui.

M. Philippe MARINI

Ce n'est qu'un effet éventuellement induit, marginal, et pas à la mesure des efforts réalisés. Alors qu'il y a certainement bien d'autres formules et bien d'autres solutions pour faire baisser, ce qui me semble être le problème fondamental dans une phase de croissance, le chômage structurel qui, en France, est à un niveau cruellement élevé.

M. François LENGLET

Avez-vous, Madame, touché des aides liées à l'aménagement ?

L'intervenante de « PASSE L'ÉPONGE »

Non, bien sûr que non. En tant qu'entrepreneur, je ne veux pas d'aides. De toute façon, les aides on va nous les reprendre d'une autre façon. À quoi cela sert-il d'avoir des aides si, de l'autre côté, on nous ponctionne encore plus. Ce qui compte, c'est que le pays puisse marcher en créant des emplois. Je ne pense pas qu'en augmentant les coûts salariaux, on va créer des emplois, bien au contraire. Je vais vous donner un exemple : si je passe aux 35 heures, ça veut dire que j'ai deux chantiers que je ne vais pas donner à mes employés. Je vais leur donner du salaire mais je vais perdre du résultat car je ne peux pas leur faire faire deux chantiers. Par semaine, cela me fait perdre 6 000 francs hors taxes et en plus, il faut bien que je paye mes employés. D'accord ? Alors, moi j'ai trouvé la solution : je n'embauche plus personne à temps complet. Je fais des temps partiels. Donc, mes employés vont travailler ailleurs. À trop vouloir donner du temps aux gens, un jour arrivera où ils auront beaucoup de temps, parce qu'il n'y aura plus de travail. Parce que tout le monde va délocaliser. Et c'est ça qui est grave, je crois.

M. François LENGLET

Je vais maintenant donner la parole à M. MORTEGOUTTE qui, j'imagine, connaît un peu les mêmes difficultés que les vôtres parce qu'il est dans un secteur qui n'est pas facile non plus, qui connaît une conjoncture assez bonne en ce moment mais qui a eu des problèmes et qui est, en tout état de cause, une activité très cyclique. Comment une entreprise comme la vôtre réussit-elle à concilier la nécessaire flexibilité liée à ces cycles et les contraintes imposées par la loi ?

M. François MORTEGOUTTE (Président directeur général des Maçons Parisiens)

Très difficilement. Nous sommes en effet dans une activité qui a connu sept années redoutables, une activité qui traditionnellement avait des marges nettes qui se situaient entre 0 et 2 %, ce qui est particulièrement faible dans un métier où les investissements sont lourds et dans une activité de production avec une masse salariale qui représente à peu près 50 % du prix de revient. C'est pourquoi l'application des 35 heures chez nous est quelque chose de redoutable et je pense que nous avons des points communs avec la personne qui parlait de l'activité du nettoyage. De surcroît, les « maçons parisiens » sont une coopérative ouvrière. Nous sommes donc plutôt ouverts aux aménagements sociaux. Pour autant, nous ne sommes pas particulièrement pressés d'appliquer cette loi sur les 35 heures car nous avons des contraintes tout à fait particulières. Le bâtiment, dans la région parisienne, qui est notre secteur d'activité, comporte des obstacles particuliers. Les durées journalières du travail sont limitées, sans doute à juste titre, par les municipalités, c'est-à-dire qu'on ne peut pas travailler avant 8 heures et pas après 19 heures. Nous ne pouvons donc pas faire une journée à deux équipes. Il y a aussi des contraintes de configuration de chantier puisqu'il faut, par exemple, concentrer les moyens de levage alors que les surfaces de plancher sont assez réduites. Par conséquent, il n'y a pas de grande possibilité de faire varier la durée du travail. Nous sommes « calés » sur une organisation qui remonte maintenant à plusieurs dizaines d'années et toute la réglementation est faite en fonction de cette organisation très urbaine. Cela nous pose des problèmes et il est vrai que nous aurions préféré que la loi limite le recours parfois extravagant de certaines grandes entreprises, notamment nationales, aux heures supplémentaires sans réduire le temps de travail de 39 à 35 heures. Je crois que cela aurait déjà été un grand progrès dans notre secteur d'activité.

M. François LENGLET

Bertrand PICCARD, pouvez-vous synthétiser les différents témoignages et réactions sur ce sujet ?

M. Bertrand PICCARD

Dans un débat, soit chacun expose ses idées et ensuite on regarde ce qu'on arrive à en faire et souvent cela reste équilibré ; soit chacun essaye d'entrer dans le monde de l'autre, chacun essaye d'entrer dans la manière de penser de l'autre. Je vais me permettre quelque chose de très provocant aujourd'hui, j'espère que je serai quand même réinvité, je m'excuse. Quand j'entends M. RAVANEL dire quelque chose de parfaitement exact, je me demande ce que quelqu'un qui pense exactement le contraire se dirait. Si le but de Avis est d'augmenter de 15 % le chiffre d'affaires par année et que les employés pensent que c'est justement ce qui les empêchera d'avoir plus de temps libre ou d'avoir un salaire plus haut, ils vont se dire, « mais si l'augmentation du chiffre d'affaires passe par la diminution de notre qualité de vie ou par une stagnation de notre qualité de vie, ce n'est pas possible ». Et il est clair que c'est un élément qui bloque le dialogue social. Il y a cette opposition entre le patron qui gagne et l'employé qui va gagner moins ou en tout cas pas plus. Comme je l'ai remarqué au Forum de DAVOS, ces derniers jours, le débat n'est plus, à ce niveau-là, sur le plan international ni sur le plan de la mondialisation. Avec la nouvelle économie, avec les nouveaux marchés, avec une vision plus planétaire de l'économie, il est indéniable que l'augmentation de la prospérité des entreprises dans les pays riches va aider les pays pauvres à se développer grâce à de nouvelles techniques et à de nouveaux marchés, cela devrait être également possible sur le plan national pour chaque pays. Ce qu'il faudrait arriver à démontrer, ce qui serait favorable au dialogue, c'est que l'amélioration de 15 % du chiffre d'affaires d'Avis va avoir des retombées extrêmement positives, pas seulement pour le patron, mais également pour la région, également pour les employés, également pour les citoyens qui ne travaillent pas chez Avis, également pour les clients. C'est-à-dire qu'il y aura une amélioration globale de l'économie. Le bénéfice comme le pensent trop de personnes ne va pas seulement dans la poche du patron, c'est un bénéfice social général.

M. François LENGLET

Vous parlez d'or. J'ai envie de demander à M. MARINI comment il explique le fait qu'en France on ait justement une idée de l'économie qui va à rencontre de ce que vient de dire Bertrand PICCARD. C'est-à-dire que, d'une part, on envisage les choses toujours sous un aspect conflictuel, d'autre part que l'on ait une représentation de l'économie très mécanique : il y a un certain gâteau et un certain nombre de personnes qui mangent ce gâteau ; si l'on réduit la part de chacun, on augmente le nombre des convives. C'est la métaphore exacte des 35 heures. En réalité, tous les chefs d'entreprise qui sont là, dans la salle et sur la tribune, savent que ce n'est pas vrai et que la véritable stratégie, c'est celle de croissance dont parlait M. RAVANEL. Comment expliquez-vous le fait que ces illusions d'un côté et cette crispation de l'autre sur les rapports sociaux soit encore si forte dans notre pays ?

M. Philippe MARINI

Je l'explique comme tout le monde par des facteurs culturels, par notre éducation, par le milieu dans lequel nous baignons. Nous sommes un pays où les distances entre la sphère publique et la sphère de l'entreprise s'accroissent sans cesse. Et où toutes les nouvelles législations et toutes les nouvelles contraintes conduisent à accroître encore plus la distance. Nous avons ici des chefs d'entreprise qui, chacun, exposent leur histoire particulière, leur positionnement particulier. Chaque histoire d'entreprise est singulière et chacun essaye de trouver les ingrédients dans une sorte de communauté sociale qu'est l'entreprise pour gagner des parts de marché, pour être compétitif, pour réaliser des projets. Il n'y a pas, en définitive, un projet qui soit identique à un autre. Là dessus on veut « plaquer » une législation ne varietur et contraignante. C'est bien la contradiction fondamentale de ces 35 heures. Alors, pourquoi en sommes-nous là ? Probablement parce que, dès le départ, dans les manuels d'enseignement, la vie économique reste connotée de façon négative, pour toutes sortes de raisons que chacun connaît. Il y a des sédimentations - le vieux fond thomiste et catholique, l'enseignement de la lutte des classes, toute l'histoire du syndicalisme, les ruraux du 19ème siècle qui, eux aussi, étaient anticapitalistes, bref toutes les sédimentations de notre histoire qui aboutissent à cette rupture qui ne fait que s'aggraver. J'en terminerais en disant : regardez la composition des cabinets ministériels, regardez d'où viennent les conseillers des ministres. Et je ne parle même pas, Cher président, du personnel politique, car il n'y a guère qu'au Sénat que l'on trouve, grâce aux professions libérales, aux agriculteurs et à certains chefs d'entreprise, une composante de la société civile qui pèse significativement par rapport à une composante administrative. Voilà une donnée de société qui n'est pas sans conséquence sur notre évolution économique et sur l'opinion publique.

M. François LENGLET

Je me tourne vers M. DELANEAU. Est-ce que, dans le fond, la classe politique dans son ensemble et singulièrement le législateur, c'est-à-dire les députés et les sénateurs n'ont pas une responsabilité mais une double responsabilité, d'abord parce qu'ils prennent assez rarement le soin de faire de la pédagogie économique et puis, parce que ce sont eux les auteurs de ces lois trop complexes.

M. Jean DELANEAU

Les auteurs des textes sont d'abord les membres du Gouvernement, les ministres et les services des différents ministères. Le Parlement a un pouvoir d'amendement et aussi depuis la révision constitutionnelle de 1995 un pouvoir de proposition mais dont l'évolution, le cheminement, dépendent de l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, ce qui est possible lorsqu'il y a une cohérence entre les deux assemblées mais qui ne l'est pratiquement pas dans l'autre cas. En pratique c'est le Gouvernement qui propose et nous voyons arriver des textes, je l'ai dit tout à l'heure, éventuellement modifiés par l'Assemblée nationale, avec l'accord du Gouvernement. Face à cela le Sénat a le choix entre proposer des amendements lorsqu'il peut admettre une partie importante du texte qui lui arrive, soit faire des contre-propositions. Dans l'un et l'autre cas le succès dépend de l'accord définitif de l'Assemblée nationale c'est-à-dire du Gouvernement. Donc il peut avoir un pouvoir d'incitation, d'explication, de pédagogie - c'est vrai - mais je crois aussi que le Sénat, dans tous les domaines y compris le domaine économique, a des actions très fortes à la fois pour rassembler des compétences, pour mettre face à ces gens très compétents dans les différents domaines les sénateurs. Il y a beaucoup d'échanges. J'ajoute que les sénateurs, au niveau des collectivités territoriales qu'ils représentent, sont proches du monde réel, en particulier du monde des entreprises et du monde des ouvriers. Là aussi, nous faisons beaucoup de pédagogie : quand on parle avec les uns, avec les autres, ils sont beaucoup plus du côté de la souplesse et j'allais dire de l'arrangement local plutôt que du côté de la contrainte car ils savent eux que tous les excès se retourneront contre eux.

M. François LENGLET

Y a-t-il des questions dans la salle ?

Un intervenant

Monsieur PICCARD, vous avez parlé de débat, vous avez parlé d'aller à la rencontre des autres et peut-être de changer d'avis. Il s'agit ici du débat sur une loi qui a été proposée par les socialistes. Je ne pense pas que nous ayons entendu un sénateur socialiste. N'y a-t-il donc pas de socialistes au Sénat qui puissent venir à la rencontre des chefs d'entreprises pour en débattre. Je suis un petit peu étonné.

M. François LENGLET

Nous le regrettons comme vous.

M. CORIN

Je suis membre de la Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France où je participe à la commission entreprises. J'observe qu'aujourd'hui on parle du coût de la création d'emplois par le biais des 35 heures. Mais on ne parle jamais des emplois que la loi des 35 heures a empêché de faire, de la dynamique qui a été perdue. Comment pensez-vous anticiper la problématique dans laquelle on se trouve, à savoir que nous sommes en face d'une loi qui doit normalement être appliquée alors que la revendication sociale principale, au cours des mois qui viennent, sera principalement tournée vers l'évolution des salaires et des revenus.

M. François LENGLET

Vous posez là un problème tout à fait essentiel parce que nous sommes dans une période de croissance. Le débat sur le partage des fruits de la croissance ressort et cela juste au moment où les entreprises ont besoin de serrer un peu leurs coûts à cause des 35 heures.

M. Christian PONCELET (Sénateur R.P.R. des Vosges, Président du Sénat)

Pour ma part, j'ai invité les sénateurs à se rendre dans l'entreprise, toutes tendances confondues, il y a même ici deux femmes que je salue, deux sénatrices qui sont allées en entreprise. Nous constatons en effet une chose, et c'est une question de culture : dans aucun établissement scolaire on n'enseigne les valeurs entrepreneuriales. Qu'attend-on pour commencer ? Je suis là depuis un an et demi, et je ne peux pas aller plus vite que la musique. Cela dit, nous n'avons pas de culture « entrepreneuriale ». Pourquoi ? Parce que même les grands entrepreneurs ont parfois la volonté de conduire leurs enfants, non pas vers la succession de l'entreprise mais dans une voie qu'ils considèrent comme royale : celle qui conduit à l'Inspection des Finances, à la Cour des Comptes, au Conseil d'État. Certes, cela est respectable ; cela est légitime. Mais ils devraient être les premiers à donner l'exemple en encourageant leurs enfants à acquérir cette culture entrepreneuriale. Or, que constatons-nous en France ? En 1994, il y a eu plus de 200 000 créations d'entreprise, aujourd'hui à peine 166 000. Il y a une chute des créations d'entreprise en France. Parce qu'il n'y a plus de volonté entrepreneuriale. On cherche à créer des emplois, mais où se crée le véritable emploi, celui qui est créateur de richesses, de richesses à répartir équitablement ? C'est bien dans l'entreprise. Il faut donc encourager la création d'entreprises. Or, si l'enseignement ne conduit pas à la culture entrepreneuriale, il faut aussi reconnaître que très peu d'entrepreneurs siègent dans les assemblées pour y exprimer concrètement les préoccupations des entreprises. C'est pourquoi d'ailleurs nous avons des rencontres régulières entre sénateurs et chefs d'entreprises, lesquels nous posent des questions et nous interpellent quand nous n'avons pas trouvé de réponse. Lorsqu'un chef d'entreprise - et c'est François MICHELIN - nous dit : « messieurs, moi je fabrique des pneus en France, et j'en fabrique au Portugal ; les pneus sont 28 % plus cher qu'au Portugal. J'ai un grand marché en Allemagne et je le perds - deux millions de pneus qui m'ont échappé pour aller à un concurrent parce que j'étais 1 % plus cher que lui. Que dois-je faire? Voilà une question concrète qui nous interpelle. Et bien nous essayons d'y réfléchir. J'ai dit qu'il y avait peu d'entrepreneurs qui siégeaient au Parlement, mais c'est faute d'un statut des élus. Tout cela est lié.

Le Sénat a pris l'initiative de rapprocher l'élu de l'entreprise, de différentes manières, en « immergeant » des sénateurs dans l'entreprise pendant 3 ou 4 jours, 32 d'entre eux l'ont fait, mais aussi en demandant en retour, à l'entrepreneur de venir avec nous travailler au Sénat pour se rendre compte combien il est difficile de légiférer. Un Français bien conditionné, le matin veut une chose, le soir le contraire. Il faut essayer de concilier tout cela. Voulez-vous un exemple de cette contradiction ? On nous demande de réduire les dépenses publiques. Un grand service public va supprimer le fonctionnement de la ligne des chemins de fer parce qu'elle ne transporte personne et que cela coûte cher, l'entretien des voies, le personnel. On le supprime. Le lendemain, selon la tradition française, pétitions, processions, délégations... Et je vais trouver, dans ces pétitions, délégations, etc., des chefs d'entreprise, un médecin etc. qui ne prennent pas le chemin de fer. Et pourtant, ils viennent réclamer le maintien du chemin de fer. Et les médias vont s'emparer de l'affaire. Voilà une contradiction. Il ne faut surtout pas rendre les élus locaux responsables de tout cela. Nous avons notre part de responsabilité mais chacun a la sienne.

Je suis très heureux, et je vous souhaite aux uns et aux autres une très cordiale bienvenue. Je vous remercie d'avoir accepté cette confrontation entre les élus qui sont là, qui ont été immergés dans l'entreprise, et vous-même, qui avez des responsabilités. Dites-nous ce que vous souhaitez. Il y a une loi sur les 35 heures. Elle pose problème. Mais la loi ne tombe pas du ciel. Il y a eu une consultation électorale : les formations politiques se sont présentées. L'une d'elles a dit : moi, je suis pour les 35 heures et elle a obtenu la majorité. Elle gouverne, elle fait les 35 heures. Alors, il faut peut-être que l'électeur réfléchisse. Nous, nous essayons de corriger, dans la loi, ce qui nous apparaît contraire à l'intérêt économique du pays parce que, j'y reviens, le véritable emploi, c'est l'entreprise qui le crée. C'est pourquoi aujourd'hui le Sénat se tourne davantage vers l'entreprise pour que demain nous puissions avoir une législation conforme aux préoccupations des entreprises, parce que c'est là que se trouve la véritable richesse d'un pays.

M. François LENGLET

Merci, Monsieur le président. On voit qu'effectivement les représentants de la classe politique semblent avoir désormais une conscience assez aiguë de toutes ces questions.

M. Pierre HÉRISSON (Sénateur de l'Union Centriste de Haute-Savoie)

Quelques mots d'abord pour rebondir sur la brillante intervention de notre président. J'ai été chef d'entreprise jusqu'à 47 ans. J'ai été député pendant deux ans et demi et je suis sénateur depuis 1995. Je voudrais dire à M. RAVANEL que j'ai appris des choses très intéressantes au cours de notre rencontre. La question que je me pose, et plus encore qu'avant mon séjour dans cette entreprise : y a-t-il un véritable pouvoir législatif dans notre pays, compte tenu de l'organisation de nos institutions ? L'essentiel des lois que nous votons sort de l'initiative de l'exécutif, ce qui n'est pas sans poser problème par rapport aux autres démocraties. J'ai retenu de nos conversations avec M. RAVANEL que, puisqu'il est représentant ici d'une entreprise qui est une filiale de la Général Electric, une entreprise américaine, c'est que le lobbying est très fort en amont de l'élaboration de la loi, et que lorsque la loi est votée, « la messe est dite » et l'entreprise n'a pas d'autre choix que d'appliquer la loi et d'en limiter les conséquences pour sa rentabilité ou, éventuellement, de profiter au maximum de la nouvelle loi pour améliorer son développement. Voilà quelque chose qui mérite d'être pris en compte dans notre pays où les choses ne sont pas vues avec suffisamment de transparence et de fil conducteur. Les entreprises françaises, comme celles des autres pays, donnent une priorité ou une importance à leurs prévisions en matière d'investissements, mais pas suffisamment aux prévisions en matière de ressources humaines. Je crois qu'il y a là une interrogation pour tous, que nous soyons législateurs, membres du Gouvernement, chargés de responsabilité dans l'entreprise ou dans les organisations professionnelles. L'entreprise française n'a pas suffisamment le réflexe de prévoir, à moyen et à long terme, ses investissements en ressources humaines, avec ce que cela implique en termes de modernisation, d'accès à la formation dans l'intérêt des femmes et hommes et plus particulièrement des jeunes de notre pays qui seront les acteurs des entreprises du futur.

M. François LENGLET

Bertrand PICCARD, l'insuffisante prise en compte du facteur social, voilà un thème qui rejoint un petit peu votre intervention tout à l'heure.

M. Bertrand PICCARD

Oui, l'insuffisante prise en compte du facteur social dans un contexte où l'on oublie que l'économie doit répondre aux préoccupations des deux pôles politiques. Alors, plutôt que de parler de l'histoire ou du futur, parlons juste du présent. Et j'aimerais laisser mon temps de parole à Mme BERGÉ-LAVIGNE une élue socialiste qui a été en entreprise pour qu'elle parle de son expérience. Et puis essayons de voir ce que ce dialogue pourra nous apporter.

Mme Maryse BERGÉ-LAVIGNE (Sénateur socialiste de Haute-Garonne)

Je serai très brève parce que j'interviens dans la deuxième partie. Tout en louant, Monsieur le président, l'initiative que vous avez prise d'organiser ces stages de sénateurs en entreprise, je ferai un petit reproche à cette organisation : l'entreprise ce sont, certes, les chefs d'entreprise et les dirigeants, mais aussi les salariés et nos stages ont été uniquement des rencontres avec les dirigeants.

Pour ma part, en tout cas, je parle de mon expérience et de celle de mes amis. Je regrette. J'aurais aimé participer à la table ronde sur les 35 heures car j'ai évidemment, dans l'entreprise où j'ai été, parlé de l'application des 35 heures et c'est moins négatif que tout ce que l'on a entendu ici. Je remercie M. PICCARD. J'ai bien écouté ce qu'il a dit tout à l'heure sur les nouvelles relations qu'il faut avoir, des relations modernes et je crois, aussi que l'avenir, plutôt que l'affrontement que nous connaissons culturellement, l'est sans doute dans des relations de contrat, des relations de négociation. Il faut que notre culture change.

M. François LENGLET

Je remercie tous les intervenants de la qualité de leurs témoignages.

III. LES RELATIONS DES PME-PMI AVEC LA GRANDE DISTRIBUTION

Table ronde animée par M. Nicolas CRESPELLE, directeur du journal L'Hémicycle en présence de M. Philippe MANIÈRE, rédacteur en chef du journal Le Point

Les entreprises en question

Sénateurs participant à la table ronde :

M. Jean BIZET (RPR) sénateur de la Manche

M. Jean BOYER (RI) sénateur de l'Isère

M. Louis de BROISSIA (RPR) sénateur de la Côte d'Or

M. Alain JOYANDET (RPR) sénateur de la Haute Saône

Chefs d'entreprise participant à la table ronde :

M. Jean-Pierre BARJON, président-directeur général de la société GEYER

M. Laurent DERUELLE, directeur général de la société VIRGIN

M. Claude RICHARD, président-directeur général de la société ALPINA

Le législateur en question

Sénateurs participant à la table ronde :

Mme Maryse BERGE-LAVIGNE (Soc) sénateur de la Haute-Garonne

M. Jean-Paul HUGOT (RPR) sénateur du Maine-et-Loire

M. Bernard MURAT (RPR) sénateur de la Corrèze

Chefs d'entreprise participant à la table ronde :

M. Gérard BOURGOIN, président de la Fédération

des Entreprises et Entrepreneurs de France

M. Jean MADRANGEAS, président-directeur général

de la société MADRANGE

M. Michel RULQUIN, président-directeur général

de la société Home Institut

M. Nicolas CRESPELLE (Directeur du journal L'Hémicycle)

Nous allons parler des relations des PME-PMI avec la grande distribution. Comme le précédent, ce débat va se dérouler en deux parties. Une première partie sera plus spécifiquement consacrée aux entreprises, celles de la grande distribution et les PME-PMI. Dans une deuxième partie, ce sera plutôt le législateur qui sera en question : la réglementation des relations entre les PME-PMI et la grande distribution est-elle la bonne ou faut-il la modifier, ou encore faut-il l'oublier ?

J'observe en préalable, qu'il n'y a pas, sur cette estrade, de représentants de la grande distribution et c'est quelque chose qui mérite d'être noté. La règle du jeu de ces rencontres est que soient présents à mes côtés des représentants des entreprises qui ont reçu des sénateurs et les sénateurs qui ont été reçus dans les entreprises. Une seule enseigne de la grande distribution a reçu un sénateur, CARREFOUR. Or, CARREFOUR n'a pas souhaité être présent, et j'ajoute que l'ensemble de la grande distribution ne souhaite plus aujourd'hui prendre la parole. Sachant que j'allais mener ce débat, j'ai posé avant-hier la question à Michel-Édouard LECLERC qui m'a répondu : « À chaque fois, on se fait assassiner ; on ne veut pas écouter nos arguments ; on ne peut même pas se faire entendre. Du coup, on ne veut plus prendre la parole ». J'ai aussi demandé à Jérôme BÉDIER qui est le Président de la Fédération de la Grande Distribution : même réponse - on ne peut plus, on ne souhaite plus parler. C'est la position que nous avons prise.

Alors, je lancerai le débat à partir de cette position en disant qu'elle pourrait être interprétée de deux façons : soit ces gens-là ne savent pas communiquer, et s'ils ont un bon dossier, ils devraient pouvoir le communiquer. Mais je ne vais pas porter de jugement sur la communication des grandes enseignes, notamment avec les élus et le monde des entreprises. Soit leur dossier est indéfendable, mais d'évidence il ne l'est pas. Il est même tout à fait positif sur la durée pour le consommateur. Soit - dernière interprétation - ils sont ulcérés du procès qui leur est fait. Ils ont l'impression d'être pris pour des boucs émissaires et ils ne savent plus se défendre. Il y a donc un problème de communication de la part de gens ayant le sentiment d'être agressés. Je le dis parce qu'ils ne sont pas là, mais il faut que quelqu'un le dise. Et quand je regarde de l'autre côté, celui des PME-PMI, notamment à travers de ce qui s'est dit aux Assises de la grande distribution, on voit des gens qui eux aussi sont ulcérés, mais cette fois par les comportements de la grande distribution. Alors qu'en est-il vraiment ?

Une intervenante dans la salle

Une seule entreprise de la grande distribution avait été contactée pour ce partenariat, c'était CARREFOUR, elle n'avait pas la possibilité de venir ce matin. M. BÉDIER a été contacté relativement tard pour participer à cette table ronde, mais vous savez qu'il le fait à chaque fois que cela lui est possible. Vous l'avez entendu intervenir sur les ondes et à la télévision pour défendre et représenter ce secteur. C'est un secteur noble, qui emploie beaucoup de personnes en France et qui, il est vrai, a un petit peu le sentiment d'être le bouc émissaire de beaucoup de problèmes dans notre pays. Croyez bien que nous souhaitons nous exprimer sur ce sujet et que ce n'est pas de la désertion de notre part. Il y a peut-être eu un manque de coordination. Nous n'avons rien à cacher. Nous somme très fiers de ce que nous faisons.

M. Nicolas CRESPELLE

Dont acte. Je précise tout de même que j'ai moi-même eu M. BÉDIER au téléphone avant-hier, que je l'avais eu il y a trois semaines, et il y a six semaines et qu'il était tout à fait averti de l'existence de cette table ronde. Encore une fois je ne lui en fais pas reproche et je le comprends très bien. Mais il m'a dit lui-même qu'il ne souhaitait plus se prononcer ou participer à des débats. Je répète simplement que cette profession a un bon dossier, mais en a assez - ce n'est pas une méchanceté de le dire - des attaques qui sont portées contre elle. De l'autre côté, les PME-PMI ont aussi beaucoup à dire. Je voudrais donc poser une première question : comment peut-on bien travailler avec la grande distribution ? Nous avons ici le patron d'une société qui a accueilli un sénateur et qui a en quelque sorte réinventé la limonade, un produit qui était en train de se faire un peu éjecter des linéaires. Alors, comment vit-on lorsqu'on fabrique un produit de grande consommation, avec, sans ou à côté des grands groupes et de la grande distribution ?

M. Jean-Pierre BARJON (PDG de la société GEYER)

Il est vrai que notre société doit beaucoup à la grande distribution. Nous avons multiplié notre chiffre d'affaires par 52 en trois ans, et, cette croissance magique, nous la devons à la grande distribution qui nous a offert une vitrine pour y mettre nos produits. Même si, en fait, cela répondait à une attente des consommateurs, que nous avions décelée.

La grande distribution, c'est un outil logistique qui permet à un supermarché à Perpignan de commander un carton tous les quatre jours sans lequel on aurait aucune chance d'exister, parce que notre offre ne pourrait pas être présente dans le magasin. De ce point de vue-là, la grande distribution est indiscutablement importante, que ce soit en termes de communication, de présence des produits ou de logistique.

Nos inquiétudes, ce sont évidemment les dérives. La PME doit bien comprendre la règle du jeu. Or, cette règle n'est pas simple. Depuis neuf mois, un travail a été entrepris pour réfléchir sur la relation PME-grande distribution et certaines enseignes ont vraiment joué le jeu. J'aurai un peu envie de dire : la grande distribution, oui, mais certaines enseignes, oui ou non. Beaucoup de choses évoluent et c'est la raison de l'actualité du sujet.

M. Nicolas CRESPELLE

M. Laurent DERUELLE est le directeur de VIRGIN COLA, qui travaille avec la grande distribution, laquelle travaille aussi beaucoup avec COCA COLA. Comment fait-on pour entrer dans les linéaires ?

M. Laurent DERUELLE (Directeur général de la société VIRGIN)

Je pense, avec M. BARJON, que le préalable important consiste à ne pas clouer au pilori la grande distribution qui offre aux PME, aux PMI ou même aux start-up une superbe opportunité de développement. Il faut plutôt illustrer les dérives qui peuvent se produire dans le rapport de force qui nous oppose à la grande distribution. La loi Galland a instauré un certain nombre de pratiques. Mais elle commence à dater. Le contexte a évolué. Du côté de la grande distribution d'abord. Un exemple que j'aime citer : il y a encore quatre ans, juste au début de l'activité VIRGIN COLA, nous avions la possibilité de partager notre chiffre d'affaires entre une dizaine de clients qui faisaient à peu près chacun 10 %. En trois années, pour vous montrer que cela va très vite, quatre ou cinq grandes enseignes vont représenter, l'année prochaine, 90 % de notre chiffre d'affaires. Le contexte a donc évolué. La loi date.

Deuxième observation : je ne suis pas sûr aujourd'hui qu'il y ait des solutions législatives aux rapports entre les PME-PMI et la grande distribution. Et j'avoue que je suis assez à l'aise pour illustrer certaines dérives. En revanche, si l'on me demande la solution, j'avoue que je ne l'ai pas. La loi Galland a probablement eu des effets positifs ; elle a aujourd'hui des effets négatifs et je pense que votre travail, messieurs les sénateurs, et à nous aussi peut-être, c'est de trouver la bonne solution, sans que je sois sûr qu'il y ait une bonne solution législative. Beaucoup de choses reposent sur la responsabilité des différents intervenants.

M. Nicolas CRESPELLE

Monsieur RICHARD, vous êtes le président de la société ALPINA. Comment vivez-vous vos rapports avec la grande distribution ?

M. Claude RICHARD (PDG de la société ALPINA)

Je dirige une entreprise de pâtes alimentaires qui est le numéro 3 français. C'est une PME qui fait un peu plus de 100 millions de chiffre d'affaires. Et si aujourd'hui nous sommes présents sur le marché, c'est grâce à la grande distribution, avec notre entreprise qui s'est développée depuis bientôt 40 ans. La grande distribution pour nous ce ne sont pas des ennemis, ce sont nos clients. On ne peut pas considérer ses clients comme des ennemis. Nos ennemis, ce sont nos concurrents et en particulier nos concurrents italiens. Aujourd'hui, notre vrai problème, c'est que nous nous trouvons en face de concurrents qui travaillent de façon anormale, qui exercent un véritable dumping. L'Italie, par exemple, est en surcapacité de production de 50 % et il est facile pour un fabricant italien de venir faire des offres à 20 % au-dessous des prix de revient français pour essayer de conquérir de nouveaux marchés à notre détriment. À ce moment-là, la grande distribution nous dit voilà : nous avons des offres à tel niveau, on vous donne la préférence, mais il faut vous aligner parce que si on ne prend pas cette offre-là, nos concurrents la prendront et nous serons défavorisés. Voilà, aujourd'hui, quel est notre problème. C'est qu'on est face à une concurrence anormale et qu'aucune loi, en France, n'interdit à un producteur de vendre 20, 30 ou 50 % ou 100 % en dessous de son prix de revient pour démolir des gens qui occupent un marché. Rien ne nous protège. Aux États-Unis, il y a des lois anti-dumping qui permettent à un industriel qui s'estime victime d'une concurrence anormale d'assigner son concurrent devant la justice. Nous, nous ne pouvons pas le faire.

D'autre part, nous rencontrons de nouvelles difficultés au niveau de la productivité, avec le passage aux 35 heures qui a désorganisé l'entreprise par l'embauche de personnes non formées, et qui ne répond pas aux attentes du personnel. Le personnel ne veut pas forcément plus de loisirs, mais plus de salaire. Au total, c'est pour nous un handicap, alors qu'au début on pensait que ce serait un avantage qui nous permettrait de fonctionner, quasiment 7 jours sur 7. Dernier point : nous payons une taxe professionnelle qui représente 1,2 % de notre chiffre d'affaires. Les Italiens ne paient pas de taxe professionnelle. Je considère donc, en tant que fabricant français, que je paie 1,2 % de droit de douane pour vendre dans mon pays alors que mes concurrents en sont exonérés.

M. Nicolas CRESPELLE

C'est le problème de la concurrence fiscale dans la zone euro.

M. Claude RICHARD

Exactement. Et les industriels français ont du mal... à cause de la concurrence fiscale, mais aussi de la concurrence sociale, du dumping.

M. Nicolas CRESPELLE

Voilà une ouverture intéressante : il y a concurrence

intracommunautaire, avec des pratiques différentes. Je vais demander à M. Jean BIZET, Sénateur, qui était chez DANONE, de nous donner son sentiment sur les relations d'une grande entreprise avec la distribution.

M. Jean BIZET (Sénateur R.P.R. de la Manche)

J'étais effectivement en immersion pendant 48 heures chez DANONE avec mon collègue Alain VASSELLE qui, lui, s'est plutôt préoccupé des rapports sociaux et des 35 heures. Personnellement, je me suis plutôt investi dans le délicat problème des relations entre les PME et la grande distribution sous l'angle de la sécurité alimentaire, de la sécurité sanitaire des aliments parce que c'est un problème qui, on l'a vu récemment, met en relation beaucoup plus étroite qu'auparavant les producteurs, les transformateurs et les distributeurs. C'est tout ce qui tourne autour du principe de précaution. Il est vrai que c'est une approche purement politique du problème, d'une incertitude scientifique, et je regrette que jusqu'à maintenant, il n'y ait pas eu transcription de ce concept dans le droit international ou dans le droit national. Tout doucement, nous y arriverons. On l'a vu il y a quelques semaines à Seattle, aux négociations de l'OMC, où nos partenaires américains ne voulaient pas entendre parler de cette notion et préféraient parler d'« approche de précaution ». De même la semaine dernière, au Congrès de Montréal sur le dossier sur les biotechnologies. Il y a maintenant une approche beaucoup plus saine de la question et le Conseil d'État, le 17 janvier dernier, a donné une forme plus claire au principe de précaution. Cela dit, nous n'avons toujours pas une directive communautaire et nous n'avons toujours pas de transcription en droit national. Même si, très récemment, une commission du Parlement européen, présidée par un Français, le président de l'Institut Français pour la Nutrition a donné, au travers du codex alimentarius une définition bien précise du principe de précaution. Il est en effet déplorable que sur des informations, plus ou moins fondées, une entreprise puisse littéralement s'écrouler et qu'une marque voit son image détériorée pendant des années.

M. Nicolas CRESPELLE

Monsieur de BROISSIA, vous étiez chez GEYER, le limonadier. Quels enseignements en avez-vous tiré ?

M. de Louis de BROISSIA (Sénateur R.P.R. de la Côte d'Or)

J'ai eu grand plaisir à faire connaissance et à me lier, j'espère, d'amitié avec Jean-Pierre BARJON. J'ai redécouvert une chose qui est simple pour les chefs d'entreprises : c'est qu'une entreprise, c'est un produit, mais c'est aussi beaucoup d'enthousiasme. La limonade, je la considérais depuis mon enfance comme un produit banal, et même sur la touche, avec l'arrivée du COCA COLA. J'ai donc constaté la réappropriation, grâce à l'enthousiasme d'un homme et d'une équipe, d'un produit devenu banal. J'ai reçu aussi M. BARJON à Dijon et nous sommes allés inspecter les « têtes de gondole ». La distribution, c'est un domaine que je ne connais pas. J'ai dirigé des entreprises de presse. Je connais bien la loi Sapin. J'ai fait un rapport sur la loi Sapin à l'Assemblée nationale. Je trouvais que c'était un problème déjà très complexe. La loi Galland et ses répercussions, c'est encore plus complexe, et c'est normal s'agissant des relations, entre des très grands et des très petits. À la limite, il est plus facile d'orchestrer TF1 ou Canal +. Ce que j'ai vérifié simplement à travers mon stage en entreprise et la visite de Jean-Pierre BARJON, c'est que la grande distribution est indispensable aux PME-PMI. LORINA, malgré toutes ses qualités - je vous conseille de l'essayer c'est une limonade extraordinaire... Mais je ne suis pas là pour faire de la publicité - n'aurait pas de possibilité d'exister sans la grande distribution. Ce que j'ai découvert, donc, c'est que les relations sont beaucoup plus complexes que je le croyais. L'un n'existe pas sans l'autre. La grande surface sans la PMI serait, comment dire, une grande surface des pays de l'Est qui ne fournit que des produits sans marque. La chaleur des grandes surfaces tient au fait qu'on y trouve des produits personnalisés. Mais j'ai découvert aussi le danger que ne connaissent pas, pour les PME-PMI, contrairement à ce que j'ai pu lire, les grandes surfaces. Elles sont dans une situation comptable et juridique délicates. Lorsque j'étais patron de mon entreprise, l'expert-comptable, le commissaire aux comptes n'autorisait à payer que les factures justifiées. Or, pour la grande distribution, il y a ce qu'on appelle la «marge arrière» que j'ai découverte à l'occasion de ce stage.

M. Nicolas CRESPELLE

Pouvez-vous donner une définition de la « marge arrière » ?

M. Louis de BROISSIA

Eh bien la « marge arrière », c'est ce qui n'est pas la « marge avant ». Autrement dit la possibilité d'avoir des facturations non justifiées, donc contestables au plan comptable. Je me permets de le dire parce que j'ai une expérience de chef d'entreprise. Lorsque je suis allé à Dijon chez CARREFOUR, la tête de gondole n'était pas forcément là, même si elle était annoncée. Si elle n'est pas là, on ne paye pas. Si elle est là, il est normal de payer. Il faut en revenir à cette chose simple : transparence et justification.

M. Nicolas CRESPELLE

Avez-vous le sentiment, les uns et les autres, qu'il y a une absence de justification dans ce que vous facturez ou ce que la grande distribution accepte de vouloir facturer ? Autrement dit, y a-t-il des prestations que l'on facture et qui ne correspondent pas à des réalités ou est-ce totalement exceptionnel ?

M. Laurent DERUELLE

Je vais essayer de répondre à votre question. Je crois que plus que le problème de la justification, c'est un des effets pervers de la loi Galland. Le fournisseur, par le biais de ces « remises arrières », négocie et confirme, auprès de son client, un certain niveau de marge, ce qui me paraît complètement anti naturel dans une relation commerciale puisque les marges et les prix doivent répondre à la règle classique de l'offre et de la demande. Le principe de la « remise arrière » consiste à ce qu'un fournisseur s'engage à redonner x %, de 1 à 30 % selon les secteurs d'activité à son client. Par exemple, moi VIRGIN COLA, je reverse x % de mon chiffre d'affaires à mon client, ce qui se traduit par telle ou telle prestation. Le vrai problème, c'est que tout le monde a accepté de cautionner un système qui conduit à facturer non pas seulement une prestation mais aussi des marges - un taux de marge assuré pour la distribution. Et c'est une perversité de cette loi qui a été bien utile à un certain moment mais qu'il faudrait réformer. On peut d'ailleurs se demander si une loi peut régir les relations entre un client et un fournisseur comme l'a fait la loi Galland ? Je pense qu'il faut vraiment se poser les bonnes questions là-dessus.

Deuxième point : il est clair aussi que la difficulté de tout acte législatif est que la loi va s'appliquer, à la fois aux gros distributeurs, aux petits et aux PME-PMI. Même au sein des fournisseurs de la grande distribution nous n'avons pas tous les mêmes intérêts ni les mêmes armes. Pour prendre l'exemple de VIRGIN COLA, je dirai que notre chiffre d'affaires correspond à peine à la moitié du budget de télévision d'une entreprise comme COCA COLA. De sorte que nous ne sommes pas forcément capable de répondre de la même façon à un grand distributeur.

M. Nicolas CRESPELLE

En somme, vous nous dites que la loi ne peut pas régler des problèmes de marketing qui sont des problèmes de positionnement de marque. Il y a des marques qui ont vocation à être très généralistes, à s'adresser à tout le monde et à être très puissantes. À côté de cela, il y a d'autres marques qui peuvent avoir d'autres positionnements avec des ambitions plus modestes, mais tout de même une place pour exister. M. JOYANDET, nous ne vous avons pas encore entendu sur le sujet. Partagez-vous cette analyse, notamment sur la loi Galland ?

M. Alain JOYANDET (Sénateur R.P.R. de la Haute-Saône)

Monsieur DERUELLE a presque tout dit. J'ai été aussi très heureux d'aller chez lui. J'ai vu une start up avec une centaine de très jeunes gens qui animent l'entreprise et je voudrais dire aussi que le VIRGIN COLA est très bon et que Coca pourrait leur laisser un tout petit bout de sa part de marché...

J'ai bien écouté tout ce qui m'a été expliqué durant ce stage. C'était d'ailleurs une très, très bonne idée et il faut faire en sorte que beaucoup de parlementaires fassent des stages en entreprise. Je suis aussi chef d'entreprise, et cela m'a permis d'avoir un regard un petit peu différent. Pour répondre à M. DERUELLE, je n'ai pas l'impression, très franchement, que le législateur soit très utile pour régler les problèmes entre la grande distribution et les PMI-PME. Pourquoi ? Tout simplement, parce que c'est une affaire de responsabilité individuelle, pour beaucoup et parce que c'est aussi une affaire de rapports de force. Lorsqu'on est VIRGIN COLA, on dépend de la grande distribution pour se faire une place au soleil et il faut jouer des coudes pour y arriver. Mais quand on a un bon produit, finalement on y arrive, et c'est surtout une question de qualité, des hommes et des femmes qui veulent se battre pour développer leur entreprise. Et le rapport de force, on voit bien qu'il est prêt à s'inverser puisque, quand on est COCA COLA, c'est la grande distribution qui a besoin de vous parce qu'il ne peut pas y avoir une grande surface sans COCA COLA. À un certain niveau, le rapport de force s'inverse au profit du créateur contre le distributeur.

Dans cette affaire, le législateur a essayé de faire en sorte - peut-être en toilettant un peu les textes actuels - que les créateurs de nouveaux produits puissent avoir - petit à petit pour ne pas déstabiliser ceux qui ont réussi auparavant - une place au soleil dans la grande distribution. Et puis....

M. Nicolas CRESPELLE

Juste une question avant d'aller plus loin. Ne pensez-vous pas que la simple concurrence entre enseignes les pousse à essayer de se différencier les unes des autres avec des produits nouveaux ou des produits différents ? Autrement dit, n'est-ce pas le simple jeu de la concurrence qui conduit à ce que le produit soit bon ?

M. Alain JOYANDET

J'allais y venir et c'est peut-être le seul point sur lequel nous devons nous interroger. Il m'a semblé, pendant ces journées d'immersion, que le handicap c'est la concentration. Il y a une quinzaine d'années, il devait y avoir une vingtaine de donneurs d'ordre, et maintenant 4 ou 5 seulement, et l'on peut imaginer qu'à un moment donné, par exemple, il ne reste que deux très grands groupes, responsables d'accepter ou de ne pas accepter un nouveau produit. Et alors se pose vraiment le problème de la concurrence. Car seule la concurrence peut favoriser l'émergence de nouveaux produits tout en permettant aux anciens de conserver leur place. Encore faut-il que l'organisation du marché permette cette concurrence. Le législateur a-t-il là un rôle à jouer ? Sans doute, pour aller peut-être vers un peu plus de transparence et de vérité. Mais ce n'est pas son rôle essentiel.

M. Nicolas CRESPELLE

Alors vive l'arrivée de Wal-Mart en France...

M. Jean BOYER (Sénateur Républicain et Indépendant de l'Isère)

J'ai pour ma part été immergé à la Société ALPINA, qui fabrique des pâtes et dont le président s'est exprimé tout à l'heure. J'ai visité une usine qui travaille très intelligemment parce qu'elle a inventé des produits nouveaux. Ceci dit, M. CRESPELLE a parlé du fait que beaucoup de gens étaient ulcérés. Les fournisseurs sont ulcérés, les clients sont ulcérés. Je ne sais pas si vous avez eu connaissance d'un document qui a été envoyé par CARREFOUR et PROMODES et qui est un véritable catéchisme de l'ensemble des aides que peut apporter cette « doublette ». Or à la page 15, on peut lire : attention, Wal-Mart arrive en France, et l'on voit des chiffres étonnants, bouleversants pour la grande distribution française. Il est certain que PROMODES et CARREFOUR qui se sont unis - et je crois qu'ils ont bien fait - sont terriblement inquiets de l'arrivée d'une société qui depuis 1987 a installé, acheté 21 hypermarchés, 74 hypermarchés, 21 datant de 1997, et 229 supermarchés britanniques en 1999. Pour l'observateur que je suis, voilà qui est très inquiétant pour la grande distribution française.

Lorsque les partenaires sont ulcérés, je crois - et mon président ne me contredira pas, lui qui cherche toujours à faire rencontrer les hommes et à les faire s'entendre, qu'il faudra des « face à face » dont nous parlions tout à l'heure. Une intervenante regrettait que certaines catégories de distributeurs n'aient pas été convoqués. Quelques « face à face » donc, dans le calme, pour pouvoir régler avec intelligence un certain nombre de problèmes qui ne peuvent pas se régler par la loi.

M. Philippe MANIÈRE

Je voudrais revenir brièvement sur l'utilité de certaines lois. On a parlé de la loi Galland. Moi j'aimerais parler de toutes les lois qui ont, au fil du temps, limité l'ouverture de nouvelles surfaces de grands commerces. Parce que là aussi, je pense que l'on peut discuter de l'opportunité de ces lois et de leur rapport « qualité prix » après quelques décennies d'application. Quel jugement peut-on porter ? D'abord, cela n'a pas sauvé le petit commerce. Là où il n'y a plus personne pour faire ses courses, il n'y a plus de petits commerces. C'est dommage mais c'est ainsi. Deuxième point : cela a eu un effet pervers. Je ne parle pas de la partie immergée de l'iceberg, les journaux sont pleins de la partie émergée avec le financement des partis politiques. Dès lors que les hommes politiques peuvent donner des autorisations d'ouverture ou non, certains d'entre eux, et je ne me prononce pas sur le pourcentage, vont forcément faire payer l'autorisation. C'est regrettable et cela a des conséquences importantes en termes d'image des hommes politiques. Je pense aussi que si les grandes surfaces ont des moeurs parfois peu « câlines » avec les fournisseurs, c'est peut-être aussi lié au fait que les politiques leur ont donné l'exemple. Troisième point : l'enrichissement des propriétaires. Moi je suis pour que les gens soient riches et heureux. Mais, tout de même, cette loi a eu pour conséquence que les gens qui étaient propriétaires de mètres carrés se sont enrichis considérablement. Il n'y a rien qui augmente plus en France que les parts de grandes surfaces parce qu'à partir du moment où les ouvertures sont limitées, vous gérez la pénurie et vous devenez très riche si vous avez la chance d'avoir des mètres carrés. Demandez aux gens qui vendent des vignobles dans le Bordelais ou dans le Languedoc, ils n'ont plus qu'une catégorie de clients, des patrons de Super U..., qui ont fait fortune grâce à la loi.

Dernier point enfin : puisqu'on nous dit que les grandes surfaces sont trop puissantes, peut-être que cela ne gênerait pas qu'il y ait de la concurrence ; et je me demande si, en un sens, les lois ROYER, RAFFARIN, etc., ne sont pas en contradiction avec l'intention de la loi Galland et tout ce qu'on est en train de discuter aujourd'hui. Plus il y a d'acheteurs possibles, mieux cela vaut pour les vendeurs et si on limite le nombre des nouveaux mètres carrés, si on limite la capacité d'arrivée en France de nouveaux intervenants, on met les prestataires en situation de dépendance par rapport aux acheteurs. Si Wal-Mart vient en France, c'est peut-être une excellente chose pour le consommateur parce que finalement, Wal-Mart va avoir l'image de l'affreux américain. Que peut-il faire pour avoir une bonne image ? Probablement faire des choses très spectaculaires qui consisteront à mettre en tête de gondole, peut-être en ne faisant pas tellement payer, des trucs et des bidules, genre foie gras français etc. Peut-être que Wal-Mart aura une politique plus « câline » vis-à-vis des fournisseurs ? En tout cas, je ne vois pas d'inconvénient à ce que Wal-Mart débarque chez nous. Je sais bien que je suis là sur un terrain que je ne connais pas bien. C'est du reste pour cela qu'on m'a demandé mon avis. Mais je suis toujours étonné de voir que les prestataires ne se fédèrent pas beaucoup. Il y a des centrales d'achat mais très peu de centrales de vente. Cela doit être très difficile mais ceux qui résistent dans le monde, les fleuristes hollandais, les marchands de poisson de certains pays qui ne font pas comme à GUILVINEC où l'on pleure toute l'année parce qu'il n'y a plus personne pour acheter le poisson mais où, en même temps, personne ne s'organise pour maîtriser la filière. Peut-être qu'il y a moyen, en France aussi, d'organiser en face de ces centrales d'achat, pas forcément des centrales de vente - je vois bien monsieur, vous faites valoir qu'il y a des problèmes d'entente, des problèmes légaux - mais en tout cas une capacité d'organisation pour essayer de peser face à la capacité d'achat.

Dernière interrogation, enfin et là aussi, c'est très prospectif. Internet ne va-t-il pas redonner un peu de pouvoir aux fournisseurs par rapport aux distributeurs ? On pourrait penser que oui. Mais la réponse n'est pas si évidente. Après tout, dans dix ans, on aura peut-être trois ou quatre sites qui feront 90 % du débouché comme on a aujourd'hui 3 ou 4 grandes surfaces qui font 90 % du débouché. Mais ce n'est pas sûr : l'effet d'échelle, qui rend la concentration si désirable quand on a des magasins et des capacités de stockage à développer, est moins intéressant quand on vend grâce à un supermarché virtuel. On peut donc espérer qu'à terme, une partie importante de la distribution se fasse par Internet dans des conditions de concurrence plus satisfaisantes pour les fournisseurs.

M. Nicolas CRESPELLE

Nous allons passer à la deuxième partie du débat qui vient d'être lancée par cette intervention.

M. Paul ROBERT

Président d'une PME-PMI, je pensais assister à un débat de PME-PMI et pas de multinationales. Je ne veux pas faire de publicité pour ma propre enseigne, mais la société COCA COLA, c'est une multinationale, une société qui travaille en France mais aussi partout dans le monde. Lorsqu'elle avait, il y a dix ans, comme cela a été dit par un de ses concurrents, 15 enseignes qui faisaient 90 % de son chiffre d'affaires, et qu'aujourd'hui elle n'en a plus que 5 qui font 80 % de son chiffre d'affaires, elle peut se tourner vers d'autres marchés. La société VIRGIN, est une multinationale que je sache. C'est une société anglaise très diversifiée dans l'alimentaire, dans le transport, dans tout un tas de domaines. Le débat ne porte pas sur les multinationales par rapport à la grande distribution, mais sur les PME-PMI. Qu'est-ce qu'une PME-PMI ? C'est une société qui connaît les mêmes problèmes - vous avez 5 clients qui font 80 % de votre chiffre d'affaires - mais c'est aussi une société qui doit faire en moyenne 80 % de son chiffre d'affaires en France. Elle ne peut donc pas se permettre de perdre un client. Cela, c'est fondamental. Elle n'a pas la possibilité de trouver d'autres débouchés pour assumer sa pérennité. Je trouve très bien que la grande distribution ait permis à toutes les PME-PMI de se développer. Je ne suis pas contre elle ; on a besoin d'elle. Mais il y a des abus qu'il faut faire cesser et je voudrais en dire deux mots.

Si ces PME-PMI disparaissent, ce sont des milliers de petites entreprises qui vont disparaître. Ce n'est probablement pas très grave en soi mais je pense qu'elles ont un savoir faire, elles ont un potentiel de création. Ce sont des gens qui innovent, des gens qui investissent et, tôt ou tard, on se rendra compte de ce que cela représente. Or, ce n'est pas du tout comme cela ailleurs. Si vous allez aux États-Unis, les rapports entre les PME-PMI et les gens comme Wal-Mart sont des rapports de coopération, et d'investissement.

On a parlé tout à l'heure de la partie comptable, de l'approbation des comptes de la grande distribution. Alors là, les bras m'en tombent... Quelle est la réalité quotidienne d'une PME-PMI ? Sur un tarif de 100, en gros elle va donner 20 à 25 % de ristourne à la grande distribution, quelle qu'elle soit. Cela veut dire que son tarif, il n'est pas de 100, il est de 70. La différence, ces 30 %, elle a plusieurs noms de baptême : la « gondole », la « remise en avant », la coopération, la ristourne de fin d'année, tout ce que vous voulez. S'il faut vérifier que la « tête de gondole » est bien là, une multinationale peut le faire, pas une PME-PMI. Et c'est la même chose pour le catalogue, « on va mettre votre produit » : « et puisqu'on a oublié, on est désolé ». Mais on a mis la marque de l'enseigne qui a copié votre produit. Cela vaut dans l'alimentaire, dans la parfumerie, dans le bazar. Il faut quand même dire les choses telles qu'elles sont.

Un dernier point et j'en aurai fini : je ne veux pas faire de publicité pour mon entreprise. Elle fait 60 millions de chiffre d'affaires. J'ai 25 millions de fonds propres. Savez-vous combien, hier soir, la grande distribution me devait ? Exactement 17 millions de francs. Cela ne nous concerne-t-il pas tous, tels que nous sommes, autour de la table ? Croyez-vous qu'il n'y a pas des choses à faire ? Ces 17 millions de francs qui me sont dûs, je dois les financer. J'ai des fonds propres, je peux les financer, mais moi je paye mes fournisseurs quasiment au comptant, ou à 30 jours, à 60 jours, je fais pour le mieux, certainement pas à 120 jours. Cela aussi, il faut le savoir. Où est-ce que je veux en venir ? D'abord, au constat que ce sont une partie des PME-PMI qui financent toute la distribution. La grande distribution n'envoie plus de traites. Elle s'est organisée. Elle paye à terme. C'est-à-dire qu'au lieu de recevoir au bout de 30 jours une traite que je pouvais escompter, ce que tout entrepreneur peut comprendre, maintenant je vais être payé au bout de 120 jours après déduction des participations publicitaires, les catalogues et des ristournes de fin d'année. Et croyez-vous qu'on me demande mon avis ? Mais je ne parle pas que de moi. Je parle pour toutes les PME-PMI. On ne leur demande pas leur avis. Et si l'on compare ces pratiques avec la loi en vigueur, on rêve. Si l'on se demande : a-t-on le droit de déduire un montant pour une participation publicitaire, la réponse est simple : qu'on ait le droit ou pas, de toute façon, la distribution, elle, le fait.

Encore un mot : le problème de trésorerie que vous devez avancer, c'est fondamental. La distribution vous dit : si vous avez besoin de trésorerie, ce n'est pas compliqué ; venez chez moi, je vais vous payer, je vais vous prendre 0,5 % pour le service, 0,7 % pour rémunérer votre argent puis je vais vous payer cash. C'est-à-dire que non seulement ils font, en gros, 20 % de notre chiffre d'affaires mais en plus ils vont nous tenir par les finances. Dans d'autres pays cela se passe différemment. Tous ces grands distributeurs, ils achètent cash. Moralité : plus vous laissez faire, plus vous considérez qu'il n'y a rien à faire, plus vous favorisez la grande distribution. Moi, je suis pour la libre concurrence mais ne défavorisez pas les PME-PMI. Un exemple pour conclure sur le sujet. Dans un secteur qui a évolué, qui a été régulé, celui des produits frais, on paye à 30 jours. Pourquoi ne fait-on pas évoluer la loi ? Vous avez une PME-PMI qui a financé ses investissements, son stock. En réduisant le délai de paiement des distributeurs, vous lui redonnez de l'oxygène, vous lui redonnez le moyen de réinvestir et de soutenir la concurrence.

Mes propos ne sont pas pour dire : il ne faut pas de concurrence, il faut nous protéger. Mes propos sont pour dire : il faut qu'on soit à armes égales et il n'y a aucune raison que sur ces deux aspects - les conditions de paiement et les ristournes - on en arrive à des décalages aussi importants. Pour moi, les ristournes, il faut les remettre sur les factures afin que le consommateur en soit le bénéficiaire.

M. Nicolas CRESPELLE

Merci de votre témoignage.

Mme Monique PATELOUP

Il y a un grand absent à cette tribune : le secteur des constructeurs automobiles et de ses sous-traitants. Ces derniers sont souvent des PME industrielles et familiales, qui crèvent parce que les constructeurs les abandonnent pour faire venir des produits de l'étranger. Ne serait-il pas judicieux de mettre en place des conventions entre les sous-traitants et les constructeurs automobiles sur l'innovation et la recherche, ce qui permettrait aux sous-traitants d'être beaucoup plus compétitifs et aux constructeurs de ne pas chercher à l'étranger la main d'oeuvre qui existe sur place ?

M. Nicolas CRESPELLE

Au fond, dans ces divers témoignages, ce qui est en cause, c'est une espèce de restructuration aux forceps, par la distribution ou par les constructeurs automobiles, de leurs fournisseurs et peut-être, et c'est un sujet qu'il faudrait aborder, qu'il est certains métiers où il y a des concentrations naturelles qui font que, hélas, pour la diversité, Monsieur, il y a un certain nombre de PME-PMI qui sont appelées à fusionner ou à disparaître. Aujourd'hui, qui peut se lancer dans du yaourt normal. Il y a des grandes sociétés qui ont tout absorbé. Là aussi, ce que j'essaie de dire c'est qu'il y a un mouvement de l'économie générale qui est mis en cause par ce que vous évoquiez. Si vous le permettez, on va passer à la deuxième partie du débat qui va être la suite de celui-ci, avec d'autres interlocuteurs.

M. Jean-Paul CHARRIÉ (Député du Loiret)

Je voulais juste m'adresser à mes collègues sénateurs. Certains d'entre eux, qui sont pourtant des législateurs comme moi, ont dit qu'on ne résoudrait pas les problèmes par la loi. Je voudrais leur faire passer ce seul message : si la loi ne doit pas entraver le bon fonctionnement de la libre concurrence, si la loi ne garantit pas à n'importe quelle entreprise, qu'elle soit grande ou petite, la pérennité d'un marché, il faut quand même un minimum de règles du jeu, et c'est vrai dans tous les domaines de liberté. Soyez convaincus que s'il n'y a pas un minimum de règles du jeu dans l'économie de marché, nous allons passer d'une économie administrée par l'État, à une économie administrée par deux ou trois puissances financières, ce qui sera pis. Que la loi Royer ne soit pas bonne, d'accord, mais il faut un minimum de réglementation.

M. Nicolas CRESPELLE

Nous allons en parler.

M. Alain JOYANDET

Je demande un droit de réponse. On n'a pas dit qu'il ne fallait rien faire, on a dit qu'il fallait « toiletter », qu'il fallait des règles du jeu, mais que la loi ne ferait pas tout. En fait, on dit la même chose.

M. Nicolas CRESPELLE

Dans cette deuxième partie du débat, que nous avons un peu abordée, nous allons nous demander si la batterie de lois qui régissent les relations entre la grande distribution et les PME-PMI est adaptée. Si les lois qui régissent le commerce sont bonnes ? Et que faut-il faire aujourd'hui ? Faut-il revenir sur la loi Royer ou simplement amender la loi Galland. Bref, comment peut-on, comment doit-on réguler le marché ou au contraire faut-il simplement se donner les conditions d'une concurrence saine et ouverte, et qui donne sa chance à tous les intervenants ?

Je voudrais demander son opinion à Mme Maryse BERGÉ-LAVIGNE : la législation qui régit les relations entre le commerce et la grande distribution, au fond, est-elle la bonne ?

Mme Maryse BERGÉ-LAVIGNE (Sénateur socialiste de la Haute-Garonne)

J'ai bien entendu la leçon de M. CHARRIÉ : je ne vais pas dire le contraire. Mais je voudrais d'abord dire deux mots, l'accueil que j'ai reçu à CARREFOUR où j'ai fait un stage. Je connaissais CARREFOUR, la grande distribution en tout cas, parce que je suis consommatrice. Habitant une ville, je n'ai pas trop le choix, je vais faire mes achats dans les grandes surfaces. J'ai donc été heureuse de voir l'autre côté, l'organisation de la grande distribution. J'avais évidemment suivi la crise de cet été, notamment les relations avec les petits agriculteurs. J'ai donc posé un certain nombre de questions, auxquelles il m'a été répondu. On m'a donné des documents et notamment le Livre blanc des relations, des accords avec les PME auxquelles a fait allusion M. BOYER. Je veux donc dire que j'ai été bien reçue. J'ai rencontré des dirigeants meurtris par la « diabolisation » des grandes surfaces, et qui essayaient de montrer comment ils travaillaient.

Que faire ? S'interroger. Surtout pas. Ce serait la négation de notre travail de législateur. En République, le code, c'est le respect de la loi. La loi existe. Vous l'avez rappelé. On peut soit la supprimer, soit la changer, soit l'appliquer, soit l'amender, l'adapter à l'évolution du commerce. Je rappelle que nous sommes en économie de marché - cela me plaît bien de dire cela, là où je suis et d'où je viens - nous ne sommes pas en économie administrée. La négociation commerciale libre est le fondement même de l'économie de marché. Ces précautions étant prises, je pense que nous devons, nous législateurs, trouver les moyens d'adapter la loi et notamment la loi Galland. Je pense que la loi peut encourager de nouvelles relations entre les PME, les petits agriculteurs et la grande distribution. Comment ? Par des chartes, par des contrats, par la suppression de la « marge avant », de la « marge arrière ». L'excellent rapport de l'Assemblée nationale de M. CHARRIÉ sur l'évolution de la distribution montre que ces problèmes de comptabilité sont une exception française, et qu'ailleurs en Europe - en Allemagne, en Grande-Bretagne - mais aussi dans les pays d'Asie, les relations sont fondées sur le principe « parole donnée, parole tenue », et on ne change pas la règle du jeu au milieu du gué - il faudrait peut-être adopter ces pratiques dans notre pays.

M. Nicolas CRESPELLE

N'y a-t-il pas là un effet pervers de la loi ?

Mme Maryse BERGÉ-LAVIGNE

Probablement. C'est pour cela qu'il faut changer la loi pour aller dans le sens du contrat, de la négociation, de la parole tenue, des prix nets.

M. Nicolas CRESPELLE

Qu'en pensez-vous, Monsieur BOURGOIN ?

M. Gérard BOURGOIN (Président de la Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France)

Partant du principe que la loi existait, ce qui nous paraissait le plus important c'était d'abord de l'appliquer. Or, que se passe-t-il ? Qu'est-ce qui se dérègle ? Il y a un cadre qui existe mais il n'est pas appliqué parce qu'il y a un des partenaires qui est plus fort que l'autre, lequel est peut-être un petit peu soumis. Je voudrais faire une très grande différence entre ce que l'on appelle la PME, c'est-à-dire l'entreprise franco-française qui a un cercle de rayonnement en France, voire en Europe, qui est donc une entreprise de taille humaine et, sans que ce soit péjoratif, « bien de chez nous ». Et puis la filiale française de groupes multinationaux, européens, qui ne considèrent la France que comme un département de leur développement, 10 %, 15 %, 20 %, de leur chiffre d'affaires, 2 % pour certains, et qui, bien sûr, n'ont pas du tout la même réaction et le même comportement. Nous, la Fédération des Entreprises et des Entrepreneurs de France, nous avons fait des propositions en disant : « ces propositions doivent être basées sur le respect ». Le respect, c'est quoi ? C'est que la force dominante ne profite pas de sa force pour rendre la plus petite dépendante et lui faire avaler n'importe quoi. Certes, elle ne met pas un fusil à canon scié sur le ventre au vendeur des PME pour lui faire dire oui. Mais elle fait miroiter beaucoup de coopération commerciale, de potentiel de développement, de mise en avant des produits et puis elle oublie de respecter la règle du jeu. Alors la PME est pénalisée. Elle ne développe pas son chiffre d'affaires comme elle l'a prévu. Elle s'est engagée sur des stratégies d'investissement ? mais elle n'a pas de contrat à long terme. C'est-à-dire qu'elle n'est pas garantie qu'elle conservera le marché pendant deux ou trois ans. Or, c'est à ce moment-là qu'elle se fait menacer, qu'elle finit par dire oui et se condamne elle-même. Après quoi elle vient chercher du « bouche-à-bouche » partout, auprès des hommes politiques, auprès des organisations professionnelles, auprès de ses amis.

Je crois donc qu'il faut imposer l'application de la loi Galland. C'est-à-dire qu'il n'y ait pas de facturation de « marge arrière » sans réciprocité, que le service soit réel, que l'on supprime ce que l'on appelle les « avoirs d'office », des factures qui sont faites systématiquement à l'encontre d'une PME-PMI, comme si le service avait été rendu, et qui bloquent ses règlements et créent des litiges. Si bien que d'un mois de délai de paiement, vous passez à deux mois, trois mois ou quatre mois et vous avez dans une société qui fait 60 millions de chiffre d'affaires, 17 millions dehors, c'est-à-dire 30 % du chiffre d'affaires, pratiquement quatre mois, qui sont « dans la nature », alors qu'il s'agit peut-être d'un produit périssable, qui avait quatre ou cinq ou dix jours de vie, et dont les produits de la vente ont été encaissés par la grande distribution. Je crois qu'il faut interdire les prélèvements d'office, les avoirs d'office et que la facturation du service ne puisse être faite que lorsqu'il est vraiment exécuté. Il faudrait aussi que la grande distribution reconnaisse les augmentations de tarifs, par exemple à cause d'une hausse du prix de l'énergie ou du passage aux 35 heures. Bref, si nous respectons tout cela, nous pourrons y arriver.

M. Nicolas CRESPELLE

En somme, votre position consiste à dire : il y a une loi, appliquons-la et essayons de bien l'appliquer.

Passons maintenant la parole à votre voisin, à M. MURAT. Que pensez-vous de ce sujet ?

M. Bernard MURAT (Sénateur R.P.R. de la Corrèze)

Je ne pense plus rien parce que tout a été dit. Je suis personnellement chef d'entreprise, tout en étant Sénateur maire de Brive la Gaillarde, dans le département rural de la Corrèze. J'ai eu la chance d'aller chez MADRANGE, pour voir de plus près ce qui s'y passait. C'est une entreprise qui innove et qui a du talent et trouve sa place « en tête de gondole » quelles que soient les règles du jeu. Et je ne sais plus quel intervenant a souligné qu'il fallait surtout permettre à des PME-PMI françaises qui innovent et qui ont des idées de bénéficier des promotions qui se font sur les « têtes de gondole ». Je crois qu'effectivement il y a là matière à réfléchir. Nous sommes certes là pour légiférer. Je rappellerai seulement à mon ami CHARRIÉ que toiletter certaines lois, d'accord, mais surtout ne nous laissons pas aller à ce travers très français qui consiste à voter de nouvelles lois sans abroger les anciennes.

Je voudrais encore dire qu'en France, il y a un problème quand on parle de PME-PMI : une entreprise de 500 employés en Île-de-France, c'est une PME ; en Corrèze, c'est une multinationale ! Et les règles du jeu sont tout à fait différentes, notamment par rapport à la grande distribution. Le poids n'est pas le même. Enfin, je voudrais dire à M. MANIÈRE, dont je lis les articles pertinents dans « Le Point », que je fais partie d'une génération qui ne se reconnaît pas dans l'image qu'il a voulu donner des hommes politiques et de la grande distribution. Nous sommes une large majorité de parlementaires, qui n'ont jamais eu, ni de près ni de loin, à « magouiller » ni avec la grande distribution, ni avec quelque entreprise que ce soit. Je tenais à le dire parce que je crois que, à force de répéter cela à travers les médias, on donne une image fausse de la représentation nationale.

M. Nicolas CRESPELLE

Je vais demander au sénateur Jean-Paul HUGOT de nous dire un mot de son expérience chez Home Institute.

M. Jean-Paul HUGOT (Sénateur R.P.R. du Maine-et-Loire)

Je suis d'accord pour légiférer s'il y a un changement substantiel dans le secteur qui nous intéresse et à mon avis, c'est le cas. Je me suis rendu avec les vendeurs de l'entreprise sur le terrain et j'ai pu constater que ni respect ni confiance ne régnaient dans la région nancéienne. Quand le vendeur arrivait sur place, il ne savait pas si ce qui avait été négocié avait été réalisé. La plupart du temps, nous sommes allés des gondoles aux lieux de stockage et avons fait le travail qui n'avait pas été fait.

J'ai aussi noté que à l'époque où les PMI-PME avaient comme interlocuteurs un millier d'enseignes, le dialogue était d'une nature qui justifiait les lois que nous connaissons. Quand, aujourd'hui, la distribution se réduit à quatre ou cinq enseignes, il y a un changement substantiel qui appelle une réflexion sur de nouvelles lois.

Dernier point, qui pour moi a été une grande surprise. Je suis en effet maire d'une ville moyenne, Saumur, en Maine-et-Loire, qui cherche à promouvoir aussi bien l'implantation de la grande distribution que celle des PMI-PME. Or j'ai constaté que la grande surface n'est plus une entreprise qui vend les produits des fournisseurs mais plutôt une sorte de propriétaire foncier qui loue un espace dont les charges incombent totalement aux PME-PMI. Et cette image a été suffisamment marquante pour que je souhaite désormais que sur le plan législatif, on prenne en compte ces évolutions substantielles. Je pense qu'il faudrait, pour commencer, poursuivre à travers une enquête sénatoriale l'analyse qui a été engagée par la trentaine de sénateurs qui sont allés dans les entreprises.

M. Nicolas CRESPELLE

Monsieur MADRANGEAS, j'aimerais bien que vous disiez à votre tour ce que vous pensez de ces relations.

M. Jean MADRANGEAS (PDG de la société MADRANGE)

MADRANGE est la « multinationale » corrézienne, comme l'a défini le Sénateur MURAT avec beaucoup d'esprit. Nous réalisons un chiffre d'affaires de deux milliards de francs et nous nous sommes développés avec l'innovation, bien sûr, et avec le temps. Ce temps a permis de bâtir la confiance. Aujourd'hui, nous sommes liés au destin de nos clients dans un modèle dit « modèle français » qui travaille avec des marges arrières, des prestations de services qui ont été permises par un système législatif propice à ce type de développement. Nos concurrents, et notamment le modèle hard discount allemand, travaillent beaucoup sur du net. Les Américains également. Je considère que nous sommes liés à l'existence et à la subsistance de ce modèle français, de même que nos clients. Nous avons à la FEEF un président qui ne manque pas de générosité, ni d'imagination, Gérard BOURGOIN. Je pense que c'est au travers de telles organisations que le dialogue doit s'engager avec la distribution. Nous ne pouvons malheureusement pas créer de centrales de vente, comme vous le proposiez tout à l'heure. Cela me semble extrêmement complexe. En revanche, nous pouvons avoir ce type d'organisation qui représente la voix de l'offre. Nos clients sont les premiers intéressés à faire évoluer le débat et à trouver une solution qui moralisera le système. Leur position est trop inconfortable par rapport à ce qui, statistiquement, va se produire, c'est-à-dire l'arrivée de nouveaux entrants sur le marché français de la distribution.

M. Nicolas CRESPELLE

Monsieur RULQUIN, je crois que vous avez pas mal de suggestions à faire.

M. Michel RULQUIN (PDG de la société HOME INSTITUT)

En effet, mais d'abord je veux dire que j'ai l'impression d'être un handicapé. Quand je vais dans une centrale d'achat, je recherche la place où il y a un petit gars sur un chariot qui vient rencontrer les acheteurs. On est dans un système complètement pervers. J'ai, grâce à la grande distribution, réussi à monter une entreprise importante, en tant que PME, puisque je fais 127 millions de francs de chiffre d'affaires. Après m'avoir aidé au départ, maintenant, ils sont en train de me mettre la tête sous l'eau pour me faire mourir. Pour un homme qui avance - j'étais plombier avant de faire du cosmétique - et j'ai réussi à monter de belles entreprises, c'est l'impuissance totale. L'impossibilité de pouvoir me faire entendre, de me faire respecter. Je suis agressé dans mon intégrité et c'est dur. On a essayé de négocier des contrats, améliorés par Geneviève ou Gérard, et le lendemain ils vous font signer le contrat de l'année dernière, et huit jours après, ils vous suppriment deux références sur douze sans que vous ayiez votre mot à dire. Ce n'est pas normal. C'est pourquoi je dis que la loi doit être respectée. Les données ont changé, il faut peut-être de nouvelles règles mais on ne peut pas continuer comme ça. Je connais des sociétés qui, comme moi, sont à bout. C'est révoltant.

M. Nicolas CRESPELLE

Merci de votre témoignage qui est profondément humain.

Un intervenant

Au cours des deux débats, je me suis aperçu qu'on avait une tendance, très française, à diaboliser l'étranger et à distinguer ce qui pour moi est une erreur, entre la PME-PMI française et la PME-PMI multinationale. Comme si les PME, sous prétexte qu'elles ont des capitaux étrangers, ce qui est le cas de VIRGIN COLA, n'étaient pas devant les mêmes problématiques que l'entreprise de M. RULQUIN. VIRGIN COLA fait à peu près le même chiffre d'affaires que M. RULQUIN, et connaît exactement les mêmes pressions.

Mme Maryse BERGÉ-LAVIGNE

Dans sa générosité, M. BOURGOIN a prêté au Premier ministre des paroles qui n'ont pas été les siennes lors des Assises du 13 janvier, il n'a jamais dit que l'État allait se mêler de tout.

M. Gérard BOURGOIN

Dont acte Madame.

Mme Maryse BERGÉ-LAVIGNE

Tout le monde réclame, depuis ce matin, un changement des règles. Le législateur français peut agir sur les règles valables à l'intérieur du pays. Mais il y a des grands distributeurs, des grands groupes industriels et dans une économie de marché, ouverte sur l'extérieur il nous faut aussi être vigilants, au niveau de l'Europe, et de l'OMC. Il faut veiller au respect d'un minimum de concurrence et c'est aussi notre rôle en tant que politiques.

Mme LEDIT

La loi Galland de 1996 est venue en sus d'un texte de 1986. Va-t-on encore faire un autre texte ? Qu'on nous laisse faire notre travail commercial, que la parole donnée soit une parole gardée comme autrefois, on « topait là » dans le métier de maquignon et c'était respecté. Si les Assises ont eu le mérite de dénoncer un certain nombre d'abus, ce n'est pas elles qui régleront les problèmes commerciaux, et surtout pas la loi.

IV. L'INSERTION DES JEUNES PAR L'ÉCONOMIE

Table ronde animée par M. Gilles BRIDIER, directeur délégué de la rédaction de la Tribun en présence de M. Bertrand PICCARD, aéronaute

Les jeunes et les nouvelles technologies de l'information
et de la communication

Sénateurs participant à la table ronde :

M. Alain DUFAUT (RPR) sénateur du Vaucluse

M. Paul MASSON (RPR) sénateur du Loiret

M. Pierre-Yvon TREMEL (Soc) sénateur des Côtes d'Armor

Chefs d'entreprise participant à la table ronde :

M. Frédéric LEMAITRE, président-directeur général d'Euro-RSCG Omnium

M. Georges NECTOUX, président-directeur général de RICARD

M. Jean-Yves ROSSI, directeur général des services

de l'Assemblée Permanente des Chambres de Métiers

Les jeunes et l'entreprise, les jeunes et la création d'entreprise

Sénateurs participant à la table ronde :

M. Jean-Claude CARLE (RI) sénateur de la Haute-Savoie

M. Léon FATOUS (Soc) sénateur du Pas-de-Calais

M. Jacques VALADE (RPR) sénateur de la Gironde, vice-président du Sénat

Chefs d'entreprise participant à la table ronde :

M. Jean-Pierre BOUSSIQUET, président de la chambre de métiers

d'Indre et Loire

M. Alain DUPLAT, président de la chambre de métiers du Pas-de-Calais

M. Gilles BRIDIER (Directeur délégué de la rédaction de La Tribune)

Nous allons commencer ce deuxième débat avec deux sous débats : l'un portant sur l'insertion des jeunes par l'économie et l'autre sur le rôle de l'économie dans la société. Le sujet a d'ailleurs été abordé, et avec brio, par le Sénateur MARINI qui a souligné et déploré le divorce qui existait actuellement entre l'économie et la société civile.

L'économie peut-elle insérer ? Je crois que l'on va pouvoir être assez optimiste, optimiste comme l'a été M. PONCELET, président du Sénat, qui soulignait qu'avec l'économie réelle et pas une économie un petit peu abstraite, loin du citoyen, on peut effectivement favoriser l'insertion des jeunes dans la société. C'est un fait nouveau. Tout à l'heure, j'ai entendu dire que les jeunes diplômés étaient attirés par la haute fonction publique. Eh bien, aujourd'hui, ce n'est plus vrai. L'économie réelle attire plus les jeunes diplômés que la haute fonction publique. Un sondage a montré que si l'objectif était il y a quelques années, de rentrer à l'ENA et d'aller dans la haute fonction publique, aujourd'hui, une majorité de jeunes veulent créer leur entreprise. C'est très nouveau et cela s'explique très bien et c'est tout à fait dans le sujet de l'insertion des jeunes dans la société.

Les jeunes veulent aujourd'hui créer leur entreprise parce que l'économie réelle passe par l'entreprise et qu'est-ce qui caractérise l'économie réelle aujourd'hui? Tout simplement l'arrivée de nouvelles technologies, d'un nouveau monde, celui d'Internet, avec en même temps, en amont ou en aval, cela dépend de ce dont on parle, les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Je sais bien que c'est un peu « tarte à la crème », tout cela : Internet, qu'est-ce que cela a à voir avec l'insertion ? C'est tout simplement que grâce à Internet, aux nouvelles entreprises, aux nouvelles structures d'entreprises qui se mettent en place, avec ce nouveau média, de nouveaux rapports se créent entre les gens, les rapports hiérarchiques sont aplanis dans les entreprises on Une et les entreprises fonctionnent en réseau, de sorte qu'il n'y a plus les mêmes rapports entre elles. On pourrait longtemps parler de la révolution Internet dans les relations entre les hommes, à l'intérieur de l'entreprise, de la transparence nécessaire dans ces nouvelles entreprises qui se créent et sont entièrement organisées autour de la transmission des données et de l'information. Retenons simplement qu'Internet aura été un formidable accélérateur à la fois dans la nouvelle vision qu'ont les jeunes de l'économie et de l'entreprise, et qu'aujourd'hui - c'est cela qui est nouveau - la création d'entreprises intéresse les jeunes et, à ce titre, est un moyen d'insertion.

Bien sûr, il y a un bémol. Comme le soulignait le président PONCELET, tout à l'heure, la création d'entreprises n'a pas augmenté en 1998. Elle a même baissé pour la cinquième année consécutive. Je crois qu'il y a eu un peu moins de 170 000 créations d'entreprises en 1998, contre 220 000 en 1994. C'est dire que le mouvement est à la baisse de façon régulière. On espérait qu'avec la croissance, en 1999, cela allait se redresser un peu. On l'a cru pendant tout le premier semestre. Et au second semestre, en tout cas en octobre et novembre, il y a eu un fléchissement de 1 à 2 % ; c'est peu mais on peut se poser des questions.

D'abord, a-t-on suffisamment la maîtrise de l'accès à Internet ? On se souvient que la France avait raté la révolution informatique parce que l'informatique n'avait pas suffisamment pénétré les collèges, les lycées et les écoles.

C'est à nouveau un élément qu'il faut prendre en compte, lorsqu'on voit ce qui se passe aux États-Unis, avec le pourcentage de jeunes qui se lancent dans la création d'entreprises via Internet. Il est impératif de ne pas réitérer la même erreur qu'avec l'informatique.

La création d'entreprises - on y reviendra tout à l'heure - cela s'apprend et cela pourrait s'apprendre dans un cadre scolaire, dans un 3 ème cycle, un 2 ème cycle, selon le niveau de connaissances auquel on veut arriver. Or, on s'aperçoit aujourd'hui que les écoles qui ont créé de tels départements, qu'il s'agisse de Centrale, de toutes les SUP de CO d'une façon générale, de l'École de management de Lyon, de l'Institut de gestion d'entreprises, donc des formations orientées sur la pratique, intéressent beaucoup les jeunes, et c'est une matière qui, dans ces écoles, est enseignée comme l'histoire, les maths ou l'instruction civique. On pourrait d'ailleurs se demander si, aujourd'hui, la création d'entreprises, avec ce qu'elle implique de gestion des ressources sociales, ne fait pas aussi partie de l'instruction civique. Bref, comme on le voit, les deux axes sont très proches l'un de l'autre ; l'insertion par les nouvelles technologies de l'information et l'insertion par l'entreprise et la création d'entreprises.

Monsieur LEMAÎTRE, on vient de parler de communication. L'insertion passe, bien sûr, par la communication. Vous êtes une entreprise de communication. Estimez-vous que les nouvelles technologies favorisent l'insertion ?

M. Frédéric LEMAÎTRE (Président directeur général de EURO-RSCG OMNIUM)

Je pense que l'intérêt des nouvelles technologies c'est de permettre à celui qui se branche sur Internet de ne pas avoir une position passive. Il est actif, il va s'informer, rechercher et interagir. On peut donc dire que cet effort est un premier pas vers une insertion puisque c'est la recherche d'une information qu'il a sélectionnée qu'il va essayer de trouver.

Tout à l'heure, le Sénateur MARINI nous expliquait que le fossé grandissait entre les politiques et le monde économique. C'était dû à notre système d'enseignement, entre autres. Pour aller dans le même sens, je dirais que les manuels scolaires diffusent un enseignement encore très traditionnel, que les professeurs d'université, les professeurs des grandes écoles, les professeurs des écoles et les lycées qui n'ont jamais été en entreprise dispensent un enseignement très académique. Le fait d'aller sur Internet permet aux jeunes d'avoir accès à une information différente, parce que plus internationale, et aussi un autre domaine qui exige un effort d'insertion, avec l'usage d'une langue différente de la leur. Il faudra peut-être apprendre l'anglais, ce qui est aussi un effort d'insertion. Si un jeune se présente sur le marché du travail, sans connaître les nouvelles technologies de l'information ni l'anglais, je pense que ses chances sont faibles. Donc, là, en termes d'insertion, c'est manifestement une très bonne chose.

M. Gilles BRIDIER

Je me tourne vers un politique maintenant. Monsieur MASSON, pensez-vous que les politiques sont trop présents dans l'économie, et que l'un des succès d'Internet c'est qu'étant un réseau qui a une vie propre où les politiques n'y sont pas présents, une certaine indépendance peut y être manifestée ?

M. Paul MASSON (Sénateur R.P.R. du Loiret)

C'est vrai, Internet c'est une révolution globale, totale. On a connu en un siècle la révolution de la vapeur, la révolution de l'électricité, la révolution du nucléaire ; je crois que l'introduction du système de communication interplanétaire et la possibilité d'accéder à n'importe quel dossier, où que l'on soit, avec la réponse instantanée qui est en quelque sorte dans les gènes d'Internet, c'est une cassure ; c'est une cassure de société qui, bien entendu, est particulièrement saisie par les jeunes. Ce caractère instantané du système valorise l'individu par rapport au carcan d'une société dont on apprécie plus ou moins les règles et c'est quelque chose qui est reçu avec enthousiasme par la jeune génération. Elle s'affranchit de la société adulte, compliquée, réglementée, et va directement à l'action, directement à la réponse en faisant un peu fi de tous les barrages dressés par les anciens.

C'est merveilleux. C'est un monde nouveau qui s'offre aux jeunes et je comprends parfaitement leur engouement, voire leur enthousiasme. Du côté des politiques, c'est aussi une exigence. Il est vrai que cette révolution nous a pris de plein fouet et que nous sommes nombreux à nous interroger, d'abord sur le système, sa maîtrise ; nous sommes un peu démunis devant ces étranges machines dans lesquelles nous ne pouvons intervenir qu'avec beaucoup de prudence et quelquefois même de suspicion ou d'inquiétude. Le politique va-t-il se laisser distancier de l'économique, tel qu'il est aujourd'hui « managé » ou tel qu'il est esquissé par Internet ? Je crois qu'une des volontés du Sénat exprimée par la voix du président PONCELET, c'est de ne pas se laisser marginaliser. Moi je pense qu'Internet est sans doute une occasion technique. Ne lui prêtez pas des ambitions qu'il ne peut avoir. L'Internet ne sera jamais que ce que le politique voudra qu'il soit. Et c'est aux Politiques, avec un grand P bien sûr, et au pluriel, et dans tous les pays qu'il appartient de réglementer l'usage d'Internet, de telle sorte que ce ne soit pas une foire d'empoigne où le système mafieux s'installerait de façon irréversible.

Pour que les politiques approchent Internet, et pour que les politiques organisent les jeunes autour d'Internet, sans distorsion et sans bavure, il est important qu'ils comprennent un peu dans quoi ils sont, eux, les politiques. Notre volonté d'aller vers l'entreprise, d'aller y discuter, d'entrer dans le système, de le voir, de le comprendre de l'intérieur, est une démarche qui me paraît tout à fait salubre.

En un mot, pour moi, l'économie est la voie royale de la politique citoyenne telle qu'on l'envisage pour demain. Ce clivage, ce faux débat entre le profit et le droit, tel qu'il est parfois encore un peu sous-jacent dans nos écoles ou dans les lycées, avec encore cette répugnance de certains à parler de l'entreprise d'une façon très ouverte, tout cela peut très vite disparaître si, effectivement, l'intrusion des jeunes dans l'entreprise et par la voie d'Internet, est canalisée et aussi contrôlée. Le divorce entre l'entreprise et la société civile, tel que nous le vivons et tel qu'il est perceptible en France, sera bientôt dépassé grâce à cette révolution industrielle. Ce que veulent les jeunes, ce n'est plus avoir un métier garanti mais pouvoir faire son affaire d'une initiative personnelle et s'évader des frontières du monde. Cette excellente situation doit être mise à profit pour faire basculer la société civile et l'entreprise vers un chemin commun.

M. Gilles BRIDIER

Je me tourne vers un autre homme d'entreprise, M. NECTOUX. Vous êtes PDG de RICARD et votre groupe n'est pas directement tourné vers les hautes technologies. Pourtant, tout le monde sait qu'aujourd'hui, bien gérer une entreprise, c'est bien gérer des flux d'informations. On revient toujours donc à ces fameuses technologies. Vous semble-t-il que les jeunes, dans votre groupe, ont une préhension satisfaisante de cette technologie, et est-ce que c'est un bon moyen pour les y faire entrer ?

M. Georges NECTOUX (Président directeur général de RICARD)

Détrompez-vous : même si nos produits sont traditionnels et qu'on a tendance à reproduire ce que l'on fait depuis 60 ans, nos forces de ventes sont informatisées depuis maintenant plus de 15 ans et l'on vient d'introduire des systèmes tout à fait modernes de communication. Nous avons plus d'ordinateurs chez nous que de personnel. Simplement, les nouveaux protocoles de communication sont un peu plus compliqués. On s'aperçoit que l'industrie informatique fournit les produits très rapidement mais qu'ils sont loin d'être parfaits et qu'il faut un gros travail en interne.

L'insertion des jeunes, elle est assez facile parce qu'on n'a pas le choix. Les générations anciennes ont en revanche plus de mal à se former aux nouvelles techniques. Dès qu'arrive une nouvelle génération de matériel informatique, on est obligé de recruter des jeunes assez massivement, ne serait ce que pour servir de coachs aux anciens, pour avoir une fonction enseignante à l'intérieur de l'entreprise. Et ces jeunes que l'on recrute, ce n'est pas du tout à l'école qu'ils ont pris goût à l'informatique mais complètement en dehors. C'est pourquoi j'ai essayé de convaincre deux sénateurs que j'ai eus comme stagiaires, que le bon comportement pour les sénateurs, c'était de s'abstenir de réglementer. Réglementer le monde d'Internet, c'est pour moi une profonde erreur.

M. Gilles BRIDIER

M. NECTOUX vient de souligner que l'absence d'accès à l'informatique favorise l'exclusion. Monsieur TREMEL, comme homme politique, partagez-vous cette idée ? Et lorsqu'il regrette qu'on veuille réglementer Internet, en tant qu'homme politique, partagez-vous le même regret ?

M. Pierre-Yvon TREMEL (Sénateur socialiste des Côtes-d'Armor)

Je suis allé faire un stage au sein d'une Chambre des Métiers, ce qui m'a donné l'occasion d'aller visiter plusieurs entreprises dans le secteur des nouvelles technologies. Ces entreprises créent des métiers tout à fait nouveaux, sur Internet, dans le multimédia, l'optique, l'électronique, etc... : 160 emplois ont été créés et 450 emplois sont prévus dans les trois ans. Autre exemple : une entreprise, c'est même une exploitation agricole, située dans un village en pleine zone rurale dans le département des Côtes-d'Armor, réussit aujourd'hui à vendre du lait par Internet. Je ne sais pas si l'on vend du Ricard par Internet mais cette entreprise a réussi à se placer sur le réseau d'achat des supermarchés grâce à Internet. À y regarder de près, il y a donc là des possibilités énormes de création d'activités économiques et de création d'emploi, donc d'insertion par l'économie.

Parmi les principaux enjeux, il y a celui de l'accès au plus grand nombre pour Internet, il y a la formation, en particulier les entreprises artisanales et puis il y a le problème de la réglementation. Faut-il réglementer ou pas ? Je crois que dans quelques semaines nous allons discuter ici d'un projet de loi sur la société de l'information. En tout cas, la discussion que j'ai pu avoir avec différents chefs d'entreprise concernant tout ce qui tourne autour du commerce électronique, pose des problèmes techniques très importants.

M. Gilles BRIDIER

Vous parlez de l'artisanat. Je me tourne vers Jean-Yves Rossi qui, en tant que directeur général de l'Assemblée permanente des Chambres de métiers, va pouvoir répondre à une question que je souhaite poser et que se posent d'autres personnes, celle des rapports des nouvelles technologies de la formation et de la télécommunication avec le milieu de l'artisanat. Finalement, ce sont deux mondes qui ne se connaissent pas vraiment. Est-il vrai que dans l'artisanat, on n'est pas « branchés » ? Que faudrait-il faire pour qu'on le soit davantage ?

M. Jean-Yves ROSSI (Directeur général de l'Assemblée permanente des Chambres de Métiers)

Une telle approche - excusez-moi de le dire - montre qu'on ne connaît pas bien l'artisanat. L'artisanat a été très tôt impliqué dans l'informatique. Une étude de l'INSEE réalisée en 1989 montre que 63 % des entreprises artisanales sont informatisées, et cela moins de dix ans après l'apparition des micro-ordinateurs. J'ajoute que l'explosion incroyable d'Internet ne s'explique pas seulement par la puissance de la technologie mais surtout parce qu'il y a des gens pour l'utiliser. Pour paraphraser un économiste, un historien, Fernand BREDEL de l'université américaine, qui disait : « l'économie en soi n'a évidemment aucun intérêt », on pourrait dire : la nouvelle économie en soi n'a évidemment aucun intérêt. Il y avait 90 sites Internet dans le monde en 1990. Si aujourd'hui, il y a une telle explosion, c'est parce qu'il y a de plus en plus de gens, comme l'a souligné le sénateur TREMEL, d'hommes d'entreprise qui s'investissent dans ces technologies. Et ce qui est tout à fait passionnant à observer, c'est que le monde de l'artisanat et celui de l'apprentissage artisanal vont être précisément au coeur du mouvement qui s'engage. Quand on parle de l'apprentissage artisanal, on parle de petites entreprises qui ont aujourd'hui un potentiel de développement extraordinaire et il faut quand même souligner à quel point c'est paradoxal.

L'artisanat en France, aujourd'hui, c'est une entreprise sur trois, c'est 43 % des créations d'entreprises, c'est trois fois l'agriculture en population active et en chiffre d'affaires, c'est le tiers de la valeur ajoutée industrielle et c'est un secteur, pourtant, dans lequel l'investissement - et l'on sait tous l'importance de l'investissement pour se développer - est extraordinairement faible : 25 000 F en moyenne par an et par actif, avec trois actifs en moyenne par entreprise. Alors que dans les entreprises de plus de 500 salariés, ce sont 70 000 F par an d'investissements. On est donc sur un secteur extraordinairement paradoxal : un secteur en butte à une concurrence terrible avec l'essor de la grande distribution ; un secteur qui est très dispersé entre 800 000 entreprises et un secteur qui prend une place de plus en plus importante, avec des parts de marché qui se réduisent, dans la valeur ajoutée, et un secteur qui crée de l'emploi et qui a du succès par l'investissement personnel, la volonté permanente d'apprendre de ceux qui le composent, aussi parce que c'est un tissu vivant, un tissu organique de petites entreprises qui s'adaptent. C'est un monde d'autodidactes, et Internet est un outil pour autodidactes.

On aime étudier ce qui se passe en Italie, avec les districts industriels, les districts productifs ; on aime aller voir en Allemagne, où l'artisanat a créé 3 millions et demi d'emplois dans les vingt dernières années. Une région comme la Ruhr, qui était une région industrielle, est devenue une région artisanale. II y a désormais plus d'emplois dans l'artisanat que dans l'industrie dans cette région. Cette évolution qui est engagée depuis 15 ans, 20 ans, dans les entreprises artisanales, arrive aujourd'hui à la rencontre de cette révolution d'Internet avec, également, ce que j'appellerai une ancienne tradition de jeunesse, qui est la tradition très forte de l'apprentissage et c'est là que l'on retrouve le thème de l'insertion par l'économie. Au cours des cinq dernières années, on est passé de 120 000 jeunes en apprentissage dans l'artisanat à 170 000. On est passé de 5 % d'apprentis dans l'artisanat au niveau Bac, à 13 %, soit un quadruplement en valeur absolue. On a donc de plus en plus de jeunes qui vont vers la création d'entreprises, qui savent que l'on crée d'autant mieux une entreprise que l'on a appris un métier. Avoir un métier, c'est avoir de l'or dans les mains. On ne part pas sur une idée, mais sur tout ce qu'on apprend dans une entreprise, et ces jeunes arrivent au moment où cet outil extraordinaire d'apprentissage mais aussi de collaboration qu'est Internet apparaît. C'est dire que nous sommes au début d'une période assez fascinante.

M. Gilles BRIDIER

Il est vrai que le travail en collaboration modifie les rapports à l'intérieur même de l'entreprise, ce qui présente un intérêt supplémentaire. C'est vraiment une révolution sociale à l'intérieur de l'entreprise. Alors, Bertrand PICCARD, les hautes technologies, vous connaissez cela, vous vivez dedans tout le temps. Vous n'êtes pas loin de l'artisanat aussi ; vous ne travaillez pas dans un secteur où l'on fait de la grande série. Que vous inspire ce que vous venez d'entendre ?

M. Bertrand PICCARD

Cela me rappelle ce que connaît tout aéronaute, c'est-à-dire tout pilote de ballon, c'est que l'on doit apprendre à sentir le vent dans lequel on avance parce qu'on ne peut pas se battre contre le vent. Et je crois que les nouvelles technologies, actuellement, sont une réalité contre lesquelles on ne peut pas se battre. Il y a les gens qui sont pour et les gens qui sont contre mais de toute façon c'est un fait contre lequel on ne pourra pas se battre. C'est un mouvement qui est déjà en route et qui sera ce qu'on en fera. Ces nouvelles technologies, elles vont de toute façon vivre. Mais qu'est-ce qu'on a envie d'en faire ? Elles exigent un engagement actif: on ne peut se replier sur ce que l'on connaît sans vouloir s'ouvrir aux autres. C'est une démarche qui, dans ce sens-là, nous bouscule. C'est peut-être pour cela que certaines personnes ont envie de résister, même si c'est impossible. Même si on est devant son écran, tout seul chez soi, volets fermés, c'est une démarche vers l'extérieur. Et c'est une démarche active et pas passive. C'est pourquoi je réagis devant le titre : « Les jeunes et les nouvelles technologies de l'information et de la communication ». Pourquoi est-ce que cela devrait être réservé aux jeunes ? Si cela permet de créer de nouveaux emplois, c'est très bien que les jeunes en profitent, mais cela doit être ouvert à tous, y compris les « vieux » que nous sommes tous puisque les jeunes, dans les nouvelles technologies, ont entre 15 et 22 ans. C'est à cet âge là qu'on crée une entreprise Internet aux États-Unis. Eh bien les vieux que nous sommes ne doivent pas rester en dehors de ce mouvement mais faire un acte d'ouverture vers l'extérieur, d'ouverture vers les autres, d'ouverture vers ce qui est en route, c'est-à-dire vers l'inconnu et dans ce sens-là, c'est une aventure dont nous devons tous être parties prenantes. Réglementer ou ne pas réglementer, là aussi on est dans un clivage. Ce qui est intéressant, c'est plutôt de voir le cadre dans lequel nous avons envie d'utiliser Internet, plutôt que de tout de suite vouloir dire : il faut réglementer ou il ne faut pas. D'abord savoir ce qu'on veut en faire et ensuite voir quel est le contexte. Je pense que les limites d'utilisation où les lois interviendront comme une évidence à la fin, et non pas comme un but au début.

M. Gilles BRIDIER

Merci, Bertrand PICCARD. Vous avez raison, les nouvelles technologies ne sont pas réservées aux jeunes. De votre propos, je retiens que c'est une réalité contre laquelle on ne peut pas se battre. Ce serait aller contre le phénomène d'insertion par l'économie, lequel suppose que l'on accompagne les évolutions et pas le contraire. Y a-t-il des questions dans la salle ?

M. FONTANA. Conseiller en Communication

Je remercie M. PICCARD d'avoir un peu recentré le débat sur le sujet : les nouvelles communications et les nouvelles technologies. Pour ma part, je m'étais interrogé sur l'insertion des jeunes par l'économie. Là-dessus deux réflexions viennent d'abord à l'esprit : la première consiste à dire que les nouvelles technologies, c'est bien, mais que, plus il y a de technologie, moins on communique. Cela, on le voit très bien dans notre secteur : il faut se battre pour arriver à déclencher des communications aller et retour et non plus à sens unique. Et la deuxième réflexion qui porte sur le véritable sens du débat : plutôt que l'insertion des jeunes par l'économie, n'est-ce pas plutôt l'insertion des jeunes dans l'économie ?

M. Gilles BRIDIER

Sur le dernier point, je dirais insertion « par l'économie » car pour être dans l'économie, il faut déjà avoir trouvé une porte et se trouver dans un univers économique et dans une culture économique.

M. FONTANA

Vous les insérez dans l'économie, mais où ? Dans un projet social, dans un projet global, dans un projet d'insertion culturelle à l'accès à la connaissance par Internet, mais alors là, l'accès à l'économie exige des moyens économiques. Et tous les jeunes n'ont pas Internet chez eux même s'il y a des bourses d'accès par temps partagé, ou même si, dans les écoles, cela se fait un petit peu. Et puis l'insertion des jeunes par l'économie, d'accord, mais dans quel but ? Pour en faire quoi ? Des internautes, ou pour en faire des citoyens, ou que sais-je encore. Il faut qu'il y ait un projet qui porte la réflexion.

M. Gilles BRIDIER

Nous y reviendrons. Je veux maintenant demander à Frédéric LEMAÎTRE si plus de technologie c'est moins de communication ou si c'est une technologie utilisée autrement pour une autre communication ?

M. Frédéric LEMAÎTRE

Que plus de technologie ce soit moins d'information, je ne le pense pas. Au contraire, l'utilisation des technologies permet une organisation, par exemple de forums, qui se traduit par la création de communautés d'intérêt, lesquelles peuvent communiquer entre elles. Ensuite se produit une diffusion de l'information, laquelle devient accessible. Ainsi, dans mon domaine, celui de la finance, il y avait des professionnels, des analystes financiers ou des gérants de fonds qui avaient accès à une information en quelque sorte « privilégiée » et des individus qui venaient investir sur les marchés financiers mais qui, eux, n'avaient pas accès à cette information. Aujourd'hui, grâce à Internet, et ça c'est clair, il y a une égalité d'accès à cette information, il n'y a plus ce clivage entre les professionnels et les individuels. Quant à l'entreprise, elle peut diffuser l'information dans le monde entier. Je pense donc que plus il y a de technologie, plus il y a de communication.

M. FONTANA

Je pensais que vous aviez compris le sens de ma remarque. Plus de technologie tue la communication parce qu'on sait très bien que ce qui tue la communication, c'est la surabondance de communication. Or, la technologie est aujourd'hui attrayante parce que les gens utilisent un portable, plus pour l'appareil lui-même, en tant qu'outil technologique, et non pas comme un moyen de communication mais un moyen, je dirais, de relation entre un point et un autre, en autarcie. Même sur Internet, on s'aperçoit qu'en fin de compte, on retrouve toujours les mêmes au même endroit. C'est vrai que c'est ouvert au public de façon officielle, généreuse, mais dans la réalité de la pratique, il y a des autarcies de communication et l'on sait très bien que devant la masse d'informations proposées sur Internet, on se demande toujours si l'on a du temps à perdre pour aller voir.

M. Gilles BRIDIER

L'économie telle qu'elle se pratique aujourd'hui exige d'avoir accès à l'information par des méthodes modernes ; après, ce que l'on en fait, c'est pas l'internaute tout seul devant son écran avec sa souris qui en décide.

M. FONTANA

Revenons aux jeunes puisque c'est le sujet du débat. Dans quelle situation sont-ils pour pouvoir au mieux appréhender ce système ?

M. Gilles BRIDIER

Nous allons maintenant répondre à la deuxième partie de votre question avec M. MASSON : l'insertion des jeunes dans l'économie mais pour quel projet social ?

M. Paul MASSON

La question pourrait être présentée autrement : « l'insertion des jeunes par l'économie, telle que conditionnée par les nouvelles formules de communication, n'est elle pas une nouvelle forme d'aliénation, d'aliénation des jeunes à l'économie ? » Et l'on rejoint là, à certains égards, un vieux débat, où l'entreprise était la meilleure façon d'aliéner les jeunes à un système capitaliste dépassé. Bien entendu, je ne fais pas mienne cette appréciation mais il est vrai que l'on peut se poser la question : « les nouvelles formes de communication ne sont-elles pas une nouvelle forme d'aliénation du jeune à un système ? »

Il y a au moins un point sur lequel nous pouvons être d'accord, c'est que la technologie nouvelle que maîtrise le jeune est pour lui une forme d'indépendance, une capacité qu'il a d'interroger où il veut n'importe qui, à condition de maîtriser le système. L'économie administrée sera moins facile à imposer aujourd'hui dans un système qui éclate et dans lequel chaque jeune trouve son indépendance, ou croit trouver son indépendance, qu'elle ne l'était il y a encore vingt ans. La communication ouverte est quand même un moyen d'affranchissement de toutes les servitudes. Votre question comporte une sous question ; ne veut-elle pas dire « en définitive, c'est quand même l'économie de marché qui aura la responsabilité de répondre à l'enthousiasme du jeune vis-à-vis de l'entreprise ? » Je crois qu'effectivement, l'économie administrée qui est le contraire de l'économie de marché est interdite par le jeu de la nouvelle économie. Ce n'est pas pour autant que la nouvelle économie ne doit pas être régulée, si je puis dire « moralisée ». Je crois qu'à un moment ou un autre, il faudra que le politique revienne en force et définisse les conditions dans lesquelles la nouvelle économie s'insère dans un système où les jeunes l'apprennent avec enthousiasme. Cela veut dire qu'il faudra voir très vite les conditions dans lesquelles le dispositif mécanique se met au service de quelque chose et pourquoi faire. Voilà l'une des questions qui sera posée à la nouvelle génération politique dans les dix prochaines années.

M. Gilles BRIDIER

Qu'en pense Bertrand PICCARD ?

M. Bertrand PICCARD

Quelle que soit la manière dont on répond, que ce soit « dans l'économie », ou « par l'économie » quelles que soient les tentatives de réponse, il me semble qu'il y a un point commun à toutes les manières de poser la question : comme si l'économie, c'était extérieur à nous : un endroit où l'on va, quelque chose dont on ne fait pas partie et dans lequel il faut entrer. Je pense qu'il y a là le germe le plus fort du chômage, le germe le plus fort de la régression sociale parce que, en réalité, l'économie c'est nous, chacun de nous ; ce n'est pas l'endroit où l'on va mais ce que l'on porte en soi et, en ce sens, on n'est pas « intégré » dans l'économie ; on est intégré avec soi-même ou en soi-même dans une dimension d'échange, dans une dimension de partage, dans une dimension de création. On n'a pas du tout besoin d'être pris dans l'économie ; on peut être tout seul dans son coin et créer une société Internet qui fera 200 millions de bénéfices en trois ans. Cela montre bien que l'on est obligé de sortir de ces anciens schémas où l'on va « s'asservir » ou « s'affilier », suivant de quel bord on est, à quelque chose d'autre. Cela part de nous, c'est une démarche active.

M. Pierre-Yvon TREMEL

Un mot à propos de la deuxième partie de la question, qui est pour moi très très importante, parce qu'il s'agit d'une interrogation sur les moyens d'accès aux nouvelles technologies. Il y a là deux enjeux sur lesquels on peut, entre politiques et entreprises, se retrouver. Le premier enjeu, c'est la formation. Se pose le problème de la formation aux nouvelles technologies depuis l'école, mais aussi tout au long de la vie, avec la nécessité d'essayer de réduire les inégalités. Et l'autre enjeu qui, pour les sénateurs, est fondamental, c'est la fracture qui peut naître aussi du développement de ces nouvelles technologies à cause d'un aménagement du territoire qui serait mal maîtrisé. Les autoroutes de l'information, le développement des réseaux à haut débit, etc. cela concerne qui et où dans le territoire ? Voilà qui nous interpelle.

M. Christian NANIN

Je suis venu à ce colloque parce que le thème de l'insertion des jeunes par l'économie m'a paru extrêmement important, surtout par rapport à mon expérience. Je suis un ancien gérant de fonds de pensions aux États-Unis. Je suis revenu en France et dans ce métier là, je m'étais rendu compte que les chefs entreprises avaient d'énormes difficultés à communiquer avec les analystes financiers, à guider leur actionnariat. Alors, j'ai monté un cabinet pour les y aider et je pense que c'était une bonne façon de s'insérer dans l'économie par la création d'entreprises. Mais toutes sortes de difficultés se présentent : vous n'êtes pas connu, ce n'est pas facile de faire la prospection...

M. Gilles BRIPIER

Le débat sur la création d'entreprises viendra juste après.

M. Christian NANIN

Je termine, puisque j'ai commencé. Trouver des clients n'est pas facile. Cela coûte cher de faire la prospection. Vous n'êtes pas connu malgré la compétence que vous avez. Il faut négocier avec le banquier pour avoir de l'argent, etc. Moi je pense que le vrai débat est là et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Gilles BRIDIER

Je pense que c'est une très bonne transition puisque l'heure avançant, nous allons passer au débat suivant, sur la création d'entreprises comme moyen d'insertion des jeunes par l'économie.

Comme on le disait en préambule, l'entreprise c'est l'économie réelle. Avant, elle était loin du citoyen. Maintenant, pour des tas de raisons, elle s'en rapproche et cela plaît aux jeunes. Alors, du même coup, l'entreprise est une porte d'entrée pour les jeunes dans l'économie, et un intervenant a bien souligné que ce lieu où l'on peut prendre des responsabilités, où l'on peut s'affirmer soi-même, où l'on peut faire preuve de créativité, où l'on peut communiquer, est un lieu qui prédispose tout à fait à l'insertion. Et comme on le disait aussi tout à l'heure, le problème, c'est qu'on n'apprend pas à créer des entreprises et peut-être pas assez. C'est ce qui fait qu'aujourd'hui, alors qu'il y a une croissance en France, la création d'entreprises n'accompagne pas le mouvement, beaucoup moins en tous cas qu'aux États-Unis. On peut espérer que, malgré tout, cela se déclenchera.

Dans un premier temps, je me tournerai vers M. BOUSSIQUET qui est président de la Chambre des Métiers d'Indre-et-Loire pour lui demander : Qu'est-ce qui manque en France pour déclencher quelque chose lorsqu'on veut créer une entreprise. Est-ce la simplification des procédures ? Elle a commencé il y a une quinzaine d'années, mais on sait qu'elle n'est pas encore totalement réalisée. Est-ce le poids des prélèvements obligatoires qui rebute les gens ? Est-ce une question culturelle qu'il faut revoir au départ, dès le collège, dès le lycée, dès la jeunesse ? Qu'est-ce qui manque ?

M. Jean-Vincent BOUSSIQUET (Président de la Chambre des Métiers d'Indre-et-Loire)

Je crois qu'il y a aujourd'hui, parmi les jeunes, une forte volonté de créer son entreprise. Et pourtant le constat a été fait tout à l'heure : il y a insuffisance de créations, voire régression.

Je crois qu'il ne faut pas non plus considérer la création par la quantité, mais plutôt par la qualité. Je vois là deux problèmes majeurs : le premier, c'est que lorsqu'un jeune veut créer son entreprise, il faut qu'il ait un dossier bien préparé ; et puis, deuxième problème, le financement. On y revient toujours mais les choses ont évolué. Lorsqu'on créait son entreprise il y a une dizaine d'années, le ticket d'entrée n'était pas très cher. Aujourd'hui, ce n'est plus du tout la même chose. Il faut des moyens, des moyens de communication, des moyens humains aussi. Il faut souvent embaucher tout de suite pour pouvoir rentabiliser son entreprise et je crois que là, il faut mettre tout en oeuvre pour que ces moyens financiers soient mis à la portée du jeune créateur. Voilà le premier point que je voulais évoquer.

M. Gilles BRIDIER

Vous avez parlé des moyens financiers. Je me tourne vers M. CARLE, sénateur de la Haute-Savoie. Est-ce que selon vous, sur le plan des moyens financiers, on a quand même évolué ? Vous faites partie d'une famille politique qui a beaucoup oeuvré pour que l'épargne de proximité puisse aller vers la création d'entreprises. Où en est-on ? Et puis parlez-nous aussi de cette dimension culturelle qui fait que si l'on était mieux armé, mieux préparé à créer une entreprise, on aurait peut-être moins peur de franchir le pas.

M. Jean-Claude CARLE (Sénateur Républicain et Indépendant de la Haute-Savoie)

Il y a deux problèmes. Il y a un problème culturel et il y a un problème, j'allais dire d'environnement, environnement financier, bien sûr, mais pas seulement. Et les réponses ne sont pas les mêmes. Touchant à la culture, ce sont des réponses à long terme ; pour les problèmes de contraintes, c'est à plus court terme.

Il est vrai que les choses ont changé. Quand on interroge, en particulier « l'élite » - mais l'élite, qu'est-ce que cela veut dire ? Il y a aussi ceux qui ont « l'intelligence de la main », laquelle n'est pas assez valorisée dans notre société. Je crois qu'il y a là un formidable effort à accomplir en matière de formation, en matière d'orientation et dont nous sommes tous responsables. Il y a bien sûr l'éducation, mais aussi le fait des parents et le fait de l'entreprise. Je crois que là, il y a un problème culturel.

Le deuxième problème est celui des contraintes qui pèsent sur la création d'entreprises : c'est un véritable parcours du combattant. Quand un jeune, ou un moins jeune même, veut créer son entreprise, il lui faut à peu près six mois dans notre pays alors que quelques jours, pour ne pas dire quelques heures, suffisent dans d'autres pays. Il faut lever ces deux contraintes.

M. Gilles BRIDIER

Je me tourne vers un autre homme politique, M. FATOUS, qui est sénateur socialiste du Pas-de-Calais. Est-ce que dans votre famille politique, on pense aussi qu'il faut alléger les contraintes ? Est-ce que, selon vous, d'après l'expérience que vous en avez sur le terrain, cela va assez vite?

M. Léon FATOUS (Sénateur socialiste du Pas-de-Calais)

Je vais répondre à votre question, mais j'irai un peu plus loin. D'abord, je veux vous dire que ce sont des problèmes que je connais assez bien. Étant moi-même fils d'artisan et ayant dirigé, jusqu'en 1975, une entreprise d'une cinquantaine de personnes. Créer des entreprises, très bien, encore faudrait-il aussi avoir suffisamment de personnes pour les faire fonctionner. Je prends un exemple : j'ai reçu voici quelques jours, de l'ANPE du Pas-de-Calais où je suis parlementaire, des fiches des métiers dont les offres sont difficiles à satisfaire, qu'il s'agisse des couvreurs, des maçons, des chaudronniers, des cuisiniers, des bouchers, je pourrais vous citer une trentaine de professions, on ne trouve pas d'employés. Il y a donc là un vrai problème. Créer des entreprises, oui, mais à condition de pouvoir leur fournir du personnel.

J'en viens au problème de la formation. J'ai constaté dans le Pas-de-Calais avec la Chambre des Métiers, je l'ai constaté également en Indre-et-Loire, la formation est un élément important pour les Chambres des Métiers. J'ai visité le CFA de Tours et j'ai vraiment été très heureux de constater que la Chambre des Métiers avait pris cela à coeur et formé de nombreux jeunes. Le problème de la formation des jeunes est essentiel. Comme vous le savez, 30 % sortent des collèges sans aucune formation et ce sont finalement les artisans qui embauchent ces jeunes sans formation. Pour eux, la formation c'est une partie de leur temps sur le tas, l'autre partie en CFA. Ils sortent de là avec un CAP et voilà des jeunes qui sont éventuellement prêts à reprendre une entreprise.

Mais reprendre ou créer une entreprise, il faut reconnaître que ce n'est pas facile. Un de mes fils est devenu commerçant et le gros problème, il est d'ordre financier. Les banques prêtent mais pas à 0 %, à des taux assez élevés, et elles sont revendicatives quand les recettes ne rentrent pas assez rapidement !

Pour moi la priorité c'est de former davantage. Il faut donc aider davantage les Chambres des Métiers pour qu'elles puissent faire un effort plus grand et s'occupent aussi des 10 % de cas les plus difficiles parmi ceux qui sortent du collège sans aucun diplôme.

M. Gilles BRIDIER

Puisque l'on parle de formation, je me tourne vers M. DUPLAT qui est président de la Chambre des Métiers du Pas-de-Calais. La formation est certes quelque chose de très important, mais il y a longtemps qu'on en parle et la formation n'a pas toujours eu les résultats que l'on souhaitait, notamment en matière d'adaptation aux nouveaux métiers. On voit qu'aujourd'hui, il y a des goulets d'étranglement, aussi bien dans les nouveaux métiers - tous les métiers de la haute technologie - mais aussi dans les métiers traditionnels. Par où est-ce que la formation pêche ? Les jeunes qui arrivent en formation sont-ils suffisamment sensibilisés à l'activité en entreprise ? Vivent-ils cette formation comme quelque chose de positif ou un peu comme une exclusion ?

M. Alain DUPLAT (Président de la Chambre des Métiers du Pas-de-Calais)

Le niveau de recrutement dans les centres de formation d'apprentis est relativement bon. Et même avec un public très difficile, on arrive à obtenir un taux d'insertion de 90 % et un taux de réussite au CAP de 80 %. Le problème c'est surtout la motivation, et à l'heure actuelle, comme le disait le sénateur FATOUS, on est, tout au moins dans notre département, très déficitaires à la fois pour les reprises d'entreprises, la création d'entreprises et aussi pour le personnel d'accompagnement.

La reprise d'entreprises n'est pas toujours facile et les Chambres des Métiers devraient y aider grâce à des mesures d'accompagnement après les sorties de CAP et de BP, et même niveau BAC, avec une sorte de parrainage de ces jeunes qui entrent dans une jungle, dans un circuit très concurrentiel. Il y a là un effort à faire. Il est tout à fait anormal qu'à l'heure actuelle toutes les petites entreprises, en particulier alimentaires, ferment en milieu rural et même en milieu urbain, alors qu'il y a la possibilité de reprendre des entreprises viables.

M. Gilles BRIDIER

Justement, que manque-t-il pour que ces possibilités soient mises en valeur, pour que le terrain soit défriché, pour que ces entreprises renaissent ?

M. Alain DUPLAT

Un accompagnement à la sortie des CAP et des BP, un effort particulier, relationnel entre le futur repreneur d'entreprises, la Chambre des Métiers et les organisations professionnelles, une sorte de parrainage.

M. Gilles BRIDIER

Ce n'est pas simplement un accompagnement financier, c'est aussi un savoir faire ?

M. Alain DUPLAT

Oui, à partir du moment où vous avez une valeur sûre en reprise d'entreprise, avec l'accompagnement des organisations professionnelles et en particulier celui des Chambres des Métiers, on arrive à trouver des financements.

M. Gilles BRIDIER

Monsieur VALADE, VOUS êtes sénateur de la Gironde et vice-président du Sénat. On parle beaucoup d'accompagnement, notamment financier ; on parle aussi d'un environnement culturel favorable et donc d'accompagnement, là aussi. Quel est votre sentiment, prépare-t-on suffisamment les jeunes à la vie en entreprise et éventuellement à la reprise d'entreprises ?

Tout à l'heure, Monsieur CARLE disait qu'il n'y avait pas que les jeunes diplômés, c'est vrai, mais eux aussi ont parfois des problèmes d'insertion, à tel point que dans des grandes écoles on prévoit des sas pour préparer les jeunes diplômés à entrer dans l'entreprise. Monsieur VALADE, quel est votre constat sur le terrain ? Des mesures d'accompagnement peuvent-elles facilement être mises en place ?

M. Jacques VALADE (Sénateur R.P.R. de la Gironde, vice-président du Sénat)

Vous avez dit tout à l'heure que l'entreprise était la porte d'entrée des jeunes dans l'économie. C'est à la fois vrai et c'est également une évidence. Mais il y a plusieurs handicaps à surmonter. Tout d'abord, il y a une question de mentalité. M. CARLE disait tout à l'heure que la culture d'entreprise n'est pas particulièrement répandue dans notre pays. Que cherchent les parents ? Ils cherchent une sécurisation et celle-ci se trouve plutôt - disons le entre nous pour ensuite oublier - dans un poste de type administratif que dans un poste de type productif, et cette mentalité est très française.

On a dû essayé de rectifier les choses et puis le temps a passé. On a fait beaucoup d'efforts en formation initiale. Puis les Chambres de Métiers, les Chambres de Commerce et d'Industrie et les collectivités locales, que ce soient les conseils généraux ou les conseils régionaux, ont essayé de rectifier localement, sur le plan du territoire. Pourtant, au niveau de l'insertion dans l'entreprise, quelle que soit la qualité du garçon ou de la fille, il y a encore beaucoup de chemin à faire pour accompagner ces jeunes gens. En ce qui concerne la création d'entreprise, parce qu'il me semble que c'était de cela que nous devions parler essentiellement, avant d'imaginer de créer une entreprise, il faut que le jeune, ou le moins jeune, car c'est vrai pour toutes les générations, ait un projet d'entreprise.

Or, la formulation d'un projet d'entreprise est chez nous un handicap considérable. On évoque systématiquement, à propos de la Silicon Valley ou de je ne sais quelle route 135, le petit génie qui, dans son garage, invente quelque chose, mais pour un petit génie qui invente et éventuellement un petit génie encore plus rare qui a réussi, combien y a-t-il d'échecs ? Les moyens me paraissent exister, peut-être pas en nombre suffisant, mais ce qui manque finalement c'est la main qui peut guider à la fois le jeune plus ou moins formé, et quelquefois plutôt moins que plus, le jeune qui est inventif et qui a l'esprit d'entreprise, dans ce maquis que nous constituons et que nous organisons, parce que nous sommes en France des champions pour réglementer, de façon extrêmement raffinée. Tout est parfait, nous avons une réglementation, une législation absolument impeccables et je rejoins ce que disait le président de la Société RICARD tout à l'heure : il faut certes légiférer mais il faut aussi insuffler l'esprit nécessaire et puis soutenir ceux qui ont cet esprit.

M. Gilles BRIDIER

Vous venez de parler de projet d'entreprise. Effectivement il faut un tel projet pour créer une entreprise, ce qu'on appelle aussi un business plan, pour parler franglais, et si j'utilise ce terme c'est parce que, souvent, dans les banques que l'on sollicite pour avoir les financements, et les banques que l'on critique pour ne pas être assez aventurières, pour ne pas assez accompagner les projets qu'on leur propose, la réponse est : oui, mais il n'y a pas de business plan, le projet n'est pas assez bien ficelé. Or, justement on n'apprend nulle part à le faire. Alors, au niveau politique, qu'est-il possible de faire pour inciter les écoles, les instituts de formation à enseigner comment bâtir un business plan ?

M. Jacques VALADE

Je vais témoigner d'une expérience que j'ai vécue alors que j'étais en charge d'un ministère. Les chefs d'entreprise, dans le secteur nouveau, à l'époque, de la monétique, c'est-à-dire tous ceux qui fabriquent toutes ces cartes qui nous sont nécessaires, sont un jour venus me trouver en me disant : voilà, nous sommes un certain nombre de chefs d'entreprise en plein développement et nous avons besoin de techniciens supérieurs, d'ingénieurs et nous ne les trouvons pas sur le marché de la formation publique, ni privée d'ailleurs. Leur question était : qu'est-ce que vous faites, Monsieur le ministre ? Allez-vous mettre en place, en route, une formation qui nous satisferait ? Ou bien la puissance publique s'en désintéresse-t-elle et à ce moment alors nous prendrons les dispositions nécessaires. Nous ne sommes pas maladroits. Nous avons déjà formé l'équipe dont nous avons besoin et nous sommes prêts à le faire. Nous voulons nous insérer dans une communauté nationale et internationale. Êtes vous prêt à répondre à cette attente ? Bien sûr, j'ai répondu positivement. Cela a donné des résultats au rythme, à la cadence, de la mise en place de cette formation au niveau de l'éducation nationale mais, malgré tout, nous avons répondu à cette volonté. Et cela me permet de répondre à votre question. L'État ne doit pas, ne peut pas prendre toutes les initiatives dans ces domaines, d'abord parce qu'il n'est peut-être, disons-le, pas totalement compétent, pour ne pas dire incompétent. Il est de son devoir et, je serais tenté de dire, de sa responsabilité, d'accompagner l'évolution de l'activité et de la détecter, autant que possible avant, mais en tout cas, d'être à la disposition de ceux qui ouvrent de nouveaux espaces à la fois dans la recherche, le développement et, éventuellement, l'emploi. Voilà la réponse.

M. Jean-Claude CARLE

La formation est certes nécessaire mais le plus important, c'est de donner l'envie d'entreprendre. Or, vous avez dit, et c'est vrai que les jeunes interrogés se reconnaissent davantage aujourd'hui dans Jean-Marie MESSIER que dans Lionel JOSPIN OU dans Alain JUPPÉ. Tant pis pour les hommes politiques que nous sommes. Mais je crois que c'est un problème de mentalité. Et c'est de la responsabilité, je le répète, de la communauté éducative, des parents et des chefs d'entreprise. J'habite une région où il y a 1 200 PME. Quand j'entends les chefs d'entreprise dire à leurs enfants : fais quelques études pour ne pas faire ce « putain de métier », cela pose un réel problème. Je crois que c'est important. Ensuite, le rôle du politique, c'est d'apporter un accompagnement, une ingénierie financière et là il faut qu'on revoie nos aides : on consacre des milliards de francs chaque année aux aides aux entreprises mais elles sont toutes mal ciblées. Il importe aussi d'améliorer la validation des formations. On a parlé de parrainage et c'est important parce qu'aujourd'hui, les dossiers sont validés par qui ? Autour des plates-formes d'aide, vous avez l'ANPE, vous avez la Direction Départementale de l'Emploi, vous n'avez pas de chefs d'entreprise, ceux qui sont le mieux à même de juger de la pérennité d'un projet. Je crois que sur la méthode, un recentrage est nécessaire, de la part des collectivités, des régions en particulier, sur les aides à la création et les aides à la transmission d'entreprise. Pour le reste, elles sont toutes aussi inefficaces les unes que les autres. Je crois qu'il y a 2 133 aides différentes aux entreprises auxquelles ont été consacrés cette année 156 milliards de francs.

M. Jean-Vincent BOUSSIQUET

En ce qui concerne la formation, je crois qu'elle doit être davantage orientée vers les créateurs d'entreprise. Dans le passé, nous avions des « diplômes barrières » qui étaient le certificat d'études primaire, le CAP, le BAC mais on ne pouvait pas passer de l'un à l'autre. Aujourd'hui, c'est fini : nous avons des « diplômes passerelles » : CAP de niveau 5, bac professionnel niveau 4, BTS niveau 3. On peut même aller jusqu'au diplôme d'ingénieur. L'apprentissage par alternance, il faut bien le rappeler, c'est un contrat de travail pour le jeune, bien sûr, le chef d'entreprise, l'artisan qui est son tuteur, qui va le mettre sur la bonne voie, lui assurer la formation technique mais aussi le responsabiliser dans l'entreprise et là où il faut qu'il y ait vraiment une bonne entente, une parfaite harmonie. Il y a aussi le centre de formation d'apprentis auquel le sénateur FATOUS a fait allusion, qui apporte le supplément d'enseignement général dont le jeune a besoin, et également le complément technique. Je voulais souligner que l'artisanat dispose aussi d'une politique et d'une filière de promotion sociale. Vous connaissez, j'espère, le brevet de maîtrise qui est un diplôme ayant une valeur réelle et qui met vraiment le jeune ou le moins jeune créateur, puisque c'est ouvert à tout âge, dans les conditions de création d'entreprise. En fait, il ne suffit pas de connaître la technique ; il faut obligatoirement faire de la gestion et la gestion ce n'est pas que de la gestion financière, c'est la gestion des hommes. On ne peut pas se lancer dans la vie active comme çà, la fleur au fusil, il faut avoir une base et il y a des étapes qu'il ne faut pas brûler. Je crois qu'aujourd'hui, ce que l'on demande aux Chambres des Métiers, c'est de pouvoir doter les futurs créateurs de tous les bons outils afin que les entreprises qui pourront se créer soient pérennes. Il ne faut pas en effet créer pour le plaisir de créer, mais créer des entreprises qui puissent vivre longtemps.

M. Gilles BRIDIER

C'est une fort bonne chose que les Chambres des Métiers dispensent ces formations parce qu'on sait que, s'il y a une très forte mortalité des entreprises qui se créent au bout de cinq ans, c'est justement à cause d'une gestion mal maîtrisée. Sur la création d'entreprises, que pense l'aéronaute ?

M. Bertrand PICCARD

Je ne suis pas qu'aéronaute et je suis très étonné quand j'entends parler de « parcours du combattant » et de tracas administratifs pour créer une entreprise en France. Parce que moi j'ai créé une entreprise il y a quinze ans en Suisse, une petite entreprise d'aviation, avec quelques employés : construction de prototypes, d'ULM, utilisation pour différents domaines touristiques, etc.. J'ai créé mon entreprise en une demi-journée. Il faut aller au registre du commerce avec un extrait de son casier judiciaire et un acte d'origine et puis, si possible, le nom de la société, sinon on doit revenir le lendemain pour donner le nom. Il n'y a que cela comme formalités. Je me demande donc, et là je n'aurai aucune réponse à vous donner, si la difficulté de créer une entreprise, sur le plan administratif ou sur le plan psychologique, est proportionnelle aux clivages dans la société entre patrons et salariés, employeur et employé. Est-ce que la difficulté de créer une entreprise, ce n'est pas la difficulté à changer de classe sociale ? Et dans ce sens il y a très certainement une réticence pour certains à passer de patron à employé ou d'employé à patron et, dans les sociétés de type anglo-saxon, où il y a beaucoup moins de clivages, moins de traditions de lutte des classes, il est très facile de devenir patron quand on est un salarié, et pas du tout humiliant de redevenir employé quand on a été patron. D'où une facilité de créer, de défaire, de refaire autre chose, d'accepter d'échouer également, à certains moments. Si l'on ne prend pas le risque de « rater », on ne réussira jamais. Je propose cela comme une des explications hypothétiques de ce problème.

M. Gilles BRIDIER

Et c'est pourquoi les entreprises qui se créent, les entreprises de technologie, les entreprises de la net économie, sont intéressantes et attirantes pour les jeunes parce que cette remise on Une des rapports entre les salariés et leurs employeurs conduit à une véritable révolution culturelle. Y a-t-il des questions dans la salle ?

M. Jacques-André PRÉVOST (Président de l'Institut pour la simplification)

J'anime un cabinet spécialisé dans la simplification de l'environnement public des entreprises. J'ai moi-même créé ma première entreprise en 1967. J'en ai créé huit par la suite dans des domaines différents et j'ai toujours été un militant de la création d'entreprise. J'ai d'ailleurs publié un roman sur la création d'entreprise en 1978 qui a obtenu un prix littéraire. Je vous remercie donc pour ce débat très intéressant qui, de ma part, a suscité une réaction peut-être un peu différente de votre sensibilité. Premier point : est-ce que ce sont les complexités administratives qui dissuadent de créer une entreprise ? Monsieur PICCARD, vous avez eu raison de dire non, vous l'avez dit pour la Suisse, mais en France aussi, il y a eu les textes de 1987 ; des efforts ont été faits. On peut créer une entreprise en une demi-journée, en une semaine ; je parle des démarches administratives, je ne parle pas du choix de la formule juridique, des problèmes de montage, de financement, etc. qui sont une autre question. Deuxième point : le problème culturel. Je crois qu'il faut revenir aux chiffres. Nous savons aujourd'hui qu'il y a 3 millions de Français qui veulent créer leur entreprise ou qui ont une idée de création. Ce n'était pas du tout le cas il y a quinze ans. En 1978, on en était à 100 000, 150 000 ; en 1986, 1987, à 700 000. C'est dire que le problème culturel n'est plus du tout le même : les gens ont envie de créer. Il y a eu beaucoup de combats autour de la création d'entreprise. Dans les années 80, c'est celui de la culture de création qui a été gagné. Que peut-on peut faire de mieux que ce qu'ont fait Bernard TAPIE ou Alain MADELIN ? Puis c'est le problème du financement qui a été posé. En 1987, les politiques de simplification que nous avons mises en place ont entraîné la création de 9 000 entreprises pérennes supplémentaires. En 1993, avec le retour d'une vraie politique de simplification, ce sont 20 000 entreprises environ qui ont été créées dont 8 500 à la suite d'une intervention du CEPME. On peut ainsi revenir sur un certain nombre d'idées qui ne sont pas toujours conformes aux chiffres et aux faits. Reste la question : que faut-il faire ? Le problème, vous l'avez posé, monsieur le Sénateur, est : comment se fait-il que les chefs d'entreprise disent à ceux qui veulent créer des entreprises : « Surtout n'y allez pas. Surtout échappez à la vie que nous menons. Surtout faites autre chose ou partez aux États-Unis, partez en Grande-Bretagne ». Aujourd'hui, le combat ne se situe plus au niveau de la mobilisation, de la motivation, de la formation, du qualitatif. Je cite volontiers cette phrase de Louis Armand : « La qualité est toujours un sous-produit de la quantité ». Le problème n'est donc plus là du tout, il découle de la complexité de l'environnement public de l'entreprise. Complexité juridique, fiscale, pénale, sociale, institutionnelle, judiciaire et administrative. On ne parle jamais du judiciaire alors que c'est fondamental : un procès, plus un contrôle tuent une entreprise de trois ans ou de quatre ans. La moitié ou les deux tiers des entreprises qui sont tuées au bout de cinq ans ne le sont pas par une absence de marché ou parce que leurs patrons ne savent pas gérer mais à cause de procès ou de contrôles qui les mobilisent pendant six mois - et six mois de chiffre d'affaires en moins, cela tue.

Voilà donc le message. Je crois que l'essentiel c'est vraiment de s'appliquer à simplifier l'environnement public des entreprises, et tant pis si j'ai l'air d'enfoncer une porte ouverte.

M. Gilles BRIDIER

Y a-t-il d'autres questions dans la salle ?

M. ADELINE

J'ai monté une entreprise de services, de mise en relation de personnes, il y a trois ans, grâce au soutien de la Pépinière d'entreprises de Suresnes. Je salue au passage M. DUCROU, qui a su insuffler dans le département des Hauts-de-Seine, un courant de création d'entreprises très important. On a parlé du problème du financement des entreprises, des contraintes administratives et juridiques. Mais il me semble qu'un élément a été oublié, je veux parler du commercial et du moteur nécessaire qu'il représente dans une entreprise, notamment quand l'entreprise est montée par un jeune. Et, en la matière, il me semble qu'il y a un outil qui devrait largement faciliter les choses et les représentants des Chambres de Métiers vont être sensibles à ce que je vais dire, c'est l'effet de réseau, en partie basé sur Internet. Bien sûr, une telle prestation commerciale a un coût et ce coût, dans le monde très compétitif de l'artisanat, est difficile à faire reconnaître. Pourtant, cette prestation commerciale est nécessaire, donc ce coût est nécessaire. Ces réseaux de fédérations de compétence, cela marche, parce que dans l'informatique les marges sont supérieures. Dans l'industrie, dans l'artisanat, a fortiori dans le bâtiment, cela marche beaucoup moins bien parce que les coûts sont tirés.

Ce que je propose et ce que je pose comme question aujourd'hui à l'un des représentants des Chambres de Commerce et des Métiers est la suivante : quels sont leurs projets ou leurs initiatives en la matière, et notamment via Internet ?

M. Gilles BRIDIER

Nous allons essayer de vous répondre.

M. Jean-Vincent BOUSSIQUET

Je suis tout à fait d'accord avec les propos qui viennent d'être tenus, même si le sujet déborde un petit peu le champ propre d'une Chambre de Métiers départementale. Je crois que c'est quelque chose qu'il faut voir sur le plan national. Il est vrai que dans nos Chambres de Métiers départementales nous avons un service de communication. Nous communiquons avec les artisans, nous essayons, bien sûr, de communiquer avec nos clients, en organisant des portes ouvertes et d'autres animations. S'agissant d'Internet, je laisserai la parole à M. Rossi, qui va nous expliquer ce qui est en train de se monter sur le plan national.

M. Jean-Yves ROSSI

Je voulais d'abord féliciter l'intervenant pour la précision de sa question. Je crois que c'est exactement ainsi qu'il faut aborder Internet : c'est un outil d'apprentissage, de partage des connaissances, d'organisation du travail. L'apport le plus extraordinaire d'Internet, c'est l'organisation du travail entre les entreprises, l'approche coopérative. Pour répondre de manière très concrète, je donnerai juste deux exemples. Il y a une coopérative des entreprises du bâtiment qui s'est créée avant même Internet, en 1990, en utilisant le Minitel. Mais la philosophie d'organisation est exactement la même que celle qui se construit aujourd'hui avec Internet. Aujourd'hui, il y a 2 000 entreprises du bâtiment, ce qui représente 6 000 personnes et qui offrent des solutions complètes de construction de bâtiments, de réalisation de maisons, de réalisation de chantiers. L'une des choses les plus remarquables de ce groupement, c'est que la qualité de construction est telle que les taux d'assurance sont de 1,75 %, alors que dans le bâtiment, pour n'importe quelle entreprise, on est entre 3,8 et 4 %.

Le deuxième exemple : comme la transmission d'entreprise. C'est un enjeu majeur, le président DUPLAT l'a souligné: 10 000 entreprises viables disparaissent chaque année faute de repreneur et 40 000 emplois avec elles. Nous allons donc lancer, avec tout le réseau des Chambres de Métiers, puisque là aussi c'est un travail fédérateur, une Bourse nationale d'opportunités artisanales d'ici fin février. C'est un outil indépendant des entreprises qui repose sur l'action des services économiques des Chambres, lesquels vont dans l'entreprise faire un diagnostic en une demi-journée. Ce système fonctionne pour l'instant de manière un peu expérimentale. L'été dernier, nous avions 300 entreprises diagnostiquées en stock ; aujourd'hui, nous en avons pratiquement un millier et nous allons pouvoir « ouvrir en ligne ». Ce qui est très intéressant, c'est qu'au mois de septembre, quand il y avait 350 entreprises dans la base, 160 étaient déjà sorties par une transmission, pour un total de 1 000 emplois. Avec un outil extrêmement interactif, avec un diagnostic réalisé par les animateurs économiques des Chambres, on est donc capable de créer une sorte de marché de la transmission-reprise d'entreprise qui permettra demain à celui qui voudra créer une entreprise d'aller chercher parmi 1 000, 2 000, 3 000 entreprises. Et ce programme sur trois ans est financé par le Fonds Social Européen, l'objectif étant d'arriver à un stock « vivant » de quelques milliers d'entreprises. C'est un instrument qui repose sur le partage d'informations, sur un réseau, sur un service public travaillant sur le terrain et profitant à plein de ce qu'Internet apporte : une capacité d'échanger l'information en temps réel, de manière actualisée à un coût extrêmement faible, de l'ordre de 2 500 à 3 000 F, avec une perspective de transmission extraordinaire. Enfin, ce programme sera également appuyé sur le réseau des notaires qui ont un intérêt tout particulier dans les missions de service public.

M. Gilles BRIDIER

Je voudrais revenir sur ce que Bertrand PICCARD soulignait tout à l'heure : le clivage salarié/employeur qui pouvait être un frein à la création d'entreprise en France. M. CARLE voudrait intervenir sur ce point. C'est un phénomène de société en France.

M. Jean-Claude CARLE

Je voudrais répondre aux deux interrogations de Bertrand PICCARD : il a fait le tour du monde, je ne voudrais pas qu'il reparte sans avoir fait le tour du Sénat. S'il est vrai que cette vision bipolaire de l'entreprise existe encore en France, c'est qu'on n'efface pas en quelques instants des siècles de tradition. Il est vrai aussi qu'il y a encore une suspicion à l'égard du créateur d'entreprise. En France, celui qui réussit est suspect, suspect de s'être enrichi et celui qui échoue est bon à jeter aux orties. Cela dit, je voudrais répondre à la première interrogation de Bertrand PICCARD qui nous demandait : au terme de votre stage, au terme de ce débat restez-vous campés sur vos positions en fonction de votre appartenance politique ? Je dirais, oui et non. Le problème est beaucoup plus complexe que cela. Il y a d'abord un problème culturel, on l'a évoqué. Nous vivons dans une société qui n'a pas toujours été très favorable à l'entreprise. La deuxième raison tient à un problème de représentativité même de notre démocratie. Le président PONCELET en a parlé tout à l'heure. Le premier corps représenté dans les assemblées, en particulier à l'Assemblée nationale, ce sont les enseignants et les fonctionnaires : 55 % des députés sont issus de la fonction publique, 33 % des sénateurs. Il n'y a pas assez de chefs d'entreprise, ou de gens du monde économique qui viennent dans la vie politique. Puisqu'on a la chance d'avoir ici un parterre de chefs d'entreprise, je lance un appel : rentrez dans la vie politique, cela évitera cette distorsion. C'est très bien que vous veniez nous secouer, nous « botter les fesses », c'est une marque d'intérêt, mais je crois qu'il faut que vous rentriez dans la vie politique. La troisième raison : c'est qu'aujourd'hui on trouve aux commandes de l'administration, du monde politique et des entreprises, la génération de mai 68 et qu'elle a une vision des choses un petit peu aux antipodes de la réactivité. Les chefs d'entreprise l'ont très bien compris : si l'on n'est pas réactif au moment où tout est mondialisé, globalisé, instantané, on ne peut survivre. Mais cela, le tandem administration/monde politique ne l'a pas encore bien compris. Je crois que c'est à cause de ces trois raisons qu'il y a ce fossé et cette distorsion.

M. Gilles BRIDIER

C'est la fin de ce débat. Je remercie tous les intervenants.

V. SYNTHÈSE DES DÉBATS ET DISCOURS DU PRÉSIDENT

M. Jean-Yves HOLLINGER, éditorialiste à RTL en présence de M. Philippe MANIÈRE, rédacteur en chef du journal Le Point et de M. Bertrand PICCARD, aéronaute

M. Jean-Yves HOLLINGER (Éditorialiste à RTL)

Voici venue l'heure de la synthèse de ces Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise particulièrement riches. Je crois qu'il faut féliciter le Sénat d'avoir eu cette initiative consistant à faire fructifier les échanges entre les deux composantes que sont la politique et l'entreprise car, à ce que j'ai pu constater, il y a encore quelques progrès à faire pour rapprocher ces deux mondes.

Nous allons donner la parole à deux témoins : Côté Salle Clemenceau, nous avons Philippe MANIÈRE que tout le monde connaît, rédacteur en chef du Point. Je vous recommande aussi ses ouvrages, dont le dernier - « Marx à la corbeille »- est particulièrement d'actualité. Le deuxième témoin, c'est Bertrand PICCARD, un « savanturier », comme il aime à se définir. Pour le côté sciences, il est médecin psychiatre et côté aventure, il n'y a pas besoin de le présenter après son tour du monde en ballon en 20 jours qui a tenu en haleine la terre entière.

Je vais demander d'abord à Philippe MANIÈRE de tirer les premiers enseignements de cette table ronde à laquelle il a assisté sur le financement de l'innovation.

M. Philippe MANIÈRE

Tout le monde a été à peu près d'accord pour constater qu'il est toujours difficile de se lancer avec une idée et de trouver un financement. Les différents reproches qui ont été adressés aux organismes de financement sont ceux que l'on entend traditionnellement. Mais nous avons eu un débat intéressant, sur quelques points précis, comme le rôle des banques. Certains intervenants considéraient, et ils étaient d'ailleurs majoritaires, que les banques n'ont pas à intervenir dans le financement, en particulier dans le financement des fonds propres des PME qui démarrent. D'autres ont regretté la frilosité régulièrement dénoncée des banquiers français. Plus généralement, il y a eu un petit débat intéressant sur le point de savoir s'il valait mieux donner de l'argent aux entreprises, ou moins les ponctionner, ou encore ponctionner moins les investisseurs concourant à la création d'entreprises. On reviendra peut-être sur ce point mais je crois que cette demande de circonspection de la part de l'État était une constante dans les différents débats auxquels j'ai participé ce matin, et le débat sur l'innovation n'était qu'une des illustrations de ce principe général.

M. Jean-Yves HOLLINGER

On a parlé des « anges ». Vous savez qu'il est très fréquent, aux États-Unis, que les cadres supérieurs investissent massivement dans les start up.

M. Philippe MANIÈRE

Les business angels. J'ai appris quelque chose ce matin, j'ai appris qu'il y avait un terme français pour cela : les investisseurs providentiels. Comme la providence fait bien les choses, ce doit être une garantie de succès. Cela dit, on a parlé des obstacles culturels et politiques sur le chemin d'un financement plus large de la part de ces business angels. Il est vrai que si l'on veut que les entreprises bénéficient d'apports en fonds propres de la part d'investisseurs privés, il faut assumer le fait que c'est aux riches qu'on fait des cadeaux. Ce ne sont pas les pauvres qui vont investir dans les entreprises. On voit donc la difficulté à dire que, pour le plus grand bien de la Nation qui passe par le développement des start up, on va autoriser un certain nombre de gens à investir en franchise fiscale ou en tout cas à amortir une certaine proportion de leurs pertes quand ils investissent dans des PME en démarrage. Le pays est-il prêt à admettre que seuls les riches ont les moyens d'investir et qu'il faut donc leur accorder un certain nombre d'avantages ? C'est une question que je me pose régulièrement et qui a été posée ce matin.

M. Jean-Yves HOLLINGER

Pour en revenir aux banques, ne sont-elles pas un peu trop souvent les boucs émissaires ? Quand on parle d'innovation, encore faut-il avoir une bonne idée.

M. Philippe MANIÈRE

Oui, et aujourd'hui la plupart des gens qui connaissent le domaine du capital-risque disent qu'on n'est plus dans une situation où l'on manque d'argent. Il y a bien des problèmes de procédure, des problèmes de forme, mais si l'on a un bon projet, on trouve de l'argent. Moi, je vois régulièrement des investisseurs qui se battent les flancs pour trouver de bons projets. La question n'est donc pas la disponibilité de l'argent, mais la forme sous laquelle on peut trouver cet argent, et ce qui a été reproché aux banques, c'était leur incapacité à aider des projets dont la survie était aléatoire. Là je crois personnellement, mais c'était aussi le sentiment exprimé ce matin par la majorité des intervenants, que les banques n'ont pas pour rôle de prendre des risques en capital dans des entreprises. Comme l'a fait observer le sénateur LORIDANT, qui est expert en la matière, les banques ont une obsession légitime : récupérer leur capital. Comme par hypothèse l'investissement en fonds propres est aléatoire, il faut prendre le risque de tout perdre, et ce n'est pas le métier des banquiers. Je crois donc qu'il ne faut pas pleurer sur le fait que les banques ne prêtent pas pour lancer des PME, il faut plutôt se féliciter de voir que le capitalisme se développe en France et essayer d'encourager les investisseurs à jouer leur rôle d'investisseurs.

M. Jean-Yves HOLLINGER

Vous avez été, Bertrand PICCARD, le témoin de la table ronde sur les 35 heures en France. Comment le Suisse que vous êtes juge-t-il les 35 heures ? Cela paraît-il une incongruité vu d'au-delà des frontières ?

M. Bertrand PICCARD

Ce qui paraît une incongruité pour le Suisse que je suis, c'est le fait que cela devienne un symbole politique et c'est l'une des choses qui a été relevée ici : l'articulation du débat politique autour d'un thème aussi important que le loisir ou la rentabilité du travail, un thème qui est pratiquement l'otage du clivage gauche-droite. A ce niveau là, des réactions intéressantes ont été émises autant par la salle que par les participants, notamment sur le rôle de l'État. Est-ce aux partenaires sociaux de négocier ou est-ce à l'État de réglementer ? Est-ce que l'entreprise est créatrice de richesses, et alors là, il faut la soutenir et parler de rentabilité ou est-on dans un système où l'entreprise accumule des richesses au détriment de ses employés ? Sur ce point, quelqu'un a demandé si des sénateurs socialistes avaient participé à l'échange entre le Sénat et les entreprises et pourquoi il n'y en avait pas à la tribune au moment où l'on parlait des 35 heures. C'est alors que quelqu'un représentant le parti socialiste s'est levé pour dire que l'intérêt de cette rencontre entre le Sénat et les entreprises aurait encore été plus grand s'il y avait eu une rencontre entre les sénateurs et les employés et pas seulement entre les sénateurs et les entrepreneurs.

M. Jean-Yves HOLLINGER

Ce sera l'objet d'un autre débat...

M. Bertrand PICCARD

En effet. Pour en revenir à ce que j'ai entendu ce matin, plus qu'une synthèse, c'est une réflexion que je voudrais faire. On parle beaucoup de moyens mais, par exemple, dans le débat sur les 35 heures, pas beaucoup de l'objectif. Que recherche-t-on ? Une amélioration du niveau de vie ? de la qualité de la vie ? ou plus d'argent, ou encore moins de travail ? Quel est le but de chaque bloc politique au niveau du projet de société ? Et lorsqu'on écoute la droite comme la gauche, on s'aperçoit que les buts sont identiques, en tout cas très proches, mais que les moyens d'y parvenir sont complètement différents et même en opposition. À force de « cristalliser » les positions, je pense que l'on atteindra jamais le but. Pour ma part, ce que je peux apporter au débat, non pas comme aéronaute mais comme psychothérapeute ou psychiatre ou médecin en général, c'est au niveau des techniques de communication. Quand on est en face de deux blocs « gelés » on ne demande pas à chacun ce qu'il pense. On demande à chacun ce qu'il pense que l'autre pense. Et c'est très intéressant, parce que cela permet d'entrer dans le monde de l'autre sans se dissoudre soi-même. Et quand on demande à l'autre d'expliquer ce qu'il pense, on réalise le plus souvent qu'on n'a pas compris soi-même ce que l'autre pense vraiment. Entrer dans le monde de l'autre, cela permet de trouver une voie médiane sans perdre sa propre identité. Cela permet de s'accorder déjà sur beaucoup de choses avant de s'accorder sur les différences et sur les oppositions. Ce serait donc peut-être une réflexion intéressante à poursuivre.

M. Jean-Yves HOLLINGER

Vous êtes en quelque sorte pour une psychothérapie à trois : syndicats, patronat, gouvernement.

M. Bertrand PICCARD

Je suis pour l'idée, car c'est cela qui nous a fait réussir notre tour du monde. Alors que les milliardaires américains et anglais ont raté. Je suis pour l'intégration des différences, de culture, d'expérience et d'opinion. C'est ainsi que nous avons travaillé dans notre équipe. Plutôt que de prendre des gens très forts qui pensent tous la même chose, nous avons créé une petite équipe où chacun venait avec des idées et des expériences complètement différentes. Et personne ne s'est jamais battu pour essayer d'avoir raison. Tout le monde s'est toujours battu pour laisser à l'autre la possibilité d'expliquer pourquoi il avait une autre idée. Et c'est ainsi qu'on a réussi à changer de carburant au dernier moment alors qu'on était persuadés d'avoir fait le bon choix. C'est ainsi qu'on a réussi à modifier la taille du ballon parce que l'idée d'un autre était excellente mais qu'on y avait pas pensé d'abord. Le but était de faire le tour du monde : on ne s'est pas battu sur les moyens. Cela a été un grand enseignement, qui dépasse l'aspect psychothérapeutique, que de constater que, même dans les clivages politiques, il y a du bon des deux côtés. Quand on se bat on fait ressortir le mauvais chez l'autre mais quand on essaye de faire ressortir le bon des deux côtés, celui qui est gagnant, c'est le pays, ou le projet, ou le but. Il ne s'agit pas de se battre contre l'autre, ni de le promouvoir, mais de trouver ce qui chez l'autre va nous enrichir, nous. Et à ce moment-là, l'autre acceptera forcément notre idée parce qu'on l'aura écouté. Mais il faut faire le premier pas. Si l'on attend que l'autre nous écoute d'abord, on ne va pas y arriver. Il faut donc une certaine honnêteté au départ qui consiste à se dévoiler un tout petit peu plus. Et si l'autre voit que l'on se dévoile, il acceptera de le faire à son tour.

M. Jean-Yves HOLLINGER

S'il y a une grande incompréhension entre les politiques et l'entreprise, il y a aussi une grande incompréhension entre le monde de la petite et moyenne entreprise et celui de la grande distribution : c'était la seconde table ronde à laquelle vous avez assisté, Philippe MANIÈRE...

M. Philippe MANIÈRE

La particularité de cette table ronde, c'est qu'à la tribune, il n'y avait aucun représentant de la grande distribution. Même si quelqu'un s'est manifesté dans la salle, il a été beaucoup question de la grande distribution sans que des distributeurs eux-mêmes ne soient appelés à s'exprimer. Je n'ai pas très bien compris si cette situation ressortissait à la contingence ou bien à une position générique des distributeurs. En tout cas, c'est intéressant à relever parce qu'évidemment nous avons eu un point de vue relativement unanime, avec des nuances cependant, un point de vue qui consistait à déplorer le rôle de la grande distribution vis-à-vis des PME. Nous avons entendu un certain nombre de témoignages, dont l'un tout à fait bouleversant, de patrons de PME ou de représentants de PME qui souffraient beaucoup de la pression qu'ils subissaient de la part de grands distributeurs, lesquels avaient des pratiques comptables, disons dérogatoires, avec des ristournes, des remises, des marges arrières - ne me demandez pas ce que c'est, je ne suis pas certain de l'avoir compris moi-même -disons des pratiques d'une grande complexité qui ne vont pas dans le sens des intérêts des fournisseurs. Sans parler de la capacité à déréférencer qui peut carrément ruiner un fournisseur. Bref, là-dessus, il y avait une assez grande unanimité. Les divisions sont apparues autour de l'opportunité de légiférer ou non. Un certain nombre de gens ont dit qu'il fallait que le législateur s'en mêle puisqu'il y avait une disproportion dans les pouvoirs respectifs des cocontractants, d'un côté les distributeurs, de l'autre les fournisseurs ; d'autres ont fait observer qu'on avait fait beaucoup de lois et que l'un des principaux problèmes du secteur résidait plutôt dans la non-application de ces lois. Cela me semble être malheureusement le propre de la France : un certain nombre de textes admirables mais qui ne sont pas appliqués. Il y a ainsi tout un pan du droit français qui me fait penser à la Constitution de l'Union Soviétique, laquelle était admirable, bouleversante, tout à fait dédiée aux droits de l'Homme et à la défense des libertés publiques. Il y avait juste un petit inconvénient : elle n'était pas du tout appliquée. Je pense que c'est peut-être aussi le rôle de la Haute Assemblée de se pencher sur le degré d'application des lois plutôt que sur l'opportunité de légiférer à nouveau. Mme BERGÉ-LAVIGNE a dit que le législateur ne peut pas se mettre dans la position de ne pas légiférer, parce que c'est se nier lui-même. Je crois quant à moi que c'est se nier soi-même que de continuer à produire des textes dont on ne sait pas s'ils seront appliqués plutôt que de s'investir d'abord sur des textes que l'on peut faire appliquer avec un degré de réussite plus élevé. D'autre part, il faut s'interroger sur la capacité des tribunaux à mettre en oeuvre ces textes sur le terrain. Voilà la réflexion qui me vient à la fin de ce débat : une assez grande unanimité sur le diagnostic et un peu plus de divergences sur l'opportunité et les modalités d'une réforme éventuelle.

M. Jean-Yves HOLLINGER

Quel cheminement pour y parvenir ? Faut-il réunir ensemble les PME, les distributeurs, le législateur ? Un sentiment s'est-il dégagé dans ce domaine ?

M. Philippe MANIÈRE

Peut-être, mais avec des degrés différents. Certains ont appelé de leurs voeux l'intervention de l'État. D'autres, peut-être plus nombreux, mais je n'ai pas fait un sondage très précis, étaient plutôt sur le terrain de la convention, de l'échange honnête, ce qui nous ramène à ce que disait Bertrand PICCARD, c'est-à-dire qu'un des problèmes de la relation fournisseur-distributeur, c'est le défaut de bonne foi. Or, dans une discussion où l'on n'est pas forcément de bonne foi, celui qui a le pouvoir, en l'occurrence le distributeur, peut faire des mauvais coups. Il n'est pas obligé de le faire, mais il ne faut pas oublier qu'il est lui-même en situation de concurrence. On pourrait peut-être s'en remettre à la méthode de psychothérapie de groupe que suggérait Bertrand PICCARD, c'est une excellente suggestion. Je voudrais juste lui faire observer que lorsqu'il s'agit, à intervalles réguliers, de gagner des élections, l'idée que l'on puisse donner acte à l'adversaire que son raisonnement comporte un certain nombre de points corrects n'est pas vraiment fructueuse en termes de fonds de commerce. Malheureusement, il y a des élections et quand il y a des élections, une manière assez classique et assez efficace de les gagner consiste à dire que l'autre a tort.

M. Jean-Yves HOLLINGER

Bertrand PICCARD, vous avez assisté comme témoin à la dernière table ronde sur l'insertion des jeunes par l'économie : y a-t-il une voie royale pour les jeunes qui souhaitent s'intégrer dans l'économie, dans l'entreprise, dans l'industrie ?

M. Bertrand PICCARD

La première partie du débat consistait à savoir si les nouvelles technologies allaient être une voie royale qui permettrait aux jeunes de s'insérer avec la toute petite réticence qui a été émise, à savoir : quand on voit les jeunes dans l'économie, on se demande ce que font les vieux que nous sommes, puisque nous n'avons pas fait, nous, toutes nos études sur Internet dès l'âge de 15 ans. Je crois qu'aux États-Unis, on est vieux à l'âge de 35 ans. Il y a eu aussi des questions telles que : faut-il réglementer les nouvelles technologies ou pas, faut-il réglementer Internet ou pas ? Est-il facile de créer sa propre entreprise en France ? Et puis : les nouvelles technologies vont-elles permettre une insertion dans l'économie ou par l'économie ? J'ai l'impression que la vraie question est : l'économie, est-elle quelque chose d'extérieur à nous-mêmes, qui va nous tirer sans que l'on fasse rien, ou l'économie est-elle une démarche active dont nous faisons partie ?

M. Jean-Yves HOLLINGER

Le mot aliénation aussi a été prononcé dans les débats...

M. Bertrand PICCARD

Absolument, aliénation à l'économie, à l'entreprise et donc aux nouvelles technologies, avec une question intéressante : en développant les technologies est-ce qu'on favorise la communication, ou est-ce qu'on ne favorise que la transmission d'informations.

Et cela me permet de revenir à ce que l'on disait tout à l'heure : la vraie communication, ce n'est pas un partage d'idées, c'est un partage d'expériences. Pourquoi a-t-on telle idée ? Pourquoi fait-on ce que l'on fait ? Plutôt que de vouloir prouver qu'on a raison en faisant ou en pensant ce que l'on pense ou ce que l'on fait, mieux vaut essayer de savoir quelle est l'expérience de l'autre qui permet de penser autrement. Les nouvelles technologies sont en train de naître ; on ne sait pas encore ce qu'elles deviendront. En vérité, elles deviendront ce que l'on en fera : ou un échange d'informations et dans ce cas-là ce ne sera qu'une accélération des rythmes de vie qui peut être difficile ou dangereuse. Ou bien une manière de connaître l'autre davantage et alors ce sera un extraordinaire outil qui permettra aux êtres humains de se rencontrer.

M. Jean-Yves HOLLINGER

De toute façon, on ne peut pas la contourner, elle est là, cette nouvelle économie.

M. Bertrand PICCARD

Exactement et tout pilote de ballon sait qu'on va dans le sens du vent. En ballon, on n'a ni moteur ni gouvernail, on ne peut aller que là où le vent va. Il faut donc s'adapter ou changer de niveau pour essayer de trouver un autre vent. Mais on ne peut remonter contre le vent. Avec les nouvelles technologies, c'est pareil : si l'on veut lutter contre cette évolution-là, on va souffrir. On va perdre tout ce qu'elles peuvent nous permettre de découvrir. On doit aller dans leur sens. La question à se poser est : veut-on le faire pour augmenter la qualité de la relation humaine ? Alors, il y a beaucoup à faire. Ou veut-on simplement rendre tout encore plus rapide et cela ne profitera qu'à la finance, pas à la qualité de vie de l'être humain. C'est un choix de société.

M. Jean-Yves HOLLINGER

Philippe MANIÈRE, quelle est votre impression sur l'ensemble de cette matinée de débat ? Y a-t-il un tel fossé entre l'entreprise et le politique, ou ce fossé n'est-il pas un peu exagéré ?

M. Philippe MANIÈRE

Les hasards de la vie font que j'animais, hier soir, un débat, dont l'invité était Jack Lang. A un moment, il s'est lancé dans une diatribe terrible contre le Sénat. Je ne veux pas cacher plus longtemps aux sénateurs, à qui il l'a peut-être déjà dit, que son opinion est qu'il faut carrément fermer le Sénat. Cela m'amusait de penser que j'allais passer la matinée au Sénat et aujourd'hui je me dis qu'avec ce genre de débat on voit que le Sénat peut jouer un rôle intéressant, puisqu'aussi bien dans certaines circonstances, il a su montrer qu'il avait des idées et qu'il arrivait, même si c'est un peu rare, à les vendre au Gouvernement. En somme, c'est un peu jouer le jeu que décrivait il y a un instant Bertrand PICCARD : parvenir à se faire entendre quoiqu'étant l'ennemi politique, et améliorer la loi à la marge pour la plus grande gloire, si ce n'est de Dieu, en tout cas du pays et de son confort. Cela me paraît être un rôle relativement utile et les débats auxquels j'ai assisté ce matin me semblent aller dans ce sens.

Au-delà, il me semble que pour être moderne jusqu'au bout, le Sénat a encore évidemment quelques réformes à faire. Je prends juste l'exemple de ces stages. Je trouve que c'est une excellente idée d'envoyer des hommes politiques dans les entreprises, une excellente idée d'envoyer les chefs d'entreprise voir ce que font les élus. Mais je pense honnêtement que la période - un jour, un jour et demi, deux ou trois jours pour les plus assidus - est un peu courte. Dans l'entreprise où j'ai des responsabilités, je ne prendrais pas un stagiaire pour deux jours. J'aurais plutôt tendance à lui rire au nez s'il me demandait un stage de deux jours. Évidemment, il s'agit d'un stage d'observation, je ne vais pas dire qu'il faut passer six mois et chacun a ses contraintes. Mais je crois que si l'expérience pouvait être renouvelée sur une période un peu plus longue, ce serait un peu plus sérieux et peut-être un peu plus productif encore. J'ai déjà entendu ce matin beaucoup de choses très intéressantes qui me semblent aller dans le sens d'une meilleure compréhension entre politiques et représentants des entreprises. Ce serait encore mieux si les hommes politiques et les hommes d'entreprise passaient un peu plus de temps les uns chez les autres. Et puis pour finir, je crois que le Sénat a peut-être un rôle à jouer, plus moderne que l'Assemblée, en se donnant pour objectif de détruire tous les ans des textes inutiles et de ne pas voter plus de textes qu'il n'arrive à en éliminer. Ce serait un vrai cadeau à faire aux gens qui sont assujettis à ces textes, en particulier aux hommes d'entreprise. Enfin, le Sénat pourrait peut-être prendre des initiatives dans des domaines qui sont malheureusement négligés par beaucoup d'hommes politiques et qui me semblent être vraiment les domaines de l'avenir en matière d'économie, je pense en particulier à l'antitrust, sujet sur lequel, en termes de réflexion et de moyens, la France est très en retard. Or, l'antitrust, je l'ai constaté ce matin, est au coeur d'un certain nombre de problèmes importants.

M. Jean-Yves HOLLINGER

Bertrand PICCARD, comment, en tant qu'étranger, jugez-vous ce face-à-face entreprises/politiques en France ? Est-ce une particularité de notre pays ou bien, vous qui avez l'occasion de voyager un peu partout dans le monde, avez-vous trouvé ailleurs la même cassure ?

M. Bertrand PICCARD

Je reconnais avec plaisir l'utilité et l'efficacité d'une rencontre comme celle-là, mais je dois souligner que dans certains autres pays, c'est une rencontre permanente. Ainsi, au Parlement suisse, beaucoup de parlementaires sont des hommes de l'économie, de la finance, de l'artisanat, des gens du peuple qui sont élus sans faire de vraie carrière administrative ou politique et qui continuent leur métier par ailleurs. À chaque fois, ou presque, que deux hommes politiques parlent en Suisse, il y a rencontre de l'économie et de la politique parce qu'ils représentent presque tous également la vie économique ou sociale, d'une manière ou d'une autre. Et puis au niveau de l'exécutif, celui des ministres, il y a des places garanties pour les ministres de gauche et des places garanties pour les ministres de droite, c'est-à-dire que le débat ne se passe pas sous forme de conflits, de grèves, de blocus, mais dans la recherche du consensus. Comme les places sont garanties à gauche comme à droite, il y a beaucoup moins de danger à accepter les idées de l'opposant et cela permet de sortir du clivage et d'arriver à ce qu'on a vu à Davos, ces cinq derniers jours. J'ai eu la chance d'y participer et j'ai vu que la gauche et la droite n'ont pas des options fondamentalement différentes, à cause ou grâce aux moyens de communication actuels, aux nouvelles technologies et à la nouvelle économie. On a entendu parler à Davos de protection de l'environnement, de développement des pays pauvres, de participation de tous aux bénéfices produits par l'économie, mais ceux qui l'ont dit, très curieusement, ce ne sont ni les écologistes, ni la gauche, ce sont les grands patrons. Ils ont dit : nous gagnons beaucoup d'argent, nous voulons faire quelque chose d'utile et nous voulons emmener dans notre sillage ceux qui n'ont pas eu la chance jusqu'à maintenant de participer à l'essor économique. Et les investissements n'étaient pas destinés à gagner plus d'argent mais à faire circuler plus d'argent et en faire profiter davantage de gens. C'est intéressant de sortir du clivage gauche-droite de cette manière-là et je crois qu'à Davos, on a, cette année, montré la voie. Peut-être peut-on, sur le plan politique, dans chaque pays, aller dans le même sens. L'argent n'est pas forcément là pour affamer les pauvres et le socialisme n'est pas là que pour empêcher les riches de gagner plus d'argent. Je m'arrête sur cette dernière réflexion.

M. Jean-Yves HOLLINGER

Après vous avoir tous remerciés, je cède la parole à Christian PONCELET pour clore ce débat sur les Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise.

M. Christian PONCELET

La conclusion qui vient d'être émise à l'instant m'a bien sûr fait penser à cette grande réforme qui fut engagée par le Général de Gaulle et que nous n'avons pas suffisamment poursuivie, je veux parler de la participation : faire en sorte que dans l'entreprise, toutes les parties qui concourent à son animation soient intéressées. Des efforts ont été faits, des pas en avant réalisés, mais pas suffisamment et ce que vient de dire à l'instant notre aéronaute me conforte dans l'idée que cette démarche doit être poursuivie. Je voudrais demander à notre ami Philippe MANIÈRE si d'aventure il rencontre M. Jack LANG, de lui demander s'il n'a pas perdu la mémoire, puisque son inspirateur principal a dit un jour ; « Le Sénat est une institution indispensable à l'équilibre des pouvoirs publics ». Il l'aurait donc oublié, à moins qu'à l'époque, il ne l'ait pas entendu.

Je suis bien évidemment heureux de vous avoir accueilli aujourd'hui au Sénat pour ces premières Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise qui marquent à la fois l'attachement du Sénat à la promotion des valeurs de l'entreprise et d'autre part, sa volonté de légiférer autrement. La promotion de l'entreprise privée et de l'esprit d'entreprise est un combat culturel, un combat de long terme. Victor Hugo a dit avant moi : « la vie est un combat permanent. Ceux qui vivent sont ceux qui luttent. ». Et là nous avons un combat à mener pour renforcer, chez les uns et chez les autres, la volonté d'entreprendre, de créer. Et à ce combat, nous attachons au Sénat la plus grande importance. En définitive, ce sont bien les entreprises qui font vivre tous les Françaises et les Français, les fonctionnaires, les retraités, les autres et aussi les hommes politiques et c'est une des raisons qui nous ont conduit à nous intéresser à la vie de l'entreprise. C'est sans doute une évidence, mais au moment où il est de bon ton de critiquer l'économie de marché et de réclamer sans cesse de nouvelles régulations, cette évidence doit être rappelée. Au demeurant, certains intervenants n'ont pas manqué, bien sûr, de souligner qu'il y avait trop de démarches administratives, de complications juridiques et autres.

N'oublions pas que si la France se porte bien aujourd'hui, c'est d'abord et avant tout grâce à ses entreprises qui ont su profiter de la croissance mondiale et s'insérer efficacement dans ce que l'on appelle communément la nouvelle économie. C'est pourquoi depuis mon élection à la Présidence du Sénat, j'ai souhaité prendre plusieurs initiatives dont celle qui nous réunit aujourd'hui, afin de montrer l'importance que le Sénat de la République accorde aux entreprises et la place qu'il entend réserver aux entrepreneurs, tout en veillant, Jules Ferry l'a dit avant moi, à ce que la loi soit bien étudiée, qu'elle soit bien faite et qu'elle prenne en considération les légitimes aspirations des populations car ainsi, elle sera bien comprise et bien appliquée.

L'entrepreneur est un personnage clé de notre société. Il est le gage de sa vitalité pour tous les risques qu'il assume, pour toutes les innovations qu'il ose et pour toute la richesse qu'il crée. Si chacun, et l'État le premier, avait réellement conscience que la réussite des nations repose d'abord sur la liberté de ses citoyens à entreprendre, la France se porterait beaucoup mieux et le nombre des chômeurs serait sans doute moins important. C'est l'entreprise qui crée l'emploi vrai, l'emploi générateur de richesses. Malheureusement, les choses n'en sont pas encore là. On ne peut que s'inquiéter de la faiblesse des créations d'entreprises - je dis bien des créations d'entreprises - dont le nombre n'a cessé de décroître depuis 1994. Je ne parle pas des vocations qui sont nombreuses, mais des vraies créations. Deux chiffres : 220 000 créations en 1994, 166 000 seulement en 1999. Vous voyez la décroissance. C'est pourquoi il est indispensable que le législateur, à chaque fois qu'il élabore des règles, pense concrètement à la façon dont elles seront appliquées et veille à ne pas alourdir cet impôt que je qualifierais d'impôt invisible que constitue chez nous la surréglementation, c'est-à-dire « l'impôt-papier ». Avec les Rencontres sénatoriales de l'entreprise j'ai souhaité que mes collègues aient une vision actualisée des réalités quotidiennes sur lesquelles ils légifèrent, en particulier dans le domaine économique où les choses évoluent avec une extraordinaire rapidité.

De ce point de vue, les stages d'immersion ne constituent pas seulement un exercice d'humilité pour nous, mais également un antidote au dogmatisme et à l'esprit de système. Le Sénat se donne ainsi les moyens de jouer pleinement le rôle de contre-pouvoir qui doit être le sien. Ne disposant pas du dernier mot sur le plan législatif, il ne peut influencer l'élaboration des lois que si ses arguments sont justes, et particulièrement convaincants. Or, pour disposer d'arguments qui portent, il faut parfois faire taire les a priori partisans, être à l'écoute des autres et accepter de faire remonter les idées du « terrain », de ceux qui créent et exécutent.

C'est précisément ce qu'ont fait 32 sénateurs de toutes les sensibilités politiques, que je tiens à remercier publiquement ainsi que les chefs d'entreprises qui les ont reçus pour avoir été, en quelque sorte, les pionniers de cette nouvelle façon de légiférer, empreinte de pragmatisme et d'expériences vécues. Cette expérience est une dure école, mais elle apprend à chacun d'entre nous, quelque chose. J'ai moi-même beaucoup appris ce matin en vous écoutant. J'ai notamment été renforcé dans ma conviction de l'importance croissante de l'investissement humain, l'investissement dans la formation et dans l'éducation des hommes. Le temps n'est plus où l'on pouvait dissocier la vie humaine en trois âges : la jeunesse où l'on se forme, l'âge adulte où l'on travaille et la retraite où l'on se repose. Ce triangle des certitudes sur lequel nous avons vécu est en train d'éclater et il faudra bien en tirer toutes les conséquences. C'est du reste un peu ce que nous avons fait, les uns et les autres, sénateurs et chefs d'entreprises, au travers des stages d'immersion et dans le cadre des entretiens de ce matin. C'est pourquoi je souhaite que cette opération se poursuive, tienne compte des observations qui ont été présentées par les uns et les autres, et qu'elle touche un plus grand nombre de participants. Il faut que nous allions, sénateurs, à la rencontre de l'entreprise et il faut faire entrer l'entreprise et l'économie dans notre Institution.

Peut-être faut-il même aller au-delà et faciliter l'accès des hommes d'entreprises aux fonctions électives. Les Français ne sont pas égaux devant l'accès aux fonctions électives, et cela nous conduit à réfléchir. Je fais là allusion à un statut de l'élu. Mes collègues Jean-Paul DELEVOYE et Michel MERCIER, dans le cadre de la Mission d'information chargée de dresser le bilan de la décentralisation ont avancé des propositions destinées à faciliter l'exercice à temps plein du mandat local, en un mot, à définir un statut de l'élu. Pour l'instant, ces propositions ne concernent que les élus locaux mais sans doute serait-il bon, de les étendre aux mandats nationaux et européens. Il ne faut pas légiférer en l'absence de ceux qui sont les acteurs indispensables de la production de richesses, de la création d'emplois, préalables indispensables à une politique sociale audacieuse.

Il serait souhaitable d'ailleurs que le dialogue entre les hommes d'entreprise et le législateur n'ait pas lieu uniquement une fois par an, mais se poursuive de façon permanente, au travers de forums qui peuvent se tenir sur Internet. Nous avons déjà procédé à une telle expérience en offrant aux internautes la possibilité de dialoguer sur des projets ou des propositions de loi. Nous progressons. Le succès du forum organisé sur la proposition de loi relative à l'utilisation des logiciels libres de mes collègues Pierre LAFFITTE et René TRÉGOUËT a permis une réelle amélioration du texte initial qui avait été soumis à l'appréciation des sénateurs. Ce type de consultation, dans le respect des rôles de chacun, mérite d'être étendu à de nouveaux textes chaque fois que cela sera possible, en particulier aux textes concernant l'entreprise et l'économie. Voilà ce que je tenais à vous dire brièvement ce matin. Je remercie une nouvelle fois MM. Bertrand PICCARD et Philippe MANIÈRE de leur témoignage, fort intéressant, ainsi que tous les journalistes et associations partenaires qui ont rendu possibles les débats d'aujourd'hui, qui les ont animés, et nous ont apporté, tout au moins c'est mon cas, un enrichissement qui vont nous permettre demain, de conforter notre démarche en vue d'améliorer les conditions de vie de nos citoyens. ( Applaudissements ) .

Les rencontres Sénatoriales de l'Entreprise constituent le point d'orgue des stages d'immersion des Sénateurs en entreprise et des chefs d'entreprise au Sénat.

Trente-deux Sénateurs, issus de tous les horizons politiques, ainsi que trente-deux chefs d'entreprise, ont pu témoigner de leur expérience, en présence de deux spectateurs engagés : Bertrand Piccard et Philippe Manière.

Quatre thèmes, ayant servi de fil rouge à ces expériences, ont ainsi été abordés : le financement de l'innovation, l'application des 35 heures, l'insertion des jeunes par l'économie et les relations des PME-PMI avec la grande distribution.

Le compte rendu de ces stages est également accessible sur le site Internet du Sénat www.entreprises.senat.fr

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