La ruralité,un atout pour demain à défendre ensemble



Palais du Luxembourg, 28 mai 2003

Discours d'Ouverture

Ladislas PONIATOWSKI Sénateur de l'Eure, Maire de Quillebeuf-sur-Seine

Monsieur le ministre,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Mesdames et Messieurs les Maires,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

Je voudrais tout d'abord remercier mon ami Hervé Gaymard, ministre de l'Agriculture, d'être présent pour ouvrir ce colloque sur la ruralité. J'apprécie d'autant plus sa présence que son agenda est très chargé en ce moment, notamment pour les interminables discussions sur la réforme de la politique agricole commune. Hervé Gaymard devra d'ailleurs nous quitter rapidement pour se rendre au Conseil des ministres où va être présenté le projet de loi sur les retraites. Je profite de cette tribune pour saluer la détermination du Gouvernement sur ce dossier brûlant. Il faut avoir le courage de le régler contre vents et marées.

Chacun d'entre nous ici sait que ce sujet concerne directement bon nombre de ruraux. N'oublions pas que les retraités agricoles sont trois fois plus nombreux que les actifs agricoles. N'oublions pas non plus que les artisans et commerçants connaissent souvent des fins de vie difficiles en raison de la maigreur de leurs retraites. Sur ce dossier comme celui de la ruralité, il faut avoir les pieds sur terre et ne pas se voiler la face. La démagogie et « y a qu'à, faut qu'on » sont des postures qu'il faut bannir de notre comportement politique.

Les amis, pourquoi ai-je pris l'initiative d'organiser au Sénat un colloque sur la ruralité qui rassemble un grand nombre des forces vives rurales ? Il y a plusieurs raisons à cela. La première Le Sénat est véritablement l'institution française qui représente le mieux notre République des terroirs, celle de la France profonde avec ses racines et ses traditions, mais aussi son savoir-faire et son savoir-vivre. Le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a décidé de mettre en place une politique rurale ambitieuse, innovante et humaniste qui se traduira par un débat au Sénat dès cet automne. Il faut donc accompagner cette excellente initiative par une forte mobilisation des acteurs de la ruralité, si l'on veut aller au bout de la réforme nécessaire. La troisième raison qui explique ce colloque est que personnellement, je vis cette ruralité au quotidien depuis plus de vingt-cinq ans de mandat de Maire de Quillebeuf-sur-Seine, un petit bourg de 1 100 habitants de l'Eure. Nous devons tous nous mobiliser, si nous ne voulons pas gâcher notre formidable potentiel rural.

Comme le titre du colloque l'explique parfaitement, la ruralité est un atout pour demain. Mais il faut la défendre ensemble. C'est ce dernier point qui m'a conduit à demander au Premier ministre de venir conclure ce colloque. Ce colloque s'inscrit comme un temps fort de la consultation lancée par le Gouvernement qui doit faire face à plusieurs défis.

Il y a d'abord, un défi démographique. Un des phénomènes les plus inquiétants de la France de ce début de siècle est que les campagnes continuent de se vider de leurs habitants. Les données affinées du dernier recensement traduisent l'ampleur du phénomène. Le dépeuplement des campagnes concerne à ce jour, dans l'Hexagone, une quarantaine de départements et pas loin du tiers des communes, 12 000 sur 36 000. La moitié de la superficie de notre pays n'est habitée que par 10 % de la population. À titre de comparaison, c'est cette moitié, qu'on appelle la France du rural isolé, qui comptait encore 15 millions d'habitants en 1970. Elle a perdu les deux tiers de sa population en trente ans. Elle a perdu près de 150 000 commerces et vu disparaître 40 000 classes en écoles primaires ainsi que la quasi-totalité de ses services publics.

Ce qui s'est passé au cours des trente dernières années est un séisme qui a bouleversé notre pays. Aujourd'hui, huit français sur dix habitent dans les zones urbaines. Nous avons clairement tourné le dos à la civilisation rurale qui a longtemps été une caractéristique de notre pays. L'espace rural heureusement englobe aussi l'espace situé entre ce ruralisme isolé et l'espace urbain. Au cours de la dernière décennie, cette France rurale a vu sa population augmenter très légèrement. Souhaitons que cette tendance persiste et perdure.

Le second défi auquel le Gouvernement est confronté est le défi agricole. Contrairement à d'autres pays comme l'Angleterre, la France est depuis toujours un pays rural. Elle l'est restée pratiquement jusqu'à la fin du XX ème siècle. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, 30 % de la population active était encore occupée dans l'agriculture, sans pour autant assurer notre couverture alimentaire. Mais aujourd'hui dans les communes rurales, la population active agricole est de moins de 10 %, et la proportion des agriculteurs dans notre pays, la France, est de moins de 3 % de la population nationale active. La disparition des petites et moyennes exploitations a eu pour résultat qu'il n'y a plus que 600 000 exploitations agricoles aujourd'hui. Selon les prévisions des experts, il y en aura moins de 400 000 d'ici à cinq ans !

J'aimerais qu'on puisse répondre aujourd'hui à une question. De nombreuses exploitations survivent grâce aux subventions nationales et européennes. Ces aides publiques, vous le savez, vous qui êtes les uns et les autres plongés dans le monde agricole, sont dans le collimateur de Bruxelles. Ne risquent-elles pas de disparaître ? Le paradoxe c'est qu'au moment où la France est devenue une véritable grande puissance agricole, la première puissance européenne et le deuxième exportateur mondial, le monde rural, est devenu lui, complètement minoritaire.

Le troisième défi est celui du partage de l'espace rural. Le cri d'alarme sur la désertification rurale lancé au cours de la décennie 1990 aura eu un mérite : celui de susciter la multiplication des initiatives locales rurales et de contribuer au renouveau de la politique de réaménagement du territoire. Les progrès extraordinaires de l'intercommunalité sont nés de cette alarme. Nous avons pris conscience peu à peu qu'il fallait faire du patrimoine culturel et du paysage des atouts de développement. Les élus sont conscients de l'attractivité, notamment touristique, de leur patrimoine bâti, et étendent leurs espaces naturels, agricoles et forestiers.

Mais ils manquent souvent de moyens financiers et juridiques pour assurer la rénovation des uns et la mise en valeur des autres. Les élus sont aussi soumis à une très forte pression, que j'appelle la pression des urbains, qui veulent s'approprier une partie de l'espace rural. Les randonneurs, les cavaliers, les vététistes, les pratiquants des canoës-kayaks, veulent se promener sans barrière et sans barrage. Face à eux, les agriculteurs, les chasseurs, les pêcheurs ne comprennent pas toujours et n'admettent pas toujours que ces citadins s'approprient ce qu'ils considèrent comme leur territoire. Alors, allons-nous revivre la vieille opposition villes/campagnes sous forme d'un combat citadins-ruraux. Je crains que tout le monde soit perdant si c'était le cas.

Le quatrième défi sur lequel je voudrais insister Monsieur le ministre, c'est le défi de la croissance économique. Des nombreux problèmes qui seront soulevés aujourd'hui tout au long de la journée ou qui sont évoqués par ceux qui connaissent bien le monde rural, et réfléchissent à cette difficulté, n'ont pas encore trouvé de réponse satisfaisante. La politique de l'aménagement du territoire a délaissé ces dernières années le monde rural. Le moment est venu pour l'État de définir une politique nouvelle qui devra répondre aux problèmes du monde rural. J'en cite quelques-uns : comment préserver les services publics ? Comment permettre aux infirmiers, aux médecins et aux vétérinaires d'exercer leurs métiers en milieu rural ? Faut-il subventionner ou exempter de charges le petit artisan ou le dernier commerçant d'une commune rurale ? Comment stopper l'insécurité qui augmente aussi en milieu rural ? Peut-on améliorer, avec le dispositif actuel, une politique de rénovation de l'habitat ancien ? L'État peut-il aider les collectivités territoriales qui souhaitent par exemple assurer la couverture technologique de l'information et de la communication de leurs territoires ? La liste n'est pas limitative.

Mais je sais, Monsieur le ministre de l'Agriculture, que votre ambition de contribuer au sauvetage et au développement de l'espace rural français est grande. De même, je sais que la détermination du Premier ministre est forte.

Le monde rural est prêt à regarder la vérité en face et à remettre en cause certaines de ses mauvaises habitudes. Si un lobby rural doit naître de ce colloque, il faut qu'il rime avec modernité. C'est tout l'enjeu de cette rencontre et de toutes les suites qui seront données. Je souhaite personnellement redonner, et j'espère ne pas être le seul, avec ceux d'entre nous pour qui la ruralité est atout pour demain qu'il faut défendre ensemble, un véritable avenir.

Page mise à jour le

Partager cette page