1.11. LE TÉMOIGNAGE D'UN CHEF D'ENTREPRISE FRANÇAIS QUI A PU S'IMPLANTER AU JAPON
PAR MADAME ELIZABETH DUCOTTET
Président Directeur général de THUASNE
Entreprise spécialisée dans la fabrication de produits de contention élastique.

Ce que je vais vous présenter au cours de cet exposé relatera l'histoire de Thuasne entrant sur le marché japonais et essayant de s'y développer. J'essayerai de vous montrer comment les collectivités et les institutions nous ont aidés fortement dans notre implantation japonaise.

En tout premier lieu, ce que je vais vous relater n'est pas exemplaire. C'est une démarche possible parmi d'autres et je pense qu'il y a de multiples exemples de sociétés qui se sont implantées au Japon : la façon dont nous nous y sommes pris n'est qu'une des possibilités, bien sûr.

Notre cas est très différent de celui des grands groupes internationaux, où les services d'exportation sont constitués, où les filiales existent depuis longtemps dans tous les pays du monde, en particulier en Asie et au Japon. Le cas de notre société n'est pas non plus représentatif des très petites entreprises pour lesquelles l'exportation est un phénomène quasi inabordable. Je me situerai donc dans le cadre d'une grosse PME qui fait actuellement environ 500 millions de FF de chiffre d'affaires, dont je suis le dirigeant, et qui a eu à se confronter avec la question : "que faire à l'exportation ?" et , plus particulièrement, "devons-nous aller aussi loin qu'au Japon ?". Nous nous sommes posé la même problématique vis-à-vis de notre expansion aux Etats-Unis.

Je vais d'abord vous donner une carte d'identité de Thuasne qui vous permettra de comprendre qui nous sommes, quel est notre métier, sur quels marchés nous sommes présents et enfin de quelle façon nous avons essayé de pénétrer le marché japonais.

Thuasne est une société française de plus de 150 ans, industrielle et commerciale à la fois, à capitaux familiaux. Il y a une dizaine d'années, nous n'étions leader que sur le marché français de nos produits, qui sont très spécifiques. Il s'agit de produits médicaux de textile : ceintures lombaires, genouillères médicales, chevillères médicales, bandes et bas médicaux de contention.

Nous avons décidé dans un processus assez lourd - il y avait une forte part d'investissement - de nous développer dans les principaux pays européens. Outre l'activité française, nous avons commencé à créer des filiales : en Belgique, en Italie, en Allemagne (par reprise d'une entreprise allemande rachetée en 1992), en Hollande, en République Tchèque et en Espagne.

Nous nous disions, "est-ce que le Japon est quelque chose d'abordable pour une société comme Thuasne ?", et "n'est-ce complètement illusoire, pour une société de taille relativement modeste comme Thuasne, d'aller au Japon ?". Notre histoire est un mélange de hasard et de détermination.

Les choses se sont passées en plusieurs étapes. D'abord une étape de préparation. Ensuite une étape qui a été celle du "premier client", ensuite une étape qui a été l'implantation temporaire et finalement la situation actuelle qui est l'implantation durable.

Le préalable a été le hasard d'un voyage économique auquel je participais dans le cadre d'une formation de manager à la Chambre de commerce de Paris, le CPA (Centre de Perfectionnement aux Affaires). J'y allais donc avec une certaine liberté d'esprit, dans la mesure où je pensais "ce pays n'est pas abordable pour Thuasne : trop difficile, trop loin, trop nouveau ; c'est un contexte culturel et linguistique trop différent du nôtre".

Et puis ce scepticisme m'a piquée au vif. Avec quelques adresses de clients potentiels, il s'est trouvé que j'ai pu prendre immédiatement une commande. Ainsi l'aventure était lancée. Il s'agissait de la mener à bien.

Très vite, d'autres commandes ont suivi, et c'est là que l'aide des institutions a joué à plein, car Thuasne avait été repérée par le JETRO comme une entreprise tentant de s'introduire au Japon. J'ai été personnellement invitée à Tokyo par le JETRO pour participer à son programme "Export to Japan - study programm".

Ce programme est conçu pour les managers européens et américains qui souhaitent s'implanter au Japon. Il est tout à fait remarquable et se compose de deux parties principales : une première partie étant une sorte de formation théorique sur les grands traits de la culture japonaise, la seconde abordant l'aspect du commerce pour une entreprise qui arrive au Japon, avec l'enseignement de quelques rudiments très simples de langue japonaise et, surtout, des rendez-vous organisés par le JETRO auprès de clients potentiels. C'est également un lieu d'échange et de confrontation d'expériences avec les différents managers participant au programme.

La partie « rencontres » a été déterminante. Les rendez-vous étaient organisés, les traductrices sont allées très au-delà de leur rôle, devenant des intermédiaires, des coordinatrices, de véritables interfaces entre les interlocuteurs japonais et moi-même. Nous étions là pour la première fois dans une situation de prise de contact réelle avec des chances de voir se résoudre certains problèmes et aussi confrontés à des difficultés qui pouvaient nous paraître insurmontables, en particulier toutes les difficultés d'approche marketing, sur lesquelles nous avons ressenti de fortes exigences de nos prospects japonais. Ces exigences nous paraissaient extrêmement difficiles à satisfaire, avec des garanties très complètes et détaillées sur nos produits, avec des normalisations spécifiques et une obligation de qualité ; nous nous y sommes pourtant efforcés.

Il s'est trouvé que les prospects rencontrés à ces rendez-vous sont devenus pour certains d'entre eux des clients. Nous sommes donc passés d'une situation où nous étions en relation avec un seul client qui nous passait des commandes de façon régulière et sur un petit nombre de produits, à la situation de vendeur de plusieurs types de produits auprès de plusieurs clients : ceux qui s'intéressaient à nos produits avaient une typologie très différente de ceux que nous connaissons en France où l'essentiel de notre clientèle est faite de pharmaciens, d'orthopédistes et de grossistes en pharmacie. Notre clientèle a toujours conditionné notre stratégie commerciale pour l'Europe, qui se base essentiellement sur une relation extrêmement personnalisée avec le client, ainsi que sur une capacité logistique de proximité, ce qui, bien sûr, ne pouvait pas être le cas au Japon.

Nous en sommes donc à la première partie de cette implantation au Japon, en 1992-1993, où nous avons bénéficié de l'aide considérable du JETRO pour nous introduire, et où nous travaillions avec quelques clients isolés.

Nous décidons, dans un deuxième temps, de recruter un salarié permanent de Thuasne à Tokyo, où nous commencions à réaliser un certain chiffre d'affaires.

On peut souligner très clairement que, à la fois le JETRO, le Poste d'expansion et la Chambre de commerce franco-japonaise à Tokyo, nous ont beaucoup aidés. Leurs services se conjuguent et ont été complémentaires dans cette étape de pérennisation et d'institutionnalisation de l'activité de Thuasne au Japon.

La Chambre de commerce franco-japonaise, nous a, par exemple, proposé une location d'un bureau dans la plate-forme située à Tokyo. C'était considérable de disposer d'un point de rencontres avec fax, et téléphone. Le Poste d'expansion nous a fourni, quant à lui, des statistiques et de nombreuses informations sur le marché japonais que nous connaissions mal, et le JETRO nous a apporté un soutien permanent avec l'organisation de rencontres et l'établissement de nombreux contacts.

J'évoquais plus haut la qualité. Il est certain que l'exigence de nos clients japonais pour la qualité a été pour nous à la fois une épreuve un peu rude, parce qu'elle nous a obligés à faire un pas important dans la qualité, et à la fois elle nous a été très utile, y compris pour nos autres développements commerciaux dans d'autres pays que le Japon.

Le marché japonais n'est pas inaccessible malgré ses exigences de qualité. Il s'agit certainement là d'une difficulté supplémentaire, mais aussi cela vaut la peine de comprendre cette exigence et de la dépasser : cela rend l'entreprise prête à aborder d'autres marchés.

Il nous a fallu mêler, dans cette deuxième étape, beaucoup de marketing à la japonaise à notre marketing à l'occidentale, entrer dans le détail du descriptif de nos produits, ajouter des éléments qui paraissaient très souhaitables là-bas.

Nous arrivons en 1997 à une troisième étape très exceptionnelle, qui se manifeste par une invitation du Président de la République française, Jacques Chirac, à ce que je l'accompagne dans le petit groupe des entrepreneurs le suivant dans son voyage officiel au Japon. Très peu d'entreprises ont cette chance-là. Pour moi-même cela a été important, car il en reste à la fois des souvenirs personnels intéressants mais également des portes qui se sont ouvertes et dont nous bénéficions encore aujourd'hui.

Mais cette cascade d'événements et d'aides des institutions montre bien que le Japon, de toutes les façons, n'est pas un marché où l'on s'implante en conquérant brutal et rapide ; cela demande du temps, de la patience, une certaine diplomatie et surtout une certaine philosophie, pour attendre le bon moment auquel les événements vont se produire. Ensuite, une véritable pérennité s'établit, apportant un grande sécurité. Le chiffre d'affaires a été pour nous à partir de ce moment, quasi irréversible.

En conclusion, je voudrais mettre l'accent sur quelques éléments qui m'ont paru déterminants dans la réussite de Thuasne :

En premier lieu, avoir un métier industriel de bonne qualité. Il me semble que si nous n'avions pas eu de bons produits industriels bien testés présentant une bonne qualité, nous n'aurions pas réussi au Japon.

Un autre élément tout aussi important est qu'il faut très vite s'adresser aux Japonais dans leur langue et donc mettre au point et à leur disposition une documentation qui soit entièrement réalisée en japonais.

Il faut également, au Japon, être très explicite en marketing, montrer où est l'innovation, avoir des brevets et des certifications.

Autre élément déterminant, celui de la structure de l'entreprise : il est important de montrer à ses partenaires japonais que la structure de l'entreprise française avec laquelle ils vont travailler est solide et durable, ils apprécient de pouvoir voir des photos des installations et qu'on les invite à visiter les sites.

Il ne faut pas se limiter à "penser" le marché japonais comme nous "pensons" le marché européen. Nous avons abordé le marché du Japon avec un esprit extrêmement ouvert et sans aucune idée préconçue, en nous disant que nous réussirions peut-être dans des formes de commerce où nous n'étions pas engagés en France, ou que nos points forts en France se révéleraient peut-être là-bas des points faibles.

Le Japon c'est donc possible, les collectivités nous apportent une aide précieuse, et j'aimerais aujourd'hui donner envie à quelques chefs d'entreprise français de prendre leur valise et d'aller jusqu'à Tokyo en se disant que c'est possible pour eux aussi.

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