LES COLLECTIVITES LOCALES ET LA CULTURE EN FRANCE ET AU JAPON



Palais du Luxembourg - 31 janvier 2008

LES COLLECTIVITÉS LOCALES ET LA CULTURE :
ÉTAT DES LIEUX EN FRANCE ET AU JAPON,
PRÉSIDÉ PAR M. JACQUES VALADE

A. DES COMPÉTENCES PARTAGÉES ET DES INITIATIVES DIVERSIFIÉES

a) En France
M. Jean-Marie PONTIER, professeur de droit public et de droit de la culture à Paris I, directeur du Centre de recherches administratives, directeur de l'Ecole doctorale des sciences juridiques et politiques

Je vous remercie. Cette première intervention sera consacrée aux compétences culturelles des collectivités locales.

La France est un Etat unitaire décentralisé, ce qui implique la reconnaissance de collectivités locales, appelées collectivités territoriales depuis la réforme constitutionnelle de 2003. Une telle organisation implique une répartition des compétences entre le niveau central - l'Etat - et le niveau local - les collectivités territoriales. Cette répartition des compétences peut découler de la Constitution, de la loi ou de principes jurisprudentiels.

En France, traditionnellement, cette répartition des compétences découle de la loi. Parmi les normes constitutionnelles, seule une disposition, qui figure dans le préambule de 1946 (alinéa 13), stipule que la Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. Cette formule est particulièrement vague. Il n'est pas possible d'en tirer un contenu précis. En outre, le juge a toujours estimé qu'elle n'était pas d'application directe. Il n'est donc pas possible de s'en prévaloir directement devant un juge. Par ailleurs, cette formule n'envisage pas la question de la répartition des compétences culturelles entre l'Etat et les collectivités territoriales.

Je tiens à vous faire part d'une autre observation préliminaire. Jusqu'à une époque récente, le droit français ne contenait aucune disposition de loi relative aux compétences culturelles des collectivités territoriales. On pouvait trouver des lois sur les collectivités locales mais elles ne portaient pas sur les compétences ou, lorsqu'elles portaient sur les compétences, il ne s'agissait pas des compétences culturelles. Il y avait néanmoins - et il y a toujours - une jurisprudence administrative particulièrement importante. Celle-ci ne porte pas directement sur les compétences culturelles mais elle prévoit le service public culturel, notion qui a été inventée en France, il me semble.

La question du service public culturel reste néanmoins une question distincte de la question des compétences culturelles des collectivités territoriales.

Bien souvent, ce n'est qu'après avoir pris connaissance de la décision du juge que l'on sait qu'il s'agit d'un service public et, à plus forte raison, qu'il s'agit d'un service public culturel.

Les compétences culturelles des collectivités territoriales reposent aujourd'hui en France sur un double fondement.

- La clause générale de compétences

Il s'agit d'une formule qui découle d'une loi du 5 avril 1884 sur les communes, laquelle a ensuite été étendue au département et à la région. Selon cette formule, l'assemblée délibérante de la collectivité territoriale règle, par ses délibérations, les affaires de la collectivité. Cette formule a été considérée comme un fondement de l'intervention des collectivités territoriales. En d'autres termes, au titre de la clause générale de compétences, les collectivités territoriales peuvent intervenir dans tous les domaines qui n'ont pas été attribués à d'autres personnes, publiques ou privées, dès lors qu'un intérêt public le justifie.

- Les lois

Il s'agit des lois qui sont intervenues depuis un quart de siècle environ. Laissez-moi vous citer la première et la dernière de ces lois sur les compétences culturelles. La première loi est celle du 22 juillet 1983, qui complète une loi du 7 janvier 1983. La dernière loi intervenue en matière de compétences culturelles est la loi du 13 août 2004, intitulée loi relative aux libertés et aux responsabilités locales.

Pour vous présenter les compétences culturelles, j'articulerai mon propos autour de deux axes : les compétences classiques des collectivités territoriales en matière culturelle, d'une part, et l'extension des compétences culturelles -laquelle découle des initiatives prises à la fois par l'Etat et par les collectivités territoriales - d'autre part.

LES COMPÉTENCES CLASSIQUES DES COLLECTIVITÉS LOCALES

Les compétences culturelles des communes

La commune est la catégorie de collectivités territoriales la plus privilégiée en matière culturelle. Les communes sont les collectivités territoriales qui interviennent le plus dans le domaine culturel. Leurs interventions culturelles concernent d'abord le patrimoine. Ce constat n'est pas surprenant compte tenu de l'histoire de la France, très ancienne et très mouvementée.

Le patrimoine se traduit par l'existence de monuments. Je vous rappelle qu'il y a 14 130 monuments classés en France, en sachant que 41 526 monuments sont inscrits.

Les musées font partie du patrimoine des communes. A l'heure actuelle, sur les 1 203 musées qui ont été recensés en France, plus de 900 relèvent des collectivités territoriales, et principalement des communes. Nombre de communes, y compris de petite taille, possèdent leur musée. Le musée est souvent né suite aux démarches d'une personne privée, passionnée dans un domaine, la commune prenant ensuite en charge la structure qui a été créée. Il ne faut pas croire que, si la commune est petite, son musée le sera également. Prenons l'exemple du musée de Tautavel qui porte sur « l'Homme de Tautavel », vieux de 350 000 ans. Ce musée remarquable se situe dans une très petite commune.

De nombreuses communes détiennent des oeuvres très riches qui proviennent de dons qui ont été effectués par des familles, voire par des artistes vivants tels que Pierre Soulages - que je considère personnellement comme le plus grand peintre français vivant.

Ces musées sont souvent directement gérés par la collectivité, la commune, sous forme d'établissements publics. La forme d'établissement public n'étant pas satisfaisante en la matière, comme l'a souligné plus tôt le président Valade, une formule spécifique a été inventée et concrétisée par la loi du 4 janvier 2002, modifiée par la loi du 22 juin 2006, avec l'instauration de l'établissement public de coopération culturelle, qui présente un véritable intérêt pour la gestion de questions de domaines culturels.

Les communes sont également propriétaires d'un patrimoine très important. Des raisons historiques peuvent expliquer ce constat. En 1905, la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat entraînera le transfert de la propriété des cathédrales à l'Etat (environ 80 cathédrales sont concernées) et le transfert de la propriété des églises - il y avait également quelques synagogues et temples - aux communes. Aujourd'hui, les communes sont propriétaires d'environ 40 000 églises et chapelles.

Outre le patrimoine, les formations artistiques font également partie des compétences culturelles des communes. Les formations artistiques sont dispensées dans les écoles de musique, de danse et de théâtre. Jusqu'à une époque récente, on distinguait deux catégories : les écoles nationales de musique et de danse et les conservatoires nationaux de région, mais leur nom a été modifié. Il convient également de citer les écoles municipales de musique. Il faut savoir que, malgré leur dénomination trompeuse, ces trois catégories d'école étaient et demeurent des institutions communales.

Les bibliothèques font également partie du ressort des communes, même si, pendant longtemps, les bibliothèques ont davantage été le fait des personnes privées. Un effort a été effectué depuis quelques dizaines d'années. En 1992, le législateur a créé une nouvelle catégorie de bibliothèques : les bibliothèques municipales à vocation régionale (BMVR).

Les compétences culturelles des autres collectivités territoriales

Les autres collectivités territoriales sont également amenées à intervenir sur le plan culturel.

- Le département

A l'origine, les départements n'avaient pas de vocation culturelle. Ils avaient une vocation sociale, laquelle s'est maintenue avec l'aide sociale, l'action sociale et l'action sanitaire et sociale. Dans le domaine culturel, les départements interviennent essentiellement dans deux domaines : les archives et les bibliothèques.

- Les archives

La responsabilité des archives a été transférée au département par la loi du 22 juillet 1983. Il s'agit d'archives publiques départementales qui reçoivent obligatoirement les archives des services déconcentrés de l'Etat à cet échelon, des archives communales ainsi que des archives privées - ces dernières étant particulièrement riches en France.

- Les bibliothèques

Depuis 1945, des services de l'Etat appelés bibliothèques centrales de prêt (BCP) étaient gérés à l'échelon départemental. Ces bibliothèques étaient largement prises en charge financièrement par les départements. En 1983, les BCP ont intégralement été transférées aux départements. En 1992, elles sont devenues des bibliothèques départementales de prêt et ont toujours cette dénomination à l'heure actuelle. Les conservateurs de ces BCP ont néanmoins conservé leur statut de fonctionnaires d'Etat. Les autres employés ont eu l'opportunité de choisir entre la fonction publique d'Etat et la fonction publique territoriale.

- Les régions

Les compétences culturelles des régions ne sont pas très étendues. Deux raisons peuvent être invoquées pour expliquer cette situation : d'une part, la création récente des régions (1986) et, d'autre part, la création ultérieure des régions vis-à-vis des autres collectivités territoriales.

En effet, les compétences culturelles étant déjà réparties entre les communes et les départements depuis un moment, les régions se sont vu attribuer un rôle de coordination. En outre, les régions reçoivent les fonds régionaux d'art contemporain (FRAC) qui doivent servir à acheter les oeuvres d'artistes vivants.

L'EXTENSION DES COMPÉTENCES CULTURELLES DES COLLECTIVITÉS LOCALES

Je vais poursuivre mon exposé par l'extension des compétences culturelles des collectivités territoriales à l'initiative des collectivités territoriales et à l'initiative de l'Etat.

Les initiatives des collectivités locales

Les initiatives prises par les collectivités territoriales sont à l'origine de l'extension de leurs compétences. Elles interviennent notamment dans le domaine des images. C'est volontairement que je n'utilise par le terme média, car il pourrait introduire une confusion. En effet, pour des raisons historiques, les collectivités territoriales n'ont pas de compétences en matière de radio et de télévision, lesdits médias étant nés dans le cadre de l'Etat et ayant longtemps été un monopole d'Etat.

Ainsi, les collectivités territoriales sont intervenues dans le domaine du cinéma, domaine qui a une place particulière en France. Je vous rappelle que le concept de « défense de l'exception culturelle » est né récemment, dans le cadre des discussions sur l'Organisation mondiale du commerce, au cours desquelles la question du cinéma a largement été abordée.

Les initiatives des collectivités territoriales, au niveau de la production audiovisuelle, consistent à verser des subventions, à mettre des studios à disposition, etc. Dans certains cas, les communes et les départements s'avèrent jouer un rôle essentiel pour permettre la diffusion cinématographique, notamment en intervenant au niveau du fonctionnement d'un cinéma, soit en versant des subventions, soit en prenant des cinémas directement à leur charge. Ce type de mesures donne lieu à des situations surprenantes puisque, dans certains départements ruraux, le nombre de cinémas publics est plus élevé que le nombre de cinémas privés.

Dans le domaine des images, les communes interviennent également dans le domaine de la bande dessinée. Le Festival d'Angoulême en est la meilleure illustration. De nombreuses communes organisent des festivals de bandes dessinées et une jurisprudence conséquente sur la bande dessinée a émané du Conseil d'Etat.

Les initiatives de l'Etat

Outre les initiatives des collectivités territoriales, certaines initiatives émanent également de l'Etat. Il s'agit essentiellement de celles envisagées dans la loi du 13 août 2004. La loi de 2004 apporte notamment des nouveautés en matière de patrimoine.

- Le transfert aux régions de « l'inventaire général »

André Malraux est à l'origine de cette initiative originale, au début de la V e République, bien que Prosper Mérimée, sous la monarchie de juillet, ait effectué plusieurs tentatives dans ce sens. L'inventaire général consiste à recenser l'intégralité des oeuvres patrimoniales qui présentent un intérêt artistique ou historique en France. Depuis 40 ans, les services de l'Etat ont élaboré une méthodologie et ont commencé à recenser ces oeuvres. Il revient désormais aux régions de poursuivre l'inventaire général, en respectant la méthodologie scientifique qui a été élaborée par l'Etat.

- La réorganisation du domaine des enseignements artistiques

Si les écoles demeurent des écoles communales, certains changements ont été opérés puisqu'on compte désormais trois catégories d'école d'enseignement de la musique, de la danse et du théâtre : les écoles à rayonnement communal et intercommunal, les écoles à rayonnement départemental et les écoles à rayonnement régional. Le département est chargé d'établir un schéma départemental de développement des enseignements artistiques. Ces schémas sont en cours d'élaboration à l'heure actuelle.

En conclusion, les collectivités territoriales s'investissent de plus en plus dans le domaine culturel et ont des initiatives de plus en plus diversifiées. Ces compétences culturelles correspondent à un changement de la société. Elles répondent à de nouveaux besoins des citoyens et impliquent aussi un changement profond entre l'Etat et les autres collectivités publiques.

M. Bruno LEPRAT

Je vous remercie pour cette présentation qui suscite déjà de nombreuses questions. Je vous suggère que nous les posions au moment du temps d'échange qui aura lieu après l'intervention de Mme Mari Kobayashi, maître de conférences à l'université de Tokyo.

Pour continuer à nous enrichir, sachez que le prénom Mari n'est pas une reprise d'un prénom d'origine européenne ou issu de la religion chrétienne. Interrogée sur la question, Mme Mari Kobayashi a eu la gentillesse de m'expliquer qu'il s'agit d'un prénom assez courant au Japon qui signifie vérité .

Des compétences partagées et des initiatives diversifiées

b) Au Japon
Mme Mari KOBAYASHI, maître de conférences en politique culturelle à l'Université de Tokyo

Messieurs les sénateurs, Monsieur le ministre, Monsieur le directeur général de CLAIR Paris, Mesdames et Messieurs, je suis donc Mari Kobayashi, comme Monsieur Leprat vient de l'indiquer. Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous aujourd'hui. Lorsque j'étais encore étudiante, j'ai étudié la politique culturelle en France et j'ai lu les ouvrages du professeur Pontier. Je suis donc très honorée d'être assise à la même tribune que lui aujourd'hui.

En tant que conférencière, je prendrai deux fois la parole au cours de ce colloque, pour vous parler tout d'abord des compétences des collectivités locales japonaises en matière culturelle, puis pour dresser un état des lieux de leur action dans ce domaine.

Je voudrais, en guise de préambule, vous présenter en quelques mots la place de la culture dans l'histoire de la société japonaise. Il me semble qu'il s'agit d'une question essentielle qui doit être prise en compte dans toute réflexion sur le développement de la culture au Japon.

Comme vous le savez, en Asie, le Japon a développé une culture tout à fait spécifique et originale. Je ne vais pas développer ici de théories sur la culture japonaise, mais je mettrai plutôt l'accent sur la terminologie utilisée par l'administration publique lorsqu'elle aborde la politique culturelle. L'administration fait en effet une distinction entre la culture quotidienne, la culture traditionnelle et la culture artistique.

Je ne prétends pas du tout défendre le point de vue de l'administration, mais il me semble que ces termes reflètent très bien l'état de la culture au Japon. L'administration s'en sert en tout cas pour distinguer la culture qui pourrait faire l'objet de sa politique et la culture qui ne peut pas en faire l'objet, dans sa recherche d'une répartition efficace d'un budget limité entre différentes actions à mener avec des objectifs à atteindre.

LA CULTURE EN TANT QUE PRATIQUE INDIVIDUELLE

La « culture quotidienne » concerne, par exemple, la cérémonie du thé, l'art floral, l'art de composer des haïku (poème traditionnel en trois vers de 5, 7 et 5 syllabes).

Avant la modernisation du Japon, dans la société alors fortement hiérarchisée, il était important, pour les catégories les plus aisées de la population, de pratiquer ces arts. On reconnaît la racine qui signifie « la Voie » dans les termes japonais kadô (l'art floral) ou sadô (la cérémonie du thé). Il s'agissait en effet aussi d'une quête du sens de la vie à travers la pratique d'un art. Cette pratique culturelle, qui était donc en même temps un questionnement sur soi, se perpétua après la modernisation du Japon en se démocratisant sous la forme de « cours d'arts ».

La période d'Edo (1603-1867), qui a précédé la modernisation du Japon, n'a pas connu de guerre, et la société de cette époque a atteint une grande maturité culturelle avec la pratique, par ceux qui appartenaient au rang social élevé, de ces arts au quotidien, mais également à travers le développement de la culture populaire représentée par le kabuki , le (deux formes de théâtre traditionnel) et le rakugo (art traditionnel des conteurs). Ces dernières formes artistiques, encore bien vivantes aujourd'hui, font partie de ce qu'on qualifie maintenant au Japon de « culture traditionnelle ».

Quant à la « culture artistique », bien qu'il ne s'agisse pas de la classification la plus courante, l'administration y inclut la culture occidentale, qui fut introduite au Japon à l'époque de la naissance des relations diplomatiques franco-japonaises, évoquée au début de ce colloque, et qui s'y est répandue très rapidement.

La culture fut longtemps considérée comme une pratique individuelle au Japon et elle ne faisait donc pas l'objet des politiques publiques. Si vous me permettez un exemple tiré de mon expérience personnelle, les enfants japonais de la génération des années 60, dont je fais partie, ont grandi pendant une période de forte croissance économique, à une époque où, contrairement aux enfants d'aujourd'hui qui vont au cours de soutien après l'école, les enfants prenaient tous des cours de piano ou d'harmonium. Que l'on soit fille ou garçon, il était normal de prendre par exemple des leçons de musique. En ce qui me concerne, mes parents ont préféré que je prenne des cours de guitare classique. La pratique d'un instrument de musique était tout à fait banale. Cette pratique culturelle individuelle a permis de faire prospérer les fabricants d'instruments de musique et l'enseignement artistique. L'Etat et les collectivités locales se contentaient d'apporter un soutien aux adultes dans le cadre de la formation permanente pour favoriser la généralisation de cette pratique culturelle.

Ce n'est que beaucoup plus tard que les pouvoirs publics ont apporté un véritable soutien aux activités artistiques et culturelles. Jusque dans les années 90, l'Etat n'utilisait pas le terme de « politique culturelle ».

Quand l'Agence des affaires culturelles, organisation placée sous le contrôle du ministère de l'Education et des Sciences, a été créée en 1968, la culture a été reconnue juridiquement comme un domaine d'intervention légitime de l'administration publique, mais les objectifs de l'Agence se limitaient encore à la protection des biens culturels et des droits d'auteur. Il faut attendre 2001 pour que l'Etat promulgue une loi d'orientation pour la promotion des arts et de la culture.

Les collectivités locales n'ont pourtant pas attendu cette loi pour aborder la question de «l'intervention publique dans le domaine culturel », expression maintenant remplacée par celle de « politique culturelle ». Pour quelles raisons les collectivités locales ont-elles précédé l'Etat dans ce domaine ?

Je viens de vous présenter, en guise d'introduction un peu longue, la culture en tant que pratique individuelle. Mais, en fait, les collectivités locales japonaises ont découvert d'autres enjeux de la politique culturelle que le simple soutien à une pratique culturelle des citoyens. Les collectivités locales ont commencé à mener des interventions à partir du milieu des années 1970, période de forte croissance économique. Il faut toutefois que je vous précise que ces interventions ne visaient pas le même objectif que celles menées par l'Etat.

LA POLITIQUE CULTURELLE DES COLLECTIVITÉS LOCALES

Pendant la période de reconstruction d'après-guerre, le Japon a mené une politique d'aménagement uniforme sur l'ensemble du territoire. Cette reconstruction rapide a pu être assurée grâce à l'initiative très forte de l'Etat. Certaines collectivités locales se sont rendu compte que quelque chose avait été perdu ou oublié du fait de cette politique étatiste. Il s'agit, d'une part, d'une culture propre à leur territoire spécifique et, d'autre part, de la mise en oeuvre réelle de l'autonomie locale reconnue par la Constitution d'après-guerre.

La problématique posée à l'époque peut être synthétisée comme ceci. Les infrastructures ont été planifiées et construites à l'initiative et sous l'autorité de ministères, et un service public minimum a été garanti à l'échelle nationale. Les collectivités locales se sont pourtant aperçues que l'attente des habitants en matière de service public n'était pas la même selon le territoire et que ces habitants aspiraient à un service public de meilleure qualité. Toutefois, les agents des collectivités locales se contentaient jusqu'alors d'assurer des services standardisés édictés par les lois et les règlements comme simples sous-traitants des administrations de l'Etat. Cette situation empêchait les collectivités locales d'élaborer des politiques tenant compte de préoccupations plus locales.

Pour pouvoir répondre aux besoins du territoire et des habitants, les collectivités locales ont dû élargir leurs domaines d'intervention et former des agents aptes à intégrer la dimension culturelle locale dans l'action publique. Les collectivités locales ont cherché ainsi à offrir aux habitants des services de qualité répondant mieux à leurs attentes.

Cela ne signifie pas pour autant qu'il n'y ait plus eu de contraintes imposées par l'Etat. Les collectivités locales ne pouvaient pas négliger les actions prévues par les lois et les règlements ministériels. Elles pouvaient certes trouver de nouveaux domaines d'intervention correspondant aux besoins de leur territoire, mais elles étaient alors contraintes d'agir en situation de vide juridique. A cette époque, la loi relative à la protection des biens culturels existait déjà, mais il n'existait pas de loi pour la promotion de la culture à l'échelle locale. Le domaine culturel a donc été pour les agents territoriaux un espace dans lequel ils ont dû faire preuve d'imagination. La crainte des citoyens d'une disparition de leur culture locale a notamment justifié la construction d'équipements culturels par les collectivités locales, comme par exemple ceux permettant la représentation de spectacles vivants. Tous les musées, par exemple, étaient régis par la loi sur les musées ; de même, il existait une loi sur les bibliothèques. Ces lois prévoyaient des normes et des directives que les collectivités locales devaient suivre et appliquer. En revanche, il n'existait aucune loi relative aux salles de concert, aux théâtres et aux autres équipements culturels permettant d'organiser des spectacles vivants.

Les collectivités locales ont découvert ce vide juridique, qui leur permettait de mettre en oeuvre librement leur propre politique culturelle. En outre, la conjoncture, qui était alors favorable, a permis le versement de toutes sortes de subventions de la part de l'Etat.

Pour réexaminer localement leur manière d'assurer les services publics tout en valorisant leurs ressources culturelles locales, les collectivités locales se devaient d'intégrer les trois exigences suivantes :

· promouvoir les activités culturelles initiées par les citoyens ;

· aménager un cadre de vie propice au développement culturel du territoire ;

· encourager l'inventivité et la créativité des agents territoriaux pour améliorer la qualité des services publics offerts aux habitants.

En se fondant sur ces principes, les collectivités locales ont procédé à une réorganisation interne. Elles ont affecté 1 % du budget d'aménagement à la culture, comme en France, et ont mis en place un système d'évaluation de l'impact des équipements culturels.

Le pont de Takarazuka, qui se trouve dans le département de Hyôgo, est un bon exemple. Lors de sa construction, on en a beaucoup parlé : bien que du seul point de vue du génie civil, il suffise qu'un pont permette de traverser un cours d'eau, des statues représentant des femmes ont été néanmoins installées sur ce pont. La ville de Takarazuka est en effet connue pour ses comédies musicales jouées uniquement par des actrices.

Une promenade aménagée sur le pont permet aux piétons de s'y promener. Il ne s'agit donc pas simplement d'un ouvrage de génie civil, mais d'un exemple de réalisation culturelle qui a suscité beaucoup d'intérêt à l'époque. Ce type d'ouvrage est toutefois devenu tout à fait banal aujourd'hui.

Comme je vous l'ai expliqué précédemment, de nombreux centres culturels permettant d'organiser des spectacles vivants ont été construits dans tout le Japon. La salle de concert de la ville de Nakaniida, actuelle ville de Kamimachi suite à sa fusion avec d'autres communes, est tout à fait représentative à cet égard. Cette salle de concert, appelée « Bach Hall », est très connue, car elle a été érigée en plein milieu des rizières. Jusqu'alors, des salles de théâtre ou de concert étaient aménagées dans des grandes villes où l'on pouvait espérer attirer un public nombreux. Cette salle de concert en pleine campagne a prouvé que les citoyens pouvaient bénéficier de manifestations culturelles de grande qualité tout en restant dans leur région, et que les provinces pouvaient rayonner sur le plan culturel.

Cela va peut-être vous sembler assez étrange, mais au Japon, dans les salles de concert, on trouve toujours des orgues ou des pianos de très grandes marques comme Steinway ou Beschstein. Ces salles de concert absolument magnifiques rivalisent avec les salles de concert dédiées à la musique classique situées au centre de Tokyo. Actuellement, il existe plus de 2 000 salles de ce type dans tout le pays. Ainsi, des artistes de musique classique de grande renommée qui viennent de l'étranger pour une tournée au Japon sont très surpris de trouver des salles de concert de la meilleure acoustique, même dans les campagnes les plus reculées.

Je vous ai parlé de la loi par laquelle les musées sont régis. Il existe aujourd'hui plus de 4 000 musées, dont 600 musées des beaux-arts répartis dans tout le Japon. La plupart d'entre eux sont gérés par des collectivités locales.

C'est donc dans ce contexte que les collectivités locales ont aménagé des équipements culturels et ont mis en oeuvre des actions culturelles qui se sont développées un peu partout dans le Japon. Il est temps maintenant de faire l'état des lieux de ces actions.

L'ÉTAT DES LIEUX DE LA POLITIQUE CULTURELLE

Il me faut d'abord présenter succinctement la situation générale de l'administration territoriale au Japon. Les réformes et les déréglementations concernant les collectivités locales se sont multipliées ces dernières années. Il faut souligner en particulier que Monsieur Koizumi, ancien Premier ministre, a mené activement une politique de partenariat public-privé à partir de 2001, même si en 1997 avait déjà été adoptée la loi Private Finance Initiative permettant d'utiliser des ressources privées pour la construction d'équipements publics. En outre, entre 1999 et 2006, dans le cadre de la politique de fusion de communes menée par l'Etat, le nombre de communes est passé de 3 200 à 1 800.

En 2001, année de l'arrivée au pouvoir de Monsieur Koizumi, le Parlement a adopté une loi d'orientation pour la promotion des arts et de la culture. Jusqu'à cette date, la politique culturelle des collectivités locales se cantonnait aux actions qui n'étaient pas prévues par la loi. La loi d'orientation précise désormais la responsabilité spécifique des collectivités locales en matière culturelle. Elle prévoit dans son article 4 que les collectivités locales élaborent et mettent en oeuvre, de leur propre initiative, une politique culturelle. Jusqu'alors, des collectivités locales innovantes construisaient des salles de spectacle ou menaient des actions culturelles répondant aux attentes locales. Avec cette loi, toutes les collectivités locales sont désormais tenues d'assumer des compétences propres en matière d'élaboration et de mise en oeuvre de la politique culturelle.

Un autre point important est à souligner. En 2003, la loi sur l'autonomie locale a été révisée afin, notamment, de permettre aux collectivités locales de déléguer la gestion de leurs équipements culturels à des personnes privées. La situation des collectivités locales a donc connu de grands changements.

Même si les collectivités locales s'efforcent de mettre activement en oeuvre des actions culturelles, leur budget culturel subit inévitablement les effets néfastes d'une stagnation économique qui s'est installée il y a longtemps déjà. Je vous parlerai d'ailleurs tout à l'heure du financement des politiques culturelles locales. L'Etat, pour sa part, prévoit un budget spécifique pour les actions culturelles depuis l'adoption de la loi d'orientation pour la promotion des arts et de la culture.

M. Bruno LEPRAT

Les propos de Mme Mari Kobayashi constituent une bonne transition avec la deuxième partie de cette présentation, consacrée à un gros plan sur les finances. J'invite M. Jean-Marie Pontier à nous expliquer comment argent et culture sont gérés en France.

B. LES MOYENS DE FINANCEMENT DES POLITIQUES CULTURELLES LOCALES

a) En France, une part significative des budgets locaux
M. Jean-Marie PONTIER, professeur de droit public et de droit de la culture à Paris I, directeur du Centre de recherches administratives, directeur de l'Ecole doctorale de sciences juridiques et politiques

En guise d'introduction, je souhaite vous faire part de trois difficultés d'ordre méthodologique.

LES DIFFICULTÉS MÉTHODOLOGIQUES

Premièrement, il est difficile de savoir à quoi correspond une dépense culturelle. S'il est évident que le fait d'acheter un tableau, des livres ou des instruments de musique entre dans le cadre des dépenses culturelles, la qualification d'autres dépenses peut s'avérer davantage discutable. Certaines hésitations peuvent notamment exister sur la nature des dépenses concernant un domaine intermédiaire, c'est-à-dire en partie culturel et en partie social, souvent appelé domaine socioculturel. Ainsi, selon les collectivités territoriales, une même dépense pourra être qualifiée tantôt de dépense sociale, tantôt de dépense culturelle. Ce type de problème se rencontre notamment pour les subventions que les collectivités territoriales versent à des associations : il s'avère difficile de les classer dans une catégorie et de les comptabiliser d'office dans les dépenses culturelles.

Deuxièmement, aborder l'aspect financier des politiques culturelles implique d'évoquer certaines difficultés d'ordre comptable, liées en particulier aux nomenclatures comptables. En effet, les nomenclatures financières utilisées ne sont pas les mêmes pour toutes les catégories de collectivités territoriales. Concrètement, du point de vue de la dépense, la fonction culture n'est pas identifiée de la même manière dans toutes les collectivités territoriales. Pour la fonction culture prévue dans les dépenses départementales par exemple, aucune sous-fonction n'est définie, alors que c'est le cas dans les communes qui distinguent les sous-fonctions « expression artistique » et « actions culturelles ». Quant aux nomenclatures comptables des régions, elles ne prévoient pas de fonction culture, d'où la nécessité d'examiner les dépenses culturelles des régions par rapport au classement des dépenses culturelles des communes.

Troisièmement, toutes les enquêtes qui ont été menées en matière de dépenses culturelles montrent une difficulté à neutraliser les transferts entre collectivités, le risque étant de comptabiliser deux fois une même dépense.

Prenons un exemple concret. Une partie significative des dépenses culturelles des départements et des régions est versée sous forme de subvention aux communes. Cette dépense culturelle est donc comptabilisée à la fois dans le département ou la région et dans la commune bénéficiaire. Il en est de même pour les dépenses culturelles effectuées par les communes qui consistent en subventions attribuées par celles-ci à des établissements publics de coopération intercommunale.

Il convient de tenir compte de ces trois réserves pour analyser les chiffres que je vais vous citer à présent. Il est important de garder à l'esprit que les comparaisons sont toujours relatives et que ce qui importe réellement ce ne sont pas les chiffres absolus, mais les ordres de grandeur.

Dans le cadre de mon propos, je vais aborder deux aspects : après vous avoir présenté quelques chiffres-clés relatifs aux dépenses culturelles des collectivités territoriales, j'aborderai les interrogations suscitées par lesdites dépenses.

LES CHIFFRES RELATIFS AUX DÉPENSES CULTURELLES

Les chiffres globaux

Sans surprise, ce sont les communes qui assurent le plus grand nombre de dépenses culturelles. Pour préparer cet exposé, je me suis basé sur les derniers chiffres officiels à disposition émanant du département des études, des prospectives et des statistiques du ministère de la Culture. La dernière enquête générale date de 2002. Une légère évolution des chiffres a dû se produire depuis mais l'ordre de grandeur est toujours valable.

Les communes dépensent environ 4,1 milliards d'euros en dépenses culturelles, dont 3,3 milliards de dépenses de fonctionnement. Ces dépenses concernent essentiellement les communes de plus de 10 000 habitants, qui, en termes de volume, sont les moins nombreuses mais sont les seules qui réalisent des dépenses culturelles, les petites communes, très nombreuses, réalisant très peu de dépenses dans ce domaine. En pourcentage, 9 % environ du budget général des communes de plus de 10 000 habitants sont consacrés à des dépenses culturelles.

Les départements réalisent environ 1,1 milliard de dépenses culturelles, dont 865 millions en dépenses de fonctionnement.

Les dépenses culturelles des régions s'élèvent à 358,5 millions d'euros, dont 260 millions en dépenses de fonctionnement.

Quant aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), leurs dépenses culturelles représentent environ 286 millions d'euros.

Les dépenses culturelles des départements représentent 2,8 % de leur budget général - en sachant qu'il y a une vingtaine d'années, le pourcentage moyen des dépenses dans ce domaine par les départements était de moins de 1 %. Les dépenses culturelles représentent 2,4 % du budget des régions.

Quant aux établissements publics de coopération interculturelle, en considérant uniquement les établissements publics que nous qualifions d'établissements publics à fiscalité propre - c'est-à-dire les communautés - le taux des dépenses culturelles atteint 3,9 % de leur budget.

À titre de comparaison, intéressons-nous aux chiffres-clés de l'Etat en la matière. Le budget du ministère de la Culture s'établit à environ 2,6 milliards d'euros et les dépenses culturelles de l'Etat, hors ministère de la Culture, représentent 3,6 milliards d'euros. Cela signifie que les dépenses culturelles de l'Etat sont plus importantes dans les autres ministères regroupés que dans le ministère de la Culture lui-même, ce qui est tout à fait logique. Il s'avère que l'ensemble des dépenses culturelles de l'Etat sont à peu près équivalentes à l'ensemble des dépenses culturelles des collectivités territoriales.

Enfin, toujours à titre de comparaison, il convient de s'intéresser aux dépenses culturelles des ménages, c'est-à-dire des personnes privées. S'il est toujours difficile de savoir à quoi correspond la dépense culturelle d'un ménage, il semblerait que ces dépenses s'élèvent à 39 milliards d'euros.

Connaître ces ordres de grandeur nous permet d'établir de meilleures comparaisons. Ainsi, ces chiffres globaux nous montrent que l'effort le plus important est réalisé par les communes. S'agissant des efforts réalisés par les départements et les régions, ils sont comparables mais les volumes de crédits reçus ne sont pas les mêmes. Quant aux établissements EPCI, leur montée en puissance est tout à fait remarquable. En effet, s'ils n'apparaissaient pas dans la précédente enquête, il y a néanmoins fort à parier que la prochaine enquête révèlera que leur part de dépenses aura encore augmenté. Par ailleurs, il est également intéressant de noter que les dépenses culturelles des établissements publics de coopération intercommunale, en augmentation, ne se sont pas traduites par une diminution des dépenses culturelles des communes. En d'autres termes, cela signifie que la dépense culturelle globale a augmenté.

D'autres chiffres sont également riches en enseignements, tels que ceux caractérisant la dépense culturelle par habitant - ce qu'on appelle « l'euro culturel » au ministère de la Culture. Les communes consacrent 143 euros par habitant en dépenses culturelles, en sachant que cette somme s'élève à 14,8 euros par habitant pour les départements, à 4,4 euros pour les régions et à 10 euros pour les EPCI.

Intéressons-nous au contenu de ces dépenses, en détaillant les dépenses de fonctionnement et d'investissement.

Les dépenses de fonctionnement

En matière d'expression artistique

Les communes, ainsi que les autres collectivités territoriales, consacrent entre 40 et 50 % de leurs dépenses culturelles - ce chiffre variant selon les collectivités - à la fonction « expression artistique ». Je vous rappelle que les départements n'opèrent pas de distinction entre « l'action culturelle » et « l'expression artistique ». Du point de vue comptable et financier, la fonction « expression artistique » recouvre toutes les interventions financières relatives à la création et à la diffusion dans les différents domaines artistiques, ainsi qu'à la formation dans ces disciplines.

Entrent dans le cadre de l'expression artistique les domaines suivants :

- le secteur de l'expression musicale, lyrique et chorégraphique, qui représente 23 % des dépenses culturelles de fonctionnement des communes (financement des formations permanentes - orchestre, corps de ballet -, programmation de spectacles dans les établissements d'enseignement de la musique, de la danse et du théâtre) ;

- le secteur des arts plastiques et des autres activités artistiques ;

- tout ce qui touche au cinéma et aux salles de spectacles.

Dans l'ensemble, 1,3 milliard d'euros sont consacrés par les communes en dépenses de fonctionnement.

Les départements effectuent peu de dépenses de fonctionnement, tandis que la part des régions consacrée à ce type de dépenses est plus élevée que celle des communes (environ 45 % de leurs dépenses culturelles).

En matière de conservation et de diffusion des patrimoines

Les dépenses de fonctionnement permettent également de financer la fonction conservation et diffusion des patrimoines, laquelle représente entre 30 et 45 % des dépenses culturelles des collectivités territoriales.

En matière d'action culturelle

L'action culturelle regroupe un ensemble hétérogène de dépenses. Il s'agit notamment de soutenir des activités d'animation culturelle. En sont notamment exclues toutes les actions de production artistique ou d'enseignement, mais le soutien des communes et des autres collectivités territoriales à la vie culturelle associative en fait partie.

Les dépenses d'investissement

L'essentiel des dépenses d'investissement dans le domaine culturel réalisées par les collectivités territoriales correspond aux dépenses effectuées pour la fonction conservation du patrimoine. La part de cette fonction représente 80 % des dépenses d'investissement culturel pour les départements, les dépenses engagées servant essentiellement à financer les archives des départements.

S'agissant des communes, les musées et les bibliothèques médiatiques sont les principaux postes de dépenses d'investissement. Quant aux EPCI, ce sont les investissements en matière d'équipements de lecture qui arrivent en tête.

LES INTERROGATIONS SUSCITÉES PAR LES DÉPENSES CULTURELLES

Je suis passé sur certains points de ma présentation assez rapidement afin de pouvoir évoquer avec vous trois questions qui portent sur les dépenses culturelles des collectivités territoriales.

La question du caractère obligatoire ou facultatif

Il convient, d'abord, de s'interroger sur le caractère obligatoire ou facultatif des dépenses culturelles pour les collectivités territoriales. Si le principe de la libre administration des collectivités territoriales doit être respecté, il n'exclut néanmoins pas que la loi puisse imposer aux collectivités territoriales un certain nombre de dépenses. Parmi celles-ci figure un certain nombre de dépenses culturelles qui sont obligatoires, telles que le 1 % décoratif - à ne pas confondre avec le 1 % culturel qui s'applique au 1 % souhaité du budget du ministère de la Culture.

Pour comprendre l'origine du 1 % décoratif, il faut savoir qu'un arrêté de 1951 établissait, à la charge de l'État, une obligation de prévoir des travaux de décoration dans les constructions scolaires et universitaires. La loi du 22 juillet 1983 a étendu cette obligation à toutes les collectivités territoriales. Ainsi, désormais, toutes les opérations immobilières de ces collectivités territoriales qui ont pour objet la construction, l'extension ou la réalisation de travaux de réhabilitation d'immeubles commandés par les collectivités territoriales donnent lieu à l'achat ou à la commande d'une ou plusieurs réalisations artistiques destinées à être intégrées à l'ouvrage ou à être placées aux abords de l'ouvrage.

Personnellement, je considère que cette mesure est particulièrement intéressante, même si elle donne lieu à des résultats fort variables sur le terrain. En termes de procédure, il convient de respecter certains seuils.

Ainsi, en dessous de 10 000 euros hors taxes, aucune contrainte n'est imposée aux collectivités territoriales mais, entre 10 000 euros et 89 999 euros, l'intervention d'une commission régionale est requise et au-delà de 90 000 euros, il est nécessaire que se réunisse une commission nationale.

Le 1 % décoratif soulève aujourd'hui certaines difficultés juridiques au regard des règles communautaires - ce qui est également le cas de la troisième question que j'évoquerai plus tard - mais je ne dispose pas du temps nécessaire pour vous détailler cet aspect aujourd'hui.

La question de la tarification de certains services publics culturels

Evoquer les dépenses culturelles des collectivités territoriales amène également à s'interroger sur la tarification d'un certain nombre de services publics culturels locaux. Contrairement à ce que certains croient, aucun principe de gratuité des services publics n'existe en France. Ainsi, le fonctionnement de la plupart des services publics est conditionné au paiement d'un prix, dont les usagers doivent s'acquitter. Se pose alors la question de la fixation des tarifs des services publics. S'agissant des services publics locaux - et plus particulièrement des services culturels - la compétence de fixer les tarifs est dévolue à l'assemblée délibérante de la collectivité, c'est-à-dire le conseil municipal dans la quasi-totalité des cas.

Deux problématiques ont dû être envisagées en matière de modalités de tarification.

- La différenciation tarifaire en fonction des ressources des familles

La question de la possibilité, pour les communes, de différencier les tarifs des services publics culturels (surtout pour les écoles de musique) en fonction des ressources des familles a été soulevée. Le Conseil d'Etat a été amené à se prononcer à plusieurs reprises sur ce problème. Dans un premier temps, le Conseil d'Etat a considéré que les services publics culturels locaux présentaient une spécificité par rapport aux autres services publics locaux et a refusé cette différenciation tarifaire en fonction des ressources des familles, alors qu'il l'acceptait pour les services publics sociaux tels que les cantines et les crèches. Dans un second temps, en 1997, un revirement de jurisprudence s'est produit, le Conseil d'Etat ayant accepté le principe de différentiation tarifaire en fonction des ressources des familles.

- La différenciation tarifaire en fonction de l'origine des utilisateurs du service

La possibilité de différencier les tarifs des services publics culturels locaux en fonction de l'origine géographique des enfants ou des personnes qui utilisaient ces services a été évoquée.

Cette différenciation territoriale implique que les personnes habitant dans des communes autres que celle sur le territoire de laquelle se trouve l'établissement paient plus cher pour le même service.

La question des subventions versées par les collectivités territoriales aux personnes privées (associations)

La question des subventions versées par les collectivités territoriales aux personnes privées a été soulevée récemment, en 2007. Je vous rappelle que, pour certaines collectivités territoriales, les subventions représentent entre 50 % et 80 % de leurs dépenses de fonctionnement (notamment pour les régions). Une subvention qui avait été versée par une commune pour un festival à une association a donné lieu à une plainte, les requérants ayant demandé au juge de faire annuler ladite subvention, car ils considéraient qu'elle était illégale compte tenu d'un vice de procédure au niveau de la commune. Selon eux, la commune aurait dû avoir recours à une procédure de délégation de service public, laquelle implique une mise en concurrence. La Cour administrative d'appel a donné raison aux requérants mais le Conseil d'Etat a rendu un arrêt de principe le 6 avril 2007, dans lequel il considère que les subventions versées par les communes restent des subventions, ce qui signifie que les communes ne sont pas obligées de passer par des délégations de service public pour ce type d'action culturelle.

Cette question s'avère néanmoins problématique aujourd'hui vis-à-vis du droit communautaire.

En conclusion, les dépenses culturelles des collectivités territoriales soulèvent de nombreuses questions qui ne se posaient pas autrefois mais qui prennent aujourd'hui une forme complexe. Cette complexité s'explique par la multiplicité des réglementations nationales, sans parler de la nécessité de se conformer désormais aux règles communautaires. Quoi qu'il en soit, le juge administratif est aujourd'hui, plus que jamais, l'arbitre de toutes ces interventions.

M. Bruno LEPRAT

Il est temps à présent d'entendre Mme Mari Kobayashi sur l'origine et la ventilation des fonds attribués aux politiques culturelles locales au Japon. Je tiens à la remercier également d'avoir accepté de raccourcir son intervention afin qu'un échange puisse avoir lieu avec la salle.

Les moyens de financement des politiques culturelles locales

b) Au Japon, des dépenses culturelles sous contraintes
Mme Mari KOBAYASHI, maître de conférences en politique culturelle à l'Université de Tokyo

Il me faut d'abord présenter schématiquement les ressources des collectivités locales japonaises. Premièrement, il y a les recettes fiscales comme la taxe d'habitation, la taxe foncière et la taxe professionnelle. Viennent ensuite des subventions de l'Etat, qui sont des ressources affectées. Il existe enfin une dotation fiscale globale de l'Etat pour réduire les inégalités entre les différentes collectivités locales. Il s'agit dans ce cas-là de ressources d'utilisation libre.

En 2004, une grande réforme, appelée « Réforme en trois axes », a été menée. Comme son nom l'indique, elle s'organisait autour des trois axes suivants :

· la suppression ou la réduction des subventions de l'Etat ;

· le transfert de ressources fiscales de l'Etat aux collectivités locales ;

· la révision du système de la dotation fiscale globale.

Dans le cadre de cette réforme, les subventions d'Etat ont été réduites de 1 300 milliards de yens. En outre, la diminution de la dotation fiscale globale a atteint 2 900 milliards de yens. Dans le même temps, le transfert des ressources fiscales n'a, quant à lui, porté que sur 660 milliards de yens. Le marasme économique qui a commencé au milieu des années 90 ayant déjà entraîné une baisse des recettes fiscales des collectivités locales japonaises, cette réforme n'a donc fait que dégrader encore leur situation financière.

Il existe des données statistiques, publiées par l'Agence des affaires culturelles, sur l'évolution des dépenses culturelles des collectivités locales. Il est toutefois très difficile d'analyser en détail ces chiffres. En effet, au Japon, certains musées et bibliothèques sont par exemple placés sous le contrôle de la Commission de l'éducation de la collectivité locale compétente. Dans ce cas, leur budget n'est plus considéré comme un budget culturel.

Les dépenses culturelles des collectivités locales ont atteint un maximum en 1993 ; depuis, elles ont été en constante diminution. Le Japon compte 47 départements. Le budget culturel des départements a, tout comme celui des communes, connu une baisse. Les chiffres précis figurent dans le tableau qui apparaît à l'écran, dont les montants ont été convertis en euros. Il s'agit des dépenses culturelles par catégorie de collectivités locales, et pour chaque catégorie sont présentées les dépenses consacrées à l'action culturelle, et celles consacrées au patrimoine culturel.

En 10 ans, ces dépenses ont diminué de plus de 50 %. Plusieurs raisons expliquent cette diminution. Je vous ai parlé précédemment des salles de concert. La vague de construction de ces équipements culturels est désormais achevée. Plus de 2 000 salles destinées aux manifestations culturelles ont été bâties dans tout le Japon. Lorsque je parle de ces salles aux personnes étrangères, elles pensent que l'activité culturelle est très intense au Japon. En réalité, les finances des collectivités locales étant très tendues, il ne reste plus de budget pour les manifestations et les activités à organiser dans ces salles. Ceci dit, au Japon, depuis l'époque Edo (1603-1867), les équipements culturels publics ont souvent été construits pour être loués. C'est pourquoi, même aujourd'hui, très peu d'équipements culturels fonctionnent comme de nombreux théâtres en Europe qui sont également des centres de création. Parmi les 2 000 établissements, ceux qui proposent une programmation propre de renommée internationale sont seulement au nombre de deux ou trois. Dans ce cas, à quoi ces équipements culturels servent-ils ? Toutes sortes de manifestations culturelles (concerts, pièces de théâtre, etc.), qu'on fait venir de Tokyo ou de l'étranger, y sont organisées.

Le budget culturel des collectivités locales a donc été considérablement réduit. En revanche, l'Etat, quant à lui, s'intéresse beaucoup à la culture depuis la loi d'orientation de 2001 dont je vous ai parlé précédemment. Le budget de l'Agence des affaires culturelles, organisation rattachée au ministère de l'Education et des Sciences, est infime par rapport au budget français de la culture, mais il augmente progressivement. Cette hausse permet à l'Agence de subventionner toutes sortes de projets culturels. Le graphique qui apparaît à l'écran présente la structure des dépenses de l'Agence des affaires culturelles en 2007. Son budget s'élève à 635 millions d'euros dont 34,4 % sont alloués à des subventions aux collectivités locales et aux fondations créées par les collectivités locales. Ce poste de dépense inclut, entre autres, les dépenses pour les pôles culturels. Il s'agit d'un soutien financier accordé aux salles publiques proposant leur propre programmation ou leur propre création, et aux musées qui contribuent à une meilleure attractivité du territoire en mettant en valeur les ressources culturelles locales.

A côté de l'Agence des affaires culturelles, il existe d'autres acteurs qui accordent des subventions à l'action culturelle. Parmi eux, le Conseil japonais pour les arts (Japan Arts Council), organisation associée à l'Agence des affaires culturelles, gère le Fonds japonais pour les arts (Japan Arts Fund). Ce dernier octroie 2,4 milliards de yens de subventions pour l'organisation d'expositions ou de spectacles dans les équipements culturels mis en place pour le développement culturel local.

La Fondation japonaise pour les actions artistiques régionales (Japanese Foundation for Regional Art Activities), fondation associée au ministère des Affaires intérieures et des Communications, a été créée, quant à elle, en 1994 grâce aux donations faites par les collectivités locales japonaises.

Cette fondation a pour objectif de promouvoir le développement local à travers les actions culturelles et artistiques. Elle accorde à cet effet des aides financières aux actions des collectivités locales dans le domaine culturel. Le budget de la Fondation consacré aux aides pour le développement des actions des établissements culturels publics s'élève également à 2,4 milliards de yens. La Fondation japonaise pour les actions artistiques régionales s'est engagée dans la promotion du développement culturel local avant l'Agence des affaires culturelles.

Le ministère des Affaires intérieures et des Communications apporte également son soutien financier aux projets d'aménagement des collectivités locales destinés à créer un meilleur cadre de vie. Il se sert pour cela d'une partie des recettes réalisées par la vente de billets de loterie émis par les collectivités locales.

Il existe aussi des programmes visant à soutenir les projets de développement local des collectivités. Ces programmes ne visent pas uniquement les projets culturels, ce qui n'empêche pas les collectivités locales de présenter leurs projets culturels pour bénéficier de subventions. A titre d'exemple, aujourd'hui, le dessin animé et le manga constituent des éléments de la culture japonaise connus dans le monde entier. Pourtant, ils ne faisaient pas jusqu'à présent l'objet de la politique culturelle au Japon. Le ministère de l'Economie, du Commerce et de l'Industrie verse désormais des subventions pour développer ces industries de contenu considérées aujourd'hui comme des secteurs stratégiques, et pour soutenir ainsi la culture comme moteur économique.

Le ministère du Territoire, de l'Infrastructure, des Transports et du Tourisme, de son côté, octroie des subventions aux actions d'aménagement et de promotion touristique qui mettent en valeur la culture.

Le montant total de ces différentes subventions, qu'il est pourtant difficile de chiffrer, permettrait au Japon de prétendre qu'il consacre une part importante de son budget à la culture.

Dans les journaux du 29 janvier 2008 a paru un article sur le projet de loi concernant les aides financières pour la sauvegarde du paysage traditionnel, préparé conjointement par l'Agence des affaires culturelles et le ministère du Territoire, de l'Infrastructure, des Transports et du Tourisme. Ce projet de loi sera déposé au Parlement au cours de cette session. Il existe déjà des lois pour la sauvegarde du paysage dans certaines villes historiques comme Kyoto ou Nara. D'autres villes possèdent également un patrimoine culturel ou historique, ou bien d'autres ressources culturelles. Cette loi permettra aux collectivités locales de valoriser ces ressources culturelles dans le cadre de leur politique de développement local.

Le budget des collectivités locales pour la culture est en diminution. L'Etat, pour sa part, apporte son soutien aux collectivités locales qui développent une politique culturelle active en leur attribuant des subventions pour compléter leur budget. Dans ce contexte, il appartient aux collectivités locales de présenter à l'État, de manière cohérente, les enjeux de leur politique culturelle afin de pouvoir bénéficier de ces subventions. L'Etat, quant à lui, est confronté à la difficulté d'apprécier la pertinence des projets culturels qui lui sont soumis par les collectivités locales et qui présentent tous des spécificités.

M. Bruno LEPRAT

Je vous remercie de votre intervention.

Il est désormais temps d'échanger avec le public. Est-ce que quelqu'un souhaite réagir sur le budget de 5 milliards d'euros investis par les collectivités territoriales, toutes confondues, dans la culture ? On entend beaucoup parler de ce chiffre actuellement, l'actualité étant marquée par l'affaire de la Société Générale.

M. Jean-Marie PONTIER

Il s'agit de près de 6 milliards d'euros.

M. Bruno LEPRAT

Je vous remercie pour cette précision.

Dans le cadre de votre exposé, M. Jean-Marie Pontier, vous avez également évoqué une actualité intéressante lorsque vous avez parlé de la bande dessinée. Une grande manifestation a récemment été organisée au Japon autour des mangas. Or, nous savons que l'univers des mangas donne lieu à une véritable émulation entre Français et Japonais, en termes de production d'ouvrages et de revues.

Par ailleurs, vous avez souligné que, dans les campagnes en particulier, le cinéma est dynamisé par les collectivités locales. La région Centre constitue un bon exemple de l'implication des collectivités locales dans le domaine du cinéma. En effet, ladite région a affrété un camion itinérant doté de deux ailes qui se déploient pour accueillir des spectateurs, l'objectif étant de diffuser des films dans les petits villages et d'aller au contact des gens qui n'ont pas la possibilité de se rendre dans les métropoles.

M. Jean-Marie PONTIER

Dans le Gers, le département possède plus de cinémas que les personnes privées. Personnellement, j'ai été surpris que la défense de l'exception culturelle porte quasi-exclusivement sur le cinéma. Il me semble que la culture française ne se réduit pas à ce domaine.

Mme Marie-Christine LAURENT, ministère de la Culture et de la Communication

Dans le cadre de mes fonctions, je m'occupe en particulier des échanges avec l'Asie et l'Océanie. Ma question s'adresse à Mme Kobayashi. Lorsque vous avez évoqué le grand nombre d'équipements culturels construits dans les régions japonaises (2 000 salles de concerts, de multiples centres culturels et maisons de la culture), vous avez indiqué que seuls deux ou trois de ces équipements avaient une programmation qui leur était propre et qui a été prévue au moment de leur construction.

Disposez-vous des éléments d'évaluation des collectivités locales qui ont construit ces équipements qui, semble-t-il, sont uniquement utilisés en termes de location d'espace ? Je suppose que ces équipements coûtent très cher à la collectivité en termes de fonctionnement. Une réflexion a-t-elle été engagée sur les politiques culturelles et sur la programmation culturelle qui pourraient être envisagées par les collectivités elles-mêmes ?

Pour nous, il s'agit d'un véritable sujet de réflexion. Nous avons tendance à procéder de manière différente puisque nous pensons en amont à la politique culturelle, c'est-à-dire avant d'engager la construction d'un équipement culturel. Or, il semble qu'au Japon, le processus inverse ait été privilégié. Je vous remercie.

Mme Mari KOBAYASHI

Je vous remercie pour votre question. C'est effectivement une question très importante, et je suis obligée d'y répondre par l'affirmative. Il n'y a en fait que deux ou trois équipements culturels qui ont été mis en place avec des objectifs bien précis, et qui continuent à proposer leur propre programmation.

Les collectivités locales ont aménagé des équipements culturels pour les mettre à disposition des citoyens désireux de prendre des initiatives en matière d'activités culturelles et artistiques. En réalité, ces équipements sont également loués à des sociétés de production artistique et musicale qui organisent des représentations. Très peu d'équipements culturels ont donc été mis en place avec des missions de service public précisément définies.

La loi d'orientation de 2001, qui précise désormais la responsabilité des collectivités locales en matière culturelle, s'applique également à la gestion de leurs équipements culturels. C'est pourquoi aujourd'hui les collectivités locales élaborent activement leur plan d'action culturelle, lequel comporte un volet concernant la gestion des établissements culturels.

Mme TOUFFLET, présidente de l'association France-Japon des pays de l'Ain

J'ai été plutôt surprise par ce que j'ai entendu et on pourrait facilement considérer que les Japonais « ont mis la charrue avant les boeufs » en décidant de construire avant de disposer d'un programme culturel.

En France, nous sommes confrontés à la situation inverse : nous disposons de programmes culturels mais rencontrons des difficultés pour obtenir des subventions pour avoir des locaux. Je ne sais pas comment fonctionne la politique au sein de votre pays mais ne pensez-vous pas que des départements culturels au sein des assemblées générales départementales, communales, etc. seraient nécessaires, notamment pour véhiculer certaines informations ?

Mon association est jumelée avec une association franco-japonaise de Hakodate qui organise un spectacle de plein air jumelé avec le Puy-du-Fou - le Goryokaku. Je pense que, si vous aviez un directeur culturel dans chaque établissement construit, vous seriez en mesure de demander une décentralisation. Si tout ne peut pas être géré au niveau décentralisé, cela permettrait néanmoins de présenter des programmes qui pourraient être très ludiques et éducatifs, à l'instar de ce qui est mis en oeuvre en France, en Rhône-Alpes notamment.

M. Bruno LEPRAT

Nous sommes contraints de stopper ce temps d'échanges consacré aux questions. Après la réponse de Mme Kobayashi, la parole sera donnée aux élus pour la seconde partie de ce colloque.

Mme Mari KOBAYASHI

Je vous ai donné une image négative des centres culturels en précisant qu'ils étaient loués. Certains centres culturels accueillent pourtant des activités culturelles très dynamiques organisées par les habitants.

Quant au spectacle autour des fortifications « Goryôkaku », il est très connu au Japon. Il est toutefois rare que les collectivités locales soient initiatrices d'un tel spectacle.

Elles se sont appliquées à l'aménagement des équipements, mais pour ce qui est de la mise en oeuvre des programmes, c'est l'initiative des citoyens qui a été déterminante. Il arrive toutefois que les initiatives des habitants ne soient pas en adéquation avec les équipements. De ce point de vue, il y a donc des efforts à faire.

Mais, en tout état de cause, la création artistique existe bel et bien au Japon. L'expression artistique, considérée comme activité fondée sur la volonté des citoyens, s'est développée sans participation des collectivités locales. Cela explique que la création artistique soit parfois en décalage avec les politiques culturelles menées par les collectivités locales.

M. Bruno LEPRAT

Une dernière question.

M. NAKAGAWA, président de la Maison de la culture du Japon à Paris

Ma question s'adresse à M. Pontier. Je pense qu'en France, les activités culturelles locales sont étroitement liées au secteur privé. La collaboration du secteur privé sous forme de mécénat semble en effet être très répandue. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur cet aspect ?

M. Jean-Marie PONTIER

Ma réponse risque de vous décevoir. Certes, une loi sur le mécénat existe en France et des dispositions fiscales visant à favoriser le mécénat ont été définies. Néanmoins, le mécénat intervient peu au niveau des actions culturelles, celles-ci étant essentiellement le fait des pouvoirs publics nationaux et locaux. Cette situation s'explique par des évènements historiques. Déjà avant Louis XIV, l'Etat jouait un rôle important dans le domaine de la culture, d'où les attentes des citoyens de voir l'Etat et les autres pouvoirs publics intervenir activement en matière de culture. Ainsi, nous comptons en France des maisons de la culture, des maisons des jeunes et de la culture (MJC) et des centres culturels.

Par ailleurs, il convient de souligner le fort investissement des collectivités locales en matière de spectacles vivants et d'arts de la rue en général.

Une autre formule fonctionne plutôt bien en France. Il ne s'agit pas du mécénat mais de la dation, mécanisme fiscal qui permet aux personnes privées de financer une partie de leurs impôts en donnant des oeuvres d'art à l'Etat.

Mme Pascale CORET, ministère de la Culture, direction régionale des Affaires culturelles

Mme Kobayashi a cité un projet de loi de préservation du patrimoine historique au Japon et M. Pontier a évoqué l'importante politique de protection qui a été mise en place depuis longtemps et qui s'est traduite par un nombre conséquent de monuments inscrits, classés, etc. et par une valorisation des espaces autour de ces monuments par une politique de périmètre de protection, lequel est d'ailleurs revu actuellement par un décret en vue d'adapter le périmètre au type de monument concerné.

J'aimerais savoir si, au Japon, avant le projet de loi cité, une forme de politique de protection était en place, même sans être entérinée par une loi, et, par ailleurs, je me demande si les Japonais ont conscience de leur patrimoine et se sentent concernés par la question ?

Mme Mari KOBAYASHI

S'agissant de la protection des constructions historiques, les avancées sont réelles. La loi de protection des biens culturels a été votée depuis bien longtemps. La loi sur la préservation des anciennes capitales a été adoptée au cours d'une période récente - je ne connais pas la date exacte. La loi, dont je vous ai précédemment parlé et qui sera prochainement proposée à la Diète, prévoit que la collectivité locale, en dehors de Tokyo et de Nara, bénéficie de subventions lorsqu'elle veut mener une politique urbaine en préservant et valorisant ses ressources culturelles et historiques. Je ne connais pas encore les détails de cette nouvelle loi.

M. Bruno LEPRAT

Je remercie Mme Mari Kobayashi et M. Jean-Marie Pontier pour leurs interventions. J'invite MM. Shigemitsu Hosoe, maire de Gifu, Eiichi Sato, maire d'Utsunomiya, ainsi que M. Jean-Jacques Derrien, directeur des relations internationales de la ville de Nantes à nous rejoindre.

Nous allons nous plonger dans le monde des collectivités locales au travers des interventions de quatre élus locaux et d'un fonctionnaire territorial. Il s'agira d'envisager la place attribuée à la culture dans leur collectivité et de nous interroger sur la finalité poursuivie dans ce domaine.

Nous entendrons tout d'abord Mme Catherine Morin-Desailly, adjointe au maire de Rouen et sénatrice de la Seine-Maritime, puis M. Yves Dauge.

Mme Catherine Morin-Desailly, comment la culture est-elle gérée à Rouen, et plus globalement du côté des collectivités locales ? A quoi cela sert ? Vous avez de nombreuses responsabilités mais il serait intéressant que vous vous exprimiez en tant qu'élue locale.

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