Premières Rencontres Sociales du Sénat - La santé



Sénat - Palais du Luxembourg - 24 octobre 2005

Table ronde n°2 : « L'offre de soin, du minimum requis au `luxe' »

Participent à la table ronde :

Yves AUGEREAU, Directeur Général, Siemens Health Services France

Marion BAMBERGER, Directeur de développement économique, Bristol-Myers Squibb

Antonio GUELL, Directeur valorisation des applications, CNES

Didier GUIDONI, Directeur Secteur Santé, Ineum

André VACHERON, Président de l'Académie Nationale de Médecine

La table a été présidée par Jean-Pierre GODEFROY, Sénateur de la Manche et animée par Marie BIDAULT, chef de rubrique pour La Gazette Santé-Social

Jean-Pierre GODEFROY

En tant que maire, j'ai présidé le Conseil d'administration d'un hôpital pendant vingt-et-un ans. Je suis donc bien placé pour considérer qu'en matière de santé, la question essentielle concerne la démographie médicale et la manière de remédier à un certain nombre de disparités actuelles. Ainsi, dans certaines régions, les médecins manquent gravement, tandis que dans d'autres, l'offre est beaucoup plus riche. Or les régions qui ont le plus besoin de services de soins sont fréquemment celles où la démographie médicale est la plus faible.

Ensuite, dans certaines régions, les centres hospitaliers sont parfois en dessous du minimum requis. De plus, il me semble normal d'augmenter le numerus clausus . Cependant, si nous ne faisons pas attention à la répartition démographique des médecins, l'augmentation du numerus clausus ne fera qu'augmenter les disparités territoriales.

Si les plateaux techniques demeurent incontournables, les nouvelles technologies pourront peut-être apporter quelques réponses. L'étude CSA a ainsi bien montré que dans les zones rurales, nos compatriotes sont très réticents à voir fermer l'hôpital de proximité, car il s'agit bien souvent de la seule sécurité qui demeure.

Marie BIDAULT

La loi de réforme de l'assurance maladie du 13 août 2004 a prévu un parcours de soin coordonné avec un médecin traitant, lequel assure le suivi médical courant et peut orienter vers des médecins spécialistes. Didier Guidoni, pensez-vous que ce parcours de soin peut structurer l'offre de soins telle que nous la connaissons aujourd'hui ?

Didier GUIDONI

En Europe, trois types de modèles de protection sociale coexistent.

· les modèles beveridgiens

De manière très traditionnelle, ces modèles comportaient un médecin référent, qu'ils ont su préserver.

· les modèles bismarckiens

Depuis les réformes de l'assurance maladie d'il y a trois ans en Allemagne et aux Pays-Bas, on assiste à l'émergence d'un médecin traitant, sur le mode de l'incitation. Désormais, les taux de fidélisation du médecin traitant sont importants dans ces pays.

· les modèles mixtes

Le système de protection sociale français fait partie de ces modèles. L'Espagne a décentralisé son système de santé au niveau des régions. La Catalogne réfléchit ainsi à la mise en place d'un système de médecin traitant.

Le parcours de soin est un luxe de pays développé, qui dispose de structures de soin et des spécialités médicales abondantes. Malgré tout, les densités médicales nous situent dans des économies de pays riches. En même temps, il s'agit d'un minimum requis, puisque le niveau de socialisation de nos dépenses de protection sociale (92 %) fait que la société doit à un moment donné se demander s'il est possible d'optimiser l'usage de cet argent au sein d'un système qui est socialisé dans son financement et libéralisé dans sa dépense.

Le parcours de soin va considérablement et durablement impacter l'architecture de notre système. Pour illustrer cet aspect, je tiens à prendre quelques exemples.

Les relations entre la médecine de ville et la médecine d'hôpital

En Grande-Bretagne, il n'est plus possible d'aller à l'hôpital sans passer par le general physician . Désormais, il s'agit de décloisonner les deux acteurs que sont la médecine de ville et la médecine d'hôpital. Le DMP sera naturellement un point d'accélération important dans le dispositif, mais il ne sera pas le seul.

La transformation des modalités d'exercice de ville

Ainsi, en France, le taux d'exercice de la médecine en cabinet de groupe est de 17 à 20 %, soit un des taux les plus faibles d'Europe. Il y a fort à parier que les modalités d'exercice en groupe se développeront demain. En effet, elles permettent de mieux ancrer une offre de soin dans les zones rurales. Ensuite, la médecine n'est plus seulement une rencontre entre une confiance et une conscience. Demain, deux médecins généralistes, un radiologue, une infirmière et une sage-femme exerceront dans un ensemble commun qui leur permettra d'échanger.

Les modalités de rémunération des médecins

La médecine est, dans la très grande majorité des cas, rémunérée à l'acte. Cependant, il y a de plus en plus de rémunérations au forfait, comme par exemple la rémunération des gardes et des astreintes. En outre, la féminisation très importante de la profession semble indiquer que les modalités de rémunération iront sans doute vers un partage plus équitable entre une rémunération à l'acte et une rémunération au forfait. En effet, les femmes demandent généralement un mode de rémunération plus lié à la manière dont elles pratiquent leur activité au sein d'un bassin de population.

La hiérarchie des rémunérations

En Angleterre, un médecin traitant est rémunéré 92 000 livres à l'année. En France, un médecin généraliste gagne en moyenne 60 000 euros.

En quelque sorte, la hiérarchie des rémunérations croît avec l'éloignement avec le patient. Or un des fondements de la mise en place du parcours de soin est la ré-humanisation de l'acte médical, sans pour autant négliger les apports de la technique. Il y a donc une remise au premier plan de la relation médicale entre un patient et un praticien. Au-delà du symbole, il sera de plus en plus inévitable que cette relation humaine, dont tout le monde connaît l'importance, soit prise en compte. La société devra donc revoir une partie de ses grilles de lecture de l'acte médical et revaloriser la partie de ce contact humain consubstantiel à l'art de la médecine.

Marie BIDAULT

André Vacheron, quelles réflexions vous inspirent les propos de Monsieur Guidoni ?

André VACHERON

Bien que travaillant rue Bonaparte, j'exerce également en hôpital. A la réflexion, il apparaît évident que le parcours de soin et le médecin traitant constituent une amélioration pour le patient. En effet, auparavant, les patients allaient bien souvent chercher à l'aveugle différents spécialistes.

Le premier intérêt du médecin traitant est de canaliser cette recherche vers le médecin libéral et vers l'hôpital. La version ancienne du médecin traitant était le médecin généraliste. Avec le développement des techniques et des spécialités, les patients ont eu de plus en plus tendance à court-circuiter leurs généralistes et à consulter d'eux-mêmes les spécialistes.

Ensuite, le parcours de soin va permettre d'améliorer les interactions entre l'hôpital et le médecin traitant. En effet, lorsqu'un patient sort de l'hôpital, il est de règle d'envoyer un compte-rendu d'hospitalisation au médecin. Or bien souvent, le patient indiquait qu'il n'avait pas de médecin traitant. C'est pourquoi la création de ce maillon va permettre d'améliorer la relation entre l'hôpital et le médecin.

Par ailleurs, l'ouverture de l'hôpital à la médecine de ville est un des objectifs qui devrait permettre d'améliorer les problèmes de démographie médicale.

Il y a une quinzaine de jours, j'ai assisté à un séminaire sur le risque médical à Vitteaux, en Auxois. J'y ai rencontré un certain nombre de praticiens hospitaliers. Le député de Vitteaux m'a expliqué que quatre hôpitaux de la zone fonctionnaient en réseaux harmonieux et complémentaires, chacun prenant en charge une spécialité. Dans ces quatre sites, le fonctionnement de l'hôpital est assuré par des médecins généralistes qui travaillent le matin à l'hôpital et l'après-midi dans leur cabinet.

Aujourd'hui, la France a 200 000 médecins, soit un nombre suffisant, mais ces derniers sont extrêmement mal répartis. Il va donc falloir créer des incitations à l'installation dans des zones défavorisées et multiplier le travail en réseau entre des hôpitaux généraux et le corps médical libéral.

Marie BIDAULT

Le parcours de soin sera rendu possible par le dossier médical personnel (DMP) qui doit se généraliser en 2007. Il y a quelques jours, six consortiums ont été choisis pour mettre en oeuvre des phases de préfiguration du DMP. Parmi eux figure le consortium Siemens-EDS. Yves Augereau, quel sera le contenu de ce DMP ?

Yves AUGEREAU

Je souhaite évoquer quatre points spécifiques.

La place du DMP

Nous avons bien insisté depuis ce matin sur la notion de qualité et de continuité des soins. L'objectif majeur du DMP est le lien entre le patient, qui a la propriété de ses données, et le médecin traitant. D'après moi, le DMP est un enjeu majeur de la réforme pour créer un lien structuré d'information.

La France a un rôle de précurseur

Aujourd'hui, dans sa conception, le DMP est en avance par rapport à d'autres pays. Les autres pays sont ainsi en train de lancer des réflexions dans ce domaine, notamment les Etats-Unis et l'Allemagne.

Certains doutent de la viabilité technique du DMP. Le respect de cette viabilité ne nous pose pas de problème, dans la mesure où, en tant qu'industriels, nous hébergeons, gérons et sécurisons 41 millions de dossiers médicaux aux Etats-Unis. En France, le DMP concernera environ 50 millions de Français c'est-à-dire les Français de plus de 16 ans. En revanche, l'accès du patient à son information est une innovation majeure.

L'état d'avancement du projet

Six consortiums ont été sélectionnés et nous sommes actuellement dans des phases de préfiguration, qui dureront jusqu'en avril 2006, avant une généralisation sur l'ensemble du territoire à partir d'un deuxième appel d'offre.

Les pré-requis

Il faut que cette information soit simple, rapide et ergonomique pour le médecin traitant et pour les médecins hospitaliers. Il est donc hors de question de demander à médecin traitant de refaire une saisie pour le DMP. Aujourd'hui, un certain nombre de moteurs d'intégration nous permettent d'aller récupérer ces informations.

Marie BIDAULT

Concrètement, les données seront-elles saisies une fois pour toutes ?

Yves AUGEREAU

Il existe plusieurs aspects. Nous disposons de plusieurs sources d'informations dans le domaine médical.

· les données

Il s'agit des données de laboratoire, de compte-rendu et des données démographiques. Ces données figurent sur des supports et chaque professionnel de santé aura la possibilité de rechercher cette information sans la saisir.

· l'image

Environ 90 % des équipements d'image sont aujourd'hui numériques et partagent la même norme de communication. Par conséquent, il est très simple de récupérer et de stocker les images.

Nous sommes donc parfaitement capables de répondre à l'objectif ministériel de structuration de l'information.

Ensuite, en tant qu'industriels, nous devons nous engager sur des réponses robustes et pérennes. Il ne doit pas s'agir de réponses de circonstance, mais de réponses qui s'inscrivent sur des périodes très longues, avec des briques techniques pérennes.

Enfin, afin que le DMP puisse exister, la circulation d'information doit intervenir pour pouvoir suivre les déplacements des patients. Il devrait y avoir trois ou quatre groupements hébergeurs retenus sur le territoire, qui doivent s'engager sur des standards de communication communs. Or nous disposons déjà de ces standards autour des données et de l'image. Si chacun s'engage à respecter ces standards, il sera possible de communiquer harmonieusement entre différents groupements, patients et médecins traitants.

Marie BIDAULT

Continuons notre tour d'horizon des innovations qui peuvent modifier l'offre de soin pour nous tourner vers le médicament. Marion Bamberger, vous estimez que trois grandes révolutions peuvent modifier l'offre de soins dans les années à venir. Pouvez-vous détailler cet aspect ?

Marion BAMBERGER

Le rôle du médicament au cours des dernières décennies n'a pas été remis en cause. Les traitements constituent des réalités que personne ne conteste aujourd'hui. Des progrès ont été réalisés, mais un grand nombre de pathologies ne sont pas encore traitées ou sont mal prises en charge.

La révolution scientifique

Aujourd'hui, la première des révolutions est scientifique. Nous sommes passés rapidement de la chimie analytique à la biologie moléculaire. Aujourd'hui, nous nous dirigeons de plus en plus vers des approches individualisées où la génomique va permettre de savoir quel type de médicament peut agir sur tel ou tel type de patients. Les médicaments traiteront demain un sous-groupe de patients, mais de manière plus efficace qu'aujourd'hui.

Cette révolution va bouleverser le paysage du médicament, en créant des médicaments de très haute technologie. Cependant, ces médicaments vont demander des techniques de dépistage et d'administration qui devront être réalisées dans des centres spécialisés.

Dans les cinq années à venir, plus de 100 médicaments de biotechnologies vont être la disposition des patients, mais ils demanderont un grand nombre de précautions.

La révolution sociétale.

Aujourd'hui, il existe une demande énorme de santé, laquelle constitue une des premières aspirations de nos concitoyens. L'augmentation de la durée de la vie s'accompagne ainsi du désir permanent d'être en bonne santé tout au long de cette vie. De plus, les associations de patients sont de plus en plus actives dans le débat et la diffusion de l'information est meilleure grâce à Internet. Ceci contribue à une plus grande exigence de la part des patients.

Cependant, notre société est également confrontée à des problèmes de défiance vis-à-vis du médecin, de désir du « zéro risque », de l'exigence et la mise en place d'un principe de précaution permanent et d'une judiciarisation très rapide de la société.

La révolution géopolitique

Il existe une fracture de plus en plus importante entre les pays du nord et du sud. A un moindre niveau, les pays européens ne voient pas leur fonctionnement harmonisé.

Que peut devenir le médicament ?

De plus en plus, il y aura plusieurs types de médicaments. Tout d'abord, il convient de parler des médicaments de très haute technologie, qui vont cibler des patients spécifiques pour une efficacité plus importante qu'aujourd'hui. En contrepartie, il sera nécessaire de prendre des précautions encore plus importantes. Ensuite, il ne faut pas oublier les pathologies qui sont prises en charge aujourd'hui, mais qui ne le sont pas de manière optimale. Chacun des acteurs de la santé doit améliorer cet état de fait.

La dernière catégorie de médicaments concerne ceux qui permettent d'avoir une qualité de vie optimum tout au long de la vie. Désormais, la question porte sur la prise en charge de ces médicaments à l'avenir. Une automédication responsable avec l'implication des professionnels de santé constitue-t-elle une des solutions ? Cette question reste ouverte.

Marie BIDAULT

Vous avez évoqué des médicaments de haute technologie. On peut donc se demander si la télémédecine peut apporter un début de réponse. A cet effet, je souhaite interroger Antonio Guell, directeur des applications et de la valorisation au Centre national d'études spatiales (CNES). Quel est le lien entre le CNES et la santé ? En quoi la télésanté et la télémédecine peuvent avoir des conséquences sur l'offre de soin de demain ?

Antonio GUELL

Le CNES a été saisi il y a quelques années par un ministre de la Recherche qui a posé la question suivante : de quelle manière le CNES, par le biais des outils dont il dispose, peut-il être plus près du citoyen ? Parmi les thèmes sur lesquels nous avons été questionnés figurait la priorité de la santé.

Pour répondre à cette question, un groupe de travail a été constitué. Il a été présidé par Louis Lareng, le fondateur des SAMU et de la télémédecine dès 1947. Ce groupe de médecins, paramédicaux et représentants d'associations de patients a estimé de manière unanime que le spatial pouvait contribuer à la priorité de la santé, dans les cinq thèmes suivants :

· la télémédecine ou la téléconsultation dans des cas de figure très précis ;

· les épidémies ;

· les hospitalisations à domicile ;

· l'éducation thérapeutique des malades chroniques à leur domicile ;

· la formation médicale continue des médecins à domicile.

Associés à ces cinq thèmes, figure un thème humanitaire dont l'objectif est la gestion des crises internationales.

A présent, je souhaite évoquer quelques exemples précis des réalisations technologiques du CNES à impact économique. En préambule, je rappelle que le CNES soutient, dès que la demande lui en est faite, des études pilotes, à la condition qu'elles puissent aboutir un jour à un service.

Le désenclavement des régions isolées par l'utilisation de satellites

Un premier exemple porte sur l'apport de la médecine dans les lieux les plus isolés, c'est-à-dire certains de nos DOM. En Guyane, près de 100 000 Français sont au plus près à deux heures d'hélicoptère de l'hôpital de Cayenne ou à cinq jours de pirogue. A la Réunion, certaines populations sont isolées dans ces cirques à six heures de marche du premier hôpital.

Nous avons donc développé un concept d'aide à la consultation et de prise de décision il y a cinq ans. En Guyane, nous avons équipé quatre sites isolés de systèmes de collecte et de transmission de données via satellite. Au bout d'un an, le ministère de la Santé a donné l'instruction d'équiper l'ensemble des 21 centres de santé de Guyane car en un an, 45 à 40 % des évacuations sanitaires par hélicoptère avaient diminué. Je rappelle que le coût d'une telle évacuation est de 2 000 euros de l'heure.

Sur le territoire métropolitain, nous nous orientons vers une étude pilote qui consisterait à désenclaver un certain nombre de villages ou de villes de moyenne importance dans lesquels toutes les spécialités médicales ne sont pas représentées.

L'utilisation de satellites et de robots

En l'occurrence, il s'agit des robots qui travaillent sur Mars pour y recueillir des échantillons minéraux. Une société française a ainsi eu l'idée d'utiliser ces robots pour faire de la télé-échographie, c'est-à-dire des actes d'échocardiographie dirigés à distance par un médecin. Un certain nombre d'expérimentations ont eu lieu récemment, entre l'hôpital de Tours et un certain nombre de gros villages situés entre 50 et 80 kilomètres de la préfecture de l'Indre-et-Loire. Cette utilisation a ainsi permis de réduire de 60 % le nombre de transports médicalisés entre ces villages et les hôpitaux de Tours.

L'utilisation de la téléphonie 3G

Grâce à un téléphone 3G bientôt disponible, il s'agira d'essayer d'offrir aux infirmières une traçabilité de leurs actes. Il s'agira également de pouvoir demander grâce à du texte et de l'image, un avis au médecin traitant du malade sans avoir à déplacer ce malade. Ceci permettra enfin d'offrir à ces cabinets d'infirmières libérales la possibilité de localiser l'infirmier le plus près du malade.

Le rôle des satellites dans la prévention

Les satellites peuvent jouer un rôle essentiel pour la prévention à domicile de certains malades chroniques. Par exemple, le taux de mortalité et de morbidité du diabète est élevé, alors que de très simples gestes pourraient sauver de nombreuses vies.

L'idée consiste à fournir aux malades des contenus pédagogiques, au niveau des centres de santé de proximité. Ainsi, il conviendrait de réunir une vingtaine de patients diabétiques une fois par mois. Par le biais du CHU le plus proche, il s'agirait d'instaurer une interactivité entre les patients et les professionnels de santé au sujet de la maladie dont ils souffrent.

Telles sont les actions du CNES, qui est une agence de moyens. Nous mettons à disposition des moyens, et de plus en plus, pour des applications citoyennes.

André VACHERON

Monsieur Guell a parfaitement évoqué toutes les possibilités offertes par la télémédecine, dont certaines sont d'ores et déjà utilisées par des équipes très compétentes. Ainsi, la télé-échographie est une avancée remarquable. A partir du moment où un télé-échographiste peut transmettre ses images et les faire interpréter par des gens très compétents, il est possible de raccourcir le délai du diagnostic et de la décision.

Ensuite, je souhaite revenir sur le dossier médical personnalisé, qui est un élément fort de la réforme. Tout d'abord, je tiens à rappeler qu'un premier essai avait été réalisé par Jacques Barrot, via un instrument très simple, mais très efficace, le carnet de santé. Malheureusement, cette expérience n'a pas fonctionné, pour une raison simple : il n'a pas été imposé au corps médical. De fait, les médecins ne le remplissaient pas, alors que ce travail ne prenait que quelques minutes.

Or cet échec me conduit à être inquiet vis-à-vis du dossier médical informatique. Mes confrères généralistes semblent ainsi être assez réticents face au DMP.

Débat avec la salle

Professeur Louis LARENG

Je tiens à revenir sur deux points précis, la télémédecine, notamment en milieu rural, et le dossier médical personnalisé.

La télémédecine

Une expérience de télémédecine est réalisée en Midi-Pyrénées, où 62 établissements et des médecins généralistes sont reliés. Or nous avons constaté que le réseau de télémédecine n'est valable que s'il est maillé. Ainsi, des unités concertées de cancérologie se sont localement constituées.

Ensuite, il est nécessaire que ces réseaux soient animés et que la concertation soit permanente entre l'administration, les professionnels de santé, les malades et les opérateurs. En effet, il est essentiel de maintenir l'humanisation : Henri Cartier-Bresson ne disait-il pas que la technologie pour la technologie est de la folie ?

Par ailleurs, la télémédecine a permis au médecin généraliste rural de diminuer les espaces et de rompre son isolement. Pour autant, elle ne se substitue en aucun cas au médecin rural. En conséquence, je regrette que la télémédecine ne soit pas suffisamment évoquée comme source d'économie. Avec la Sécurité Sociale, nous sommes en train d'évaluer la plus-value apportée par la télémédecine, qui permet aux médecins généralistes d'éviter à 51 % de leurs patients des déplacements vers les villes.

Enfin, je rends hommage au Sénat et notamment à Jean-Claude Etienne, qui a fait tomber les frontières qui subsistaient au niveau administratif.

Le dossier médical personnalisé

Le DMP a été expérimenté par la télémédecine dans la région Midi-Pyrénées depuis quelques années. Il convient de relever la différence entre le partage des informations et le dossier médical personnel. Or le médecin généraliste manipule beaucoup mieux les technologies modernes que nombre de mes collègues.

Michel-Léopold JOUVIN, directeur d'hôpital

Je crois au DMP, mais il est certain que sa bonne mise en oeuvre nécessitera un effort soutenu quant à l'informatisation des établissements. Ainsi, nombre des établissements ont des logiciels métiers, mais ils n'ont pas pensé à l'infrastructure.

Sur le plan technologique, il est évident que le DMP est réalisable aujourd'hui. Cela suppose néanmoins que le dossier médical soit installé à la fois chez les praticiens et dans les établissements de santé. Là aussi, il convient de fournir un effort fondamental en matière d'investissements. De ce point de vue, très peu d'établissements sont prêts à l'heure actuelle.

Aujourd'hui, mon expérience de directeur d'établissement me permet de dire que la prise à distance de l'image fonctionne. Cependant, il convient de se poser une question essentielle. Celle-ci est la suivante : le patient pourra-t-il interdire à un moment donné l'accès au dossier ?

De la salle

Je suis enseignant-chercheur dans le groupe des écoles des Télécom et spécialiste des télétransmissions. Je tiens à vous faire part de plusieurs remarques. Tout d'abord, on parle de dossier médical personnel, mais ce caractère personnel n'existera pas. En effet, le dossier sera relié aux ayant-droits.

Ensuite, Monsieur Augereau a affirmé que la France était en avance en matière de DMP. Ceci est inexact. Ainsi, lorsque je vais au Brésil, mon système d'analyse médicale me donne mon analyse de sang sur une disquette ou un CD-rom. Je peux également effectuer cette analyse de sang au supermarché du coin.

Enfin, il a été indiqué que les normes étaient les mêmes. Ceci est également erroné. Ainsi, un constructeur A ne peut pas lire le dossier DCOM d'un constructeur B s'il ne dispose pas de la bonne routine fournie par ledit constructeur.

Yves AUGEREAU

Je m'inscris totalement en faux vis-à-vis de ces propos. En effet, Siemens est implanté dans 120 pays, ce qui lui permet d'avoir une vision assez large des pratiques. Ainsi, les autres pays, y compris le Brésil, sont loin de proposer un dossier médical personnel exhaustif aussi perfectionné que celui qui sera mis en place pour l'ensemble des citoyens français. De fait, il existe une grande différence entre le traitement d'une population entière et celui de quelques personnes.

Alain PRUAL

Je travaille comme praticien hospitalier dans un établissement de 850 lits dans la France profonde. Je suis surpris que cette table ronde, qui portait pourtant sur l'offre de soins, ait peu évoqué la réalité du terrain. En effet, dans les hôpitaux régionaux, nous sommes bien loin du high-tech qui vient d'être décrit.

Ensuite, vous avez parlé très vaguement de l'inégalité de l'offre territoriale. Or, de nombreuses régions éprouvent de très grandes difficultés pour attirer des praticiens. Je rappelle ainsi que l'AP-HP a 2,5 fois plus de personnels par lit que l'ensemble des hôpitaux de France.

De plus, il convient de relever l'insuffisance de l'offre. Ainsi, les hôpitaux manquent de praticiens. Par exemple, dans mon établissement, trois services chirurgicaux ont dû être fermés par manque de chirurgiens et d'infirmières. Nous voulions ouvrir dix lits supplémentaires pour répondre aux besoins, mais nous ne pourrons pas le faire. Aujourd'hui, il n'est plus possible de répondre à la demande de soins. Les hôpitaux en arrivent donc à recruter des médecins étrangers n'ayant pas l'autorisation d'exercer en France.

Le parcours de soin

La réforme fait la part belle aux généralistes. Dans la réalité, les généralistes sont peu nombreux, ils sont âgés, et ils n'ont plus envie de travailler le week-end. Le vendredi soir, ils ferment leurs cabinets et renvoient leurs patients sur le service des urgences.

Le dossier patient informatisé

Nous sommes en train d'informatiser les hôpitaux. Pourtant, lorsque je demande à mes collègues de remplir leurs obligations légales, comme les résumés d'unité médicale, ils refusent. En effet, ils n'ont plus le temps de le faire, ou alors au détriment des patients.

Telle est la réalité du terrain.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page