AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DÉFENSE ET FORCES ARMÉES

Table des matières


Mercredi 7 juin 2000

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Audition de M. Ghassan Salamé, directeur de recherche au CNRS, sur la situation au Proche-Orient

La commission a d'abord procédé à l'audition de M. Ghassan Salamé, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), sur la situation au Proche-Orient.

M. Ghassan Salamé
a rappelé que le processus de paix au Proche-Orient s'était largement développé en dehors de l'architecture mise en place lors de la conférence de Madrid, il y a neuf ans, où deux " piliers " avaient été mis en place : des négociations multilatérales dans le cadre de commissions spécialisées et des négociations bilatérales entre Israël et ses voisins. Cinq thèmes (coopération économique, environnement, réfugiés, eau et contrôle des armements) avaient été retenus pour les négociations multilatérales. Celles-ci avaient pour objectif de développer un climat de confiance entre les différentes parties en favorisant l'implication de la communauté internationale et la médiation de certains pays. Entre 1991 et 1996, ces commissions ont permis à l'Union européenne et à la France de rééquilibrer leur influence par rapport à celle, dominante, des Etats-Unis, et d'occuper une juste place dans le processus de paix, en présidant notamment les commissions relatives à la coopération économique, l'Union européenne étant le premier contributeur financier au profit de l'Autorité palestinienne, et pour le contrôle des armements. Toutefois, ce processus de consolidation de la confiance réciproque entre les anciens belligérants, bien que n'ayant pas été à l'origine des principales avancées du processus de paix, a tout de même permis un rapprochement et une intensification des relations diplomatiques et économiques des pays du Maghreb et du Golfe avec Israël. Les sommets économiques du Proche-Orient, non prévus dans le processus de Madrid, ont également joué un rôle important dans ce domaine. La reprise des négociations multilatérales est aujourd'hui suspendue au progrès des négociations bilatérales.

Les négociations bilatérales menées par Israël respectivement avec la Jordanie, la Syrie, le Liban et les Palestiniens, qui constituaient le deuxième " pilier " du processus défini à Madrid, ont surtout progressé en dehors de ce cadre. Les négociations avec la Jordanie ont abouti à un accord de paix dès novembre 1994. Cependant, les dividendes de la paix attendus par la Jordanie se sont avérés moins importants que ceux espérés, l'aide internationale ayant peu suivi. Cela explique, a estimé M. Ghassan Salamé, un important sentiment de désaffection à l'égard du processus de paix dans la population jordanienne.

Avec la Syrie, les négociations étaient à la fois plus simples et plus complexes. Le Président syrien n'entend conclure un accord de paix avec Israël que s'il obtient les mêmes concessions reçues par l'Egypte en son temps, à savoir le retrait total des Israéliens de tous les territoires occupés en 1967. Par ailleurs, le Président Hafez al-Hassad reste fermement attaché à un statu quo qui conforte son régime et lui permet de préparer sa succession au profit de son fils. M. Ghassan Salamé a, en effet, estimé que les problèmes intérieurs restaient, en Syrie, prioritaires par rapport aux questions extérieures. Les avancées du processus de paix au Liban, ou au Golan, ne résulteront que d'une évolution de la situation politique intérieure, le Président syrien ne souhaitant pas que les conditions de la paix avec Israël puissent lui être reprochées.

Aujourd'hui, les négociations bilatérales entre Israël et la Syrie semblent dans une phase de blocage. Israël avait, en effet, trois objectifs principaux dans ces négociations : faire la paix avec la Syrie, se retirer du Liban, et normaliser ses relations avec les pays pétroliers du Golfe. Or, le retrait unilatéral des Israéliens du Liban Sud a supprimé une des motivations les plus importantes d'un accord de paix avec la Syrie. Ce retrait, a précisé M. Ghassan Salamé, présentait d'ailleurs, aux yeux des Syriens et des Américains, le double inconvénient de réduire les chances d'un accord syro-israélien et de remettre en cause la présence militaire syrienne au Liban. Le retrait israélien modifiant la donne régionale, les deux parties entendent maintenir le contact et, s'agissant de la Syrie, préserver sa présence au Liban.

M. Ghassan Salamé a alors abordé le déroulement des négociations israélo-palestiniennes. Il a à nouveau insisté sur le fait que les principales avancées dans ce domaine s'étaient produites en dehors des procédures fixées lors de la conférence de Madrid. C'est en effet à Oslo, en septembre 1993, que la diplomatie norvégienne avait permis un accord entre Israéliens et Palestiniens. L'accord d'Oslo avait, pour principe, le report des questions les plus difficiles dans une future négociation, tandis que, pendant une période intérimaire, initialement de cinq ans -de 1993 à 1998- des avancées concrètes, moins délicates, devaient être réalisées. Ce processus avait permis de consolider la confiance entre les deux protagonistes. L'OLP, reconnue par Israël, était ainsi devenue, sans heurts majeurs, le représentant de l'ensemble des Palestiniens de l'intérieur et l'Autorité palestinienne s'était organisée sur une base démocratique. Enfin, ce processus avait permis de rassurer l'opinion israélienne, lui permettant d'accepter des retraits partiels en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza. Les accords d'Oslo, a noté M. Ghassan Salamé, avaient ainsi permis d'obtenir des progrès qu'il ne fallait pas sous-estimer. Cependant, durant les trois années du gouvernement dirigé par M. Benjamin Netanyahou, le doute s'était instillé chez les Palestiniens quant à l'existence d'une véritable volonté de paix en Israël. Il s'agissait donc, aujourd'hui, de renouer des relations de confiance en poursuivant l'application des accords d'Oslo et en engageant les négociations finales où devaient être réglées les questions sensibles du statut final de Jérusalem et des territoires occupés, du problème de l'eau et des réfugiés.

M. Ghassan Salamé a toutefois indiqué que les premières propositions israéliennes sur le statut final de Jérusalem et des territoires, formulées il y a peu, avaient été jugées nettement insuffisantes par les Palestiniens les plus modérés. En effet, il s'agissait de créer à Jérusalem des " arrondissements " dont trois seulement seraient placés sous autorité palestinienne. La Cisjordanie, quant à elle, serait divisée en trois cantons (Naplouse, Ramallah et Bethléem) sans possibilité de communication entre eux. Cette proposition israélienne initiale a été améliorée depuis, mais reste insuffisante aux yeux des Palestiniens.

Pour M. Ghassan Salamé, deux scénarios étaient envisageables : le 13 septembre prochain, la proclamation unilatérale d'un Etat palestinien indépendant ou la conclusion d'un compromis, M. Yasser Arafat gardant encore la confiance de la population palestinienne et M. Ehud Barak disposant d'une plus grande marge de manoeuvre après le retrait du Sud Liban. Toutefois, en cas d'échec, on pouvait redouter un retour de la violence lié à l'exaspération croissante d'une population qui serait de moins en moins convaincue des chances de la paix.

Concluant son propos, M. Ghassan Salamé a observé que, malgré sa position de principal bailleur de fonds, l'Europe ne parvenait pas à être l'architecte du processus de paix. Les Etats-Unis continuaient d'exercer une maîtrise totale des négociations, s'estimant responsables de la sécurité de la région en considérant que le pays qui avait fait la guerre dans le Golfe devait être le pays qui apporterait la paix au Levant.

Un débat s'est alors ouvert avec les commissaires.

M. André Dulait s'est interrogé sur les relations de la Turquie avec ses voisins israélien et syrien, ainsi que sur l'apparent affaiblissement de l'islamisme.

M. Guy Penne, après avoir exposé les appréciations qu'il retirait d'un récent déplacement au Proche-Orient, a exprimé un constat optimiste entretenu par l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle génération de responsables israéliens, davantage soucieuse de promouvoir une plus grande coopération régionale que d'entretenir une logique d'affrontement.

M. Aymeri de Montesquiou s'est interrogé sur l'intention éventuelle du Hezbollah d'utiliser les réfugiés palestiniens au Liban, et leur désir de retourner dans les territoires palestiniens comme un levier politique à l'égard d'Israël et comme condition d'une normalisation à la frontière. Il a, par ailleurs, évoqué la difficile succession de M. Yasser Arrafat et la difficulté de concevoir l'avenir à moyen terme de cette région.

Mme Danielle Bidard-Reydet s'est interrogée sur la possibilité, pour le Président Clinton, d'oeuvrer pour une solution pacifique avant la fin de son mandat. Elle a souhaité connaître les moyens, pour la France et pour l'Europe, de jouer un rôle plus important dans le processus de paix.

M. Paul Masson a souligné le risque, pour la France, en cas d'engagement sur le terrain, d'apparaître comme un " bouc émissaire ".

M. Charles-Henri de Cossé-Brissac a exprimé ses craintes quant aux difficultés éprouvées par le gouvernement de M. Ehud Barak, en raison de la multiplication des mouvements sociaux en Israël, et à leurs possibles conséquences extérieures.

M. Xavier de Villepin, président, s'est interrogé sur l'évolution du régime syrien dans la perspective de la succession du Président Hafez al-Hassad. Il a, par ailleurs, demandé à M. Ghassan Salamé son appréciation de l'attitude des Libanais à l'égard de la présence syrienne sur leur sol.

En réponse aux différents intervenants, M. Ghassan Salamé a apporté les éléments de réponse suivants :

- l'évolution de l'islamisme, telle qu'analysée depuis Paris, relevait souvent d'un certain phénomène de mode fondé trop exclusivement sur l'extrapolation de l'exemple algérien. En réalité, l'islamisation des mentalités s'accroît dans le monde, comme en témoigne la situation en Asie ou dans certains pays d'Afrique ;

- la coopération entre la Turquie et Israël revêt une dimension sécuritaire et militaire importante. Pour sa part, la Syrie a fait des concessions à la Turquie, notamment sur la question kurde. Ankara est surtout inquiète de l'avenir de l'Irak, dont dépend, pour une large part, le développement du sud-est de la Turquie. La normalisation des relations entre ce pays et l'Irak est un dossier sur lequel la France pourrait apporter un concours utile ;

- il n'est pas certain que l'émergence d'une nouvelle génération de dirigeants dans la région soit, en elle-même, porteuse d'espoir pour la paix. La jeunesse ne signifie pas forcément une plus grande compétence. Il convient, par ailleurs, de ne pas surestimer l'importance du conflit israélo-arabe, même s'il est un élément essentiel de l'équation régionale : les dirigeants politiques se jugent également sur leur capacité à gérer les mouvements sociaux, les rapports entre laïcs et religieux etc.

Ainsi, en Jordanie, les sujets prioritaires pour la population concernent davantage l'évolution négative des possibilités d'emplois en Arabie saoudite ou encore les nouveaux canaux d'échange de l'Irak avec le monde extérieur qui ne privilégient plus autant qu'auparavant le territoire jordanien ;

- le mode de succession arrêté par le Président Hafez al-Hassad au profit de son fils, a été imposé au " système " syrien. Si cette démarche venait à être remise en cause, cela pourrait aboutir, à travers un processus par étape, éventuellement violent, à l'émergence de responsables extérieurs au sérail ;

- le consensus libanais contre la présence syrienne n'est pas aussi fort qu'à l'égard de l'occupation israélienne. Pour les Syriens, un retrait du Liban pourrait mettre en cause la pérennité du régime. Le retrait israélien a, toutefois, réduit la justification d'une présence syrienne au Liban et les voix libanaises en faveur d'un retrait pourraient se faire entendre de plus en plus à l'avenir.

Traités et conventions - Accord France-Ghana sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements

Puis la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Guy Penne sur le projet de loi n° 327 (1999-2000) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la république du Ghana sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements.

M. Guy Penne
a rappelé que le Ghana, qui compte près de vingt millions d'habitants, appartient à la catégorie des Pays les moins avancés (PMA), avec un produit intérieur brut par tête inférieur à 400 dollars. Le potentiel de développement de ce pays a été conforté par des réformes conduites par les autorités ghanéennes, en partenariat avec le Fonds monétaire international.

M. Guy Penne, rapporteur, a ensuite présenté la situation économique, politique et sociale du Ghana. Il a rappelé l'évolution structurelle de l'économie ghanéenne, qui demeurait sinistrée au début des années quatre-vingt et dont le redressement spectaculaire, débuté en 1985 avec l'aide du Fonds monétaire international, est apparu comme l'expression d'un véritable " modèle économique " régional. En dépit de l'arrêt momentané des réformes structurelles en 1992, les autorités publiques ghanéennes ont, depuis ces trois dernières années, accéléré la privatisation du secteur public, maîtrisé l'endettement du pays et se sont mises à jour de leurs obligations extérieures, qui atteignaient près de six milliards de dollars. L'or et le cacao représentent respectivement 45 et 30 % des recettes d'exportation du Ghana, et près de 60 % de la population travaille dans le secteur agricole contre 25 % dans les services. La dépendance du Ghana aux fluctuations affectant les cours mondiaux des ressources naturelles ne peut qu'inciter les investisseurs à concourir à la mutation de ses infrastructures économiques. Celle-ci est soutenue par un troisième programme de facilité d'ajustement structurel renforcé (FASR), d'un montant de près de 210 milliards de dollars, récemment consenti par le Fonds monétaire international.

M. Guy Penne, rapporteur, a évoqué la consolidation du processus démocratique inauguré par la nouvelle Constitution et la réélection de M. Jerry Rawlings en 1992. Le déroulement des dernières élections de 1996 a été jugé satisfaisant par les différents observateurs étrangers, dont ceux de l'Union européenne. La progression de l'opposition, avec à sa tête M. John Kufuor et le New Patriotic Party, laisse augurer une prochaine alternance politique, à l'occasion des élections présidentielles de novembre 2000. A l'enracinement des institutions ghanéennes s'ajoute un meilleur respect des libertés publiques et des droits politiques, avec la création d'une commission pour les droits de l'homme et la justice administrative, la liberté accordée à la presse et l'amélioration du droit syndical. En outre, l'accord général de paix et de réconciliation, signé en mars 1996, a permis l'apaisement de la situation sociale, en mettant un terme aux affrontements entre les différentes minorités Dagombas, Nanumbas et Kokombas.

M. Guy Penne, rapporteur, a ensuite exposé la situation contrastée de la présence française au Ghana : la coopération technique et culturelle est en expansion mais les investissements français y demeurent marginaux.

M. Guy Penne, rapporteur, a présenté le bilan de la présence à Accra de l'Agence française de développement, qui a engagé, depuis quinze ans, près de deux milliards de francs dans diverses opérations de développement, grâce à un mécanisme de prêts bonifiés. Elle a, notamment, contribué à l'extension et à la rénovation du réseau électrique ghanéen. L'inscription du Ghana dans la Zone de solidarité prioritaire a permis de dégager près de huit millions de francs en 2000, en partenariat avec la Banque mondiale. La coopération culturelle fait également preuve d'un réel dynamisme, comme le souligne la dotation annuelle de cinq millions de francs au soutien de l'apprentissage du français, que renforce le réseau des quatre alliances françaises et la diffusion de Radio France Internationale en modulation de fréquence.

M. Guy Penne, rapporteur, a souligné la présence commerciale modeste de la France au Ghana, où elle ne détient que 3 % des parts de marché. Les investissements français se sont néanmoins accrus ces dix dernières années, l'apurement des arriérés Coface, prévu en juillet 2000, est de nature à inciter nos entreprises, déjà présentes dans le domaine des travaux publics et de l'électricité, à consolider leur position dans un environnement économique en pleine mutation.

M. Guy Penne, rapporteur, a alors précisé les différentes clauses de la convention franco-ghanéenne d'encouragement et de protection des investissements. Ses stipulations incitatives demeurent classiques, avec notamment l'octroi d'un traitement juste et équitable, conforme au droit international, concernant le traitement des investisseurs et les travailleurs des deux parties. Les dispositions protectrices ont trait aux risques de dépossession, de changement institutionnel et de blocage de revenus lié à l'investissement, et mettent en oeuvre un mécanisme de règlement des différends analogues aux autres conventions de cette nature déjà ratifiées par la France.

Après l'exposé du rapporteur, M. Xavier de Villepin, président, s'est interrogé sur les perspectives de l'économie ghanéenne dont la dépendance aux fluctuations des matières premières comme l'or et le cacao est un facteur de fragilité.

M. Guy Penne, rapporteur, a rappelé la spécificité des productions ghanéennes d'or, dont les coûts d'extraction sont réduits, et de cacao, reconnu pour sa qualité par les marchés internationaux. Il a souligné les efforts des différents pays producteurs en faveur d'une plus grande concertation pour maintenir les cours mondiaux. Il a enfin insisté sur l'intérêt de la présente convention qui définit un cadre juridique protecteur pour les investisseurs français.

La commission a ensuite adopté le présent projet de loi.

Jeudi 8 juin 2000

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Audition de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères

La commission a procédé à l'audition de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

S'agissant du Proche-Orient, M. Hubert Védrine a considéré que les négociations israélo-syriennes se trouvaient actuellement au point mort, alors qu'une rencontre entre le Premier ministre israélien, M. Barak, et le président de l'Autorité palestinienne, M. Yasser Arafat, était prochainement envisagée à Washington.

Evoquant la situation au Sud-Liban, il s'est réjoui que la résolution 425 du Conseil de sécurité des Nations unies ait pu être appliquée. L'armée du Liban sud s'est dissoute sans incident et les différents protagonistes se sont comportés de façon raisonnable.

M. Hubert Védrine a rappelé que le Secrétariat général des Nations unies avait lancé à la France un appel en vue du renforcement de sa contribution à la force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). Le ministre a souligné qu'il appartenait à l'ensemble des membres du Conseil de sécurité, et pas seulement à la France, de prendre leurs responsabilités sur la question du Sud-Liban. La France a ainsi souhaité qu'un certain nombre de conditions préalables soient réunies avant toute décision de confier un nouveau mandat à la FINUL. Il est tout d'abord indispensable que le Liban s'engage à restaurer l'autorité de son gouvernement dans la région et que la Syrie, comme Israël, confirment leur volonté d'apaisement. Il est également souhaitable que la FINUL voie son organisation améliorée et que son mandat éventuel soit limité dans le temps.

M. Hubert Védrine a estimé que l'évolution de la situation conduirait sans doute à revoir à la baisse l'estimation initiale des Nations unies qui souhaitaient porter les effectifs de la FINUL à 8.000 hommes. D'autre part, l'actuel mandat de la FINUL courant jusqu'à fin juillet, le Conseil de sécurité dispose encore de plusieurs semaines pour définir les contours de la future force. En tout état de cause, la résolution 425 a bien précisé que cette dernière devrait aider l'Etat libanais à restaurer son autorité au Sud-Liban et qu'elle n'avait donc en aucun cas vocation à se substituer à lui.

Le ministre des affaires étrangères a ensuite évoqué la récente rencontre entre les présidents Clinton et Poutine à Moscou.

Evoquant tout d'abord les réactions russes à la position que la France avait exprimée sur la Tchétchénie, il a rappelé que notre pays avait défendu des positions claires et équilibrées.

Il a ensuite commenté le projet américain de défense nationale antimissile (NMD). Le ministre des affaires étrangères a rappelé que, depuis longtemps, s'exprimait aux Etats-Unis un courant d'opinion désireux de se dégager de la stratégie de dissuasion nucléaire fondée sur la destruction mutuelle assurée. Le président Reagan avait lui-même considéré, en lançant l'initiative de défense stratégique, que la dissuasion nucléaire était immorale et dépassée. Alors qu'aujourd'hui les technologies d'interception des missiles balistiques se sont perfectionnées, le souhait d'établir une protection globale du territoire américain ne fait que se renforcer, si bien qu'il sera difficile à tout dirigeant politique américain de renoncer à un système de défense techniquement réalisable. Les enjeux industriels accentuent par ailleurs la pression en faveur du déploiement de la NMD.

M. Hubert Védrine a rappelé que la NMD n'était pas compatible avec le traité russo-américain ABM (anti ballistic missile). Le président Clinton tente donc d'obtenir une révision de ce traité mais la Russie, craignant un affaiblissement de la crédibilité de sa dissuasion nucléaire, s'y est jusqu'à présent opposée alors que les républicains, majoritaires au Sénat, ont d'ores et déjà annoncé qu'ils ne soutiendraient pas un compromis réalisé avec Moscou sur ce sujet.

Le ministre des affaires étrangères a également indiqué que sous l'influence d'Henry Kissinger, principal artisan des accords élaborés avec l'URSS sur les armements stratégiques, se développait actuellement, au sein du parti républicain, un courant estimant que, dans le nouveau contexte stratégique, les Etats-Unis pouvaient définir leur politique de défense sans négocier avec Moscou et opter pour une nouvelle posture renforçant le rôle des armes défensives au détriment des armes offensives.

Selon M. Hubert Védrine, le programme américain de défense nationale antimissile entraînera d'importantes conséquences, aujourd'hui difficilement évaluables, sur les équilibres de sécurité dans le monde. Aussi serait-il souhaitable que les Etats-Unis veillent à ne pas prendre de décision précipitée, d'autant que la menace balistique nord-coréenne, régulièrement évoquée à l'appui de ce projet, paraît pour l'heure hypothétique.

A la suite de l'exposé du ministre, un débat s'est d'abord engagé sur la situation au Proche-Orient.

M. Aymeri de Montesquiou s'est demandé quel rôle le président Assad, qui prépare sa succession, pouvait jouer dans la signature d'un accord de paix avec Israël. Il a également souhaité connaître les conséquences du retrait de l'armée israélienne du Liban sud sur l'opinion palestinienne. Evoquant par ailleurs la difficulté de trouver une solution à la question de Jérusalem, il s'est interrogé sur la perspective de parvenir à un règlement de paix entre Israël et les Palestiniens. Enfin, il a souhaité connaître l'appréciation du ministre sur les conditions de succession au pouvoir en Arabie saoudite.

Mme Danielle Bidard-Reydet s'est interrogée sur les moyens pour l'Europe, et la France en particulier, d'encourager une paix durable entre Israéliens et Palestiniens, fondée sur le respect des deux peuples, de leur dignité et de leur histoire. Elle a souhaité savoir, à cet égard, si d'autres résolutions votées par les Nations unies ne pourraient pas enfin trouver, comme la résolution 425, une application effective

M. Xavier de Villepin, président, a souhaité obtenir des précisions sur la référence à la ligne frontalière du 4 juin 1967, dans le cadre du processus de paix.

En réponse aux questions des commissaires, M. Hubert Védrine a apporté les précisions suivantes :

- la ligne du 4 juin 1967 désigne le tracé de la frontière qui prévalait avant la guerre des six jours ; ce tracé n'est pas véritablement contesté ; la difficulté que soulève le statut de Jérusalem trouve son origine dans le refus des Israéliens d'admettre la division de cette ville ; les Israéliens posent par ailleurs pour condition de leur retrait du plateau du Golan des assurances sur les eaux du Jourdain et du lac de Tibériade, tandis que les Syriens considèrent le retrait total des forces Israéliennes comme un préalable à l'avancée des négociations sur tous les autres points d'un accord de paix ;

- le retrait israélien du Liban sud peut sans doute donner des arguments à ceux qui, au sein de l'opinion palestinienne, plaident pour un recours à la force et contribuent ainsi à mettre M. Yasser Arafat en difficulté. Toutefois, le président de l'Autorité palestinienne conserve une audience certaine chez les siens. S'il a obtenu des résultats indéniables à la suite de la négociation engagée avec Israël, les blocages du processus de paix pourraient toutefois créer une nouvelle situation de tension ;

- aucune des formules actuellement envisagées sur le statut de Jérusalem ne pourra se concrétiser sans l'accord entre les parties israélienne et palestinienne ;

- l'Arabie saoudite connaît un système successoral très organisé ;

- les chances d'obtenir un règlement de paix dans la région sont plus fortes aujourd'hui qu'elles ne l'étaient il y a dix ans ; les opinions publiques ont évolué en Israël -comme l'a montré l'élection de M. Ehoud Barak l'an passé- comme dans les pays arabes ;

- les résolutions des Nations unies constituent un fondement solide pour favoriser la paix dans la région, à condition de leur donner une application effective ; de ce point de vue, le retrait israélien du Liban sud ne peut que constituer un motif de satisfaction ; pour la France, la recherche d'une solution pour la Palestine passe nécessairement par la constitution d'un Etat viable qui puisse être un véritable interlocuteur pour Israël ;

- loin de se placer en situation de concurrence, Paris recherche la convergence avec Washington pour favoriser un règlement de paix, même si les méthodes peuvent différer ; avec les Etats-Unis, la France est le seul pays à être sollicité par les parties au conflit, y compris les Israéliens, pour jouer un rôle de médiation.

Les commissaires ont alors interrogé le ministre sur la position américaine dans le domaine de la défense antimissiles.

M. Christian de la Malène s'est demandé si l'adoption d'un nouveau concept stratégique aux Etats-Unis conduirait à une remise en cause de la dissuasion nucléaire et affecterait l'organisation militaire de l'Alliance atlantique.

M. Aymeri de Montesquiou, après avoir évoqué la vive réaction du secrétaire d'Etat américain à l'annonce de la vente d'avions de combat par le Kazakhstan à la Corée du nord, s'est demandé si le rapprochement observé entre le Kazakhstan et la Russie ne créait pas, pour la France, une opportunité de renforcer son influence dans ce pays d'Asie centrale.

M. Robert Del Picchia a souhaité savoir quelle serait la position adoptée par notre pays vis-à-vis de la Tchétchénie dans la perspective de la présidence française de l'Union européenne. Il a par ailleurs demandé des informations sur la situation du photographe français Brice Fleutiaux, retenu en otage en Tchétchénie.

M. Xavier de Villepin, président, a estimé que l'adoption d'un nouveau concept stratégique aux Etats-Unis constituait sans doute un mouvement irréversible, qui répondait par ailleurs aux aspirations de l'opinion américaine. Il s'est interrogé toutefois sur l'avenir de la dissuasion nucléaire à la suite de cette évolution.

En réponse aux commissaires, le ministre des affaires étrangères a apporté les précisions suivantes :

- les tenants du nouveau concept stratégique américain réunissent, d'une part, les milieux industriels susceptibles de bénéficier du développement d'une défense antimissiles, d'autre part, les hommes politiques, au premier rang desquels les républicains, et enfin une large part des spécialistes de questions stratégiques, en particulier M. Henry Kissinger ; les Etats-Unis ne renonceront sans doute jamais à posséder des armes nucléaires et pourront s'orienter vers une stratégie conjuguant un système dissuasif et défensif ;

- la situation en Asie centrale conduit à rechercher un renforcement de la présence économique française, même si elle ne permet pas aujourd'hui de développer véritablement les relations politiques ;

- les autorités françaises accordent, comme à tous les otages français retenus à travers le monde, une attention quotidienne à la situation de M. Brice Fleutiaux ;

- à la différence de la position française, la Tchétchénie n'a jamais été au premier plan des préoccupations de nos partenaires occidentaux. La dégradation de la situation dans cette zone confirme les préoccupations françaises ; on ne peut exclure par ailleurs un risque de contagion aux régions voisines. Notre pays estime, pour sa part, qu'un règlement passe nécessairement par une solution politique. L'intérêt accordé à la situation en Tchétchénie relève d'une position équilibrée qui n'interdit en rien à la France de poursuivre une politique de relations constructives avec la Russie.

M. Hubert Védrine a, par ailleurs, précisé, à l'intention de M. Robert Del Picchia que, si la France avait condamné le putsch militaire en Côte d'Ivoire de décembre dernier, notre pays, avec ses partenaires européens, avait, après l'annonce par les autorités ivoiriennes de la tenue de prochaines élections, engagé la normalisation des relations avec ce pays dans le cadre des accords de Lomé. Il a ajouté que M. Konan Bédié ne faisait pas, à proprement parler, l'objet d'une demande d'extradition mais d'une commission rogatoire. Il a observé enfin qu'une large partie des forces politiques ivoiriennes contestait la capacité de M. Ouattara à se présenter aux prochaines élections.

A M. Xavier de Villepin, président, qui l'interrogeait sur les conséquences de la crise gouvernementale en Pologne, le ministre des affaires étrangères a précisé que les négociations d'adhésion de ce pays à l'Union européenne connaissaient, avant même cette crise, une situation délicate, liée aux réticences polonaises à traiter point par point des questions les plus difficiles. Il a regretté que les médias polonais rejettent sur la France la responsabilité des difficultés rencontrées dans ce processus.